Travaux pratiques : la théorie de l'anus du Cardinal Carrera

Vous êtes déjà bien entraîné-e à la recherche du finalisme en biologie, n’est-ce pas ?1. Cette fois, un petit exercice sur le pouce : quelles critiques peut-on faire à la « théorie de l’anus » du Cardinal Carrera ?

Norberto Rivera Carrera est un cardinal mexicain de l’Église catholique romaine, archevêque de Mexico depuis 1995. En tant que prélat, il n’est pas censé parler de science – et le fait d’avoir été professeur de théologie et d’écriture sainte ne compense malheureusement pas. Or il s’est aventuré récemment (début août 2016) dans le terrain des sciences de la vie et de la terre en dispensant dans le journal Desde la Fe une leçon pour le moins frappante. La voici dans le texte.

“La mujer tiene una cavidad especialmente preparada para la relación sexual, que se lubrica para facilitar la penetración, resiste la fricción, segrega sustancias que protegen al cuerpo femenino de posibles infecciones presentes en el semen.

En cambio, el ano del hombre no está diseñado para recibir, sólo para expeler. Su membrana es delicada, se desgarra con facilidad y carece de protección contra agentes externos que pudieran infectarlo. El miembro que penetra el ano lo lastima severamente pudiendo causar sangrados e infecciones”.

Un enseignant d’espagnol sera ravi de proposer ce texte en version. Cela donnera quelque chose comme :

« La femme dispose d’une cavité spécialement conçue pour la relation sexuelle, qui se lubrifie pour faciliter la pénétration, résiste au frottement, secrète des substances qui protègent le corps féminins de possibles infections présentes dans la semence. A l’inverse, l’anus de l’homme n’est pas conçu pour recevoir, mais seulement pour expulser. Sa membrane est délicate, se déchire avec facilité et manque d’une protection contre les agents externes qui pourraient l’infecter. Le membre qui pénètre l’anus lui fait sévèrement mal, pouvant causer saignements et infections.» (traduction personnelle)

 Première erreur : le finalisme

Mon collègue Julien Peccoud répète souvent qu’en évolution, le « pour » n’a pas sa place. Rien n’est fait pour ceci ou pour cela. L’évolution des espèces s’est faite par séries de contraintes du milieu, sans but précis, sans plan. Le labelle de la fleur d’orchidée Ophrys apifera ne « choisit » pas de prendre la forme d’un abdomen d’abeille solitaire pour attirer les autres abeilles. L’humain n’a pas des jambes pour mieux porter les pantalons, ni un nez pour sentir (sinon, il aurait dû préférer la truffe du chien ou du cochon, bien meilleure en terme de performance olfactive). Les personnes qui postulent l’existence d’un dieu, ou d’un plan préalable, ont le droit de le faire, puisque c’est un postulat, une croyance, un acte de foi, et cela les regarde. Mais s’ils prennent leur acte de foi et le présentent aux autres comme un fait, alors ils doivent apporter des éléments à l’appui.

Or pour l’instant, la théorie de l’évolution n’a jamais eu « besoin » de plan prédéfini 2, de dessein, pour reprendre le célèbre terme qui a fait le succès populaire du Dessein Intelligent3. C’est une hypothèse coûteuse en trop, comme dirait Laplace, et comme l’indique le rasoir d’Occam, il n’y a aucune raison de la privilégier (pour creuser ce point, voir Rasoir d’Occam et le Dragon dans mon garage).

Par conséquent il est faux de dire que

  • la femme dispose d’une cavité spécialement conçue pour la relation sexuelle
  • qui se lubrifie pour faciliter la pénétration,
  • l’anus de l’homme n’est pas conçu pour recevoir,
  • mais seulement pour expulser.

Il faudrait dire en toute rigueur :

  • la femme dispose (généralement4) d’une cavité musculo-muqueuse car de génération en génération, les femmes porteuses de la variation « cavité » ont été plus en mesure de faire des enfants que celles qui en étaient dépourvues. 5. Ce caractère s’est donc davantage transmis….avec un mâle de la même espèce portant un pénis de dimension similaire ou approchant
  • Les femelles ayant une cavité de taille correspondante au pénis des mâles ont été avantagés dans la facilité de reproduction sans risque de déchirement et donc d’infections, et ont donc eu plus de descendants… et ainsi de suite.6
  • qui se lubrifie car parmi toutes les options empruntées par les diverses mutations, celle-ci s’est révélée plus efficace dans la maximisation du succès reproducteur des individus portant ce trait (ce caractère) – de même que par exemple, le peu d’innervation du vagin actuel, fruit des probables nombreux décès ou refus de coït devant la douleur qu’engendrait l’enfantement. Pour illustrer ça, pensons à des hérissonnes : toutes les hérissonnes dont les petits avaient des piquants sont probablement mortes en couche. De fait, les hérissonnes faisant des petits sans piquants se sont plus volontiers reproduites, et on les comprend.

etc.

