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Jacques Bouveresse : que peut-on faire des religions ?

Premier morceau de vidéo, présentation par Jacques Bouveresse du contexte socio-politique dans lequel il a souhaité proposer une réflexion sur ce que les rationalistes peuvent répondre à ce type de question : que peut-on faire des religions ? en partant de la confrontation entre les points de vue opposés de Bertrand Russell et Ludwig Wittgenstein.

 

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Présentation, suite. Jacques Bouveresse passe en revue quelques auteurs, puis revient à Russell et Wittgenstein. Russell disant que la religion est une théorie non seulement fausse mais irrationnelle, Wittgenstein disant que ce n’est même pas de l’ordre de la théorie. S’ensuivent les questions du public. Wittgenstein est décrit comme l’incroyant qui voudrait croire mais qui n’y arrive pas, et Bouveresse pose le problème du double sens du mot croyance (point que nous avons abordé sur le plan pédagogique ici).

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Dans le débat, on pénètre ici la question de l’actualité et du « retour du religieux ». Bouveresse insiste sur ceci : on peut contester qu’il y ait « retour du religieux », il serait plus judicieux de parler d’un « retour de l’exploitation politique du religieux ». Jacques Bouveresse aborde aussi un autre point crucial qu’il prend à Clifford : on ne doit croire en une proposition quelconque que s’il y a des chances raisonnables qu’elle soit vraie – ce qui rappelle la fameuse maxime de Hume que nous enseignons en cours, résumable ainsi : « il faut que la croyance soit proportionnée aux preuves« .

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La suite ne nécessite pas de commentaire particulier

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Dans le dernier extrait, Jacques Bouveresse aborde une clé de débat « classique », à laquelle nous sommes souvent confronté-es : la vacuité du terme « positivisme », qui « sert à tout ».

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La pluie, certainement diligentée par un dieu fâché, mit fin à cette conférence. Quant aux nombreux ouvrages et auteurs cités, fonçons vite ici, car Alain Le Metayer, outre nous avoir conseillé ces documents, nous a concocté une fiche salutaire  !

Richard Monvoisn

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Éléments de critique des pseudomédecines – Élixirs Floraux de Bach

Ci-dessous est disponible un article élaboré pour le GEMPPI, Groupe d’études des Mouvements de Pensée en vue de la Prévention de l’Individu. Lors du colloque « Sciences, pseudo-sciences et thérapeutiques déviantes » organisé le 21 octobre 2006 à l’Espace Ethique Méditerranéen (hôpital de La Timone, Marseille), le GEMPPI avait demandé à Richard Monvoisin, en tant que membre du Laboratoire Zététique et de l’Observatoire Zététique, de venir parler du problème posé par les thérapies alternatives disponibles en pharmacie, et en particulier les fameux élixirs floraux d’Edward Bach, ou fleurs de Bach. Richard avait alors fait un résumé de son intervention.
En espérant que cet article servira aux enseignants des services médicaux ou para-médicaux souhaitant aborder la question des médecines dites alternatives avec des étudiants ou du grand public.

Éléments de critique des pseudomédecines – exemple des Élixirs Floraux de Bach

Discuter des Médecines dites Alternatives (MdA) est un exercice assez périlleux. Le sujet est tellement épineux qu’il en devient l’une des meilleures pommes de discorde des discussions tant professionnelles que privées. Si leur intérêt thérapeutique est souvent discutable, elles représentent un tel engagement personnel pour leurs utilisateurs qu’il est très difficile de s’extraire du clivage classique entre ce qu’il est devenu coutume d’appeler les « pro » des « anti ».

Lors du colloque « Sciences, pseudo-sciences et thérapeutiques déviantes » organisé le 21 octobre 2006 par le GEMPPI, j’ai tenté de montrer qu’afin de traiter le plus posément possible de ces thérapies, il était nécessaire de prendre à l’avance quelques précautions et de baliser un tantinet certains pièges de la réflexion.

Pour illustrer mon propos j’avais choisi de disséquer les Élixirs Floraux de Bach (EFB) : d’une, parce que leur succès est florissant et leur achalandage avantageux ; de deux parce qu’ils réunissent toutes les caractéristiques d’une pseudomédecine, et de trois parce que, comme beaucoup de ces MdA, la population qui y a recours est sociologiquement marquée. La critique détaillée de la thérapie florale d’Edward Bach étant déjà disponible ailleurs (1), je vais en profiter pour proposer un petit outillage critique à l’intention des gens qui souhaitent discuter de ces questions sur un mode non agressif avec leurs proches, leur famille ou leurs patients. Je donnerai quelques conseils qui m’ont permis, tout en restant ferme sur la rigueur, d’éviter le maximum de conflits avec mes interlocuteurs. Si je choisis sciemment de mettre le moins de références techniques possible et d’épurer au maximum le jargon, c’est parce que je pense qu’il n’est pas besoin d’un bagage scientifique pour suivre l’essentiel de ce que j’ai à partager. Je souhaite également éviter l’injonction, ou le précepte, que je trouve déresponsabilisant : il suffit généralement de lui donner une information complète pour que l’encéphale humain moyen se mette en marche. Dès lors, quel que soit le choix que le porteur de cet encéphale fera ensuite, il sera fait en connaissance en cause, ce qui est le préliminaire à toute liberté. Je redoute bien plus le bon choix aveugle que le mauvais choix éclairé.
Les termes
Le meilleur moyen que j’ai trouvé pour introduire une discussion sur ces fameuses médecines « dites » alternatives est de justement placer le « dites » avant alternatives. À la question immanquable qui vient ensuite du pourquoi de cette précaution, je mets en avant le fait qu’aucune dénomination ne semble correspondre au problème.

Médecines douces ne convient pas, puisqu’il arrive que certaines personnes souffrent, ou meurent, sinon directement des MdA, du moins par substitution de traitement.

