Manifeste des 100 intellos à lunettes qui ont besoin du Postillon pour travailler

Ce manifeste a été produit en soutien à la seule presse alternative du bassin grenoblois. C’est une tribune, et à ce titre, elle déroge un peu à la charte de publication du CorteX. Mais il s’agit ici de mettre un peu les mains dans le cambouis. Les intellectuel.les ont le devoir accru de descendre de leurs hautes sphères et de se concerner pour la vie publique et le paysage médiatique, un devoir plus grand que pour quelque autre profession car leur métier est de penser, de réfléchir, et s’ils/elles ont appris à faire ça par les services et les deniers publics, il est légitime qu’ils/elles rendent au public un peu la monnaie de leur pièce. Comme l’écrivait Michel Audiard, deux intellectuels assis vont moins loin qu’une brute qui marche.

Lettre ouverte à Christophe Ferrari, président de la Métro, et Yveline Denat, directrice de cabinet de la Mairie de Pont-de-Claix

Monsieur Ferrari, Madame Denat,

Nous sommes enseignant.e.s, chercheur.euses, journalistes, éducateurs et éducatrices, maniant plus facilement la cervelle que la truelle. De fait, nous sommes des intellectuel.les. Par conséquent les faits scientifiques, les études, les livres et le journalisme d’investigation sont nos nourritures, notre matière première de travail, notre glaise. Vous ne pouvez pas l’ignorer, en particulier vous Monsieur Ferrari, scientifique universitaire que vous êtes.

Le contexte actuel ne vous est pas étranger : la presse caustique a les dents limées, la presse satirique se prend du plomb dans la tête, la presse d’investigation n’existe presque plus, et l’aide à la presse, censée « contribuer au pluralisme du paysage médiatique et offrir un choix réel au lecteur », subventionne plus volontiers les mastodontes et les programmes télévisés que les petites feuilles de chou locales1.

Une presse alternative décapante est essentielle à l’alimentation de la réflexion des citoyens de la métropole, réflexion qui avait tendance à s’habituer au ronron anxiolytique du Dauphiné Libéré, pourtant subventionné à près de 5 millions d’euros par an.

Tuer cette presse, c’est enlever le ciment au maçon, c’est acidifier la terre de l’agriculteur. C’est pisser dans le seau à champagne. Tuer cette presse, c’est retirer le matériel de réflexion dont nous nous servons pour former à la réflexion critique nos chères têtes blondes, bouclées et crépues.

Et il s’agit bien ici de non-assistance à presse en danger. En laissant le Postillon et son directeur de publication être déclarés « coupables » et condamnés à verser « 2 000 euros d’amende, dont 1 000 avec sursis »,puis « 2 000 euros de dommages-intérêts à Yveline Denat », plus « 1 500 euros de dommages-intérêts à Christophe Ferrari », plus « 1 200 euros chacun pour le remboursement de leurs frais de justice », vous savez bien, Monsieur Ferrari, Madame Denat que vous faites couler la barque, fabriquée par des personnes précaires qui ne proposent ce canard que par conviction.

Le caractère diffamatoire ou non est de notre point de vue très secondaire dans cette affaire.

Entendez notre appel : retirez votre plainte !

D’abord par calcul personnel : car cette plainte vous rend antipathiques, comme Goliath, comme Polyphème. Elle fait de vous une botte militaire qui écrase la seule fleur d’un bocage. Elle signifie flinguer la seule presse alternative grenobloise existante, pour simplement laver votre plumage. Vous allez torpiller un enjeu d’utilité publique pour un petit honneur confit dans une surestime de soi.

Surtout, pour l’Histoire. Vous n’êtes pas dupes : cela relève de notre boulot de documenter, de garder trace, de consigner. Les encyclopédies du présent et du futur sauront garder votre fait d’armes, et il est assez probable que nos descendants auront grand mal à revendiquer votre héritage. Il est prévisible que votre action en justice fasse pouffer nos petits-enfants, comme nous pouffons devant les censures de l’ORTF ou de l’abbé Béthléem.

Nous faisons le pari que vous n’aviez pas vu les choses sous cet angle, et que comprenant tout l’enjeu qu’il y a rapporté à ce que vous essayez de sauver, vous allez annoncer le retrait de votre plainte. Les enjeux collectifs, nous en sommes sûr.es, dépassent et subsument nos égos, n’est-ce pas ?

Bien cordialement

Les signataires

Alban BOURGE, nanotechnologies

Albin DE MUER, physique

Albin GUILLAUD, épidémiologie

Anaïs GOFFRE, agriculture

Anne DIDELOT, anglais, français langue étrangère

Anne VILAIN, sciences du langage

Anne-Laure DAUB, santé

Aurélien BARRAU, astrophysique

Aurore AUDRAIN, informatique

Aymeric SOLERTI, agriculture

Bastien LETOWSKI, génie électrique

Benjamin VIAL, sciences sociales

Brunelle DALBAVIE, construction

Caroline BORDIN-GOFFIN, santé

Caroline ROSSI, anglais

Cécilia DUPRÉ, nanotechnologies

Cédric TAILLANDIER, science des matériaux

Célia GUILLAUD, ressources humaines

Céline DALLA COSTA, mesures physiques

Claire MARYNOWER, histoire

Clara EGGER, science politique

Clément DEBIN, mathématiques

Cyril TRIMAILLE, sociolinguistique

Cyrille DESMOULINS, énergies alternatives

Denis CAROTI, sciences physiques

Dominique BOCHER, sciences physiques

Edwin HATTON, politique

Elise BOURGES, musique

Élodie BIDAL, biophysique

Elora MOURGUES, technologie

Eric DUMAS, mathématiques

Euxane ESPIAU, géotechnique

Fanny BASTIEN, audiovisuel et multimédia

Fanny VUAILLAT, urbanisme

Félix SIPMA, agriculture

Francis LAZARUS, informatique

Francis TROULLIER, sciences physiques

François BLAIRE, graphisme

François BOUX, informatique

Gaëtan BOUILLARD, médecine

Gilbert MARMEY, électrotechnique

Grégoire CHARLOT, mathématiques

Grégory HERBINSKI, médecine

Guillaume ALLÈGRE, informatique

Guillaume LAGET, mathématiques

Guillemette REVIRON, mathématiques

Haithem GUIZANI, sciences de gestion

Héléna REVIL, sciences sociales

Hélène PINSON, médecine

Irène FAVIER, histoire

Isabelle KRZYWKOWSKI, littérature générale et comparée

Ismaël BENSLIMANE, philosophie

Jean RESSIOT, informatique

Jean-Yves TIZOT, histoire et civilisation britannique

Jennifer BUYCK, urbanisme

Jérémy GARDEN, ethnomusicologie

Josua GRÄBENER, sciences politiques

Julien LÉVY, sciences sociales

Julien PECCOUD, sciences de la vie et de la Terre

Laure SAMBOURG, mathématiques

Laurence BUSON, sciences du langage

Laurent HUSSON, géologie

Lucas FLORIN, éducation populaire

Madeleine MIALOCQ, sciences humaines

Manon ÉLIE,ingénierie

Marie GARDENT, géomorphologie

Marine PONTHIEU, sciences de la matière

Marinette MATTHEY, sciences du langage

Marlène JOUAN, philosophie

Murielle FRANVILLE, sciences de la communication

Nelly DARBOIS, santé

Nicolas PINSAULT, santé, neurosciences

Nicolas VIVANT, indépendant

Olivier KRAIF, informatique pédagogique

Olivier RAZAC, philosophie

Olivier TOSONI, technologies industrielles

Pascale LAZARUS, musique

Pascale GUIRIMAND, éducation populaire

Pierre BADIN, parole et cognition

Pierre GENEVOIS, mécanique

Pierre LABREUCHE, physique

Pierre MAZET, sciences sociales

Pierrick BONNASSIEUX, ingénierie

Raul MAGNI BERTON, science politique

Rémi CLOT-GOUDARD, philosophie

Richard MONVOISIN, didactique des sciences

Robin ROLLAND, électronicien

Romain VANEL, mathématiques

Sarah MEKDJIAN, géographie

Sébastien BERGER, pollution

Serge BONDIL, informatique

Simon PONTIÉ, électronique

Simon VARAINE, science politique

Stéphanie GUINARD, agriculture

Thierry SOUBRIÉ, sciences du langage

Thomas BASILE, santé

Thomas VAN OUDENHOVE, informatique

Vincent BOURY, ressources humaines

Yves BONNARDEL, indépendant

Pour en savoir plus : Condamné, Le Postillon fait appel

Extrait de « un taxi pour Tobrouk« , de Denys de La Patellière (1961).

Éditions Matériologiques alimentent ton esprit critique

Il est possible de développer son esprit critique de différentes manières. La confrontation méthodique à des matériaux issus des théories et champs controversés est particulièrement efficace pour cette fin. C’est pourquoi au CorteX nous affectionnons travailler à partir des phénomènes réputés paranormaux, des théories essentialistes, des médecines dites « alternatives », des scénarios complotistes et d’autres choses encore. Une autre voie possible est de s’acoquiner avec les problématiques philosophico-scientifiques en cours. Le lecteur notera que là où nous aurions pu dire philosophiques et scientifiques, nous avons à dessein rapproché les deux termes. En effet, nous ne pensons pas qu’il puisse y avoir de réflexion philosophique efficace qui ne prendrait pas appui sur le réel, et quelle meilleure voie d’accès à ce réel que la démarche scientifique ? D’un autre côté, nous doutons qu’il puisse y avoir une démarche scientifique en apesanteur de toute réflexion philosophique1. Il existe en France une maison d’édition qui s’inscrit pleinement dans un arrière-plan de ce type : les Éditions Matériologiques (EM). Nous annoncions la naissance de ces éditions en 2011 ici et nous en reparlions . Aujourd’hui, nous avons sollicité Marc Silberstein, l’un des cofondateurs, afin de mieux comprendre leur travail à travers une brève histoire des EM et un court entretien.

Une brève histoire des Éditions Matériologiques

En 1998, Marc Silberstein commença par éditer des livres de sciences et d’épistémologie dans une maison d’édition parisienne au sein d’une collection appelée « Matériologiques » – qui rend hommage au matérialisme scientifique revendiqué par Mario Bunge. Durant près de dix ans, la collection se développe doucement et d’autres auteurs se lancent dans l’aventure. Les livres rencontrent un succès convenable qui permet à la collection d’atteindre les 21 titres (dont des traductions de Bertrand Russell, Mario Bunge, Jaegwon Kim). Parmi ces ouvrages, deux semblent avoir fait un peu de bruit dans les milieux concernés : en 2000, Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en sciences, dirigé par Jean Dubessy et Guillaume Lecointre, et en 2004, Les Matérialismes (et ses détracteurs), sous la même direction avec Marc Silberstein en plus. Ces deux pièces constitueront les piliers d’une série de livres traitant de l’imposture intellectuelle en sciences ainsi que d’une défense et illustration du matérialisme en tant que matériaux des sciences1.

