Il n’arrive pas souvent qu’un article du Monde déroule une démarche critique de manière simple. C’est pourtant le cas dans l’article « Le régime Dukan est une imposture !« du 11 janvier 2012 (ici, et reproduit ci-dessous), rédigé par le Groupe de Réflexion sur l’Obésité et le Surpoids (GROS) .
Vous penserez probablement comme nous qu’à l’image de la cavalerie dans Lucky Luke, cela arrive un peu tard, et qu’il aurait fallu délivrer ces informations déjà connues depuis au moins un an (cf. rapport de l’Anses Novembre 2010) pour éviter, à défaut de perte de poids, des pertes de temps et d’argent. Toutefois cet article est bien construit, et c’est l’occasion non seulement de donner des noms aux arguments critiques abordés, mais aussi en seconde partie d’article de renvoyer au Manifeste des révoltés des régimes (révolté-es, comme un certain nombre de féministes et d’antisexistes, luttent entre autres contre le diktat des normes de minceur).
, 11 janvier 2012
Le docteur Pierre Dukan, fort de ses best-sellers, considère que le niveau de ses ventes tient lieu de preuve scientifique de l’efficacité et de l’innocuité de ses méthodes amaigrissantes.
Prendre le nombre d’exemplaires vendus comme preuve scientifique est une variante de l’effet Panurge (voir ici Principe de la preuve sociale, effet Panurge ou argumentum ad populum).
Considérer que le niveau de ses ventes implique l’innocuité de sa méthode (sous-entendu « si c’était dangereux ou néfaste, ça se saurait, vu le nombre de gens qui s’en sont servi« ) s’appelle le sophisme du pragmatisme.
Aussi enjoint-il, dans une vaste campagne en direction des médecins, de prescrire à tout-va le « régime Dukan ».
Les études scientifiques démontrant l’inefficacité sur le moyen et le long terme des diètes protéinées ? Les études montrant les effets délétères des régimes amaigrissants, qui engendrent ou aggravent les troubles du comportement alimentaire, qui entraînent dépression et perte de l’estime de soi ? Le rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de 2010, qui fait une synthèse de l’état des connaissances en ce qui concerne l’efficacité et la dangerosité des régimes amaigrissants ? Ce ne sont là que les avis d’esprits chagrins, qui n’auraient rien compris au « régime Dukan ».
Si vous adhérez au régime Dukan, c’est que le régime est valide.
Accessoirement, le rapport de l’ANSES (Agence Nationale de SEcurité Sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, ex-AFSSA) sur les régimes est ici (rapport).
Silence assourdissant
La méthode Dukan est assurément un succès. Un succès sur le plan des ventes de livres, un succès médiatique. Mais cela ne nous paraît pas suffire pour la valider scientifiquement et permettre à son auteur de recruter des adeptes au sein du monde médical.
Voir à nouveau Principe de la preuve sociale, effet Panurge ou argumentum ad populum
Soulignons au passage que le terme « adepte » n’est peut-être pas adéquat ici, et que les auteurs prêtent une intention à Pierre Dukan qu’il faut démontrer.
Il nous semble donc que c’est peu demander d’exiger des autorités médicales qu’elles ne cautionnent pas de telles méthodes.
Le CorteX souscrit à ce point.
Or, leur silence assourdissant ne constitue-t-il pas une forme d’approbation ?
Cette formulation laisse entendre : qui ne dit mot consent. Même si c’est probable dans le cas présent, il peut y avoir d’autres raisons pour « ne dire mot ». Être muet par exemple !
Plus sérieusement, le silence des autorités médicales peut être dû a) à un manque de coordination b) à un conflit d’intérêt c) à des études encore en cours d)… etc. Le petit biais dans lequel tombe l’article est le faux dilemme.
