Crise du masculin
LEMONDE.FR | 07.03.11 |
La place des femmes dans l’économie est un sujet au coeur du débat public. Aussi, à l’occasion de la Journée Internationale des Droits de la Femme, il parait opportun d’approfondir les enjeux liés à l’avènement d’un « capitalisme féminin ». Il n’a échappé à personne que les traders des salles de marché étaient dans leur quasi-totalité des hommes. Dès lors, nous pouvons nous poser la question suivante : la crise financière que nous avons connue auraitelle eu lieu si ces mêmes traders avaient été des femmes ? Probablement pas.
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D’abord, il y a les chiffres : les femmes ne représentent que 17 % des décideurs financiers de Grande- Bretagne et seulement 2,5 % des cadres dirigeants des banques et des compagnies d’assurance. Plus impressionnant encore, l’Islande, dont nous savons que l’État a récemment été en situation de faillite, ne comptait qu’une seule femme banquière, et qu’elle dut quitter son poste en 2006.
Des chercheurs de l’université de Cambridge, en Grande-Bretagne, sont allés encore plus loin. Ils expliquent la désaffection des femmes pour les métiers de la finance et les comportements irrationnels des hommes, en se référant à la testostérone, l’hormone sexuelle masculine.
Ces chercheurs ont d’abord procédé à des prélèvements de salive sur des traders de salle de marché, afin d’évaluer leurs taux de testostérone. Le constat fut édifiant : les taux se sont révélés anormalement élevés les jours où les prises de position étaient les plus risquées et les gains les plus importants. Très difficile, d’ailleurs, d’évaluer la cause et la conséquence : la testostérone augmente-t-elle avec la prise de risque, ou en est-elle la cause ? Il y a fort à parier que les deux s’auto-alimentent, de sorte que les phénomènes de bulles financières sont d?une certaine façon la conséquence d?une spirale mêlant poussée de testostérone et prise de risque.
Sans doute touchons-nous ici du doigt le coeur de la crise du capitalisme. L’environnement financier mondial est en grande partie dominé par des hommes. Ces hommes, qui ne peuvent désormais plus utiliser leur testostérone dans les conquêtes, dans la guerre ou dans la chasse, vont trouver un exutoire dans ce nouveau terrain de jeu qu’est l’économie financière, par le truchement de prises de position boursières très souvent risquées. Cette prise de risque et le gain qu’elle peut générer sont une source d’exaltation et de jouissance extrême, jouissance qui est elle-même à l’origine d’une poussée supplémentaire de testostérone, qui à son tour incite à engager de nouveaux risques, etc. Nous sommes ainsi dans une spirale risque/testostérone dont l’effet est d’alimenter une bulle financière.
A quoi donc pourrait ressembler un « capitalisme féminin » ? Un capitalisme féminin serait probablement un capitalisme plus apaisé ; un capitalisme plus orienté vers le long terme que vers le court terme ; un capitalisme conscient de la limitation des ressources ; un capitalisme qui accorde une importance à l’éducation ; un capitalisme probablement moins ludique et plus prudent.
Faudrait-il alors imposer des quotas de femmes dans les salles de marché ou dans les conseils d’administration des multinationales ? J’ai longtemps été contre le principe de la discrimination positive, considérant que toute discrimination, positive ou non, contient en elle les germes d’une inégalité. Pourtant, nous voyons bien qu’une trop grande concentration de testostérone peut aboutir à des situations de crise.
Ceci est vrai pour les salles de marché, ça l’est aussi pour les conseils d’administration des grandes sociétés, où seulement 9 % des membres sont des femmes. L’idée qui consiste à instaurer un quota progressif de 20 %, puis de 40 % de femmes dans les conseils d’administration des sociétés de plus de mille personnes fait son chemin. Certains pays, tels que la Norvège, l’appliquent déjà. Le conseil d’administration est l’organe de décision clé de l’entreprise. C?est en son sein que s’élabore la stratégie, que se décident les projets à long terme. À l’évidence, davantage de femmes dans les conseils d’administration aura un impact fondamental sur la gouvernance des entreprises et sur leur devenir.
Si l’on ajoute à cela que le premier marché émergent n’est ni le Brésil, ni la Russie, ni l’Inde, ni la Chine… mais les femmes, l’on comprend aisément l’impact du féminin sur l’évolution du système économique ces trente prochaines années.
Rafik Smati est l’auteur d' »Eloge de la vitesse » (à paraître en mars 2011, aux éditions Eyrolles).
Richard Monvoisin