La science (8) – Base d'entraînement pour les enseignants qui voudraient parler de science

La science – épisode 8


Oups, je veux retourner au début  !

La question N°7 était :

Mais vous êtes en train de dire que l’humain s’étudie comme un vulgaire silex. C’est presque l’animal-machine de Descartes ! (réplique réelle). 

Je ne comprends pas votre réaction. L’humain ne s’étudie pas comme un vulgaire silex, car ce n’est pas le même objet, il n’a pas les mêmes paramètres – et pour tout dire, l’humain possède un nombre de paramètres immensément plus grand que le silex. Mais l’humain s’étudie avec la même méthode, bien sûr. Est-ce choquant de se dire que les mêmes principes méthodologiques de base servent aussi bien à apprendre de la Voie Lactée, de l’autruche ou du silex que de l’humain ? Si je vous mesure avec une toise dont je me suis servi pour mesurer une planche, vous sentez-vous ravalé au rang de vulgaire planche ?

Rappelons-nous que l’humain n’a pas pu être étudié durant de nombreux siècles de par son statut de fils et fille de Dieu, et encore maintenant dans certains coins, classer l’humain dans le même buisson phylogénétique que les singes est un blasphème. Il faudrait une raison « transcendante » pour que l’humain soit un « objet » à part, seulement la transcendance est un concept purement religieux, et n’a aucun fondement scientifique. Donc il n’y a aucune raison de ne pas étudier l’humain, à partir du moment où le cobaye est consentant.

L’un des dangers – et c’est peut être ce que vous craignez – serait de penser qu’on puisse tirer sur l’humain des règles aussi prédictives que sur un silex, mais c’est très improbable – hormis sur des comportements de conformisme ou sujetion, comme l’ont montré la gamme des études allant de Solomon Ash à Stanley Milgram.

L’autre, bien plus grave à mon sens, est celui-ci : que devient cette connaissance, et à qui appartient-elle ? Elle devrait relever du domaine public, certes. mais il est évident que la thérapeutique humaine est brevetée par les industriels pharmaceutiques, que la génétique humaine tombe dans le domaine privé, que les connaissances sur les comportements sociaux sont étudiés, financés, et conservés par les grandes surfaces étudiant le marketing.

J’oubliais : votre référence à l’animal-machine de Descartes me fait tiquer. C’est un détail, mais pas anodin, alors je fais un détour. Vous n’êtes bien entendu pas obligé de lire.

Oui, Descartes posait l’animal comme une sorte de machine mue par des causalités simples, et dénuées d’autre chose, notamment d’âme. Quelle est votre crainte ?

Vous craignez qu’on prétende l’humain sans âme ? Si vous le prenez sous un angle symbolique, artistique ou mystique, alors l’âme existe tant qu’il y a quelqu’un pour en parler (ou pour chanter – un courant musical porte d’ailleurs son nom, la soul). Mais sous un angle scientifique, l’âme est un concept nébuleux qui comme les anges ou les esprits, n’a pas de fondement réel autre que celle de justifier l' »essence divine » de l’Homme. Elle ne pèse pas 21 grammes, elle ne quitte pas le corps lors de la mort, du moins il n’y a rien qui permette de penser cela (même les expériences de MacDougall de 1907, décrites par Géraldine Fabre). Donc scientifiquement parlant, l’âme humaine n’existe pas.

Mais ce n’est pas parce que l’humain n’a pas d’âme qu’il n’a pas une conscience de soi – qui lui est propre, et très développée en moyenne, par rapport aux autres animaux. Avec cette conscience de soi, on peut bâtir une morale, des comportements éthiques, des règles de vie en société, on peut imaginer un certain libre arbitre.

Poser l’humain sur le même plan qu’un autre animal a bien évidemment fait faire des sauts de carpe à un paquet de philosphes, qui craignaient qu’on ne flingue la part divine de l’humain, l’humanisme, la responsabilité, et même la morale (sic !) : Aristote, les penseurs Chrétiens, les philosophes opposés à l’éthique animale, tous ont eu la même réaction, un refus drapé dans la toge. Or s’affranchir d’un concept « divin » comme celui-là est sacrément libérateur pour l’humain, car :

  • si l’humain est un animal, alors ses comportements peuvent être étudiés, et on arrivera probablement à savoir ce qui pousse l’un à convoiter/violer/tuer/guerroyer l’autre.
  • Si l’âme humaine n’existe pas, impossible de postuler que cette essence est noire, méchante, égoïste, comme on l’entend souvent. Dire que l’humain est égoïste en soi fait l’économie d’une étude plus poussée, qui potentiellement peut montrer que c’est le contexte qui le rend ainsi, ou qu’un contexte différent pourrait l’aider rapidement à être moins égoïste très tôt dans son développement.

Mieux encore, s’affranchir du divin peut être en outre fichtrement libérateur pour les animaux ! On est en train de découvrir, méthodiquement, que si l’humain perd son âme, l’animal lui, par les découvertes scientifiques successives, se voit doté d’une conscience de soi, voire d’une culture. Commence alors une revendication éthique puisque qui dit conscience, dit paradoxalement ouverture de droit pour les animaux, notamment celui de ne pas souffrir ou de ne pas se faire tuer. Etudier l’humain comme l’animal n’est donc pas le problème.

En disant ça, j’ai bien conscience que la fonction rassurante de la survie d’un quelque-chose après la mort en prend un coup. Mais rappelons-nous : ce qu’il y a après la vie est méta-physique ! La science ne peut rien dire, dessus, donc lâchons-nous !  Bien sûr, l’âme rejoint les gadgets de la psychologie humaine pour se rassurer, mais au fond, c’est libérateur : plutôt que de voleter sagement à la droite du Père pour l’éternité, ou être obligé de refaire un tour dans une enveloppe charnelle, vous pouvez choisir l’option que vous voulez. Je connais quelqu’un qui pense que l’au-delà est fait de caramel, un autre qui pense qu’il n’a non pas une, mais deux âmes, et j’en connais même un qui pense qu’il n’y a rien, alors autant tenter de créer un semblant de paradis et un monde plus juste, par des moyens sociopolitiques, sur Terre, maintenant.

Question N°8

Pourtant, on lit parfois que la science est un discours comme un autre sur le monde. Une histoire, un conte, un discours comme un autre, qu’une forme de narration sur le réel au même titre que la littérature, l’art ou la religion, qui ne serait pas différente de ces approches car dépendant des cultures, des sociétés, des époques. Elle serait alors relative (c’est-à-dire dépendante de celui qui l’énonce) et subjective, contredisant ce que vous affirmez ci-dessus.

La science (9) – Base d'entraînement pour les enseignants qui voudraient parler de science

La science – épisode 9


Oups, je veux retourner au début  !

La question N°8 était :

Pourtant, on lit parfois que la science est un discours comme un autre sur le monde. Une histoire, un conte, un discours comme un autre, qu’une forme de narration sur le réel au même titre que la littérature, l’art ou la religion, qui ne serait pas différente de ces approches car dépendant des cultures, des sociétés, des époques. Elle serait alors relative (c’est-à-dire dépendante de celui qui l’énonce) et subjective, contredisant ce que vous affirmez ci-dessus.

La question que vous soulevez est une vieille question : est-ce que parce que c’est un cerveau humain fortement construit socialement et culturellement qui appréhende le monde et dit des choses dessus que ces choses sont elles-même des constructions sociales et culturelles ? Il y a un peu de vrai là-dedans, mais beaucoup de faux.

Le vrai : l’avancement des connaissances, le choix des sujets de recherche du scientifique  sont généralement mûs par des moteurs idéologiques. Nationalisme (course à la Lune), sexisme (survivance des thèses psycho-populistes sexistes) ethnocentrisme (recherches sur des maladies essentiellement de type européenne), course médiatique (pour un vaccin, un virus, une découverte) suivi de la mode pour garder les crédits de recherche (nanoparticules) etc. Même le fait qu’un sujet de thèse soit financé ou non est un indicateur : l’octroi d’argent lui-même dépend des politiques, des idéologies du moment, des intérêts économiques.  Mais comme vous l’avez remarqué, on passe là à la science au sens 3, la technopolitique (cf. début de la discussion).

De même, à court terme, pour faire du scoop ou pour flatter des opinions dominantes, il arrive que soient prises pour vraies des choses fausses (Crâne de Piltdown, mémoire de l’eau, mères-réfrigérateur de Bettelheim, hérédité de l’intelligence de Cyril Burt, capacités thérapeutiques de la psychanalyse freudienne, fusion froide, etc.), mais plus une discipline est solide, plus sera rapide sa capacité à évincer les pseudo-connaissances. La physique, bien campée, a mis quelques semaines à démonter la fausse théorie de la mémoire de l’eau – par contre elle n’a rien pu faire contre le bulldozer des médias). La psychologie ou la sociologie, moins solides, mettent plus de temps à évincer la psychanalyse par exemple. Mais elles y parviennent car toute la démarche consiste à recouper les observations, à douter sans arrêt, à mille fois refaire son ouvrage comme dirait Pénélope.