En 2008, émergent de fortes divergences idéologiques entre Marc Silberstein et cet éditeur. Selon lui, un des éléments déclencheurs de cette divergence fut la traduction de l’ouvrage de Bunge (version anglaise en 1981) dans lequel ce dernier exerce une critique serrée du matérialisme dialectique, position philosophique qui avait alors le vent en poupe dans la maison d’édition en question.

En juin 2009, Marc se voit contraint de quitter la maison d’édition et la collection « Matériologiques » est supprimée dans les semaines qui suivent. De nombreux projets de livres lancés des mois, voire des années auparavant sont annulés. Ne souhaitant alors pas laisser ces ouvrages et leurs auteurs dans le néant, il a l’idée de créer une nouvelle maison d’édition pour faire aboutir ces projets. Les Éditions Matériologiques ont été formellement fondées en 2010 par Marc Silberstein et deux de ses amis philosophes spécialistes du matérialisme des Lumières françaises, Pascal Charbonnat2 et François Pépin, sous la forme d’une association loi 1901. Les ont rapidement rejoint un groupe d’amis qui constitue peu ou prou l’équipe actuelle et le conseil d’administration de l’association3.

Les débuts des EM sont difficiles. La construction dune maison d’édition professionnelle coûte cher à tout point de vue. La recherche initiale de mécènes et de diffuseurs n’est pas simple, ce qui conduit l’équipe des EM à la décision de s’affranchir du support papier et de devenir un éditeur d’ebooks exclusif. C’est ainsi que les premiers livres parurent, en partie en reprenant des titres de l’ancienne collection abandonnés par l’éditeur initial, en partie des livres originaux que des auteurs, malgré un contexte éditorial particulier pour l’époque, ont bien voulu leur confier. Cependant, en dépit de la levée de ces premières difficultés, d’autres survinrent par la suite. La faible popularité du support ebook, les piratages, ainsi que des thématiques à lectorat restreint firent partie de ces difficultés. Il a pu être malgré tout publié plusieurs livres importants durant cette période, ceci grâce à des auteurs confiants dans le travail éditorial des EM et grâce aux réseaux académiques des amis des membres du Conseil d’administration, écoutés par leurs pairs. Deux ans plus tard, en 2014, avec divers facteurs dont le retour au livre papier, l’augmentation du chiffre d’affaires, le nombre des manuscrits reçus et l’augmentation de la notoriété des EM, celle-ci arrive enfin à maturité.

Depuis cette période, les EM se développent sans cesse, en termes de titres, de création de nouvelles collections, d’exploration de nouveaux domaines scientifiques ou philosophiques dans la lignée des préoccupations initiales des fondateurs des éditions. Le catalogue des EM compte aujourd’hui plus de 50 ouvrages (livres et revues), près de 30 titres à paraître en 2016-2017.

Quelques questions à Marc Silberstein

Que signifie le terme « Matériologiques » dans « Éditions Matériologiques » ?

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Je rappelle que c’est la reprise du nom d’une collection que j’avais créée en 1998 dans une autre maison d’édition. C’est la contraction et inversion de « logiques du matérialisme ». Il faut ajouter que nous avions fondé une revue d’épistémologie matérialiste/du matérialisme dont le titre est Matière première (dont je recommande vivement le numéro consacré au déterminisme, paru aux EM en 2012). On a ainsi voulu affirmer par ce nom notre adhésion au matérialisme en dépit des connotations péjoratives qui obèrent ce terme. D’ailleurs, au début de notre activité, il n’était pas rare qu’on nous en fasse le reproche en comprenant cette désignation d’une façon péjorative (malgré nos avertissements, nos parcours et un catalogue qui parlaient pour nous). Bien que tous nos livres ne soient pas porteurs d’une revendication matérialiste, nous tenons sans retenue à cette estampille, surtout quand sont souvent assimilés à tort voire à dessein matérialisme, darwinisme, stalinisme, nazisme et d’autres choses encore. Pour clarifier notre position ontologique, s’il en était besoin sur le site du CorteX, je la résumerais ainsi : nous ressentons, nous souffrons, nous aimons, nous sommes conscients de notre conscience, nous sommes si différents de la matière inerte, comment tout cela peut-il être le résultat d’un embrouillamini de molécules, bref de cette physico-chimie qui d’inerte donne le vivant, qui de non-sensible donne le sensible, qui de non-consciente donne la conscience ? Telles sont les questions traditionnelles sur lesquelles insistent toutes les doctrines idéalistes et spiritualistes. Refuser ce hiatus, cette barrière entre ces mondes et ne les concevoir que dans une relation de continuité, que dans un rapport de modifications qualitatives déterminées par les innombrables combinaisons d’éléments plus simples, et cela sans finalisme, sans intervention d’une cause hors de la nature (le matérialisme est avant tout un antisurnaturalisme). Le matérialisme ne dit rien d’autre : que nos affects, notre art, nos émotions, notre sentiment même du divin (pour ceux qui l’éprouvent), notre sollicitude vis-à-vis d’autrui ou nos aberrations, nos déviances, notre grandeur comme nos bassesses ne sont que (mais ô combien de phénomènes complexes dans ce « que ») les résultats des aléas et des déterminations de la matière la plus humble.

À quels manques souhaitent répondre les EM ?

Commençons en citant Guillaume Lecointre : « Les EM comblent une lacune dans le paysage intellectuel français : dans un pays où l’épistémologie reste trop éloignée des laboratoires, il était urgent que des scientifiques y prennent part, accompagnés de philosophes et d’historiens des sciences. Elles proposent un lieu de rencontre entre les scientifiques qui réfléchissent à leurs pratiques et les philosophies qui travaillent avec les sciences. » Sans se hausser du col bien sûr, je crois qu’on peut dire que les EM comblent un vide en France : nous sommes un éditeur « à manifeste » résolument attaché à la production d’ouvrages en sciences, histoire et philosophie des sciences (c’est d’ailleurs le sous-titre des EM), pas un éditeur généraliste sans ligne directrice. Nous avons une ligne éditoriale bien spécifiée – ce que j’appelle notre manifeste (matérialisme, laïcité, rationalisme, athéisme4, etc.), c’est-à-dire des idées rectrices qui fondent notre identité et notre projet. Ceci nous distingue des éditeurs qui peuvent certes publier des sciences et de la philosophie des sciences tout en ayant à leur catalogue des ouvrages aux positions diamétralement opposées.

Plus secondairement, car la frontière est plus difficile à définir, nous sommes assez différents des quelques éditeurs francophones spécialisés dans les sciences existant encore : la dimension épistémologique n’y est pas prépondérante, comme chez nous, tandis que manuels et ouvrages techniques sont privilégiés chez ces éditeurs (bien sûr, il faudrait nuancer tout cela, prendre des exemples.) Une autre différence, qui a l’air plus terre à terre mais qui a son importance, est à considérer : je pense que nous sommes le seul éditeur français, sur ces sujets, à pouvoir publier de gros, voire très gros, ouvrages. La tendance lourde dans l’édition du même type est de réduire très fortement les paginations, de demander des réécritures tendant à des simplifications excessives, bref à des dénaturations des textes préjudiciables à l’entendement de sujets qui ne peuvent se satisfaire de telles amputations… Un des enjeux pour les EM est d’essayer de combiner un arrière-plan social progressiste et une ligne éditoriale pleinement ancrée dans la promotion des idées émancipatrices issues de la rationalité (pour aller vite) et des sciences de la nature (c’est vrai, en revanche, pour les sciences humaines et la philosophie, Agone ou Le Croquant, Raisons d’agir, par exemple).

Comment le travail des EM est-il perçu par le milieu scientifique ?

Le fait est que nous sommes surtout connus d’une partie assez modérée du milieu scientifique, pour au moins quatre raisons :

1) nous avons publié surtout des livres sur la biologie5 (pour des raisons d’affinités directes avec le domaine, des raisons de réseaux d’auteurs potentiels, etc.) et c’est là, principalement, que nous sommes connus ;

2) très souvent ces livres comportent une composante épistémologique (philosophique donc) substantielle, alors que trop de scientifiques n’en voient pas l’utilité, voire tendent à déconsidérer la philosophie dans son ensemble ;

3) nos livres sont en français, or le milieu scientifique français est très anglocentrique, pensant bien souvent que c’est uniquement dans les livres en langue anglaise que se trouvent la quintessence et la pointe avancée du savoir ;

4) nous sommes encore trop petits… Une notoriété se construit au long cours, il faut patienter, nous développer, publier davantage en physique, explorer des domaines moins familiers, etc. C’est largement en cours car, d’après ce qu’on entend, ces milieux-là nous connaissent et reconnaissent notre travail. Plus prosaïquement, cette reconnaissance ne se transforme pas encore suffisamment en résultats commerciaux. Mais je pense qu’on va arriver en 2016 à une masse critique, si je puis dire, qui va nous rendre assez incontournable pour qui veut publier sérieusement un livre non expurgé, dans des domaines de moins en moins considérés par les acteurs traditionnels de la filière « Livres sur la/de sciences ».

Qu’en est-il du milieu philosophique ?

C’est très divers. Autant en sciences, nous sommes pluriels quant à nos centres d’intérêt (comme je disais, la biologie est centrale mais c’est contingent, et toutes les sciences nous intéressent), autant en philosophie, nous sommes plus restrictifs. On peut faire l’hypothèse raisonnable qu’une partie importante du milieu philosophique nous voit comme des scientistes ou nous ignore tout simplement. Mais les épistémologues, les philosophes de telle ou telle science, les philosophes analytiques, ou ceux issus de la tradition dix-huitièmiste, nous connaissent. À tel point que nous allons développer un projet d’histoire de la philosophie qui concerne des doctrines éloignées du matérialisme, mais qui, faisant partie de l’histoire des idées, intéresse un éditeur érudit comme nous. Ce qui nous importe beaucoup, c’est de nous faire admettre par les professeurs de philosophie du secondaire. Je crois que nos livres d’interdomaines sciences/philosophie sont utiles dans ce cadre.

Et pour le grand public ?

