Atelier Cinéma & stéréotypes : les Arabes, souffre-douleur du cinéma

Dans le cadre d’un atelier doctoral sur l’interaction entre sciences politiques et fictions réalisé à l’Université de Grenoble, Djamel Hadbi, doctorant en génie électrique nous propose une séquence éducative recoupant trois idées-force : la manufacture du consentement, la fabrication de la discrimination, et le rôle des médias, tout cela sous  la forme d’un débat entrecoupé d’un documentaire fractionné, Hollywood et les Arabes (Reel Bad Arabs: How Hollywood Vilifies a People) réalisé par Sut Jhally.

1. Pourquoi ce thème

L’objet de notre travail de recherche était le suivant : comment le cinéma est parfois utilisé à des fins politiques parfois moralement justifiables.

À ce titre, nous avons lu un certain nombre d’articles et visionné des documentaires et des séries, ainsi que bon nombre de blogs où des journalistes indépendants et des sociologues  expliquent les étapes d’une propagande pour justifier une guerre, et confèrent au cinéma un certain rôle. Pour ne citer qu’un article, voici celui de Nicolas Mettelet, Le cinéma : un outil de propagande pour faire accepter la guerre, dans Les cahiers de psychologie politique, numéro 12, Janvier 2008, ici). 

Sans revenir sur toutes ces étapes, mais je vais me concentrer sur ce qui nous intéresse : le mariage douteux du cinéma et de la politique et l’un des fruits de ce mariage : la diabolisation de l’ennemi. Le travail de diabolisation d’une population est une tâche de longue durée, qui possède différents niveaux ; au départ, ce ne sont que des stéréotypes, de type essentialiste (voir ici, ou ) qu’on relaye au cinéma de façon secondaire, puis ces stéréotypes prennent le pas sur la réalité, et figent une représentation de ce groupe social illusoire, généralement raciste. Enfin, lorsqu’on s’apprête à faire la guerre contre ladite population, on passe à la vitesse supérieure, et s’y entremêlent le mensonge, la calomnie pour affubler cette population d’une sorte de crime originel.

2. Support choisi et public

CorteX_Reel-bad-Arabs_mixChaque période et chaque région a semble-t-il sa population « souffre-douleur ». Il semble que dans les sociétés capitalisto-judéo-chrétiennes, la population Arabe soit l’un des souffre-douleur favoris des sociétés capitalisto-judéo-chrétiennes. En effet, sont mélangées dans les représentations populaires, les Arabes, les Musulmans, les Maghrébins, et les « Islamistes », dans un écheveau bien enchevêtré. Sans entrer dans le détail, rappelons d’emblée quelques faits :  

– tous les Arabes ne sont pas Musulmans

– une majorité de Musulmans ne sont pas Arabes ni Maghrébins (mais Indonésiens)

– tous les habitants du Maghreb et du Proche-Orient ne sont pas Arabes, ni locuteurs de l’arabe (Perses d’Iran, Kabyles, Touaregs, etc.)

– « Islamiste » est une notion fort imprécise. Si l’on entend par fondamentalistes du livre, ils ne sont qu’une portion ultraminoritaire, dans quelque groupe que ce soit.

Arabe est donc un mot à effet paillasson, sur lequel même les spécialistes ont du mal à s’entendre. En effet, sur le plan généalogique, serait Arabe celui ou celle qui situe certains de ses ancêtres dans l’une des tribus d’Arabie (définition médiévale, que l’on doit entre autres à Ibn Khaldûn1). Sur le plan national, serait Arabe l’habitant d’un des vingt-deux pays membres de la Ligue arabe – ce qui exclut une partie de la diaspora et phagocyte des minorités linguistiques (Coptes, Kabyles, Syriaques, Berbères, etc.). Sur le plan linguistique enfin, serait Arabe une personne dont la langue maternelle est l’arabe. Cela inclut les locuteurs des parlers locaux, appelés arabes dialectaux, qui ne se comprennent pas toujours entre eux.

Il est donc prévisible que, dans un tel flou scientifique, les stéréotypes aillent bon train, et alimentent un mélange d’Islamo-arabophobie.

Lorsque j’ai commencé à chercher des exemples de cette propagande, je me suis dirigé vers les grosses productions de films d’action d’Hollywood. En cherchant de façon plus approfondie, je me suis rendu compte que la propagande la plus insidieuse qui soit est celle qui passe pas des histoires où ce sont les sentiments et les passions qui sont manipulées. 

CorteX_Reel-bad-Arabs_Shaheen_DVDLe corps du matériel pédagogique est le documentaire Hollywood et les Arabes (Reel Bad Arabs: How Hollywood Vilifies a People) réalisé par Sut Jhally et produit par Media Education Foundation en 2006. De toutes les séquences que j’ai visionnées, c’est le support le plus synthétique et le plus éloquent que j’ai trouvé. Il reprend pratiquement tous les stéréotypes, et son auteur a fait un travail profond. Il ne s’arrête pas aux séquences mais fait un travail d’investigation sur les personnes qui sont derrières ces films et le contexte historico-critique associé, ce qui permet de bien voir les évolutions de l’image de l’Arabe selon la période.

La première partie du documentaire montre l’image stéréotypale de l’Arabe avant la Deuxième Guerre Mondiale, décrypté par le spécialiste de la question, Jack G. Shaheen, professeur émérite de communication de masse à la Southern Illinois University Edwardsville (EU).

[Dailymotion http://www.dailymotion.com/video/x8rkn2_hollywood-et-les-arabes-1-3_news]

La deuxième et troisième partie abordent l »image des Arabes après la Deuxième Guerre Mondiale.

[Dailymotion http://www.dailymotion.com/video/x84lcr_hollywood-et-les-arabes-2-3_news]

Ce documentaire fut notre source principale, et mérite pratiquement une diffusion in extenso.

3. Enchainement de la séquence

Nous encourageons à une démarche socioconstructive basée sur le débat et la construction du savoir grâce aux apports des camarades et sous forme de débat argumenté.

Nous recommandons de commencer par la diffusion d’un extrait de film hollywoodien dénigrant les Arabes de façon complètement insensée : ainsi en est-il de Retour vers le futur  (Back to the Future) de Robert Zemeckis (1985) (sous les traits de fanatiques Lybiens, et ce gratuitement, puisque cela ne concourt en rien à l’intrigue !).

Télécharger ici.

On peut faire le choix de diffuser d’abord l’extrait sans le son, puis avec, et stimuler la réflexion générale : qu’est ce qui attire votre attention, vous choque ? En amenant progressivement à la question suivante : que font des « terroristes » Libyens (Arabes sur le plan national et linguistique) dans un film de science-fiction aux Etats-Unis ?

Ensuite, élargissons la gamme stéréotypale avec Gladiator, de Ridley Scott (1999). Télécharger ici.

Par une maïeutique socratique, amenons le questionnement légitime : que fait une caravane de vendeurs d’esclaves arabes en plein territoire romain ?

Exemple qui semble plus innocent : l’image de l’Arabe barbare est fortement appuyée dans Aladdin, des studios Walt Disney (1992) – dans lequel le héros, lui, est typé eurocaucasien. Télécharger ici.

Enfin, nous vous suggérons également des extraits du film L’enfer du devoir (Rules of engagement) de William Friedkin, sorti en 2000, qui pousse la caricature loin, en faisant des Marines des victimes en situation de défense au Yémen, et tendant à justifier ainsi le  meurtre et l’agression d’enfants. Télécharger là

 

4. Public et déroulement recommandé

La séquence s’adapte bien à des élèves de lycée ou dans le supérieur,  avec une diversité socio-culturelle de préférence. L’introduction à la complexité de la définition d’Arabe sera à placer avant, pendant ou après les séquences vidéos, selon que votre public est non-arabe, mixé ou majoritairement arabe. Ainsi, si le public est complètement naïf de la question « arabe », une introduction sur ce thème éclaircira les idées. Si par contre cette séquence se déroule en France avec des Français se revendiquant Arabes, ou des Arabes en pays « arabe », il sera tout indiqué d’attendre la fin pour complexifier une question que votre public pensait être acquise (de la même façon qu’on peut questionner l’identité nationale de tout pays, depuis le Français aux racines gauloises, inventée à la fin du XIXe siècle, au Magyar descendant des Huns, thèse ouraniste construite par le parti nationaliste Hongrois Jobbik, en passant par le Juif, notion au moins aussi floue qu’Arabe et élégament décryptée par Sholomo Sand dans Comment le peuple juif fut inventé (Fayard, 2008).

