Cours-conférences de Jean Bricmont : comprendre la science

Comprendre la science, par Jean Bricmont.
Les trois émissions de radio qui suivent sont des moments magistraux d’épistémologie. Elles ont été enregistrées et mises en ligne par l’Académie royale de Belgique. La diffusion de tels contenus n’étant pas l’apanage d’un droit régalien, nous nous permettons de vous les proposer ici.

 

 

CorteX_Jean_Bricmont« La science a toujours été au centre de débats et elle l’est encore aujourd’hui. Elle a bouleversé notre façon de comprendre l’univers et de nous comprendre nous-mêmes. Néanmoins, dans une bonne partie de la culture intellectuelle, la science est incomprise ou est vue avec suspicion. Elle suscite l’hostilité à la fois de courants religieux « fondamentalistes » et d’une intelligentsia relativiste ou postmoderne.

Le but de ce cours-conférence en trois leçons est de présenter et de défendre ce qu’on pourrait appeler une approche scientifique du monde. Au cours du XXe siècle, toute une série de philosophes, historiens et sociologues ont tenté de caractériser ce qui faisait la particularité de la démarche scientifique, par opposition à celle des religions ou des pseudosciences. Dans la première moitié du siècle, divers penseurs ont cherché à établir une ligne de démarcation entre science et non-science, en s’appuyant principalement, soit sur la notion de confirmation (les positivistes logiques), soit sur celle de falsifiabilité (Popper). À partir des années 1950-60, suite aux travaux de Quine, Kuhn, et Feyerabend, les critères de démarcation mis en avant précédemment ont été progressivement mis en question, pour déboucher parfois sur une vision purement sociologique et relativiste de la distinction entre science et non-science.

Un des objectifs poursuivis sera de distinguer ce qui est valide de ce qui ne l’est pas dans ces critiques « post-positivistes » de l’épistémologie de la première moitié du XXe siècle. Un autre objectif sera proposer une alternative à cette épistémologie ».

  • Cours N°1. Les notions de vérité et d’objectivité, le réalisme et l’idéalisme.

Écouter :

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  • Cours N°2. Comment déterminer dans les discours des sciences, des pseudo-sciences et des religions, ce qui est vrai ?

Écouter :

Télécharger ici. (66Mo)

  • Cours N°3. Que penser du déterminisme, du réductionnisme, ou du matérialisme ?

Écouter :

Télécharger là (54Mo)
Les références données par Jean sont :

Richard Monvoisin

 

Vulgarisation – Science & Vie, les airelles et le pipi

Un cas de vente de la peau de l’ours ?
Les médias de vulgarisation sont très prompts à vendre des résultats qu’ils n’ont pas encore obtenus, des découvertes qu’ils n’ont pas encore faites, et des espoirs qui se révèlent vite déçus. Nous appelons ça la technique de la peau de l’ours (voir ici).

Yves Mulet Marquis nous a envoyé ceci fin juillet 2011.

alt« En soutien à votre action contre le méusage de la science, je voudrais attirer votre attention sur un article de la revue Science et Vie N°1127 d’aout 2011, page 130.

« En quoi les airelles protègent-elles des infections urinaires ».

L’article, page 130 (cliquez ici), me semble très optimiste par rapport aux bienfaits supposés du jus de canneberge sur les infections urinaires. L’étude citée de Tero Kontiokari, datant de 2001 est contredite par de plus récentes. Contrairement à ce qui est affirmé dans l’article, l’avis cité de l’Afssa (Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé), publié en  2004, ne conseille pas la consommation du jus de canneberge. Il indique simplement à la Direction générale de la Concurrence de la Consommation et de la Repression des Fraudes que sur un plan légal l’allégation « contribue à diminuer la fixation de certaines bactéries E. coli sur les parois des voies urinaires » est acceptable uniquement pour le jus du fruit de la plante Vaccinum macrocorpon et la poudre de jus du fruit de cette plante au vu des études disponibles à cette date (voir le rapport).
En 2009 l »European safety authority » a conclu qu’il n’existait pas de preuve suffisante d’une relation de cause à effet entre la consommation de jus de canneberge et la réduction des infections urinaires (voir l’article). En 2011 le Département d’Epidémiologie de l’Université d’Ann Arbor dans le Michigan a conclu au terme d’une expérience en double aveugle que la consommation du  jus de canneberge n’entrainait aucune réduction des infections urinaires ». 
 
On pourrait se dire que pour se rendre compte de cette « peau d’ours », il faut être expert et lire d’atroces publications en anglais. Non, nous dit Yves Mulet Marquis, tous ces éléments étaient disponibles depuis avril 2011 dans la revue Science & pseudosciences sous la plume de Brigitte Axelrad dans l’article Le jus de canneberge perd son mystère.
Dès que nous aurons mis en ligne un scan de l’article de Science & Vie (vous avez ça sous le coude ? Envoyez-le nous) nous poserons directement la question de la qualité de cette information à la rédaction.
 
Tout complément d’analyse est bien entendu le bienvenu.
RM

Histoire – Peut-on critiquer le Métronome de Lorant Deutsch ?

Très instructives sont les oeuvres de fiction dans leur manière de traiter ou de maltraiter la connaissance scientifique. Nous sommes plutôt coutumiers de films ou de séries qui traitent de physique ou de chimie, mais l’OVNI historique qu’a représenté le Métronome de Lorant Deutsch mérite un regard critique appuyé. Dans sa propension à proposer une interprétation dévoyée de l’histoire, l’analyse du Métronome rejoint les critiques du Comité de Vigilance sur les Usages de l’Histoire, que nous faisons nôtre. Nous n’avons pas les compétences pour décortiquer scientifiquement le Métronome, mais en attendant une déconstruction analytique, nous souhaitons placer en contre-point de l’immense couverture médiatique du livre puis des documentaires cette critique lancé par l’élu Alexis Corbière, sur un plan historico-politique.

Peut-on critiquer le Métronome de Lorant Deutsch ? 

(…) Il est temps que sur ce blog je m’exprime clairement à propos du volumineux et inattendu « buzz » qui est né en fin de semaine, depuis que la nouvelle s’est répandue que j’allais proposer un vœu au Conseil de Paris de demain et après-demain à propos du livre de Lorant Deutsch, le « Métronome ». Par naïveté, je pensais que l’écho médiatique de nos batailles sociales pour les parisiens, et notamment notre opposition à la volonté de la majorité socialiste que désormais les personnes âgées payent la carte Emeraude (qui leur donnait droit à la gratuité des transports), serait plus important que ma volonté d’ouvrir un débat sur le contenu de cet ouvrage. J’ai eu tort. Mais du coup, j’étais parti en province quelques jours et dans l’incapacité d’écrire sur ce blog pour apporter quelques précisions. De nombreux journalistes m’ont appelé et c’est au téléphone que j’ai pu m’exprimer pour préciser mon propos. C’est avec amusement que j’ai découvert par la suite les titres de ces différents articles. Ils sont révélateurs. En voici quelques uns, en vrac : « Lorant Deutsch attaqué par les élus communistes » (ça, c’est le Figaro qui ne connaît pas le Front de Gauche et le PG manifestement). Pour un autre : « Les élus PCF-PG réclament la tête de Lorant Deutsch » (Bigre, ça sent la guillotine et le sang… ! ). Pour un autre encore nommé Médiatterranée : « L’auteur du Métronome dans le collimateur des élus communistes » (Ils ne connaissent toujours pas le Front de Gauche ? Et pourquoi ce mot de collimateur qui sous-entend que je souhaite abattre un homme ?). Etc.. Et puis, il y a aussi l’extrême droite qui se déchaîne. Sur des sites de Fédérations FN, on affirme à mon sujet « La Gôche n’aime pas l’histoire » et l’on défend Lorant Deutsch. Selon des sites d’extrême droite, déjà connus pour m’insulter et me calomnier sur ma vie privée, je ferai preuve d’un « Totalitarisme de gauche » en osant m’en prendre à M. Deutsch. Enfin, « Jeune Nation », le site du groupuscule de l’ultra droite antisémite, affirme : « Lorant Deustch et son Métronome donnent de l’urticaire à la gauche maçonnique parisienne » et se moque de notre initiative en termes abjects. J’arrête, la liste est encore longue.CorteX_vignette_Metronome

Je m’amuse et m’indigne à la fois de cette façon de prendre le débat. Il faut donc remettre à l’endroit ce qui semble à l’envers dans l’esprit de certains. Je ne demande pas l’interdiction du Métronome de Lorant Deustch. Ce serait ridicule, je serais de plus un bien mauvais censeur, ce livre est vendu depuis deux ans avec le succès que l’on sait. Non, non, et non, je ne réclame aucune censure. C’est même l’inverse. Je refuse par contre que l’espace public et médiatique soit saturé d’une certaine façon de raconter l’histoire qui donne la part belle aux monarques et affaiblit la laïcité. Je veux défendre la liberté de conscience et la démocratie en demandant que ce ne soit pas seulement les ouvrages mâtinés d’obscurantisme qui dominent le haut du pavé. Je veux que l’école publique laïque et républicaine ne soit pas le lieu dans lequel se transmettent les légendes portées depuis des siècles par l’Eglise catholique. Est-ce trop ? Est-ce possible de faire entendre ma voix ? M. Deutsch et son éditeur disposent d’une puissance de feu médiatique 10 000 fois supérieure à la mienne et l’on me montre du doigt en me dépeignant comme une brute épaisse car j’oserais critiquer le contenu de ce livre ? Prenons garde. Si des gens comme moi ne peuvent se faire entendre, ou sont systématiquement ridiculisés, c’est là que résidera la nouvelle censure. Place aux marchands de produits à connotation historique, de préférence portés par un comédien ou un présentateur TV,  et silence du côté de ceux qui veulent défendre une histoire basée sur des faits historiques réels et prenant en compte l’existence du peuple, et ses aspirations, et non seulement de quelques « héros » et monarques glorifiés à longueur de pages. Car le paradoxe de la situation est le suivant : nous vivons désormais dans une société marchande et médiatique où il n’est plus besoin d’interdire un livre pour qu’il soit censuré, c’est de façon plus sournoise que les choses se déroulent. Il suffit d’ultra médiatiser certains ouvrages et de taire l’existence d’autres pour que l’affaire soit réglée.  C’est là le cœur du problème. C’est là le sens de mon vœu déposé au Conseil de Paris et qui va être débattu sans doute mardi après midi.

En voici l’essentiel du contenu. Rappel des faits. En 2009, le comédien Lorant Deutsch a publié un livre « Métronome » proposant une histoire de Paris construite au gré de promenades suivant des stations du métro parisien. Cet ouvrage a rencontré un vif succès a été vendu à près de 2 millions d’exemplaires. Pour moi, cela traduit une volonté, tout à fait positive, de la part de beaucoup de personnes, et évidemment de parisiens, de mieux connaître l’histoire de notre ville.

En plus de son succès commercial, cet ouvrage a immédiatement bénéficié d’une forte promotion médiatique, d’un soutien de la part du service public qui a financé la production de quatre épisodes diffusés à la télévision (France 5) qui reprennent son contenu historique, animé et présenté par son auteur M. Lorant Deutsch. Ce dernier a même été invité dans des écoles parisiennes, où en présence des représentants du Rectorat et d’élus de la Ville de Paris, il a proposé des conférences basées sur ses travaux, à de jeunes élèves d’écoles élémentaires. Le 4 juin 2010, le Maire de Paris a remis la médaille Vermeil de la Ville de Paris à M. Deutsch pour lui assurer « la gratitude, l’admiration et les encouragements » de la Ville. A cette occasion, le Maire de Paris a qualifié son livre de « remarquable récit » et a assuré à M. Deutsch que « cette ville vous doit beaucoup ».