Difficile à dire. Mais je crois très sincèrement qu’on n’est pas connus du grand public (cependant, quel est son périmètre ?), qu’on ne peut l’être. Premièrement, nos livres, sauf exception, ne sont pas grand public, ne leurrons personne en ayant une telle illusion. Deuxièmement, pour l’être, y compris avec des livres difficiles, il faudrait bénéficier de deux soutiens dont nous sommes largement privés : primo des médias de masse qui parleraient de nous ; secundo des librairies qui, suite à de tels appuis médiatiques, accueilleraient nos livres sur les présentoirs et vitrines les plus en vue. Comme je dis souvent, nous ne promettons ni merveilleux ni extraordinaire dans nos livres ; pour prendre un exemple récent, nous évoquons un nouveau regard sur les cellules souches, là où un éditeur plus soucieux du marketing aurait titré un truc comme Les cellules souches et la fin du cancer… Cependant, force est de constater que la majorité de nos lecteurs ne sont pas scientifiques ou philosophes professionnels ; ce sont des gens cultivés, dotés notamment d’une culture scientifique et/ou philosophique forte, soucieux de contenus de haut niveau. Bien sûr, on ne peut pas regrouper ces lecteurs sous le terme « grand public », mais tout de même l’assimiler au lectorat, assez vaste et divers, d’une revue comme Pour la science (que je ne cite pas au hasard, cette revue est une des rares à avoir publié des recensions développées à propos de plusieurs de nos livres, reconnaissant ainsi notre place dans le paysage éditorial scientifique6

Quels ouvrages attendez-vous avec impatience ?

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Mario Bunge

Il y en a plusieurs… En tout premier lieu, une édition revue et augmentée du livre cité plus haut, Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en sciences. Il portera un autre titre, sera dirigé par Olivier Brosseau (spécialiste des créationnismes) et Guillaume Lecointre (biologiste au MNHN). On aimerait avec ce livre inaugurer une nouvelle collection dédiée à ces problématiques, en un mot cortecsiennes. D’ailleurs, il y a des projets communs en discussion, ou en tout cas avec des membres du Cortecs, et, espère-t-on, avec la SFR « Pensée critique ». Il y a aussi l’autobiographie de Mario Bunge, Entre deux mondes. Mémoires d’un philosophe-scientifique, traduite bénévolement par un ami, le biologiste Pierre Deleporte. Bunge est un personnage hors normes, méconnu en France. On espère que ce livre, moins technique que ceux qu’il écrit généralement, sera un moyen (bien tardif, il a 97 ans !, et n’a jamais reçu en France l’attention qu’il mérite, malgré quelques traductions ces dernières décennies) de rendre justice au plus important penseur matérialiste actuel ; et d’autres encore, mais pas assez avancés pour que j’en parle maintenant.

Quelles thématiques aimeriez-vous développer ?

Deux domaines capitaux pour nous sont pourtant très lacunaires aux EM. Versant sciences : la physique. Versant philosophie : l’athéisme. Pour les raisons déjà évoquées, nous avons moins de lien avec le milieu des physiciens, et surtout cette science a des débouchés éditoriaux bien plus nombreux que d’autres sciences. J’ai des idées pour tenter de débloquer cette situation (la physique est le domaine scientifique que je trouve le plus passionnant), mais pas le temps de les mettre en œuvre… Quant à l’athéisme, il faut trouver de bons textes, et pas des exégèses d’exégèses sur la vie (ou l’inexistence) de Jésus, par exemple. Certes, il y a eu ces dernières années quelques rares autres traductions de bon livres sur l’athéisme. La piste que j’entraperçois, c’est une collaboration avec Éric Lowen, le principal animateur de l’Université populaire de philosophie, à Toulouse. On en a parlé quand j’y ai donné une causerie sur le matérialisme, en 2014. Ses cours sur l’athéisme sont remarquables, les rassembler en un ou plusieurs volumes serait important pour lancer une telle collection. Mais c’est un gros travail, il faut trouver le temps… (J’en profite pour signaler aux lecteurs de cet entretien que s’ils sont en région toulousaine, il faut fréquenter cette UP, son programme de conférences, d’ateliers, de cours est sensationnel.)

Quelle est la demande d’ouvrages des EM de la part des bibliothèques universitaires ?

Difficile de savoir si c’est dû à un manque de notoriété qu’il faut donc régler ou si ce sont les conditions économiques des BU qui priment, mais disons que nos livres ne sont pas suffisamment achetés par les BU. Là encore, peut-être que le fait que beaucoup de nos livres soient des interfaces disciplinaires ne facilite pas l’acquisition d’ouvrages qui ne rentrent pas dans les cases des nomenclatures, je ne sais pas, je réfléchis tout haut… Mais j’ai bon espoir qu’il en soit autrement dans quelques années, à condition bien sûr que l’université ne soit pas saccagée par le prochain gouvernement et les fossoyeurs du service public.

Où peut-on trouver les ouvrages des EM ?

C’est un peu le principe « Directement du producteur au consommateur » : donc principalement sur le site des EM pour les livres papier. Chez Eyrolles à Paris, on trouve une partie du catalogue, un peu chez Vrin. Chez les libraires, sur commande. Un gros tiers, si ce n’est plus, de notre chiffre d’affaires est réalisé avec les libraires, même si nous ne sommes pas distribués en librairies, au sens classique du terme. Pour les ebooks, sur de nombreuses librairies en ligne, et surtout sur Cairn.org, portail de revues et livres de sciences humaines, bien connu des milieux universitaires. On est à l’affût de tous circuits de vente, alternatifs ou pas, qui pourraient faire l’affaire. On regarde, on évalue. La vente de livres, a fortiori de livres de niches, est beaucoup moins standardisée qu’il y a encore cinq ans. Cela demande adaptation et réactivité.

qu-est-ce-que-la-technologie-

Nous te remercions Marc pour ces nombreuses précisions.

Si nous rêvons de parcourir l’intégralité des ouvrages des EM, nous pouvons en attendant recommander  quelques spécimens supplémentaires à ceux évoqués ci-dessus tels l’émergence de la médecine scientifique dirigé par Anne Fagot-Largeault en 2013, La morale humaine et les sciences dirigé par Alberto Massala & Jérôme Rava en 2011 et enfin Qu’est-ce que la technologie ? de Dominique Raynaud en 2015 (avec une mention spéciale pour ce dernier). Autant de matériaux pour alimenter la chaudière de ceux qui souhaitent faire carburer leur esprit critique !

AG

Rapport CORTECS CNOMK : l'ostéopathie crânienne à l'épreuve des faits

En 2014, nous avions réalisé un rapport à la demande du Conseil national de l’ordre des kinésithérapeutes (CNOMK) portant sur le niveau scientifique de la biokinergie. Nous avons par la suite de nouveau été sollicités par le CNOMK afin d’évaluer le niveau scientifique de l’ostéopathie. Devant l’ampleur de la tâche, et  de par les ramifications souvent mal définies de cette pratique, nous nous sommes penché.e.s dans un premier temps sur l’évaluation de l’ostéopathie dite « crânienne » : Rapport CORTECS – Ostéopathie crânienne. Voici un résumé de ce  document de 286 pages pour lequel nous nous sommes efforcé.e.s de décrire le plus précisément et rigoureusement possible les méthodologies de recherche et d’analyse déployées. Pour plus de détails techniques, se rapporter directement au rapport. Des remarques, des questions ? Nous vous invitons à lire la partie QFP à la fin de cet article. 

Résumé

Dans les années qui suivirent l’ouverture des premières formations en ostéopathie par Andrew Taylor Still en 1892, certains praticiens élaborèrent à leur tour des enseignements et furent à l’origine de nouveaux concepts et courants ostéopathiques, dont on retrouve trace dans le paysage ostéopathique actuel, notamment dans les contenus des programmes de formation en France et dans le monde. L’ostéopathie crânienne est le nom d’un de ces courants, donné par son fondateur, William Garner Sutherland (1873-1954). C’est dans les années 1920 qu’il commença à élaborer les concepts et techniques crâniens à partir de l’observation minutieuse des os du crâne et de la face de son squelette Mike, de l’œuvre d’Andrew Taylor Still, et notamment l’importance que celui-ci accordait au rôle du liquide céphalo-rachidien (LCR) ; mais le choc vint de la contemplation d’un crâne de la collection de Still et de l’analogie qu’il fît entre la forme de l’os sphénoïde et celle des ouïes de poissons, « indiquant une mobilité pour un mécanisme respiratoire ».

William Garner Sutherland (1873-1954), fondateur de l'ostéopathie crânienne (Source : Wikipedia, image libre de droit)
William Garner Sutherland (1873-1954), fondateur de l’ostéopathie crânienne. ( Source : Wikipédia )

De là naquît le concept central de l’ostéopathie crânienne, repris par tous les principaux continuateurs de Sutherland (Viola Frymann, Harold Magoun, John Upledger etc.) : le mouvement respiratoire primaire. Actuellement, deux grandes approches conceptuelles des pratiques crâniennes se distinguent, tant à l’échelle française qu’internationale et s’inscrivent dans la continuité des enseignements de Sutherland :

– une approche que l’on pourrait qualifier de « biomécanique » et qui tend à valider scientifiquement ses concepts ;

– une approche qui se qualifie elle-même de « biodynamique » et qui ne tend pas ou très peu à valider scientifiquement ses concepts et fait régulièrement appel à des concepts mystiques, tels que celui de souffle de vie initialement décrit par Sutherland.

Sutures d'un crâne humain qui rendraient possible une mobilité intrinsèque, interne, inhérente à l'intérieur du crâne, qui créerait des mouvements infimes, mais détectables, entre les différents os.
Sutures d’un crâne humain qui rendraient possible une mobilité intrinsèque, interne, inhérente à l’intérieur du crâne, et qui créeraient des mouvements infimes, mais détectables, entre les différents os.

À partir de la lecture des textes des fondateurs et des continuateurs de l’ostéopathie crânienne, puis de la fréquentation des documents issus des principales institutions enseignant ou promouvant la discipline, et enfin de l’analyse de notre synthèse sur les différents concepts du champ crânien, le tout, enfin, assorti des revues de littérature antérieures portant sur ce sujet, nous avons dégagé les hypothèses relevant de l’anatomie, de la biomécanique, de la physiopathologie et de la physiologie humaine sur lesquelles reposent ces pratiques. Aucune des hypothèses qui font la spécificité des fondements physiopathologiques de l’ostéopathie crânienne n’est vérifiée. Les hypothèses dont la vérifiabilité est totalement ou partiellement avérée à l’issue de nos revues de littérature systématique sont en fait des hypothèses non spécifiquement ostéopathiques – c’est le cas par exemple de la circulation du LCR dans l’encéphale.