En gros, la science comme démarche produit des connaissances « objectives », mais dans des directions qui elles peuvent être subjectives, pour le meilleur comme pour le pire (le pire étant l’intérêt d’un groupe privé, d’une petite fraction de population qui capte l’essentiel de l’intérêt d’une recherche, à son profit au détriment du reste de l’humanité : l’exemple le plus parlant est la recherche en cosmétique).

Mais la connaissance elle-même, le produit final – c’est là l’erreur fondamentale des relativistes – est indépendante  de votre culture, de vous goûts, de ce que vous pouvez en penser. Tout l’objectif de la science est de parvenir à dire des choses sur ce qui nous entoure dont la compréhension ne dépende ni de notre culture, ni de notre langue, ni de notre avis. Et elle y arrive plutôt bien : la théorie de la gravitation, la circulation du sang, la structure de l’ADN, ou encore la charge d’un électron ne dépendent pas de ce que vous ou moi on en pense. Qu’on soit d’accord ou pas, ces théories et ces faits se rappelleront à nous à chaque fois qu’on marchera sur une peau de banane ou que l’on effectuera une transplantation d’organe.

La science justement est le seul domaine de la pensée humaine qui tente de tout faire pour s’affranchir du cadre d’élaboration des connaissances. Il est fait pour ça. Cela n’en fait donc pas un discours comme un autre, relatif (le discours tenu par les techno-politiciens par contre est un discours, très souvent de valeur, progressiste, c’est-à-dire que l’avancée des sciences = progrès humain, ce qui est un bel effet cigogne).

Il y a certes des champs qui ont du mal à poser des garde-fou, en sociologie ou en anthropologie par exemple, et il faut dire que les objets (groupes sociaux) sont bien plus complexes que des silex, comme vous dites. Mais que vous soyez d’une culture classique greco-latine ou plutôt papou, le virus de la peste vous fera souffrir d’une manière prédictible. 

Richard Monvoisin & Denis Caroti

La science (complet) – Base d'entraînement pour les enseignants qui voudraient parler de science

On en rêvait, on l’a fait. Voici quelques-unes des questions les plus fréquemment posées dans les débats sur la science. et la manière que nous avons d’y répondre. Attention : vous avez choisi d’avoir les questions-réponses à la suite.

Bonne lecture !


Question N°1

Vous parlez de science, mais moi, je n’aime pas la science. Je n’aime pas les scientifiques arrogants, je n’aime pas les OGM, le nucléaire, les experts corrompus, les médecins pompeux et les industries pharmaceutiques. Pourquoi devrais-je écouter un discours scientifique ?

Ah, ça commence bien, nous avons déjà des choses en commun ! Mais pour bien les trouver, il va falloir qu’on précise les mots. Alors avant de discuter de science, nous avons coutume de distinguer quatre voire cinq sens différents au mot science. Et si nous prenons le temps de le faire, vous allez voir que pas mal de choses s’éclaircissent.

Le mot science peut désigner :

  • Sens 1 : la démarche, qui propose des outils pour dire des choses plus vraies que d’autres sur le monde.

Dit plus pompeusement : « une démarche intellectuelle contraignante visant une compréhension rationnelle du monde naturel et social ».

  • Sens 2 : les connaissances, tout ce qu’on sait sur un sujet donné, à un moment donné.

Dit plus techniquement, « un corpus de savoirs substantiels communément acceptés, évalués comme objectifs et considérés à un moment donné ».

  • Sens 3 : la technopolitique, c’est-à-dire les sciences appliquées et la technologie.

On range dans cette case la genèse sociopolitique des axes de recherche, c’est-à-dire ce qui fait qu’on met de l’argent sur tel ou tel programme de recherche (course à la lune, technologies militaires, cosmétiques, pharmacologiques, nanotechnologiques, etc.).

  • Sens 4 : les scientifiques vus du dedans, la communauté scientifique avec ses mœurs, ses rites et ses luttes de pouvoir.

C’est le sens anthropologique du terme, la sociologie interne du champ scientifique : qu’est-ce qui fait qu’un scientifique est plus célèbre qu’un autre, grimpe dans la hiérarchie, passe dans les médias, devient consultant de la sphère politique voire entre dans cette sphère.

  • Sens 5 : les scientifiques vus du dehors : c’est le même sens qu’au sens 4, mais vu de l’extérieur, par le public qui se dit non-scientifique.

Les scientifiques tels qu’on se les représente, à l’extérieur de la tour d’ivoire (vus comme des docteurs Frankenstein, des savants fous… ou au contraire comme des bons Pasteur, bienveillants, soignant plein de gens).

Quand nous parlons de pensée critique scientifique, le mot science que nous revendiquons est le sens 1, la démarche, avec ses contraintes qui font qu’on ne peut pas dire n’importe quoi, son système de réfutation, sa preuve, ses méthodologies, en gros juste la science du sens commun, celle commune aux enquêteurs, aux plombiers, aux juges, aux cuistots et aux chimistes, qui visent à recouper l’information, la tester, la réfuter éventuellement.

On s’appuie aussi sur le sens 2, la somme des connaissances. Son seul problème, c’est qu’elle peut se périmer, avec de nouvelles découvertes, donc il faut être prudent. Mais si l’édifice est ancien (tout ce qu’on sait sur les salades par exemple) il est très probable que cette somme des connaissances soit stable – à moins d’une révolution sur la connaissance des salades.

Sauf précision, nous ne sous servons pas des trois autres sens, ou alors pour les analyser et les critiquer.

Le biologiste Guillaume Lecointre résume le tout en gros comme ceci :

Le rejet croissant de la science par le public et le succès de certaines mouvances spiritualistes viennent d’une confusion entre ces cinq définitions : la science comme démarche rationnelle d’investigation du monde (sens 1) sera rejetée parce que le clonage fait peur (sens 3), parce que le club nucléocrate prend toutes ses décisions en bafouant la démocratie (sens 5), parce que des bombes atomiques ont explosé (sens 3), parce que des querelles de pouvoir s’exercent lors des congrès scientifiques (sens 4) ou encore parce qu’un résultat que l’on tenait pour certain s’avère faux (sens 2). « La manipulation est grave, parce qu’en utilisant le seul mot science sans préciser dans quel sens on l’entend, on laisse courir le malentendu selon lequel la démarche rationnelle de la découverte du monde mène tout droit aux néfastes conséquences sociales du libéralisme économique (…) ».

En gros, il ne faut pas jeter le bébé (la démarche) avec l’eau du bain (technopolitique, sociologique, politique).

Pour aller plus loin :

  • J. Bricmont, A. Sokal, Impostures intellectuelles, Odile Jacob. (1997, p. 122)

  • G. Lecointre, dans J. Debussy & G. Lecointre, Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en science, Syllepse (2001) introduction, pages 33-34

  • A. Sokal Pseudosciences et postmodernisme : adversaires ou compagnons de route ?, Sciences, Odile Jacob. (2005, p. 41)

  • R. Monvoisin, Pour une didactique de l’esprit critique, thèse (2007), La science : le bébé et l’eau du bain, pp.34-37

Vous parlez d’esprit critique scientifique, mais la science, ce n’est pas tout quand même. On ne peut pas tout décrire avec la science !
  • Variante « multiplicité des approches » : on ne peut pas se servir de la science pour répondre à toutes nos questions. C’est donc la preuve que d’autres approches sont nécessaires pour comprendre le monde qui nous entoure.
  • Variante métaphysique : la science étant faillible, ce n’est pas par elle qu’on peut atteindre la vérité, il faut donc d’autres approches.
  • Variante « dessus du cou »* : on ne peut pas décrire l’humain / l’âme / la psyché avec la science.

*Dessus du cou, en hommage à Jean Bricmont : Il faut souligner que certains secteurs des sciences humaines sont dominés par l’idée que l’[H]omme est à ce point différent du reste de la nature que seules des méthodes radicalement non scientifiques peuvent permettre de le comprendre (ce qui est lié à l’extraordinaire résistance offerte par ces mêmes secteurs face à toute approche biologique de l’être humain, du moins lorsqu’il s’agit de la psychologie et de la société, c’est-à-dire de l’étude de l’[h]omme au-dessus du cou) » (Bricmont, Qu’est-ce que le matérialisme scientifique ? in Dubessy J., Lecointre G. (Dirs), (2001) Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en science, Syllepse, pp. 155-160.).