Deuxième erreur : le raisonnement panglossien

En filigrane du finalisme de ses propos, le cardinal mexicain imprime des rôles prédéfinis aux organes. C’est l’une des spécificités des religions : imposer un ordonnancement du monde, avec des êtres bien à leur place et des organes bien à leur fonction. Ainsi a-t-on pu lire :

– que les femmes avaient été crées pour satisfaire les hommes,

– que les Noirs avaient les os et les sutures du crâne plus épais pour mieux recevoir les coups 7

– que les animaux sont mis à disposition pour le service des humains (considérés comme non-animaux)8,

– que les oiseaux ont des plumes pour voler, (ce qui est faux – on sait désormais que les plumes se développèrent car propices à la régulation de la température de certains reptiles. Le vol que certains développèrent n’est qu’une conséquence secondaire – depuis 1982, on appelle ce processus secondaire l’exaptation9),

– que les cerises sont rondes comme la bouche humaine et que les melons ont été prédécoupés par Dieu pour être mangés en famille10,

etc.

Le programme est prédéfini à l’avance, comme c’est le cas dans les raisonnements de type panglossien.

Ici, pour notre prêtre, le vagin est conçu (par Dieu) pour la relation sexuelle avec pénétration. Si vous pensiez, porteuses d’un vagin, vous en servir pour

– des relations homosexuelles, c’est péché

– des relations hétérosexuelles sans pénétration, c’est péché

– planquer des billets de banque ou une barrette de shit au parloir, c’est péché,

vous êtes hors des conditions d’usage recommandées par l’entité surnaturelle dans laquelle croit le monsieur, et qu’il vient vous imposer sans vous demander si vous souscrivez à la même.

De même pour l’anus : il serait conçu pour expulser, donc malheur à :

– la femme dans l’anus de laquelle un homme introduit un pénis / un doigt / un plug anal / un suppositoire / une sonde de dépistage…

– l’homme dans l’anus duquel une femme introduit un godemiché / un doigt / un plug anal / un suppositoire / une sonde de dépistage…

– l’homme dans l’anus duquel un homme introduit un godemiché / un doigt / un plug anal / un suppositoire / une sonde de dépistage…

Ce qui nous amène au troisième problème.

Troisième erreur : l’ordre moral immanent

Le cardinal imprime des rôles aux organes, dans la même ligne que son église a toujours imprimé des rôles aux individus : à la femme d’être bonne épouse, par exemple, et d’être soumise à son mari, comme on le lit dans la première épître de Pierre, chapitre 3, verset 111. Au vagin (de Maman) d’être bien lubrifié pour la pénétration (de Papa, pas de quelqu’un d’autre).

Soit cet ordre moral n’existe que dans la tête des croyants, auquel cas il n’a aucune raison de prendre la forme d’une leçon scientifique (qui rappelons-le a pour but de diffuser de la connaissance désubjectivée), et de ce fait le cardinal outrepasse ses droits avec un savoir obsolète.

Soit cet ordre existe (même si on ne peut pas le prouver) à la façon d’un destin. De deux choses l’une : si c’est un destin de Dieu, alors comment se fait-il que nombreux sont ceux qui ne le suivent pas ? Serait-ce un destin mou ? Et surtout, quand bien même il y aurait un rôle prédéfini, qu’est-ce qui nous empêche d’y désobéir ? Surtout si cette désobéissance, en l’occurrence sous forme de pénétrations diverses, n’entraîne aucune souffrance à personne – au contraire, bien souvent.

J’ai coutume de dire aux étudiants ceci : quand quelqu’un au nom d’une entité supérieure vous enjoint à suivre un destin (subir un dictateur, se voir cantonnée à des tâches subalternes, etc.), il n’y a rien de plus réjouissant intellectuellement que d’essayer de s’y insoumettre.

Quatrième erreur : l’argument de la douleur

Vous connaissez probablement l’effet bi-standard, qui consiste à changer de critère d’évaluation selon les circonstances. Ici Carrera précise : Le membre qui pénètre l’anus lui fait sévèrement mal et sous-entend dans sa diatribe que puisque douloureux, ce n’est pas bien. Or, bien que mes connaissances en pénétration anale ne soient pas démesurées, je sais que :

– il y a des choses que le cardinal trouvent bonnes et qui font pourtant mal : par exemple l’accouchement12 ;

– toutes les pénétrations anales par des « membres » ne font pas mal – cela dépend de la dimension du membre, de l’anus, mais surtout de la douceur et de la délicatesse du partenaire. En toute cohérence, le cardinal devrait tolérer les pénétrations anales qui ne font pas mal ;

– certaines pénétrations vaginales font mal – dans ce cas, dilemme, n’est-ce pas : le vagin est fait pour ça, mais ça fait mal, donc ça ne devrait plus être bien. Étonnant, non ?

– certaines pénétrations anales douloureuses ou désagréables sont somme toute plutôt souhaitables, depuis le toucher rectal (en cas de fécalome, de prévention du cancer de la prostate, etc.) jusqu’à la coloscopie.

