En ce début octobre 2013 paraissait la revue La Traverse N°3, éditée par les Renseignements Généreux. S’il en est qui n’ont pas consulté les numéros précédents et leur contenu, talentueusement mis en page par la graphiste Clara Chambon, qu’ils/elles se précipitent là.
Richard Monvoisin y a écrit La médecine et ses « alternatives », Quelques outils d’autodéfense intellectuelle pour militant-es, reproduit ci-dessous, ainsi que sur Médiapart. En rouge, des corrections ultérieures.
Magnifique version pdf ici (sans la correction)
La médecine et ses « alternatives » – Quelques outils d’autodéfense intellectuelle pour militant.es
Table of Contents
La médecine scientifique : hégémonie et gémonies
Réappropriation, à quel prix ?
L’arbre des possibles
EncartEffet placebo, efficacité réelle, pathologie spontanément résolutive et médecines alternatives : quelques notions de base pour l’honnête militant-e alternatifOn peut semble-t-il faire remonter à quelques dizaines de siècles le constat suivant : un patient qui a confiance en son thérapeute aura de meilleurs résultats que… s’il n’a pas confiance. Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit généralement pas de meilleures « guérisons » : on ne guérit hélas pas vraiment plus. Par contre, on le vit mieux. Le patient aura ainsi une meilleure appréciation de son état, vivra mieux son mal-être, ses douleurs et les évaluera comme moins pire après la visite, indépendamment de l’acte qui lui est prodigué, que ce soit une injection, un massage, une discussion introspective ou un comprimé.C’est ainsi qu’est né l’effet placebo, du latin je plairai – qui vient de Placebo domino, « je plairai au Seigneur » 6 – qui est l’écart positif, entre le résultat thérapeutique d’un soin et son efficacité réelle ; en gros, le « bonus en plus » de l’efficacité réelle du soin. Ce bonus est un mélange d’auto-suggestion et de sécrétion de substances par notre cerveau, les endorphines, stimulées par la confiance et qui baissent la douleur ressentie. La grosse surprise est que tout acte thérapeutique efficace ou non entraîne un effet placebo, effet d’autant plus important que la pathologie est psychosomatique, ou dépendante de l’état psychologique du patient. En clair, il y a effet placebo que le soin soit efficace ou non.Un certain nombre de médecins malgré eux ont compris cela : lorsqu’ils ne savaient pas vraiment que faire pour un patient, ils lui donnaient des substances « vides », des placebos. On dit que c’est dans son Dictionnaire Médical de 1811 que le médecin Robert Hooper nomma pour la première fois placebo la « médication destinée plus à plaire au patient qu’à être efficace ». À la même époque le médecin Jean-Nicolas Corvisart utilisait avec succès des boules de mie de pain pour l’entourage de Napoléon.Ainsi a-t-on cerné progressivement les diverses facettes du placebo, que la psychologie appelle les effets contextuels : le prix élevé d’une consultation, un diplôme ronflant, un thérapeute à la mode et une longue queue devant le cabinet jouent aussi sur l’évaluation de notre mieux-être consécutif au soin. Idem pour les médicaments, dont la forme, la couleur et le prix entraînent un effet placebo. Deux comprimés placebo valent mieux qu’un seul et les gros comprimés font plus de bien que les petits. Même le nom « scientifique » agit : la mie de pain de Corvisart séduisit seulement sous le nom de Mica panis. Maintenant ce sont Viagra (que les publicitaires tirèrent de viril et Niagara) ou Seresta (sérénité et stabilité), mais aussi Medorrhinum (pus urétral de blennorragie), Pertussinum (crachat de coquelucheux) ou Oscillococcinum (autolysat de foie et de cœur de canard de barbarie) qui jouent sur le latin pour amplifier leur effet.Le médecin Richard Asher pointa aussi ce paradoxe qui a gardé son nom : plus un thérapeute est autoritaire et persuadé d’avoir raison, plus le patient évalue comme valide le soin reçu 7. Au contraire, un thérapeute qui doute, ou une thérapie détestée par le patient entraînera un effet placebo négatif qu’on appelle alors nocebo (je nuirai).Placebo = cerise, efficacité spécifique = gâteauPour savoir si un acte médical, soin, manipulation ou médicament a un effet réel sans les effets contextuels (les médecins disent une efficacité « spécifique ») il a fallu faire des tests en simple aveugle.Imaginons que nous voulions tester une pilule : il nous faut un groupe – les médecins disent une cohorte – de patients consentants tous avec le même problème que la pilule prétend arranger ou guérir. On tire au sort la moitié qui prend la vraie pilule, et la moitié qui prendra un placebo de la pilule (même forme, même goût mais qui ne contient rien). Ainsi les patients ne savent pas s’ils reçoivent le médicament ou son placebo. La différence d’amélioration entre les deux groupes donnera l’efficacité