  • Variante méfiante : l’idée de pensée critique érige la Science en censeur, en « sanctionneur » de toutes les autres approches (courrier de R-E. Eastes au CorteX reçu en déc. 2010)
  • Variante radicale, type Feyerabend : la science exerce un diktat sur le monde, et rejette ce qu’elle ne peut pas décrire. C’est une nouvelle religion, elle prétend avoir réponse à tout, elle s’impose, à l’aide d’un clergé d’experts. C’est une dictature de la pensée.

C’est vrai, la science n’explique pas tout. Il y a au moins deux catégories de choses qu’elle n’explique pas. Les émotions bizarres qu’on ne parvient pas à décrire, sentiments esthétiques, artistiques, mystiques ; et des questions auxquelles la science ne peut pas répondre. Exemples : pourquoi suis-je ici ? Pourquoi suis-je moi ? Ai-je un destin ? Qu’y avait-il avant l’univers ? Où irai-je quand je casserai ma pipe ? Existe-t-il un dieu ? Plusieurs ? Un paradis ? Ce sont des questions « au-delà » de la science, dont les réponses ne sont pas dans la nature, c’est d’ailleurs pour cela qu’on les dit « métaphysiques » (de méta, après, et physique, nature en grec). Or la science, qui étudie la nature (physis, en grec, qui a donné physique), le réel, ne peut pas par définition s’appliquer aux questions métaphysiques.

Pour illustrer la chose, on peut le résumer ainsi : il n’y a pas d’expérience que je puisse mener qui m’indique mon destin. Et dans ces cas-là, l’introspection, la lecture de livres sacrés ou de poésie, la méditation, la consommation de psychotropes peuvent être des méthodes satisfaisantes. Pas la science.

Mais sur les questions visant à décrire le monde réel, et à le rendre prédictible, la science est incontestablement plus efficace que toutes les autres. Que ce soit pour décrire les propriétés des cailloux, la biologie des chèvres, pour guérir une fracture du bras ou pour faire rouler une mobylette, il n’y a pas plus précis. Bien sûr, c’est un peu froid, ce n’est pas toujours parfait, car les connaissances manquent parfois, mais… on n’a pas meilleur outillage.

Mais n’est-ce pas une certaine forme d’arrogance de la science de se déclarer « méthode la plus efficace » ?

Attention, ce n’est pas la science qui s’auto-décrète la plus efficace. Elle est la méthode la plus efficace non parce qu’elle le décide, mais parce qu’elle est faite pour ça : cette méthode a été « fabriquée » à partir de toutes les erreurs d’observation, d’interprétation, de corrélation qu’on ait pu faire dans l’histoire de l’Humanité. Chaque erreur dans la description du réel a été un moyen de corriger la méthode en incorporant de quoi éviter ladite erreur la prochaine fois. Ce n’est donc pas une dictature de la science. Penser que la science s’arroge un droit contestable de dire ce qui semble vrai, c’est comme contester la légitimité de l’arbitrage dans un match en disant « mais de quel droit ce bonhomme, cette bonne femme décrète d’arbitrer ce match ? ».  Si la science est la plus efficace, c’est parce qu’elle a été faite pour être efficace. Alors autant s’en servir. Comme dit Jean Bricmont, « Que l’on me trouve une autre manière de faire rouler des voitures, de soigner des gens ou de faire fonctionner des machines aussi efficacement par une autre méthode, et je m’y mets ».

Soit. Pourtant, même les scientifiques nous disent qu’il n’y a pas de « méthode » à proprement parler, en tout cas pas de définition unique de cette méthode. Ne trouvez-vous pas cela gênant pour une démarche qui se veut efficace ?

On parle de deux choses différentes. Il n’y a pas de méthode pour découvrir des choses. Ca peut se faire par hasard, comme les Corn Flakes de John Kellog et son frère (c’est du moins ce que raconte Kellog au dos de la boîte). On peut trouver quelque chose parce qu’on a suivi une intuition, parce qu’on avait foi en un résultat, ou au contraire parce qu’on pensait que quelque chose était impossible et qu’on voulait en être sûr. Donc pour  trouver des choses, tout est bon ! Même mû par une religion, on peut trouver des trucs justes. Par contre, pour démontrer que cette chose découverte est juste, la méthode utilisée est commune à tous les champs scientifiques : c’est de la méthode de la démonstration rationnelle, et de l’élaboration de la preuve (ou d’un faisceau de preuves convergentes sur des sources indirectes, comme dans les sciences historiques).

En gros, ça se passe comme ça : quelle que soit notre source d’inspiration (poétique, religieuse, militante) on pose une hypothèse (« ceci va marcher comme ça », ou « il est probable que ces individus-là fassent ça dans cette situation », etc.). Puis on teste cette hypothèse, en cherchant qu’est-ce qui pourrait la contredire, de la même façon qu’un joueur d’échecs va chercher les coups que pourrait lui porter l’adversaire. Si cette hypothèse se révèle valide pour une gamme d’objets, on regarde si les objets un peu différents suivent le même comportement. Si oui, alors l’hypothèse peut devenir une thèse, qui à la longue, si elle est vraiment solide, sera appelée une loi (je sais, ce mot est un effet paillasson à lui tout seul, ça fait penser aux lois humaines, négociables, ou aux lois divines, transcendantes). Si cette loi a la même forme que d’autres lois, alors on regroupe le tout dans une théorie, toujours réfutable si on trouve un cas qui n’entre pas dedans, mais d’autant plus solide que les expériences vont la confirmer.

Pour faire simple : quel que soit le domaine, si quelqu’un affirme quelque chose, il doit apporter des éléments à l’appui de son affirmation : au mieux des preuves, et sinon, un faisceau de présomptions qui font penser que ce qu’il dit a des chances d’être vrai. Ensuite, il faut vérifier. Un exemple en physique : quelqu’un dit « tous les objets tombent ». Il prend un objet, le lache, il tombe, c’est un début de preuve. Reste à voir ensuite si tous les objets, qui ont une autre couleur, une autre forme, tombent aussi. Si c’est le cas, alors on peut penser que son affirmation est vraie. Mais attention ! C’est assez injuste, mais il suffirait d’un seul corps qui ne tombe pas, et son affirmation est foutue. Un autre exemple, en sciences humaines : quelqu’un affirme que les Femmes sont toutes coquettes par nature : Il suffira d’une seule femme non coquette pour ne plus croire en son affirmation.

En gros, la science est une méthode proposant des outils pour ne pas affirmer n’importe quoi sur le monde qui nous entoure.

Il n’y a pas de différence de méthode entre sciences dures et sciences humaines ?

D’emblée, je t’encourage à oublier le terme de science dure, ou exacte, pour au moins trois raisons.

D’une : les sciences dures ne sont pas toutes exactes. Exemple, en physique quantique il y a quelques imprécisions de mesure, et en météorologie, les équations divergent tellement que le résultat final est dur à prévoir.

De deux : les sciences dures s’opposeraient à quoi ? Aux sciences « molles » ? Cela laisse penser que les sciences humaines sont molles méthodologiquement, ce qui est absolument faux. C’était vrai dans les débuts de ces disciplines (la sociologie par exemple est une science qui, âgée d’à peine un siècle, peine parfois à trouver sa scientificité – mais regardons bien les débuts de la chimie, ou de la médecine, c’était pareil) et il reste quelques cas de politologie ou d’anthropologie bien molle, où de pompeux personnages enfument leur monde. Mais c’est de plus en plus rare, car ces sciences se disciplinent de plus en plus. Comme l’a montrée l’affaire Sokal, on ne peut plus faire ou dire n’importe quoi.

De trois : science dure, ça laisse penser que c’est rigide, insensible et indépendant du contexte socio-politico-économique. Or ça, c’est faux. On sait plus de choses sur les pathologies des Blancs que des Noirs, plus de choses sur le gland humain que sur le clitoris, on a plus de financement sur des sujets qui présentent un marché (les nanotechnologies) que sur ceux qui n’en ont pas…

Enfin, ce n’est pas la même chose, tout de même, de travailler avec des cailloux et d’étudier des humains par exemple…

La méthode est grosso modo la même et se résume ainsi : comment dire quelque chose plus vrai que faux, et comment le rendre démontrable à quelqu’un d’autre ? Les hypothèses posées sont différentes, souvent plus modestes quand l’objet est complexe (comme les objets sociaux, qui sont très souvent multiparamétrés). Et l’une des particularités des sciences sociales par exemple, c’est que l’observation des comportements est parfois chamboulée par la présence de l’observateur, en des proportions parfois difficiles à jauger. Une autre particularité de certaines sciences est de travailler du passé – il y en a en sciences humaines, l’Histoire et l’archéologie par exemple – et en sciences physiques, la géologie ou la paléoanthropologie mais aussi la physique du cosmos. Là, on fonctionne en recoupant les sources, en mettant plus de bémol, en précisant qu’il a pu probablement se passer ceci ou cela, sachant qu’on ne pourra pas refaire un big bang, revenir à la guerre de cent ans ou revoir émerger l’homo sapiens.