Indication : le contexte est important

 Il faut replacer la saillie du cardinal dans son contexte. Depuis début août (2016) une polémique attise la ville de Monterrey, ville la plus cossue du pays, dans l’Etat du Nuevo Léon. Des élus issus de la droite catholique invitent les parents à brûler les livres, arracher les pages consacrées à la biologie et aux droits sexuels, voire à occuper les écoles. Luz María Ortiz, présidente de l’Union des parents d’élèves de l’Etat du Nuevo Léon, revendique pour certains livres distribués par l’Éducation publique une nouvelle forme de mise à l’Index (bien que l’Index librorum prohibitorum n’existe plus chez les Catholiques depuis 1966). Elle dénonce une incitation à la débauche, et comme le rapporte Libération le 25 août : «A force de marteler ces thèmes, les manuels provoquent des pulsions sexuelles précoces. En outre, on inculque aux enfants une idéologie de genre, leur faisant croire qu’ils peuvent choisir leur sexe.» Joignant le geste à la parole, la leader de la révolte parentale désigne un exercice pour élèves de CP, invitant ceux-ci à nommer les parties du corps sur des schémas. «Un éveil à la génitalité, selon elle. C’est un exercice isolé, il n’y a aucun développement, aucun encadrement. C’est comme leur lancer une bombe sans se préoccuper des dégâts

On peut parler de pseudo-controverse sur le plan scientifique. Pseudo car les questions introduites par les études sociales de genre ne sont pas aussi caricaturales que ça – il suffit de les compulser. La science a permis de comprendre que le sexe et le genre d’un individu ne sont pas toujours en accord, et qu’il est moralement loisible à une personne de changer de genre si elle le souhaite, puisqu’aucun destin, contrairement à ce que nombre de clercs ont souhaité faire croire de tout temps, ne préside aux choix de chacun. Pseudo encore car les études montrent qu’une information accrue sur la sexualité diminue fortement certaines souffrances sociales, comme les grossesses précoces 13

Pseudo enfin, par le caractère propagandiste et communautaire : rappelons-nous les réactions épidermiques de certains parents en France métropolitaine début janvier 2014, persuadés par des SMS qu’on apprenait à leurs enfants à se masturber en classe, à se travestir, que des intervenant-es gays et lesbiennes viendraient expliquer aux enfants comment on s’embrasse, que des associations juives (sic !) viendraient voir le sexe des enfants, que l’école diffuserait des films pornographiques, etc. Cette campagne, appelée JRE pour Journée de retrait de l’école, avait été portée par Farida Belghoul, et l’équipe d‘Egalité & Réconciliation d’Alain Soral.

J’avais écrit une conclusion à ce sujet, que j’ose à peine vous faire lire. Qu’au lieu de se préoccuper de la prédestination hypothétique et surnaturelle de nos organes, Monsieur Carrera devrait se consacrer à minimiser la souffrance collective ; qu’au lieu de préjuger de nos incuries, qu’il se consacre à sa propre curie, et qu’en guise de préoccupation pour nos anus, le cardinal ferait peut être mieux, entre nous, de s’occuper de ses propres fesses.

RM

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P.S. : le CorteX revendique une indépendance maximale vis-à-vis des industries. Qu’il permette pour une fois de mettre en avant une entreprise peu connue, celle de Magnus Irvin, edible anus, qui développe une gamme d’anus comestibles en chocolat, tout à fait adaptés pour des soirées de haute tenue. Cinq boites d’anus pour moins d’une quarantaine de dollars US, ici : mais à l’heure de clore ces lignes, l’entreprise est en rupture de stock.

Anglais, dramaturgie, philosophie morale et santé – La « pièce à problème » Doctor's dilemma, de George B. Shaw

CorteX_GB_ShawL’irlandais George B. Shaw (1856 – 1950) est un écrivain assez peu connu en France, et pourtant : il est caustique, il écrit remarquablement bien, et il affiche un goût assez prononcé pour les controverses politiques. On l’entendra promouvoir l’eugénisme, s’opposer à la vaccination, avoir de l’admiration pour Mussolini et Staline, mais aussi contester la notion de religion, dénoncer les deux camps à la guerre de 14, ou refuser systématiquement toute récompense, médaille ou honneur. Il aura un pied dans l’anarchisme et le soutien aux figures anarcho-féministes comme Charlotte Wilson, mais adhérera aussi au mouvement néolibéral dit « fabien », qui existe toujours14.

L’une des pièces de G. B. Shaw s’intitule Doctor’s dilemma, et a été mise en scène pour la première fois à Londres en 1906. J’apprécie cette pièce pour les dilemmes moraux de type médical, engendrés par des moyens médicaux limités et les contradictions dans les revendications à une médecine privé : de fait, cela range cette pièce dans ce que les francophones appellent les « pièces à problème », et les anglophones « problem plays ».

Pour la savourer on peut :

  • la lire en français – Paris : Aubier, 1941.
  • la lire en anglais (ici)
  • l’écouter en anglais : j’ai eu le plaisir de dénicher l’enregistrement de la pièce sur Librivox. Le voici, en cinq épisodes.

Acte 1

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Le synopsis :

À la fin de l’époque victorienne à Londres, l’artiste-peintre Louis Dubedat est atteint de la tuberculose. Sa femme Jennifer, follement amoureuse d’un mari qu’elle idéalise, ne peut se résoudre à le voir disparaître. Elle va demander au célèbre spécialiste Sir Ridgeon de tenter le tout pour le tout afin de le sauver. Le docteur a tellement de patients qu’il ne peut traiter en priorité que certains cas extrêmes et Jennifer le convainc (en même temps qu’il est séduit par son charme) en lui présentant des œuvres de son mari en qui le docteur reconnaît un grand artiste. Mais en prenant Louis en charge, le docteur et son équipe découvrent que l’artiste est doublé d’un escroc qui est, de surcroît, bigame, marié à une autre femme qu’il a abandonnée. Le docteur est confronté à un dilemme, entravé, en plus, par les sentiments qu’il éprouve pour Jennifer : soit laisser l’artiste s’éteindre en préservant les illusions de Jennifer, soit tenter de le sauver en dévoilant à celle-ci la bigamie et les autres travers de son mari.