Parallèles et alternatives non plus, car elles ne sont pas toujours des alternatives valables. C’est alors l’occasion de poser la question « alternatives ou parallèles à quoi ? ». On nous répondra généralement « aux traitements scientifiques classiques ». Cela suppose donc que les MdA ont, tout comme les traitements scientifiques classiques, une prétention thérapeutique. Quel que soit notre interlocuteur, c’est un moment crucial, car la conversation se place sur le terrain de la connaissance scientifique qui fait qu’une thérapie peut être meilleure, alternative, ou moins bonne qu’une autre. Pour affirmer cela, il faut des preuves expérimentales, et c’est justement l’une des seules choses que la science sait faire. Le socle de discussion est désormais commun.
 
Les médecines
Il n’est pas rare, à ce stade, que les participants à la discussion dénoncent la médecine « officielle », « allopathique », inhumaine, froide, réductionniste, etc. Même si nous reviendrons sur ce point en conclusion, c’est néanmoins l’occasion de tomber encore une fois d’accord avec les personnes participants à la discussion : une majorité de gens s’accorde assez rapidement sur le fait que le terme médecine désigne trois grands champs distincts : le champ thérapeutique scientifique, avec ses techniques, ses médicaments, ses statistiques, son efficacité, sa froideur, ses suppositoires ;

le champ thérapeutique de prise en charge du patient ensuite, avec le rapport médecin-patient, la confiance, l’écoute, le placebo, la relative chaleur des actes médicaux, les valeurs communes, etc. ; les connaissances dans ce champ fluctuent tellement d’un patient à l’autre qu’elles en deviennent quasi-personnalisées, et ne peuvent donc pas prétendre à être transposables d’un individu à un autre.

Enfin, le champ techno-politique, sur lequel nous reviendrons. Si nous parvenons à nous entendre avec autrui sur ce découpage, nous aurons évité les trois-quarts des principaux pièges de la discussion sur le sujet. Une fois que ces bases simples sont posées, la réflexion devient possible et peut se dérouler presque sans anicroche.
La prétention thérapeutique
La prétention thérapeutique est ce que le produit proposé prétend pouvoir faire. Très grossièrement, le produit nous dit dans sa notice :

« Je peux, trois fois sur quatre, avec telle dose et telle posologie, vous permettre de résoudre ceci ou cela, en tel laps de temps ».

Nous nous retrouvons alors avec une « prétention d’efficacité », de type scientifique donc, relevant du premier sens du terme médecine. Le produit revendique une efficacité, généralement supérieure aux autres produits – sinon, au fond, pourquoi choisir celui-là ? – qu’il revient au fabricant de prouver, en vertu du fait que logiquement la preuve incombe à celui qui prétend (2).

Au bout d’un certain nombre de tests concluants sur un grand nombre de gens souffrant de la même pathologie, le produit reçoit une Autorisation de Mise sur le Marché (ou AMM). Cela ne veut pas dire que la prise du médicament X « marchera » sur tout le monde : un individu peut fait partie des 25% prévus par la médecine scientifique pour qui ça ne fonctionne pas. Cela veut surtout dire ceci : s’il arrive que des médicaments pourvus d’une AMM se révèlent ne pas être aussi efficaces que prévu (parfois pour de sombres affaires mercantiles : nous entrons alors dans le troisième champ d’utilisation du terme médecine, le sens champ techno-politique), il est extrêmement improbable qu’une substance vendue sans AMM se révèle efficace. En clair, un produit sans AMM est un produit sans efficacité.
 

L’effet Atchoum

Aussi surprenant que cela puisse paraître, les élixirs floraux de Bach n’ont pas à faire preuve de leur efficacité pour être vendus. Se les faire prescrire, ou retrouver les élixirs sur les présentoirs des pharmaciens peut amener le patient à croire qu’il s’agit d’un médicament, c’est-à-dire d’un produit éprouvé, alors que ce n’est pas le cas. Le médecin prescrivant ou le pharmacien distribuant cautionnent hélas la valeur thérapeutique scientifiquement non évaluée du produit. Cela veut-il dire que les gens ayant guéri par la thérapie de Bach se leurrent ? Pas vraiment. Lorsqu’un individu souffrant d’une pathologie prend ses gouttes d’élixirs et se voit guéri, se pose la double question : – a-t-il guéri directement grâce à l’élixir, ou y a-t-il d’autres paramètres pouvant expliquer cette guérison – notamment un traitement en parallèle pouvant être responsable de la guérison ? et- la pathologie du patient était-elle une pathologie avérée, et si oui, la guérison est-elle également avérée ? Ces questions ont l’air stupide, et pourtant. L’humain a une forte tendance à voir des liens causaux directs entre les choses qu’il aime voir liées. Les linguistes parlent à ce propos de Post Hoc ergo propter hoc – « juste après, donc conséquence de ». En zététique, nous préférons parler du plus mémorable effet atchoum : imaginons la tête de l’individu qui habitant Toulouse le 21 septembre 2001, éternue à 10h17, relève son nez humide et voit l’usine AZF et ses alentours soufflés par l’explosion. Conclure à un lien de cause à effet entre l’éternuement et l’explosion est un post hoc ergo propter hoc. Si ridicule que cela paraisse, nous faisons un certain nombre d’effets Atchoum dans nos actes thérapeutiques. Le leurre consiste en ce que huit à neuf pathologies sur dix affectant l’humain disparaissent spontanément, quoi que nous fassions, au bout d’un certain temps. Faire une danse de la pluie, recevoir des passes magnétiques ou se faire faire un lavement, et guérir tout de suite après est extrêmement convaincant à première vue. Comprenons ainsi qu’un rhume, par exemple, non traité dure sept jours, et qu’un rhume traité par les élixirs de Bach dure… une semaine. Dans le premier cas, on attribuera la guérison à sa propre capacité curative. Dans le second, à Edward Bach. À tort. Si vous ne guérissez pas, par contre, c’est que vous avez dû prendre le mauvais élixir.L’immanquable recours aux pseudothérapies dans les grandes dérives sectaires actuelles, sujet qui anime le GEMPPI, n’est pas un hasard : il est le meilleur moyen pour conquérir des sympathisants, puisqu’il y aura toujours des gens pour associer leur guérison relative et ladite thérapie. Une fois guéris, ils se feront prosélytes. C’est une publicité sans trop de frais, puisque les gens pour qui « ça a marché » racontent beaucoup plus volontiers, et avec un enthousiasme accru, que ceux pour qui « ça a échoué ». Les cris du miraculé portent plus loin que le soupir du déçu.
 