  • Parler des guerres en général, comment on les justifie et comment on pCorteX_Reel-bad-Arabs_bugs_bunnyrépare l’opinion ça (voir à ce propos la séquence de C. Egger & R. Monvoisin sur la propagande de guerre).

  • Lancer les extraits pour mCorteX_Arabe_Aladinontrer des exemples et susciter le débat, éventuellement permettre à l’audience d’interrompre la projection pour commenter, vu que le degré de propagande n’est pas le même ante et post-Deuxième Guerre Mondiale. Il y aura forcément une réaction différente, selon l’ancienneté des films.

  • Projeter le dernier extrait flagrant qui montre la manipulation des esprits  en passant le message: les armées d’occupation en Irak, en Afganistan et ailleurs dans le monde sont des gentils et sont en auto défense. A ce propos, nous ne pouvons que recommander les ouvrages de décryptage majeurs que sont la manufacture du consentement, de Noam Chomsky et Edward Herman (Contre-feux, 2008), et Impérialisme humanitaire. Droit de l’Homme, droit d’ingérence, droit du plus fort ? de Jean Bricmont (Agone, 2009). 

Pour creuser encore le sujet, nous recommandons le livre Reel BadCorteX_Reel-bad-Arabs_Shaheen CorteX_jack-shaheen Arabs de Jack Shaheen (Olive Branch Press, 2010) et indiquons la page du site Sens Critique, qui recense certains des films propagandistes listés par J. Shahenn.

Et pour faire le lien avec d’autres discriminations en public jeune, nous recommandons, voir  ici.

 Djamel Hadbi

Réalisé dans le cadre des ateliers du DFI, service Doctoral pour la Formation, l’Initiation et l’insertion professionnelle de l’Université de Grenoble. Encadrement R. Monvoisin, C. Egger

Exercice – Décryptage de la colothérapie, la nouvelle thérapie qui STOPPE plus de 114 maladies en détoxifiant votre colon

Cet exercice faisait partie de l’examen de l’UE Zététique & autodéfense intellectuelle,  niveau Licence, posé par Richard Monvoisin en mai 2014 à l’Université de Grenoble.
(publicité réelle, composée de 10 pages scannées – voir plus bas)

   En vous appuyant sur votre outillage zététique, il est demandé de :

  • faire l’analyse des concepts centraux de la thérapie

  • évaluer la pertinence ou non de cette thérapie

  • rechercher s’il existe de vraies études scientifiques publiées dans des revues à referees

  • (la médecine n’étant pas votre spécialité) demander à un spécialiste de votre choix son avis.

  • pointer tous les biais argumentatifs, sophismes et effets possibles dans la plaquette ci-jointe

La démarche scientifique impose que vous donniez des références précises quand vous vous appuyez sur d’autres travaux.

CorteX_intestin

Le corrigé en pdf est téléchargeable ici

Colo p1Colo p2Colo p3Colo p4Colo p6 Colo p5 Colo p4 Colo p7 Colo p8 Colo p9 Colo p10

Corrigé – Analyse du texte "Le panda est une création tout à fait étrange", de R. Meinnachbach

Analyse du texte « le panda est une création tout à fait étrange »
(Pour l’énoncé, voir ici).

« Le panda

Catégorie imprécise. Rappelons-nous que la notion d’espèce est une catégorie créée par le cerveau humain. En gardant cette catégorisation, il faut être précis : il y a deux grands genres de panda, les Ailuropodes et les Ailurides (de ailos, en grec : le chat). Ils sont tous les deux du sous-ordre des caniformes, mais les premiers appartiennent à la famille des ours, les Ursidés. Chez les Ailuropodes, il y a deux sous-espèces, le panda géant, Ailuropoda melanoleuca, auquel il est fait référence ici dans ce texte, et le panda de Qinling, Ailuropoda melanoleuca qinlingensis. Quant aux Ailurides, qui n’ont qu’un seul représentant vivant, le panda roux, ou panda fuligineux, Ailurus fulgens, ils sont de la famille des ratons-laveurs, les procyonides. Pour les embranchements phylogénétiques, voir plus loin.

est une création

Terme téléologique. « Création » implique un créateur, et instille l’idée d’une espèce créée telle quelle, ce qui nous ramène au fixisme.

 tout à fait étrange

Norme. Étrange par rapport à quelle norme ? Cette « étrangeté » relative fait le jeu de la lecture téléologique

 et inadaptée à son milieu

Erreur d’analyse évolutive. Aucune espèce n’est « inadaptée » à son « milieu » (sauf éventuellement lors d’un bouleversement colossal de celui-ci). Elles sont toutes au contraire fortement adaptées à leur niche. Le panda géant, avec ses spécificités, a justement une niche écologique « très sensible », au point qu’une simple variation de ladite niche peut le mettre en péril.

 : il ne sait manger que des feuilles de bambou, alors que son estomac est fait pour manger de la viande

Terme téléologique. Un organe n’est pas « fait pour » quelque-chose. Il n’est pas « fait », et pas « pour » (dans le but de). Il est le fruit d’un ensemble de caractéristiques héritées d’individus les ayant possédés et leur ayant conféré un avantage par rapport aux autres individus pandas. De ce fait, ces caractéristiques se sont propagées à toute la population car augmentant le succès reproducteur de leurs porteurs.

  ; cela ne lui donne que très peu d’énergie pour se déplacer ou même copuler. Certains disent que ce fossile vivant

Notion désuète et fausse. Un fossile vivant, ou espèce panchronique est une espèce actuelle présentant des ressemblances morphologiques avec des espèces éteintes, identifiées sous la forme de fossiles. Ces appellations, abandonnées, suggéraient, à tort, que ces espèces n’ont plus évolué depuis les temps fossilifères. Or l’apparente stabilité morphologique des espèces panchroniques ne concerne que la morphologie externe globale de ces groupes d’espèces, l’anatomie interne et a fortiori le patrimoine génétique de ces espèces varient et évoluent au cours du temps (cf. ouvrages de Lecointre et Le Guyader). En clair, comme l’écrit le Maître de conférences parisien Patrick Laurenti, un bon fossile vivant est un fossile mort 🙂

 est le chaînon manquant

Notion désuète et fausse. Le chaînon manquant, ou forme transitionnelle serait une espèce vivante ou fossile qui présenterait une mosaïque de caractères de deux autres espèces ou groupes d’espèces actuelles, laissant penser qu’il est une forme intermédiaire entre ces dernières, dans une logique de classification linéaire que l’on sait illusoire. Cette expression est à bannir, à l’instar de « chaînon manquant » ou « maillon », car l’identification d’une forme transitionnelle n’est possible qu’a posteriori et en négligeant l’aspect continu, buissonnant et non directement orienté du processus évolutif. En gros, on lit à rebours le processus, en un beau raisonnement panglossien. En outre, une forme transitionnelle entre espèces actuelles ne peut pas exister, au contraire d’ancêtres communs ou d’ « intermédiaires structuraux ».

 des ours

→ « chaînon manquant des ours »  ne veut rien dire : même si chaînon manquant avait du sens, il faudrait dire « entre les ours et …. quelque chose d’autre ».

Problème de filiation. Si on raisonne sur le panda roux, de récentes recherches en phylogénie moléculaire le situent dans un genre indépendant, les Ailures, de laquelle il serait la seule espèce encore vivante. Ce genre fait lui-même partie de la super-famille des Musteloidea qui inclut aussi les Mephitidae (mouffette) d’une part, les Procyonidae (raton laveur) et les Mustelidae (belette) d’autre part. Selon cette nouvelle classification, il n’appartient donc pas à la famille des Ursidae. Il serait plus proche des ratons-laveurs, en raison des grandes affinités du squelette, de la dentition, des organes génitaux et du pelage.