spécifique de la pilule, et l’amélioration du groupe placebo renseignera sur l’ampleur de l’effet placebo déclenché.Bien entendu, ce n’est pas toujours possible de faire un test en simple aveugle. Avec l’acupuncture par exemple, c’est faisable, car on peut faire un placebo d’acupuncture en utilisant des aiguilles retractables qui donnent l’illusion d’être plantées mais qui ne le sont pas. Par contre, il est très difficile d’évaluer ainsi l’intérêt spécifique d’une thalassothérapie par exemple, car comment faire un placebo de thalassothérapie ?Toutefois, le simple aveugle n’est pas suffisant. C’est une mésaventure qu’on prête à Stewart Wolf, vers 1940, qui fit avancer encore d’un cran l’évaluation. On raconte que Wolf reçut un médicament nouveau qu’il testa sur ses patients, lesquels lui en dirent immédiatement le plus grand bien. Conscient de la possibilité d’un effet placebo, il demanda au laboratoire un placebo de ce médicament, et le donna en cachette à ses patients qui illico remarquèrent la perte d’efficacité. Wolf s’apprêtait à conclure que le produit était excellent, avec une efficacité spécifique énorme… lorsque le labo l’informa que les médicaments envoyés étaient tous des placebos depuis le début.Des indices non verbaux, des mimiques, des comportements à peine perceptibles avaient probablement renseigné les malades sur l’efficacité que Wolf attendait. Wolf créait ainsi sans le vouloir une sorte de prédiction auto-réalisatrice. On comprit donc qu’évaluer un produit nécessitait que le patient ne sache pas ce qu’il reçoit, et qu’en outre le thérapeute ne sache pas ce qu’il donne.Ce fut la naissance du double aveugle, appelé parfois double insu, condition sine qua none pour prouver l’efficacité d’une technique. Simple à mettre en place, on peut utiliser le double aveugle aussi bien pour tester des thérapies que pour tester par exemple notre capacité à reconnaître un vin rosé d’un rouge, une bière blonde d’une brune, différentes sortes de fromages, etc.En résumé, on parle d’étude en « ouvert » (open design) quand le médecin et le patient connaissent la nature du traitement ; de simple aveugle ou simple insu (simple blind) lorsque le médecin connaît la nature du traitement, non le patient. Notons que les nécessités réglementaires et éthiques de l’information de patients font que le simple insu est en pratique impossible. Et enfin, on dira étude en double aveugle (double blind) lorsque ni le patient, ni le médecin investigateur ne connaissent la nature réelle du traitement. Le terme « triple aveugle » est parfois utilisé : il désigne un essai dans lequel même la personne qui dépouille la statistique des résultats ne connaît la nature du traitement.Placebo démesuré ?On entend souvent que l’effet placebo est énorme, et par exemple que les cancers et autres pathologies graves peuvent se résorber par la simple volonté du malade. Ce n’est malheureusement pas le cas (et c’est en plus culpabilisant pour le malade qui ne guérit pas). L’effet placebo est largement surestimé. Voici trois des nombreuses raisons.
- D’abord, comme je l’ai écrit plus haut, une majorité des affections disparaissent spontanément, quoi qu’on y fasse. Soigne ton rhume, dit le proverbe, il durera sept jours. Ne le soigne pas, il durera une semaine. On fait une erreur de causalité, et on prête ainsi à l’effet placebo ce qui est l’œuvre du temps.
- La deuxième raison porte un nom barbare : la régression à la moyenne8. Un patient vient souvent voir le médecin quand il est dans le pic de la souffrance. Si on vient prendre une pilule au moment d’un pic, il est très probable que le mieux soit dû non à la pilule mais à la redescente naturelle vers la position moyenne.
- Une troisième raison est appelée effet Hawthorne et mérite un détour historique. Entre 1924 et 1932, le psychologue Elton Mayo conduisit une suite d’essais dans les usines de Hawthorne de la Western Electric Company, aux États-Unis qui devaient montrer si des modifications simples des conditions de travail comme l’éclairage pouvaient avoir des effets sur la productivité des ouvriers. À sa grande surprise, la productivité a augmenté qu’on augmente, ou qu’on diminue la lumière, et même lorsque les ampoules étaient remplacées par de nouvelles de même puissance. Ce n’étaient cependant pas les conditions extérieures qui étaient décisives pour les résultats, mais la participation à l’étude en soi, et l’attention accrue des sujets sur l’impression que quelque chose s’était passé. L’effet Hawthorne prévoit donc que des sujets qui se savent inclus dans une étude ont tendance à être plus motivés et répondre un peu ce qu’ils présument qu’on attend d’eux9.
Il y a encore d’autres raisons, plus techniques, que je n’aborde pas ici.
Les médecines alternatives sont-elles des médecines, et sont-elles alternatives ?