À l’issue de notre revue systématique de littérature sur les procédures d’évaluation issues de l’ostéopathie crânienne, nous n’avons trouvé aucune preuve en faveur des reproductibilités intra et inter-observateurs de ces procédures. La majorité des études existantes et disponibles échouent à mettre en évidence ces reproductibilités pour tous les paramètres considérés et ce malgré des risques de biais souvent favorables à l’émergence de résultats positifs.

À la clôture de notre revue de littérature sur ce thème, nos résultats montrent que les preuves méthodologiquement valables et favorables à une efficacité spécifique des  techniques et des stratégies issues de l’ostéopathie crânienne sont pratiquement inexistantes. Ces résultats convergent avec toutes les revues de littérature déjà menées sur le sujet.

En définitive, les résultats de nos différentes revues et analyses de la littérature scientifique indiquent clairement que les thérapies s’y rapportant sont à ce jour dépourvues de fondement scientifique. On aurait pu le subodorer dès leur invention, puisque très rares sont les concepteurs de « théories » cranio-sacrées ayant pris le soin élémentaire d’étayer leur pratique d’un quelconque élément de preuve. Cela montre une évidente défaillance épistémologique des fondateurs, mais également des continuateurs qui ont continué d’empiler des briques plus ou moins mal façonnées sur un marécage sans point d’appui.

Souscrivant à l’Onus probandi, un thérapeute quelque peu scientifique aurait assurément pu, à l’instar de Christopher Hitchens, réfuter sans preuve ce qui était affirmé sans preuve. Avec le soutien du CNOMK, nous avons accepté de faire le travail laborieux qui revenait logiquement aux prétendants. De fait, alors que nous pensions qu’il n’y avait pas a priori de raison scientifique de défendre cette discipline, désormais nous le savons. N’étant pas prescripteurs de recommandations, nous nous sommes limités à une analyse impartiale, et c’est cette analyse qui mène à l’énoncé suivant : rien n’encourage aujourd’hui à la mise en place de ces thérapies dans le cadre d’une prise en charge raisonnée de patients.

QFP (questions fréquemment posées)

Ce rapport a été relayé sur différents sites et réseaux sociaux, certains d’entre-eux permettant l’édition de commentaires. Nous ne sommes pas en mesure de lire et répondre à tous ces commentaires mais nous répondrons bien volontiers aux remarques et questions qui :

– concernent strictement le contenu de ce rapport (l’évaluation scientifique de l’ostéopathie crânienne) ;

– nous parviennent directement ( contact@cortecs.org ) ;

– ont un ton courtois et ne font pas d’attaque à la personne ;

– sont étayées avec des références précises et accessibles ;

– ne sont pas déjà traitées dans le rapport.

9 étudiant·es menacé·es – Le CORTECS dénonce les dérives autoritaires de l'UQAM

Après les grands mouvements étudiants de 2013, et suite au lancement d’une nouvelle grève étudiante d’envergure de plusieurs dizaines de milliers d’étudiant·e·s québécois·e·s, le conseil exécutif de l’UQAM (l’Université du Québec à Montréal) a convoqué devant leur comité disciplinaire neuf étudiant·e·s militant activement dans l’université en vue de les expulser. Les actions qui leur sont reprochées, fumeuses et parfois datées, s’inscrivent pourtant dans ce qu’on est en droit d’attendre d’un·e étudiant·e critique et conscient·e des enjeux socio-économiques. Aussi le CORTECS apporte-t-il son soutien à ces personnes, et mobilise son réseau en ce sens.  Au jour d’élaboration de cet article (10 avril 2015), des étudiants et des enseignants de l’UQAM exigeaient la démission du recteur Robert Proulx, suite à l’intervention du Service de police de la Ville de Montréal pour évacuer les occupants sauvages d’un bâtiment de l’université*. Pour se faire une idée des enjeux, nous reproduisons ici un texte co-élaboré par une cinquantaine de collègues de l’UQAM, ainsi que la lettre que nous avons signée.

 

CorteX_UQAMDès les débuts de l’Université en Europe, les étudiants se sont mobilisés pour des questions pédagogiques ou sociales, comme le prix des loyers. Le militantisme étudiant n’est donc pas nouveau. Grèves, occupations et perturbations d’évènements ont ponctué la vie universitaire, y compris à l’UQAM. Très souvent, ces mobilisations ont été à l’avant-garde de causes progressistes pour la justice sociale : féminisme, pacifisme, écologisme, entre autres.

 Historiquement, les directions d’établissements d’enseignement étaient relativement tolérantes face aux actions militantes, dont les occupations, certaines se prolongeant jusqu’à six semaines, comme à l’École des Beaux-Arts en 1968. Dans les années 2000, ces directions ont changé d’approche, appelant rapidement la police qui est intervenue brutalement, y compris à l’UQAM (sans oublier l’UQO – NdCORTECS : Université du Québec en Outaouais – et l’Université de Montréal en 2012, entre autres). Cette mutation volontaire s’inscrit dans une tendance générale de la part des autorités à être de plus en plus répressives face aux mouvements sociaux et à saisir l’occasion de quelques cas isolés pour justifier une généralisation des mesures répressives. S’inscrivant dans cette tendance, la direction de l’UQAM privilégie de plus en plus la répression sous forme d’intimidation et de violence institutionnelles. Cela entraine d’importantes dépenses (caméras et agents de « sécurité » supplémentaires) et contribue à la dégradation du climat social sur un campus bien connu pour sa vie associative et militante. Pourtant, il n’y a pas de consensus dans les publications savantes au sujet des effets de la répression sur les mouvements sociaux. Certaines études démontrent qu’elle provoque un affaiblissement de la mobilisation, d’autres qu’elle provoque un élargissement de la mobilisation et une radicalisation militante.

 Or il y a quelques semaines, une poignée de professeurs de l’UQAM et des membres de la haute direction ont dénoncé dans les médias la violence et l’intimidation étudiantes (échos tardifs du Jean Charest de 2012). Cette opération de communication lancée dans la phase de préparation de la grève étudiante maintenant en cours a offert l’occasion à un député de la CAQ – NdCORTECS :  la Coalition Avenir Québec – de prétendre que règne à l’UQAM une « culture radicale d’anarchie » (sic.) et de demander à la ministre de la Sécurité publique comment elle comptait y rétablir « la sécurité ». Les collègues écorchaient au passage la démocratie étudiante, s’inscrivant ainsi dans une curieuse tendance médiatique qui consiste à critiquer le fonctionnement des assemblées lorsqu’elles votent la grève, mais ne rien dire lorsqu’elles rejettent la grève.

 Rebondissement vendredi 20 mars 2015. Neuf étudiantes et étudiants ont reçu un courrier recommandé les convoquant devant le Comité exécutif pour répondre de mesures disciplinaires. Le Service de sécurité recommande lui-même dans certains cas la suspension pour un an, dans d’autres l’expulsion définitive. Les faits reprochés ? Turbulence lors de levées de cours et perturbation d’événements publics. Le débat reste ouvert quant à l’attention qu’il convient d’accorder à de tels faits isolés, à ce qui est réellement survenu et à l’importance que s’exprime à l’UQAM le débat politique, y compris parfois par des actions militantes.

Ce n’est pas la première fois que la direction cherche à bannir des activistes du campus et cela n’a jamais eu d’autres effets que de punir quelques personnes ciblées, alors que les actions sont collectives. Problématiques en soi, ces mesures apparaissent cette fois-ci particulièrement douteuses :

Absence de proportionnalité : pourquoi imposer l’expulsion définitive sans avoir commencé par donner de simples avertissements ? Le recours aux mesures extrêmes est cruel pour des étudiantes et des étudiants puisqu’il ruine leur projet universitaire et compromet leurs projets professionnels (sans compter la destruction de leurs relations sociales).

Absence d’urgence : certains des faits reprochés se sont déroulés au printemps 2014 et même en janvier 2013, soit il y a plus de deux ans ! Pourquoi sévir maintenant ?

Instrumentalisation politique : seule la situation présente, soit la grève qui commence, peut expliquer la volonté de neutraliser des militantes et militants du mouvement étudiant. Il s’agit d’une instrumentalisation politique des mesures disciplinaires (qui rappelle les arrestations préventives du groupe Germinal deux jours avant le Sommet des Amériques en 2001, des 17 « chefs » anarchistes à Toronto en 2010 et d’une douzaine d’activistes le matin du Grand Prix Formule 1 à Montréal en 2012). Alors que les actions au cœur des accusations étaient menées par plusieurs dizaines d’étudiantes et d’étudiants, la direction a choisi de cibler des personnes qui occupent des postes dans les associations étudiantes et même qui siègent aux plus hautes instances de l’UQAM. Il est bien pratique, en temps de grève et de négociations de conventions collectives, de faire taire la voix étudiante dans les lieux de pouvoir de notre établissement.

Frapper fort pour faire peur : parallèlement, la direction a envoyé à l’ensemble du corps étudiant un courriel mettant en garde contre toute perturbation pendant la grève, y compris de simples levées de cours, adoptant ainsi un ton menaçant inédit à l’UQAM. Les expulsions des neuf relèvent donc aussi de la peine exemplaire pour effrayer l’ensemble des grévistes, sans compter le déploiement de nouveaux effectifs d’agents de « sécurité » qui fouinent partout (y compris dans des assemblées syndicales), suivent et intimident un peu tout le monde, refusent de révéler leur identité et se permettent des propos sexistes à l’endroit d’étudiantes (« Salut, bébé ! »).

Il est consternant de constater que la direction adopte cette approche autoritaire contraire à la tradition de l’UQAM, qui a su préserver jusqu’ici un espace plus libre que ce que nous propose en général notre société disciplinaire. Nous nous dissocions totalement de la campagne de relations publiques clamant que le chaos règne sur le campus et nous demandons à la direction de l’UQAM de garder son sang-froid, de favoriser le dialogue (même laborieux) plutôt que la répression et dans tous les cas de revenir à une attitude d’ouverture face au militantisme étudiant. Ainsi, l’UQAM se démarquerait positivement d’une tendance de plus en plus répressive des diverses autorités québécoises. Cela nécessite, bien sûr, de faire le deuil d’une certaine volonté de puissance et d’une cruauté qui ne réjouit jamais que les puissants et les partisans de la loi et l’ordre, aux dépens de personnes plus vulnérables (ici, nos étudiantes et étudiants).

 Pour terminer, soulignons un paradoxe politique : la direction réprime des étudiantes et des étudiants qui se mobilisent présentement contre une politique d’austérité qui menace réellement notre établissement.

