Travaux pratiques : la théorie de l'anus du Cardinal Carrera

Vous êtes déjà bien entraîné-e à la recherche du finalisme en biologie, n’est-ce pas ?1. Cette fois, un petit exercice sur le pouce : quelles critiques peut-on faire à la « théorie de l’anus » du Cardinal Carrera ?

Norberto Rivera Carrera est un cardinal mexicain de l’Église catholique romaine, archevêque de Mexico depuis 1995. En tant que prélat, il n’est pas censé parler de science – et le fait d’avoir été professeur de théologie et d’écriture sainte ne compense malheureusement pas. Or il s’est aventuré récemment (début août 2016) dans le terrain des sciences de la vie et de la terre en dispensant dans le journal Desde la Fe une leçon pour le moins frappante. La voici dans le texte.

“La mujer tiene una cavidad especialmente preparada para la relación sexual, que se lubrica para facilitar la penetración, resiste la fricción, segrega sustancias que protegen al cuerpo femenino de posibles infecciones presentes en el semen.

En cambio, el ano del hombre no está diseñado para recibir, sólo para expeler. Su membrana es delicada, se desgarra con facilidad y carece de protección contra agentes externos que pudieran infectarlo. El miembro que penetra el ano lo lastima severamente pudiendo causar sangrados e infecciones”.

Un enseignant d’espagnol sera ravi de proposer ce texte en version. Cela donnera quelque chose comme :

« La femme dispose d’une cavité spécialement conçue pour la relation sexuelle, qui se lubrifie pour faciliter la pénétration, résiste au frottement, secrète des substances qui protègent le corps féminins de possibles infections présentes dans la semence. A l’inverse, l’anus de l’homme n’est pas conçu pour recevoir, mais seulement pour expulser. Sa membrane est délicate, se déchire avec facilité et manque d’une protection contre les agents externes qui pourraient l’infecter. Le membre qui pénètre l’anus lui fait sévèrement mal, pouvant causer saignements et infections.» (traduction personnelle)

 Première erreur : le finalisme

Mon collègue Julien Peccoud répète souvent qu’en évolution, le « pour » n’a pas sa place. Rien n’est fait pour ceci ou pour cela. L’évolution des espèces s’est faite par séries de contraintes du milieu, sans but précis, sans plan. Le labelle de la fleur d’orchidée Ophrys apifera ne « choisit » pas de prendre la forme d’un abdomen d’abeille solitaire pour attirer les autres abeilles. L’humain n’a pas des jambes pour mieux porter les pantalons, ni un nez pour sentir (sinon, il aurait dû préférer la truffe du chien ou du cochon, bien meilleure en terme de performance olfactive). Les personnes qui postulent l’existence d’un dieu, ou d’un plan préalable, ont le droit de le faire, puisque c’est un postulat, une croyance, un acte de foi, et cela les regarde. Mais s’ils prennent leur acte de foi et le présentent aux autres comme un fait, alors ils doivent apporter des éléments à l’appui.

Or pour l’instant, la théorie de l’évolution n’a jamais eu « besoin » de plan prédéfini 2, de dessein, pour reprendre le célèbre terme qui a fait le succès populaire du Dessein Intelligent3. C’est une hypothèse coûteuse en trop, comme dirait Laplace, et comme l’indique le rasoir d’Occam, il n’y a aucune raison de la privilégier (pour creuser ce point, voir Rasoir d’Occam et le Dragon dans mon garage).

Par conséquent il est faux de dire que

  • la femme dispose d’une cavité spécialement conçue pour la relation sexuelle
  • qui se lubrifie pour faciliter la pénétration,
  • l’anus de l’homme n’est pas conçu pour recevoir,
  • mais seulement pour expulser.

Il faudrait dire en toute rigueur :

  • la femme dispose (généralement4) d’une cavité musculo-muqueuse car de génération en génération, les femmes porteuses de la variation « cavité » ont été plus en mesure de faire des enfants que celles qui en étaient dépourvues. 5. Ce caractère s’est donc davantage transmis….avec un mâle de la même espèce portant un pénis de dimension similaire ou approchant
  • Les femelles ayant une cavité de taille correspondante au pénis des mâles ont été avantagés dans la facilité de reproduction sans risque de déchirement et donc d’infections, et ont donc eu plus de descendants… et ainsi de suite.6
  • qui se lubrifie car parmi toutes les options empruntées par les diverses mutations, celle-ci s’est révélée plus efficace dans la maximisation du succès reproducteur des individus portant ce trait (ce caractère) – de même que par exemple, le peu d’innervation du vagin actuel, fruit des probables nombreux décès ou refus de coït devant la douleur qu’engendrait l’enfantement. Pour illustrer ça, pensons à des hérissonnes : toutes les hérissonnes dont les petits avaient des piquants sont probablement mortes en couche. De fait, les hérissonnes faisant des petits sans piquants se sont plus volontiers reproduites, et on les comprend.

etc.

Deuxième erreur : le raisonnement panglossien

En filigrane du finalisme de ses propos, le cardinal mexicain imprime des rôles prédéfinis aux organes. C’est l’une des spécificités des religions : imposer un ordonnancement du monde, avec des êtres bien à leur place et des organes bien à leur fonction. Ainsi a-t-on pu lire :

– que les femmes avaient été crées pour satisfaire les hommes,

– que les Noirs avaient les os et les sutures du crâne plus épais pour mieux recevoir les coups 7

– que les animaux sont mis à disposition pour le service des humains (considérés comme non-animaux)8,

– que les oiseaux ont des plumes pour voler, (ce qui est faux – on sait désormais que les plumes se développèrent car propices à la régulation de la température de certains reptiles. Le vol que certains développèrent n’est qu’une conséquence secondaire – depuis 1982, on appelle ce processus secondaire l’exaptation9),

– que les cerises sont rondes comme la bouche humaine et que les melons ont été prédécoupés par Dieu pour être mangés en famille10,

etc.

Le programme est prédéfini à l’avance, comme c’est le cas dans les raisonnements de type panglossien.

Ici, pour notre prêtre, le vagin est conçu (par Dieu) pour la relation sexuelle avec pénétration. Si vous pensiez, porteuses d’un vagin, vous en servir pour

– des relations homosexuelles, c’est péché

– des relations hétérosexuelles sans pénétration, c’est péché

– planquer des billets de banque ou une barrette de shit au parloir, c’est péché,

vous êtes hors des conditions d’usage recommandées par l’entité surnaturelle dans laquelle croit le monsieur, et qu’il vient vous imposer sans vous demander si vous souscrivez à la même.

De même pour l’anus : il serait conçu pour expulser, donc malheur à :

– la femme dans l’anus de laquelle un homme introduit un pénis / un doigt / un plug anal / un suppositoire / une sonde de dépistage…

– l’homme dans l’anus duquel une femme introduit un godemiché / un doigt / un plug anal / un suppositoire / une sonde de dépistage…

– l’homme dans l’anus duquel un homme introduit un godemiché / un doigt / un plug anal / un suppositoire / une sonde de dépistage…

Ce qui nous amène au troisième problème.

Troisième erreur : l’ordre moral immanent

Le cardinal imprime des rôles aux organes, dans la même ligne que son église a toujours imprimé des rôles aux individus : à la femme d’être bonne épouse, par exemple, et d’être soumise à son mari, comme on le lit dans la première épître de Pierre, chapitre 3, verset 111. Au vagin (de Maman) d’être bien lubrifié pour la pénétration (de Papa, pas de quelqu’un d’autre).

Soit cet ordre moral n’existe que dans la tête des croyants, auquel cas il n’a aucune raison de prendre la forme d’une leçon scientifique (qui rappelons-le a pour but de diffuser de la connaissance désubjectivée), et de ce fait le cardinal outrepasse ses droits avec un savoir obsolète.

Soit cet ordre existe (même si on ne peut pas le prouver) à la façon d’un destin. De deux choses l’une : si c’est un destin de Dieu, alors comment se fait-il que nombreux sont ceux qui ne le suivent pas ? Serait-ce un destin mou ? Et surtout, quand bien même il y aurait un rôle prédéfini, qu’est-ce qui nous empêche d’y désobéir ? Surtout si cette désobéissance, en l’occurrence sous forme de pénétrations diverses, n’entraîne aucune souffrance à personne – au contraire, bien souvent.

J’ai coutume de dire aux étudiants ceci : quand quelqu’un au nom d’une entité supérieure vous enjoint à suivre un destin (subir un dictateur, se voir cantonnée à des tâches subalternes, etc.), il n’y a rien de plus réjouissant intellectuellement que d’essayer de s’y insoumettre.

Quatrième erreur : l’argument de la douleur

Vous connaissez probablement l’effet bi-standard, qui consiste à changer de critère d’évaluation selon les circonstances. Ici Carrera précise : Le membre qui pénètre l’anus lui fait sévèrement mal et sous-entend dans sa diatribe que puisque douloureux, ce n’est pas bien. Or, bien que mes connaissances en pénétration anale ne soient pas démesurées, je sais que :

– il y a des choses que le cardinal trouvent bonnes et qui font pourtant mal : par exemple l’accouchement12 ;

– toutes les pénétrations anales par des « membres » ne font pas mal – cela dépend de la dimension du membre, de l’anus, mais surtout de la douceur et de la délicatesse du partenaire. En toute cohérence, le cardinal devrait tolérer les pénétrations anales qui ne font pas mal ;

– certaines pénétrations vaginales font mal – dans ce cas, dilemme, n’est-ce pas : le vagin est fait pour ça, mais ça fait mal, donc ça ne devrait plus être bien. Étonnant, non ?

– certaines pénétrations anales douloureuses ou désagréables sont somme toute plutôt souhaitables, depuis le toucher rectal (en cas de fécalome, de prévention du cancer de la prostate, etc.) jusqu’à la coloscopie.

Indication : le contexte est important

 Il faut replacer la saillie du cardinal dans son contexte. Depuis début août (2016) une polémique attise la ville de Monterrey, ville la plus cossue du pays, dans l’Etat du Nuevo Léon. Des élus issus de la droite catholique invitent les parents à brûler les livres, arracher les pages consacrées à la biologie et aux droits sexuels, voire à occuper les écoles. Luz María Ortiz, présidente de l’Union des parents d’élèves de l’Etat du Nuevo Léon, revendique pour certains livres distribués par l’Éducation publique une nouvelle forme de mise à l’Index (bien que l’Index librorum prohibitorum n’existe plus chez les Catholiques depuis 1966). Elle dénonce une incitation à la débauche, et comme le rapporte Libération le 25 août : «A force de marteler ces thèmes, les manuels provoquent des pulsions sexuelles précoces. En outre, on inculque aux enfants une idéologie de genre, leur faisant croire qu’ils peuvent choisir leur sexe.» Joignant le geste à la parole, la leader de la révolte parentale désigne un exercice pour élèves de CP, invitant ceux-ci à nommer les parties du corps sur des schémas. «Un éveil à la génitalité, selon elle. C’est un exercice isolé, il n’y a aucun développement, aucun encadrement. C’est comme leur lancer une bombe sans se préoccuper des dégâts

On peut parler de pseudo-controverse sur le plan scientifique. Pseudo car les questions introduites par les études sociales de genre ne sont pas aussi caricaturales que ça – il suffit de les compulser. La science a permis de comprendre que le sexe et le genre d’un individu ne sont pas toujours en accord, et qu’il est moralement loisible à une personne de changer de genre si elle le souhaite, puisqu’aucun destin, contrairement à ce que nombre de clercs ont souhaité faire croire de tout temps, ne préside aux choix de chacun. Pseudo encore car les études montrent qu’une information accrue sur la sexualité diminue fortement certaines souffrances sociales, comme les grossesses précoces 13

Pseudo enfin, par le caractère propagandiste et communautaire : rappelons-nous les réactions épidermiques de certains parents en France métropolitaine début janvier 2014, persuadés par des SMS qu’on apprenait à leurs enfants à se masturber en classe, à se travestir, que des intervenant-es gays et lesbiennes viendraient expliquer aux enfants comment on s’embrasse, que des associations juives (sic !) viendraient voir le sexe des enfants, que l’école diffuserait des films pornographiques, etc. Cette campagne, appelée JRE pour Journée de retrait de l’école, avait été portée par Farida Belghoul, et l’équipe d‘Egalité & Réconciliation d’Alain Soral.