On ne peut rester indifférent à cette situation. La façon dont se transmet l’histoire de notre ville n’est pas une question secondaire. Elle a nécessairement des conséquences sur la perception qu’en ont et auront nos concitoyens . Il y a ici un problème majeur. Le Conseil de Paris doit savoir que l’ouvrage de M. Deutsch contient de très nombreuses erreurs, affabulations et inventions historiques flagrantes qui ont choqué beaucoup d’historiens spécialistes de l’histoire de notre Ville. Il propose en réalité une vision orientée, répondant à une lecture idéologique assumée, pétrie notamment des convictions religieuses de l’auteur, bien particulière de notre histoire commune. L’auteur, au cours d’un entretien a d’ailleurs affirmé : « L’idéologie ne doit pas être détruite au nom du fait scientifique ». Ainsi, il ne se cache pas d’être hostile à la République, particulièrement à la Révolution française et se dit nostalgique de la monarchie (cf. l’émission On n’est pas couché). Les révolutionnaires de l’an II sont systématiquement montrés comme destructeurs et méprisables. Il invente par exemple une scène où Maximilien Robespierre couperait des poils de la barbe du cadavre d’Henri IV. Cette scène imaginaire vise à moquer une des principales figures du jacobinisme. Il assure dans son épisode 1 diffusé sur France 5, sans recul, que si Biscornet, le serrurier et ferronnier du portail de Notre Dame de Paris a pu réaliser dans les délais demandés son œuvre : « sans aide surnaturelle, c’est impossible.. alors Biscornet signe un pacte avec la diable qui permet de l’aider en temps voulu, contre son âme.. ». Est-ce bien raisonnable de présenter les choses ainsi, dans des conditions où les parents pensent que leurs enfants peuvent se cultiver en regardant ces épisodes (et les choses sont écrites de façon quasi identique dans le bouquin ) ?  Et le livre est rempli d’exemples comparables. Il consacre généralement plusieurs pages à des légendes pures et simples (notamment celle de saint Denis, saint Marcel ou saint Martin relatées comme des faits quasi réels) mais oublie ou minimise des moments importants de l’histoire de Paris (la Commune de 1871, l’occupation, etc…).

Selon moi, le Conseil de Paris ne saurait cautionner sans commentaire ni mise en garde, une telle vision de notre histoire commune. Bien sûr, l’histoire appartient à tous et chacun peut écrire et publier ce qu’il veut. Mais, il convient notamment de préciser aux lecteurs et aux amoureux de Paris que l’ouvrage de M. Deutsch et son adaptation télévisée,  ne sont pas des outils pédagogiques qui peuvent être utilisés, sans recul ni critique, dans nos écoles. Actuellement, le site de la Ville de Paris fait encore la promotion de cet ouvrage apportant là une « caution » particulièrement valorisante.

C’est pourquoi, je demande :
–          que cesse la promotion acritique de la part de la Ville de Paris (sur son site, dans les écoles parisiennes, etc…) de l’ouvrage de M. Lorant Deutsch

–          que les associations d’historiens faisant la promotion d’une éducation populaire de l’histoire de la Ville de Paris soient sollicitées pour promouvoir une histoire de Paris conforme à la réalité historique

–          qu’un débat public soit proposé et organisé entre M. Lorant Deutsch et des historiens sur l’histoire de Paris

–          que des outils pédagogiques « grand public » (DVD, brochure…) proposant une découverte de notre capitale soient encouragés et réalisés avec l’aide de la Ville de Paris.

Voilà donc, ce que je demande au Conseil de Paris. J’ignore encore les conditions dans lesquelles tout ceci sera débattu dans les jours qui viennent. J’en ferai état sur ce blog. Je précise une dernière chose. Je suis un homme de gauche, engagé dans le débat public. Mais, cette « polémique » n’est pas d’ordre privée entre M. Lorant Deutsch et moi sous prétexte qu’il ne partage pas mes opinions politiques. Il existe , selon moi, des historiens de droite et monarchistes tout à fait rigoureux et dignes de foi. Je sais tout cela. De grâce, que l’on ne caricature pas ce que je veux faire entendre avec d’autres. Je suis surtout la voix dans cette affaire d’historiens et d’associations d’historiens qui essayent de se faire entendre depuis des mois, en vain. Je pense ici aux associations d’Education populaire Goliards animé par M. William Blanc et aussi Histoire pour tous. Que l’on soit d’accord ou pas avec les critiques que nous portons, ils veulent, et moi avec eux, d’abord une chose : que le débat soit possible et qu’il soit à armes égales La façon dont se transmet l’histoire d’une Nation est un enjeu majeur. Ne laissons pas cela entre les mains des marchands et des nostalgiques de l’Ancien régime. Débat d’apparence mineur aujourd’hui, c’est pourtant de l’avenir de la République qu’il s’agit. Que chacun y réfléchisse.

Alexis Corbière

Vous êtes compétent-e pour faire une critique du Métronome ? Nos pages vous sont ouvertes. Contactez-nous.

Biologie – Livre Les jeux de l’amour, du hasard et de la mort, de Paul Galand

A paru en 2011, aux éditions Racine, Les jeux de l’amour, du hasard et de la mort. Comprement animal et évolution sous la plume alerte de Paul Galand de l’Université Libre de Bruxelles, docteur en sciences zoologiques et agrégé d’université.

 

Je viens de le lire, que dis-je, de le dévorer. Farci d’exemples aussi truculents que roucoulants, avec des anecdotes qui font exploser de rire toutes les dix pages, Paul Galand introduit avec finesse les processus évolutifs, circonscrits les erreurs classiques, illustre les mécanismes de tamis des comportements du vivant avec les exemples les plus invraisemblables qui soient, certains sordides à souhait.

Partant des gamètes, de la semence, des ovulations, P. Galand explore les différentes « manières » que les espèces ont « développées » pour « assurer » leur descendance – ou que leur génome respectif, pourrait-on dire, a « emprunté » pour « assurer » sa propre reproduction.

Version sans guillemets (et sans téléologisme)  : P. Galand explore les différents résultats des processus évolutifs qui ont donné lieu à des espèces relativement stables et encore en vie.

Avec prudence, il balise les termes de « leurre », « ruse », « stratégie » ou « intention », évitant ainsi la chausse-trappe d’un dessein « intelligent » dans des mécanismes qui n’en ont pas du tout besoin. Hormis le rôle du sourire du bébé, il n’y a par contre pas d’introduction vers les mécanismes purement humains, ou vers de la mémétique (1) introductive, et ça m’a un peu manqué.

C’est un livre qui n’est pas un bouquin de spécialiste, mais qui nécessite une lecture relativement attentive. Je l’ai dévoré. Il y a un cahier photos en couleurs dedans.

17  x 24 cm
320 pages  € 22,50
Éditions Racine : écrire à sandrine.thys@racine.be ou au 02/646 44 44.

Richard Monvoisin

(1) La mémétique est une discipline qui se propose d’utiliser le concept d’objet culturel, le mème, pour faire une lecture évolutive darwinienne de la culture

Biologie, épistémologie – Guillaume Lecointre, des sciences très sollicitées

Des sciences très sollicitées

L’évolution biologique est rarement bien enseignée dans les écoles publiques de par le monde, quand elle l’est. Il est vrai qu’il est difficile de parler d’un phénomène qui échappe à nos sens, et dont les changements qu’il produit sur les êtres vivants sont dépourvus de toute notion de destin : rien n’est écrit à l’avance. Rien de plus difficile pour notre psychologie et notre grammaire, habituées à se penser dans une finalité. Mais surtout, l’évolution biologique contient ce que les sciences ont à dire sur l’origine des êtres vivants, de l’homme et de ses sociétés. Or, ce terrain-là est déjà largement investi, hors des laboratoires et des écoles publiques, par d’autres modalités d’affirmations sur le monde, dont certaines n’entendent pas laisser aux sciences leur autonomie dans la validation des savoirs.

CorteX_science_vs_creationismOn ne s’attardera pas sur les créationnismes « négationniste » et « mimétique ». Ils se fondent sur le récit de la création de l’univers dans les grands textes monothéistes, pris de façon littérale. Les contradictions qui en résultent provoquent une négation des résultats des sciences dans le premier cas, ou bien une « science créationniste » qui établit les prétendues preuves de la vérité littérale du texte dans le second cas. Le premier est notamment représenté par Harun Yahya, pseudonyme de M. Adnan Oktar, homme d’affaires et d’influence turc, qui distribua en janvier 2007 dans toute l’Europe son Atlas de la Création, (auto-édité, Global Publishing) y compris dans les établissements scolaires et laboratoires français. En janvier 2012, via Harun Yahya France, il organisait à Paris, à Rouen et à Évry, une série de conférences : « L’impasse moléculaire de la théorie de l’évolution » « l’effondrement de la théorie de l’évolution »…

Mais il existe une autre stratégie, plus fine, celle d’un créationnisme « normatif » qui entend redéfinir les sciences de l’extérieur, et faire accepter comme scientifique le recours à la Providence. Ce sera le propos de l’ « Intelligent Design », le dessein intelligent. Il n’y a plus de référence aux textes sacrés, mais un « constat »: « L’existence et le développement sur terre requièrent tellement de variables qu’il est impossible qu’ils se soient ajustés par des évènements aléatoires et non-coordonnés »[2]. En d’autres termes, certaines caractéristiques du vivant seraient mieux expliquées par une cause intelligente, que par des processus de variation-sélection. Ce dessein intelligent, développé aux États-Unis par le Discovery Institute, un think tank conservateur chrétien, n’est autre que la théologie naturelle déguisée en science.

Enfin, il existe un spiritualisme englobant, qui n’est pas un créationnisme au sens étroit, mais qui tente de mobiliser la communauté professionnelle des chercheurs dans une « quête de sens », en créant une confusion entre ce que ces derniers peuvent dire individuellement, et ce qu’ils sont habilités à dire en tant que membres de la communauté scientifique. En France, c’est l’Université interdisciplinaire de Paris (UIP) qui agit en ce sens, financée notamment par l’organisation américaine John Templeton Foundation du nom de son fondateur, milliardaire philanthrope et presbytérien (1912-2008). Ce dernier considérait que « Dieu se révèle de plus en plus (…) à travers la recherche étonnamment productive des scientifiques modernes », et que « les révélations scientifiques peuvent être une mine d’or pour revivifier la religion au XXIe siècle ». Sa Fondation se donne pour objectif d’encourager « le dialogue civil, informé, entre scientifiques, philosophes et théologiens » [3]; elle se fait de plus en plus incolore afin de souscrire aux critères de la recevabilité académique. La formule fonctionne : pour son colloque des 5 et 6 décembre 2012, l’UIP affiche sa collaboration avec l’Université Paris V.

L’offensive se joue aussi sur le plan politique. Depuis 2003, c’est l’intelligent design que les enfants turcs reçoivent en guise de cours de biologie [4]. En 2004, la ministre italienne de l’éducation nationale et son homologue serbe s’opposent à l’enseignement de l’évolution biologique dans les écoles. En 2006, la ministre néerlandaise propose un référendum sur la question de l’enseignement à l’école publique du « dessein intelligent ». En 2012, l’État américain du Tennessee est le deuxième, après la Louisiane, à autoriser les enseignants à proposer des substituts ou des contre-arguments à l’évolution darwinienne, afin de permettre à l’élève de juger « de manière efficace des forces et des faiblesses des théories scientifiques existantes ». Quatre autres États (Indiana, Missouri, New Hampshire, Oklahoma) examinent des projets de lois comparables.

Si les sciences de l’évolution suscitent tant d’hostilité, alors même que, sans elles, il n’est pas de sélection en agronomie, de lutte contre les agents pathogènes en médecine, de sauvegarde pérenne de la biodiversité, c’est qu’elles semblent interférer avec le domaine des croyances. Il appartient alors aux scientifiques d’expliquer leur « contrat » méthodologique, afin d’inviter leurs concitoyens à ne pas se tromper sur son périmètre de légitimité, de faire comprendre la distinction entre croire et savoir. Surtout, il leur appartient d’expliquer en quoi ces méthodes ne sont pas collectivement mues par une volonté de conforter ou de contredire une croyance particulière. L’articulation entre croyance et savoir est l’affaire de chacun, et les scientifiques ne sont pas des prescripteurs, collectivement, de cette articulation.