Mais vous êtes en train de dire que l’humain s’étudie comme un vulgaire silex. C’est presque l’animal-machine de Descartes ! (réplique réelle).

Je ne comprends pas votre réaction. L’humain ne s’étudie pas comme un vulgaire silex, car ce n’est pas le même objet, il n’a pas les mêmes paramètres – et pour tout dire, l’humain possède un nombre de paramètres immensément plus grand que le silex. Mais l’humain s’étudie avec la même méthode, bien sûr. Est-ce choquant de se dire que les mêmes principes méthodologiques de base servent aussi bien à apprendre de la Voie Lactée, de l’autruche ou du silex que de l’humain ? Si je vous mesure avec une toise dont je me suis servi pour mesurer une planche, vous sentez-vous ravalé au rang de vulgaire planche ?

Rappelons-nous que l’humain n’a pas pu être étudié durant de nombreux siècles de par son statut de fils et fille de Dieu, et encore maintenant dans certains coins, classer l’humain dans le même buisson phylogénétique que les singes est un blasphème. Il faudrait une raison « transcendante » pour que l’humain soit un « objet » à part, seulement la transcendance est un concept purement religieux, et n’a aucun fondement scientifique. Donc il n’y a aucune raison de ne pas étudier l’humain, à partir du moment où le cobaye est consentant.

L’un des dangers – et c’est peut être ce que vous craignez – serait de penser qu’on puisse tirer sur l’humain des règles aussi prédictives que sur un silex, mais c’est très improbable – hormis sur des comportements de conformisme ou sujetion, comme l’ont montré la gamme des études allant de Solomon Ash à Stanley Milgram.

L’autre, bien plus grave à mon sens, est celui-ci : que devient cette connaissance, et à qui appartient-elle ? Elle devrait relever du domaine public, certes. mais il est évident que la thérapeutique humaine est brevetée par les industriels pharmaceutiques, que la génétique humaine tombe dans le domaine privé, que les connaissances sur les comportements sociaux sont étudiés, financés, et conservés par les grandes surfaces étudiant le marketing.

J’oubliais : votre référence à l’animal-machine de Descartes me fait tiquer. C’est un détail, mais pas anodin, alors je fais un détour. Vous n’êtes bien entendu pas obligé de lire.

Oui, Descartes posait l’animal comme une sorte de machine mue par des causalités simples, et dénuées d’autre chose, notamment d’âme. Quelle est votre crainte ?

Vous craignez qu’on prétende l’humain sans âme ? Si vous le prenez sous un angle symbolique, artistique ou mystique, alors l’âme existe tant qu’il y a quelqu’un pour en parler (ou pour chanter – un courant musical porte d’ailleurs son nom, la soul). Mais sous un angle scientifique, l’âme est un concept nébuleux qui comme les anges ou les esprits, n’a pas de fondement réel autre que celle de justifier l' »essence divine » de l’Homme. Elle ne pèse pas 21 grammes, elle ne quitte pas le corps lors de la mort, du moins il n’y a rien qui permette de penser cela (même les expériences de MacDougall de 1907, décrites par Géraldine Fabre). Donc scientifiquement parlant, l’âme humaine n’existe pas.

Mais ce n’est pas parce que l’humain n’a pas d’âme qu’il n’a pas une conscience de soi – qui lui est propre, et très développée en moyenne, par rapport aux autres animaux. Avec cette conscience de soi, on peut bâtir une morale, des comportements éthiques, des règles de vie en société, on peut imaginer un certain libre arbitre.

Poser l’humain sur le même plan qu’un autre animal a bien évidemment fait faire des sauts de carpe à un paquet de philosphes, qui craignaient qu’on ne flingue la part divine de l’humain, l’humanisme, la responsabilité, et même la morale (sic !) : Aristote, les penseurs Chrétiens, les philosophes opposés à l’éthique animale, tous ont eu la même réaction, un refus drapé dans la toge. Or s’affranchir d’un concept « divin » comme celui-là est sacrément libérateur pour l’humain, car :

  • si l’humain est un animal, alors ses comportements peuvent être étudiés, et on arrivera probablement à savoir ce qui pousse l’un à convoiter/violer/tuer/guerroyer l’autre.
  • Si l’âme humaine n’existe pas, impossible de postuler que cette essence est noire, méchante, égoïste, comme on l’entend souvent. Dire que l’humain est égoïste en soi fait l’économie d’une étude plus poussée, qui potentiellement peut montrer que c’est le contexte qui le rend ainsi, ou qu’un contexte différent pourrait l’aider rapidement à être moins égoïste très tôt dans son développement.

Mieux encore, s’affranchir du divin peut être en outre fichtrement libérateur pour les animaux ! On est en train de découvrir, méthodiquement, que si l’humain perd son âme, l’animal lui, par les découvertes scientifiques successives, se voit doté d’une conscience de soi, voire d’une culture. Commence alors une revendication éthique puisque qui dit conscience, dit paradoxalement ouverture de droit pour les animaux, notamment celui de ne pas souffrir ou de ne pas se faire tuer. Etudier l’humain comme l’animal n’est donc pas le problème.

En disant ça, j’ai bien conscience que la fonction rassurante de la survie d’un quelque-chose après la mort en prend un coup. Mais rappelons-nous : ce qu’il y a après la vie est méta-physique ! La science ne peut rien dire, dessus, donc lâchons-nous !  Bien sûr, l’âme rejoint les gadgets de la psychologie humaine pour se rassurer, mais au fond, c’est libérateur : plutôt que de voleter sagement à la droite du Père pour l’éternité, ou être obligé de refaire un tour dans une enveloppe charnelle, vous pouvez choisir l’option que vous voulez. Je connais quelqu’un qui pense que l’au-delà est fait de caramel, un autre qui pense qu’il n’a non pas une, mais deux âmes, et j’en connais même un qui pense qu’il n’y a rien, alors autant tenter de créer un semblant de paradis et un monde plus juste, par des moyens sociopolitiques, sur Terre, maintenant.

Pourtant, on lit parfois que la science est un discours comme un autre sur le monde. Une histoire, un conte, un discours comme un autre, qu’une forme de narration sur le réel au même titre que la littérature, l’art ou la religion, qui ne serait pas différente de ces approches car dépendant des cultures, des sociétés, des époques. Elle serait alors relative (c’est-à-dire dépendante de celui qui l’énonce) et subjective, contredisant ce que vous affirmez ci-dessus.

La question que vous soulevez est une vieille question : est-ce que parce que c’est un cerveau humain fortement construit socialement et culturellement qui appréhende le monde et dit des choses dessus que ces choses sont elles-même des constructions sociales et culturelles ? Il y a un peu de vrai là-dedans, mais beaucoup de faux.

Le vrai : l’avancement des connaissances, le choix des sujets de recherche du scientifique  sont généralement mûs par des moteurs idéologiques. Nationalisme (course à la Lune), sexisme (survivance des thèses psycho-populistes sexistes) ethnocentrisme (recherches sur des maladies essentiellement de type européenne), course médiatique (pour un vaccin, un virus, une découverte) suivi de la mode pour garder les crédits de recherche (nanoparticules) etc. Même le fait qu’un sujet de thèse soit financé ou non est un indicateur : l’octroi d’argent lui-même dépend des politiques, des idéologies du moment, des intérêts économiques.  Mais comme vous l’avez remarqué, on passe là à la science au sens 3, la technopolitique (cf. début de la discussion).

De même, à court terme, pour faire du scoop ou pour flatter des opinions dominantes, il arrive que soient prises pour vraies des choses fausses (Crâne de Piltdown, mémoire de l’eau, mères-réfrigérateur de Bettelheim, hérédité de l’intelligence de Cyril Burt, capacités thérapeutiques de la psychanalyse freudienne, fusion froide, etc.), mais plus une discipline est solide, plus sera rapide sa capacité à évincer les pseudo-connaissances. La physique, bien campée, a mis quelques semaines à démonter la fausse théorie de la mémoire de l’eau – par contre elle n’a rien pu faire contre le bulldozer des médias). La psychologie ou la sociologie, moins solides, mettent plus de temps à évincer la psychanalyse par exemple. Mais elles y parviennent car toute la démarche consiste à recouper les observations, à douter sans arrêt, à mille fois refaire son ouvrage comme dirait Pénélope.

En gros, la science comme démarche produit des connaissances « objectives », mais dans des directions qui elles peuvent être subjectives, pour le meilleur comme pour le pire (le pire étant l’intérêt d’un groupe privé, d’une petite fraction de population qui capte l’essentiel de l’intérêt d’une recherche, à son profit au détriment du reste de l’humanité : l’exemple le plus parlant est la recherche en cosmétique).