J’avais écrit une conclusion à ce sujet, que j’ose à peine vous faire lire. Qu’au lieu de se préoccuper de la prédestination hypothétique et surnaturelle de nos organes, Monsieur Carrera devrait se consacrer à minimiser la souffrance collective ; qu’au lieu de préjuger de nos incuries, qu’il se consacre à sa propre curie, et qu’en guise de préoccupation pour nos anus, le cardinal ferait peut être mieux, entre nous, de s’occuper de ses propres fesses.

RM

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P.S. : le CorteX revendique une indépendance maximale vis-à-vis des industries. Qu’il permette pour une fois de mettre en avant une entreprise peu connue, celle de Magnus Irvin, edible anus, qui développe une gamme d’anus comestibles en chocolat, tout à fait adaptés pour des soirées de haute tenue. Cinq boites d’anus pour moins d’une quarantaine de dollars US, ici : mais à l’heure de clore ces lignes, l’entreprise est en rupture de stock.

Quand la pensée critique rencontre la psychologie sociale – mémoire de Romain Veillé

Romain Veillé, étudiant à l’Université de Caen, s’est intéressé dans son mémoire de Master 1 de psychologie sociale à la façon dont varie la persuasion d’individus en fonction des types d’arguments auxquels ils sont exposés. Il a pour cela évalué l’attitude d’une centaine de lycéen.ne.s vis-à-vis des organismes génétiquement modifiés (OGM) avant et après les avoir soumis à différentes interventions, comprenant la lecture et l’analyse de textes remplis d’arguments fallacieux. En plus de réaliser une intéressante synthèse des études expérimentales antérieures, il présente le matériel pédagogique utilisé auprès des élèves, qui peut être ré-utilisé. Pour en savoir plus, on lira le mémoire de Romain, qu’il met à disposition ici. Bonne lecture !

L'effet cerceau, tautologie ou raisonnement circulaire

On appelle effet cerceau l’erreur logique qui consiste à admettre au début du raisonnement ce que l’on entend prouver par la démonstration que l’on va faire. Le point de départ est quelquefois sous-entendu et l’effet devient ainsi un type de raisonnement circulaire difficile à détecter. Sont présentés ici quelques exemples.

La reconstitution tridimensionnelle du « saint-suaire »

Broch dans son livre le paranormal déconstruit l’un des plus beaux effets cerceau qu’il ait été donné de voir dans le champ zététique. Il est dû à Jackson et Jumper sur le « suaire » dit de Turin :

« Jackson & Jumper ont recouvert d’un drap un volontaire choisi pour sa ressemblance avec l’image du « linceul », puis ils ont mesuré les distances corps-tissu en de nombreux points ; ces données ont ensuite été mises en relation avec les différences de densité relevées sur l’image du « saint-suaire ». Les premiers essais pour reconstituer une représentation en volume de l’ « homme du suaire » montraient une figure humaine assez distordue. Pour en améliorer l’aspect, la disposition de drap sur le volontaire a été changée de manière à affiner le résultat (l’argument était sans doute : après tout, personne ne sait comment ce suaire a été drapé sur un corps dans une tombe en Palestine, il y a presque 2000 ans !). On modifia également, de façon ad hoc, d’autres paramètres de cette fameuse analyse, jusqu’à obtenir une figure offrant un aspect humain, excepté pour une chose : si le visage est ajusté pour un relief normal, le corps apparaît en bas-relief.  Ce que Jackson et Jumper ont démontré, c’est qu’ils peuvent obtenir une bonne corrélation entre la densité de l’image sur le suaire et la distance linge-corps correspondante qu’ils obtiennent quand un modèle humain de la taille appropriée est recouvert d’un linge drapé de manière à optimiser le résultat. » (Mueller MM., 1982, The shroud of turin : a critical appraisal, Skept Inq. 6 (3) p. 92). (…) la « démonstration » de J & J pèche par un côté : elle exige que l’on admette au départ ce qu’elle entend prouver ».

(H. Broch, Le paranormal, 1989, Seuil, pp. 57-58).

La torsion de barres

« Les sempiternelles déclarations, dans toute expérience sur un « sujet psi », visant à faire prendre en compte le fait que le sujet ait échoué lors de tests destinés à déterminer si l’habileté ou la force nécessaire au trucage étaient présentes chez lui. Pour tout bon tordeur (de petites cuillères ou autres ustensiles) dont on veut démontrer l’honnêteté, on trouve des tests de ce type :
a. on admet que M. Tordant ne triche pas (cette « hypothèse » est très souvent sous-entendue !)
b. le pauvre « sujet psi » n’a pas réussi à tordre par sa seule force physique les barres de métal qu’on lui présentait à cet effet,
c. ces barres, par contre, « se » sont tordues lorsqu’il s’est simplement concentré dessus,
d. conclusion : ces barres n’ont donc pu être tordues que par son pouvoir « psi ».
e. re-conclusion : M. Tordant n’est pas un tricheur. »

(P-E. Blanrue, in H. Broch, Au coeur de l’extraordinaire, Book-e-book.com 2001, ouv.cité, pp. 196-197).

L’argument de Dieu

Prémisse 1 : La Bible est la parole de Dieu
Prémisse 2 : La parole de Dieu ne peut pas mentir
Prémisse 3 : La parole de Dieu dit que Dieu existe
Conclusion : Donc Dieu existe

L’argument du Colonel Wilford

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Le colonel Derek Wilford revient ici sur le rôle de ses hommes dans le massacre du Bogside, appelé aussi Bloody Sunday (Domhnach na Fola en irlandais) le 30 janvier 1972 en à Derry Irlande du Nord, lors duquel l’Armée britannique a réprimé sévèrement une marche pacifiste pour les droits civiques, faisant 14 morts et des dizaines de blessés. Extrait de l’émission du 25 janvier 2016 Affaires sensibles, sur France Inter.

(tiré de R. Monvoisin, Pour une didactique de l’esprit critique, 2007, téléchargeable ici).

Critère de Popper et réfutabilité d'une théorie

L’irréfutabilité est le premier critère (non suffisant) de démarcation entre science et pseudoscience : toute théorie scientifique doit pouvoir potentiellement être réfutable, et par conséquent ne pas contenir sa propre réfutation. Ce critère de réfutabilité (ou de falsifiabilité) est désormais indissociable du nom de l’épistémologue autrichien Karl Popper.

Bien que soulevant un certain nombre de problèmes épistémologiques, il se révèle utile dans un grand nombre de confrontations avec les pseudosciences1. Il permet entre autres d’éviter le biais de confirmation d’hypothèse (BCH), travers psycho-cognitif qui fait que tout individu cherche activement et accorde un poids plus grand aux preuves qui confirment ses hypothèses, et par conséquent est capable d’occulter les contre-exemples qui contredisent sa théorie. Il permet aussi d’étayer épistémologiquement notre refus d’analyse des actes de foi, puisque une assertion du type « Dieu a créé l’univers » n’est pas réfutable2. Broch l’entend ainsi avec sa facette Z : une hypothèse est testable, réfutable. La nécessité d’un tel tri science réfutable / scénario irréfutable a déjà été montré au moyen de la théière de Russell, du Dragon de Sagan et Druyan et du culte de la Licorne Rose Invisible. Il devient alors possible de distinguer assez efficacement entre les « champs de croyance » des « champs de recherche » en regardant lesquels peuvent se soumettre à une scrutation scientifique sérieuse.

Pour les puristes : le critère de réfutabilité de Popper peut être rapproché d’un test de réfutabilité bayésien, si ce n’est qu’il opère en logique discrète (vrai ou faux) tandis que les domaines bayésiens font varier les valeurs de vérité sur un continuum de l’intervalle]0;1[.

Voici quelques exemples d’irréfutabilité piochés de-ci de-là.

Les stades ontogénétiques de Jean Piaget

Olivier Houdé est professeur de psychologie à l’Université Paris Descartes. Dans une émission dont nous vous avons déjà parlé (audible ici), il explique le caractère tautologique de la théorie des stades de l’ontogenèse de Jean Piaget.

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Le Dr House

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Célèbres sont les échanges entre le Docteur House et ses patients ou ses collaborateurs. Maître incontesté de la répartie, le personnage de la série éponyme cherche néanmoins à résoudre des énigmes médicales en apparence insolubles. Ses outils ? La démarche scientifique, la logique. C’est donc une ressource utile et ludique comme nous les aimons, permettant de traiter de sujets parfois ardus comme celui évoqué ci-dessous.

Dans l’extrait suivant (saison 7, épisode 8), le Dr. House commet visiblement une erreur en tentant d’utiliser face à son patient un argument qui ne peut – on s’en aperçoit à la toute fin de la séquence – le convaincre et pour cause : l’irréfutabilité d’une théorie est l’un des signes que nous n’avons peut-être pas affaire à une théorie au sens scientifique du terme (une argumentation comme on l’entend dans l’extrait) mais plutôt à un scénario, voire à un acte de foi dans ce cas précis. « Faith is not an argument » déclare le patient…

Extrait de la série Docteur House, saison 7, épisode 8. Pour voir directement la vidéo, cliquer ici.

Nous rappelons systématiquement dans nos enseignements que notre démarche (chercher à distinguer le » plutôt vraisemblable » du « plutôt faux ») ne peut s’appliquer à ces actes de foi : lorsqu’une affirmation est non réfutable comme dans cet exemple (« la punition est une preuve de Dieu et l’absence de punition aussi » soupire le Dr. House), c’est-à-dire lorsqu’elle contient elle-même sa propre réfutation, elle sort du champ de l’analyse scientifique et se cantonne à n’être qu’un scénario. Le piège ? Se retrouver confronté à des affirmations non réfutables de type « pile je gagne, face tu perds… » : dans tous les cas, je gagne. Voir venir le piège n’est pas évident.

Prenons l’exemple d’un patient en visite chez un thérapeute [1] :

Le patient : « J’ai des problèmes de couple, surtout au niveau sexuel…« 

Le thérapeute : « Vos troubles sexuels sont certainement liés à des attouchements dans votre petite enfance.« 

Le patient : « C’est impossible, je ne m’en souviens pas« 

Le thérapeute : « Justement, ce refoulement de vos souvenirs est bien la preuve que ces actes existent et ont causé les troubles dont vous souffrez« .

Ce qui peut se résumer ainsi (référence à une blague épinglée sur le mur du chef de Denis Caroti) :

Règle n°1 : le chef a raison ;
Règle n°2 : le chef a toujours raison ;
Règle n°3 : si quelqu’un d’autre a raison, lesouse deux premières règles s’appliquent…

Pour approfondir ce thème, on pourra lire :

– Alan Chalmers, Qu’est-ce que la science ? (Livre de Poche, Biblio essais, 1990) –> pour commencer.

– Karl Popper, La connaissance objective (Flammarion, 2006) –> un peu plus pointu.