CorteX-Flat_Earth_GeographyOr, les créationnismes et spiritualismes cités ont tous un point commun, leur ignorance, réelle ou feinte, de la nature et du périmètre de légitimité de la démarche et du discours scientifiques : ce que les sciences disent, comment elles le disent, ce qu’elles ne disent pas. Quand l’UIP somme les chercheurs de réfléchir aux « conséquences métaphysiques » de leurs découvertes (Le Monde, 23 février 2006) et affirme qu’« un créateur ne peut être exclu du champ de la science », (Le Monde, 2 septembre 2006), elle « oublie » que le propre des sciences n’est jamais de dire ce qu’il faut « croire », mais de démontrer ce qu’il n’est logiquement plus possible de croire. Mais surtout, elle omet de dire si les scientifiques sont appelés à se prononcer sur ces questions à titre individuel, ou à titre collectif. La confusion entraîne le métier de scientifique d’aujourd’hui au delà de sa légitimité. Il s’agit bien là d’une forme de scientisme déguisé. En organisant la confusion entre la quête spirituelle individuelle et le contrat collectif d’une profession, ces offensives peuvent avoir pour effet, à terme, de faire perdre l’autonomie des scientifiques dans la validation des savoirs. En effet, si la profession se voyait collectivement animée d’un agenda métaphysique, il lui faudrait s’attendre à se voir imposé ce qu’il serait conforme de trouver. L’universalisme des connaissances raisonnées, qui tient aujourd’hui précisément à une abstention métaphysique, ne serait plus possible et l’on assisterait à une communautarisation des savoirs.

Il est donc nécessaire d’expliciter le but des sciences et les attendus méthodologiques tacites d’une démarche scientifique, ce qu’on attend de nos doctorants sans le leur dire – le contrat méthodologique, en quelque sorte. Le rôle des sciences, en tant qu’entreprise intellectuelle collective, est de fournir des explications rationnellement justifiées du monde réel à partir d’expériences testables, reproductibles, validées par des observateurs indépendants. L’« expérience » doit être prise au sens large, incluant le produit des enquêtes et les démonstrations mathématiques. Ces attendus sont le scepticisme initial sur les faits – toute question relative à des faits peut être légitimement posée et la réponse n’est pas requise à l’avance ; la rationalité – le scientifique doit être logique et suivre un principe d’économie d’hypothèse; le réalisme de principe – il vise à une connaissance objective, c’est-à-dire qu’il souhaite que d’autres puissent corroborer ses affirmations en les vérifiant dans le monde réel ; ce qui signifie que le monde réel existe indépendamment de soi et de ce qu’on en dit, et qu’il se manifestera à un collègue inconnu comme il s’est manifesté à un autre chercheur ; le matérialisme méthodologique – la vérification expérimentale n’est possible que sur ce qui est matériel ou d’origine matérielle. Dit autrement, les sciences ne savent travailler qu’avec ce qui est matière ou propriétés émergentes de celle-ci. Ce matérialisme-là n’est pas un point de vue philosophique : il affirme seulement mais pleinement que la science ne travaille pas avec des entités à la fois déclarées immatérielles et agissant sur le monde réel.

S’agit-il là d’une vision angélique ? D’un mythe ? Non, d’un contrat minimal sans lequel un doctorant n’aurait pas sa thèse, socle commun auquel peuvent s’ajouter des spécificités disciplinaires. Certes, le scientifique peut avoir ses options personnelles, et même des sources d’inspiration mystiques, mais la validation des savoirs relève du collectif : sur le long terme, une connaissance ne se stabilise que si la reproduction d’expériences a dépassé et, en quelque sorte, dissout les dérapages individuels du savant qui aurait oublié de laisser ses opinions au vestiaire en entrant dans le laboratoire. L’espace collectif d’élaboration des savoirs est donc laïque de fait, et travaille sur le long terme. C’est en enseignant explicitement ce contrat de scientificité qu’on se donnera les chances de garantir un socle factuel commun à tous les futurs citoyens, sans lequel on ne construit pas une république qui met la Raison au cœur du vivre ensemble. L’enjeu n’est pas seulement celui de l’autonomie des sciences, il est aussi et surtout à l’école publique.

Faut-il dialoguer avec les créationnistes ? Bien entendu. Mais les scientifiques ne doivent pas offrir le bénéfice de communication que les créationnistes attendent d’un « plateau commun » avec un scientifique du milieu académique devant le grand public. Les créationnistes tireront toujours avantage d’un tel dialogue, parce le scientifique laissera malgré lui entendre au public que son interlocuteur est susceptible de jouer le même jeu que lui. Or, on peut démontrer que toutes les formes du créationnisme moderne commettent des entorses multiples aux termes du contrat tacite énoncé plus haut. C’est au philosophe, au théologien, et à l’élu politique de dialoguer avec les créationnistes. Mais alors, que doivent faire les scientifiques ?

Aux scientifiques du milieu académique, dont le salaire est financé avec de l’argent public pour produire précisément de la connaissance objective et la restituer vers leurs concitoyens, l’État demande d’être garants de la fiabilité des résultats collectivement acquis-tant qu’il y aura un État redistributeur de richesses, richesses culturelles comprises (et comme dirait Chomsky, mieux vaut les grilles de l’état que les fauves qui tournent autour). A eux de signaler les contrefaçons, et de populariser les règles du jeu qui fondent le contrat entre connaissance et science.

Guillaume Lecointre

Cet article sera publié dans le n° 621 des Cahiers rationalistes, à paraître en janvier-février 2013.

[1] Les Sciences face aux créationnismes. Ré-expliciter le contrat méthodologique des chercheurs Coll. Sciences en questions, Quae, Versailles, 2012. Guide critique de l’évolution, Belin, Paris, 2009.

[2] Qu’est-ce que la Théorie du Dessein Intelligent ? (Got questions, réponses théologiques).http://www.gotquestions.org/Francais/dessein-intelligent.html

[3] Voir le site www.templeton.org et aussi Cyrille Beaudouin,Olivier Brosseau, Cette étrange FondationTempleton, La Recherche Hors Série n°4 « Dieu et la Science »,avril 2012.

[4] Somel Mehmet, Somel Rahsan Nazli Ozturkler, Kence Aykut (2007), Turks fighting back against anti-evolution forces, Nature 445 (7124)

Pédagogie – Atelier zététique et esprit critique en AP en seconde

Julien Peccoud, professeur de Sciences de la Vie et de la Terre en Isère, réalise un fort sympathique matériel pédagogique. Non seulement il partage son expérience, ses réussites mais également ses erreurs et ses doutes, dans un atelier zététique et esprit critique réalisé en séance d’Accompagnement Personnalisé (AP) de seconde. De quoi faire évoluer certaines pratiques mais aussi le cadre éducatif assez restreint dans lequel elles s’inscrivent… suscitant une forte envie de pousser les murs.

Contexte

CorteX_gamin_critique

L’accompagnement personnalisé (AP) est entré en vigueur avec la réforme des lycées à la rentrée 2010. Le but de l’AP est assez large, allant du soutien à l’approfondissement en passant par l’orientation. L’organisation de l’AP est laissée à l’appréciation de l’équipe éducative du lycée (autonomie des établissements). Beaucoup de choix sont possibles et on peut remarquer une grande variabilité entre les établissements.

L’AP est maintenant arrivé en terminale avec la réforme montante mais les objectifs ne sont pas les mêmes dans les trois niveaux de lycée. En seconde, ces heures peuvent être utilisées pour encourager l’ouverture interdisciplinaire, pour développer des « projets » ou pour revenir sur les méthodes de travail liées aux exigences spécifiques du lycée. En première et terminale, on y transmet plutôt du contenu disciplinaire dans l’objectif du bac.

Voilà pour la vision officielle de l’AP…

… Cependant, la réalité est tout autre car l’AP n’a rien de « personnalisé » et pose des difficultés dans la motivation des élèves. En effet, ce n’est pas un enseignement sanctionné par une évaluation (continue ou finale). De ce fait, et c’est bien dommage, les élèves ne s’investissent que très peu et prennent ces séances comme de la garderie. Force est de constater que la motivation est souvent liée à la perspective d’une notation, il parait ainsi difficile de faire sortir les élèves de ce comportement stéréotypé. De plus, étant donné le peu de moyens horaires venant des rectorats, cet « enseignement » se fait généralement en groupe trop chargé pour prétendre à un caractère « personnalisé ». Dans mon lycée on tourne autour de 15 à 20 élèves.

Il faut en fait entendre le terme de « personnalisé » comme un choix laissé à l’élève (de la belle novlangue démagogique soit dit en passant). Des « cycles » d’AP sont mis dans un « menu » dans lequel les élèves de plusieurs classes vont choisir. Étant donné qu’il faut proposer tout un panel de disciplines et/ou d’activités, ce sont des élèves de plusieurs classes qui se regroupent dans un cycle d’AP proposé par un enseignant. Dans mon lycée, ce sont des « barrettes » de trois ou quatre classes (c’est-à-dire en parallèle) qui sont mises en place avec cinq ou six enseignant·e·s à charge, ce qui fait bien 15 à 20 élèves par groupe d’AP.

Cela pose au moins trois problèmes :

  • la place dans chaque cycle – Le nombre de places étant limité dans chaque AP, certains élèves se retrouvent dans un cycle qu’ils·elles n’ont pas choisi. Cela diminue encore la motivation et l’intérêt pour ce type de séances.
  • la relation avec l’enseignant·e – Il est très fréquent que les personnes intervenant en AP ne soient pas des enseignant·e·s des disciplines de la classe étant donné que les élèves proviennent de plusieurs classes. Cet éloignement rend d’autant plus difficiles l’accroche et l’emprise sur les élèves.
  • l’hétérogénéité du groupe – Toutes les six semaines les élèves se retrouvent dans un groupe de travail nouveau et on sait qu’une ambiance de groupe met du temps à se mettre en place. Ajouté à cela que les sorties scolaires et autres évènements liés à une classe ne vont impliquer qu’une partie des élèves, on arrive aussi à une hétérogénéité temporelle lors d’un cycle d’AP. Cela a une influence sur le rythme général.

Déroulement des cycles d’AP zététique

Dans mon établissement, nous faisons des cycle d’AP d’environ 6 semaines soit 6 fois une heure.

J’ai réalisé deux cycles successifs. Ils ont été répartis de cette manière :

Séance 1 : présentation de la zététique et annonce des consignes de travail.

Séance 2 : choix des sujets par les élèves et début du travail de recherche.

Séance 3 : travail en binôme sur les sujets (analyse du sujet, recherche documentaire).

Séance 4 : présentation et mise au point sur la démarche scientifique : comment mettre en place une bonne expérimentation. Suite du travail des élèves.

Séance 5 : suite du travail.

Séance 6 : présentation orale des différents groupes (5 minutes par groupe).

Séance 1

  • J’ai réalisé un petit topo pour expliquer ce qu’est la zététique et ce sur quoi nous allons travailler en insistant sur la démarche d’investigation. Les élèves devaient par eux·elles-mêmes analyser un fait paranormal, pseudoscientifique ou autre. J’ai essayé de cerner trois champs de travail : le paranormal, les pseudosciences / médecines dites alternatives et les sciences dans les médias.
  • Par la suite je leur ai donné quelques outils simples (erreurs de logiques, attaques, travestissements).
  • Je leur ai enfin donné des propositions de thèmes et de sujets en laissant la liberté d’en traiter d’autres.

Les consignes étaient les suivantes :

Renseignez-vous sur le sujet choisi de manière à pouvoir le décrire et le faire comprendre lors de votre exposé oral (par exemple : « d’où provient cette croyance/pseudoscience ? Quelles sont les bases scientifiques invoquées … »).

