Ci-dessous est disponible un article élaboré pour le GEMPPI, Groupe d’études des Mouvements de Pensée en vue de la Prévention de l’Individu. Lors du colloque « Sciences, pseudo-sciences et thérapeutiques déviantes » organisé le 21 octobre 2006 à l’Espace Ethique Méditerranéen (hôpital de La Timone, Marseille), le GEMPPI avait demandé à Richard Monvoisin, en tant que membre du Laboratoire Zététique et de l’Observatoire Zététique, de venir parler du problème posé par les thérapies alternatives disponibles en pharmacie, et en particulier les fameux élixirs floraux d’Edward Bach, ou fleurs de Bach. Richard avait alors fait un résumé de son intervention.
En espérant que cet article servira aux enseignants des services médicaux ou para-médicaux souhaitant aborder la question des médecines dites alternatives avec des étudiants ou du grand public.
Éléments de critique des pseudomédecines – exemple des Élixirs Floraux de Bach
Lors du colloque « Sciences, pseudo-sciences et thérapeutiques déviantes » organisé le 21 octobre 2006 par le GEMPPI, j’ai tenté de montrer qu’afin de traiter le plus posément possible de ces thérapies, il était nécessaire de prendre à l’avance quelques précautions et de baliser un tantinet certains pièges de la réflexion.
Médecines douces ne convient pas, puisqu’il arrive que certaines personnes souffrent, ou meurent, sinon directement des MdA, du moins par substitution de traitement.
le champ thérapeutique de prise en charge du patient ensuite, avec le rapport médecin-patient, la confiance, l’écoute, le placebo, la relative chaleur des actes médicaux, les valeurs communes, etc. ; les connaissances dans ce champ fluctuent tellement d’un patient à l’autre qu’elles en deviennent quasi-personnalisées, et ne peuvent donc pas prétendre à être transposables d’un individu à un autre.
« Je peux, trois fois sur quatre, avec telle dose et telle posologie, vous permettre de résoudre ceci ou cela, en tel laps de temps ».
Nous nous retrouvons alors avec une « prétention d’efficacité », de type scientifique donc, relevant du premier sens du terme médecine. Le produit revendique une efficacité, généralement supérieure aux autres produits – sinon, au fond, pourquoi choisir celui-là ? – qu’il revient au fabricant de prouver, en vertu du fait que logiquement la preuve incombe à celui qui prétend (2).
L’effet Atchoum
Les pathologies soignées
Revenons à la seconde question : « la guérison est-elle avérée ? ». Dans de nombreuses pseudothérapies, la prétention est de type psychologique. Les EFB par exemple prétendent traiter sept « états psychologiques négatifs » : peur, incertitude, manque d’intérêt pour le présent, solitude, hypersensibilité aux influences et aux idées, découragement et désespoir, souci excessif du bien être d’autrui. Chacun de ces états est décrit comme lié à un état positif associé. À titre d’exemple, l’Égoïsme (négatif) et l’Altruisme (positif) sont, du point de vue de Bach, un seul état d’être, à travers deux modalités d’expression différentes. Le problème qui se pose est majeur : comment savoir qu’une personne est moins égoïste en prenant l’élixir Chicorée ? La notion d’égoïsme est bien trop complexe et subjective pour être testée ou simplement mesurée. Elle est trop personnelle. Nous sortons alors du champ de la médecine scientifique pour entrer dans le champ de la prise en charge du patient, personnalisée. Par conséquent, même la personne ayant guéri de son égoïsme avec l’élixir Chicorée n’aura aucun argument pour recommander ce traitement à autrui, puisqu’il était très personnel et adapté à sa personne. En clair, si les pathologies désignées sont floues, subjectives, et proches de l’état d’âme, il n’y a aucun moyen d’évaluer une quelconque efficacité.
Les preuves
Les biographes de Bach nous rapportent que dans les années 30, il aurait administré ses décoctions d’Impatiente à des patients souffrant d’impatience, avec les choses ou les personnes qu’ils jugent trop lentes ; de même, il aurait prescrit le Mimulus aux patients atteints de peurs maladives dans la vie quotidienne, peurs qui les empêchent de passer à l’action. Les résultats furent, selon eux, immédiats et surprenants. Seulement, si ces capacités thérapeutiques des décoctions de Bach existent, elles doivent pouvoir agir. Et si elles peuvent agir, elles peuvent être démontrées, à la condition expresse d’isoler les paramètres en jeu : il se pourrait que ce soit la gentillesse du bon docteur, la confiance a priori dans le produit, la forme de la bouteille ou simplement le Brandy qu’elle renferme qui fasse qu’une personne se sente mieux, et non l’Impatiente. Pour prouver la chose, il faut faire un protocole, sur un certain nombre de personnes, en isolant le seul paramètre que l’on teste – en l’occurrence, la décoction de la fleur d’Impatiente. Or non seulement Bach n’a jamais fait ces tests, mais les tenants de la thérapie florale non plus. Les rares publications disponibles souffrent d’un nombre de biais consternant, et les seules études bien montées ne prêtent à l’élixir Impatiente ou à l’élixir Mimulus aucun effet allant au-delà d’un effet placebo.