DC & RM

Onus probandi, ou charge de la preuve (qui revient à celui qui prétend)

Faisons un petit exercice : veuillez s’il vous plaît fermer les yeux l’espace de deux secondes, là, maintenant. Puis rouvrez-les1. Nous vous affirmons que le livre que vous tenez en main en a profité, pendant que vos yeux étaient fermés, pour se transformer en petit monstre verdâtre globuleux, silencieux, inodore et de même masse. C’était tellement rapide que vous n’avez rien perçu… Comment ? Vous ne nous croyez pas ? Prouvez-nous que ce n’est pas vrai. A-ah ! Vous ne pouvez pas montrer que c’est faux…? Vous êtes donc obligé de croire en notre monstre.

Vous l’avez compris : c’est à celui qui prétend quelque chose de le prouver et non aux autres de prouver que ce qu’il prétend n’est pas vrai. Ce n’est pas aux critiques de Claude Vorilhon, alias Raël de prouver qu’il n’a pas pu être enlevé par des extraterrestres, mais bien à lui de démontrer qu’il l’a été. De la même façon, ce n’est pas aux critiques d’une technique manuelle de montrer qu’elle est inefficace, mais bien aux prétendants de montrer qu’elle possède l’efficacité que ceux-ci lui prêtent2. Imaginons le bazar s’il fallait prendre pour vraie toute affirmation, par exemple sur un médicament, et devoir attendre que quelqu’un montre qu’elle est fausse pour y renoncer. Tout vendeur de potions pourrait rétorquer à vos doutes : « prouvez donc que ma potion n’est pas miraculeuse ». Il est de toute façon logiquement impossible de montrer que quelque chose n’existe pas. Ce problème est appelé la charge, ou le fardeau de la preuve (burden of proof, disent les anglo-saxons), et cela incombe à celui qui prétend3. Ce renversement de charge de la preuve sert d’appât pour des appels à l’ignorance, ou ad ignorantiam, formes de démonstration absurdes à l’image de notre livre-monstre globuleux, qui consiste à dire qu’une proposition est vraie parce qu’elle n’a pas été démontrée fausse. 

(extrait de Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles, N. Pinsault, R. Monvoisin, PUG, 2014).

Voici un exemple d’onus probandi donné par Simone de Beauvoir.

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Ressources pour une laïcité active

La posture d’un-e enseignant-e critique est la même que celle d’un-e scientifique : elle procède d’un contrat laïc, c’est-à-dire qu’elle passe par une lecture non-surnaturaliste du monde, une lecture matérialiste au plan méthodologique (voir ici). Au fond, peu importe les croyances qui l’habitent : elles peuvent lui servir de moteur, d’inspiration, mais doivent rester cantonnées dans sa sphère privée. C’est lorsque les croyances, religieuses ou non, débordent dans la sphère publique qu’il y a danger de passer d’une rationalité partagée à un affect centré sur soi. Si notre critique des croyances pseudoscientifiques est déjà bien étoffée, celle des croyances religieuses est bien plus discrète, probablement à cause du tour de passe-passe syllogistique suivant : celui qui défend la laïcité est contre les religions, or être contre les religions est insensé/immoral/irrespectueux (cochez la bonne réponse) donc… Nous pensons que les intrusions religieuses ou spiritualistes dans la sphère publique sont à chaque fois un recul. Voici un petit recueil d’événements et de ressources laïques, pour étoffer des ateliers à venir. D’aucuns y verront-ils du matériel athée ? Alors il faudra prendre « athée » au sens que lui donnait Bertrand Russell vis-à-vis sa théière cosmique : qui souscrit, à une lecture bright, héritière des Lumières.

[TOC]

Brèves

Les brèves présentées ici sont mises dans un ordre chronologique.

  • Septembre 2015

Notre-Dame du Laus, Laudun, Sommières, ont comme Peyres-Tortes procédé à une bénédiction des cartables le dimanche 6 septembre. Voici le texte exact de la prière :

Prière dite par le prêtre.

« Dieu qui sanctifies tout par Ta parole, répands ta bénédiction sur ces cartables et fais que tous ceux qui s’en serviront avec amour et courage, selon Ta volonté, reçoivent de Toi l’intelligence et la force de travailler pour Ta gloire. Par le Christ Notre Seigneur. »

  • août 2015

La petite comune de Peyres-Tortes, près de Perpignan, a organisé une « bénédiction des cartables » dans la chapelle, le 30 août, pour les enfants de tous âges, mais aussi pour les parents et les enseignants (source : L’indépendant de Perpignan)

  • 12 mai 2015

CorteX_Ananta_Bijoy_DashUn troisième blogueur « libre-penseur » assassiné au Bangladesh

Un commando armé de machettes a tué un blogueur, mardi 12 mai 2015, à Sylhet, dans le nord-est du Bangladesh. Ananta Bijoy Das écrivait pour Mukto-Mona (« libre pensée »), un site Internet connu pour son engagement contre l’extrémisme religieux, autrefois animé par le blogueur américain d’origine bangladaise Avijit Roy lui-même assassiné au début de l’année à Dacca. Selon des djihadistes du groupe Ansar Al-Islam Bangladesh, repris par le centre américain de surveillance des sites islamistes SITE, le meurtre aurait été revendiqué par l’organisation Al-Qaida dans le sous-continent indien (AQSI) basée au Pakistan, dirigée par Assim Oumar et s’étendant à l’Inde, au Bangladesh et jusqu’à la Birmanie.

C’est le troisième meurtre de « libre-penseur » depuis le début de l’année, a annoncé la police. Un autre blogueur, Washiqur Rahman, a également été tué à coups de couteau en mars à Dacca. Ananta Bijoy Das « avait reçu des menaces d’extrémistes pour ses écrits au cours des derniers mois. Il était sur leur liste de cibles », a confié Debasish Debu, un de ses ami à l’AFP, faisant référence à une liste supposée de blogueurs athées, menacés par des activistes islamistes. En février, l’assassinat d’Avijit Roy, fervent promoteur de la sécularisation de l’islam dans ce pays où 90 % des 160 millions d’habitants sont musulmans, avait suscité l’indignation à la fois dans son pays et à l’étranger. Son meurtre a été revendiqué il y a une semaine par Al-Qaida sur le sous-continent indien, entité d’Al-Qaida dont la création avait été annoncée en septembre. Farabi Shafiur Rahman, un islamiste, considéré comme le principal suspect, a été arrêté au début du mois de mars. (d’après Le Monde, 12 mai 2015).

  • 29 avril 2015

« Les autorités de l’état de l’Indiana, après avoir voté une loi restaurant une liberté religieuse jamais remise en question, se voient dans l’obligation de l’amender peu de temps après, tant les fondamentalistes en ont fait un instrument de discrimination envers autrui, plus que de liberté personnelle. Les républicains, qui ont adopté ce texte, ont inspiré leurs homologues de l’Arkansas, qui se sont dotés du même arsenal juridique, permettant aux individus et aux entreprises de se défendre contre les entraves « substantielles » à leurs convictions religieuses. Du coup, deux états ont vu fleurir les pizzerias et autres lieux de restauration qui ne veulent pas servir les couples homosexuels ou les personnes appartenant à d’autres communautés religieuses. Face  au tollé soulevé dans l’ensemble du pays à cause de la multiplication des cas d’homophobie, une clause interdisant toute discrimination a été ajoutée au texte de loi ». Extrait du Canard enchaîné.

  • 30 mars 2015

CorteX_Washiqur_RahmanWashiqur Rahman, 27 ans, blogueur athée, vient d’être CorteX_Washiqur_Rahman_tuémassacré dans la rue, dans la longue lignée d’assassinats d’athées ou de progressistes dont le dernier point d’orgue était Avijit Roy, fin février, achevé à la machette. D’autres menaces du même type sont proférées à l’enconte d’autres militants, notamment Imran H. Sarker. Ces menaces viennent semble-t-il de l’équipe d’Ansarullah Bangla, groupe intégriste ultraviolent inspiré de Anwar Al-Awlaki, un activiste d’Al Qaida basé au Yémen. Pétition ici.

  • 29 mars 2015

CorteX_Demon_Test_Bob_LarsonNous apprenons (dans le magazine Skeptic vol. 20. N°1) que le Révérend Bob Larson a mis en vente un test d’évaluation d’envoûtement par des démons, appelé Demon Test (9,95$). Il avait déjà fondé l’École Internationale d’Exorcisme, qui vous forme à l’exorcisme pour 2000$.

  • 14 mars 2015

Zakieya Latrice Avery, de Gremantown près de Washington (EU), et Monifa Sanford son amie, viennent d’être condamnées pour le meurtre des deux enfants de Zakieya : celle-ci, qui se disait « commandeur » d’un culte appelé « Demon assassin » a poignardé ses enfants de 1 et 2 ans, les pensant envoûtés par des démons. Si personne n’avait appelé le 911, a déclaré le juge, ses deux autres enfants de 5 et 8 ans, poignardés eux aussi, y seraient également passés.

  • 13 mars 2015

CORTECS_women_footbalDans l’Est du Bangladesh, une fatwa a été lancée contre un match de football féminin. Le match est désormais annulé par les autorités : « L’Islam ne permet pas de regarder des femmes jouer sur un terrain avec des tenues courtes« , déclarèrent les fondamentalistes. Merci à Taslima Nasreen pour cette information.

  • 9 mars 2015

Le Vatican justifie l’excommunication d’une mère brésilienne et de médecins, pour l’avortement d’une fillette de 9 ans. L’enfant avait été violée par son beau-père qui, lui, n’est pas excommunié.

Le cardinal Giovanni Battista Re, préfet de la congrégation pour les évêques au Vatican, a justifié l’excommunication de la mère d’une Brésilienne de 9 ans ayant avorté après avoir été violée par son beau-père, car les jumeaux qu’elle portait « avaient le droit de vivre », apprend-on ce lundi 9 mars.
L’archevêque de Recife dans le nord-est du Brésil a excommunié jeudi la mère de l’enfant, qui a avorté de jumeaux alors qu’elle était enceinte de quinze semaines.
L’excommunication a été étendue à toute l’équipe médicale qui a pratiqué l’opération, mais pas au beau-père de l’enfant car « le viol est moins grave que l’avortement » a expliqué Giovanni Battista Re (Extrait du Nouvel Observateur).

  • 26 février 2015

CORTECS_Avijit_RoyLa longue série de militants athées, rationalistes ou libres penseurs se faisant dessouderCORTECS_Avijit_Roy se prolonge. C’est cette fois Avijit Roy, bengali naturalisé étasunien, bloggeur et grand militant rationaliste qui a été assassiné. Défenseur des droits humains, anti-censure, sceptique, féministe et humaniste séculier, il animait le site libre-penseur Mukto-Mona. Il a été abattu à coups de machette à Dhaka, et sa femme sévèrement blessée. 

https://youtu.be/es6Sob_DmWQ 

  • 20 février 2015

CORTECS_Govind_PansareGovind Pansare, militant progressiste athée, et sa femme Uma, ont été abattus par des motards près de chez eux le 16 février. Govind est décédé à Mumbaï 4 jours plus tard. Il faisait l’objet des mêmes menaces que Narendra Dabolkar, tué en août 2013 (cf. plus bas).CORTECS_Govind_Pansare_Hopital

  • 18 février 2015

Le cheikh Bandar Al-Khaibari, prédicateur saoudien, a fait une « démonstration » d’astronomie à l’université et diffusée à la télévision Al-Arabiya, « prouvant » que le Soleil tourne autour de la Terre. « C’est pour cela que les avions arrivent à destination (…) Si vous dites que ça tourne, si nous quittons l’aéroport Sharjah pour un vol international vers la Chine, la Terre tourne, n’est-ce pas ? Donc si l’avion s’arrête toujours en vol, la Chine ne devrait-elle pas venir vers lui ? » Un grand moment de sciences physiques.

https://youtu.be/-9Jp_XCvVto

  • 17 février 2015

CORTECS_Kirschenaustritt« Français d’Allemagne, il est urgent de vous faire rayer des listes de baptême« , article de Thomas Bores sur rue89 qui montre comment être simplement baptisé vous vaut de payer le denier du culte, même lorsque vous êtes athée. Le comble de l’histoire est qu’un système digne d‘Interpol a mené l’Église allemande à demander à l’Église française le certificat de baptême du plaignant. Une solution à cela est la désinscription du registre des baptêmes. Pour les ressortissants allemands, autrichiens ou suisses, on consultera le site Kirschenastritt. Pour les Français, la marche à suivre d’apostasie (très efficace) est donnée par la Libre Pensée ici.