Mettre en place un protocole expérimental afin de tester si le sujet d’étude est scientifiquement valide ou non.

Selon moi, cette séance se passe assez bien car les élèves sont assez interloqué·e·s par le sujet qui sort un peu de l’ordinaire par rapport à leurs enseignements habituels. Les questions fusent, les remarques aussi. La présentation des erreurs de logiques les intéressent. Elle est propice à une introspection (« ah mais c’est vrai, je le dis tout le temps ça! »).

Séance 2 et 3

Les élèves ont mis beaucoup de temps à choisir leur sujet et certains groupes n’ont même pas réussi à se mettre au travail sur un thème. Ils·elles naviguent entre les propositions que je leur ai données et regardent les documents (vidéos) liés à tous les sujets. Cela a fait perdre beaucoup de temps et surtout beaucoup d’investissement de la part des élèves.

Séance 4

Je fais un petit rappel sur la démarche scientifique et la mise en place de protocoles expérimentaux.

Poser un problème (réduire le sujet traité à un seul paramètre d’étude) > Hypothèse > Expérimentation > Traitement les résultats > Conclusion.

Pour l’expérimentation, j’ai rappelé la notion de témoin et de facteur variant (un seul facteur doit varier entre le témoin et le test). Explication rapide du double aveugle et de l’effet placebo. N’ayant que peu de temps, je n’ai pas abordé le sujet de la randomisation. J’insiste bien sur le fait qu’ils·elles ont peu de temps et que le but n’est pas de mettre en place une expérience mais de seulement proposer un protocole expérimental. Pour les groupes ayant choisi un sujet plus sociologique (médias et sciences par exemple) j’insiste sur la consigne : décortiquer le sujet en utilisant les outils mis à leur disposition en début de cycle.

Les élèves se remettent sur leur sujet.

Séance 5

Des groupes n’arrivent pas à élaborer un protocole ou même à cerner un paramètre à étudier. D’autres ne travaillent pas vraiment, naviguant sur Internet et s’éloignant largement du sujet.

Un groupe commence à regarder des vidéos de catalepsie. En discutant avec elles, je me rends compte d’une résistance assez forte face à la croyance : elles ne sont pas en mesure de trouver comment tester cela. Leur argument : « mais il nous faudrait un hypnotiseur et on n’en a pas ! ». J’ai fait des pieds et des mains pour les amener à se dire qu’elles pourraient le tester elles-mêmes, mais sans réussite. Au final, j’ai dû leur dire qu’elles devaient essayer mais là encore, elles restaient persuadées que c’était vraiment le fait d’un hypnotiseur. On a essayé entre deux tabourets dans la salle avec en prime une autre élève montant sur la non-hypnotisée pour rajouter du poids : c’était parfait ! A partir de ce déclencheur, elles ont pu analyser une vidéo d’un hypnotiseur, traiter de la mise en scène, de la position et des forces mises en jeu.

Séance 6

Étant donné la vitesse de travail des élèves, peu ont pu présenter leur travail à l’oral (3 ou 4 tout au plus).

Problèmes rencontrés et remédiation

CorteX_levitation_enflammee

Dans l’ensemble, je dirai que ces deux cycles d’AP se sont moyennement bien passé. Une bonne moitié des élèves étaient peu impliqués avec cependant quelques binômes ayant fourni un bon travail méthodologique.

Le temps imparti

Le temps imparti (six heures) est trop court pour un tel travail de déconstruction sur un sujet de zététique. La présentation, les concepts et l’outillage laissent peu de temps pour le travail des élèves. De plus, si on veut faire une séance de présentation finale il ne reste que 3h30 de travail effectif.

Je ne vois que peu de solutions à ce niveau car la durée du cycle dépend de l’organisation interne de l’établissement. On pourrait tout de même imaginer de raccourcir l’introduction, tout en préservant le côté stimulant, pour pouvoir passer directement au choix des sujets. En ce qui concerne la présentation de l’outillage, il serait peut-être judicieux de cibler avec chacun des groupes les outils dont il a besoin pour mener à bien son enquête.

Le type et le nombre de sujets

J’ai voulu laisser un large choix de sujets aux élèves mais ils·elles se sont perdus dans les méandres des thèmes. Il faudrait mieux cerner quelques sujets et donner le moins de choix possible aux élèves.

Les consignes

Beaucoup d’élèves ne semblaient pas comprendre le but du cycle. Les consignes devaient être trop larges mais j’avais en tête de développer l’autonomie. Il faudrait proposer des thèmes plus simples et avec une consigne plus précise. On perdrait en autonomie mais on gagnerait en temps. Il faut garder en tête que ce n’est qu’une introduction à la zététique et il ne serait pas vraiment gênant de donner plus d’aide et d’orienter leur travail.

La motivation pour le cycle d’AP

Ce problème est inhérent à la structure de l’AP et je ne sais pas comment y remédier. Beaucoup d’élèves ont atterri dans ce cycle sans l’avoir choisi. Peut-être aurait-il fallu faire des groupes de travail plus grands (trois ou quatre élèves), bien que cela augmente le risque de distraction et de bavardage et que certains élèves en profitent pour se reposer sur d’autres. Cependant, dans ce cas, il est possible qu’un groupe de travail de quatre soit bénéfique pour la motivation dans le cadre de l’AP.

En conclusion

Faire de la zététique en AP semble assez difficile au premier abord mais peut-être faut-il penser cela de manière plus simple. Cela pourrait être l’occasion de se centrer sur la démarche scientifique et de mettre de côté certains thèmes comme les médias ou le paranormal dans un premier temps. Ou bien on pourrait imaginer plusieurs cycles d’AP recouvrant de la zététique et de l’esprit critique afin de moins s’éparpiller :

  • Cycle zététique et critique de la science dans les médias

Outillage présenté : techniques de manipulations et de marketing, appel aux émotions.

Consignes : déconstruire des articles dits scientifiques, analyser la présentation de certains produits du commerce mettant en avant leur caractère scientifique.

  • Cycle zététique et pseudosciences/medecines dites alternatives

Outillage présenté : méthodologie scientifique, principes de base en statistique.

Consignes : proposer un protocole expérimental dans le but de tester la véracité d’une pseudoscience ou d’une médecine dite alternative.

  • Cycle zététique et paranormal :

Outillage présenté : erreurs de logique, psychologie et biais cognitifs, psychologie sociale, rasoir d’Ockham et compagnie.

Consignes : faire des recherches sur un événement relevant du paranormal. Grâce à l’outillage mis à votre disposition, recherchez les origines historiques et sociales de cette croyance. Tentez de donner une explication rationnelle de cet évènement.

Pour élargir un peu, d’autres espaces sont utilisables au lycée pour faire de la zététique et de l’esprit critique :

  • Les enseignements d’exploration en seconde visent l’interdisciplinarité. Par exemple en sciences, c’est MPS (Méthodes et Pratiques Scientifiques) en collaboration avec les SVT (Sciences de la Vie et de la Terre), les SPC (Sciences Physiques et Chimiques) et les mathématiques. A coups de 1h30 par semaine sur la totalité de l’année il est possible de développer quelque chose de plus abouti. Cependant, les thèmes nationaux sont imposés et il faudrait passer outre.
  • Enfin, le meilleur endroit, selon moi, pour faire de la zététique semble être les TPE (Travaux Personnels Encadrés) se déroulant en classe de première, sur la moitié de l’année, deux heures par semaine, et sanctionnés d’une évaluation finale comptant pour le bac. Dans ce cadre, les élèves sont plus motivé·e·s (pour différentes raisons allant de la notation au fait qu’ils·elles sont dans leur filière « de choix »). Ici aussi deux ou trois enseignant·e·s interviennent ce qui permet, pour ce qui est des sciences, de faire appel à la physique, chimie, biologie, géologie et aux mathématiques. En TPE de sciences les élèves sont largement encouragés à faire des expériences et doivent aboutir à une production finale et présenter une soutenance ce qui entraîne forcément plus d’implication personnelle : c’est souvent l’occasion de voir un bel engouement collectif.
Julien Peccoud, novembre 2012

Annexe 1 – recueil d’erreurs de raisonnement et sophismes argumentatifs

À télécharger ici.

Annexe 2 – sujets proposés

Sujet Description et consigne proposée Documents de départ

Si c’était à refaire, ce que je changerai

1 L’acupuncture

Critiquez l’article, pour cela vous devez vous documenter sur l’acupuncture et utiliser la démarche expérimentale.

Un mystère de l’acupuncture expliqué par la science, Le Figaro, 31 mai 2010.

Consigne – Faire une analyse critique de l’article. Pour cela vous devez vous documenter sur l’acupuncture et utiliser la démarche expérimentale.

Le sujet est peut-être complexe pour des secondes. A supprimer ?

2 Le triangle de la burle

Le triangle de la Burle est décrit comme étant le « triangle des bermudes français ».

Le triangle de la Burle, Les 30 histoires les plus mystérieuses (2010)

Le triangle de la Burle, André Douzet

 
3 Les effets de la lune sur la pousse des cheveux et sur les naissances

La lune aurait un effet sur la vitesse de pousse des cheveux et des poils ainsi que sur les naissances (il y aurait plus de naissances les jours de pleine lune)

 

Consigne – Des croyances répandues prétendent qu’il y aurait un effet de la lune sur le monde biologique (vitesse de pousse des cheveux, plus de naissances ou de crimes les jours de pleine lune…)

Il faudrait donner des chiffres et des statistiques que les élèves pourraient traiter.

4 Les effets de la lune sur la production végétale La lune aurait des effets sur la croissance des végétaux dans un potager.

Jardiner avec la Lune, Le potager facile

Consigne – Des croyances répandues prétendent qu’il y aurait des effets sur la croissance des végétaux dans un potager. Comment pourrait-on tester cela ?

5 Les effets de la lune sur le sommeil.

On dit que l’orientation de notre lit a une influence sur le sommeil. Comment vérifier cela expérimentalement.

 

Consigne – On dit que l’orientation de notre lit a une influence sur le sommeil. Proposez un protocole pour tester cette affirmation.

6 Le hoquet et les techniques pour l’arrêter

Il y a un grand nombre de techniques supposées arrêter le hoquet. Quand est-il ? Sur quoi se basent-elles ?

 

Consigne – Il y a un grand nombre de techniques supposées arrêter le hoquet. Ont-elles fait la preuve de leur efficacité ?

7 La combustion humaine « spontanée »

Des observations montreraient que certaines personnes auraient brûlé spontanément, sans causes externes. Peut-on douter de cela ?

La combustion humaine spontanée, Secret Base

Consigne – Existe-t-il des explications rationnelles à ce phénomène ?

8 La graphologie

Utilisée pour analyser des CV et des lettres de motivation, cette technique permettrait de tracer le profil psychologique par l’étude de l’écriture. Proposez une expérimentation afin de tester cette pseudoscience

 

Consigne – Proposez une expérimentation afin de tester l’efficacité le cette méthode.

Il faudrait mettre à disposition des élèves du matériel sur cela (méthode de graphologie ou autre…)

9 La radiesthésie : les sourciers

Grâce à un bâton, des personnes possédant un « pouvoir » pourraient trouver de l’eau à l’aveugle. Comment pourrait-on vérifier cela expérimentalement ?

 

Consigne – Proposez un protocole expérimental afin de tester l’existence de ce sois-disant pouvoir.

10 L’astrologie L’astrologie est-elle scientifique ?

 

Proposer et mettre en place un protocole permettant de tester la véracité des profils astrologiques.

Signes astrologiques, Astrologie pour tous.

 
11 Les coupeurs de feu (ou barreurs de feu)    

Supprimer ce sujet car trop compliqué pour mettre en place un protocole.

12 L’effet de l’accélération de Coriolis dans un évier

L’eau s’écoulerait de l’évier dans un sens en hémisphère sud et dans le sens inverse en hémisphère nord.