Mais la connaissance elle-même, le produit final – c’est là l’erreur fondamentale des relativistes – est indépendante  de votre culture, de vous goûts, de ce que vous pouvez en penser. Tout l’objectif de la science est de parvenir à dire des choses sur ce qui nous entoure dont la compréhension ne dépende ni de notre culture, ni de notre langue, ni de notre avis. Et elle y arrive plutôt bien : la théorie de la gravitation, la circulation du sang, la structure de l’ADN, ou encore la charge d’un électron ne dépendent pas de ce que vous ou moi on en pense. Qu’on soit d’accord ou pas, ces théories et ces faits se rappelleront à nous à chaque fois qu’on marchera sur une peau de banane ou que l’on effectuera une transplantation d’organe.

La science justement est le seul domaine de la pensée humaine qui tente de tout faire pour s’affranchir du cadre d’élaboration des connaissances. Il est fait pour ça. Cela n’en fait donc pas un discours comme un autre, relatif (le discours tenu par les techno-politiciens par contre est un discours, très souvent de valeur, progressiste, c’est-à-dire que l’avancée des sciences = progrès humain, ce qui est un bel effet cigogne).

Il y a certes des champs qui ont du mal à poser des garde-fou, en sociologie ou en anthropologie par exemple, et il faut dire que les objets (groupes sociaux) sont bien plus complexes que des silex, comme vous dites. Mais que vous soyez d’une culture classique greco-latine ou plutôt papou, le virus de la peste vous fera souffrir d’une manière prédictible.

Richard Monvoisin & Denis Caroti

 

La science (2) – Base d'entraînement pour les enseignants qui voudraient parler de science

La science – épisode 2


Oups, je veux retourner au début  !

La question N°1 était :

Vous parlez de science, mais moi, je n’aime pas la science. Je n’aime pas les scientifiques arrogants, je n’aime pas les OGM, le nucléaire, les experts corrompus, les médecins pompeux et les industries pharmaceutiques. Pourquoi devrais-je écouter un discours scientifique ?

Ah, ça commence bien, nous avons déjà des choses en commun ! Mais pour bien les trouver, il va falloir qu’on précise les mots. Alors avant de discuter de science, nous avons coutume de distinguer quatre voire cinq sens différents au mot science. Et si nous prenons le temps de le faire, vous allez voir que pas mal de choses s’éclaircissent.

Le mot science peut désigner :

  • Sens 1 : la démarche, qui propose des outils pour dire des choses plus vraies que d’autres sur le monde.

Dit plus pompeusement : « une démarche intellectuelle contraignante visant une compréhension rationnelle du monde naturel et social ».

  • Sens 2 : les connaissances, tout ce qu’on sait sur un sujet donné, à un moment donné.

Dit plus techniquement, « un corpus de savoirs substantiels communément acceptés, évalués comme objectifs et considérés à un moment donné ».

  • Sens 3 : la technopolitique, c’est-à-dire les sciences appliquées et la technologie.

On range dans cette case la genèse sociopolitique des axes de recherche, c’est-à-dire ce qui fait qu’on met de l’argent sur tel ou tel programme de recherche (course à la lune, technologies militaires, cosmétiques, pharmacologiques, nanotechnologiques, etc.).

  • Sens 4 : les scientifiques vus du dedans, la communauté scientifique avec ses mœurs, ses rites et ses luttes de pouvoir.

C’est le sens anthropologique du terme, la sociologie interne du champ scientifique : qu’est-ce qui fait qu’un scientifique est plus célèbre qu’un autre, grimpe dans la hiérarchie, passe dans les médias, devient consultant de la sphère politique voire entre dans cette sphère.

  • Sens 5 : les scientifiques vus du dehors : c’est le même sens qu’au sens 4, mais vu de l’extérieur, par le public qui se dit non-scientifique.

Les scientifiques tels qu’on se les représente, à l’extérieur de la tour d’ivoire (vus comme des docteurs Frankenstein, des savants fous… ou au contraire comme des bons Pasteur, bienveillants, soignant plein de gens).

Quand nous parlons de pensée critique scientifique, le mot science que nous revendiquons est le sens 1, la démarche, avec ses contraintes qui font qu’on ne peut pas dire n’importe quoi, son système de réfutation, sa preuve, ses méthodologies, en gros juste la science du sens commun, celle commune aux enquêteurs, aux plombiers, aux juges, aux cuistots et aux chimistes, qui visent à recouper l’information, la tester, la réfuter éventuellement.

On s’appuie aussi sur le sens 2, la somme des connaissances. Son seul problème, c’est qu’elle peut se périmer, avec de nouvelles découvertes, donc il faut être prudent. Mais si l’édifice est ancien (tout ce qu’on sait sur les salades par exemple) il est très probable que cette somme des connaissances soit stable – à moins d’une révolution sur la connaissance des salades.

Sauf précision, nous ne sous servons pas des trois autres sens, ou alors pour les analyser et les critiquer.

Le biologiste Guillaume Lecointre résume le tout en gros comme ceci :

Le rejet croissant de la science par le public et le succès de certaines mouvances spiritualistes viennent d’une confusion entre ces cinq définitions : la science comme démarche rationnelle d’investigation du monde (sens 1) sera rejetée parce que le clonage fait peur (sens 3), parce que le club nucléocrate prend toutes ses décisions en bafouant la démocratie (sens 5), parce que des bombes atomiques ont explosé (sens 3), parce que des querelles de pouvoir s’exercent lors des congrès scientifiques (sens 4) ou encore parce qu’un résultat que l’on tenait pour certain s’avère faux (sens 2). « La manipulation est grave, parce qu’en utilisant le seul mot science sans préciser dans quel sens on l’entend, on laisse courir le malentendu selon lequel la démarche rationnelle de la découverte du monde mène tout droit aux néfastes conséquences sociales du libéralisme économique (…) ».

En gros, il ne faut pas jeter le bébé (la démarche) avec l’eau du bain (technopolitique, sociologique, politique).

Pour aller plus loin

  • J. Bricmont, A. Sokal, Impostures intellectuelles, Odile Jacob. (1997, p. 122)

  • G. Lecointre, dans J. Debussy & G. Lecointre, Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en science, Syllepse (2001) introduction, pages 33-34

  • A. Sokal Pseudosciences et postmodernisme : adversaires ou compagnons de route ?, Sciences, Odile Jacob. (2005, p. 41)

  • R. Monvoisin, Pour une didactique de l’esprit critique, thèse (2007), La science : le bébé et l’eau du bain, pp.34-37

 

Question N°2

Vous parlez d’esprit critique scientifique, mais la science, ce n’est pas tout quand même. On ne peut pas tout décrire avec la science !

  • Variante « multiplicité des approches » : on ne peut pas se servir de la science pour répondre à toutes nos questions. C’est donc la preuve que d’autres approches sont nécessaires pour comprendre le monde qui nous entoure.
  • Variante métaphysique : la science étant faillible, ce n’est pas par elle qu’on peut atteindre la vérité, il faut donc d’autres approches.
  • Variante « dessus du cou »* : on ne peut pas décrire l’humain / l’âme / la psyché avec la science.

*Dessus du cou, en hommage à Jean Bricmont : Il faut souligner que certains secteurs des sciences humaines sont dominés par l’idée que l’[H]omme est à ce point différent du reste de la nature que seules des méthodes radicalement non scientifiques peuvent permettre de le comprendre (ce qui est lié à l’extraordinaire résistance offerte par ces mêmes secteurs face à toute approche biologique de l’être humain, du moins lorsqu’il s’agit de la psychologie et de la société, c’est-à-dire de l’étude de l’[h]omme au-dessus du cou) » (Bricmont, Qu’est-ce que le matérialisme scientifique ? in Dubessy J., Lecointre G. (Dirs), (2001) Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en science, Syllepse, pp. 155-160.).

  • Variante méfiante : l’idée de pensée critique érige la Science en censeur, en « sanctionneur » de toutes les autres approches (courrier de R-E. Eastes au CorteX reçu en déc. 2010)
  • Variante radicale, type Feyerabend : la science exerce un diktat sur le monde, et rejette ce qu’elle ne peut pas décrire. C’est une nouvelle religion, elle prétend avoir réponse à tout, elle s’impose, à l’aide d’un clergé d’experts. C’est une dictature de la pensée.

 

La science (1) – Base d'entraînement pour les enseignants qui voudraient parler de science

La science – épisode 1
 


Oups, je veux retourner au début  !

Question N°1

Vous parlez de science, mais moi, je n’aime pas la science. Je n’aime pas les scientifiques arrogants, je n’aime pas les OGM, le nucléaire, les experts corrompus, les médecins pompeux et les industries pharmaceutiques. Pourquoi devrais-je écouter un discours scientifique ?