*Texte signé par une cinquantaine de professeurs et chargés de cours de l’UQAM, dont Marcos Ancelovici, Rémi Bachand, Isabelle Baez, Dany Beaupré, Marrie-Pierre Boucher, Rachel Chagnon, Line Chamberland, Jawaher Chourou, Marc-André Cyr, Anne-Marie D’Aoust, Martine Delvaux, Stall Dinaïg, Francis Dupuis-Déri, Alain-G Gagnon. Consulter la liste complète des cosignataires (NdCORTECS : même si regarder les cosignataires ne devrait avoir rationnellement aucun impact intérêt direct sur le choix de signer ou non).

 

Voici la lettre que nous avons signée.

Support letter from European academics for the nine student activists facing expulsion from Université du Québec à Montréal, Canada

The Executive Council of Université du Québec à Montréal (UQAM) has taken steps to evict nine students from the University who took part in demonstrations or strikes in the past two years. Their political commitment seems to be the only reason justifying these extreme measures and these unprecedented disciplinary sanctions are therefore considered as intimidation attempts. Indeed, this is the first time that the University has taken such actions regarding political activities. The praxis for which the Executive Council declared the activists guilty are:

  • The protest against the Orwellian security drift at UQAM on January 30th 2013, an authoritarian response to Quebec’s historical student strike of 2012

  • The Application of legitimate strike mandates voted in general assembly by the student community by cancelling classes on April 2th and 3th 2014, and on October 8th 2014

  • The demonstration that took place in the University organized by the student and employees union (SETUE) on April 2nd 2014

  • The disturbance of Frank Des Rosiers’s (assistant deputy minister in the federal government) conference on January 20th 2015.

The fact that these convocations arrive all at the same time, even if those events took place separately in a large time scale between several months and years, raises some serious doubts about the true intentions of the Executive Council. Moreover, these are non-urgent situations and concerned students do not pose a threat to the university community. Why such a hurry? Why such reactions? As it has been stated in the support letter of De Nieuwe Universiteit of Amsterdam “[c]uriously, they [the Executif Council actions] coincide with the beginning of a new student strike against austerity measures and budget cuts in social services.” The current situation suggests that these disciplinary sanctions are purely political and meticulously calculated to annihilate the cultural activism of UQAM student community, whereas 60 000 students around Québec are triggering strike movements.

The concerned students are left helpless since the student representative on the Executive Council is aimed by three different accusations such as “having blocked a corridor” or “having raised the tone of voice.” Her appearance in front of the Executive Council and her possible suspension before the other students de facto eliminates the only student representative of the Council, leaving the other students alone before the university’s administration. Furthermore, the expulsion, which is the most severe sanction that could be used on students, should only be applied in severe cases of aggression threats or repetitive plagiarism. Even in these cases, students must first pass through committees at the departmental level and faculty before being heard by the Executive Council. The fact that the University bypass these normal procedures will have disastrous consequences on the concerned students, since they have invested hundreds of hours and thousands of dollars in their studies only to see their efforts swept away.

On the behalf of freedom of expression and freedom of opinion, the UQAM administration’s political repression shall end and the disciplinary sanctions on the nine concerned students shall be removed. The outrageous power abuses demonstrated by the administration represent a worrying discriminatory treatment that will have tremendous consequences for the concerned students.

L’équipe CORTECS, Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique & sciences. www.cortecs.org

* Fin de l’occupation de l’UQAM après l’intervention du SPVM, Radio Canada.

Photo des grèvistes de France Culture

Le CORTECS exige du matériel critique audio de qualité (et soutient donc la grève de Radio France)

Le CORTECS est un grand consommateur de ballado-diffusion.En vélo, aux toilettes, à la vaisselle, durant le ménage oeurs dizaines de milliers d’étudiant·e·s québécois·e·s, le conseil exécutif de l’UQAM (l’Université du Québec à Montréal) a convoqu au jardin, nos oreilles profitent de trésors radiophoniques parfois méconnus, qu’il nous arrive, lorsque le temps nous le permet, de mettre à votre disposition (voir pour cela l’onglet Audiotex). Parmi les principaux fournisseurs de podcasts de qualité, il y a France Culture, du groupe Radio France. France Inter, dont nous avons déjà pointé la baisse de qualité, a perdu pratiquement toute émission critique correcte (à l’exception notable de L’Afrique enchantée et de Comme un bruit qui court). C’est justement en lutte contre cette médiocrisation que Radio France orchestre son plus important mouvement social depuis 10 ans. Le CORTECS soutient cette grève. En voici les enjeux, narrés par les acteurs eux-mêmes.

Nous sommes les voix qui, chaque jour, s’adressent à vos oreilles. A travers nos interviews, chroniques, reportages, documentaires, nous tentons au mieux de faire vivre les missions de la radio publique : « informer, éduquer, divertir ».

Nous, équipes de production des émissions de Radio France (animateurs, reporters, collaborateurs, chroniqueurs…) partageons les inquiétudes de l’ensemble des personnels de Radio France mobilisés depuis le 19 mars. Ce mouvement de grève a pour objet de défendre les radios de service public, et non des intérêts particuliers ou corporatistes. L’engagement budgétaire non tenu par l’État entraîne aujourd’hui un déficit grave qui menace l’existence de la radio telle que vous l’aimez et que vous la financez à travers la redevance audiovisuelle.

Nous sommes consternés de voir les travaux de rénovation de la Maison de la Radio si mal encadrés et si mal gérés (NdCORTECS : voir à ce sujet les articles du Canard Enchaîné sur les frais somptuaires de Mathieu Gallet), occasionnant le surcoût exorbitant que vous connaissez. Vos impôts, vos programmes et vos oreilles, doivent-ils payer pour cette incompétence ?

Le service public n’a ni la vocation, ni la possibilité d’être rentable. Or, cela semble être aujourd’hui la logique insidieuse de la Présidence de Radio France et au-delà, celle de sa tutelle, le Ministère de la culture. Et le silence jusqu’à présent de la tutelle (ministre de la Culture) semble accréditer une telle logique.

Conscients du contexte de crise économique et des efforts nécessaires, nous soulignons que de lourds sacrifices ont déjà été réalisés (en témoigne la baisse de 87,5 millions d’euros du budget entre 2010 et 2014). Une idée fausse voudrait que Radio France soit un lieu de gabegie, de privilèges et d’intérêts corporatistes. Savez-vous pourtant que la majorité des voix que vous entendez quotidiennement (à Radio France on les appelle les « producteurs ») travaille dans le cadre de contrats saisonniers et précaires ?

Comment continuer à produire de la radio de qualité quand les moyens matériels (studios, salles de montage, camions-régie…) sont constamment rognés ? Comment faire entendre les réalités d’un pays quand la plupart des émissions ne peuvent plus, faute de budget, envoyer de reporters au-delà du périphérique parisien ? Comment conserver notre indépendance – celle à laquelle vous avez droit – quand se multiplient sur les antennes des partenariats ou des publicités plus ou moins déguisées ? Si l’on suit la logique actuelle, la radio de demain ce sera : moins de reportages, moins de documentaires, moins de débats vraiment critiques, moins de concerts… Bref, une radio standardisée, calquée sur l’actualité ou sur les goûts majoritaires, une radio au rabais.

Nous aimons passionnément nos métiers et, au nom de la confiance dont vous nous témoignez, nous nous efforçons de travailler avec le plus de sérieux et d’esprit de responsabilité. Toutefois, dans ce climat de travail en constante détérioration, nous estimons de notre devoir de vous informer des risques qui pèsent sur la radio publique française. Radio France est un patrimoine à défendre, bien davantage que les boiseries d’un bureau présidentiel.

Les sociétés de producteurs de France Culture, France Inter et France Musique.

Pour aller plus loin :
Pourquoi la grève à Radio France ?
Émission sonore sur la grève à Radio France

Caisse de Grève

Chèques de soutien aux grévistes à l’ordre de « CCE radiofrance dons ». Adresse postale : CCE de Radio France — 116 av du Président Kennedy — 75220 Paris CEDEX 16

Entrevue politique – corrigé de décorticage

CorteX_SeilliereVoici une proposition de corrigé pour l’exercice de décorticage présenté ici. Nous avons trouvé 71 moisissures argumentatives. Et vous ?

1) « L’analyse selon laquelle il existe une économie réelle d’un côté et la finance de l’autre n’est pas du tout une analyse objective. L’économie réelle, c’est-à-dire la production des biens et des services, fonctionne – c’est le corps, avec un système nerveux, je dirais même un flux sanguin. Et le système nerveux et le flux sanguin c’est ce qu’on appelle la finance ».

métaphore organique (cf point 7)

2) « la finance »

notion-valise : la finance recouvre beaucoup de choses très diverses telles que les entreprises du CAC 40, les places boursières, le système bancaire, etc.

3) « Il peut y avoir en effet, dans le corps, une maladie »

métaphore organique (cf point 7)

usurpation de connecteur logique

« En effet » introduit une relation de causalité. Il n’en est rien ici puisque le terme « en effet » ne sert qu’à renforcer la métaphore organique en introduisant les pathologies du système capitaliste.

4) « et il y a eu une maladie avec la crise des subprimes. Elle a d’ailleurs failli compromettre la santé du corps »

métaphore organique (cf point 7)

plurium affirmatum

« failli » veut dire qu’en réalité elle ne l’a pas compromise.

  5)  » d’ailleurs tout le monde, n’est-ce-pas… »

argumentum ad populum

inclusion abusive

couplés à un discours ralliateur

Le fait que « tout le monde » se soit jeté au « secours » du capitalisme ne prouve pas que le capitalisme soit le meilleur système possible. Par ailleurs, cet argument est faux et relève de l’inclusion abusive, car il ne prend pas en compte toutes les institutions ou personnes qui se sont opposées au sauvetage du capitalisme (notamment parmi les économistes non keynésiens).

« N’est-ce-pas » est une locution visant à rallier l’adhésion de l’interlocuteur.

6) « gauche-droite »

notion-valise issu d’une analogie douteuse

Le clivage « gauche-droite » qui est censé structurer la vie politique française est une analogie douteuse dont le sens n’est plus évident. En effet, elle fait référence historiquement à la position des différents partis politiques lors de la première assemblée nationale post-révolutionnaire (août-septembre 1789). Aujourd’hui, il y a autant de diversité au sein de la « gauche » et au sein de la « droite », qu’entre partis de gauche et partis de droite.