Doc 1  Doc 2  Doc 3    Doc 4

Consigne – L’eau d’un évier s’écoule-t-elle vraiment dans un sens en hémisphère sud et dans l’autre sens en hémisphère nord ?

13 L’hydrocution

Se documenter sur ce phénomène et trouver un protocole pouvant prouver sa véracité

 

Supprimer ce sujet car un protocole est difficilement possible

14 L’homéopathie

Sur quoi se base l’homéopathie ? Imaginez un protocole pour tester cette méthode pharmaceutique.

 

C’est un sujet vaste et complexe. Peut-être est-ce plus simple de se limiter à de la recherche documentaire sur le sujet et laisser tomber la mise en place d’un protocole ?

15 L’acupuncture

Proposer un protocole permettant de tester l’efficacité de l’acupuncture. Pour cela vous devrez vous renseigner sur le procédé et isoler un facteur à tester.

 

Sujet à fusionner avec le premier.

16 Les magnétiseurs

Certaines personnes en font leur profession. Ils prétendent soigner en manipulant et en influant sur nos « énergies » corporelles. Comment tester ce phénomène c’est à dire la capacité à ressentir et manipuler ces énergies que l’on n’ a jamais mesurées ?

   
Autres matériels d’étude ne permettant pas d’expérimenter mais permettant de s’entraîner à la critique
17 Critiques de l’odyssée de l’espèce

Les images et la scénarisation peuvent être trompeuses. Critiquez ces extraits de ce fameux documentaire.

Extrait L’odyssée de l’espèce, Jacques Malaterre (2002)

 
18 Les stéréotypes

Les femmes peuvent faire plusieurs choses en même temps et pas les hommes ; les dyslexiques sont plus intelligents et bien d’autres affirmations de la sorte …. Les stéréotypes sont courants dans la société mais ils ont de multiples origines. Comment les distinguer et les déjouer ?

 

Supprimer les stéréotypes faisant intervenir des notions complexes à définir et donc à mesurer (par exemple l’inteligence). Trouver d’autres stéréotypes simples.

Consigne – Ces affirmations sont-elles étayées scientifiquement ?

19 L’homme et le singe ont-ils un ancêtre commun ?

Nécessite une connaissance dans l’évolution et ses mécanismes … Documentez-vous.

 

Changer pour : l’Homme descend-il du singe ?

Consigne – Cette affirmation souvent entendue est-elle valide scientifiquement ?

20 Les crèmes cosmétiques

Faire une analyse critique de produits cosmétiques à partir de leurs compositions et des arguments publicitaires.

Doc 1 Doc 2 Doc 3  
21 Utilise-t-on 10% de notre cerveau ?    

Sujet à supprimer. C’est trop flou.

Evolution & créationnisme – Le plus grand spectacle du monde par R.Dawkins

La théorie de l’évolution est une théorie scientifique nous dit-on. Soit. Mais sur quelles preuves se base-t-elle ? Qu’est-ce qui permet de dire qu’elle est plus vraie que fausse ? Comment répondre aux différentes attaques créationnistes (des plus radicales aux plus insidieuses) ? Sur quels exemples s’appuyer lorsque l’on est amené à présenter des faits solides et explicites ? Voilà l’ambition du biologiste Richard Dawkins en publiant Le plus grand spectacle du monde.

Pourquoi ce livre ?

J’avais besoin, je pense, de trouver des réponses simples et rapides à certaines questions, questions tirées de certains arguments (valides parfois, fallacieux le plus souvent) utilisés par les diverses formes de créationnismes et qui me posaient problème. Le résultat est un ouvrage assez complet mais parfois éloigné de l’objectif de départ [1]. Dawkins commence par un détour d’importance concernant le vocabulaire (qu’est-ce qu’une théorie scientifique et pourquoi l’évolution en est une comme les autres), et sur les idées reçues contre lesquelles Darwin et ses successeurs ont dû lutter pour faire entendre leur point de vue. Puis il revient longuement sur les différents aspects de la théorie, notamment avec de nombreux exemples clairs et utilisables. Un passage vraiment captivant traite, par comparaison, de la sélection artificielle et de la sélection naturelle. Un autre concerne l’évolution dans les temps géologiques : Dawkins y accumule les arguments tous plus convaincants les uns que les autres, de la dendrochronologie [2] en passant par toutes les datations basées sur la décroissance radioactive de certains éléments (pour l’âge des fossiles, celui des différentes couches sédimentaires ou bien de la Terre elle-même par exemple). Il présente enfin une série d’expériences permettant de tester les prévisions de la théorie évolutive. C’est un passage vraiment fantastique, notamment quand Dawkins expose en détail l’impressionnante expérience de Richard Lenski et de ses bactéries.

La suite du livre est tout aussi captivante : l’auteur bat en brèche plusieurs arguments créationnistes comme le fameux problème du « chaînon manquant » (qui n’en est pas un), ou de la complexité irréductible (qui n’est pas irréductible).

Mais…

Malgré une attention particulière à ne pas user d’un jargon finaliste ou même « lamarckiste » (Dawkins l’indique à plusieurs reprises), j’ai pu noter plusieurs formulations maladroites : « Comme les doigts individuels n’ont pas à porter de gros poids, ils ne sont pas particulièrement développés » ou « […] les pattes qui se sont modifiées pour porter les ‘ailes’ » (p.305). Attention, je sais qu’il est plus que difficile de construire des phrases sans avoir recours à ces expressions, mais je suis tenté de penser que c’est bien ainsi, en faisant cet effort permanent – et ce d’autant plus dans des livres de vulgarisation ou des documentaires animaliers – que petit à petit, on évitera dès le plus jeune âge de se dire : « Mais alors, le poisson, pour sortir de l’eau, il a transformé ses branchies en poumons ??! »

Denis Caroti

Richard Dawkins, Le plus grand spectacle du monde (The greatest show on Earth)
Editions Robert Laffon (Poche), 514 pages, 2010
10,50 €

[1] Beaucoup de descriptions des mécanismes de l’évolution elle-même sont données par l’auteur.

[2] La dendrochronologie est une méthode de datation basée sur les anneaux de croissance dans le bois des arbres.

Épistémologie – Les concepts de la sociologie sont-ils d'une nature spéciale ? par Dominique Raynaud

Nous avons à Grenoble la chance d’avoir un sociologue, épistémologue des sciences sociales qui fait un travail remarquable de rigueur. Il s’appelle Dominique Raynaud, et il travaille à l’Université Pierre-Mendès-France. 
Comme nous, il souscrit à un monisme méthodologique, c’est-à-dire qu’il ne pense pas, contrairement à une opinion répandue, que les choses de la matière sensible et celles de la « matière » sociale méritent deux types de méthodes différentes. Pour faire simple, point de méthode différente, plus de sciences dites dures et d’autres dites molles, mais une seule manière de décrire au mieux la réalité à laquelle nous avons accès. Certains objets sont infiniment plus complexes à appréhender, plus « mous » et d’autres plus simples, mais la manière de dire des choses vérifiables dessus n’est qu’une.
Dominique Raynaud nous offre ici une contribution qui vaut son pesant d’or. Le texte ci-dessous est une version écourtée du chapitre 4 de son livre La sociologie et sa vocation scientifique, Paris, éditions Hermann (2006) et montre que la sociologie n’a pas de normes spéciales de scientificité.
Ce n’est pas un sujet facile, mais l’effort qu’il demande ne sera pas vain.

Résumé

Pour les épistémologies dualistes ou régionalistes, la sociologie relève de normes spéciales de scientificité. La sociologie serait délimitée par le fait que ses concepts ne sont pas des « concepts analytiques » ou « taxinomiques », au sens des sciences naturelles, mais des « concepts idéaltypiques » ou des « désignateurs semi-rigides ».

L’analyse comparée montre deux choses.

(1) Les concepts analytiques et taxinomiques sont d’un usage régulier en sociologie.

(2) Les concepts idéaltypiques et les désignateurs semi-rigides ne sont pas l’apanage de la sociologie : on en trouve l’équivalent en physique et en astronomie.

Du coup, le statut particulier des concepts sociologiques n’est pas un critère adéquat pour doter la sociologie de normes épistémologiques propres.

Introduction

De manière à ce que les termes de la discussion soient clairs, je commencerai par poser quelques définitions utiles.

1° Un « concept taxinomique » est celui qui naît de la relation entre une espèce et un genre. Les critères dichotomique d’absence/présence d’un caractère sont en usage dans toutes les classifications, en particulier en zoologie et en botanique. Par différence, on peut identifier des « concepts typologiques » qui n’emploient pas des critères exclusifs mais inclusifs. C’est notamment le cas de l’idéaltype, un concept introduit par le fondateur de la sociologie moderne, Max Weber (1). Les exemples historiques de domination légitime ne se rattachent jamais à un seul des trois types de domination distingués par Max Weber (2).

2° Le terme de « concept analytique » se fonde sur la distinction proposée par Kant entre les jugements analytiques et les jugements synthétiques. Les jugements analytiques sont ceux qui sont universellement vrais, parce que leur valeur de vérité ne dépend pas de l’expérience. La « vitesse » est un concept analytique parce que la signification de ce concept est toute entière contenue dans sa définition : la vitesse est le rapport de l’espace parcouru par un mobile au temps mis pour le parcourir. Tout au contraire, les « concepts synthétiques », ou « phénoménaux », ont la particularité d’engager des qualités extérieures au concept.

3° Les « concepts quantitatifs »,  tels que distingués par Rudolf Carnap, constituent une espèce des précédents. Par exemple, la « vitesse » v CorteX_mobius_escher=  dx/dt, l’« accélération » γ = d²x/dt², la « force » F = mγ sont des concepts analytiques quantitatifs parce qu’ils résultent de la combinaison de grandeurs élémentaires mesurables (dans le cas de la vitesse : une certaine quantité d’espace dx et une certaine quantité de temps dt). Au contraire, les « concepts qualitatifs » ne supposent aucune mesure. C’est le cas des concepts de la topologie, comme ceux de « boule » ou d’« anneau de Möbius » (voir ci-contre, l’anneau de Möbius par le graveur Escher).

4° Le nom de « désignateur semi-rigide », introduit par Jean-Claude Passeron, fait directement référence aux « désignateurs rigides » du logicien Saül Kripke (3). On peut définir ces deux termes relativement l’un

à l’autre. Les désignateurs rigides se distinguent par la régionpropriété d’avoir le même référent dans tous les mondes possibles. Par exemple, l’« eau » est identique à elle-même dans tous les mondes où il y a de l’eau ; le nombre « π » est toujours identique à lui-même, etc. Par différence, Passeron nomme « désignateurs semi-rigides » ou « semi-noms propres » les « concepts indexés sur une série de cas singuliers ». Ainsi, le « féodalisme » ne se présente que dans certaines sociétés comme le Japon de l’ère Kamakura, la Chine des Royaumes combattants ou l’Europe médiévale.

En dépit de leur parenté, il faut bien voir qu’idéaltype et désignateur semi-rigide caractérisent deux réactions possibles au problème de l’inadéquation des concepts au réel. D’un côté, l’idéaltype accentue l’écart au réel. Max Weber précise : « par son contenu, cette construction a le caractère d’une utopie » ; « l’idéaltype est un tableau de pensée, il n’est pas la réalité historique ni surtout la réalité « authentique » ». Ainsi parle-t-on de « capitalisme » ou de « libre concurrence », quel que soit le contexte économique qui en constitue une approximation, en sachant qu’il s’agit d’une fiction visant moins l’adéquation au réel que la pureté logique. En ce sens, l’idéaltype « sort » de l’histoire. C’est ce qui justifie notamment le commentaire de Julien Freund : « la description que Weber fait de la bureaucratie est idéaltypique, ce qui signifie […] que les traits qu’il énumère [activité à plein temps, gestion rationnelle, subordination à une autorité, hiérarchie, spécialisation et technicité des fonctions] valent pour toute bureaucratie moderne, indépendamment des variations particulières et contingentes dans les divers pays ». Cependant, Weber particularise parfois l’idéaltype : c’est le cas lorsqu’il spécifie « christianisme » en « christianisme médiéval » ou « charisme » en « charisme anti-autoritaire bonapartiste ». L’idéaltype rentre alors dans l’histoire, ce qui fonde la lecture de Passeron. Car le désignateur semi-rigide, qui n’est pas une utopie, incite à accoler au concept ses traits contextuels les plus saillants. Pourquoi sommes-nous tentés de préciser « capitalisme spéculatif » ou « christianisme médiéval » au lieu de « capitalisme » et « christianisme » sinon pour ne pas désindexer ces concepts ? Face au problème de l’inadéquation du concept au réel, l’idéaltype s’oriente par excès (il accentue la différence) ; le désignateur semi-rigide par défaut (il réduit la différence).