La science (3) – Base d'entraînement pour les enseignants qui voudraient parler de science

La science – épisode 3


Oups, je veux retourner au début  !

La question N°2 était :
Vous parlez d’esprit critique scientifique, mais la science, ce n’est pas tout quand même. On ne peut pas tout décrire avec la science !

  • Variante « multiplicité des approches » : on ne peut pas se servir de la science pour répondre à toutes nos questions. C’est donc la preuve que d’autres approches sont nécessaires pour comprendre le monde qui nous entoure.
  • Variante métaphysique : la science étant faillible, ce n’est pas par elle qu’on peut atteindre la vérité, il faut donc d’autres approches.
  • Variante « dessus du cou »* : on ne peut pas décrire l’humain / l’âme / la psyché avec la science.

*Dessus du cou, en hommage à Jean Bricmont : Il faut souligner que certains secteurs des sciences humaines sont dominés par l’idée que l’[H]omme est à ce point différent du reste de la nature que seules des méthodes radicalement non scientifiques peuvent permettre de le comprendre (ce qui est lié à l’extraordinaire résistance offerte par ces mêmes secteurs face à toute approche biologique de l’être humain, du moins lorsqu’il s’agit de la psychologie et de la société, c’est-à-dire de l’étude de l’[h]omme au-dessus du cou) » (Bricmont, Qu’est-ce que le matérialisme scientifique ? in Dubessy J., Lecointre G. (Dirs), (2001) Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en science, Syllepse, pp. 155-160.).

  • Variante méfiante : l’idée de pensée critique érige la Science en censeur, en « sanctionneur » de toutes les autres approches (courrier de R-E. Eastes au CorteX reçu en déc. 2010)
  • Variante radicale, type Feyerabend : la science exerce un diktat sur le monde, et rejette ce qu’elle ne peut pas décrire. C’est une nouvelle religion, elle prétend avoir réponse à tout, elle s’impose, à l’aide d’un clergé d’experts. C’est une dictature de la pensée.

C’est vrai, la science n’explique pas tout. Il y a au moins deux catégories de choses qu’elle n’explique pas. Les émotions bizarres qu’on ne parvient pas à décrire, sentiments esthétiques, artistiques, mystiques ; et des questions auxquelles la science ne peut pas répondre. Exemples : pourquoi suis-je ici ? Pourquoi suis-je moi ? Ai-je un destin ? Qu’y avait-il avant l’univers ? Où irai-je quand je casserai ma pipe ? Existe-t-il un dieu ? Plusieurs ? Un paradis ? Ce sont des questions « au-delà » de la science, dont les réponses ne sont pas dans la nature, c’est d’ailleurs pour cela qu’on les dit « métaphysiques » (de méta, après, et physique, nature en grec). Or la science, qui étudie la nature (physis, en grec, qui a donné physique), le réel, ne peut pas par définition s’appliquer aux questions métaphysiques.

Pour illustrer la chose, on peut le résumer ainsi : il n’y a pas d’expérience que je puisse mener qui m’indique mon destin. Et dans ces cas-là, l’introspection, la lecture de livres sacrés ou de poésie, la méditation, la consommation de psychotropes peuvent être des méthodes satisfaisantes. Pas la science.

Mais sur les questions visant à décrire le monde réel, et à le rendre prédictible, la science est incontestablement plus efficace que toutes les autres. Que ce soit pour décrire les propriétés des cailloux, la biologie des chèvres, pour guérir une fracture du bras ou pour faire rouler une mobylette, il n’y a pas plus précis. Bien sûr, c’est un peu froid, ce n’est pas toujours parfait, car les connaissances manquent parfois, mais… on n’a pas meilleur outillage.

Question N°3

Mais n’est-ce pas une certaine forme d’arrogance de la science de se déclarer « méthode la plus efficace » ?

Réponse ici !

Question N°2

Vous parlez d’esprit critique scientifique, mais la science, ce n’est pas tout quand même. On ne peut pas tout décrire avec la science !

  • Variante « multiplicité des approches » : on ne peut pas se servir de la science pour répondre à toutes nos questions. C’est donc la preuve que d’autres approches sont nécessaires pour comprendre le monde qui nous entoure.
  • Variante métaphysique : la science étant faillible, ce n’est pas par elle qu’on peut atteindre la vérité, il faut donc d’autres approches.
  • Variante « dessus du cou »* : on ne peut pas décrire l’humain / l’âme / la psyché avec la science.

*Dessus du cou, en hommage à Jean Bricmont : Il faut souligner que certains secteurs des sciences humaines sont dominés par l’idée que l’[H]omme est à ce point différent du reste de la nature que seules des méthodes radicalement non scientifiques peuvent permettre de le comprendre (ce qui est lié à l’extraordinaire résistance offerte par ces mêmes secteurs face à toute approche biologique de l’être humain, du moins lorsqu’il s’agit de la psychologie et de la société, c’est-à-dire de l’étude de l’[h]omme au-dessus du cou) » (Bricmont, Qu’est-ce que le matérialisme scientifique ? in Dubessy J., Lecointre G. (Dirs), (2001) Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en science, Syllepse, pp. 155-160.).

  • Variante méfiante : l’idée de pensée critique érige la Science en censeur, en « sanctionneur » de toutes les autres approches (courrier de R-E. Eastes au CorteX reçu en déc. 2010)
  • Variante radicale, type Feyerabend : la science exerce un diktat sur le monde, et rejette ce qu’elle ne peut pas décrire. C’est une nouvelle religion, elle prétend avoir réponse à tout, elle s’impose, à l’aide d’un clergé d’experts. C’est une dictature de la pensée.

La science (4) – Base d'entraînement pour les enseignants qui voudraient parler de science

La science – épisode 4


Oups, je veux retourner au début  !

La question N°3 était :

Mais n’est-ce pas une certaine forme d’arrogance de la science de se déclarer « méthode la plus efficace » ?

Attention, ce n’est pas la science qui s’auto-décrète la plus efficace. Elle est la méthode la plus efficace non parce qu’elle le décide, mais parce qu’elle est faite pour ça : cette méthode a été « fabriquée » à partir de toutes les erreurs d’observation, d’interprétation, de corrélation qu’on ait pu faire dans l’histoire de l’Humanité. Chaque erreur dans la description du réel a été un moyen de corriger la méthode en incorporant de quoi éviter ladite erreur la prochaine fois. Ce n’est donc pas une dictature de la science. Penser que la science s’arroge un droit contestable de dire ce qui semble vrai, c’est comme contester la légitimité de l’arbitrage dans un match en disant « mais de quel droit ce bonhomme, cette bonne femme décrète d’arbitrer ce match ? ».  Si la science est la plus efficace, c’est parce qu’elle a été faite pour être efficace. Alors autant s’en servir. Comme dit Jean Bricmont, « Que l’on me trouve une autre manière de faire rouler des voitures, de soigner des gens ou de faire fonctionner des machines aussi efficacement par une autre méthode, et je m’y mets ».

Question N°4

Soit. Pourtant, même les scientifiques nous disent qu’il n’y a pas de « méthode » à proprement parler, en tout cas pas de définition unique de cette méthode. Ne trouvez-vous pas cela gênant pour une démarche qui se veut efficace ?

Réponse ici !

CorteX_banania

Sociologie, anthropologie – Atelier sur le racisme ordinaire et la discrimination

Voici du matériel simple pour animer un atelier sur le « racisme ordinaire » avec des étudiants, des élèves ou du grand public. Il est possible de passer les documents, puis de débattre, ou bien d’ajuster chaque document à un savoir-être bien précis.

Introduction au préjugé

Ci-dessous, quelques documents permettant d’introduire la question du préjugé raciste, même avec un public jeune.

  • Le Noir et le ballon (vous avez la référence de cette vidéo ? Nous la cherchons. Édit du 27 septembre 2017 : merci à Anaïs De Winter qui a trouvé la source : il s’agit d’une pub Thaï de 1980 pour du dentifrice à pâte noire aux herbes du groupe Twin Lotus Company)

Télécharger là

  • Le nageur Moussambani, aux Jeux Olympiques de Sydney (1996)

Ou ici en meilleure qualité :

https://sport.francetvinfo.fr/les-jeux-olympiques/video-natation-un-athlete-ethiopien-fait-le-buzz

Télécharger

Dans le cas présent, il s’agit de Stéphane Caron & Eric Besnard, riant de la mauvaise technique d’un nageur équato-guinéen, en gommant la génèse du problème.