L'Histoire officielle a parfois mauvaise vue – Travail sur l'image de Carlos et Smith, poings gantés, aux Jeux Olympiques de 1968

Il est des images qui marquent les esprits, ancrant un événement dans une sorte de culture collective. Seulement une image n’est pas un fait historique. Son cadre, son grain, son plan, sont autant de manières d’orienter le propos. Et en l’absence de légende ou de notice, la photographie peut occulter des éléments nécessaires à la compréhension pleine et entière du sujet abordé. Faisons nôtre ici le travail d’enquête de Riccardo Gazzaniga : il permet à un-e enseignant-e non seulement d’aborder la sémiotique de l’image, mais également des pans assez méconnus de l’Histoire des États-Unis et de l’Australie, notamment la ségrégation racial pour les premiers, une politique d’apartheid pour la seconde. Pour ma part, il m’a suffisamment frappé pour que j’envisage d’incorporer le sujet dans mes enseignements de critique des médias, en particulier dans les parties traitant du poids des images, de leur construction, de leur viralité.

Merci à l’inconnu-e qui m’a fait suivre cet article – impossible de me rappeler.

Cet article a été écrit et publié originalement ici en italien par l’écrivain gênois Ricardo Gazzaniga, et en français.

Parfois, les images peuvent nous tromper.
Prenez cette photographie, par exemple. Vous la reconnaissez sans doute, elle est extrêmement célèbre et se trouve dans tous les livres d’histoire : c’est le geste de rébellion de deux coureurs afro-américains, John Carlos et Tommie Smith, brandissant le poing pour protester contre la ségrégation raciale, alors qu’ils se trouvaient sur le podium après avoir couru les 200 mètres lors des Jeux Olympiques de 1968, à Mexico.

CorteX_Norman_Carlos-Smith-1Eh bien cette photo m’a trompé, pendant très longtemps… Et il est probable qu’elle vous ait trompé, vous aussi. J’ai toujours vu cette photo comme une image extraordinairement puissante de deux hommes de couleur, pieds nus, tête baissée, leur poing ganté de noir brandi vers le ciel tandis que l’hymne national Américain retentissait.  J’ai toujours vu dans cette image un geste symbolique fort (note RM : le salut Black Power) pour défendre l’égalité des droits pour les personnes de couleur, dans une année notamment marquée par la mort de Martin Luther King et de Bobby Kennedy. J’ai toujours vu dans cette image une photographie historique de deux hommes de couleur. Et c’est pour ça, sans doute, que je n’ai jamais vraiment fait attention à ce troisième homme. Un blanc, immobile, figé sur la deuxième marche du podium. Il ne brandit pas le poing en l’air. J’ai toujours vu dans ce troisième homme une sorte d’intrus, une présence en trop, arrivé là un peu par hasard et malgré lui.

En fait, je pensais même que cet homme représentait, dans toute sa rigidité et son immobilité glacée, l’archétype du conservateur blanc qui exprime le désir de résister à ce changement que Smith et Carlos invoquaient en silence derrière lui.  Mais je me trompais. Pire que ça : je ne pouvais pas mieux me tromper.

La vérité, c’est que cet homme blanc sur la photo, celui qui ne lève pas le bras, est peut-être le plus grand héros de ce fameux soir d’été 1968.

Il s’appelait Peter Norman, il était australien et ce soir-là, il avait couru comme un dingue, terminant la course avec un temps incroyable de 20 s 06. Seuls l’Américain Tommie Smith avait fait mieux, décrochant la médaille d’or tout en inscrivant un nouveau record du monde, avec un temps de 19 s 78. Un deuxième Américain, un certain John Carlos, se trouvait sur la troisième marche avec seulement quelques millisecondes d’écart avec Norman.

En fait, on pensait que la victoire se départagerait entre les deux américains. Norman, c’était un coureur inconnu, un outsider, qui a soudain eu un coup de fouet inexpliqué dans les derniers mètres et s’est retrouvé propulsé sur le podium. Cette course, c’était la course de sa vie.

Pourtant, le plus mémorable ne fut pas la performance en elle-même, mais bien les événements qui s’ensuivirent lors de la montée des coureurs sur le podium après la course. 

Smith et Carlos allaient bientôt montrer à la face du monde entier leur protestation contre la ségrégation raciale. Ils se préparaient à faire quelque chose d’énorme, d’un peu risqué aussi, et ils le savaient. 

Norman, lui, était un blanc d’Australie. Oui, d’Australie : un pays qui avait à l’époque des lois d’apartheid extrêmement strictes, presque aussi strictes que celles qui avaient cours en Afrique du Sud. Le racisme et la ségrégation étaient extrêmement violents, non seulement contre les Noirs mais aussi contre les peuples aborigènes.

Les deux afro-américains ont demandé à Norman s’il croyait aux droits humains. Norman a répondu que oui.
« Nous lui avions dit ce que nous allions faire, nous savions que c’était une chose plus glorieuse et plus grande que n’importe quelle performance athlétique » racontera plus tard John Carlos.  « Je m’attendais à voir de la peur dans les yeux de Norman… Mais à la place, nous y avons vu de l’amour. »

Norman a simplement répondu : « Je serai avec vous ».