Les pathologies soignées

Revenons à la seconde question : « la guérison est-elle avérée ? ». Dans de nombreuses pseudothérapies, la prétention est de type psychologique. Les EFB par exemple prétendent traiter sept « états psychologiques négatifs » : peur, incertitude, manque d’intérêt pour le présent, solitude, hypersensibilité aux influences et aux idées, découragement et désespoir, souci excessif du bien être d’autrui. Chacun de ces états est décrit comme lié à un état positif associé. À titre d’exemple, l’Égoïsme (négatif) et l’Altruisme (positif) sont, du point de vue de Bach, un seul état d’être, à travers deux modalités d’expression différentes. Le problème qui se pose est majeur : comment savoir qu’une personne est moins égoïste en prenant l’élixir Chicorée ? La notion d’égoïsme est bien trop complexe et subjective pour être testée ou simplement mesurée. Elle est trop personnelle. Nous sortons alors du champ de la médecine scientifique pour entrer dans le champ de la prise en charge du patient, personnalisée. Par conséquent, même la personne ayant guéri de son égoïsme avec l’élixir Chicorée n’aura aucun argument pour recommander ce traitement à autrui, puisqu’il était très personnel et adapté à sa personne. En clair, si les pathologies désignées sont floues, subjectives, et proches de l’état d’âme, il n’y a aucun moyen d’évaluer une quelconque efficacité.

Les preuves

Les biographes de Bach nous rapportent que dans les années 30, il aurait administré ses décoctions d’Impatiente à des patients souffrant d’impatience, avec les choses ou les personnes qu’ils jugent trop lentes ; de même, il aurait prescrit le Mimulus aux patients atteints de peurs maladives dans la vie quotidienne, peurs qui les empêchent de passer à l’action. Les résultats furent, selon eux, immédiats et surprenants. Seulement, si ces capacités thérapeutiques des décoctions de Bach existent, elles doivent pouvoir agir. Et si elles peuvent agir, elles peuvent être démontrées, à la condition expresse d’isoler les paramètres en jeu : il se pourrait que ce soit la gentillesse du bon docteur, la confiance a priori dans le produit, la forme de la bouteille ou simplement le Brandy qu’elle renferme qui fasse qu’une personne se sente mieux, et non l’Impatiente. Pour prouver la chose, il faut faire un protocole, sur un certain nombre de personnes, en isolant le seul paramètre que l’on teste – en l’occurrence, la décoction de la fleur d’Impatiente. Or non seulement Bach n’a jamais fait ces tests, mais les tenants de la thérapie florale non plus. Les rares publications disponibles souffrent d’un nombre de biais consternant, et les seules études bien montées ne prêtent à l’élixir Impatiente ou à l’élixir Mimulus aucun effet allant au-delà d’un effet placebo.

Les témoignages

En lieu de preuves, inexistantes, se substitue généralement une liste de témoignages qui appuient bien les vertus de la pseudothérapie. De Monsieur B à Madame L., la litanie des gens ayant « guéri » – c’est-à-dire ayant associé leur guérison d’une pathologie souvent floue avec la prise d’un élixir – vient servir de cache-misère au manque drastique de preuves. S’il n’est pas question de remettre directement en cause la bonne foi d’un individu rapportant son vécu, il est fortement recommandé de se rappeler par exemple qu’un, dix, mille témoignages ne font pas une preuve scientifique – pour mémoire, le 13 octobre 1917 soixante dix mille personnes ont vu danser le soleil à Fatima, au Portugal. Il y a plus de deux cents ans, le philosophe anglais David Hume résumait remarquablement cela en cette maxime devenue fameuse :

« Lorsque quelqu’un me dit qu’il a vu un [miracle], j’évalue immédiatement s’il est plus probable que cette personne se trompe ou ait été trompée, ou si le fait qu’elle rapporte pourrait s’être réellement produit. Je pèse un miracle par rapport à l’autre, et selon la supériorité que je découvre, je prononce ma décision, et rejette toujours le miracle le plus grand. Si la fausseté de son témoignage semble plus miraculeuse que l’événement qu’elle rapporte, alors (…) peut-il prétendre commander à ma croyance ou à mon opinion » (3).

La fabrication

Edward Bach décida que les fleurs, et plus particulièrement les pétales, ont une action sur les états psychologiques, et que le maximum d’efficacité est atteint en utilisant non la fleur elle-même mais la rosée déposée sur le pétale exposé au soleil – ce dont il se rendait compte en entrant en résonance avec le message des fleurs par la pose des pétales sur sa langue. Il décréta alors que la vertu curative de la plante serait conservée si on déposait les sommités florales, cueillies juste avant la floraison, à la surface d’un récipient rempli d’eau et exposé au soleil pendant plusieurs heures, jusqu’à ce que les pétales se flétrissent. Il faut alors retirer les fleurs, non avec les mains mais si possible avec une tige de la même fleur, puis filtrer ce qu’il reste de liquide, désormais chargé des énergies des fleurs, dans un flacon de verre si possible fumé et ajouter la même quantité de l’alcool choisi ; secouer fort sur une durée variant de 30 secondes à 2 minutes pour dynamiser le mélange et couvrir le tout avec un tissu pendant 48 h. Nous obtenons une teinture-mère. Il suffit alors de prendre un flacon de 30 cl, rempli d’un mélange à 40 % de Brandy, alcool né de la Vigne (Vigne : fleur de Bach N°38), et d’y verser sept gouttes de la teinture-mère. On retrouve ici tout l’héritage de la doctrine homéopathique d’Hahnemann, avec des éléments de pensée magique. Las ! La fabrication d’élixir agglomère pratiquement toutes les pratiques et le lexique des tenants du Nouvel-Âge : d’aucuns prétendent qu’il est nécessaire de se recueillir et demander la permission de la Nature ; d’autres enjoignent à se munir d’un pendule, ou de faire des danses mystiques. Certains encore proposent de partir avec un livre de photos des plantes, de s’imprégner de leur image, puis de fermer le livre et de ramasser celles qui vous conviennent le mieux, qui ont la plus grande aura. Au final, les plus scrupuleux arguent du fait qu’il faut se laver soigneusement, mettre des vêtements propres, et s’efforcer d’entretenir les pensées les plus pures possibles. En bref, la litanie des choses à faire pour obtenir un élixir fonctionnel de la plus pure tradition comporte un tel nombre de possibilités d’erreur que réussir à en réaliser dans les règles de l’art puis à le prendre dans les conditions adéquates relève du miracle, comme dirait Hume, et permet à la pseudo-théorie de justifier a priori de son échec potentiel.