Si on raisonne vraiment sur les deux sous-espèces de pandas géants (Ailuropoda melanoleuca), alors effectivement il est classé dans la catégorie Ursidae, bien que longtemps considéré comme une sorte de « raton laveur aberrant ».

Précisons que Dwight Davis, de Chicago, a montré en 1964 que s’il y a une forte ressemblance entre les deux familles de panda, cela résulte davantage d’une évolution vers des fonctions semblables que d’une ascendance commune. Cela fut confirmé dans les années 80 par l’équipe de généticiens de Stephen J. O’Brien. Anecdote : le contre-argument contre le classement des pandas géants dans les Ursidés reposait sur le nombre de chromosomes : les ours possèdent 74 chromosomes et les grands pandas seulement 42, ce qui semblait contredire une étroite parenté. Mais on découvrit que les chromosomes plus courts de l’ours avaient fusionné, et formé les chromosomes moins nombreux et plus longs du panda géant. Remonter le buisson phylogénétique nous fait remonter dans le temps. On sait désormais que les familles de l’ours et du raton laveur se séparèrent sur l’arbre de l’évolution; il y a plus de 40 millions d’années, tandis que les pandas géants se différencièrent des ours il y a seulement 22 à 25 millions d’années.

 CorteX_Phylogenetique_panda

 , mais aucun fossile n’a jamais été découvert.

Erreur de raisonnement, et biais d’échantillonnage. Primo, nombre de fossiles n’ont pas été découvert ; secundo, un ancêtre commun à deux espèces peut avoir existé sans, hélas, se voir figé dans la roche ; tertio, fin 2012 ont été découverts deux jeux de dents fossiles d’un ancêtre commun entre l’ours et le panda géant… au nord de l’Espagne. Ce fossile, daté de 11,6 millions d’années, appartiendrait à un genre disparu, Kretzoiarctos beatrix, ou ours de Kretzoi, nommé ainsi en l’honneur du paléontologiste Miklos Kretzoi et de sa collègue Beatriz Azanza.

 Les évolutionnistes disent que sa seule stratégie

Terme téléologique. « Stratégie » impliquerait que l’acquisition d’un caractère se ferait par la volonté, la perspicacité ou le choix propre de l’espèce. Or primo il n’y a pas de « conscience » d’espèce. Secundo, il n’y a aucune part à la volonté des individus dans l’adaptation au milieu.

 fut de développer sa couleur pour mieux plaire à son partenaire sexuel,

Terme téléologique. « Pour » signifierait qu’il y a un but, séduire son partenaire. L’évolution se lit à rebours : ceux qui ont développé cette couleur ont été avantagé par rapport aux autres dans la compétition sexuelle.

 mais cette lecture est glaciale, comme l’est l’évolutionnisme

Double erreur épistémologique : primo, glacial s’interprète comme « froid, inhumain, immoral ». Or l’évolution n’est ni morale ni immorale, mais amorale, comme toutes les descriptions scientifiques. Secundo, le terme « évolutionnisme », avec son suffixe -isme, instille l’idée d’une école de pensée, ou une école de morale. On ne parle pas de gravitationnisme, ou de quanticisme, fort heureusement.

 qui est une sorte de religion ayant pour prophète Charles Darwin.

Métaphore de la religiosité de la science, très fréquente depuis Paul Feyerabend, et en vogue dans les courants relativistes. Or, quel que soit le sens que l’on donne au mot science la métaphore de la religion ne fonctionne pas vraiment : il n’y a pas de morale immanente, pas d’entité sur-naturelle, pas de rédemption, pas de texte sacré ni de prophète. Bien sûr, sous certains aspects, certains scientifiques ont prôné des courants à l’exclusion d’autres (ce qui n’était d’ailleurs pas du tout le cas de Darwin) mais on parlera plutôt de paradigmes, au sens de Kuhn. Et la notion de prophète (une personne qui tient, d’une inspiration que l’on croit être divine, la connaissance d’événements à venir et qui les annonce par ses paroles ou ses écrits) s’évapore.

 En regardant les caractéristiques du panda, il est impossible que cette créature

Terme téléologique. Même remarque que plus haut.

 soit le fruit du hasard,

Argument téléologique classique de l’Intelligent design dit « argument de l’impossibilité ».C’est un raisonnement panglossien. Notez que la théorie de l’évolution ne décrit pas l’apparition des espèces comme le fruit du hasard. C’est un mélange de hasard (comme par exemple les mutations) et de nécessité (contraintes du milieu). La rhétorique dont procède cette phrase relève de l’Homme de paille (argument du strawman).

 car s’il avait fallu évaluer la probabilité de son apparition par hasard, celle-ci aurait été immensément faible.

Raisonnement panglossien. Voir point précédent.

De même qu’une montre trouvée dans le désert ne s’explique pas par hasard et implique un horloger qui l’a fabriquée,

Argument téléologique classique de l’Intelligent design dit « Métaphore de l’horloger du Révérend William Paley ». Raisonnement panglossien.

de même

Analogie fausse entre la montre et le panda : le fait de comparer une production humaine à une espèce est injustifié, sauf à prendre ce qu’on veut montrer comme prémisse (ce qui deviendrait un raisonnement circulaire).

il est certain que, Dieu ou pas, une volonté immanente a créé cet être improbable.

Termes téléologiques. Création : terme téléologique, impliquant un créateur ; « être improbable » n’a pas de sens, car en soi tous les êtres sont improbables (mais possibles ! Avec des degrés de possibilité différents).

Défaut de rasoir d’Occam : postulat d’une volonté immanente, entité sans preuve ni nécessité pour expliquer le phénomène, donc surnuméraire.

Cela démontre

Erreur de démonstration : la métaphore (fausse qui plus est) ne démontre rien.

qu’il y a une essence, une nature de chaque espèce,

Biais d’essentialisme, ou de naturalisme : postuler une nature inaliénable de l’espèce. Cela nous ramène au fixisme primitif, propre aux créationnismes.

de même qu’il y a des natures délinquantes et d’autres non chez les Humains,

Biais d’essentialisme, ou de naturalisme : postuler une nature inaliénable des groupes sociaux (comme dans l’anthropologie du XIXe).

Effet paillasson : délinquant est un terme bien trop flou et composite

Effet cigogne + défaut de rasoir d’Occam : prêter à la « nature » d’un individu son caractère délinquant est coûteux sur le plan des connaissances. Rien ne permet de penser que la « délinquance » soit la nature de quelqu’un. Par contre on a maintes données sur le lien entre « délinquance » (hors délinquance en col blanc) et situation socio-économique. Cette seconde hypothèse est donc bien moins « coûteuse » selon le principe de parcimonie du rasoir d’Occam.

ainsi qu’une nature féminine et une nature masculine, comme le montre l’instinct guerrier chez les Hommes et l’instinct maternel chez les Femmes ».

Biais d’essentialisme, ou de naturalisme, variante sexiste

dichotomie entre deux sexes, là où il y a pourtant un continuum inter-sexe.

Effet cigogne + défaut de rasoir d’Occam. Prêt d’un instinct guerrier propre aux Hommes, d’un instinct maternel propre aux femmes, là où une explication socioéconomique des tâches est bien plus pertinente et étayée : la guerre est une activité politique, domaine réservé aux Hommes pendant longtemps ; la maternité une activité dévolue aux femmes. Sur ce point, il ne semble pas qu’il existe un instinct maternel dissociable du paternel, et qui ne soit pas le fruit d’un apprentissage très tôt chez la jeune fille, couplé à un temps accru passé avec les enfants, par la grossesse d’abord, par le partage des tâches ensuite.

R Meinnachbach, Für eine erfolgreiche intellektuellen Betrug in der Frage der panda, Oxbridge Ed. 1974, pp. 274-275

Canular. Version allemande de R. Monvoisin, Pour une imposture intellectuelle réussie sur la question du panda, livre qui n’existe pas. Oxbridge, contraction de Oxford et de Cambridge.