Il est conseillé de regarder cette vidéo avant, et après avoir appris qu’Eric Moussambani n’avait appris à nager que depuis huit mois, n’avait jamais nagé 100 m d’affilée de sa vie, n’avait jamais vu de piscine de 50 m, car son entraînement ayant eu lieu dans une piscine d’hôtel de 20 m, seule piscine dans son pays. Sa fédération disposant de moyens inexistants, son maillot et ses lunettes lui ont été prêtés une heure avant l’épreuve par deux athlètes.

Note : il arrive parfois que cette seule vidéo amène le public à « essentialiser » le problème, en arguant du fait que « bien sûr, les Noirs ne flottent pas très bien, paraît que c’est à cause de leur mélanine », occultant du revers de la main avec un argument non-sourcé tout ce qui fait la génèse du fait que les Noirs Africains ont peu accès aux piscines. 

  • Nina Simone, la chanteuse noire

Dans son autobiographie Ne me quittez pas, Nina Simone raconte :

« A cause de Porgy, on me comparait souvent à Billy Holliday, ce que je détestais. Ce n’était qu’un morceau parmi tant d’autres à mon répertoire, et il suffisait de m’entendre l’interpréter pour comprendre qu’il n’y avait aucun rapport. Ce qui me rendait furieuse, c’est que visiblement les gens s’appuyaient sur la simple constatation que nous étions toutes les deux noires : si j’avais eu la peau blanche, personne n’aurait fait le rapprochement. (…) Me qualifier de chanteuse de jazz était une manière de dédaigner mon bagage classique, parce que je ne répondais pas à l’image de l’artiste noir que se faisaient les Blancs. Une forme de racisme : « puisqu’elle est noire, c’est forcément une chanteuse de jazz ». Un point de vue qui me rabaissait, tout comme Langston Hughes quand on le qualifiait de « grand poète noir ». Langston était un grand poète, un point c’est tout ; à lui, et à lui seul, revenait le droit de dire en quoi jouait la couleur de sa peau ». (Ne me quittez pas, Presses de la renaissance, 1992, p. 107).

Discrimination raciale dans les institutions

Le racisme ordinaire naissant sur du terreau « ordinaire », il est nécessaire de passer par des témoignages réels et actuels pour montrer la discrimination non seulement dans la vie, mais dans les institutions. Voici quelques exemples :

  • Injure raciale, France 3 Grenoble, 16 mars 2010

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  • Discrimination raciale de Jean-Marie, français d’origine béninoise à la Caisse Régionale d’Île-de-France, France Culture, Les pieds sur Terre 9 février 2011

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  • Discrimination d’un français d’origine maghrébine à la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris, France Culture, Les pieds sur Terre 9 février 2011

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Matériel plus poussé

Il est possible ensuite d’incrémenter un peu le sujet, avec le matériel suivant, dans un ordre de complexité croissant.

  • Racisme ordinaire et début d’analyse socio-économique – Daniel Balavoine chez P. Gildas, Canal + (1985)

Comment le chanteur Daniel Balavoine et le présentateur Philippe Gildas ramènent sur le plan socio-économique la question du racisme ordinaire et bousculent des effets cigogne (confusions corrélation/causalité). Date présumée du document : 6 novembre1985.

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  • Moustafa Kessous, journaliste du Monde, balaye quelques cas de racisme ordinaire dans la vie de tous les jours France Inter, Zapping, 26 septembre 2009)

  • Bi-standard pour le Rwanda – Clip de campagne I hate you, de Hands for hope

Attention ! Cette vidéo peut choquer un jeune public !

Ce clip introduit la différence de traitement médiatique selon la proximité du public avec le sujet qui souffre, en vertu de cette « loi » journalistique qui veut qu’un demi-mort local vaut mille morts lointains*. Il balaye aussi une représentation souvent primitiviste des « noirs qui s’entre-tuent »**, en transposant de manière plausible une scène dans un monde blanc (merci à Eric Bévillard, de l’Observatoire Zététique, de nous l’avoir transmis).

Note : ne sachant pas exactement ce qu’est l’objet social de l’association australienne Hands for hopes, j’utilise en public une version de la vidéo sans la mention de cet organisme.

  • Les propos de Nicolas Sarkozy, prélevés par Désentubages cathodiques (2007)

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Discours prélevés chez N. Sarkozy, avec les amalgames essentialistes suivants.

– Jeune des banlieues = pas de formation qualifiante = oisiveté = trafic

– Jeune des banlieues = non-blanc

– Musulman = faciès particulier (« ça n’a rien à voir avec la religion, quand on est musulman ça se lit sur sa figure »)

Passage incontournable : « Zinedine c’est formidable ! Mais les musulmans de France, ils sont capables aussi d’avoir des hauts fonctionnaires, des chercheurs, des médecins, des professeurs et si on ne donne pas à tous ces jeunes de banlieues des exemples positifs de réussir, comment ils vont croire en la République ? »

Racines de la discrimination

Le moment est tout indiqué pour réfléchir aux racines de la discrimination, sa genèse et la manière dont elle s’installe dans un groupe.

La leçon de discrimination, est un documentaire de 43 minutes tiré de l’émission Enjeux (Société Radio-Canada production) de Pasquale Turbide et Lucie Payeur (2006).

C’est une remarquable expérience lors de laquelle Annie Leblanc, enseignante dans une école primaire de Saint-Valérien-de-Milton, en Montérégie fait vivre à ses élèves du primaire la réalité des personnes qui subissent la discrimination en divisant sa classe en deux groupes sur un critère arbitraire – la taille -, un groupe étant valorisé et l’autre dévalorisé par l’enseignante. Ainsi la discrimination est subie par les grands la première journée, puis par les petits le jour suivant…

Le documentaire La leçon de discrimination est vendu en DVD aux professionnels de l’éducation. Pour plus deAnnie Leblanc indiquant la limite de taille renseignements, communiquez avec les Services éducatifs de Radio-Canada.

Notons que ce type d’expérience, aussi bouleversante soit-elle, n’est pas une première : il y eut entre autres celle de Jane Elliott (1968), discriminant à l’époque sa classe sur la base de la couleur des yeux.

Pour voir A class divided, (Frontline, PBS1), c’est ici (en version originale). Madame Elliott remit d’ailleurs une « dose » en 2010 avec une expérience intitulée How racist are you ? (Combien êtes-vous raciste?) que l’on peut regarder (version originale également).

Il est loisible ensuite de donner une sorte de recul historique, et de cadre théorique pour « penser » les origines de ce racisme ordinaire.

  • Nénuphar, chanson officielle de l’Exposition coloniale de 1931 à Paris (extrait INA prélevé dans 2000 ans d’Histoire, de Patrice Gélinet sur France Inter, 19 août 2010).

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  • Fabrication de l’éthnicité chez les mineurs d’Afrique du Sud – Extrait d’interview du géographe Philippe Gervais-altLambony dans l’Afrique enchantée, France Inter, 17 juillet 2011 (émission « le chant des mineurs »).
 
On comprend ainsi qu’un critère prétendument scientifique prend sa source directement dans une oppresion socio-économique mâtinée de préjugés moraux.
Pour en savoir plus : Philippe Gervais-Lambony, L’Afrique du Sud, Le Cavalier Bleu, collection Idées Reçues (2009).
  • Fabrication de l’ethnicité chez les Rwandais. Le cas fut pratiquement similaire ans le Rwanda belge, dont l’ethnicité Hutu/Tutsi est une construction coloniale réinterprétant en terme raciste/ethniciste ce qui relève d’anciens clivages socio-économiques. Les cartes d’identité « ethniques », instituées par le colonisateur belge en 1931, décrètent des critères biométriques qui n’ont pas de pertinence scientifique.
On pourra alors utiliser l’excellent documentaire Rwanda, l’histoire qui mène au génocide, de R. Genoud (1995), en particulier les passage de Claudine Vidal. 
  
Pour en savoir plus :
CorteX_Gouteux_nuit_rwandaisecouvJean-Paul Gouteux, La nuit rwandaise, Esprit frappeur (2002) CorteX_Franche_Rwanda
Dominique Franche, Généalogie du génocide rwandais, Tribord (2004)

  

 
 
  • Race, chaînon manquant : la science au service de la politique – extrait du documentaire Zoos Humains, de Pascal Blanchard et Éric Deroo (2002).
 

Analyse de la construction de la différenciation des races. Dévoiement des concepts darwiniens, et entreprise de hiérarchisation. Le biologiste André Langaney explique comment placer le « nègre » comme chaînon manquant au XIXe, permet « d’expliquer » à rebours du même coup le rabaissement de l’esclavage et la théorie de l’évolution.

Et le narrateur explique comment en essentialisant ainsi une infériorité, on justifie ainsi une politique coloniale sans merci.

Des éléments de cette compilation ont été déroulé par Richard Monvoisin :

Vous voulez aller plus loin ? Nous vous enjoignons à lire ce monument de la littérature scientifique qu’est « La malmesure de l’Homme », de Stephen Jay Gould (1983) qui compile toutes les (pseudo-)théories ayant tenté d’accréditer scientifiquement le racisme, le sexisme et le criminalisme.