Le Public

On le voit, les concepts employés dans la théorie des EFB sont exactement les mêmes que ceux qui régissent les théogonies des dérives sectaires actuelles. De nombreux emprunts sont fait à la sphère écologique, avec les notions de bio, d’équilibre, de holisme, et une vision très théologique de la Nature. Ces pratiques se greffent volontiers aux mouvements « alternatifs » ou « contestataires », animés d’une critique parfois juste d’un monde souvent inique et mû de la volonté que je trouve légitime de bâtir des alternatives. Notons au passage qu’elles font florès également auprès de la gent féminine : une raison à cela, aussi insidieuse qu’efficace, relève de cette entreprise d’abrutissement de masse des femmes que sont les magazines dits « féminins » et leurs consternantes pages Santé, où beauté, psychologie de comptoir et bien-être de la progéniture sont vantés à grands renforts de pseudoscience. La critique des pseudomédecines peut très vite revêtir un caractère politique et social.

Morale et politique

 Après ce trop bref aperçu, que reste-t-il de la thérapie florale de Bach et de sa prétendue efficacité ? D’un point de vue scientifique, rien. D’un point de vue moral, c’est tout autre chose.Si le recours à ces placebos n’est pas dangereux en soi, il arrive que le patient, mal informé et incité par l’effet « vitrine » des pharmacies, opte sur de mauvais conseils pour une thérapie inefficace. On peut en pressentir les conséquences. Pour ne citer qu’un exemple, l’association Aube, renommée depuis Joie de vivre, diffuse les théories du Dr Hamer qui préconise entre autres de soigner le cancer en rompant avec tous les traitements reconnus. Elle comptait un adepte, chirurgien à l’hôpital de Saint-Quentin, qui arrêta des traitements anti-cancéreux pour les remplacer par des Fleurs de Bach, produites d’ailleurs par Aube, et qu’il vendait à son profit dans l’établissement. Allons plus loin : si prescrire ou conseiller le recours aux remèdes de Bach « ne fait pas de mal », cela fragilise insidieusement le patient vis-à-vis des modes de pensée magique et des notions Nouvel-Âge, qui servent souvent d’appâts (énergie subtile, harmonie ou magnétisme des plantes, etc.). On voit de plus en plus souvent des salons « écologiques » présenter des stands vantant les élixirs, et c’est ce genre de voisinage, de plus en plus fréquent, qui est à dénoncer. Si les Fleurs de Bach ne font pas de mal, elles inclinent à des postures naïves infériorisantes et fragilisantes.

Charles Berliner, fondateur de l’Association des victimes des pratiques illégales de la médecine (suite au décès de la petite fille, soignée dans des conditions dramatiques par des guérisseurs pseudomédicaux) résume assez bien mon inquiétude. Selon lui, les MdA sont dangereuses au sens qu’elles empêchent de poser le diagnostic correct et orientent les malades vers des techniques d’examen qui n’ont jamais fourni la preuve scientifique de leur efficacité. Elles amènent trop souvent à déconseiller les traitements classiques au moyen d’une diabolisation du monde extérieur, de l’allopathie ou de la science, et ce avec parfois des arguments justes. Il ajoute pour information que les principales médecines « alternatives » rencontrées dans les sectes sont l’homéopathie, la médecine chinoise, l’acupuncture et la médecine ayurvédique (l’HUE, Energie humaine et universelle, de Luong Minh Dang), l’aromathérapie, le régime macrobiotique Zen, la prière et l’imposition des mains (Sûkyô Mahikari…) et… les élixirs floraux de Bach !(4).Il relève de la salubrité publique de le dire : les thérapies dites alternatives entraînent parfois des conséquences à moyen terme très éloignées du bien-être qu’elles promeuvent.

Recentrer la contestation

Pour clore mon propos, je tiens à rendre justice aux MdA sur au moins un point. La prise en charge du patient y est bien plus longue, lente et appliquée que dans la médecine dite classique. Nous rejoignons là le troisième sens, technopolitique, du terme médecine. Le rejet de la médecine scientifique est couramment opéré par ceux qui rejettent le caractère de moins en moins humain de l’acte médical classique, illustré par certains médecins traitants qui ne nous gardent que dix minutes, les urgences bondées, etc. Opter pour les MdA s’apparente bien souvent à une contestation politique d’un système médical fortement libéralisé. Je trouve cette critique juste, urgente et nécessaire. Néanmoins, choisir, pour contrer ce système, des pseudothérapies inefficaces n’a non seulement pas d’effets sur les choix politiques en matière de santé publique, mais en plus de nous faire risquer notre propre santé, engraissent des pseudothérapeutes dont l’intérêt recouvre rarement le nôtre – car les pratiques commerciales des fabricants des MdA n’ont qualitativement pas grand chose à envier à celles des fameux lobbies pharmaceutiques. Devient prégnante la nécessité d’offrir une sorte de troisième voie à ce débat trop souvent mal mené sur les médecines « dites » alternatives. Puisse la discussion critique développée dans ce texte et lors du colloque du GEMPPI contribuer à cette troisième voie.