Cette correction est le fruit d’une étroite et glutineuse collaboration entre Richard Monvoisin et Julien Peccoud
.
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CorteX_Julien_Peccoud_loupe

Exercice – Analyse du texte "Le panda est une création tout à fait étrange", de R. Meinnachbach

Cet exercice faisait partie de l’examen de l’UE Zététique & autodéfense intellectuelle,  posé par Richard Monvoisin en mai 2014 aux étudiants de  niveau Licence de l’Université de Grenoble.

 

Analyse de texte

AB26958

Faites une analyse critique zététique du texte suivant :

« Le panda est une création tout à fait étrange, et inadaptée à son milieu : il ne sait manger que des feuilles de bambou, alors que son estomac est fait pour manger de la viande ; cela ne lui donne que très peu d’énergie pour se déplacer ou même copuler. Certains disent que ce fossile vivant est le chaînon manquant des ours, mais aucun fossile n’a jamais été découvert. Les évolutionnistes disent que sa seule stratégie fut de développer sa couleur pour mieux plaire à son partenaire sexuel, mais cette lecture est glaciale, comme l’est l’évolutionnisme qui est une sorte de religion ayant pour prophète Charles Darwin. En regardant les caractéristiques du panda, il est impossible que cette créature soit le fruit du hasard, car s’il avait fallu évaluer la probabilité de son apparition par hasard, celle-ci aurait été immensément faible. De même qu’une montre trouvée dans le désert ne s’explique pas par hasard et implique un horloger qui l’a fabriquée, de même il est certain que, Dieu ou pas, une volonté immanente a créé cet être improbable. Cela démontre qu’il y a une essence, une nature de chaque espèce, de même qu’il y a des natures délinquantes et d’autres non chez les Humains, ainsi qu’une nature féminine et une nature masculine, comme le montre l’instinct guerrier chez les Hommes et l’instinct maternel chez les Femmes ».

R Meinnachbach, Für eine erfolgreiche intellektuellen Betrug in der Frage der panda, Oxbridge Ed. 1974, pp. 274-275.

Le corrigé est ici.

Examen de zététique 2014

Remis le 22 avril 2014 aux étudiants de l’UET Zététique & Autodéfense intellectuelle (Grenoble), ce devoir à rendre le 6 mai 2014 réinvestit les connaissances acquises en cours. Vous voulez essayer ? Un corrigé sera disponible fin mai. 
Les consignes reçues par les étudiant-tes sont données à la fin.

I. Enquête

La colothérapie, la nouvelle thérapie qui STOPPE plus de 114 maladies en détoxifiant votre COLON (publicité réelle, composée de 10 pages scannées – Disponibles ici)

En vous appuyant sur votre outillage zététique, il vous est demandé de :

  • faire l’analyse des concepts centraux de la thérapie

  • évaluer la pertinence ou non de cette thérapie

  • rechercher s’il existe de vraies études scientifiques publiées dans des revues à referees

  • (la médecine n’étant pas votre spécialité) demander à un spécialiste de votre choix son avis.

  • pointer tous les biais argumentatifs, sophismes et effets possibles dans la plaquette ci-jointe

La démarche scientifique impose que vous donniez des références précises quand vous vous appuyez sur d’autres travaux.

 (5 points)

II. Décorticage d’un extrait du journal télévisé

Igor et Grishka Bogdanov au CERN, 11 juin 2010, France 2

(vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=A-w-Z_PR33o)

Faites l’analyse la plus approfondie possible SVP :

  • de la mise en scène

  • de la rhétorique

  • des biais de raisonnement.

(3 points)

III. Montage d’un protocole expérimental

Élaborez et réalisez une expérience rigoureuse sur le plan scientifique qui permet de comparer la sensibilité de l’un-e ou de plusieurs de vos amis à la différence entre deux produits – en précisant la puissance statistique de vos résultats.

Exemples de produits : Coca et Pepsi / Vache qui rit et Kiri / Deux vins de différente couleur / Bière blonde et bière brune / etc.

 (4 points)

IV. Recoupement de presse

Choisissez un sujet relevant des sciences politiques (conflit, affaire, géopolitique, discrimination…) dans un quotidien*, et comparez les variations de traitement dans au moins cinq autres journaux du même type (Ex : Libération, Le Monde, le Figaro, Herald Tribune, New York Times, Washington Post, El Pais, Frankfurter Zeitung, Corriere della Sera, Al Sahafa الصحافة, Komsomolskaïa Pravda Комсомо́льская пра́вда, dans la limite des langues que vous maîtrisez.

Il vous sera nécessaire de reproduire les articles, en les photocopiant / capturant et en les scannant, dans votre dossier final)

 * Version papier ou version numérique mais tous les journaux doivent tous relever du même support.

** à la même date, bien entendu.

(3 points)

V. Exposition sélective

Masaru Emoto est un japonais qui affirme que l’eau stocke les pensées positives ou négatives, par des processus quantiques. Ses affirmations font l’objet d’une grande promotion, bien que jamais n’ait été montré le début d’une preuve.

Dans le moteur de recherche Google, tapez Masaru Emoto et analysez les 8 premières pages, en classant ces pages selon la teneur : partisan de la « théorie » d’Emoto / critique de la « théorie » d’Emoto.

À quelle page parvient-on aux premières critiques en français ? Dans une autre langue ?

Obtient-on les mêmes résultats sur des ordinateurs différents ?

Choisissez un autre sujet pseudo-scientifique de votre choix (astrologie, crop circles, homéopathie…) et faites SVP le même travail.

(2 points)

VI. Analyse de texte

Faites une analyse zététique du texte suivant :

 « Le panda est une création tout à fait étrange, et inadaptée à son milieu : il ne sait manger que des feuilles de bambou, alors que son estomac est fait pour manger de la viande ; cela ne lui donne que très peu d’énergie pour se déplacer ou même copuler. Certains disent que ce fossile vivant est le chaînon manquant des ours, mais aucun fossile n’a jamais été découvert. Les évolutionnistes disent que sa seule stratégie fut de développer sa couleur pour mieux plaire à son partenaire sexuel, mais cette lecture est glaciale, comme l’est l’évolutionnisme qui est une sorte de religion ayant pour prophète Charles Darwin. En regardant les caractéristiques du panda, il est impossible que cette créature soit le fruit du hasard, car s’il avait fallu évaluer la probabilité de son apparition par hasard, celle-ci aurait été immensément faible. De même qu’une montre trouvée dans le désert ne s’explique pas par hasard et implique un horloger qui l’a fabriquée, de même il est certain que, Dieu ou pas, une volonté immanente a crée cet être improbable. Cela démontre qu’il y a une essence, une nature de chaque espèce, de même qu’il y a des natures délinquantes et d’autres non chez les Humains, ainsi qu’une nature féminine et une nature masculine, comme le montre l’instinct guerrier chez les Hommes et l’instinct maternel chez les Femmes ». .R Meinnachbach, Für eine erfolgreiche intellektuellen Betrug in der Frage der panda, Oxbridge Ed. 1974, pp. 274-275

(3 points)

Consignes

Ce travail peut être réalisé seul-e, à deux, trois ou quatre, moyennant que les noms (+ cursus + université) soient indiqués sur la copie.

Les critères d’évaluation sont les mêmes que vous soyez 1 ou 4, ceci afin de vous encourager à collaborer.

Il est attendu de vous :

– que vous soyez précis et rigoureux dans vos références, dans vos arguments, dans vos sources

– que vous réinvestissiez les outils méthodologiques du cours

– que vous justifiiez chacun des arguments que vous employez

– que vous fassiez appel à des spécialistes si vos compétences sont dépassées

– que vous rendiez le 6 mai une version papier reliée ou agrafée + une version informatique par mail.

Normalement, la copie type pour avoir tous les points fait environ 10 pages police Times New Roman 12.

Bon courage.