  • 26 janvier 2015

Lors du changement de gouvernement grec, quelques journaux se demandent si l’équipe d’Aléxis Tsípras abrogera le délit de blasphème en Grèce. L’article 198 du code pénal grec punit en effet (de deux ans de prison) celui qui, en public et avec malveillance, offense Dieu de quelque manière que ce soit, et celui qui manifeste en public, en blasphémant, un manque de respect envers le sentiment religieux. L’article 199 prévoit la même peine en cas de blasphème contre la religion orthodoxe et les autres religions reconnues (reste à savoir ce qui est reconnu et selon quels critères). Cette loi a été utilisée pour faire condamner à 6 mois de prison in abtentia en janvier 2005 l’illustrateur autrichien Gerhard Haderer pour une BD jugée blasphématoire (La vie de Jésus) après en avoir interdit la parution en 2003 (condamnation heureusement levée en cour d’appel ensuite).

  • 15 janvier 2015

CORTECS_bonhommes-de-neige-sacrilege-en-arabie-saouditeLors des chutes de neige de l’hiver, Muhammad Saalih Al-Munajjid (محمد صالح المنجد), cheikh du nord de l’Arabie saoudite a émis une fatwa pour interdire les bonhommes de neige car ces passe-temps reviendraient à édifier des « idoles impies ».

Ce monsieur a par ailleurs d’autres sources de courroux :

– Les femmes qui conduisent (cf. plus bas).CORTECS_muhammad-salih-al-munajjid

– Selon lui, les souris sont des créatures du diable (par conséquent le dessin Tom & Jerry est corrupteur, tout comme Mickey).

– Hacker un site n’est pas bien, sauf si c’est un site juif (Saudi Cleric Muhammad Al-Munajjid Issues Fatwa Permitting Hacking into « Jewish Websites », MEMRITV, Clip No. 3687 January 21, 2011).

– Le tsunami de 2004 aurait pour cause Allah, qui se venge des vacanciers chrétiens pétris d' »immoralité, abomination, adultère, alcool, danse en état d’ébriété, festivités« .

At the height of immorality, Allah took vengeance on these criminals. « Those celebrating spent what they call ‘New Year’s Eve’ in vacation resorts, pubs, and hotels. Allah struck them with an earthquake. He finished off the Richter scale. All nine levels gone. Tens of thousands dead. « It was said that they were tourists on New Year’s vacation who went to the crowded coral islands for the holiday period, and then they were struck by this earthquake, caused by the Almighty Lord of the worlds. He showed them His wrath and His strength. He showed them His vengeance. Is there anyone learning the lesson? Is it impossible that we will be struck like them? Why do we go their way? Why do we want to be like them, with their holidays, their forbidden things, and their heresy?

  • 11 janvier 2015

Le ministre des affaires étrangères algérien Ramtane Lamamara a défilé à Paris dans la manifestation Je suis Charlie, tandis qu’à Alger toute manifestation de soutien à « Charlie » était strictement interdite.

  •  9 janvier 2015

CORTECS_raif-badawiLe blogueur Raif Badawi a reçu ses 50 premiers coups de fouet en place publique. Condamné à 10 ans de prison et 1000 coups de fouet pour avoir osé critiquer la police religieuse. Chaque vendredi, coups de fouet par série de 50. Pourtant, le 11 janvier, l’Arabie Saoudite dépêchait à Paris le N°2 de sa diplomatie, Nizar al-Madani, pour représenter le pays lors du défilé de soutien à « Charlie ».

  • 30 décembre 2014

CORTECS_BuddhaHeadphonesPhilip Blackwood, néo-zélandais, Htut Ko ko Lwin et Tun Thurein, deux Myanmarais, croupissent en prison en attendant d’être jugés par le tribunal de Yagoon pour « insulte à la religion ». Ils ont été poursuivis par le département des affaires religieuses du Myanmar pour avoir posCORTECS_Htut_ko_ko_Lwinté sur Facebook une publicité de leur bar, où l’on voit un Bouddha portant des écouteurs. Ce sont les radicaux du Mabhata, comité pour la protection de la race et de la religion, qui poussent à la condamnation de ces trois hommes – de même qu’ils poussent au départ les 10 % de la minorité musulmane pour « épurer la race ». En mars 2015, ils écopent d’un an de travaux forcés.

  • 7 décembre 2014

« Epargnez-nous la guerre des crèches ! » écrit le Parisien. « Cette année, la Sainte Vierge et Jésus ne seront pas jetés dehors comme il y a 2000 ans. Ils resteront bien au chaud dans notre mairie« , déclare Robert Ménard, maire de Béziers… en pleine opposition avec la loi de 1905 qui interdit les emblèmes religieux « sur les monuments publics (…) à l’exception des édifices servant au culte« . Une autre crèche, installée dans la Préfecture de la Roche-sur-Yon, a été retirée, sur décision du tribunal administratif.

  • 1er décembre 2014

CORTECS_Loujain_HathloulLoujain Hathloul (لجين هذلول الهذلول) saoudienne de 25 ans, a été arrêtée par la police saoudienne au volant d’une voiture, ce qui est interdit car selon les autorités de Riyad, « cela enfreint la cohésion sociale« . La contrevenante risque dix coups de fouets. Une campagne est lancée, libérez Loujain, sur Facebook. Mais il s’agirait plutôt de « libérez-nous des systèmes politiques non laïcs ».

  • 31 octobre 2014

Le premier ministre roumain, Liviu Dragnea a déclaré en pleine campagne électorale :CORTECS_dragnea_liviu « Nous devons aider l’Église. Elle est le seul repère qui procure un soutien moral et assure notre tranquillité. » (Note : l’Église orthodoxe roumaine ne paie pratiquement pas d’impôts).

  • 25 octobre 2014

Brishna, une fillette âgée de 10 ans de la province afghane de Kunduz, a été violée par un mollah local en mai 2014. Même si le mollah en question a été condamné (25 ans de prison), elle risque d’être victime d’un meurtre pour des questions d’« honneur » aux mains de sa famille et des membres de sa communauté. La militante des droits des femmes qui la soutient est en butte à des menaces de mort. Une pétition d’Amnesty International est disponible ici.

  • 17 octobre 2014

CORTECS_Asia-BibiAsia Bibi, une chrétienne pakistanaise condamnée à mort pour blasphème en 2010, a été déboutée en appel par la haute cour de Lahore. Le 16 octobre, la haute cour de Lahore a débouté de son appel. Âgée de 45 ans et mère de cinq enfants, cette femme a été déclarée coupable de blasphème le 8 novembre 2010 et condamnée à la peine capitale en vertu de la section 295C du Code pénal pakistanais car elle aurait outragé le prophète Mahomet lors d’une altercation avec une musulmane. L’équité de son procès est fortement mise en doute. Asia Bibi affirme que les éléments attestant prétendument le blasphème, qui ont été jugés recevables par différents tribunaux, ont été forgés de toutes pièces et qu’elle n’a pas pu consulter d’avocat pendant sa détention ni le dernier jour de son procès, en 2010. L’avocat d’Asia Bibi estime que l’affaire est fondée sur des ouï-dire. Des défenseurs des droits humains ont dénoncé, quant à eux, le fait que les juges de la haute cour de Lahore avaient peut-être débouté Asia Bibi de son appel par crainte pour leur sécurité. Des groupes religieux réclamant l’exécution de cette femme étaient présents au tribunal. Rappelons que le 4 janvier 2011, le gouverneur du Pendjab Salman Taseer, qui avait publiquement défendu Asia Bibi, est assassiné. Le 2 mars, le ministre fédéral des Minorités religieuses, Shahbaz Bhatti, de confession catholique, qui l’avait lui aussi publiquement soutenue, et avait appelé à un amendement de la loi sur le blasphème, est à son tour assassiné.

  • 5 octobre 2014

A Nice, le père Gil Florini (encore) a béni dans son église Saint Pierre d’Arène les animaux (compagnie et ferme).

  • 26 septembre 2014

A Nice,  le père Gil Florini a béni dans son église Saint Pierre d’Arène les téléphones et les tablettes, au nom de l’Archange Gabriel, saint-Patron des transmissions (sic!)

CorteX_Affiche_benediction_telephones CorteX_Gil_Florini_telephones

  • 20 juin 2014

Ghoncheh GhavamiGoncheh Ghavami, Irano-britannique de 25 ans, a été arrêtée à Téhéran pour avoir voulu assister à un match de volley-ball masculin. Elle a été condamnée à un an de prison et à deux ans d’interdiction de retour dans son pays, le Royaume-Uni. Pétition ici.

  • 18 juin 2014

La saoudienne Souad al-Chammari, co-fondatrice du site « Réseau libéral saoudien » quiCORTECS_souad_al_chammari critique l’establishment religieux, a été mise en prison à Djeddah pour « insulte à l’Islam » : dans un tweet, elle avait posté la photo d’un homme faisant le baise-main à un religieux barbu, avec le commentaire : « Remarquez la vanité et l’orgueil sur son visage quand il trouve un esclave pour lui baiser la main. » . Et dans un autre tweet, elle avait interpellé les autorités à propos de l’arrestation de deux femmes par la police  religieuse au motif qu’elles avaient pris un taxi conduit par un homme.

  • 15 juin 2014

CORTECS_Manal_al-ShraifLa saoudienne Manal al-Chérif (منال الشريف‎) a été arrêtée en mai 2011 et maintenue 10 jours enCorteX-New_Saudi_Arabia's_traffic_sign_ détention après avoir diffusé sur YouTube une vidéo dans laquelle on la voyait conduire. Elle a ensuite lancé le mouvement pour le droit des femmes à conduire.

  • Juin 2014

Sheima Jastaniah, une Saoudienne, a été condamnée à dix coups de fouet pour avoir bravé l’interdiction de conduire (elle fut graciée en novembre 2011 par le roi).

  •  8 octobre 2013

Saudi preacher gets fine and short jail term for raping and killing daughterFayhan al-Ghamdi, prédicateur télévisé saoudien, a été condamné à 8 ans de prison, et à la rançon du sang (blood money) de 31 000 livres pour avoir massacré sa fille de 5 ans, en la violant plusieurs fois (concerné qu’il était par sa virginité, dit-il) en lui enfonçant la boite crânienne et en lui brisant le dos. La petite Lama al-Ghamdi succombera à ses blessures au bout de 7 mois.

  •  20 août 2013

Un des plus grands militants pour l’abolition des superstitions à caractères racistes et discriminatoires, le rationaliste Narendra Dabolkhar, a été tué à coups de poignards dans la rue. Il avait fondé et présidé la Maharashtra Andhashraddha Nirmoolan Samiti (MANS), association anti-superstition en 1989. Il se savait menacé depuis longtemps, et avait toujours refusé une garde rapprochée. Du fait de sa mort, l’ordonnance appelée Anti-Superstition and Black Magic Ordinance fut promulguée quatre jours plus tard dans l’État du Maharashtra. Le CORTECS lui a dédié plusieurs cours. Rares furent les médias à traiter cette histoire, si ce n’est la Fédération Nationale Pour la Libre pensée.