 Richard Monvoisin


(1) Pour aller plus loin, voir :

  • Monvoisin R, Élixirs floraux de Bach : étude zététique, critique des concepts pseudo-scientifiques, pseudo-médicaux et des postures philosophiques induites par la théorie du Dr Bach, Annales pharmaceutiques françaises, 2005, vol. 63, no6, pp. 416-428
  • Monvoisin R, Fleurs de Bach : une action avérée sur l’esprit critique, Revue Science et Pseudosciences n° 273, juillet-août 2006
  • Monvoisin R., Élixirs floraux de Bach. Quintessence d’une illusion, Laboratoire de Zététique, Université de Nice – Sophia Antipolis http://www.unice.fr/zetetique/articles/index.html

(2) On retrouve ce principe dans le Code Civil : Actori incumbit probatio, ou Actori incumbit onus probandi, article 1315.

(3) Hume D. Enquête sur l’entendement humain, 1748, section X.

(4) Source : Commission d’enquête parlementaire belge sur les pratiques illégales des sectes – Audition de M. Ch. Berliner, docteur en médecine et représentant de l’Association des victimes des pratiques illégales de la médecine http://www.dekamer.be/FLWB/pdf/49/0313/49K0313007.pdf 

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Sociologie critique – conseil d'ouvrages par Julien Lévy

CorteX_Julien_LevyJulien Lévy est notre sociologue à nous, et qui plus est un transfuge du monde du travail social. Nous lui avons demandé de nous faire, comme il le dit lui-même, « une petite bibliographie non idéale et non exhaustive des dits ouvrages de sociologie qui méritent qu’on leurs accorde quelques heures d’attention« .

  • Introduction à une sociologie critique, Alain Accardo (Agone, 2006)

CorteX_Accardo_introduction_sociologie_critique« Parce que lire Bourdieu, c’est souvent hardcore (Bourdieu n’a compris qu’à la fin de sa vie que si on écrit des livres, c’est pour que les gens les lisent…), et pourtant il ne raconte pas que des conneries, le mec, et loin s’en faut ! Ca vaut le coup de lire ce bouquin d’Accardo qui explique Bourdieu et le rend particulièrement accessible. Un vrai tour de force ! Alors j’entends déjà les voix des bourdieusiens orthodoxes qui vont venir avec leurs fourches et leurs chiens, expliquer que c’est une vision subjective et orientée de l’œuvre de Bourdieu. Ça tombe bien, je n’ai pas l’impression qu’Accardo ait eu d’autre volonté via ce livre que celle d’ouvrir une porte vers l’œuvre de Bourdieu, en nous faisant part de la compréhension qu’il en a eu. Et il le fait avec brio.

  • Sur la télévision, Pierre Bourdieu (Raisons d’agir, 1996)

Bon, lire Bourdieu, ça se fait quand même, faut pas déconner ! Ca se fait d’autant plus facilement si on prend CorteX_Bourdieu_sur-la-televisionles bouquins qu’il a écrit sur la fin de sa vie. Par exemple, Sur la télévision est la reprise d’un cours de Bourdieu donné au Collège de France.

Note : l’ouvrage retranscrit le contenu de deux émissions télévisées de Gilles l’Hôte : Sur la télévision et Le champ journalistique.

Alors, pour les flemmards, le cours se trouve aussi en vidéo, mais l’image est pas terrible, et quitte à mater une vidéo avec la gueule de Bourdieu, autant regarder le très bon documentaire de Pierre Carles La sociologie est un sport de combat qui apporte un vrai éclairage sur le sociologue.

Néanmoins, la vidéo est accessible ici.

Pour en revenir à Sur la télévision, qui est suivi par L’emprise du journalisme, ce livre expose la réflexion critique de Bourdieu sur les médias. Il y a certainement des trucs discutables dans ce qu’il raconte, mais ça tombe bien, le but de la sociologie n’est pas de dire la vérité mais d’apporter des éléments de compréhension.

 

  • Outsiders, Howard S. Becker (Métailié, 1985)

CorteX_Becker_OutsidersLivre incontournable sur la sociologie de la déviance. La sociologie de la déviance version Becker, c’est montrer de l’intérieur comment on crée des normes qui placent des gens à la marge, et comment ces gens renforcent cette marginalité pour en faire une part de leur identité… Ce n’est pas clair ? Pas grave, Becker le dit vachement mieux que moi !

Note : très récemment (mars 2011), H.S. Becker a fait une tribune assez virulente dans le Monde Diplomatique, disponible ici.

  • Stigmate, Ervin Goffman (Les Editions de Minuit, 1975)

Toujours dans la même ligne, et c’est un peu normal vu que Goffman est le maître CorteX_Goffman_StigmateJedi de Becker, Stigmate est un super bouquin, super facile à lire, super intéressant, qui montre superbement en à peine plus de 150 pages comment se crée le normal et l’anormal dans notre société en s’intéressant à la question des usages sociaux du handicap. Ca vaut le détour, mais comme à peu près tout le reste de l’œuvre de Goffman. Je cite en vrac : Asile, Les cadres de l’expérience, Les rites d’interaction, La mise en scène de la vie quotidienne, etc.

  • Construire l’événement, Eliseo Veron (Les Editions de Minuit, 1981)

CorteX_Veron_Construire_levenementUn grand bouquin de sociologie des médias. Quasi introuvable, mais qui mérite d’être cherché et lu. En outre, on est en plein dans l’actualité même si le bouquin a été publié en 1981. Eliseo Veron décortique un événement médiatique en train de se produire, au moment de l’accident de la centrale nucléaire de Three mile Island. Veron interroge avec méthode le « principe d’objectivité » des médias et la construction d’un événement médiatique. Ca claque !