Richard Monvoisin

Atelier sur les questions d'éducation genrée dans le travail social

Voici le déroulé d’un atelier intitulé « Éducation sexuée : les questions de genre dans le travail social », élaboré dans le cadre d’un projet d’étudiants1 de Carrières Sociales, option Éducateur-rice Spécialisé-e, de l’IUT2 de Grenoble. Un groupe d’étudiant-e-s a mené un atelier/débat sur les questions d’homoparentalité avec leurs collègues de promotion de seconde année, futurs éducatrices et éducateurs spécialisés. Leur démarche est un exemple de mise en place de débat, sur des modalités atypiques, afin de susciter et faciliter l’analyse de sujets fortement passionnés et dépasser la simple expression de points de vue, tout cela avec une forte contrainte de temps (1h30).

Atelier réalisé et animé et décrit par Mathilde Barthélémy, Julie Olivier et Morgane Rabaté, en avril 2013.


Introduction

L’homoparentalité a fait débat ces derniers mois sur la scène politique française. En lien avec les questions de genre, la problématique que le sujet a pu soulever, entre-autre, est la suivante : deux personnes du même sexe ont-elles toutes les qualités requises pour élever un enfant ? La complémentarité éducative des genres est-elle toujours d’actualité ?

Tous les médias ont relayé les arguments pour et contre permettant à chacun de s’en saisir pour alimenter sa propre réflexion. Les participants avaient donc déjà réfléchi, a priori, à la question avant cette journée. Partir des raisonnements personnels de chacun était pour nous la manière la plus pertinente de sensibiliser les étudiants à ces questions et de leur donner envie de les approfondir.

Nous avons sollicité l’appui de Nicolas Gaillard du Collectif Cortecs dans l’élaboration de cet atelier.

Nous voulions amener notre atelier de façon ludique de manière à mettre à l’aise, à intéresser chacun et donc, à faciliter l’échange. Sous forme de jeu, nous avons scindé le groupe en deux, de manière arbitraire. Nous ne voulions pas d’un débat où chacun exprimerait sa propre opinion mais où le raisonnement et l’élaboration seraient mis en avant.

Déroulement de l’atelier

1. Constitution des groupes

Pour encourager la démarche d’argumentation plutôt que la défense de sa propre position sur l’homoparentalité, nous avons constitué deux groupes au hasard. Pour cela nous avons commencé par un jeu en début d’atelier : en imaginant une ligne qui sépare en deux la salle, les participants avaient comme consigne de se placer chacun.e d’un côté (« oui ») ou de l’autre (« non ») pour répondre à une liste de questions tordues (aimez-vous le fromage ? Suivez-vous l’actualité sportive ? Etc.). Quand une des questions à partagé les participants en deux groupes égaux, nous avons décrété que les « Pour » étaient d’un côté et les « Contre » de l’autre pour passer à la suite.

2. Phase d’élaboration des arguments

Les « Pour » et les « Contre » devaient donc chercher des arguments en groupe et à l’écrit en vue de la seconde partie de l’atelier, indépendamment de leur propre opinion et position sur la question. Nous avons participé à leur réflexion en l’alimentant par nos recherches préalables et en étayant les arguments dans chacun des groupes.

3. Confrontation des arguments et débat

Les deux groupes se sont répondus successivement sur les mêmes arguments. Nous régulions la parole pour que chacun-e puisse aller au bout de son idée. (voir le contenu des échanges plus bas en annexe ).

4. Bilan avec les participants

Voici des réponses des étudiants :

« Il est intéressant de réfléchir autrement si on est dans le groupe qui ne défend pas nos positions. Puis, si on est dans le groupe qui défend nos positions, on cherche des arguments fondés et on ne s’appuie pas sur des préjugés pour débattre. »

« Les médias véhiculent des bêtises que les gens répètent bêtement. Cela nous permet une certaine remise en question de ce qu’on entend. »

« Notre formation nous permet d’avoir une certaine ouverture d’esprit, et des arguments plus objectifs, en s’appuyant également sur des médias plus appropriés, plus objectifs que d’autres. »

« Pour débattre, nous nous sommes appuyés sur nos connaissances, en essayant d’être logique dans les propos qu’on avançait. Il était plus difficile pour nous d’être dans le groupe « contre » pour trouver des arguments « contre » nous avons pensé aux arguments « pour » et nous avons essayé de les inverser. »

Bilan de l’atelier

Nous avons été impressionnées à la fois par l’engagement des étudiants dans le jeu de rôle et par la pertinence des arguments avancés (cf Annexe). En ce sens, notre objectif de sensibilisation a été atteint grâce à l’aspect ludique de l’atelier et aux modalités de réflexion.

Outre le questionnement autour des normes de genre, ce débat avait pour but de déconstruire les idées reçues et de privilégier l’objectivité des arguments. A la fin de l’atelier, nous avons donc questionné cet aspect.

Pour conclure, nous pouvons donc faire le lien entre l’adoption homosexuelle et les questions de genre en nous appuyant sur les propos des étudiants lors de l’atelier.

Ce sont des préjugés qui poussent à dire que telle ou telle pratique est sexuée, en réalité, la tâche à accomplir avec l’enfant, la posture à avoir, les valeurs à transmettre dépendent avant tout d’une personne avant de dépendre d’une personne sexuée. C’est pourquoi, pendant le débat le groupe « pour » a insisté sur le fait que ce qui compte c’est la sécurité physique, affective de l’enfant, et que ces besoins primaires, secondaires soient assurés. Pourquoi un couple homosexuel ne serait-il pas capable de garantir cela à son enfant ? La figure d’attachement peut être un couple homosexuel pour l’enfant, tant que les parents sont aimants et attentifs au bien-être de l’enfant, qu’est-ce qui empêche deux femmes ou deux hommes de transmettre des valeurs à leurs enfants et d’être un repère pour ces derniers ?


Annexe

Les arguments du débat : Pour ou Contre l’adoption par des couples homosexuels ?

Attention : afin de décortiquer ces arguments formulés « à froid » pour cet atelier, on lira avec profit sur le site du cortecs : « pour en savoir plus sur la notion de genre « .

Contre : Chaque enfant a besoin d’une figure d’attachement paternelle et d’une figure d’attachement maternelle. Il faut conserver l’image de la famille nucléaire.

Pour : La figure d’attachement n’est pas forcément le père ou la mère. C’est quelqu’un qui prend soin de l’enfant au quotidien. Les personnes homosexuelles ont la capacité de transmettre les mêmes valeurs que les personnes hétérosexuelles.

Contre : L’autorité est incarnée par le père donc dans un foyer il faut forcément un homme.

Pour : Ceci est un cliché, pourquoi le père incarnerait forcément l’autorité ?

Contre : C’est une question d’identification. Comment des parents de sexe masculin par exemple pourront expliquer à leur fille la puberté ?

Pour : L’entourage peut apprendre ces choses-là. Par exemple, une tante ou une cousine pourra parler de puberté avec la jeune fille. De plus, ce n’est pas parce qu’on a un papa et une maman que notre mère sera forcément à même de nous parler de puberté. L’attitude, le rôle d’un parent est différent suivant sa personnalité et non pas suivant son sexe. On pourrait se poser la même question chez les parents célibataires d’ailleurs. Mais la réponse serait la même. Aussi, chez un couple hétérosexuel, parfois, les deux parents n’ont pas d’autorité, cela ne dépend pas du sexe de ces derniers mais de leur rôle respectif et de leur personnalité.

Contre : A l’école l’enfant de parents de même sexe subira des moqueries, il sera peut être exclu alors que l’école est une instance de socialisation. Aussi, il y aura plus d’homosexuels à l’avenir car les enfants répéteront le modèle de leurs parents par identification.

Pour : Certes, les enfants sont durs entre eux, mais pas seulement avec les enfants ayant des parents homosexuels. Le jeune qui est obèse dans une classe peut être rejeté également par ses camarades.

Contre : Oui, mais il n’y a pas de personne contre l’obésité par exemple, alors qu’il y a des personnes contre l’adoption homosexuelle. Avoir un enfant lorsqu’on est homosexuel ce n’est pas dans les mœurs, ce n’est pas naturel, ce n’est pas normal.