Ressources audio

L’affaire Calas, par Robert Badinter

CorteX_affaire_CalasÉmission du 5 mars 2015 des nouveaux chemins de la connaissance, sur France Culture.

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Voltaire et la religion

Au long de sa vie passablement agitée, Monsieur le Multiforme n’a évidemment pas toujours tenu le même discours en matière de religion mais il s’est toujours inscrit entre deux bornes : ni fanatisme ni athéisme. « L’athéisme et le fanatisme sont deux monstres qui peuvent dévorer et déchirer la société », dit-il et il ajoute : « L »athée dans son erreur conserve sa raison, qui lui coupe les griffes alors que le fanatisme est atteint d’une folie continuelle. » Ceci est écrit en 1771.

C’est dans ses dernières années qu’on peut en effet le mieux saisir le langage de Voltaire en la matière. Auparavant, il a pu varier selon le moment, l’opportunité, le genre littéraire qu’il pratiquait. Mais, après 1762 et l’affaire Calas, il habite pleinement sa vérité.

Sa célébrité et sa fortune le protègent, l’âge le libère. Depuis son château de Ferney, à la frontière helvétique, il expérimente la fonction du guetteur d’idées : chaque fois qu’il le peut, il sonne l’alarme contre les dévots de tous poils. Depuis, le rôle a été repris des milliers de fois. Mais le dernier Voltaire, le Voltaire septuagénaire l’emporte souvent sur ses successeurs par la grâce de son style : le goût du trait et de la pointe, la légèreté de l’écriture… C’est, peut-être, le premier intellectuel au sens que donnera au mot l’affaire Dreyfus mais aussi, loin de tout dieu qui l’aurait culpabilisé, le dernier intellectuel qui donne l’impression d’être heureux…

Avec André Versaille. Cette émission de La marche de l’Histoire a été diffusée sur France Inter le 31 octobre 2013.

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Loi de séparation de l’Église et de l’État en France

CorteX_la-separation_eglise_EtatLe texte est d’importance, il rompt avec le Concordat de 1802 : le catholicisme, « religion de la grande majorité des citoyens », y était conçu en rempart de l’ordre, ses évêques et ses prêtres salariés, logés, tels des fonctionnaires.

La séparation telle que la choisissent ses inspirateurs, partisans de l’apaisement, ne met pas pour autant fin aux relations des Églises et de l’État. La République ne reconnaît plus  les cultes. Cependant, elle a encore à les connaître puisqu’elle se préoccupe de la liberté de leur exercice. A cet effet, sont considérées toutes les questions de biens et d’argent qui pourraient se poser pour les édifices.

La loi  imagine des interlocuteurs pour chacun d’entre eux, qui seraient des associations cultuelles. Mais la catholicité refuse de se laisser atomiser. Au début de 1906, l’inventaire des églises, qui aurait dû n’être qu’un épisode technique, vire au tragique dans certaines régions. Clémenceau, ministre de l’Intérieur et farouche anticlérical pourtant, en conclura qu’on ne doit pas mettre en jeu des vies humaines pour compter des chandeliers… Ce sont les diocèses qui, de fait, deviennent affectataires des églises. Et, quinze ans plus tard, la République trouvera plus commode de rétablir les relations diplomatiques avec le Vatican !

La loi  du 9 décembre 1905 avait tout prévu par le menu. Sauf, tout de même, l’avantage qu’en tira l’Église, assurée désormais d’une assise matérielle stable.

La loi avait tout prévu mais l’islam, pourtant si présent dans les colonies, n’était pas sur la photo. Et, si plastique soit-elle, la loi de 1905 ne peut guère lui faire de place sauf à être modifiée.

Cette émission de La marche de l’Histoire a été diffusée sur France Inter le 5 février 2015.

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Droit d'ingérence et impérialisme humanitaire : les rouages de la propagande de guerre

« La propagande est un ensemble de moyens psychologiques développés pour influencer la perception publique des événements ou des enjeux, de façon à endoctriner ou embrigader une population et la faire agir et penser d’une manière prédéfinie » (Edward Bernaÿs). La propagande de guerre a ceci de particulier qu’elle est extrêmement facile à décrypter et pourtant très fréquemment utilisée et très efficace. En 2013-2014, le CorteX a proposé deux ateliers pour en décortiquer les rouages.
Nos deux ateliers ont eu lieu à Montpellier et à Grenoble et chacun d’eux a rassemblé un public d’une dizaine de personnes principalement constitué d’étudiant.e.s, d’universitaires, de personnels administratifs et de quelques curieux.
Voici comment nous avons procédé pour chacun d’eux.


La défense des droits humains peut-elle justifier une guerre ? – Midi critique animé par Guillemette Reviron à l’Université de Montpellier II

En guise de remarque préalable, il faut souligner que je n’ai aucune expertise spécifique en histoire ou en sciences politiques. J’ai donc choisi pour ce midi critique de me concentrer sur l’analyse critique des arguments régulièrement utilisés pour tenter justifier ce qu’on qualifie de « guerres humanitaires » ou de « guerres justes » et pour construire notre opinion en matière d’interventionnisme, plutôt que d’analyser des situations particulières comme par exemple les interventions françaises au Mali, en Syrie ou en Afghanistan.

Quand j’ai commencé à préparer cet atelier, j’ai beaucoup réfléchi à la manière de sortir des réactions émotionnelles. Comment faire surgir les questions que soulèvent ce qu’on appelle le droit d’ingérence quand on est imprégné depuis des années par un discours parfois culpabilisant qui prône ce droit (voire ce devoir) d’ingérence ? Comment mettre en évidence que l’émotion engendrée par des situations dramatiques nous empêche souvent de raisonner et de prendre le temps de l’analyse avant de prendre une décision ou de se faire un avis, alors même que ces réactions émotionnelles dépendent de nombreux paramètres dont on est peu conscient ? Je ne trouvais pas de solution satisfaisante à partir d’extraits vidéos traitant d’une situation particulière. Je craignais en effet d’embarquer le public dans des débats très (trop ?) pointus sur les motivations réelles ou prétendues d’une guerre ou d’une autre, débat qui m’aurait fait m’aventurer sur un terrain que je ne maîtrisais pas. J’ai finalement eu l’idée de découper ce midi critique en deux phases : l’une qui avait pour objectif de faire émerger les différents types de critères que l’on évalue consciemment ou non avant d’agir, l’autre qui se proposait de questionner ledit droit d’ingérence à travers la grille des critères élaborée dans la phase 1.  

Phase 1
Dans un premier temps, je voulais faire réfléchir le public aux raisons qui nous poussent ou nous retiennent d’intervenir dans un conflit. J’ai eu l’idée de partir de situations quotidiennes où les enjeux me semblaient plus facilement identifiables. J’ai donc commencé par un exercice de positionnement stratégique en matérialisant avec des panneaux deux axes perpendiculaires dans un coin de la salle (un axe d’accord / pas d’accord et un axe perpendiculaire capable / pas capable). Ces deux axes définissaient alors quatre zones différentes. J’ai ensuite retenu quatre situations concrètes problématiques :

  • Situation 1 : vous emmenez vos deux enfants au bac à sable. L’aînée tape violemment sur le petit. Vous vous levez et vous donnez une fessée à votre fille aînée.
  • Situation 2 : vous êtes dans un parc public et vous voyez un enfant taper violemment un autre enfant plus petit. Sans discuter, vous lui donnez une fessée.
  • Situation 3 : vous êtes à un arrêt de tramway et vous voyez un homme frapper sa compagne. Sans discuter, vous le frappez.
  • Situation 4 : un collègue vous raconte qu’hier, il a entendu son voisin frapper sa compagne. Vous demandez l’adresse du voisin et vous allez lui mettre une rouste.

Après présentation de chaque situation et sans avoir évoqué les suivantes, j’ai demandé aux participants de se placer dans l’espace : par exemple, une personne qui  pense qu’il faut intervenir et qu’elle le ferait, se placera dans le carré d’accord/capable ; si elle pense qu’il faudrait intervenir mais qu’elle ne le ferait pas, elle se placera dans la zone d’accord/pas capable etc. Les personnes qui le souhaitaient pouvaient rester en observation, mais « ne pas se positionner dans une case » ne faisait pas partie des options possibles pour ceux qui avaient décidé de participer (en effet, comme le disait Howard Zinn, on ne peut pas être neutre dans un train en marche). Le fait de devoir se positionner est parfois très difficile, surtout quand on ressent des tensions internes, et c’est justement l’intérêt de ce type d’exercice : pour décider d’aller dans une case ou dans une autre, il nous faut identifier les contradictions potentielles ou les principes qui sous-tendent notre décision. Les participants avaient également la possibilité de changer de case lorsqu’ils adhéraient aux arguments présentés par quelqu’un d’autre. Chaque personne qui le souhaitait pouvait ensuite exposer les raisons qui expliquaient son positionnement, éventuellement les raisons qui l’avaient poussée à de déplacer par rapport aux situations précédentes ou encore ce qui avait suscité un dilemme le cas échéant.

Mon objectif était de faire sortir les arguments types qui sont invoqués pour justifier ou rejeter le recours à l’ingérence. J’avais au préalable pensé aux critères suivants :
1 – Légalité de l’intervention
2 – Gravité de la situation
3 – Légitimité du recours à la violence (ultime recours, médiation ou négociation préalables, situation d’urgence)
4- Effets attendus de l’intervention (efficacité sur le court/long terme)
5- Légitimité individuelle de l’intervention (plus précisément, le recours à la violence me paraît légitime mais suis-je légitime, moi, pour l’exercer ?)
6 – Arguments moraux (angle déontologique ou angle conséquentialiste)
7 – Capacité physique / moyens
8- Connaissance du contexte / fiabilité de l’information difficile à évaluer

J’ai noté tous les critères énoncés par les participants sur de grands panneaux au fur et à mesure pour m’appuyer dessus dans la deuxième phase.

Retour de la phase 1
Même si cette phase a été très riche – presque tous les arguments sont ressortis -, j’ai réalisé en cours de route que cet exercice était peut-être trop intrusif. Il faudrait modifier les règles pour que les participants s’exposent moins. J’ai réalisé après coup qu’il n’est pas si facile de donner son avis à des inconnus sur un sujet aussi engageant. Si je devais le refaire, je suggérerais aux participants de se glisser dans la peau d’une autre personne de leur choix, qu’ils connaissent bien, sans avoir à dire de qui il s’agit, et d’imaginer dans quelle case cette personne se positionnerait afin de minimiser la violence que l’on peut ressentir quand on est en position minoritaire.