Le problème, avec les régimes amaigrissants, se situe dans l’hiatus entre les résultats à court terme et ceux à moyen et à long terme. Une perte de poids rapide ne signifie pas que la méthode soit recommandable aux personnes en difficulté avec leur poids et leur comportement alimentaire. Car, en tant que médecins, ce qui doit nous préoccuper au premier chef, c’est l’évolution du poids et sa stabilité sur le long terme.
Si l’objectif est de maigrir vite, et non durablement, dans ce cas il n’y a pas grand chose à dire, le régime Dukan tient sa promesse.
Si l’objectif est de maigrir durablement (ce que prétend le site officiel de Dukan), alors prendre ce qu’offre le court terme pour une preuve sur le long terme st une variante de l’effet cigogne appelée Effet Atchoum, ou Post Hoc ergo propter hoc .
Les connaissances en matière de génétique et d’épigénétique de l’obésité, de régulation de la masse grasse et de contrôle du comportement alimentaire ont considérablement avancé ces dernières décennies. On sait que les mécanismes neurophysiologiques de contrôle de la prise alimentaire sont ainsi faits que les pertes de poids brutales sont ensuite compensées par des frénésies alimentaires, des boulimies, incontrôlables dans l’immense majorité de cas, et qui conduisent à reprendre le poids perdu, souvent avec un supplément.
L’obésité est plus que jamais assimilée à la laideur et à une carence de la volonté.
Transformer un phénomène social multifactoriel en un problème personnel ou catégoriel s’appelle l’essentialisme (on trouvera parfois naturalisme). On retrouve l’association avec le manque de volonté également à propos des alcooliques et des toxicomanes, mais aussi des « pauvres ». Cela sous-entend que celles et ceux non atteints par le phénomène le doivent, elles/eux, à leur volonté, ce qui est une manière de rehausser son image personnelle, par opposition aux autres.
Ceux qui sont gros le sont par leur faute et deviennent de mauvais citoyens, des délinquants alimentaires et des laissés-pour-compte. Ajoutons à cela la nécessité impérative d’apparaître belle, beau, jeune, tout de suite, la préférence donnée au court terme, et nous obtenons le franc succès de la méthode Dukan.
En tant que médecins et professionnels de santé, nous demandons que le corps médical, par l’intermédiaire des instances qui le représentent, prenne une position claire face aux bonimenteurs. Car qui ne dit mot consent.
A titre d’anecdote pouvant servir de base à un débat avec des élèves ou du public : Pierre Dukan a sorti début janvier 2012 un livre Lettre ouverte au futur président de la République, dans lequel il expose une série de mesures permettant, selon lui, d’éradiquer le surpoids en France. On nous rapporte que parmi ses principales propositions, l’une d’entre elle est la suivante : Dukan propose tout simplement de prendre la « maîtrise » de son indice de masse corporelle comme discipline au baccalauréat.
« Mettre en place une option ‘poids d’équilibre’ au baccalauréat rapportant des points d’option pour ceux qui arrivent à garder un indice de masse corporelle compris entre 18 et 25 entre la seconde et la terminale serait un bon moyen de sensibiliser les ados à l’équilibre alimentaire ».
Une réaction à ce sujet de Bernard Bernard Waysfeld, endocrino-nutritionniste et président du GROS, datée du 9 janvier 2012, est disponible dans le Magazine de la Santé de France 5, vers la minute 17.
Il existe un manifeste des révoltés des régimes, lancé par l’association Allegro Fortissimo, qui lutte contre les discriminations dont sont victimes les personnes de forte corpulence dans la société (problèmes d’accès à l’emploi, au crédit, aux transports, aux soins…). Elle travaille à réconcilier ces personnes avec leur corps et leur image, vis-à-vis d’elles-mêmes, de leur entourage et de la société. Nous reproduisons ici le manifeste pour contester une norme sociale, celle de ma minceur, pseudo-scientifquement correlée à la santé. Il n’est pas nécessaire d’être obèse ou en surpoids pour se sentir concerné-e.
Signer ou soutenir : http://www.allegrofortissimo.com/manifeste.htm
Richard Monvoisin