Pour : Quand la loi passera cela entrera dans les mœurs car le phénomène va se multiplier. Autrefois, une femme qui élevait seule son enfant était insultée de « salope » alors qu’aujourd’hui le fait qu’une femme élève seule son enfant fait partie des mœurs. Ce sont les hommes qui font la société. Aujourd’hui la société change, il faut donc s’adapter et que les lois suivent la volonté de la majorité du peuple.

Contre : La douleur endurée par les femmes lorsqu’elles se faisaient traiter de « salope », sera également présente pour les enfants dont les parents sont homosexuels.

Pour : On n’interdit pas à une femme d’élever son enfant seule, pourquoi interdire à un couple homosexuel d’avoir un enfant ?

Contre : La religion est contre l’adoption homosexuelle.

Pour : La France est un État laïque depuis 1905 alors pourquoi interdire à des gens qui s’aiment d’avoir un enfant ?

Contre : Les enfants souffriront d’avoir des parents homosexuels.

Pour : L’enfant n’aura jamais eu un père et une mère donc il ne pourra pas souffrir de ne pas en avoir puisqu’il n’aura jamais connu ses parents hétérosexuels. L’enfant peut se poser des questions bien sûr, mais tous les enfants s’en posent. Pourquoi ma mère a quitté mon père ?etc. Tous les enfants se comparent. Est-ce que se poser des questions veut dire aller mal ? Ceci est un cliché, sur le couple et sur l’intérêt de l’enfant.

Contre : Une mère sera la mère biologique et l’autre non, il n’y aura pas de lien de sang donc pas de lien reconnu, cela pourra engendrer un manque d’autorité sur l’enfant.

Pour : Ce n’est pas le sang qui lie. Les enfants adoptés par des parents hétérosexuels vivent avec leurs parents adoptifs et peuvent être très heureux comme ça. Le fruit de l’amour entre deux personnes est le fait d’avoir des enfants. Pourquoi empêcher les couples homosexuels qui s’aiment d’avoir des enfants ? Ce qui compte c’est la sécurité physique, affective de l’enfant, que ses besoins primaires, secondaires soient assurés. Pourquoi un couple homosexuel ne serait-il pas capable de garantir cela à son enfant ?

Contre : Tous les enfants adoptés finissent en maison d’enfants à caractère social.

Pour : Vous parlez des maisons d’enfants dans lesquelles vous êtes allés et où il y avait des enfants adoptés. Cela représente un échantillon d’expériences et ce n’est pas représentatif de la réalité. De plus, en maison d’enfants on transmet des valeurs comme peuvent le faire les parents adoptifs ou une tierce personne donc on n’a pas besoin d’être les parents biologiques, d’avoir des liens de sang pour transmettre quelque chose aux enfants.

Contre : Oui mais en maison d’enfants il y a des éducateurs hommes et des éducateurs femmes.

Pour : Qu’est ce qui prouve que cela est nécessaire ? Tel ou tel rôle peut être remplit par tel ou tel « sexe ».


La généralisation abusive

Le sophisme est un raisonnement qui n’est logiquement correct qu’en apparence. Il se distingue des paralogismes dans le sens où il est volontairement fallacieux, conçu avec l’intention d’induire en erreur.


Méthode : prendre un échantillon trop petit et en tirer une conclusion générale.
Exemples :

  • « Mon voisin est un benêt moustachu, donc tous les moustachus sont des benêts. »
  • « Les Chinois sont vachement sympas. J’en connais deux, ils sont trop cools. »
  • « Ma mère a guéri sa verrue en allant voir le rebouteux. Ils sont forts, ces gens-là. »1

Exemple « les Français… » (Le petit journal de Canal+, 12/11/2013)
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=NkGmdzHSE0E]
 
 

Le hareng fumé

Le sophisme est un raisonnement qui n’est logiquement correct qu’en apparence. Il se distingue des paralogismes dans le sens où il est volontairement fallacieux, conçu avec l’intention d’induire en erreur.

La technique du Hareng fumé (Red Herring) ou technique de la fausse piste.

red-herring_Hareng

Les prisonniers en fuite, paraît-il*, laissaient des harengs fumés derrière eux pour distraire les chiens pisteurs et les détourner de leur piste.

Méthode : amener à traiter d’un autre sujet que ce celui qui est discuté. Stratagème de détournement, technique dilatoire.

Il s’agit d’un changement délibéré de sujet dans une conversation afin de détourner l’attention du sujet original.
C’est une technique proche de la technique du chiffon rouge lors de laquelle il s’agit d’évoquer en plus un mal supposé pire que celui dont on veut discuter et de laisser entendre que l’existence du deuxième dispense de traiter du premier. L’odeur du hareng apparaît généralement quand un interlocuteur débute sa phrase par : « Il me semble que le vrai débat…« 

Exemples :

« Ne joue pas avec ce bâton pointu« 
« Ce n’est pas un bâton, c’est un laser bionique« 
__

« Vous soulignez le besoin urgent de réduire les émissions de gaz à effet de serre afin de stopper le réchauffement climatique. Mais le problème le plus sérieux pour les générations futures est le risque des armes nucléaires aux mains des États totalitaires et des terroristes! C’est là que nous devons concentrer notre attention et nos ressources. »

__
Petit montage d’une séquence de « Média le mag » sur France 5 – 18 novembre 2012.

[dailymotion id=xzyx2d]

Contexte : manifestation devant le ministère de la Santé de chirurgiens pour protester contre l’accord conventionnel encadrant les dépassements d’honoraires. Cette démarche semble mal perçue par l’opinion publique, les médias posent régulièrement la question d’une protestation de « cols blancs. »

Voici les réponses « fumées » :

« Il n’est pas question ici de revendiquer des revalorisations tarifaires mais pour que les malades soient mieux remboursés »

« Ce n’est pas de gagner plus, c’est de mieux rembourser les patients »

« Il ne s’agit pas d’augmenter les tarifs, il s’agit de mieux les rembourser »

« On consacre toute notre énergie à sauver la vie des gens, à soulager la souffrance, à porter le malheur des Français : on nous remercie (dans un certain nombre de médias) en nous disant qu’on est des nantis. »Hareng

*Cette référence semblait douteuse et après vérifications c’est effectivement une légende !

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Mathématiques – Limiter l'influence de données chiffrées sur notre perception d'une situation

Nicolas Gauvrit nous le démontrait dans Graphiques, attention aux axes : plusieurs représentations graphiques distinctes peuvent être justes simultanément tout en provocant des perceptions très différentes de l’importance d’une variation ou d’une quantité. Le choix d’une représentation graphique peut donc influencer notre perception d’une situation donnée. Afin de limiter l’impact de cet effet sur notre jugement, il nous suffira de prendre une petite habitude peu coûteuse en temps : jeter un coup d’œil à l’échelle et à la valeur prise pour origine de l’axe des ordonnées. 
Mais il s’avère que, de manière tout à fait similaire, une simple présentation de données chiffrées, qui pourrait sembler totalement objective, peut tout autant influer sur notre ressenti. Dans ce TP tout spécialement dédicacé aux « mathophobes », j’illustrerai ce phénomène sur un article du Dauphiné libéré intitulé Arnaques aux prestations sociales – Ces fraudes qui nous coûtent très chères et proposerai une parade efficace : confronter valeurs absolues et valeurs relatives.


Valeurs absolues et valeurs relatives.