Les témoignages
En lieu de preuves, inexistantes, se substitue généralement une liste de témoignages qui appuient bien les vertus de la pseudothérapie. De Monsieur B à Madame L., la litanie des gens ayant « guéri » – c’est-à-dire ayant associé leur guérison d’une pathologie souvent floue avec la prise d’un élixir – vient servir de cache-misère au manque drastique de preuves. S’il n’est pas question de remettre directement en cause la bonne foi d’un individu rapportant son vécu, il est fortement recommandé de se rappeler par exemple qu’un, dix, mille témoignages ne font pas une preuve scientifique – pour mémoire, le 13 octobre 1917 soixante dix mille personnes ont vu danser le soleil à Fatima, au Portugal. Il y a plus de deux cents ans, le philosophe anglais David Hume résumait remarquablement cela en cette maxime devenue fameuse :
« Lorsque quelqu’un me dit qu’il a vu un [miracle], j’évalue immédiatement s’il est plus probable que cette personne se trompe ou ait été trompée, ou si le fait qu’elle rapporte pourrait s’être réellement produit. Je pèse un miracle par rapport à l’autre, et selon la supériorité que je découvre, je prononce ma décision, et rejette toujours le miracle le plus grand. Si la fausseté de son témoignage semble plus miraculeuse que l’événement qu’elle rapporte, alors (…) peut-il prétendre commander à ma croyance ou à mon opinion » (3).
La fabrication
Edward Bach décida que les fleurs, et plus particulièrement les pétales, ont une action sur les états psychologiques, et que le maximum d’efficacité est atteint en utilisant non la fleur elle-même mais la rosée déposée sur le pétale exposé au soleil – ce dont il se rendait compte en entrant en résonance avec le message des fleurs par la pose des pétales sur sa langue. Il décréta alors que la vertu curative de la plante serait conservée si on déposait les sommités florales, cueillies juste avant la floraison, à la surface d’un récipient rempli d’eau et exposé au soleil pendant plusieurs heures, jusqu’à ce que les pétales se flétrissent. Il faut alors retirer les fleurs, non avec les mains mais si possible avec une tige de la même fleur, puis filtrer ce qu’il reste de liquide, désormais chargé des énergies des fleurs, dans un flacon de verre si possible fumé et ajouter la même quantité de l’alcool choisi ; secouer fort sur une durée variant de 30 secondes à 2 minutes pour dynamiser le mélange et couvrir le tout avec un tissu pendant 48 h. Nous obtenons une teinture-mère. Il suffit alors de prendre un flacon de 30 cl, rempli d’un mélange à 40 % de Brandy, alcool né de la Vigne (Vigne : fleur de Bach N°38), et d’y verser sept gouttes de la teinture-mère. On retrouve ici tout l’héritage de la doctrine homéopathique d’Hahnemann, avec des éléments de pensée magique. Las ! La fabrication d’élixir agglomère pratiquement toutes les pratiques et le lexique des tenants du Nouvel-Âge : d’aucuns prétendent qu’il est nécessaire de se recueillir et demander la permission de la Nature ; d’autres enjoignent à se munir d’un pendule, ou de faire des danses mystiques. Certains encore proposent de partir avec un livre de photos des plantes, de s’imprégner de leur image, puis de fermer le livre et de ramasser celles qui vous conviennent le mieux, qui ont la plus grande aura. Au final, les plus scrupuleux arguent du fait qu’il faut se laver soigneusement, mettre des vêtements propres, et s’efforcer d’entretenir les pensées les plus pures possibles. En bref, la litanie des choses à faire pour obtenir un élixir fonctionnel de la plus pure tradition comporte un tel nombre de possibilités d’erreur que réussir à en réaliser dans les règles de l’art puis à le prendre dans les conditions adéquates relève du miracle, comme dirait Hume, et permet à la pseudo-théorie de justifier a priori de son échec potentiel.