Les critères mentionnés par les participants pour justifier ce qu’ils feraient ou ne feraient pas furent les suivants :

D’accordPas d’accord
Pas capable
Situation_1– dissuasion
– limite dépassée
– ultime recours
– si le dialogue a précédé
– on ne connaît pas assez le contexte
– on ne résout pas la violence par la violence
– pas efficace
personne ne s’est dit « pas capable »
Situation_2personne ne s’est dit d’accord– on ne connaît pas assez le contexte
– on ne résout pas la violence par la violence
– pas efficace
– ce n’est pas à moi de gérer
– on n’est pas légitime
Situation_3– urgence
– réaction émotionnelle
– besoin personnel (culpabilité, responsabilité)
– gravité
-la violence engendre la violence
-faire appel aux institutions/autorités
– pas les moyens physiques
– peur des représailles
– peur des conséquences
Situation_4personne ne s’est dit « d’accord »– violence engendre la violence
– pas efficace sur le long terme
– difficile de jauger la fiabilité de l’info
– éloignement de la situation
– moins d’émotions
– d’autres réactions possibles :
faire appel aux institutions / autorités ; possibilité d’établir un autre rapport de force
– peur des représailles
– peur des conséquences

Phase 2

Cette seconde phase avait pour objectif de revenir sur le droit d’ingérence en situation de guerre, en raccrochant les discussions aux critères vus dans la phase 1. J’ai repris la forme classique du midi critique et projeté des extraits vidéos. Pour chaque extrait, j’ai demandé aux participants s’ils y retrouvaient des critères abordés dans la première phase de l’atelier.

Extrait 1 : l’affaire Nayirah, Zapping, 1993
Le contexte : en 1990, l’armée Irakienne envahit le Koweit. Le gouvernement états-unien projette d’intervenir en Irak mais ne bénéficie d’aucun soutien de la population états-unienne. Jusqu’au jour où une jeune femme koweitienne, prénommée Nayirah, témoigne devant le congrès et raconte avoir vu des soldats irakiens jeter des bébés hors des couveuses. Cet épisode, très médiatisé, retourne « l’opinion publique » et les états-unis entrent en guerre contre l’Irak en janvier 1991. On apprendra par la suite grâce au journaliste John Martin que Nayirah n’est jamais allée au Koweit, qu’elle est en fait la fille de l’ambassadeur Koweitien et que tout a été orchestré par l’entreprise de relations publiques Hill and Knowlton.

Nayirah_Zapping_1993

J’ai choisi cet extrait, volontairement lointain, pour introduire les éléments classiques de la propagande de guerre (diabolisation de l’ennemi, appel à l’émotion, fabrication de preuves,…). Elle a aussi permis d’alimenter la réflexion sur d’autres exemples de fausses preuves (armes de destruction massive en Irak, soi-disant bombardement de manifestants à Tripoli par des avions de chasse de Kadhafi le 21 février 2011) ou de faits dont la réalité est encore discutée aujourd’hui (armes chimiques en Syrie)
Critères concernés : 2,7 et 9

Extrait 2 : Michel Collon – Ce soir où jamais, France 3, le 6 septembre 2013
Présentation : Michel Collon, journaliste, énonce les différents principes de propagande de guerre.

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=9GDFi4KP6bE]

Cet extrait m’a donné l’occasion du discuter des effets bi-standard, et des techniques de sélection et d’ordonnancement des informations. Bi-standard car les médias condamnent à des degrés variables l’utilisation des armes chimiques par les états qui y ont recours. La théorie du « mort au kilomètre » et de l’extra-ordinarité explique pourquoi nous sommes plus touchés par des morts proches de chez nous que par des drames plus lointains.
Critères concernés :  1, 6, 8

Extrait 3 : Journal Télévisé, France 2, le 2 mai 2001 sur la situation des femmes afghanes
Contexte : cet extrait date de mai 2001 (avant les attentats du World Trade Center). La situation des femmes afghanes est déjà régulièrement médiatisée en France et le soutien de la France à cette population est débattue (voir par exemple dans le Journal Officiel du Sénat du 15 mars 2001).

La condition des femmes en Afghanistan_Journal Televise_France 2_2 mai 2001

Cet extrait met en lumière un argument couramment invoqué par les tenants de l’interventionnisme : celui de la défense des droits des femmes. Sur la base de cette justification, j’ai introduit un débat sur l’évaluation de l’efficacité d’une intervention. Se soucie-t-on / les médias se soucient-ils de la situation des femmes afghanes aujourd’hui ? Si c’est un des arguments qui a poussé le gouvernement français à entrer en guerre, comment se fait-il que nous n’ayons aucune idée de ce qu’il en est aujourd’hui ? Comment mesure-t-on l’efficacité de notre guerre ? Combien de femmes ont été tuées dans les bombardements ? A partir de combien juge-t-on la guerre efficace ? Quels sont nos critères d’évaluation ?
Critères abordés : 5, 7

Extrait 4 : extrait d’une interview de J. Bricmont (jusqu’à 5min06)

Propagande_jean-bricmont_l imperialisme humanitaire_1_news

La suite de l’interview est disponible ici.

Notre légitimité à intervenir pour secourir une population menacée ou exterminée est l’un des critères les plus difficiles à questionner. En revenant sur l’exemple des Sudètes, J. Bricmont montre que c’est pourtant loin d’être aussi simple.

Ce fut aussi l’occasion de revenir sur le pseudo-concept de droit d’ingérence sous l’angle du droit international : la Charte des Nations Unies donne aux états membres un devoir de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un autre état. Le dit droit d’ingérence n’existe donc pas en droit. Toutefois on peut mentionner l’existence du principe de responsabilité de protéger (très contesté et invoqué pour intervenir en Libye).
Pour plus d’information sur ces débats juridiques, on pourra se référer à l’ouvrage de Jean-Baptiste Jeangème Vilmer, La guerre au nom de l’humanité (Paris, PUF, 2012).
Critères abordés : 1,2 et 6

Conclusion
Le problème fondamental dans le recours au droit à l’ingérence, c’est qu’il permet de passer sous silence de nombreux aspects de la question qui ne sont ainsi jamais débattus ni soupesés. Pire, il devient même immoral de demander que les critères d’intervention ou de non intervention soient explicités (comment oser se demander si notre intervention est légitime quand des enfants meurent tous les jours ?). Les guerres se succèdent ainsi, sans qu’on ne sache jamais quels sont les enjeux réels, sans qu’on n’évalue l’efficacité d’une intervention, sans qu’on n’ait même défini les critères d’évaluation, sans qu’on ne puisse jamais affirmer qu’elles ont apporté plus qu’elles n’ont détruit.


Les rouages de la propagande de guerre : des Sudètes (1938) à la Syrie (2013) – Atelier de l’info animé par Clara Egger et Richard Monvoisin

Puisque cet atelier est disponible ici dans sa version intégrale, nous nous limiterons à expliciter nos choix avant de présenter les suites qui ont été données à cet atelier.

Deux questions ont motivé cet atelier :

  • Comment se fait-il, dans un contexte où la guerre est impopulaire, que la France finisse toujours de s’engager dans un conflit ?
  • Comment comprendre que, bien que chaque guerre soit toujours un fiasco, la France n’ait cessé d’être impliquée directement ou indirectement (via l’envoi de troupes au sein de missions multilatérales régionales ou globales) dans des conflits?

Pour obtenir un soutien aux entreprises guerrières, il y a des stratégies de manufacture de l’opinion qui sont récurrentes dans tous les conflits du XXème siècle. L’objectif de l’atelier fut alors de développer les points centraux d’un cycle qui se répète à chaque fois ou presque. Nous avons choisi d’analyser les mécanismes de propagande présents :

  1. avant le conflit, pour justifier l’entrée en guerre
  2. pendant le conflit pour assurer un soutien à l’entreprise guerrière
  3. après le conflit, pour éviter de poser la question du bilan de la guerre

La principale difficulté a été de choisir nos cas d’étude car une analyse exhaustive de tous les cas de guerres était impossible. Nous avons brièvement mentionné le cas de l’annexion des Sudètes par Hitler qui fut justifiée au nom de la protection des droits de la minorité allemande. L’objectif était de montrer que la justification de la guerre par de nobles causes existe depuis longtemps et qu’elle est le fait de tous les états. L’actualité récente nous livrait des exemples nombreux de guerres dites humanitaires ou justes (cas de la Syrie, intervention en Libye, au Mali,…).

Nous avons choisi de sélectionner des cas emblématiques pour lesquels nous disposions de ressources (extraits de journaux, de journaux télévisés, de documentaires,…) et que nous maîtrisions. Nous avons commencé par des exemples connus et anciens, notamment des entreprises guerrières menées par les Etats-Unis pour terminer sur des cas plus complexes, impliquant la France. L’objectif était d’incrémenter un débat sur le rôle des médias dans la fabrique d’une opinion favorable à la guerre.

Nous avons conclu l’atelier en élargissant la discussion sur les critères possibles pour décider, rationnellement, de s’engager dans une intervention militaire. A ce propos, l’ouvrage de Jean-Baptiste Jeangème Vilmer propose une analyse détaillée des différents critères juridiques encadrant la doctrine de la « guerre juste » (La guerre au nom de l’humanité. Tuer ou laisser mourir, Paris, PUF, 2012).

La trame de cet atelier a été approfondie dans deux de nos cours. Le premier a été co-animé par Clara Egger et Richard Monvoisin dans le cadre de l’UE transversale de Richard Monvoisin « Zététique et auto-défense intellectuelle » (Université de Grenoble) en décembre 2013. Le second a été animée par Clara Egger à l’Université de Sudbury (Canada) en mars 2014.

Sources et références :

Jean Bricmont, Impérialisme humanitaire. Droits de l’Homme, droit d’ingérence, droit du plus fort ? Editions Aden, 2005- 2e édition 2009.

Edward Bernaÿs, Propaganda, Horace Liveright, 1928. Traduit en français sous le titre Propaganda, Comment manipuler l’opinion en démocratie, Zones, 2007.

Edward Herman & Noam Chomsky, La Fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie, Agone, 2008.

Norman Solomon, War Made Easy : How Presidents and Pundits Keep Spinning Us to Death, 2006.

Noam Chomsky, Comprendre le pouvoir, T.1, 2, 3 éditions Aden, coll. « Petite bibliothèque d’Aden », 2006.

Noam Chomsky, 11-9 : autopsie des terrorismes, Serpent à Plumes, 2001.

Noam Chomsky, Autopsie des terrorismes. Les attentats du 11 septembre 2001 et l’ordre mondial, Agone (2011)

John R. MacArthur, Second Front : Censorship and Propaganda in the 1991 Gulf War, Hill and Wang (1992) 2e édition University of California Press (2004)

Serge Halimi et Dominique Vidal avec Henri Mahler, L’opinion ça se travaille, Les médias et les guerres justes : Kosovo, Afghanistan, Irak, Agone, 2006 (1ère édition en 2000).

Documentaires

War Made Easy: How Presidents and Pundits Keep Spinning Us to Death, de Sean Penn 2007

Chomsky & Cie, d’O. Azam et D. Mermet, Mutins de pangée (2008)

Examen sur table de zététique : vous voulez essayer ?

Mardi 16 décembre 2014, 278 étudiant-es de l’Université de Grenoble ont eu deux heures pour en découdre avec l’examen qui suit. Vous voulez essayer ?
Tout document était autorisé. Seules les tablettes, téléphones et autres connectiques étaient refusées, dans la mesure où tout le monde n’est pas équipé de la même manière. Il y avait deux heures pour en découdre. Voici l’énoncé complet et son barème. Top chrono.

 

UET Zététique & Autodéfense intellectuelle
Richard Monvoisin

Table des matières

  • Cours (5 points)
  • Protocoles expérimentaux (5 points)
  • Thérapie (6 points)
  • Analyse de titres de presse (3 points)
  • Énigme zoologique (2 points)
    (Barème sur 21 points)

Cours

Quelles sont les différences fondamentales entre croire (en la gravitation, en l’évolution, en la tectonique des plaques…) et croire (en Dieu, en une volonté cosmique) et quels sont les risques à mélanger ces deux formes de croyance ?

Certains penseurs font l’hypothèse d’une volonté cosmique guidant l’évolution de tout l’univers depuis le début. En quoi le rasoir de Guillaume d’Occam nous est-il utile sur ce point ?