 

  • L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Max Weber (Pocket, 1989)

CorteX_Weber_ethique_protestanteJuste pour poursuivre ma réflexion sur le but de la sociologie, il faut que je cause de ce bouquin de Weber, parce que là aussi, c’est vraiment intéressant. C’est une vraie leçon de sociologie compréhensive. Évidemment, c’est plus facile de faire une leçon de sociologie compréhensive quand on en est le père fondateur… Par exemple, moi, je pourrais donner des leçons de gratin de courge et ravioles au bleu de Sassenage, parce que j’en suis le père fondateur ! Bon, Weber a eu plus de succès que moi, et la sociologie, bien que mise à mal, a plus d’écho que mon gratin. Le problème est que parfois l’écho déforme le son. Et c’est un peu ce qui peut se produire avec ce bouquin. Weber propose un axe de compréhension du capitalisme, et cet axe est l’éthique protestante. Il montre comment cette éthique, avec l’importance du travail et de l’activité perpétuelle, participe à la création du capitalisme, avec l’exemple du développement des manufactures, etc. Là où il faut se méfier, c’est qu’il garder en tête à la fin du bouquin ce que Weber explique au début, c’est-à-dire que ce travail de compréhension est un axe de réflexion. Le capitalisme n’a pas été créé par les protestants, c’est plus complexe que ça. Par contre le boulot de Weber permet de comprendre un élément ayant contribué à ce développement. Quitte à me répéter, la sociologie, dès lors qu’elle se met à vouloir expliquer ou dire LA vérité, il vaut mieux s’en méfier, parce qu’en sociologie, on a un véritable problème avec notre terrain et la reproductibilité des observations, au-delà du simple fait que l’observation représente un biais en soi (qui observe, est-ce que l’observation modifie les comportements, etc.). C’est pour ça que c’est extrêmement important d’expliquer qui cause, d’où il ou elle cause, et de rester mesuré sur la validité des conclusions. Bref, Weber, sur la méthode sociologique, c’est un exemple.

 

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Vernis scientifique – pétition contre le MODH

L’objectif de ces étudiants est de proposer aléatoirement la même pétition au mot près, mais avec un seul paramètre changeant : MODH vs. eau, afin de voir si l’utilisation d’un terme scientifique augmente le nombre de signatures. Cette étude, inspirée  du canular DHMO, est réalisée par Thibault Carel, Dorian Cattel, Emilie Coste, Laura Herment, et Julie Pardo et dans le cadre de l’UE Zététique & autodéfense intellectuelle, sous la responsabilité de Richard Monvoisin. Nous vous tiendrons au courant des résultats.

 Texte de la pétition

PETITION  CONTRE LE MONOXYDE DIHYDROGENE (MODH)

  • L’hydroxyde d’hydronium (composé sans couleur ni odeur) peut tuer par inhalation accidentelle. Il a été trouvé dans les biopsies de tumeurs et lésions précancéreuses. Il contribue également à l’effet de serre. Le monoxyde dihydrogéné reste souvent utilisé :
  • dans les centrales nucléaires françaises ;
  • chez les sportifs de haut niveau pour améliorer leurs performances ;
  • dans de nombreuses recherches sur les animaux ;
  • comme additif dans certains aliments de restauration rapide et dans la plupart des produits de consommations (médicaments contre la toux, bombes de décapage de four, produits d’hygiène…) ;
  • comme instrument de torture en Iran et Chine et historiquement dans les camps de la mort de l’Allemagne nazie et les goulags de l’URSS de Staline.

Nous souhaitons agir pour stopper toute diffusion de monoxyde dihydrogéné.


Hoaxbuster

La Vitamine C stimule… les idées reçues

La vitamine C est à l’origine de beaucoup d’idées reçues. Qu’en est-il réellement ?

La première d’entre elles, et certainement la plus grave, concerne le traitement du cancer. On la doit entre autres au prix Nobel Linus Pauling, qui, certainement influencé par les théories étranges de la « médecine orthomoléculaire » défendues par le biochimiste Irwin Stone, popularisa la consommation massive de vitamine C. Il s’agissait d’abord de prévenir les rhumes, et Pauling déclara dans Vitamin C and the Common Cold que prendre 1 000 mg de vitamine C par jour allait réduire l’incidence des rhumes par 45% pour une majorité de personnes (sachant que les Apports Nutritionnels Conseillés en 2011 en France sont de 110 mg pour un adulte). La nouvelle édition de 1976 de son livre, ré-intitulé Vitamin C, the Common Cold and the Flu, suggéra des doses encore plus élevées, cette fois-ci pour la grippe, avant qu’un troisième livre, Vitamin C and Cancer n’avance que des doses élevées de vitamine C pouvaient être efficaces cette fois contre le cancer.

En 1976 puis 1978, deux publications cosignées par Pauling présentaient des expérimentations sur l’effet de l’administration d’acide ascorbique chez des patients cancéreux (Cameron & Pauling 1976). Sans compter sur un autre livre, How to Feel Better and Live Longer, qui prétendait que de fortes doses de vitamine « peuvent améliorer votre santé générale… augmenter votre joie de vivre, contribuer à prévenir des maladies cardiaques, du cancer, d’autres pathologies, et ralentir le processus de vieillissement » (Pauling 1986). Pauling lui-même prenait selon ses dires au moins 12 000 mg de vitamine C par jour et avait coutume d’augmenter la dose à 40 000 mg s’il sentait un rhume arriver.

Malheureusement, des études pourtant contemporaines de Pauling ne montrèrent aucun intérêt significatif de cette vitamine C dans le traitement ni du rhume, ni du cancer (entre autres Creagan & al. 1979 et Moertel & al. 1985). Il semble que seul son effet antihistaminique réduirait un tout petit peu la sévérité des symptômes au début d’un rhume, et encore. Quant à l’effet anti-oxydant préventif de cette vitamine, il semble malheureusement qu’il se rapproche de zéro.(1)

Il n’y a pas de grande morale à cette histoire. Car Linus Pauling était un type brillant, qui pour l’anecdote est l’un des rares à avoir cumulé deux prix Nobel, l’un en chimie et l’autre pour la paix – ayant milité longtemps contre la prolifération des armes nucléaires, contre la guerre et l’interventionnisme US. Il est certainement tombé dans ce que nous appelons le syndrome Formule 1 : de même qu’un pilote chevronné sort rarement de la route, lorsqu’un scientifique puissant sort de la route, il termine sa course… bien loin dans le décor. Linus Pauling est mort d’un cancer de la prostate en août 1994 (2).