La valeur relative est importante
Commençons avec un exemple fictif et imaginons qu’on me dise :  » tu te rends compte, il y a 5 femmes dans cette entreprise ! « . Le ton de la phrase indique clairement qu’il y a là quelque chose de surprenant, mais hors contexte, si nous ne connaissons pas l’entreprise en question, on a bien du mal à savoir s’il faut s’étonner qu’il n’y ait que 5 femmes ou bien, au contraire, qu’il y ait autant de femmes. Dans cet exemple, mon interlocuteur me donne la valeur absolue du nombre de femmes. C’est une donnée en soi, probablement juste, mais qui ne me donne pas les informations nécessaires pour mesurer le côté  » extra-ordinaire  » de la situation.
S’il m’avait dit :  » tu te rends compte, dans cette entreprise, il y a 50 salariés et 5 femmes !  » ou bien  » tu te rends compte, il y a 5 salariés : ce sont 5 femmes ! « , j’aurais compris sa surprise, dans un sens ou dans l’autre. Cette nouvelle donnée me permet d’évaluer ce qu’on appelle la valeur relative du nombre de femmes, sous-entendu relativement au nombre de salariés : 10% dans le premier cas, 100% dans le second.
La valeur absolue est importante
Imaginons à présent que cette même personne me dise : « tu te rends compte, mon salaire n’a augmenté que de 0,5% alors que celui de ma collègue a augmenté de 3% ». On peut se dire à la vue des ces valeurs relatives que la situation est injuste. Mais avant de se faire un jugement, il est toujours bon d’aller chercher quelques renseignements supplémentaires : mon interlocuteur dit avoir un salaire net de 10 000 euros/mois et sa collègue déclare 1 000 euros/mois. Je peux alors calculer la valeur absolue de leur augmentation – ici c’est la valeur en euros : 500 euros par mois pour mon ami et 30 euros pour sa collègue. En valeur absolue, l’injustice apparaît dans l’autre sens.
Les valeurs relatives et absolues sont justes toutes les deux, mais provoquent un ressenti opposé.
On retiendra de ces deux exemples une chose fondamentale : valeur relative et valeur absolue sont aussi importantes l’une que l’autre pour se faire un avis et il faudrait pouvoir exiger systématiquement qu’on nous donne les deux, sous peine de laisser à la personne qui défend sa thèse la possibilité de jouer sur notre ressenti en choisissant la valeur qui va le plus dans son sens. 


Titre

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Titre + sous-titre

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Extrait n°1

1er extrait + sous-titre : la fraude aux prestations sociales est estimée entre 8 et 10 milliards d’euros (valeur absolue).
Quel sentiment cela provoque-t-il ?
Pour établir la valeur relative, il nous manque la quantité de prestations sociales versées au total. L’article est long, mais en cherchant bien, on finit par trouver – si cette donnée n’avait pas été présente, on aurait pu aller la chercher dans le rapport de la Cour des comptes.

CorteX_fraude_rsa_Dauphine-libere_extrait_3
Extrait n°2
Valeur relative de la fraude par rapport à l’ensemble des prestations sociales : (8/450)*100 = 1,8%.
On pourra remplacer cette valeur relative dans le sous-titre et le premier extrait. Ressentez-vous la même chose ?


Un autre passage a attiré mon attention. Le voici.

CorteX_fraude_rsa_Dauphine-libere_extrait_2

Extrait n°3

Pourquoi m’arrêter sur ce passage ? Parce qu’à la première lecture, j’avais compris ceci :

Valeur (absolue) de la fraude détectée : 675 millions
Nombre d’allocataires contrôlés : 10 000

Difficile de se faire une idée de la situation avec ces chiffres « bruts », mais un rapide calcul de… valeur absolue démontre qu’il y a très probablement anguille sous roche :

Fraude moyenne par allocataire (ou valeur relative) : 675 000 000 / 10 000 = 67 500 euros/allocataire

L’ordre de grandeur est complètement déraisonnable, d’autant plus si l’on se souvient que le sous-titre nous assure que la plupart des fraudeurs sont des RMIstes. Des RMIstes qui arriveraient à frauder plus de 67 000 euros, c’est très étonnant. Un peu trop… Je suis donc allée vérifier à la source, dans le rapport des la Cour des comptes, et j’y ai trouvé ceci

 
Rapport de la Cour des comptes – Septembre 2009 – p????Les travaux les plus avancés d’analyse d’échantillons ont été menés dans la branche famille. La CNAF a réalisé en effet, au second semestre 2009, une évaluation des fraudes, à partir d’un échantillon représentatif de plus de 10 000 dossiers. Avec l’inévitable marge d’incertitude[…], les travaux réalisés semblent constituer une première base de travail solide qui permet de donner un ordre de grandeur de la fraude totale dans la branche famille, qui atteindrait environ 675 M€ par an […]

Ce petit mot, « totale », avait disparu dans l’article du Dauphiné Libéré. Il s’agit probablement d’une imprécision, mais toute influence n’est pas nécessairement « voulue » ou décidée. Il y a une différence de taille entre « on a repéré une fraude de 65 millions d’euros sur 10 000 allocataires » et « on a repéré une fraude de 65 millions d’euros sur l’ensemble des allocataires ».
Pour obtenir la valeur exacte de la fraude moyenne par allocataire, il nous faut le nombre total d’allocataires de la branche famille, nombre que je n’ai pas trouvé.
-> donc RSAste :  fraude 70% * 675000000= 472 Millions
nombre de RSAstes (2009) : 1,7 million
moyenne : 277 euros/an/allocataire -> erreurs ?


Peur sur la ville : les médias, le terrorisme et le djihad global

Retour sur le traitement médiatique de l’attaque de Westgate, au Kenya, par Clara Egger. Cet article a été également publié en octobre 2013 sur le site d’Action Critique Média (ACRIMED).

Du 21 au 24 septembre, alors qu’un centre commercial luxueux de Nairobi est l’objet d’une prise d’otage, les grands médias français1choisissent, une fois de plus, de donner dans le sensationnel2. Entre appel à la peur, images voyeuses, et analyses tantôt tâtonnantes, tantôt farfelues, la Corne de l’Afrique est, pour quelques jours seulement, de retour sur le devant de la scène médiatique.

21 septembre, premier acte, Laurent Delahousse nous prévient : « certaines images sont difficiles ». Claire Chazal préfère parler d’emblée d’une « tuerie ». L’attaque dure depuis quelques heures et le bilan est déjà « très lourd ». Des images de personnes affolées se succèdent courant « pour sauver leur vie », « les blessés se comptent par dizaines », on trouve « plusieurs cadavres par terre ». Qu’importe si l’on ignore tout du « commando armé », de « leur nationalité, leur motivation », le correspondant de TF1 lui est formel : c’est « une méthode, une méthode à la Al Shebab, avec des armes… et une méthode qui… qui est celle de, de ces gens-là ».

22 septembre, deuxième acte, plus dramatique encore : France 2 titre sur le « carnage de Nairobi », un véritable « bain de sang » aux images, encore une fois, « très difficiles ». Les journaux télévisés passent en boucle les images de personnes « abattues », victimes d’un commando qui « sème la panique et la mort ». Puis l’antenne est laissée aux témoins. On y parle de « scènes d’horreur », d’« exécutions sommaires », comme cet homme qui affirme avoir vu « des dizaines, je dis bien des dizaines de corps déchiquetés un peu partout ». L’attaque est d’autant plus abominable qu’elle est, de l’avis de plusieurs témoins, « très surprenante ». Peu importe si, depuis plusieurs mois, les centres commerciaux kényans sont considérés comme une cible prioritaire pour des attaques terroristes par les chancelleries du monde entier 3.

23 septembre, troisième acte : entrée en scène de la presse écrite, un brin plus lente, qui titre : « Horreur à Nairobi » (Libération), « Massacre islamiste au Kenya » (Le Monde) ou « l’interminable assaut contre les islamistes somaliens » (Le Figaro). Les télévisions qui couvrent l’information depuis déjà deux jours s’efforcent de ne pas lasser l’audience à une heure de grande écoute, d’autant plus que de l’avis du correspondant de TF1 « c’est très compliqué d’avoir des informations sur ce qu’il se passe ». Alors pour rendre attrayant ce brouet d’informations déjà servies la veille, on pimente à outrance. Qu’à cela ne tienne, on ressort les images des jours derniers et on les agrémente de commentaires évocateurs. Ainsi la police doit enjamber «  des cadavres criblés de balles », France 2 parle de « scènes de guerre », de personnes « exécutées froidement » et « d’assaillants qui n’hésitent pas à cribler de balles la porte des toilettes ».