7) « s’est jeté au secours de ce capitalisme en crise pour essayer de lui faire reprendre santé. C’est bien ça qui s’est produit »

concept flou

« Se jeter au secours » du capitalisme est un argument flou recouvrant plusieurs types d’actions (prêts à taux zéro, nationalisation des banques, capitalisation des banques privées par l’Etat,…)

effet paillasson sur le mot crise

Le mot « crise » ici n’est pas défini. Or ce terme est employé pour qualifier des phénomènes très différents (crise au Mali, crise d’adolescence, crise de la quarantaine, crise des dettes souveraines, crise de la représentation…).

métaphore organique

La métaphore organique sur les crises du système capitaliste est ancienne. On retrouve un vocabulaire clinique sur les spasmes de folies du système capitaliste dans les Manuscrits de 1857-1858 de Karl Marx. Ici, Ernest Antoine Seillère l’emploie pour signifier que la crise est un phénomène pathologique exceptionnel chez un capitalisme, conçu comme un système économique en santé. Cette vision est contestée, notamment par les économistes qui critiquent rationnellement le modèle capitaliste.

Cette métaphore organique fait aussi office de deus ex machina, qui introduit l’idée qu’il est « naturel » que le capitalisme soit malade quand par ailleurs il est généralement en bonne santé. L’étude des responsabilités et l’analyse de ce processus de crise sont complètement évacuées. Voir l’article de Guillemette Reviron sur les arguments naturalistes.

8) « Vous n’avez pas d’alternative aujourd’hui à un capitalisme qui règne dans le monde entier »…

faux lemme 

Dire qu’il n’y a pas d’alternative au capitalisme est une sorte spécifique de faux dilemme, le faux lemme (plus qu’il n’y a aucune alternative).

généralisation abusive

argumentum ad populum

Ceci revient à ignorer les critiques rationnelles existantes sur le capitalisme et les systèmes économiques concurrents existants dans le monde (autogestion, coopérative, communisme). En outre, avancer que le capitalisme règne dans le monde entier ne prouve pas qu’il s’agisse du meilleur système possible.

notion-valise

personnification du capitalisme

Quand Ernest-Antoine Seillère parle d’un capitalisme, de quel capitalisme parle-t-il ? Le capitalisme est ici un notion-valise puisqu’il demeure peu défini. Or le capitalisme anglo-saxon diffère du capitalisme chinois, danois et français. Il existe des capitalismes très différents les uns des autres. 

9) « des milliards d’hommes l’ont choisi comme système actuellement, en Inde, en Chine »

argumentum ad populum 

sexisme 

généralisation abusive

Ce n’est pas parce que des « milliards d’hommes » (qu’en est-il des femmes ?) ont choisi ce système que cela en fait un bon système économique. De plus cet argument est faux : il existe des alternatives en Argentine, en Islande et en France au niveau local.

10) « – L’ont-ils vraiment choisi ?
– Ecoutez si ce sont les communistes chinois qui l’ont choisi pour eux, c’est encore plus extraordinaire « 

homme de paille : la position de l’interlocuteur (ont-ils vraiment choisi le capitalisme ?) est ici travestie pour la rendre ridicule.

11) « mais la réalité est celle-là le capitalisme règne dans le monde »

généralisation abusive 

notion-valise 

personnification du capitalisme (cf  point 8)

12) « Sauf peut-être, en effet, Cuba et la Corée du Nord qui ne sont pas des exemples particulièrement flagrants de réussite »

déshonneur par association 

effet cigogne

plurium affirmatum

Les exemples de Cuba et de la Corée du Nord sont utilisés comme des repoussoirs. Par ailleurs, le fait que Cuba et la Corée du Nord ne soient pas des réussites n’est pas uniquement dû à la nature du système économique mais également à des circonstances politiques particulières (mesures de rétorsion et d’embargo internationaux, autoritarisme en Corée du Nord).

L’argument suppose également que Cuba et la Corée du Nord ne sont pas des réussites sur le plan économique et social. Cet argument mérite d’être discuté dans la mesure où, par exemple, les systèmes éducatif et de santé cubains sont de très bonne qualité. Il est bon également de rappeler que l’avortement est totalement libre à Cuba, jusqu’à 10 semaines de grossesse et ce, depuis 1965 (soit 10 ans avant la France !) 

usurpation de connecteur logique

L’utilisation de « en effet » est ici dévoyée : ce connecteur sert à introduire une causalité qui est factice ici car le terme est choisi pour introduire des exemples.

13) « Donc regardons les choses en face »

technique de l’engluement

Ce discours englue l’interlocuteur en emportant son adhésion de façon spécieuse. Si vous êtes responsable et ne vous voilez pas le face, vous savez que le capitalisme est le meilleur système possible.

14) « Le capitalisme existe, il n’y pas d’alternative »

faux lemme (cf point 8)

15) « Cette crise est en voie, espérons-le, de solution »

mot fouine

Le terme « espérons-le » vide la phrase de son sens. L’information donnée est nulle.

16)« il faut vivre avec ce capitalisme »

faux lemme (cf point 8)

17) « parce que je viens ici comme auteur et non plus comme ex-patron du Medef »

argument d’autorité 

En citant, en passant, son statut actuel et ses occupations passées Ernest-Antoine Seillère se place en position d’autorité. Or ni son statut d’auteur, ni celui d’ex-patron du Medef ne garantit ses compétences en économie. Voir le jeu des 20 pièges pour débusquer les arguments d’autorité.

18) « Je crois que nous avons à regarder en face le monde qui vient »

nous inclusif

deus ex machina

Cette phrase introduit une explication fataliste. Un monde viendrait et s’imposerait à nous.

19) « est-ce que ce monde qui vient est un monde dans lequel il faut en être? »

plurium interrogatum

Cette question est purement rhétorique et conduit à avaler une couleuvre : l’idée qu’un monde vient fatalement à nous et qu’il faut s’y adapter.

20) « Ça va valoir le coup d’y vivre et est ce que ça vaut le coup notamment de passer un quinquennat d’efforts pour s’assurer en effet nous Français »

faux dilemme

usurpation de connecteur logique

nous inclusif

essentialisme

Cette phrase combine les sophismes. Une fois encore, le connecteur logique « en effet » y est mal employé. Il introduit un faux lemme : il n’y a pas d’alternative aux efforts pour vivre dans un monde meilleur à venir. Les Français sont, par ailleurs, essentialisés comme un groupe homogène.

21)« monde qui vient dont j’estime en effet qu’il est porteur d’une incroyable et formidable réussite potentielle »

→  usurpation de connecteur logique

mots fouine

Le connecteur logique « en effet » est ici dévoyé puisqu’il n’introduit aucune causalité. Les mots-fouine « j’estime » et « potentielle » vident la phrase de son sens : la réussite du monde qui vient paraît très incertaine.

22) « par la convergence de forces que je vous résume à l’extrême »

instillation de causalité

deus ex machina

Le terme « forces » a une forte connotation fataliste : des forces s’exerceraient pour nous amener vers un nouveau « monde » de façon inévitable. Cette phrase introduit une explication causale fataliste.

23) « d’une part en effet la mondialisation qui s’organise, d’autre part le capitalisme qui règne, système unique dans le monde et qui va faire réussir le monde »

personnification de la mondialisation et du capitalisme

usurpation de connecteur logique

notion-valise

Le terme « mondialisation » recouvre de multiples acceptions. La « mondialisation » désigne, tantôt, l’intégration des marchés internationaux ou les stratégies de développement des firmes multinationales. On parle aussi de mondialisation commerciale, culturelle, politique. Le terme est parfois utilisé comme synonyme de globalisation, un terme tiré de l’anglais globalization au sens voisin de mondialisation.

généralisation abusive

Le capitalisme n’est pas un système unique dans le monde, puisque, de l’aveu même d’Ernest-Antoine Seillère, des systèmes alternatifs existent.

24) « et troisièmement alors un troisième facteur qui est considérable c’est-à-dire la menace climatique et la menace de développement sur le développement durable »

notion-valise 

Les termes « développement » et  « développement durable » recouvrent également de multiples acceptions. Parle-t-on ici de développement économique, social, culturel ou politique ? Quels sont les acteurs qui vont se développer ? Les populations, les firmes multinationales, l’élite ?

Le terme « développement durable » date d’un rapport publié par les Nations Unies en 1987, le rapport Bruntland, qui lui donne un sens très imprécis. Selon ce document, le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins.

oxymore

Enfin, les économistes théoriciens de la décroissance jugent que tout développement est, par essence, non durable puisqu’il implique l’idée d’une croissance basée sur la consommation de ressources rares et finies.

phrase insensée

La phrase « la menace de développement sur le développement durable » ne veut rien dire.

25) « qui, lui, est susceptible de créer aujourd’hui bien entendu par le travail des ingénieurs une véritable révolution industrielle porteuse de croissance et d’emploi »

mot fouine : « est susceptible »

technique d’engluement

La locution « bien entendu » vise seulement à emporter artificiellement l’adhésion de l’interlocuteur.

effet impact 

Le terme « révolution industrielle » est un terme à fort effet impact reposant sur un argument historique faux. En effet, l’industrialisation a été un processus lent et graduel plutôt qu’une révolution.

effet puits

Cette phrase a pour effet de noyer l’interlocuteur dans des concepts peu définis et flous.

26) « Donc j’ai une vision de ce qui vient, non pas la campagne présidentielle mais de ce qui vient qui est tout-à-fait optimiste »

deus ex machina (cf point 18)

27) « et j’aimerais bien que la France en soit « 

essentialisme

La France est posée comme une et homogène.

28) « Et ce monde-là, il profiterait à tout le monde ? Il profiterait au plus grand nombre Ernest-Antoine Seillère ou seulement à ceux qui font partie des happy few ?

– Eh bien écoutez, le capitalisme qui a donc en effet forgé l’Europe »

usurpation de connecteurs logiques

C’est le sophisme préféré d’Ernest-Antoine Seillère. « En effet » est ici combiné à « donc » : la combinaison de deux connecteurs causaux rend la causalité artificielle.

argument d’historicité faux

notion-valise

Rien ne prouve que la capitalisme ait forgé l’Europe. La terme est ici imprécis : de quelle Europe parle-t-on ? Des membres de l’Union européenne ? Des membres du Conseil de l’Europe ? De l’Europe de l’Ouest ? De l’Europe de l’Est ?

29) « est-il pour vous un système qui a conduit à un appauvrissement général de la population européenne »

renversement de la charge de la preuve

concept flou

homme de paille

Ernest Antoine Seillière renverse la charge de la preuve tout en travestissant de manière ridicule la position de son interlocuteur.

L’appauvrissement général des populations est un concept flou : quels sont les critères permettant d’évaluer l’appauvrissement général des populations? Des critères économiques? sociaux?

essentialisme

La population européenne n’est nullement définie mais posée comme homogène et une.

30) « à l’évidence non »

absence de preuve

Ernest Antoine Seillère balaie la remarque sans donner d’arguments précis qui invalideraient la position de son interlocuteur.