Se pose ensuite la question des critères en fonction desquels distinguer les différentes espèces de concepts qui viennent d’être d’énumérées. Je propose les suivants :

1. Les concepts taxinomiques donnent naissance à des classifications ; les concepts idéaltypiques à des typologies. Les premières recourent à des critères dichotomiques ou exclusifs, les secondes à des critères inclusifs.

Par conséquent, elles peuvent être départagées sur la base du critère 1 :

dans une classification, un élément appartient à une classe et à une seule versus  dans une typologie, un élément peut appartenir à plusieurs types simultanément.

La graminée Avena stricta dépend du genre Avena à l’exclusion de tout autre genre ; le régime nazi dépend de la domination charismatique sous certains aspects mais de la domination légale-rationnelle à d’autres points de vue.

2. Concepts analytiques et phénoménaux se distinguent tout d’abord par leur propriété fondamentale (prédicat interne donné par définition versus prédicat externe). Les seconds ont une propriété distinctive qui tient à leur rapport à l’inadéquation des concepts au réel. Les idéaltypes consistent en tableaux abstraits épurés ; les désignateurs semi-rigides ont un caractère ad hoc prononcé, d’où suit le critère 2 :

les concepts analytiques sont toujours vrais versus les concepts phénoménaux ne sont que des approximations de la réalité — soit par orientation abstraite (idéaltype), soit par orientation adhociste (désignateurs semi-rigides).

La vitesse dx/dt permet de mesurer indifféremment la vitesse du son cS = 330 m.s–1 ou la vitesse de propagation d’une vibration dans l’acier cA ~ 5000 m.s–1. L’influence exercée par le mahâtma Gandhi lors de la « Marche du Sel » reste une approximation de la domination charismatique.

3. La définition des concepts quantitatifs suffit à les distinguer des concepts qualitatifs, ce qui conduit au critère 3:

les concepts quantitatifs supposent la réalisation d’une mesure (qui exige à son tour la définition de certains règles comme la transitivité, ou le choix d’une échelle de mesure) versus les concepts qualitatifs ne l’autorisent pas.

Citons, dans le domaine démographique, l’âge qui est un concept quantitatif (un enfant de 3 ans et demi), alors que le statut matrimonial (célibataire, marié, divorcé, veuf) est qualitatif : même si l’on peut envisager un « codage » des caractères, cela ne constitue en rien une « mesure » au sens scientifique du terme.

4. Désignateurs rigides ou semi-rigides se distinguent aisément par la propriété énoncée par Kripke, fondement du critère 4 :

les désignateurs rigides ont toujours le même référent versus les désignateurs semi-rigides ont un référent variable, indexé sur les différents contextes sociohistoriques.

Le nombre π = 3,14159265… est une constante dans tous les mondes possibles ; le capitalisme change de forme selon que l’on vise le « capitalisme productif » des années 1950 ou le « capitalisme spéculatif » des années 2000.

Deux versions de l’épistémologie sociologique

Nous avons défini les concepts utiles et les moyens de les distinguer. La question est de savoir si les sciences naturelles et les sciences sociales — qui s’occupent de classes de faits différents — doivent pour cela recourir à des principes épistémologiques différents. Les critères imaginés par les tenants de positions dualistes ourégionalistes (4) étant innombrables, je m’occuperai ici du statut des concepts en tant qu’il sert d’argument au débat à l’exclusion de toute autre considération. La thèse d’une épistémologie propre de la sociologie repose sur le statut particulier que l’on accorde aux concepts sociologiques. Limitons-nous à un exemple classique, dont l’auteur est connu et apprécié pour le sérieux de ses recherches. Dans Le Raisonnement sociologique, Jean-Claude Passeron soutient — c’est une conséquence de la thèse 2 et de son corrélat 2.3 — que tous les concepts sociologiques ont un statut logique de désignateurs semi-rigides :

« Il n’existe pas et il ne peut exister de langage protocolaire unifié de la description empirique du monde historique », « Le lexique scientifique de la sociologie est un lexique infaisable », « Le statut sémantique des concepts sociologiques se présente […] comme un statut mixte, intermédiaire entre le nom commun et le nom propre », « Les concepts sociologiques sont des noms communs […] qui ne peuvent être complètement coupés de leur référence déictique à des noms propres d’individualités historiques » (5) (mises en gras par D. Raynaud).

L’auteur soutient que les concepts insérés dans une démonstration sociologique diffèrent de ceux qui sont utilisés dans les sciences de la nature. Il assujettit l’épistémologie à l’ontologie sociologique : cette discipline traitant d’objets spécifiques, ses concepts sont spécifiques.

Mais il importe de voir qu’il existe deux manières de soutenir cette thèse :
Thèse forte – la sociologie se distingue des sciences naturelles parce que ses concepts sont d’une nature différente : les sciences naturelles recourent à des concepts analytiques et taxinomiques ; la sociologie recourt à des concepts idéaltypiques ou semi-rigides.
Thèse faible – la sociologie se distingue des sciences naturelles parce que, quoiqu’elle fasse un usage régulier de concepts analytiques et taxinomiques à l’instar des sciences naturelles, elle est la seule à employer des concepts idéaltypiques et semi-rigides.

Examen de la thèse forte

Un des caractères saillants des sciences naturelles, en particulier de la physique, est le fait qu’elles utilisent des concepts analytiques mathématiques.

Or, l’examen le plus vague laisse apparaître que beaucoup de concepts sociologiques ne sont assujettis à aucune singularité socio-historique (rationalité téléologique ou axiologique, décision, déclassement, agrégation, effet pervers, mobilité sociale, etc.). On trouve donc en sociologie des concepts qui ne sont rien moins que des concepts taxinomiques ou analytiques, au sens des définitions 1 et 2 données au début de ce texte. Laissons de côté les concepts taxinomiques  et voyons plutôt le cas des concepts analytiques.
Il existe tout d’abord un argument de fait. L’existence d’une sociologie mathématique est le premier argument sérieux de l’existence de ces concepts analytiques en sociologie : statistique descriptive et inférentielle, analyse factorielle sont des chapitres connus des sociologues. Mais d’autres sont également pourvus d’applications sociologiques : analyse combinatoire, théorie des jeux, théorie de la décision, théorie des choix collectifs, processus stochastiques (par exemple, les chaînes de Markov appliquées à la modélisation de la mobilité sociale), théorie des graphes (formalisation des réseaux sociaux), treillis de Galois (extraction des caractéristiques communes des individus d’un réseau), etc. Tous constituent des domaines par excellence où le raisonnement porte exclusivement sur des concepts analytiques.

Se présente ensuite un argument historique que rappelle Marc Barbut (6). Cet argument — opposé au jugement d’André Weil — est que les sciences sociales ont très directement contribué au développement des mathématiques. Barbut signale les contributions de Pascal, Huygens, Leibniz au calcul des probabilités (issu d’un problème de décision) ; celles de Jacques et Nicolas Bernoulli à la statistique inférentielle ; celles de Condorcet, Zermelo, Borel et von Neumann à la théorie des jeux. Mais si les mêmes savants ont contribué au progrès des sciences physiques et à celui des sciences sociales, pourquoi auraient-ils fait de bonnes mathématiques en physique et de mauvaises mathématiques en sociologie ?

Examinons maintenant un concept de cette sociologie mathématique dont il vient d’être question, et prenons le cas de la sociologie des réseaux.

1° Cette spécialité utilise des concepts analytiques quantitatifs (au sens de Carnap), qui tirent leur caractère de la théorie mathématique sous-jacente à la sociologie des réseaux : la théorie des graphes. Distinguons tout d’abord les relations orientées (don, conseil, etc.) des relations non orientées (mariage, interconnaissance, etc.) Les relations du premier type permettent la construction d’un graphe orienté dont la « densité » vaut D= L/(g(g – 1)) où L représente le nombre d’arcs et le g le nombre de sommets du graphe. Le concept de densité est organiquement lié à une mesure : il s’agit, au sens de Carnap, d’un concept quantitatif intensif (non additif) qui satisfait aux règles classiques permettant de définir la mesure :

1° existence d’une relation d’équivalence ;
2° existence d’une relation d’ordre ;
3° choix du zéro (D = 0 pour une collection de sommets déconnectés) ;
4° choix d’une unité (D = 1 dans un graphe complet) ;
5° choix d’une échelle (0 ≤ D ≤ 1).

Je ne vois pas que la sociologie utilise ici des concepts d’un statut logique différent de celui qui caractérise les concepts des sciences physiques. Carnap explique d’ailleurs fort bien ce qui fonde cette absence de différence entre physique et sociologie :

« Les concepts quantitatifs ne nous sont pas donnés par la nature ; ils découlent de la pratique qui consiste à appliquer des nombres aux phénomènes naturels. Quel avantage y a-t-il à cela ? Si les grandeurs quantitatives étaient fournies par la nature, nous ne songerions pas à poser la question, pas plus que nous ne demandons : à quoi servent les couleurs ? La nature pourrait fort bien exister sans couleurs, mais on a plaisir à percevoir leur présence dans le monde. Elles font partie de la nature, tout simplement ; nous n’y pouvons rien. Il n’en va pas de même pour les concepts quantitatifs. Il font partie du langage et non pas de la nature » (R. Carnap, Les Fondements philosophiques de la physique, p. 107).

Il s’ensuit que la présence ou l’absence de concepts analytiques (quantitatifs) dans une discipline ne tient pas à la nature des faits empirique étudiés par cette discipline, mais à une décision de l’observateur de se donner (ou non) des définitions strictes et un système de mesure des observables : c’est ce qu’a su faire la sociologie des réseaux, en appliquant le langage de la théorie des graphes aux relations sociales.

2° Certaines démonstrations sociologiques recourent presque exclusivement à des concepts analytiques de ce type. C’est le cas de la juridicisation croissante des sociétés modernes expliquée par Piaget à partir de la distinction faite par Franck et Timasheff entre relations interpersonnelles et relations transpersonnelles. Supposons un groupe composé des individus A, B, C… Par rapport à A, les liens (A, B), (A, C), (A, D)… sont des relations interpersonnelles (notées rip), les liens (B, D), (C, B), (C, D) sont des relations transpersonnelles (notéesrtp). Les relations interpersonnelles sont des relations directes ; elles sont impliquées dans une action réciproque classique (A cause un préjudice à B ; B demande réparation à A). Les relations transpersonnelles mobilisent quant à elles des formes de jugement indirect (A cause un préjudice à B ; B en informe C ; C juge l’action de A collectivement préjudiciable). Si l’on fait une combinatoire de ces relations dans un graphe complet de n individus, on constate que :

Card (rip) = n (n – 1)           et          Card (rtp) = n (n – 1)(n – 2) / 2

La croissance des rip et des rtp obéit au fait que les relations interpersonnelles varient comme n2 alors que les relations transpersonnelles varient comme n3. L’écart entre rip et rtp croît en fonction de n. Il est donc faible dans les sociétés peu volumineuses (hordes, tribus), fort dans les sociétés volumineuses (états-nations modernes). À mesure que croit le volume de la société, le règlement des différends fondé sur les rip (action en retour) cèdera la place à un règlement fondé sur les rtp (évaluation juridique par des tiers). C’est pourquoi on peut observer une juridicisation croissante des sociétés modernes. La réduction d’une société à un graphe complet est une idéalisation, mais les concepts qui interviennent dans cette démonstration sont tous des concepts analytiques ; aucun ne peut porter le nom de désignateur semi-rigide.
La thèse de l’absence en sociologie des concepts analytiques est donc inexacte. Elle n’est vraie que de la seule partie de la sociologie qui en condamne l’usage.