Vous voulez aller…. encore plus loin ? Vous pouvez lire une analyse critique de La malmesure de l’Homme  écrite par Serge Larivée, de l’université de Montréal, dans Vices et vertus de S. J. Gould, Revue québécoise de psychologie, vol. 23, n°3, 2002, pp 7 – 23).

* Lire à ce propos Aubenas & Benasayag, La fabrication de l’information, les journalistes et l’idéologie de la communication, la Découverte (2007).

** Représentation battue en brêche entre autres dans B.Diop, O.Tobner-Biyidi, F-X. Verschave, Négrophobie, éditions Les Arènes (2005).

Richard Monvoisin

Le racisme au quotidien 3/3 : Racisme au quotidien

CorteX evolution humaine

Biologie, idéologies, racisme, sexisme – comment monter un cours de biologie à partir des pseudosciences

Comment élaborer un cours d’épistémologie de la biologie, en partant des pseudothéories ayant servi à des thèses idéologiques ? Voici une manière de s’y prendre telle que je l’ai développée, en cours de « Zététique & Autodéfense intellectuelle » pour des licences de science, et surtout pour l’enseignement Questions d’Actualités en Biologie de ma collègue Isabelle Lebrun destiné aux Licence 3ème année de Sciences de la Vie et de la Terre (SVT).

Je souhaite pointer les principaux détournements de la science biologique dans l’histoire sont les détournements idéologiques liés au racisme / aux mélanges spiritiualistes science-religion / au sexisme / à l’ordonnancement normal-pathologique, et montrer quelques outils d’épistémologie (comme le critère de réfutabilité des théories de Popper) pouvant être utiles pour pressentir la pseudo-science.

J’ai commencé par l’analyse de l’arbre phylogénétique du vivant, qui jusqu’à il y a peu était « orienté » vers l’humain, comme si l’humain était l’aboutissement d’un dessein intelligent, ou d’un créationnisme, et comme si l’ordonnancement des espèces montrait une perfection croissante. J’ai utilisé l’extrait du documentaire « Espèces d’espèces » illustrant parfaitement ce point (voir Biologie, évolution – Métaphore de la boule buissonnante). Nous avons également analysé les représentations classiques de l’évolution humaine, présentant un schéma faux, comme dans les exemples ci-dessous.

CorteX evolution humaine

CorteX evolution humaineCorteX evolution humaine

Puis j’ai analysé, sous forme de questions / réponses, des exemples de transformisme lamarckien qui passent l’air de rien, dans un certain nombre de fictions, que ce soient des pubs (comme Guinness, voir Biologie & vulgarisation – Analyse d’une pub Guinness – raisonnement panglossien), des films (Biologie, nutrition – Arguments anti-lait et lamarckisme dans le film Snatch), des documentaires (documentaires botanistes ou des docu-fictions comme L’Odyssée de l’espèce, voir Biologie, évolution – Erreur dans L’odyssée de l’espèce), ou des dessins animés pour enfants comme Il était une fois l’Homme.

Après avoir détaillé les enjeux et les drames des interprétations Intelligent Design et créationnistes, ainsi que le procès du Singe et le tout récent procès de Dover, nous avons ensuite parlé des détournements ouvertement racialistes ou nationalistes, que ce soit l’époque de la phrénologie et de la criminologie de Lumbroso, la hiérarchisation des races ou le nationalisme sous-jacent comme dans l’affaire du crâne de Piltdown.

Pour montrer que la modernité n’est pas exempte de ce type d’inflexion idéologique, j’insisite longuement sur les cas récents d’utilisation de la pseudo-science pour stigmatiser des populations : les classements DSM de pathologie (qui classait l’homoséxualité comme une pathologie mentale jusqu’en 1973), les affaires autour du gène « gay », et tout récemment les déclarations de N. Sarkozy sur l’origine génétique de la pédophilie (ci-dessous).

Télécharger ici

J’aborde ensuite le lyssenkisme, comme exemple de « science officielle » et de manipulation théorique vers le marxisme, ou le «pseudo-darwinisme social» de Spencer comme manipulation théorique vers le capitalisme.

Je termine par ce qui est certainement la discrimination la plus insidieuse, celle des femmes, en posant la question du sexisme au travers des âges, au travers de la représentation des organes génitaux féminins qui, tout comme du rôle du plaisir chez la femme, ont toujours suivi dans les livres de science les représentations sociales du moment (orgasme clitoridien infantile chez Freud, orgasme utile ou inutile à la procréation, etc.). Je me suis servi d’un petit montage tiré du documentaire Le clitoris, ce cher inconnu de Michèle Dominici.

Nous discutons enfin des questions de genre, des représentations féminines/masculines dans la presse, puis des corps dans les livres d’éducation, ou étrangement, lorsqu’il s’agit de représenter une action musculaire, ce sont toujours des images de garçon, tandis que les mécanismes passifs (lymphatiques) sont immanquablement représentés par des filles (voir ici, et , entre autres).

Pour une séquence telle que celle-ci, au minimum deux heures sont à prévoir. Et préparez-vous à rester au moins une heure de plus pour discuter après le cours !

RM

  • Pour aller plus loin sur les questions d’évolution, on pourra aller dans la Bibliotex, ainsi que se documenter dans le matériel pédagogique du professeur Barrette.
  • Sur les questions d’idéologie raciale, on lira entre autres La malmesure de l’Homme de Stephen Jay Gould (ainsi que les critiques de ce livre envoyées par Serge Larivée, de l’université de Montréal, dans Vices et vertus de S. J. Gould, Revue québécoise de psychologie, vol. 23, n°3, 2002, pp 7 – 23).
  • Sur les questions de sexisme, une introduction simple se trouve dans le livre Contre les jouets sexistes, éditions L’échappée.CorteX jouets sexistes

CorteX - dent d'or de Fontenelle

La dent d’or de Fontenelle et le château en Espagne

Métaphore utile que celle de la dent d’or de Fontenelle. Elle illustre à merveille ce que Henri Broch dénonce dans un certain nombre de thèses paranormalistes (Voir ici). J’ai (RM) coutume de l’illustrer ainsi : Facette zététique : avant de bâtir des châteaux de sable en Espagne, assurons-nous qu’il y a bien du sable. À déguster sans modération.

CorteX - dent d'or de FontenelleAssurons-nous bien du fait, avant que de nous inquiéter de la cause. Il est vrai que cette méthode est bien lente pour la plupart des gens qui courent naturellement à la cause, et passent par-dessus la vérité du fait ; mais enfin nous éviterons le ridicule d’avoir trouvé la cause de ce qui n’est point.

Ce malheur arriva si plaisamment sur la fin du siècle passé à quelques savants d’Allemagne, que je ne puis m’empêcher d’en parler ici.

« En 1593, le bruit courut que, les dents étant tombées à un enfant de Silésie âgé de sept ans, il lui en était venu une d’or à la place d’une de ses grosses dents. Horstius, professeur en médecine dans l’université de Helmstad, écrivit, en 1595, l’histoire de cette dent, et prétendit qu’elle était en partie naturelle, en partie miraculeuse, et qu’elle avait été envoyée de Dieu à cet enfant pour consoler les chrétiens affligés par les Turcs ! Figurez-vous quelle consolation, et quel rapport de cette dent aux chrétiens ni aux Turcs ! En la même année, afin que cette dent d’or ne manquât pas d’historiens, Rullandus en écrit l’histoire. Deux ans après, Ingolsteterus, autre savant, écrit contre le sentiment que Rullandus avait de la dent d’or, et Rullandus fait aussitôt une belle et docte réplique. Un autre grand homme, nommé Libavius, ramasse tout ce qui avait été dit de la dent, et y ajoute son sentiment particulier. Il ne manquait autre chose à tant de beaux ouvrages, sinon qu’il fût vrai que la dent était d’or. Quand un orfèvre l’eut examinée, il se trouva que c’était une feuille d’or appliquée à la dent, avec beaucoup d’adresse : mais on commença par faire des livres, et puis on consulta l’orfèvre. »

Rien n’est plus naturel que d’en faire autant sur toutes sortes de matières. Je ne suis pas si convaincu de notre ignorance par les choses qui sont, et dont la raison nous est inconnue, que par celles qui ne sont point, et dont nous trouvons la raison. Cela veut dire que, non seulement nous n’avons pas les principes qui mènent au vrai, mais que nous en avons d’autres qui s’accommodent très bien avec le faux

Bernard le Boyer, de Fontenelle, Histoire des oracles, chapitre IV (1687).

Cité comme fiche pédagogique dans R.Monvoisin, Pour une didactique de l’esprit critique (2007) p 386.