Une orange avant de dormir, ça énerve

Un exemple bien moins grave d’idée reçue sur l’acide ascorbique (autre nom de la vitamine C) est pourtant courante dans nos chaumières : celle d’excitant. Certaines personnes évitent ainsi de manger des oranges au repas du soir, de peur que la vitamine C contenue dans ces fruits provoque des insomnies et nuise à une nuit paisible et réparatrice.

En fait il n’en est rien. Selon la revue Prescrire (N°58, 1986) :
« Il est habituel de dire que la vitamine C perturbe le sommeil. Nous avons cherché à vérifier cette impression dans la littérature internationale par l’interrogation d’experts et de laboratoires producteurs de vitamine C. Rien ne permet d’affirmer que la vitamine C perturbe l’activité cérébrale pendant le sommeil. Au contraire, une étude réalisée chez 18 volontaires sains rapporte les enregistrements EEG diurnes et nocturnes après prise au coucher de 4 grammes de vitamine C ou de placebo (Note : équivalent de 10kg d’oranges ou de pamplemousses). Aucune modification des cycles ou de l’organisation du sommeil n’est retrouvée chez ceux qui ont absorbé la vitamine C. Aucun trouble fonctionnel n’est rapporté au réveil. Une autre étude réalisée en 1975 chez 54 volontaires étudiants en médecine de Strasbourg a comparé l’effet sur le sommeil du sécobarbital, de la vitamine C et du placebo : 1 gramme de vitamine C au moment du coucher n’a eu aucun effet statistiquement significatif sur le sommeil. » (3)

Cela n’empêche pas un grand nombre de gens, souhaitant gérer « naturellement » leur santé, d’acheter soit des compléments alimentaires d’acide ascorbique (voir la petite mise en garde de N. Gaillard, les compléments alimentaires), soit de gros stocks hivernaux d’oranges, souvent issues d’une agriculture concentrationnaire exploitant une main d’oeuvre corvéable et bon marché du sud de l’Espagne. Pendant ce temps, meurt en touffe le persil qui est en soi une bien meilleure réserve de vitamine C, et se dilue bien mieux dans la soupe (100g de persil apportent 200mg de vitamine C, contre environ 55mg pour 100g d’orange).

A part pour les pirates qui souhaitent éviter le scorbut, inutile donc de se supplémenter à forte dose.

Richard Monvoisin

(1) Bjelakovic G & al., Mortality in randomized trials of antioxidant supplements for primary and secondary prevention: systematic review and meta-analysis, JAMA. 2007 Feb 28;297(8):842-57.
(2) pour en savoir plus, lire Stephen Barrett de Quackwatch : High Doses of Vitamin C Are Not Effective as a Cancer Treatment (traduit ici) et The Dark Side of Linus Pauling’s Legacy
(3) La publication citée est Kerxhalli JS., Vogel W., Broverman DM., Klaiber EL., Effect of ascorbic acid on the human electroencephalogram, J Nutr. 1975 Oct;105 (10):1356-8. Des compléments sur le mythe de la vitamine C sont accessibles ici)

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Atelier corrigé – Recherche de la source de l’information – Origine des cinq sens

Nous vous proposons une collection de travaux pratiques simples à usage des élèves ou étudiants souhaitant se former à la recherche de la source d’une information, d’un concept ou d’une rumeur. Parmi ces TP, celui-ci : d’où provient l’idée que l’humain possède cinq sens ?

Cette recherche m’a pris environ 10 mn. Voici la méthode que j’ai (RM) employée.

Partir de Wikipédia français, et anglais car souvent plus fourni pour des sujets de ce genre. Mais pour trouver la bonne entrée, je recommande de commencer en tapant « wiki » et « cinq sens » (avec guillemets). On aboutit alors à « Sens ». Pour passer à l’anglais, même lorsqu’on n’a pas idée du terme équivalent, il suffit de faire défiler les différentes langues côté gauche, pour aboutir à la page en anglais du même terme – ici en l’occurrence Sense.

  • 1ère piste : dans la page française, on trouve une référence à Aristote.
  • 2ème piste : dans la page anglaise, on trouve une référence à la littératue bouddhiste.

Creusons la première piste : placer Aristote et « cinq sens » dans le moteur de recherche.
On obtient en farfouillant un peu Aristote et son ouvrage De l’âme, livre II.
Puis on tombe sur le site de Corinna Coulmas, qui indique :

« Connu dans la littérature rabbinique en référence au Psaume 115, 5-7, le concept des cinq sens a été utilisé par Platon et pour la première fois analysé en détail par Aristote« 

Et hop ! Nous avons donc trois sources.

Source N°1 : Aristote, De l’âme, II. Deux clics et nous sommes sur le texte traduit en français du site de Philippe Remacle. Anecdote : livre III, il introduit même un 6ème sens, le sens commun !

Source N°2 : Platon. Si l’on tape Platon et « cinq sens » on sait que les textes anciens étant tous accessibles en ligne, on trouvera la citation exacte – qui est dans le dialogue Théétète (daté de 369 avant l’ère commune), sous cette forme : « Est-il acceptable, demande Platon, que tout ce que nous savons provient uniquement de nos cinq sens?« . Encore un surf et on se retrouve sur le livre Théétète en français ici.

Source N°3 : Psaume 115, 5-7. Deux clics et on obtient les bibles en ligne, dont on extrait les versets.

«5. Elles ont une bouche, et ne parlent point; elles ont des yeux, et ne voient point.

6. Elles ont des oreilles, et n’entendent point; elles ont des narines, et ne sentent point.

7.Elles ont des mains, et ne touchent point; elles ont des pieds, et ne marchent point; de leur gosier elles ne font entendre aucun son.»