CorteX_Norman_Carlos-Smith-2Smith et Carlos avaient décidé de monter sur le podium pieds nus pour représenter la pauvreté qui frappait une grande partie des personnes de couleur. Ils arboreraient le badge du Projet Olympique pour les Droits de l’Homme, un mouvement d’athlètes engagés pour l’égalité des hommes. CorteX_Norman_Carlos-Smith-3

Mais ils ont bien failli ne pas porter les fameux gants noirs, le symbole des Black Panthers, qui ont finalement fait toute la force de leur geste.

C’est Norman qui a eu l’idée. En fait, juste avant de monter sur le podium, Smith et Carlos ont réalisé qu’ils n’avaient… qu’une seule paire de gants. Ils allaient renoncer à ce symbole, mais c’est Norman qui a insisté, en leur conseillant de prendre un gant chacun.
Et c’est ce qu’ils ont fait.

Si vous regardez bien le cliché, vous verrez que Norman porte, lui aussi, un badge du Projet Olympique pour les Droits de l’Homme, épinglé contre son cœur15.

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Les trois athlètes sont montés sur le podium ; le reste fait partie de l’Histoire, capturé par la puissance de cette photo qui a fait le tour du monde.

« Je ne pouvais pas voir ce qui se passait derrière moi » se souviendra plus tard Norman, « mais j’ai su qu’ils avaient mis leur plan à exécution lorsque la foule qui chantait l’hymne national Américain s’est soudainement tue. Le stade est devenu alors totalement silencieux. »

Cet événement a provoqué l’immense tollé que l’on sait. Les deux coureurs ont été immédiatement bannis de la discipline et expulsés du village olympique. Une fois de retour aux États-Unis, ils ont fait face à de nombreux problèmes et ont reçu d’innombrables menaces de mort. 

Ce que l’on sait moins, c’est que Peter Norman, lui aussi, a subi de lourdes conséquences. Pour avoir apporté son soutien à ces deux hommes, il a dû dire adieu à sa carrière qui aurait pu être extrêmement prometteuse.

Quatre ans plus tard, malgré son excellence dans la discipline, il n’est pas sélectionné pour représenter l’Australie pour les Jeux Olympiques de 1972. Il ne sera pas non plus invité pour les JO qui se dérouleront dans son propre pays, en 2000.

Dégoûté, Norman a laissé tomber les compétitions athlétiques, et s’est remis à courir au niveau amateur. En Australie, où le conservatisme et la suprématie raciale avait la peau dure, il a été traité comme un paria, un traître. Sa famille l’a renié, et il n’arrivait pas à trouver de travail à cause de cette image qui lui collait à la peau. Il a travaillé un temps dans une boucherie, puis en tant que simple prof de gym.
Après une blessure mal soignée, il a fini ses jours rongé par la gangrène, la dépression et l’alcoolisme.

Pourtant, Norman a eu pendant des années une chance de se racheter, de sauver sa carrière et d’être à nouveau considéré comme le grand sportif de talent qu’il était : Il a maintes fois été invité à condamner publiquement le geste de John Carlos et de Tommie Smith, de demander pardon, bref de se repentir face à ce système qui avait décidé de l’exclure.

Un simple pardon aurait pu lui permettre de revenir dans la discipline, et plus tard de faire partie des organisateurs des jeux olympiques de Sydney en 200016.  Mais il n’en a rien fait. Norman n’a jamais laissé ses opinions faiblir, et n’a jamais accepté de trahir les deux américains pour se « racheter ».

Avec le temps, Carlos et Smith ont été considérés comme de véritables héros ayant défendu la cause de l’égalité raciale envers et contre tous. En Californie, une statue a même été érigée en hommage à ces deux athlètes aux poings levés…Sauf que l’Australien ne figure pas sur cette statue17.

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Gommé, supprimé de l’histoire et pourtant détesté de tous en son pays, voilà ce qu’il était devenu.  Son absence semble être l’épitaphe d’un héros que personne n’avait remarqué, et que l’histoire n’aura malheureusement pas retenu.

En 2006, Peter Norman décède finalement à Melbourne, en Australie. Pendant des décennies, il a a donc été pour beaucoup « l’homme qui n’a pas levé le poing » tout en étant complètement déconsidéré par son propre pays puis, pire encore, oublié.

À son décès, les deux sprinteurs américains ont tenu à porter son cercueil.CorteX_Norman_Carlos-Smith-6

N’oublions jamais Peter Norman, héros sans gants, effacé de l’histoire, qui n’a jamais cessé de lutter pour l’égalité des hommes.

Pour aller plus loin : le réalisateur et acteur Matt Norman, neveu de Peter, a réalisé et produit un documentaire intitulé Salute (2008) sur les trois coureurs.

L'autobiographie de Dawkins sur la plage

CorteX_An_Appetite_for_Wonder_Dawkins_couvUSJ’ai eu le plaisir de lire cet été (2016) le premier volume de l’autobiographie de Richard Dawkins, An Appetite for Wonder: The Making of a Scientist, (non traduit) qui racontait la vie du scientifique depuis l’enfance jusqu’à l’écriture du célèbre Gène égoïste (The selfish gene) en 1976. Dawkins a toujours cette plume qui enchante, alternant passages croustillants d’humour et exposés scientifiques. J’ai regretté un certain nombre de poésies incrustées dans le texte, probablement parce que mon anglais ne me permet pas d’en saisir les subtilités. N’empêche, cela montre aux tristes sires qu’on peut être un scientifique matérialiste athée et pourtant aimer la poésie.