Le Public
On le voit, les concepts employés dans la théorie des EFB sont exactement les mêmes que ceux qui régissent les théogonies des dérives sectaires actuelles. De nombreux emprunts sont fait à la sphère écologique, avec les notions de bio, d’équilibre, de holisme, et une vision très théologique de la Nature. Ces pratiques se greffent volontiers aux mouvements « alternatifs » ou « contestataires », animés d’une critique parfois juste d’un monde souvent inique et mû de la volonté que je trouve légitime de bâtir des alternatives. Notons au passage qu’elles font florès également auprès de la gent féminine : une raison à cela, aussi insidieuse qu’efficace, relève de cette entreprise d’abrutissement de masse des femmes que sont les magazines dits « féminins » et leurs consternantes pages Santé, où beauté, psychologie de comptoir et bien-être de la progéniture sont vantés à grands renforts de pseudoscience. La critique des pseudomédecines peut très vite revêtir un caractère politique et social.
Morale et politique
Après ce trop bref aperçu, que reste-t-il de la thérapie florale de Bach et de sa prétendue efficacité ? D’un point de vue scientifique, rien. D’un point de vue moral, c’est tout autre chose.Si le recours à ces placebos n’est pas dangereux en soi, il arrive que le patient, mal informé et incité par l’effet « vitrine » des pharmacies, opte sur de mauvais conseils pour une thérapie inefficace. On peut en pressentir les conséquences. Pour ne citer qu’un exemple, l’association Aube, renommée depuis Joie de vivre, diffuse les théories du Dr Hamer qui préconise entre autres de soigner le cancer en rompant avec tous les traitements reconnus. Elle comptait un adepte, chirurgien à l’hôpital de Saint-Quentin, qui arrêta des traitements anti-cancéreux pour les remplacer par des Fleurs de Bach, produites d’ailleurs par Aube, et qu’il vendait à son profit dans l’établissement. Allons plus loin : si prescrire ou conseiller le recours aux remèdes de Bach « ne fait pas de mal », cela fragilise insidieusement le patient vis-à-vis des modes de pensée magique et des notions Nouvel-Âge, qui servent souvent d’appâts (énergie subtile, harmonie ou magnétisme des plantes, etc.). On voit de plus en plus souvent des salons « écologiques » présenter des stands vantant les élixirs, et c’est ce genre de voisinage, de plus en plus fréquent, qui est à dénoncer. Si les Fleurs de Bach ne font pas de mal, elles inclinent à des postures naïves infériorisantes et fragilisantes.
Recentrer la contestation
Pour clore mon propos, je tiens à rendre justice aux MdA sur au moins un point. La prise en charge du patient y est bien plus longue, lente et appliquée que dans la médecine dite classique. Nous rejoignons là le troisième sens, technopolitique, du terme médecine. Le rejet de la médecine scientifique est couramment opéré par ceux qui rejettent le caractère de moins en moins humain de l’acte médical classique, illustré par certains médecins traitants qui ne nous gardent que dix minutes, les urgences bondées, etc. Opter pour les MdA s’apparente bien souvent à une contestation politique d’un système médical fortement libéralisé. Je trouve cette critique juste, urgente et nécessaire. Néanmoins, choisir, pour contrer ce système, des pseudothérapies inefficaces n’a non seulement pas d’effets sur les choix politiques en matière de santé publique, mais en plus de nous faire risquer notre propre santé, engraissent des pseudothérapeutes dont l’intérêt recouvre rarement le nôtre – car les pratiques commerciales des fabricants des MdA n’ont qualitativement pas grand chose à envier à celles des fameux lobbies pharmaceutiques. Devient prégnante la nécessité d’offrir une sorte de troisième voie à ce débat trop souvent mal mené sur les médecines « dites » alternatives. Puisse la discussion critique développée dans ce texte et lors du colloque du GEMPPI contribuer à cette troisième voie.
Richard Monvoisin
(1) Pour aller plus loin, voir :
- Monvoisin R, Élixirs floraux de Bach : étude zététique, critique des concepts pseudo-scientifiques, pseudo-médicaux et des postures philosophiques induites par la théorie du Dr Bach, Annales pharmaceutiques françaises, 2005, vol. 63, no6, pp. 416-428
- Monvoisin R, Fleurs de Bach : une action avérée sur l’esprit critique, Revue Science et Pseudosciences n° 273, juillet-août 2006
- Monvoisin R., Élixirs floraux de Bach. Quintessence d’une illusion, Laboratoire de Zététique, Université de Nice – Sophia Antipolis http://www.unice.fr/zetetique/articles/index.html
(2) On retrouve ce principe dans le Code Civil : Actori incumbit probatio, ou Actori incumbit onus probandi, article 1315.
(3) Hume D. Enquête sur l’entendement humain, 1748, section X.
(4) Source : Commission d’enquête parlementaire belge sur les pratiques illégales des sectes – Audition de M. Ch. Berliner, docteur en médecine et représentant de l’Association des victimes des pratiques illégales de la médecine http://www.dekamer.be/FLWB/pdf/49/0313/49K0313007.pdf