31) « le capitalisme a apporté l’innovation, le progrès, la croissance des niveaux de vie. C’est la modernité. »

effets cigogne

Il y a une confusion entre corrélation et causalité : on déduit de la présence d’une cause (le capitalisme) ses effets observés (innovation, progrès, croissance) alors que d’autres variables peuvent expliquer ceux-ci. Il est tout à fait possible que, par exemple, le capitalisme entraîne des effets contraires mais compensés par d’autres causes n’ayant aucun lien avec le capitalisme (le développement des connaissances scientifiques par exemple).

notions-valises

Le capitalisme n’a pas apporté à lui seul l’innovation, le progrès et la croissance des niveaux de vie. Ces trois termes sont par ailleurs des notions-valises non définis et souffrant de multiples acceptions. Parle-t-on d’innovation technologique, économique, sociale ? Quel est le progrès retenu ici ? Le progrès scientifique ? L’accroissement des connaissances médicales ? Les conquêtes sociales ? La façon de mesurer la croissance des niveaux de vie n’est pas par ailleurs précisée. Doit-on retenir le seuil de pauvreté? l’accroissement du PIB par habitant ? Le salaire moyen ? Médian ?

théorie pseudo-scientifique ethnocentrée

effet repoussoir 

« Le capitalisme, c’est la modernité » : rien ne prouve que le capitalisme se soit imposé en vertu de sa modernité, comme s’il s’agissait d’une évolution naturelle et bénéfique de l’économie. Dire que « le capitalisme, c’est la modernité » revient à adopter une posture ethnocentré sur les systèmes capitalistes et à qualifier tous les autres systèmes d’archaïques.

32) « – Oui. Mais aussi un accroissement des inégalités.
– Alors ça si vous voulez: c’est tout-à-fait en effet au centre de notre problème français »

explication creuse

La combinaison de « si vous voulez », « tout-à-fait » et  « en effet » ne produit aucune relation logique entre les arguments. Au contraire elle introduit une certaine confusion.

« notre » inclusif

Le « notre » inclusif conduit le lecteur à adhérer à la thèse qu’il y a un problème spécifique en France

Vous aussi vous disséquez de façon critique des extraits? Faites-le nous savoir!

 

Évaluation des pratiques utilisées par des kinésithérapeutes : la biokinergie

indexImpressionné par deux travaux de Master 1 encadrés par des membres du CORTECS, le Conseil national de l’ordre des kinésithérapeutes (CNOMK), a émis deux avis déontologiques sur les pratiques de soins non conventionnelles que sont la fasciathérapie méthode Danis Bois et la microkinésithérapie. En novembre 2013, le CNOMK a commandé un rapport au CORTECS sur le niveau scientifique de la biokinergie : Rapport CORTECS – Biokinergie. Vous en trouverez ci-dessous un résumé.

Résumé

La biokinergie est une pratique de soin inventée au début des années 80 par le kinésithérapeute et ostéopathe français Michel Lidoreau. La biokinergie s’inspire principalement de trois domaines thérapeutiques qui sont la médecine traditionnelle chinoise, l’ostéopathie et la masso-kinésithérapie. Elle dispose également d’un concept de base nommé enroulement biokinergétique.  Les formations en biokinergie proposées par le CERB (Centre d’Enseignement en Biokinergie) s’adressent essentiellement aux médecins, kinésithérapeutes, ostéopathes, éthiopathes et chirurgiens-dentistes.

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Hypothétique enroulement biokinergétique (vue d’artiste)

L’analyse de la documentation scientifique relative à la biokinergie montre qu’il n’est pas possible de conclure aujourd’hui sur son efficacité thérapeutique. En outre, son concept de base, l’enroulement biokinergétique, est à ce jour dénué de fondement scientifique.

Une évaluation scientifique rigoureuse de la biokinergie, à l’aide d’un protocole expérimental, est selon nous réalisable. Comme spécifié il y a plusieurs années lors de l’encadrement d’un mémoire étudiant, nous restons à disposition des thérapeutes biokinergistes pour les aider à évaluer scientifiquement leur pratique.

Suite à ce rapport, le CNOMK a émis un avis déontologique le 25 juin 2014 sur la biokinergie.

Le CORTECS

Journalisme, éthique – Outils pour un débat sur la liberté d'expression

Parmis les Midis critiques créés sur le campus de Grenoble depuis 2007, l’un d’eux eut lieu le 7 octobre 2009 et porta sur la liberté d’expression. Voici une manière,  parmi bien d’autres, d’incrémenter un débat sur ce sujet au moyen de ressources médiatiques disponibles facilement. La séquence dura 1h15, et « pirata » du temps de cerveau disponible aux étudiants durant la pause déjeuner.

Le Midi critique tel que je l’ai instauré est un petit détournement du temps de pause déjeuner. Il s’adresse aux étudiants à qui je n’avais pas le temps de montrer toutes les ressources que j’avais à disposition durant mes enseignements sceptiques. J’avais deux règles :

1. préparer la carte mentale d’un sujet que je maîtrise.

2. choisir des séquences de films, documentaires, radios, réclames me permettant, presque sans trop de commentaires de ma part, de faire incrémenter le débat le long de ma carte mentale.

Le seul maître mot était : faire en sorte que, sans que jamais personne ne se sente idiot, les étudiants repartent avec l’idée qu’un sujet peut s’avérer plus complexe qu’il n’y paraît.

Pour cet atelier, j’avoue avoir eu un public, disons, amical et bon enfant : 75 personnes, dont 40 étaient des étudiants que j’avais en classe, une trentaine étaient des étudiants « touristes », et une poignée de copains travailleurs qui venaient casser la croûte en même temps. Ce n’est pas toujours aussi intimiste, et j’ai déjà vu d’autres publics réagir assez violemment sur  l’intervenant-e (prise à partie, déplacement du sujet sur des revendications ethniques, confessionnelles, etc.). Ce sujet-ci se gère donc différemment selon les milieux, avec plus ou moins de mises au point préalables notamment sur la prise de parole.

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J’ai démarré cette présentation-débat en parlant des restrictions légales en vigueur de la liberté d’expression en France. Elles sont au nombre de sept :

  • La menace de commettre un crime ou un délit contre les personnes (art. 222-17 du Code pénal).

  • La provocation à commettre un crime ou un délit (art. 23 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse).
  • La propagande ou la publicité en faveur de produits, d’objets ou de méthodes préconisés comme moyens de se donner la mort, punie de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende (art. 223-14 du Code Pénal).
  • L’atteinte au secret professionnel (art.226-13 du Code Pénal).
  • La diffamation et l’injure (art. 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse).
  • La lutte contre les contestations des crimes contre l’Humanité 1 (loi Gayssot de 1990 en France),
  • La protection de droits ou de catégories de personnes spécifiques (protection de l’enfance, défense de droits de propriété intellectuelle (soit droit d’auteur, soit copyright), etc.
  • Le secret « défense » (loi n° 2009-928 du 29 juillet 2009, Code de la Défense).

Mon procédé était d’engager le débat de manière douce, en partant de supports populaires drôles autant que possible, afin de poser une ambiance propice à la discussion. J’ai pioché dans mon stock de matériel filmique et opté pour trois extraits de films :

  1. Double extrait d’Ali, de Michael Mann (2002) : morceau où au téléphone Muhammad Ali joué par Will Smith refuse la conscription (avec le célèbre « aucun viet cong ne m’a jamais traité de sale nègre »), suivi du passage devant la commission lui retirant sa licence de boxe.
  2. Double extrait de Larry Flint, de Milos Forman (1997), réuni en un seul document : premier morceau lors duquel Flint, joué par Woody Harrelson, argumente sur la photographie du vagin, second morceau sur son discours sur l’obscénité, avec mise en parallèle (sous forme de faux dilemme) guerre / sexe.
  3. Extrait de Good night and good luck, de George Clooney (2006), sur le discours célèbre de Edward R. Murrow du 9 mars 1954 lors de l’émission très risquée See It Now intitulée « A Report on Senator Joseph McCarthy » (extrait que je n’utiliserai finalement pas faute de temps). Murrow est joué par David Strathairn.

Pour tous les extraits, j’ai choisi la version française (malgré mon aversion pour elle) car à l’époque je ne savais pas faire de beaux sous-titres, et je ne voulais pour rien au monde créer un sas linguistique infranchissable aux plus jeunes étudiants (les autres étant plus susceptibles de maîtriser un semblant d’anglais scientifique qui ferait, certes, se retourner Byron dans sa tombe). Fort heureusement, j’ai réussi à trouver une version sous-titrée de l’extrait de Good night… au dernier moment. Depuis ce temps, je m’arrange pour avoir presque toujours les deux versions : la version originale sous-titrée aux étudiants, la version doublée pour un public plus large.

L’extrait Ali illustre l’objection de conscience, et l’idée était d’en faire un support pour emmener le débat sur la restriction d’expression au nom du patriotisme, comme aux États-Unis le Patriot Act.

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Le groupe La Rumeur

J’avais également préparé une interview du chanteur Hamé, du groupe de rap La Rumeur, dans l’émission de F. Taddeï Ce soir ou jamais du 4 novembre 2008. Il y expliquait l’acharnement dont les ministères de l’Intérieur successifs ont fait preuve sur un article de Hamé voulu factuel et jugé diffamant pour la police. J’ai pris soin bien entendu de regarder où en était l’affaire au moment du débat, le 7 octobre 2009, et j’ai pu constater que l’acharnement était manifeste, avec un nouveau pourvoi en cassation. Il est bon de savoir que, depuis, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi le 25 juin 2010 estimant « qu’ayant exactement retenu que les écrits incriminés n’imputaient aucun fait précis, de nature à être, sans difficulté, l’objet d’une preuve ou d’un débat contradictoire, la cour d’appel en a déduit à bon droit que ces écrits, s’ils revêtaient un caractère injurieux, ne constituaient pas le délit de diffamation envers une administration publique » (Cour de cassation, assemblée plénière, arrêt n° 585 du 25 juin 2010 (08-86.891). Cette décision met fin a une procédure de huit ans (voir « La Rumeur relaxé : Une gifle monumentale pour Sarkoland » rue89, juin 2010). Je recommande pour d’aucun-es souhaitant refaire cet atelier de se procurer le texte de l’article, au cas où une question soit posée dessus.