24 septembre, dernier acte : c’est le « dénouement », un soulagement pour « toute une population horrifiée par ces images de terreur ». Une coupable est démasquée : « une femme occidentale qu’on appelle la veuve blanche »… « Elle a les yeux verts de son Irlande du Nord natale » mais s’est engagée dans « une croisade djihadiste ». Pour mieux retracer son histoire, une animation la fait passer en moins de dix secondes du jean-baskets au niqab noir. Pour faire durer le plaisir, le 25 septembre, France 2 en guise d’épilogue, peindra le portrait des héros dans le carnage, risquant leur vie pour sauver celles des autres.

Quand il s’agit de terrorisme, les médias français sont passés maîtres dans l’art du carpaccio, c’est-à-dire de maquiller la pauvreté des informations qu’ils servent : de même que, sur le menu du restaurateur indélicat, une tomate tranchée devient un carpaccio de tomates, les médias rehaussent à coups de techniques de scénarisation hollywoodienne, une information médiocre. Et c’est réussi. Le public, lui, n’a sans doute pas saisi les tenants et les aboutissants de la prise d’otage de Nairobi, et n’a eu droit à aucune analyse critique. Mais il a tremblé trois jours durant.

Car c’est bien là que le bât blesse : les informations sont floues, partielles. Qu’elles le reconnaissent ou non, les rédactions des médias français sont bien en peine d’expliquer en cinq minutes ou six cents mots les ressorts d’une crise somalienne qui n’intéresse plus vraiment personne.

Alors quitte à risquer l’amalgame, on pare l’analyse des oripeaux et du vernis de la science politique. Ainsi le concept d’« arc terroriste » ou d’« arc de crise djihadiste » est consacré en quelques jours. Michel Scott, sur TF1, en propose la description suivante, carte à l’appui : « D’ailleurs quand vous voyez l’arc terroriste, ce qu’on appelle l’arc terroriste qui traverse le continent et qui va de l’Atlantique jusqu’au Yémen eh bien le Kenya représente la zone limitrophe qui comporte le plus d’intérêts occidentaux aussi proche de cette zone de non-droit ». France 2 reprendra le même concept, allant jusqu’à se poser la question de l’existence d’une « Internationale terroriste » alors que Libération titrera sur « l’arc de crise jihadiste », détaillant : « les terroristes sont actifs de Nouakchott jusqu’à Mogadiscio ».

La clef d’explication du drame est toute trouvée, elle parait logique. Il faut dire que le concept est séduisant, car arc djihadiste est une notion « puits » : elle semble parlante, tout en donnant à l’argumentaire un air calé et profond… mais elle est creuse. Le concept ne repose sur aucune étude scientifique (qui est-ce « on » qui l’a forgé ?), seulement sur des amalgames douteux. En effet, si les groupes actifs le long de cet arc ont des modes opératoires similaires et revendiquent tous leur allégeance à Al Qaeda, les agendas politiques d’AQMI, du Mujao, de Boko Haram et des Shebab somaliens, censés formés cet « arc djihadiste » sont radicalement différents et se comprennent avant tout dans leur dimension locale. Bien que les médias ne retiennent que la dimension internationaliste liée à Al Qaeda, la plus importante partie du mouvement Shebab est ancrée dans un agenda intérieur lié au nationalisme somalien. Comme l’explique le spécialiste de l’Afrique sub-saharienne, Roland Marchal, la mouvance salafiste d’Al-I’tissam a fusionné en 2004 avec celle issue du recrutement de jeunes instruits par les tribunaux islamiques. Cette entité, d’abord groupusculaire, a été considérablement renforcé par la politique anti-terroriste des États-Unis et des Européens. De plus, la dimension internationale du recrutement des Shebab somaliens est liée avant tout à la présence forte de la diaspora somalienne dans le mouvement.CorteX_islamophobie_Martial

Dès lors, mettre sur un même niveau l’attentat sur l’ambassade étasunienne à Nairobi (1998), les attentats de Bombay (2008), et la prise d’otage sur le complexe gazier d’In Amenas (2013) n’a aucune valeur explicative, sauf à persuader le public qu’il est face à un choc de civilisations, au devant d’une menace djihadiste globale susceptible de frapper partout même sur le lieu de ses vacances…. Un expatrié français, interviewé sur TF1, fait même le parallèle entre cet événement et la fusillade de la rue des Rosiers à Paris en 1982 lors de laquelle un restaurant juif fut pris pour cible. Logique une fois encore, puisque les médias vont rapidement annoncer la présence d’un commando spécial israélien agissant aux côtés de l’armée kényane.

L’avantage de tels amalgames est qu’ils évitent de s’interroger sur les ressorts du conflit somalien et sur l’implication du Kenya, et plus largement de l’ONU et de l’Union Européenne dans le conflit. Les revendications des Shebab, ces « islamistes somaliens qui portent la guerre sainte au Kenya » seraient de l’ordre de la vengeance contre un pouvoir kényan soutenant militairement un gouvernement somalien tentant de rétablir un semblant de stabilité. D’ailleurs, la Somalie est caractérisée par le « chaos », et les images de TF1 montrent « des bâtiments criblés de balles », l’« épave d’un avion en plein centre ville, une capitale ravagée par vingt ans de guerre ».

 

Or depuis juin 2013 et la création de la nouvelle mission intégrée des Nations-Unies, l’UNSOM, visant à soutenir les institutions du gouvernement somalien, des voix n’ont cessé d’alerter les Nations-Unies et l’Union Européenne sur les dangers de son optimisme béat4. La prise d’otages de Nairobi semble démontrer que les Shebab somaliens, bien que rejetés par la majorité de la population ne sont pas si moribonds qu’espéré. L’action des Nations Unies et de l’Union Européenne, pilotée à distance depuis Nairobi, est mal perçue par les populations locales qui peinent à percevoir les bénéfices de vingt années d’assistance. Le nouveau gouvernement est quant à lui exclusivement identifié à Mogadiscio, dans un pays où le Somaliland et le Puntland au Nord, jouissent d’une autonomie considérable, imités par le Djubaland au Sud. Dès lors l’agenda des Nations Unies et de l’UE uniquement centré sur le Sud et le centre de la Somalie et sur les zones « libérées » des Shebab somaliens risque d’accroître les tensions inter-claniques, principal facteur d’explication du conflit somalien. L’implication de la diaspora somalienne dans le conflit joue un rôle majeur bien qu’occulté par les médias internationaux, et ce d’autant plus que la banque Barclays vient d’annoncer la clôture prochaine de ses comptes de transferts de fonds depuis le Royaume-Uni vers la Somalie. Enfin, imposer une analyse du conflit en termes de « djihad international » accroît les risques de représailles sur les populations musulmanes d’Afrique de l’Est, et sur les réfugiés somaliens présents en grand nombre au Kenya et qui paient déjà un lourd tribut à ce conflit 5.

Clara Egger

1 L’analyse du traitement médiatique de la crise mobilise les journaux et médias télévisés à la plus forte audience : les journaux télévisés de 20 heures de France 2 et de TF1 et les manchettes du Monde, de Libération et du Figaro. Si l’intégralité des Journaux Télés a été analysée, l’analyse des journaux s’est limitée aux manchettes qui participent à créer un certain nombre d’effets autour d’une information.

2 Pour une analyse très complète du rôle des mécanismes de fabrique de l’opinion par les médias, se référer à Edward Herman & Noam Chomsky, La Fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie, Agone (2008) »

3 A titre d’exemple, le Ministère des Affaires Etrangères, sur son site Internet, donne la recommandation suivante aux touristes français voyageant au Kenya : « ll est recommandé de limiter autant que possible les déplacements dans les lieux publics les plus fréquentés, notamment par les ressortissants étrangers (centres commerciaux, bars, hôtels…) ».

4 Ainsi, très peu de médias ont relayé la décision de l’ONG Médecins Sans Frontières de fermer la totalité de ses programmes en Somalie, faute de disposer de conditions satisfaisantes pour l’exercice de son mandat.