Examen de la thèse faible

Pour que la thèse faible soit réfutée, il faut établir la présence de concepts idéaltypiques ou de désignateurs semi-rigides dans les sciences naturelles. Admettons par hypothèse que les concepts de la sociologie sont des idéaltypes ou des désignateurs semi-rigides. Ces espèces sont-elles inconnues dans les sciences physiques ?

Concepts idéaltypiques

La spécialité de la sociologie tient-elle à son usage des idéaltypes ? Si le mot n’est pas utilisé en physique, sa définition est applicable à certains concepts. Renvoyons aux textes :

« Lorsque les rayons issus d’un point objet Ao émergent de l’instrument en convergeant vers un point Ai, on dit que l’instrument est stigmatique pour le couple de points AoAi […] Un tel stigmatisme est rigoureux si l’on admet que le caractère ponctuel de Ai est de même nature que celui de Ao, c’est-à-dire si l’on admet que l’instrument n’introduit aucune altération. En réalité, l’instrument altère toujours le caractère ponctuel de l’image […] Le stigmatisme rigoureux est donc une idéalisation ».
« Dans un repère galiléen, toute particule isolée décrit un mouvement rectiligne et uniforme […] Pratiquement, l’univers dans lequel nous vivons est constitué de nombreuses particules et la particule isolée est une vue de l’esprit. Cependant les interactions entre particules diminuent lorsque la distance entre ces particules augmente » (J. Bok et P. Morel, Mécanique/Ondes, Paris, Hermann, 1971, p. 25, 40).

« Lumière monochromatique », « milieu homogène et isotrope », « stigmatisme rigoureux », « particule isolée », « choc élastique », « gaz parfait », « corps noir » sont des concepts analytiques qui n’ont de corrélats empiriques qu’approximatifs. Le physicien manipule des concepts purifiés. Dans le monde réel, il sait que les concepts sont des idéalisations qui décrivent approximativement les phénomènes réels qui apparaissent spontanément. En quoi cela fait-il une différence avec la sociologie ?

Désignateurs semi-rigides

Le référent d’un désignateur rigide est identique à lui-même dans tous les mondes possibles ; celui d’un désignateur semi-rigide doit varier en fonction du contexte. Esclavage romain/colonial, judaïsme ashkénaze/séfarade, etc. Dans tous ces cas on retrouvera l’idée d’une « indexation sur une série mobile de cas singuliers ». Mais la sociologie est-elle seule à utiliser des désignateurs semi-rigides ? La réponse est négative. Les astronomes distinguent les concepts analytiques explicatifs (rayon, masse, magnitude absolue, température de surface, pression, etc.) et les concepts phénoménaux (étoiles, amas, galaxies). Prenons le cas des étoiles. Si l’on réunit les « désignateurs » couramment utilisés par les astronomes, les étoiles sont identifiées comme :étoiles de Wolf-Rayet, nébuleuses planétaires, super-géantes, géantes rouges, sous-géantes, naines, naines blanches, naines brunes, étoiles carbonées, novae, supernovae, étoiles à neutrons, trous noirs, étoiles variables périodiques ou non, pulsantes ou non pulsantes, Céphéides, étoiles RR Lyrae, Mira, δ Scuti, βCMa, ZZ Ceti, P Cygni, étoile de Barnard, étoiles binaires, pulsarsetc. On trouve là une telle diversité que certains, comme Audouze, n’hésitent pas à parler de « zoologie stellaire » (J. Audouze et J. Lequeux, Cours d’astrophysique 1976-1977, Palaiseau, École Polytechnique, 1977, p. 35).

On trouve dans cette liste l’équivalent exact des « désignateurs semi-rigides » ou « semi-noms propres ». Les Céphéides (massives) et les étoiles RR Lyrae (peu massives) sont des étoiles variables dénommées par le nom propre d’un cas paradigmatique (δ Cephei pour les Céphéides). C’est également en ce sens qu’on parle des étoiles de type ZZ Ceti, etc. La dénomination des étoiles variables a largement utilisé ce procédé : un « nom propre » (au sens de Kripke) est pris comme « profil » de reconnaissance d’autres objets célestes. Par suite, il devient un « semi-nom propre » indexé sur une série de cas singuliers.

On ne voit guère ce qui distingue ce procédé intellectuel de celui préconisé par Passeron, ou même par Weber, lorsqu’il définit les formes de charisme en relation avec l’économie : charisme bonapartiste, charisme de Périclès ou charisme américain. Là encore, il s’agit d’identifier un type, non tant par ses caractéristiques abstraites, que par les propriétés singulières exhibées par le cas paradigmatique.

Classification ou typologie stellaire ?

Admettons enfin que la sociologie recoure à des typologies versus classifications. Est-elle la seule dans ce cas ? Prenons un exemple qui révèle assez bien la limite de cette distinction.

Les étoiles sont assujetties à la classification de Harvard, fondée sur la température de surface et la magnitude absolue. On distingue les classes O, B, A, F, G, K, M (des hautes aux basses températures) elles-mêmes subdivisées en sous-classes par un suffixe décimal 0…9. Chacune correspond à un ensemble de propriétés physiques. Les astronomes se réfèrent à cette « classification » en employant indistinctement les mots « classe » ou « type spectral ». Que signifie cette hésitation? L’analyse montre qu’il ne s’agit pas d’une inadvertance : le choix de « type » est légitime. Il existe même des raisons tout à fait fondées de préférer le syntagme « type spectral » à celui de « classe spectrale », en dépit du flottement terminologique qui caractérise leur usage.

Rappelons les principales, qui sont au nombre de six.

1. Les types spectraux ne permettent d’identifier correctement que les étoiles (naines) de la « séquence principale » du diagramme de Hertzsprung-Russell : il existe toujours des étoiles plus froides ou plus chaudes de même type spectral.

2. Ces anomalies ont été à l’origine d’une nouvelle classification dite de Yerkes ou MKK (Morgan, Keenan, Kellman, 1943) en « classes de luminosité » ; on ajoute le suffixe 0, Ia, Ib, II, III, IV, V, sd (VI), wd (VII) pour caractériser l’étoile : le Soleil est par exemple une étoile G2 V. La classification a par ailleurs été complétée par l’introduction de nouveaux types : W (puis Q et P) en amont de O et des types C (subdivisé en R et N), S et L, T en aval de G.

3. Ces classifications n’absorbent pas la diversité du phénomène « étoile ». Le concept d’« étoile G » est un profil de reconnaissance qui laisse des différences résiduelles entre deux étoiles G du même type ou du même sous-type (Soleil, α Centauri, β Comae Berenicesetc.). C’est le diagnostic qui ressort de ce texte de Schatzman :

« La classification spectrale à deux dimensions est à la fois un acquis fondamental de l’astrophysique stellaire et la grille de référence par rapport à laquelle s’établissent toutes les singularités. En effet de nombreuses étoiles ne se plient pas aisément aux règles de la classification MKK : elles sont particulières. C’est le cas des étoiles à raies d’émission de type B, dites Be, dont un prototype est αCas ; des étoiles de type A et B ayant des raies intenses d’éléments très peu répandus comme le gadolinium, le mercure ou les terres rares, ou aussi des raies anormalement intenses de certains élements connus (Mn, Si, Fe) : on les nomme Ap et Bp ; des étoiles de type K et M à éruptions ou à raies d’émission : on les note Ke ou Me (exemples : α Cen C et UV Cet), des étoiles à baryum, etc. », E. Schatzman et F. Praderie, Astrophysique. Les étoiles, Paris, CNRS, 1990, p. 39 (mes italiques).

Ce texte montre on ne peut mieux l’écart perçu entre la classification spectrale et les objets célestes singuliers que rencontre l’astrophysicien dans ses observations. Reconnaître pleinement ces singularités n’impose ni d’abandonner la classification — au motif qu’elle serait dénuée de pouvoir descriptif —, ni de négliger les caractères particuliers des objets observés — au motif qu’ils devraient se plier entièrement à la description qu’en donne la classification.

4. La double classification par types spectraux et par classes de luminosité n’épuisant pas les propriétés des objets connus, les astronomes tombent régulièrement sur des objets célestes atypiques. On a donc proposé de compléter la nomenclature par des indications extérieures. Les astrophysiciens utilisent aujourd’hui un système de quinze suffixes indiquant les propriétés remarquables absentes de la classification. Voici la liste de ces suffixes :

e émission (hydrogène dans les étoiles de type O)
em émission de raies métalliques
ep émission particulière
eq émission à profil P Cygni (absorption des faibles longueurs d’ondes)
er émission inversée
f émission de l’hélium et du néon dans les étoiles de type O
k raies interstellaires
m fortes raies métalliques
n raies diffuses
nn raies très diffuses
p spectre particulier
s raies étroites
v variation dans le spectre
wk raies faibles

L’examen de cette liste montre que les suffixes désignent : tantôt un phénomène atypique (cas des spectres eq, er) ; tantôt — ce qui est plus intéressant pour notre comparaison — un phénomène proprement inclassable (cas des spectres ep, p, v).

5. Ensuite, il faut observer que, contrairement à ce que suggèrent les mots « classes » et « classification », les étoiles peuvent appartenir à plusieurs classes, y compris même à des classes que tout oppose a priori. Reprenons la classification à partir des données récentes recueillies par Hipparcos, chargé d’établir un catalogue de 115 000 étoiles jusqu’à la 12e magnitude. Leur positionnement sur le diagramme de Hertzsprung-Russell forme un nuage en Y (séquence principale + sous-géantes). Le dépouillement des données Hipparcos a révélé le défaut de correspondance exacte entre type spectral et magnitude absolue qui est au fondement de la classification. La définition des « standards » (c’est-à-dire des étoiles paradigmatiques servant de référence à chaque sous-type) est confrontée à ces anomalies. L’analyse des données Hipparcos a récemment conduit Ginestet, Carquillat et Jaschek à la découverte d’étoiles ayant un statut paradoxal, hybride entre « naines » et « géantes » :

« HD 204613 est une étoile de type G1 IIIa : CH1,5 dont les données photométriques et spectroscopiques sont en nette opposition […] la photométrie correspondrait à celle d’une naine et le spectre indiquerait une classe III [géante]. Deux autres étoiles géantes sortent aussi nettement du groupe mais, cette fois, en direction de la classe II : ce sont HD 81817 et HD 176670 », N. Ginestet, J.-M. Carquillat, C. Jaschek, Astronomy and Astrophysics, Supplement Series 142 (2000): 13-24.

Ces cas permettent de douter que l’intérêt des singularités soit un caractère propre de la sociologie. La « zoologie stellaire » n’est pas moins foisonnante de cas singuliers. Mais il existe encore une façon de sauver l’irréductibilité épistémologique de la sociologie : prétendre que l’astrophysicien — au contraire du sociologue — tente, à travers cette zoologie, de confirmer la typicalité des objets célestes. Est-ce le cas ? Deux indices paraissent montrer le contraire :

1° le nombre de publications consacrées aux objets « exotiques » (en dehors de la séquence principale) qui sont pourtant d’une abondance tout à fait négligeable dans l’univers ;

2° le nombre de publications consacrées à des phénomènes singuliers comme l’éruption solaire du 25 juillet 1946 ; la couronne blanche de l’éclipse totale de Soleil du 30 juin 1973 ; l’environnement de β Pictoris ou la supernova 1987A parfois considérée comme supernova « hors la loi » à cause de sa courbe de luminosité.