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Quant à Flint, il était le support rêvé pour discuter de la notion caduque d’obscénité, et de la forte composante morale de l’évaluation de cette obscénité qui fait la censure ou la restriction, par exemple par le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel). Au cas où lors du débat, quelqu’un avance que des restrictions sur l’obscénité n’existent plus au-delà de 18 ans, je gardais en stock les deux extraits de Le secret de Brokeback Moutain, d’Ang Lee (2005) coupé par la chaîne Raï en Italie en décembre 2008 [ref]La RAI italienne censure des scènes gay de « Brokeback Mountain », Le Monde, 9 décembre 2008.[/efn_note].

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L’humoriste Dieudonné dans son sketch « à scandale ».

J’avais ensuite choisi de présenter la « censure » la plus connue du moment, celle de l’humoriste Dieudonné, et de la replacer dans un questionnement : peut-on tout caricaturer, et si non, pourquoi ? J’avais en stock :

  • « Dieudonné au pilori », montage prélevé sur la toile que j’ai utilisé car il permettait de retracer la genèse de l’affaire – mais que je suis incapable de retrouver !
  • « Dieudonné la bête noire », bonus du DVD, dont j’avais prévu un extrait que je n’ai finalement pas utilisé (à regarder ).
  • Et surtout ce magistral document mettant en parallèle le discours bi-standard de Thierry Ardisson sur la liberté d’expression selon qu’il parle à l’humoriste Dieudonné ou au judoka Djamel Bouras.

Pour élargir ensuite le débat sur le caractère absolu ou non de la liberté d’expression, j’ai gardé pour la fin l’extrait du film Chomsky, les médias et les illusions nécessaires, de M. Achbar & P. Wintonick (1993) portant sur l’affaire Faurisson.

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Noam Chomsky, se défendant d’avoir écrit une préface à R. Faurisson, mais ayant défendu sa liberté à s’exprimer librement.

J’avais gardé sous le coude les extraits des spectacles de Dieudonné sur Jacky, son technicien habillé en déporté juif, et sur la remise du prix de l’infréquentabilité à Robert Faurisson en 2008, mais je n’ai pas eu le temps nécessaire pour les développer – et il en faut, du temps ! 2

On pourra actualiser ce Midi critique avec les affaires plus récentes de censure ou de menace de censures (affaire des caricatures du prophète notamment, pièce de théâtre de Castellucci, etc.), ou en reprendre de plus vieilles, autour de chansons interdites ou tronquées, de films voués aux gémonies (comme Afrique 50 de René Vautier, réédité d’ailleurs récemment par Les Mutins de Pangée) et tant d’autres. On pourra également documenter et critiquer les « délits » d’expression chez les révisionnistes/négationnistes, comme l’a fait Jean Bricmont dans son excellent petit ouvrage La république des censeurs. Pour aborder l’affaire Faurisson – Chomsky, je recommande le documentaire Chomsky & Cie, d’Olivier Azam et Daniel Mermet, paru depuis, qui y consacre un moment.

Je recommande toutefois à qui voudrait se prêter à l’exercice de d’autant plus le préparer que son public lui est mal connu. Ce sujet, par ses ramifications, doit être fortement cadré pour ne pas déborder et, éventuellement, emporter tout sur son passage. Si je devais pondérer mes 50 midis critiques environ, je mettrais celui-ci (ex-æquo avec celui sur le voile et celui sur la liberté à disposer de son corps) comme celui nécessitant le plus d’expérience, car probablement l’un des plus difficiles à mener.

Matériel pédagogique : un disque de stockage ayant rendu l’âme, je n’ai plus mes montages. Ils sont cependant assez faciles à reproduire avec les références suivantes.

  • Ali, de Michael Mann (2002)
  • Larry Flint, Milos Forman (1997)
  • Le secret de Brokeback Moutain, d’Ang Lee (2005)
  • Good night and good luck, de George Clooney (2006)
  • Chomsky, les médias et les illusions nécessaires, de M. Achbar & P. Wintonick (1993), avec extrait sur la liberté d’expression quant à l’affaire Faurisson ici.
  • Montage Ardisson ()
  • Ce soir ou jamais, de F. Taddéï, 4 nov 2008.

Richard Monvoisin

Vous aurez certainement relevé la coquille dans l’affiche, vous aussi, n’est-ce pas ?

Couverture du livre Le crépuscule d'une idole de M. Onfray

Psychologie, philosophie – L'illusion freudienne, par Michel Onfray

Cycle d’émissions « L’illusion freudienne », par Michel Onfray.
Derrière le mot psy se cache un certain nombre de réalités très différentes, et on comprend d’autant mieux l’historicité et la récence des disciplines scientifiques quand on prend conscience qu’un édifice comme la psychanalyse truste encore une place que sa scientificité n’explique pas (en philo de terminale, dans les premières années de licence psychologie ou dans les études d’éducation spécialisée ou d’infirmerie).

Que la psychanalyse et son attirail d’outils soient attrayants, certes. Qu’ils permettent une introspection personnelle, pourquoi pas. Que la cure psychanalytique par contre prétende à une efficacité thérapeutique largement surestimée est déjà un problème. Que les preuves de ce manque d’inefficacité soient enterrées sous le tapis par un ministre (Douste-Blazy et le rapport Inserm) pose des questions.
Mais surtout, surtout : que le corpus de preuves sur lequel se bâtit la psychanalyse freudienne soit si pauvre, les faits si bidonnés, les guérisons sinon inventées du moins « gonflées », que la théorie soit irréfutable au sens de Popper, que sa grille d’analyse soit fortement sexiste, homophobe, et dépolitisante – c’est-à-dire cette tendance à imputer le mal-être de quelqu’un à l’étiologie sexuelle des névroses et à des perturbations refoulées dans la petite enfance, alors qu’il s’agit souvent d’un contexte social violent -, autant de points qui font de la psychanalyse freudienne un excellent sujet d’étude de pseudoscience.
On connaît les attaques classiques envers les critiques de la psychanalyse (déni, antisémitisme, etc.) (1). Qu’une chose soit bien claire : si Freud était Breton, ou Moldave, la critique serait la même, et si la psychanalyse était réellement efficace à la hauteur de la place qu’elle usurpe, on le dirait. Les critiques sont nombreuses, la bibliographie critique commence à être dense, et la netographie outillée (voir par exemple leCorteX_Michel_Onfray site « Mythes Freudiens » de notre ami Jean-Louis Racca). Mais il est un exercice réalisé par Michel Onfray en 2009-2010, dans la ligne de son ouvrage « Le crépuscule d’une idôle » qui offre une bel outil pédagogique : le cycle de conférences « Illusion freudienne » dans le cadre de l’Université populaire de Caen, et diffusé sur France Culture, en 25 épisodes. C’est d’autant plus intéressant à écouter qu’un certain nombre de demandes d’annulation de ce cycle arrivèrent sur France Culture, ce qui valut à la radio de se fendre d’un courrier. Téléchargeables pour les écouter en ballade, en voiture, ou en faisant du sport (certaines anecdotes sont tellement énervantes que c’est propice à la performance). Merci à M. Onfray pour ce travail d’orfèvrerie intellectuelle.

Il est possible d’acheter ces émissions dans les volumes 15 et 16 de la Contre-Histoire de la philosophie, consacré à Freud.

1. Une exégèse du corps freudien (26 juillet 2010)

 
2. Déni soit qui mal y pense (27 juillet 2010)

3. Le conquistador et les philosophes (28 juillet 2010)

4. Autobiographie philosophique (29 juillet 2010)

5. Questions-réponses (1) (30 juillet 2010)

7. Une vie sous le signe d’Oedipe (3 août 2010)

8. Un mythe scientifique (4 août 2010)

9. Un labyrinthe thérapeutique (5 août 2010)

10. Questions-réponses (2) (6 août 2010)

12. Inconscient et déni du corps (10 août 2010)

13. Un monde de causalités magiques (11 août 2010)

14. Les ressorts du divan (12 août 2010)

15. Questions-réponses (3) (13 août 2010)

16. L’affabulation freudienne (1) (16 août 2010)

17. L’affabulation freudienne (2) (17 août 2010)

18. Un verrouillage sophistique (18 août 2010)

19. Un pessimisme ontologique radical (19 août 2010)

20. Questions-réponses (4) (20 août 2010)

21. Masturbation, femmes, petites filles (23 août 2010)

22. Dolfuss, Mussolini, politique (24 août 2010)

23. Les raisons d’un succès (1) (25 août 2010)

24. Les raisons d’un succès (2) (26 août 2010)

25. Pour une psychanalyse non freudienne (27 août 2010)

Richard Monvoisin

[1] Pour approfondir les trames argumentatives développées envers les critiques de la psychanalyse, l’article de Jacques Van Rillaer : Analyse d’affirmations d’Élisabeth Roudinesco dans Mais pourquoi tant de haine ?.

CorteX_Lazarus_Profil

Malgré maintes entourloupes, Lazarus revient

Vous n’avez pas peur de passer de l’autre côté du miroir ? L’énigmatique Lazarus et son projet, Mirages, est de retour ! Avec du CORTECS dans l’épisode 4.

Né le 6.6.66, à Nowhere, Oklahoma, Lazarus est sans visage, et avance dans l’ombre, guidé par la raison. Cette fois-ci, il revient avec 10 nouvelles pastilles. Certes, cela devait être une série de 10 émissions, puisque Lazarus a  gagné haut la main le concours lancé par France TV, Mais faire confiance à la télévision devrait être un pléonasme, et la télévision publique s’est savamment « assise » sur l’accord, au moyen de savantes entourloupes (en savoir plus dans Pourquoi et comment je reviens).

Aussi, plutôt que d’ouvrir une quelconque chaîne, nous préférons regarder les pastilles en ligne, comme ci-dessous.

  • Épisode 1 : avons-nous un destin ?
https://www.youtube.com/watch?v=Q8wtPQ4yF2s

[youtube=https://www.youtube.com/watch?v=Q8wtPQ4yF2s&]

  • Épisode 2 : le miracle de Saint-Janvier

[youtube=http://youtu.be/nq4KGxKQ5jE]

  • Épisode 3 : le « médian » et la répartition des richesses

[youtube=http://youtu.be/tvUKaag5KaM]

  • Épisode 4 : le rasoir d’Occam (avec Richard Monvoisin)

[youtube=http://youtu.be/QCIMMWoLzTQ]

  • Épisode 5 : Manipulation, l’image et le son

[youtube=http://youtu.be/_duBpwqLirk]

Les épisodes suivants…

Le collectif CorteX et Lazarus marchent main dans la main depuis le début. Vous aussi pouvez rejoindre cette sarabande endiablée.

Dans la VidéoteX, vous reconnaîtrez d’autres « figures » de l’investigation critique complices de Lazarus Mirages.

Et comme il le dit si bien : « Que la raison nous serve de guide ! »

 
CorteX_Lazarus_Profil