Alors que la réforme de formation semblait bien engagée pour nos amis kinésithérapeutes, les dernières nouvelles issues d’un courrier des ministres de la santé et de l’enseignement supérieur ne sont pas rassurantes quant au niveau de sortie des étudiants de cette filière. En effet, le grade universitaire de licence proposé ne devrait qu’accroître la faiblesse épistémologique des futurs professionnels et faire la part belle à toute les pseudo-thérapies.
Le Masseur-kinésithérapeute est un professionnel de santé connu et reconnu depuis plus d’un demi-siècle en France. On s’imagine le Masseur-kinésithérapeute (MK) garçon ou fille, sympathique, le teint hâlé, d’allure sportive dans sa blouse blanche et mobilisant nos membres avec bienveillance. On lui confierait le bon dieu et la santé de nos proches sans confession, convaincu de la qualité et de la quantité de la formation médicale théorique et pratique qu’il a reçue. Notre méconnaissance des hiérarchies médicales nous ferait parfois l’appeler Docteur, ce qu’il n’est pas, mais témoigne de la confiance qu’on lui accorde. Si les cinquante dernières années ont permis à cette profession, née quasiment en même temps que notre sécurité sociale, de s’affermir parfois au prix de luttes acharnées, c’est au cours de la dernière décennie que son statut a réellement évolué.
Vers le cap alléchant de l’autonomie
Les dispositions réglementaires de l’hiver 2000[1], ont visé à responsabiliser les praticiens, les élevant d’un statut d’exécutant de techniques à un statut de décideur/prescripteur, responsable vis-à-vis non seulement du patient, mais aussi des médecins/prescripteurs et de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie. Réclamée de longue date par la profession, cette responsabilité plus grande dans la planification thérapeutique devait logiquement s’accompagner de modifications de la formation et de l’exercice professionnel. Un conseil national de l’ordre veillant au maintien des principes de moralité, de probité et de compétence indispensables à l’exercice professionnel était créé en même temps qu’une réflexion sur les contenus de formation et la réingénierie du diplôme, à intégrer dans un cursus Licence-Master-Doctorat.
Débordée des deux cotés
Le besoin de réforme de la formation initiale est d’autant plus crucial et urgent que la kinésithérapie est une discipline chargée du poids du devenir fonctionnel des patients. Pourtant, son socle repose sur des sables mouvants. Responsabiliser les praticiens dans leurs stratégies thérapeutiques n’a de sens que s’ils sont aptes à faire des choix éclairés parmi l’offre des techniques disponibles, dont la profusion peut étonner. Or le développement des technologies de l’information et de la communication s’est traduit par une augmentation spectaculaire de la diffusion d’informations de santé, au point de rendre cette offre pléthorique et d’y – potentiellement – noyer le « gentil kiné » qui est désormais bien en peine d’exercer une sélection critique dans ce marécage. Il se retrouve vite débordé de toute part dans sa légitimité, d’un côté, par les instituts de soin et de bien-être, de l’autre, par les thérapeutes auto-proclamés usant de techniques sans fondement scientifique. On comprend donc l’impérieuse nécessité qu’il y a de permettre aux kinésithérapeutes de disposer d’outils pour faire un tri des éléments constitutifs de leur profession autant que de savoir les appliquer. Cette nécessité est d’autant plus grande que le secteur du bien-être et des thérapies dites “alternatives” est en pleine expansion, avec son cortège de techniques non éprouvées fleuretant avec l’étrangeté et l’exotisme en guise de lettres de noblesses, et qui revendiquent tous les oripeaux de la rééducation.
Le sabordage organisé
Sans formation initiale suffisante, point de salut pour cette profession bringuebalée.L’acquisition des connaissances méthodologiques, théoriques et techniques permettant aux professionnels de faire des choix éclairés, d’appliquer des techniques adaptées à chaque patient considéré avec bienveillance et humanité, prend du temps. N’en déplaise à certains responsables politiques, les kinésithérapeutes sont prêts à assumer leurs nouvelles responsabilités pour peu qu’on leur en laisse l’opportunité et qu’on leur en donne les moyens. Ces moyens passent par une formation initiale des kinésithérapeutes dans un cursus universitaire menant au minimum au grade de Master car seule l’acquisition de ce grade permettrait aux étudiants d’avoir un volume d’heures d’enseignements suffisants pour développer leur esprit critique. Il faut notamment du temps pour une formation « par » et « à » la recherche scientifique, reconnue comme l’école de l’acuité et de la rigueur intellectuelle exigeant de dépasser les efforts de ses pairs et permettant d’acquérir les qualités indispensables aux professions de santé. Le grade de Doctorat, qui serait à créer pour cette discipline, pourrait quant à lui ouvrir aux Masseur-kinésithérapeutes l’accès à des postes d’enseignant-chercheur connus pour dispenser un enseignement nourri par la recherche, donc fondé sur l’« evidence based practice », garante de la qualité des soins offerts au patient. Cela ferait de l’art kinésithérapique une science à part entière, et non une demi-science. Mais foin d’emballement ! Ces propositions d’évolution, pourtant logiques, ne semblent pas retenir l’attention des ministères en charge de la santé et de l’enseignement supérieur. Selon un courrier du 25 janvier, co-signé par les ministres des Affaires sociales et de la Santé et de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, les kinésithérapeutes sortiront par la petite porte avec un niveau de licence, ouvrant un peu plus large les brèches ouvertes aux prises en charges fantaisistes et aux techniques sans efficacité. Puisse cet article faire perfuser une pensée politique asséchée et contribuer à réanimer les droits des professionnels et des patients afin que leur demande d’une formation des professionnels digne de notre système de soin soit (enfin) entendue par les ministres de tutelle.