Les astrophysiciens n’ont pas l’obsession de la typicalité. Ils s’intéressent également aux singularités. Cela fait-il une différence avec la sociologie ?

Conclusion

Certains concepts sociologiques sont des concepts idéaltypiques et des désignateurs semi-rigides ; d’autres sont des concepts analytiques. Certains concepts des sciences physiques sont des concepts analytiques quantitatifs, d’autres des concepts typologiques et des désignateurs semi-rigides. L’ontologie sociologique ne secrète donc pas de concepts ayant une nature spéciale. De ce fait, la thèse forte et la thèse faible sont réfutées. Le statut des concepts n’est pas un argument du dualisme ou du régionalisme, au sens où l’on devrait — à cause de celà — juger la sociologie selon des normes spéciales de scientificité.

Il existe évidemment bien d’autres critères à partir desquels on peut essayer de donner à la sociologie un statut épistémologique particulier, mais ce n’est pas le lieu de les examiner ici (7).

Dominique Raynaud. Contact : dominique.raynaud (at) upmf-grenoble.fr.


Notes

(1) « L’idéaltype […] n’a d’autre signification que d’un concept limite purement idéal, auquel on mesure la réalité pour clarifier le contenu empirique de certains de ses éléments importants », M. Weber, Essais sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1992, p. 172.

(2) Weber distingue trois types de domination légitime : la domination légale-rationnelle (le chef tire sa légitimité d’un ordre rationnel défini par les « membres » de la société), la domination traditionnelle (aux yeux des « sujets » le chef est investi d’une légitimité issue de la tradition) et la domination charismatique (le chef tire sa légitimité des capacités extraordinaires que veulent bien lui prêter ses « disciples »). Il est rare de rencontrer ces types à l’état pur. Les cas historiques de domination sont le plus souvent des mixtes (la légitimité de De Gaulle était essentiellement du type légal-rationnel, mais des éléments de charisme l’ont probablement renforcée).

(3) Kripke donne la définition suivante : « un désignateur désigne un certain objet rigidement s’il désigne cet objet partout où celui-ci existe ; si, de surcroît, l’objet existe nécessairement, le désignateur peut être appelé « rigide au sens fort » », S. Kripke, La Logique des noms propres, Paris, Éditions de Minuit, 1982, pp. 36-37. Outre les noms propres (« Neptune »), les désignateurs rigides absorbent les constantes (« π », rapport de la circonférence du cercle à son diamètre) et les concepts d’usage partitif (« eau », « oxygène », etc.).

(4) Plusieurs expressions ont été utilisées pour dire que la sociologie n’était pas une science comme les autres. On a parlé du dualisme des sciences naturelles et sociales – au sens où il existerait deux blocs de sciences disjoints. Cette expression, qui implique une séparation radicale des mondes naturel et humain, fait référence au Methodenstreit allemand, dominé par la figure de Dilthey. On parle aussi de régionalisme, dans un sens très librement dérivé de Bachelard et de Bunge, au sens où chaque discipline possèderait des caractères propres. Le régionalisme n’a pas les mêmes implications que le dualisme. D’abord, parce qu’il peut se dispenser de penser une opposition frontale entre sciences naturelles et sciences sociales. Ensuite, parce qu’il n’est pas tenu de postuler une unité au sein de ces ensembles de disciplines – ce que fait le dualisme. Cette unité étant discutable, le régionalisme nécessite moins d’hypothèses. Toutefois, il existe des passerelles entre dualisme et régionalisme. Si on s’intéresse à une seule discipline, ces expressions deviennent à peu près équivalentes, puisqu’elles cherchent à identifier les caractères distinctifs d’une discipline par rapport aux autres.

(5) J.-C. Passeron, Le Raisonnement sociologiqueop. cit., pp. 363, 371.

(6) M. Barbut, Les mathématiques et les sciences humaines. Esquisse d’un bilan, L’Acteur et ses Raisons. Mélanges en l’honneur de Raymond Boudon, Paris, PUF, 2000, pp. 205-224.

(7) Pour une analyse critique de plusieurs autres critères, voir D. Raynaud, La Sociologie et sa vocation scientifique, Paris, Editions Hermann, 2006.

De la difficulté d’être darwinien – l’énigme pédagogique des éléphants sans défenses

Voici un extrait de la publication de notre collègue Gérald Bronner « La résistance au darwinisme : croyances et raisonnements » dans la Revue française de sociologie* qui offre un outil magistral aux enseignants.
J’ai (RM) tenté de reproduire l’énigme moi-même dans mes enseignements (voir deuxième partie).

(…)  Si l’on réalisait une enquête pour savoir si les Français adhèrent aux thèses de Darwin, on obtiendrait sans doute des CorteX_Gerald_Bronnerrésultats assez différents de ceux du sondage américain.Il est possible d’imaginer que nos compatriotes se déclareraient plus volontiers darwiniens que leurs voisins d’outre-Atlantique, pourtant il serait sage de rester sceptique face à ces résultats. En effet, pour prendre ce genre de déclarations au sérieux, il faudrait être assuré que le sens commun conçoit clairement ce qu’être darwinien signifie, ce dont il est permis de douter.

Pour tester cette idée, nous avons réalisé une expérimentation (18) qui consistait à soumettre 60 individus à une situation énigmatique qui, précisément, concernait les métamorphoses du vivant. Cette situation réelle avait été relayée, faiblement, par la presse (19) et était de nature à mesurer les représentations ordinaires de l’évolution biologique.

L’énoncé de l’énigme était lu lentement aux sujets volontaires. En plus de cette lecture, cet énoncé était proposé sous forme écrite et l’entretien ne commençait que lorsque le sujet déclarait avoir compris parfaitement ce qui lui était demandé. Il lui était laissé ensuite tout le temps qui lui paraissait nécessaire pour proposer une ou plusieurs réponses à cette énigme. La grille d’entretien avait été conçue pour inciter l’interviewé à donner toutes les réponses qui lui viendraient à l’esprit, attendu que ce sujet n’impliquait pas(en particulier en France), a priori, une charge idéologique ou émotionnelle forte, de nature à susciter des problèmes d’objectivation ou de régionalisation (20).

Trois critères présidèrent à l’analyse de contenu de ces 60 entretiens.

1) Le critère de spontanéité : il consistait à mesurer l’ordre d’apparition des scénarios dans le discours. En d’autres termes, on cherchait à voir quelles seraient les solutions qui viendraient le plus facilement à l’esprit des individus face à l’énigme.

Le critère de récurrence : il consistait à mesurer le nombre d’évocations du même type de scénario dans un entretien.

3) Le critère de crédibilité : à la fin de l’entretien, on demandait à l’interviewé celui, d’entre les scénarios qu’il avait évoqués, qui lui paraissait le plus crédible. On demandait par exemple : « Si vous aviez à parier sur l’une des solutions de l’énigme que vous avez proposées, laquelle ferait l’objet de votre mise ? »

Ces critères furent mobilisés pour mesurer les rapports de force entre les différents discours possibles, les solutions imaginées, pour résoudre l’énigme.

J’ai retenu, en outre, le critère d’évocation simple qui mesurait le nombre de fois où un scénario avait été évoqué globalement, sans tenir compte de l’ordinalité ou des récurrences dans les différents discours et un critère d’évocation pondérée qui croisait le critère de spontanéité et celui de récurrence (21).

La population des sujets de l’expérimentation fut échantillonnée selon deux éléments.

  1. Le diplôme : tous les interviewés devaient être titulaires du baccalauréat. On s’assurait ainsi qu’ils avaient tous été familiarisés avec la théorie de Darwin, à un moment ou à un autre de leur scolarité.
  2. L’âge : la règle préliminaire de cette enquête était de mettre en œuvre l’idée d’une dispersion. Pour contrôler cette dispersion autour des valeurs centrales (l’âge moyen était de 37 ans), j’ai rapporté l’intervalle interquartile à l’étendue. Le premier représentant plus de 50 %(59 %) de la seconde, on s’assurait ainsi d’éviter des phénomènes de concentration des âges. Cette expérimentation fut menée de novembre 2005 à janvier 2006, principalement auprès de personnes vivant en Île-de-France (N = 49), et tous en Métropole(Lorraine N = 4, Haute-Normandie N = 4, Midi-Pyrénées N = 3). Cette population était composée de 33 femmes et 27 hommes, de cadres, professions intellectuelles et supérieures (N = 14), de professions intermédiaires (N = 17), d’employés (N = 7), d’étudiants (N =11), de chômeurs(N = 5), de retraités (N = 4), d’un agriculteur exploitant et d’une femme au foyer.

Cette situation énigmatique, tirée d’un fait réel (22), fut donc soumise à ces 60 personnes sous la forme suivante :

« À l’état sauvage, certains éléphanteaux sont porteurs d’un gène qui prévient la formation des défenses. Les scientifiques ont constaté récemment que de plus en plus d’éléphanteaux naissaient porteurs de ce gène (ils n’auront donc pas de défenses devenus adultes). Comment expliquez cette situation ? »

Vous pouvez tenter de répondre à cette question. Puis cliquez .

* Bronner G., La résistance au darwinisme : croyances et raisonnements, Ophrys, Revue française de sociologie 2007/3 – Volume 48. Télécharger. Avec l’aimable autorisation de Gérald Bronner.

(18) Je remercie ici la promotion de maîtrise de sociologie de l’université Paris-Sorbonne 2005 sans l’aide matérielle de laquelle cette recherche eût été beaucoup affaiblie.

(19) Un encart de quelques lignes dans Libération (19/07/2005).

(20) Blanchet et Gotman (1992).

(21) Cette mesure n’est pas sans évoquer ce que les psychologues sociaux nomment l’analyse prototypique et catégorielle qui consiste à croiser le rang d’apparition de l’élément et sa fréquence dans le discours et à effectuer ensuite une typologie autour d’éléments sémantiquement proches. Un classement d’éléments cognitifs peut alors être obtenu soulignant le caractère central de certains d’entre eux. Sur ce point voir Vergès (1992, 1994).

(22) Sa réalité était sans doute un avantage, un autre était que le fait était passé presque inaperçu. On ne pouvait donc pas s’attendre à ce que les interviewés connaissent la solution de cette énigme comme cela aurait pu être le cas si j’avais choisi de les faire réfléchir sur la célèbre « affaire » des papillons Biston betularia, plus connus sous le nom de « géomètres du bouleau » ou « phalène du bouleau », dont le phénotype dominant changea au XIXe siècle dans la région de Manchester. Cette constatation inspira une expérience fameuse, menée entre 1953 et 1955 par le biologiste Bernard Kettlewell, et relatée dans tous les manuels de biologie évolutive. Cette recherche fournit, pour la première fois, la preuve expérimentale de l’existence de la sélection naturelle.

Biologie, évolution – L'échelle des êtres par Alain Le Metayer

L’échelle des êtres se cache-t-elle dans l’arbre phylogénétique ? Est-il possible qu’une idée fausse (par exemple : « Il existe une échelle des êtres« ) puisse persister dans les discours ou les représentations graphiques de personnes qui, pourtant, déclarent explicitement que cette idée est fausse ?
Alain Le Métayer partage avec nous un document instructif et éclairant sur ce problème.

 

Dans un article sur la résistance au darwinisme, Gérald Bronner propose ceci : il est difficile de devenir darwinien… quand on pense qu’on l’est déjà et qu’on mobilise les idées de Lamarck plutôt que celles de Darwin. Ainsi, en embarquant Lamarck comme passager clandestin tout en se croyant darwinien, on a peu de chance de le devenir vraiment !


On pourra également se servir de l’excellent documentaire Espèces d’espèces, de Denis van Waerebeke. Concernant cette partie (sur l’échelle des êtres), voici deux extraits que nous utilisons dans nos cours :

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=kKnHlnD02dc]  
[vimeo 20738400]  

https://cortecs.org/videotex/biologie-de-levolution-metaphore-de-la-boule-buissonnante

https://cortecs.org/videotex/biologie-documentaire-especes-despeces

Denis Caroti