En quoi les deux affirmations suivantes posent-t-elles problème ?

« Comme tout dépend des yeux de l’expérimentateur, aucun énoncé n’est objectif. Donc les discours scientifiques ne sont pas différents des discours culturels : le Big Bang n’a pas plus de réalité que Atlas portant le monde sur ses épaules, ou le disque-monde porté par quatre éléphants, eux-mêmes portés par une tortue gigantesque navigant lentement dans le cosmos. La science n’est qu’une question de point de vue. Au fond, elle est une religion comme une autre, avec son propre clergé : les scientifiques. » Julian Peneck, You couldn’t die from tuberculosis before 1882, Oxvard, 2004.

« Franchement, Assassin’s creed Unit, le Métronome de Lórant Deutsch, Tintin au Congo, etc. ce ne sont que des œuvres d’art. Donc ce n’est pas bien grave si leurs auteurs déforment ou ont déformé la réalité historique. De toute façon, l’histoire est subjective en soi, et il y aura autant d’histoires différentes que de gens pour les raconter ». Guillermó Manillar, Epistemológicamente sin límites, Ed. el viejo topo, 3.12.2014.

 

Protocoles expérimentaux 

Un ami vous dit être capable de savoir à coup sûr si une femme enceinte attend une fille ou un garçon au moyen d’un pendule, qu’il fait tourner sur le ventre de la future maman. Lorsque son pendule tourne dans le sens des aiguilles d’une montre, c’est qu’il s’agira d’une fille, sinon, d’un garçon. Quel type de protocole expérimental zététique mettriez-vous en place pour tester la capacité de votre ami ?

Un (autre) ami vous dit être capable de savoir à coup sûr si une maison est habitée par un revenant (esprit d’un défunt mort dans cette maison) ou non, au moyen d’un pendule qu’il fait tourner sur la photographie de la maison. Lorsque son pendule tourne dans le sens des aiguilles d’une montre, c’est qu’il y a un revenant. Quel type de protocole expérimental zététique mettriez-vous en place pour tester la capacité de votre ami ?

Thérapie

Lors d’un repas, un proche de la famille vous raconte l’affaire suivante : « alors que chaque hiver, je suis sujet à des grippes, cette année j’ai suivi les conseils de mon pharmacien, et j’ai pris de l’homéopathie, en l’occurrence Oscillococcinum®. Et figure-toi que je n’ai pas été malade ! C’est fou, non ? Ma cousine, pareil. Pas un rhume, rien ! Alors on peut dire ce qu’on veut, ça marche. Et pour ceux pour qui ça ne marche pas, au moins ça ne leur fait pas de mal. De toute façon, c’est toujours mieux que de prendre des antibiotiques. »

Quelle analyse zététique faites-vous de ses propos ?

Analyse de titres de presse

Quelles critiques peut-on faire aux titres de presse suivants ?

  • Y a-t-il une malédiction africaine ? par Dov Zerah, Financial Afrik, 29 septembre 2014
  • L’Occident ne tiendra-t-il donc pas le choc des civilisations ?, par Franz-Olivier Biesgert, Le Point, 29 novembre 2014
  • Jeunes partant faire terroristes en Syrie : faut-il les punir ou les enfermer ?, par Garla Gregger, Das ArX-Lor, 2 décembre 2014

Énigme zoologique

À l’état sauvage, certains éléphanteaux sont porteurs de l’allèle d’un gène qui prévient la formation des défenses. Les scientifiques ont constaté récemment que de plus en plus d’éléphanteaux naissaient porteurs de cet allèle de gène (ils n’auront donc pas de défenses devenus adultes). Quelle explication donnez-vous à cette situation ?

Bon courage !
Richard Monvoisin

 

Le corrigé est ici.

Linguistique, histoire – Mais où sont passés les Indo-Européens ? Le mythe d'origine de l'« Occident »

Il s’agit d’une enthousiasmante ouverture conceptuelle pour le CORTECS que cette réfutation d’hypothèse de Jean-Paul Demoule : l’existence d’une langue proto-indo-européenne et d’un peuple « originel » associé ne seraient que mythes. De quoi, du même élan, sectionner quelques arguments sur les Aryens, questionner la linguistique et ses présupposés « bibliques », et revisiter la métaphore d’un arbre des langues.

Nous n’avons pas encore farfouillé l’ouvrage, mais la stimulation intellectuelle sur ce sujet est venue de cet extrait de La fabrique de l’histoire du 27 octobre 2014, sur France Culture. Jean-Paul Demoule y était invité. Voici le passage en question.

L’idée d’une langue originelle colle à l’imaginaire biblique. En effet, dans le livre de la Genèse (11, 1-9), il est dit que la Terre, ayant été repeuplée après le Déluge, les Humains s’arrêtèrent dans la vallée de Sennar pour édifier une tour immense dont le sommet atteignait les cieux. Pour calmer leur orgueil, Dieu interrompit leur projet en brouillant leur langage, commun jusque-là, et les dispersa tout autour du monde.

CorteX_Arbre_langues_indoeuropDepuis les prémisses de la linguistique, les langues indo-européennes sont nommées ainsi car elles seraient issues d’une langue originelle commune, le proto-indo-européen, parlé par un peuple « originel » sur lequel les spécialistes s’écharpent encore. Las ! Encore faudrait-il que ce peuple, et cette langue, aient réellement existé. Les liens entre les langues indo-européennes sont néanmoins représentés dans des arborescences qui, comme on peut le voir sur les images ci-contre et ci-dessous, prennent tronc sur une seule souche. Et c’est cette souche-là que J-P. Demoule conteste. CorteX_Arbre_de_langues

CorteX_JP_DemouleJean-Paul Demoule s’est attelé depuis longtemps à ce qui ressemble fortement à un mythe anthropo-linguistique. Il a déjà écrit :

  • Réalité des Indo-Européens : les diverses apories du modèle arborescent, dans la Revue de l’histoire des religions, Vol. 208, N°208-2, p. 169-202 (1991) (télécharger ici).
  • Les Indo-Européens, un mythe sur mesure, La recherche, avril 1998 ().

Il vient de faire paraître au Seuil l’ouvrage Mais où sont passés les Indo-Européens ? Aux origines du mythe de l’Occident, dont voici la description par l’éditeur.

Mais où sont passés les Indo-Européens ? On les a vus passer par ici, depuis les steppes de Russie, ou par là, depuis celles de Turquie. Certains les ont même vus venir du Grand Nord. Mais qui sont les Indo-Européens ? Nos ancêtres, en principe, à nous les Européens, un petit peuple conquérant qui, il y a des millénaires, aurait pris le contrôle de l’Europe et d’une partie de l’Asie jusqu’à l’Iran et l’Inde, partout où, aujourd’hui, on parle des langues indo-européennes (langues romanes comme le français, slaves comme le russe, germaniques comme l’allemand, et aussi indiennes, iraniennes, celtiques, baltes, sans compter l’arménien, l’albanais ou le grec). Et depuis que les Européens ont pris possession d’une grande partie du globe, c’est presque partout que l’on parle des langues indo-européennes – sauf là où règne l’arabe ou le chinois. Mais les Indo-Européens ont-ils vraiment existé ? Est-ce une vérité scientifique, ou au contraire un mythe d’origine, celui des Européens, qui les dispenserait de devoir emprunter le leur aux Juifs, la Bible ? Jean-Paul Demoule prétend dans son livre paru en 2014 s’attaquer à la racine du mythe, à sa construction obligée, à ses détournements aussi, comme la sinistre idéologie aryenne du nazisme, qui vit encore. Il montre que l’archéologie la plus moderne ne valide aucune des hypothèses proposées sur les routes de ces invasions présumées, pas plus que les données les plus récentes de la linguistique, de la biologie ou de la mythologie. Pour expliquer les ressemblances entre ces langues, d’autres modèles restent à construire, bien plus complexes, mais infiniment plus intéressants.

Une autre émission a été consacrée à ce travail : dans La suite dans les Idées, sur France Culture le 24 janvier 2015. Là voici.

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Enfin, une dernière, sur France Culture toujours, chez Jean-Noël Jeanneney et son excellente émission Concordance des tempsqui une  fois n’est pas coutume nous offre un beau titre en faux dilemme  : Les Indo-Européens : réalité éclairante ou mythe dangereux.

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Bonne réflexion !

Richard Monvoisin

J'apprends en m'amusant – Corrigé de dissection d'un discours politique de Klaar Monvegger

Voici l’analyse des biais du texte de Klaar Monvegger présenté ici. Nous (CE et RM) en avons repéré 62. N’hésitez pas à nous faire part de biais en plus.

Quel est le véritable sens caché de la polycrise ?

« Il n’aura échappé à personne que notre civilisation moderne va mal. Le monde occidental est, en effet, frappé de tous les symptômes de ce que de nombreux politistes renommés ont qualifié de polycrise organique. Car la crise qui touche notre monde est plurale. Crise identitaire tout d’abord, puisque, partout, la démocratie libérale est contestée par un obscurantisme moyenâgeux puisant sa source dans un intégrisme rigoriste et agressif – rappelons-nous de Bâmiyân 2001. Ces attaques de l’étranger se couplent à une véritable démission sur le plan de la Morale. Les jeunes déboussolés sombrent dans la délinquance ou s’orientent vers un avenir fait de télé-réalité ou de culture fast-food. Mais la crise est aussi économique et sociale : la fraude sociale est érigée en modèle alors que, on le sait bien, la réforme est rendue impossible par l’action conjuguée de corporations intouchables et d’un archaïsme latent. Alors ? Les loups bêleront-ils avec les brebis ? »

Klar Monvegger, L’abîme de la civilisation occidentale, coll. la vieille martre, Presses Universitaires de Champagne-Mouton, pp. 212-213.

Quel est le véritable sens caché de la polycrise ?

1 & 2 – Double Plurium interrogatum1 –  : la façon dont cette question est posée conduit à avaler deux « couleuvres », une prémisse, sans l’avoir négociée. En y répondant, on adhère à deux prémisses : 1) nous vivons une « polycrise » ; 2) dotée d’un sens caché.

3 – Carpaccio (scénario artificiel) du sens caché, de la révélation.

4 – Effet puits sur « polycrise » : terme aussi profond que creux (pas de définition claire, non-présence dans le dictionnaire ATLIF, seules quelques références chez E. Morin, M. Rocard, et quelques autres, semble-t-il depuis le début des années 2010). « Polycrise » n’aurait de sens qu’au travers d’une définition de crise, ce qui n’est pas le cas (cf. point 24).

Il n’aura échappé à personne

5 – Technique d’engluement : rhétorique ratissant large par appel au bon sens / à l’évidence. C’est une technique qui englue le public, qui ne peut de fait plus remettre en cause le propos tenu.

que notre civilisation moderne

6 – Technique d’engluement : « notre » inclusif artificiellement.

7 – Ciblage forcé de public : avec « notre », l’auteur présume que son lectorat appartient à la même civilisation que lui.

8 – Plurium affirmatum n°1 : « notre » civilisation (sous-entendue « occidentale ») est « une ». C’est un argument typiquement essentialiste (voir à ce sujet Guillemette Reviron, Biologie, essentialisme – Nature, écologisme, sexisme, racisme, spécisme).

9 – Effet paillasson : « moderne » a deux sens différents. Le premier est un sens historique et qualifie la période qui va de la Renaissance à la Révolution française (les XIXe et XXe siècles étant qualifiés de contemporains). Le second signifie : qui est soit de notre temps, soit d’un temps plus ou moins rapproché du nôtre, par opposition à antique, à ancien, et n’a donc par conséquent de sens que relatif.