Ces versets sont-ils antérieurs à Aristote ? Cherchons la date de création, si elle est connue.
Directement, on apprend que « la tradition les attribue au Roi David, (soit -1000) mais beaucoup de critiques modernes estiment qu’il s’agit d’une composition collective et anonyme« . Quand bien même, ces psaumes ne furent écrits parchemin qu’au VIe siècle avant l’ère commune, ce qui semble précéder légèrement Platon et Aristote.
La seconde piste maintenant.

Si l’on a des problèmes pour traduire une page en anglais, passer par un logiciel de traduction en ligne, type systran. Je recommanderai bien sûr les logiciels dits « opensource »( car il y en a au moins un, me si je ne suis pas habitué à son fonctionnement : Linguaphile).

On trouve une référence aux pañcannaṃ indriyānaṃ avakanti,les cinq facultés matérielles, sous la forme de 5 chevaux conduisant le chariot du corps, dans le Katha Upanishad, daté approximativement du 6ème siècle avant EC.
Voilà. Ceci montre que cette notion est floue et archaïque, et que parler de cinq sens aujourd’hui est une commodité qui ne doit pas cacher la complexité de notre appareil sensitif (qui compte chez l’humain des sens à part entière, comme la sensation de faim, la nociception, la proprioception, etc.)

Toute idée ou suggestion est la bienvenue.

Richard Monvoisin


PS : j’utilise volontairement av./ap. EC (avant / après l’ère commune) même si la notion d’ère commune est discutable. Je le fais pour introduire l’idée que le calendrier ne va pas de soi, a été l’enjeu de débats importants, et porte un certain ancrage idéologique. C’est pour cela que je ne souhaite pas dater à partir de la naissance de Jésus Christ – si tant est qu Jésus Christ soit réellement né, ce que des historiens discutent encore.
Clin d’oeil de l’histoire : s’il est né, il serait probablement né en … 4 avant Jésus Christ !  Nous ferons un article sur ce sujet.

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Roger Gonnet, 10 ans de scientologie, 30 ans de lutte

  • Dans le premier document, Roger Gonnet raconte sa rentrée dans la scientologie, avec des détails sur la « théorie sous-jacente », inspirée d’un mélange de freudisme et de science-fiction.

  • Dans le deuxième extrait, Roger aborde les mécanismes de l’adhésion, et la manière dont lui-même a pu se sortir de la nasse. Il énonce quelques paramètres de détection des dérives très simples à enseigner ou à transmettre au grand public.

  • Dans ce troisième document, Roger aborde la question de la liberté de culte, et le mot secte.

  • Quatrième partie, Roger Gonnet discute ici la liberté de la conviction de l’individu et la liberté de critique de la croyance.

  • Cinquième partie : Roger indique quelles sont les ressources que l’on peut consulter lorsqu’on cherche des informations sur les dérives sectaires.

Le site Antisectes, qu’il gère.

Le site Prevensectes.

La Miviludes (Mission Interministérielle de Vigilance et de LUttes contre des Dérives Sectaires)

  • Dans la sixième et dernière partie, Roger Gonnet encourage à former l’esprit critique dès le plus jeune âge, et recommande quelques lectures.

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Russell Miller, Ron Hubbard le gourou démasqué, par Russel Miller, Plon, 1994.

Nicolas Jacquette, 25 ans, Ma vie chez les Témoins de altJéhovah, Balland, 2007.

altEmmanuel Fansten, Scientologie: autopsie d’une secte d’État, Robert Laffont, 2010.

Et son propre livre sur la Scientologie, La secte, secte armée pour la altguerre – chronique d’une « religion » commerciale avec irreponsabilité illimitée, Alban, 2004.

 

Merci pour ce témoignage, ces conseils et cet extraordinaire combat, Monsieur Gonnet !

Richard Monvoisin

Documents filmés le dimanche 13 mars 2011

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Journalisme – Pourquoi cette japonaise dans les décombres fait-elle la Une de nombreux journaux ?

Nous savons que le choix d’une information parmi les millions d’informations possibles disponibles chaque jour dans le monde se fait selon des critères subjectifs. Ainsi, regarder un journal TV ou un journal quotidien n’est pas, contrairement à ce qu’on veut nous faire comprendre, un véritable scan de l’actualité, mais bien au contraire une reconstruction de la réalité telle que le média souhaite qu’on la voie. Certains étudiants se désespèrent lorsqu’ils comprennent qu’aucun média ne peut être objectif en soi, qu’aucun média ne peut présenter de faits « bruts », car le simple fait que ce fait brut soit choisi et non un autre est déjà un tri subjectif en soi.

Parmi ces critères, il y en a certains plus évidents que d’autres : choisir les informations spectaculaires, ou qui choquent, qui heurtent le sens commun, ou qui flattent des idées reçues. Ils ont ce point commun d’être vendeurs, et il faut nous rappeler qu’un média a pour objectif premier non de nous informer, mais de se vendre.

Et pour augmenter l’accroche, le recours à l’image est vieux comme la presse, et se vérifie tous les jours la maxime de Paris Match : le poids des mots, le choc des photos.

Alors voici une question qui n’attend pas de réelle réponse, mais qui ne sert qu’à susciter le doute sur la fabrication de nos représentations du monde.

Le séisme qui a frappé le Japon le 11 mars 2011 est dramatique, et les risques nucléaires qu’il suscite sont terrifiants. Tous les médias importants ont dépêché des journalistes et des photographes sur place.

Voici quelques premières pages de journaux*, et étrangement, une photo de jeune femme prise par Yomiuri Shimbun (Agence France Presse) dans les décombres d’Ishinomaki a été particulièrement prisée.

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Voici des questions que l’on peut poser à des élèves, des étudiants, du grand public.

Question 1 : comment expliquez-vous que des médias si divers aient tous choisi en photo de couverture la même image ?

Question 2 : quels sont les « ingrédients » de cette image qui lui ont assuré un tel succès ?

Question 3 : votre appréciation de la photo changerait-elle si on apprenait que la jeune femme posait pour la photo, sur demande du photographe ?

Merci à Eric Bévillard de m’avoir montré ce petit phénomène médiatique !

Richard Monvoisin

* Tirées de www.zigonet.com/japon/.