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Comme j’aime bien fureter, j’ai trouvé le pdf du livre. Comme j’aime bien partager, je voulais le mettre ici (en anglais). Et comme Dawkins n’est pas pauvre, je ne pensais pas le léser (et je vais lui écrire quand même pour le prévenir). Mais… je ne remets plus la main dessus. Je vais farfouiller mes archives, comptez sur moi.

Le deuxième volume de l’autobiographie, Brief candle in the dark: my life in science, a paru en septembre 2015, n’est pas traduit non plus. Je pensais que le titre faisait explicitement filiation avec le bouquin de Carl Sagan The demon-haunted world: Science as a candle in the dark (dont nous avons déjà parlé à propos du Dragon dans le garage) et cela semble le cas, comme il le dit quelque part dans le bouquin. Mais cela aurait pu être aussi un clin d’œil au livre Candle in the Dark: Or, A Treatise Concerning the Nature of Witches & Witchcraft, du médecin anglais Thomas Ady de 1656 (que la Cornell Library met à disposition ici pour les curieux fans de démonologie). Peu de gens connaissent Ady, mais pour qui est friand d’anecdotes, on lui doit entre autres une ancienne dénonciation du pseudo-Latin de la formule Hocus Pocus.18

Bref, dans ce tome, Richard Dawkins continue son autobiographie jusqu’au présent, donne ses idées, et convoque son panthéon, de Darwin à Attenborough, de Medawar à Hamilton, autant de noms qui chanteront aux oreilles des biologistes.
Je n’ai pas la version e-book, mais j’ai la version lue par Dawkins lui-même, en 15 épisodes.

De quoi écouter en effectuant vos tâches ménagères.

Épisode 1. Télécharger ou écouter ci-dessous

Épisode 2. Télécharger ou écouter ci-dessous

Épisode 3. Télécharger ou écouter ci-dessous

Épisode 4. Télécharger ou écouter ci-dessous

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Épisode 7. Télécharger ou écouter ci-dessous

Épisode 8. Télécharger ou écouter ci-dessous

Épisode 9. Télécharger ou écouter ci-dessous

Épisode 10. Télécharger ou écouter ci-dessous

Épisode 11. Télécharger ou écouter ci-dessous

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Épisode 13. Télécharger ou écouter ci-dessous

Épisode 14. Télécharger ou écouter ci-dessous

Épisode 15. Télécharger ou écouter ci-dessous

 En bonus, voici le texte d’une conférence de Dawkins donnée à la BBC1 le 12 novembre 1996, intitulée Science, delusion and the appetite for wonder (en anglais). Télécharger

La loi de Stigler (qui n'est pas de Stigler)

Oeuvre "Palimpseste" de l'artiste RERO (Allemagne, 2011)
Oeuvre « Palimpseste » de l’artiste RERO (Allemagne, 2011)

En 2013, alors que nous passions nos nuits sur le K, notre projet de manuel sur les thérapies manuelles, qui parut à l’orée de l’année suivante chez les PUG (voir ici), Nicolas Pinsault et moi illustrions la loi de Stigler : « Une découverte scientifique ne porte jamais le nom de son auteur ».

Nous travaillons à l’époque sur un paradoxe statistique appelé paradoxe de Simpson (à venir). En creusant un peu, nous avons constaté que cet effet statistique est notoirement attribué au statisticien Edward Hugh Simpson qui l’exposa en 1951 dans son article The Interpretation of Interaction in Contingency Tables. Pourtant, près de cinquante ans plus tôt, en 1903, George Udny Yule en faisait état19. Aussi Nicolas et moi nous sommes dit : il est légitime de parler désormais du paradoxe de Yule-Simpson. Las ! Farfouillant encore un peu, on se  rend compte que quatre ans plus tôt, en 1899, le paradoxe était déjà découvert par Karl Pearson et son équipe20. Là, nous avons arrêté de creuser.

C’est la confirmation d’une autre loi dite loi de Stigler, du nom de son présumé auteur Stephen Stigler : « Une découverte scientifique ne porte jamais le nom de son auteur ». C’est d’ailleurs le cas de cette loi, que Stigler lui-même attribue à Robert K. Merton21.

Comme l’aurait prétendument dit le mathématicien Alfred North Whitehead, à moins que ce ne soit quelqu’un d’autre, « tout ce qui compte a déjà été dit par quelqu’un qui ne l’a d’ailleurs pas découvert lui-même ».

Cet article est tiré du livre « Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles« , pp. 206-207, écrit par Pinsault et Monvoisin, mais il est probable que l’essentiel de ce qui y est écrit a déjà été dit ailleurs, et mieux.

Promenade sceptique dans le paranormal – Henri Broch sur France Culture

BROCH PARANORMAL.jpgHenri Broch, fondateur historique du laboratoire zététique de l’Université de Nice-Sophia-Antipolis, a causé dans le poste avec Stéphane Desligeorges sur France Culture le 9 mai 2016.

Télécharger ici.