10 & 11 – Plurium affirmatum n°2 : déclarer « notre » civilisation moderne. En outre c’est un propos qui relève de l’erreur historique classique dite d' »anachronisme psychologique« 2.

va mal.

12 & 13 – Effet paillasson sur « mal ». Soit il s’agit d’un jugement moral de type mal / bien – et nous sortons derechef de l’analyse scientifique -, soit il s’agit, ce qui est plus probable, d’un jugement sanitaire, ce qui nécessite une métaphore organique qui ne va pas de soi : la (notre !) civilisation ici comparée à un organisme vivant, habituellement en bonne santé mais souffrant désormais d’une pathologie.

Le monde occidental

14 – Pente savonneuse : « notre civilisation moderne » devient « le monde occidental », ce qui a au moins le mérite de préciser enfin de quelle civilisation on parle.

15 – Effet puits : le mot « occidental » est la notion-valise par excellence puisqu’elle inclut, en réalité, l’ensemble des pays judéo-chrétiens dotés d’une économie capitaliste de marché. 3

 est, en effet,

16 – Usurpation de connecteur logique. « En effet » est un connecteur (ou opérateur) logique causal, qui n’a pas d’autre utilité ici que de faire croire en la démonstration d’une thèse de toutes les façons fumeuse (notre civilisation va mal) par ce qui suit.

frappé

17 – Deus ex machina : le mot « frappé » instille l’idée d’une action divine, d’une fatalité.

de tous les symptômes

18 – Métaphore organique – voir point 13.

de ce que de nombreux politistes renommés

19 – Argumentum ad verecundiam : les « politistes » cités ici sont présentés comme des figures d’autorité, oublieux du fait qu’il est de bons et de médiocres politistes. Qu’ils soient en outre « renommés », célèbres, n’augure en rien de leur compétence.

20 – Argumentum ad populum : le fait que ces « politistes renommés » soient nombreux n’est en rien un argument.

ont qualifié de polycrise organique

21 – Effet puits sur « polycrise » – voir point 4.

22 – Métaphore organique.

Car

23 – Usurpation de connecteur logique. « Car » est un connecteur (ou opérateur) logique causal mal employé ici.

la crise

24 – Effet paillasson : le terme « crise », employé sans définition préalable, souffre de multiples acceptions et rend redondante la métaphore organique avec le mot « crise » en médecine (manifestation aiguë d’une maladie à l’échelon d’un individu ou d’une population). Pour information, voici une liste non exhaustive de sens du mot « crise » :

Crise :

  • politique
  • économique
  • monétaire
  • financière
  • systémique
  • monétaire
  • financière
  • dans les organisations
  • bancaire
  • du disque
  • pétrolière
  • de la presse quotidienne française
  • alimentaire
  • de natalité
  • d’extinction
  • de l’énergie
  • écologique
  • climatique
  • sanitaire
  • du logement

qui touche

25 – Deus ex machina.

notre monde est plurale.

26 – Technique d’engluement.

27 – Pente savonneuse, avec un « monde » considéré comme unique et homogène – cf. 14.

Crise identitaire tout d’abord, puisque, 

28 – Usurpation de connecteur logique. « Puisque » est un connecteur logique causal mal employé ici, car la contestation en question n’est pas une cause de crise identitaire (si tant est que ce syntagme ait un sens : voir plus loin).

29 – Effet puits, « crise identitaire » n’ayant pas de définition en sciences politiques, tant cela recouvre de réalités possibles : primo parce que le mot « crise » n’a pas de sens précis – cf. X -, secundo parce l' »identité » ou l' »identitaire » se réfère une culture. Dans ce cas, l’auteur postule donc une identité culturelle commune au monde « occidental », ce qui, au vu de l’étendue dudit monde, est pour le moins surprenant.

partout, la démocratie libérale

30 – Exagération abusive.

partout, la démocratie libérale

31 & 32 – Double effet paillasson :

  • sur le mot « démocratie », qui reçoit de multiples acceptions et une définition floue pour un concept qui est plutôt vectoriel (on « tend » vers un état de démocratie, par le peuple et pour le peuple : ainsi la démocratie athénienne est moins démocrate que la démocratie représentative, qui elle-même… etc.)
  • sur le mot « libéral » qui fait étymologiquement référence à des choses très diverses. Le libéralisme politique, qui promeut la fixation des limites des actions de l’État ; le libéralisme économique, qui défend l’idée que les libertés économiques sont nécessaires à un fonctionnement pérenne de l’économie et que l’intervention de l’État doit y être aussi limitée que possible. Ici, il est probable que l’auteur veuille signifier le social-libéralisme, c’est-à-dire le développement et l’épanouissement des êtres humains pris dans leur interaction sociale. Par conséquent il désigne un système dans lequel la démocratie représentative défend les droits des individus, et la liberté personnelle (aussi bien celle de pratiquer sa sexualité que celle d’accumuler sans limites des richesses). .

est contestée par un obscurantisme

33 – Effet puits – « obscurantisme » désigne dans le vocabulaire des héritiers des Lumières une attitude d’opposition à la diffusion du savoir, dans quelque domaine que ce soit.

Note : ce terme dérive d’une satire datée de 1515-1519 intitulée Epistolæ Obscurorum Virorum (Lettres d’hommes obscurs), centrée sur une dispute intellectuelle entre l’humaniste allemand Johann Reuchlin et des moines Dominicains dont Johannes Pfefferkorn portant sur l’obligation ou non de brûler ou non des livres Juifs, car non-Chrétiens.

moyenâgeux

34 – Argument d’historicité, ou argumentum ad antiquitatem.

35 – Misreprésentation historique : le Moyen-Âge, catégorie temporelle immense (1016 ans), n’a été obscur, ou obscurci, que pour mieux faire ressortir les fastes de la Renaissance. à en croire Miglio (2006) et Albrow (1997), le terme lui-même apparut pour la première fois en latin en 1469 comme media tempestas (« saison intermédiaire ») puis medium aevum (« moyen âge ») en 1604.

puisant sa source dans un intégrisme rigoriste et agressif

36 – Effet impact : l’intégrisme est un mot qui possède une forte connotation négative.

37 – Effet paillasson : le terme « intégrisme » désigne des courants traditionalistes prétendant représenter l’orthodoxie catholique, comme lors du schisme de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X de M. Lefebvre, en 1988. Par une analogie discutable et discutée, le terme désigne plus généralement toute attitude doctrinale de conservatisme intransigeant, en particulier le fondamentalisme musulman (qui est « fondamental » au sens où il revendique la religion de la période des quatre premiers califes.

38 – Pléonasme : « rigoriste » souligne un respect strict des règles de la religion ou de la morale. Or l’intégrisme (ainsi que le fondamentalisme, d’ailleurs) est rigoriste.

39 – Effet impact : « agressif » est un mot jouissant d’un sens péjoratif.

rappelons-nous de Bâmiyân 2001

40 – Argumentum ad verecundia, ou argument de respect– imposé par une référence probablement peu connue du lecteur, en tout cas sous cette forme. De fait, c’est une technique d’engluement par élitisme.

41 – Désyncrétisation historique : en ne rappelant qu’une date et un lieu, on gomme les racines profondes d’un phénomène social.

Pour rappel : en 2001, à Bâmiyân (Afghanistan), d’immenses statues bouddhistes furent décrétées idolâtres par Mohammed Omar puis dynamitées. Cet événement fut mobilisé dans les médias pour illustrer la « sauvagerie » et la « barbarie » du régime taliban.

Ces attaques de l’étranger

42 & 43 – Rhétorique de repoussoir et effet impact. L’auteur re-situe encore son propos : « étranger » est à mettre ici en opposition « au monde occidental », et les « attaques » sont bien sûr celle des « intégristes rigoristes et agressifs » qui sont responsables de « l’obscurantisme moyenâgeux ».

Pour rappel : c’est une version un peu caricaturée de la thèse (qu’on pourrait désigner comme pseudo-scientifique) du choc des civilisations de Samuel Huntington, défendue en 1993 (dans l’article The Clash of Civilizations, dans la revue Foreign Affairs) puis en 1996 (dans le livre The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order).

se couplent à une véritable démission sur le plan de la Morale.

44 – Effet paillasson : « Morale » est utilisée sans précision, avec un M majuscule.

45 – Glissement diabolisant : l' »intégrisme » est perçu comme démissionnaire sur le plan de la morale – ce qu’est absurde, puisque justement, toute la démarche est d’ancrer un code moral, justement, religieux. C’est une rhétorique efficace : l’ennemi n’a pas de morale, puisque ce n’est pas la nôtre.

Les jeunes déboussolés

46 – Métaphore oiseuse : la « M »orale ferait office de boussole, comme un sur-moi qui tournerait l’individu vers un Nord sans ambiguïté. Sans elle, les jeunes seraient perdus.

sombrent dans la délinquance

47 – Effet cigogne : est instillée une causalité entre intégrisme – perte de repères – délinquance.

48 – Effet paillasson : le mot « délinquance » a une définition juridique très problématique (voir ici).

49 – Métaphore sclérosante : on « sombrerait » dans la délinquance comme un corps dans l’océan. Par cette formule, on instille l’idée que potentiellement, une personne peut se débattre, s’en « sortir », alors que les processus de délinquance sont plus insidieux et englobants.

ou s’orientent vers un avenir fait de télé-réalité ou de culture fast-food.

 

50 – Effet puits : un avenir fait de télé-réalité ou de culture fast-food est faussement clair, faussement précis.

51 – Généralisation hâtive : tous les jeunes, « déboussolés », s’orientent vers un tel avenir.

Mais la crise est aussi économique et sociale :

52 – Effet paillasson sur le mot « crise ». Cf. biais 24.

53 – Amalgame entre « économique » et « social ». Notons que d’un point de vue philosophique, le premier devrait être assujetti au second.

la fraude sociale est érigée en modèle 

54 & 55- Technique du bouc émissaire et rhétorique « populiste » dilatoire : la fraude aux prestations sociales est couramment amplifiée, détournant du coup d’autres « trous » budgétaires plus importants, comme l’évasion fiscale, et incriminant facilement les « petites bourses » qui sont les principales bénéficiaires des prestations sociales.

alors que, on le sait bien,

56 – Technique d’engluement.

la réforme

57 – Effet puits : le terme « réforme » n’est pas défini précieusement (structurelles, économiques, … ?)

est rendue impossible par l’action conjuguée de corporations intouchables

58 – Effet cigogne : « par » introduit un lien causal non démontré.

59 – Rhétorique conspirationniste, rappelant les dénonciations de complots judéo-maçonniques.

et d’un archaïsme latent

60 – Effet puits : cela ne veut rien dire de précis – et c’est pourtant une cause de « l’action conjuguée »…

Alors ? Les loups bêleront-ils avec les brebis ?

 61 – Effet puits : cette question ne veut rien dire de précis, mais feint de le faire.

62 – Argumentum ad verecundiam : cette question n’est que de la poudre aux yeux, afin de se donner une certaine morgue faussement spirituelle.

Nous avons un peu coupé les cheveux en quatre ? L’auteur ne nous en voudra pas. CaCorteX_Klaar_Monveggerr est-il nécessaire de préciser l’imposture ? Klaar Monvegger est une hasardeuse chimère entre Clara Egger et Richard Monvoisin. L’abîme de la civilisation occidentale est un livre aussi captivant qu’inexistant, la collection la vieille martre une référence facile à une défunte maison d’édition, La vieille taupe, connue pour ses diffusions de textes négationnistes. Quant aux Presses Universitaires de Champagne-Mouton, elles sont en devenir probable, malgré le moins d’un millier d’habitants de ce village de Charente.

 Richard Monvoisin, Clara Egger