Que du grand classique pour les amateurs du genre, et un lexique un peu narquois et « charlatanesque » côté radio, mais ça fait toujours plaisir d’entendre la bonne gouaille du père Henri, sans lequel nous serions assez nombreux à en être encore à jouer avec nos crottes de nez.

Richard Monvoisin

Lecture – Altersciences, d'Alexandre Moatti

CorteX_Moatti_Altersciences Alexandre Moatti, ingénieur chercheur associé en histoire des sciences et des idées à l’université Paris-VII-Denis-Diderot, a commis en 2013 un excellent livre intitulé Altersciences, Postures, dogmes, idéologies.

Voici la présentation qu’en fait son éditeur :

Remise en cause de la théorie d’Einstein, de celle de Darwin, créationnisme et fondamentalismes, cosmologies païennes, mouvements technofascistes, idéologies radicales anti-science… Pourquoi des personnes formées à la science en viennent-elles à adopter une attitude en opposition virulente à la science de leur époque ? Comment mobilisent-elles leur capacité de raisonnement au service de dogmes et d’idéologies sans rapport avec la science ? Peut-on tirer un fil historique entre ces postures depuis la naissance de la science moderne au XVIe siècle ? De nos jours, quel est l’impact sur les rapports entre science et société de ces attitudes, diffusées et multipliées par le canal de l’Internet ?
Rejet de la science contemporaine, de la spécialisation et de l’abstraction mathématique ; appel au bon sens et à une science globale ; vitupération pouvant aller jusqu’à l’invocation de la théorie du complot ; instrumentalisation de la science à des fins idéologiques ou religieuses : voilà les principales caractéristiques des mouvements ou des individus étudiés dans cet ouvrage.CorteX_Alexandre_Moatti

 

David Larousserie en fit un compte-rendu dans les pages du Monde le 17 janvier 2013, intitulé Casseurs de science, une histoire des malsavants, et Podcast science a réalisé dans son épisode 146 du 4 octobre 2013 une longue et excellente entrevue avec l’auteur, à écouter ci-dessous ou dont on peut lire la retranscription ici.

Télécharger.

Pour aller plus loin, on pourra zieuter L’alterscience, une autre forme d’opposition à la science, par Alexandre Moatti – SPS n° 292, octobre 2010.

Bonne lecture.

RM

Les lois de l'attraction mentale – Documentaire

CorteX_la_TeBOyez ! Nos copains de la Tronche en biais préparent un documentaire fait-maison. Comme ils travaillent très bien, sont sympathiques, corrosifs, et aussi sceptiques que la bande de Sextus Empiricus, nous vous enjoignons à sinon contribuer au financement, au moins relayer l’information autour de vous. Le CorteX y participera du mieux qu’il le pourra. Car les lois de l’attraction mentale sont retorses et planquées dans les recoins les plus sombres de notre cerveau, et pour s’en défier, nous serons pas de trop. Et comme le dit souvent Broch, plus on est de fous, plus Henri22.

Voici leur annonce.

Au cours des derniers mois, notre équipe s’est penchée sur un dossier particulier, celui de La Révélation des Pyramides (LRDP). Ce film défend des thèses antiscientifiques au sujet de la conception des pyramides et présente un faisceau de faits triés sur le volet pour accréditer l’idée qu’il existerait un message caché dans les dimensions de la grande Pyramide de Gizeh et dans l’agencement géographique de nombreux sites archéologiques. Les auteurs ont récolté plus de 100 000€ sur Ulule pour financer leur deuxième film…

Nous avons publié sur La Menace Théoriste  plusieurs analyses de ces thèses, et notamment leur histoire. Nous avons également rassemblé autour de nous une équipe de réflexion sur les réseaux sociaux, composée des blogueurs qui se sont intéressés au sujet au cours des dernières années dans le but de partager leurs analyses et de préparer avec nous une émission spéciale de La Tronche en Live au cours de laquelle nous avons reçu Jacques Grimault, qui se présente comme l’auteur des thèses présentes dans LRDP.

Dans le cadre de cette émission, nous avons réalisé rapidement un court métrage de 17 min qui reprend et parodie les méthodes de LRDP afin de les dénoncer. Nous voulons aller plus loin dans ce travail.

 

 

Le documentaire

Nous souhaitons écrire et réaliser un documentaire pour expliquer comment certaines idées peuvent se transmettre de façon virale et de quelle manière elles peuvent séduire les gens au travers de vidéos comme LRDP, Alien Theory ou encore d’autres productions audiovisuelles ; et jusqu’aux diverses propagandes fanatiques que l’on retrouve sur Internet où a lieu, désormais, une part importante du recrutement de ceux qui commettront des actes violents.

 

  • Pourquoi certains discours nous séduisent ?
  • Comment ces discours séduisant sont-ils construits ?

Le film a pour but d’analyser la manière dont ces programmes sont construits, et les raisons pour lesquelles ils suscitent l’adhésion d’un public non négligeable.

À cette fin, nous réaliserons une version améliorée de notre « équateur penché » et nous interrogerons des chercheurs dans toutes les disciplines pertinentes (psychologie, sociologie, archéologie, anthropologie, sciences cognitives, sciences du langage, etc.) afin de décrypter les mécanismes à l’origine de l’attraction qu’exercent ces pseudo-théories sur le cerveau de tout un chacun. Nous comparerons les récits fantasmés avec les versions scientifiquement étayées qu’ils cherchent à concurrencer afin de mettre en évidence les difficultés auxquelles doit faire face une parole qui n’a pour elle que d’être conforme à l’état des connaissances, mais ne saurait jouir des avantages des récits qui flattent complaisamment les intuitions et les idées reçues de leur public.

Le film offrira également une réflexion sur la manière de lutter contre les influences des discours anti-scientifiques et, de manière générale, des discours séduisants… mais faux.

 

  • Propagande. Manipulation. Radicalisation. Dérives sectaires…

On ne lutte pas contre les pseudosciences et la propagande par voie de censure, mais en proposant une offre cognitive concurrente, en produisant un contenu solide, en offrant un regard intelligent qui permet aux individus de se débarrasser de leurs anciennes croyances sans éprouver un manque puisqu’on leur aura proposé des concepts de meilleure qualité pour remplacer ceux qu’ils abandonnent.

 

Livraison prévue en Décembre 2016 (à deux patates près, hein)…

 

Pour les suivre sur les réseaux (non sans avoir lu l‘entrevue avec Thomas VO auparavant)

L'effet cerceau, tautologie ou raisonnement circulaire

On appelle effet cerceau l’erreur logique qui consiste à admettre au début du raisonnement ce que l’on entend prouver par la démonstration que l’on va faire. Le point de départ est quelquefois sous-entendu et l’effet devient ainsi un type de raisonnement circulaire difficile à détecter. Sont présentés ici quelques exemples.

La reconstitution tridimensionnelle du « saint-suaire »

Broch dans son livre le paranormal déconstruit l’un des plus beaux effets cerceau qu’il ait été donné de voir dans le champ zététique. Il est dû à Jackson et Jumper sur le « suaire » dit de Turin :

« Jackson & Jumper ont recouvert d’un drap un volontaire choisi pour sa ressemblance avec l’image du « linceul », puis ils ont mesuré les distances corps-tissu en de nombreux points ; ces données ont ensuite été mises en relation avec les différences de densité relevées sur l’image du « saint-suaire ». Les premiers essais pour reconstituer une représentation en volume de l’ « homme du suaire » montraient une figure humaine assez distordue. Pour en améliorer l’aspect, la disposition de drap sur le volontaire a été changée de manière à affiner le résultat (l’argument était sans doute : après tout, personne ne sait comment ce suaire a été drapé sur un corps dans une tombe en Palestine, il y a presque 2000 ans !). On modifia également, de façon ad hoc, d’autres paramètres de cette fameuse analyse, jusqu’à obtenir une figure offrant un aspect humain, excepté pour une chose : si le visage est ajusté pour un relief normal, le corps apparaît en bas-relief.  Ce que Jackson et Jumper ont démontré, c’est qu’ils peuvent obtenir une bonne corrélation entre la densité de l’image sur le suaire et la distance linge-corps correspondante qu’ils obtiennent quand un modèle humain de la taille appropriée est recouvert d’un linge drapé de manière à optimiser le résultat. » (Mueller MM., 1982, The shroud of turin : a critical appraisal, Skept Inq. 6 (3) p. 92). (…) la « démonstration » de J & J pèche par un côté : elle exige que l’on admette au départ ce qu’elle entend prouver ».

(H. Broch, Le paranormal, 1989, Seuil, pp. 57-58).

La torsion de barres

« Les sempiternelles déclarations, dans toute expérience sur un « sujet psi », visant à faire prendre en compte le fait que le sujet ait échoué lors de tests destinés à déterminer si l’habileté ou la force nécessaire au trucage étaient présentes chez lui. Pour tout bon tordeur (de petites cuillères ou autres ustensiles) dont on veut démontrer l’honnêteté, on trouve des tests de ce type :
a. on admet que M. Tordant ne triche pas (cette « hypothèse » est très souvent sous-entendue !)
b. le pauvre « sujet psi » n’a pas réussi à tordre par sa seule force physique les barres de métal qu’on lui présentait à cet effet,
c. ces barres, par contre, « se » sont tordues lorsqu’il s’est simplement concentré dessus,
d. conclusion : ces barres n’ont donc pu être tordues que par son pouvoir « psi ».
e. re-conclusion : M. Tordant n’est pas un tricheur. »

(P-E. Blanrue, in H. Broch, Au coeur de l’extraordinaire, Book-e-book.com 2001, ouv.cité, pp. 196-197).

L’argument de Dieu

Prémisse 1 : La Bible est la parole de Dieu
Prémisse 2 : La parole de Dieu ne peut pas mentir
Prémisse 3 : La parole de Dieu dit que Dieu existe
Conclusion : Donc Dieu existe

L’argument du Colonel Wilford

CorteX_Derek_Wilford

Le colonel Derek Wilford revient ici sur le rôle de ses hommes dans le massacre du Bogside, appelé aussi Bloody Sunday (Domhnach na Fola en irlandais) le 30 janvier 1972 en à Derry Irlande du Nord, lors duquel l’Armée britannique a réprimé sévèrement une marche pacifiste pour les droits civiques, faisant 14 morts et des dizaines de blessés. Extrait de l’émission du 25 janvier 2016 Affaires sensibles, sur France Inter.

(tiré de R. Monvoisin, Pour une didactique de l’esprit critique, 2007, téléchargeable ici).