L’homéopathie
- Pathogénésie. Hahnemann est parti du principe qu’on doit soigner le mal par le mal, et a posé la règle suivante : si un poison crée des dégâts chez un sujet sain, on doit pouvoir l’utiliser pour guérir ces mêmes dégâts. Mais afin de ne plus avoir le « poison », mais seulement son message, il faut le diluer suffisamment, puis le dynamiser (cf. plus loin). Prenons un exemple : si le café maintient éveillé un sujet sain, alors selon Hahnemann du café hautement dilué et dynamisé (médicament homéopathique Coffea cruda) entrainera le sommeil chez une personne insomniaque. Hahnemann a ainsi posé des centaines de poisons, qui vont deMephitis putorius (sécrétion de la glande anale du putois) à Tonsillinum (extraits d’abcès d’amygdales) – et qui bat en brèche l’idée répandue que l’homéopathie est une médecine à base de plantes. Cette règle de pathogénésie sur la base des poisons est désormais abandonnée en médecine, car elle ne fonctionne pas et il n’y a aucun indice suspectant que ça puisse fonctionner. Chose étrange, l’homéopathie d’aujourd’hui n’est plus indexée sur les pathogénésies du fondateur.
Attention, le mécanisme vaccinal n’est pas le même : alors que Hahnemann veut soigner le mal par la substance hautement diluée et dynamisée qui à l’origine pouvait créer le mal chez un sujet sain, le vaccin « prévient » une maladie en préparant le corps à la substance qui le rendra malade, et cela avec des doses importantes. Là, quel que soit son point de vue moral dessus, la technique fonctionne, et le mécanisme physiologique est largement décrit depuis plus d’un siècle.
- Très hautes dilutions. La substance de départ est diluée dans 99 fois son volume de solvant (l’eau en général, parfois l’alcool) pour obtenir 1 CH, ou Centésimale Hahnemanienne. CH2 revient à prendre une goutte de CH1, et rediluer dans 99 gouttes de solvant (donc un volume de substance, pour 10000 volumes de solvants, etc.) A partir de CH12, il n’y a pratiquement plus aucune chance de trouver la molécule de départ, et chaque CH en plus divise cette chance par 100. À 5 CH, l’équivalence de dilution est un fond de bière (1 cl) dans 40 piscines olympiques. À 12 CH, c’est la même goutte de bière dans tous les océans du monde. Les plus curieux auront remarqué qu’un autre type de dilution est utilisé entre autres pour l’Oscillococcinum dilué à la 200e K. La technique K du nom de son inventeur l’homéopathe Semen Korsakov revient à rincer 200 fois un récipient avec de l’eau et en secouant très fortement à chaque rinçage, ce qui est une technique de dilution au bas mot hasardeuse.Devant de telles techniques, la seule solution fut d’invoquer l’idée que même en l’absence de substance, un message se répand dans le solvant qui en garde une « mémoire ». C’est ainsi que naquit l’histoire de la « mémoire de l’eau », née d’une publication dans Nature en 1989 de résultats que l’on a démontrés depuis comme frauduleux. Ceci dit, rien pour l’instant ne vient à l’appui d’une telle « mémoire », mais qui sait ? Peut-être un jour la science montrera-t-elle son existence. En attendant, cette hypothèse n’est pas nécessaire car l’efficacité relative de l’homéopathie ne dépasse pas les effets contextuels placebo.
- La succussion. Voyant qu’en diluant ses poisons, il diluait également les principes actifs, Hahnemann eut l’intuition de secouer le mélange pour le « dynamiser » et retrouver ainsi le « message » de départ. Pour l’instant, il n’existe aucun élément à l’appui de l’idée que secouer une solution dans laquelle trop peu de substances actives sont présentes réveillerait et stimulerait une activité. Pour imager un peu, c’est comme si, secouant un extrait de pastis dilué à un point où il n’y a plus les molécules du pastis, on retrouvait du pastis.
L’efficacité thérapeutique repose sur la confiance que les patients lui vouent couplée aux pathologies spontanément résolutives et aux régressions à la moyenne expliquent son succès. Les mêmes effets contextuels sont observés chez les nourrissons. Quant aux animaux, idem (c’est montré depuis 1999 par McMillian) avec un paramètre en plus : non seulement les animaux sont sensibles aux effets contextuels – attention accrue, visites plus nombreuses, caresses – mais en outre le mieux-être est évalué par le propriétaire, non par l’animal lui-même. Et il est rare que le propriétaire ne sache pas quels sont les résultats attendus, ce qui est une belle brèche dans le double aveugle.
Les fleurs de Bach
L’acupuncture
Alors ?
Que faire ?
Notes
- 1. Voir Effet pangloss, les dangers des raisonnements à rebours, La Traverse 2.
- 2. Je n’utilise pas par hasard Mère Teresa, qui en plus d’être baptiseuse de moribonds, était intégriste conservatrice et anti-avortement comme l’a montré Christopher Hitchens dans Le mythe de mère Teresa ou comment devenir une sainte de son vivant grâce à un excellent plan média, Dagorno (1996) et dans Mère Teresa, une sainteté médiatique, Le Monde Diplomatique (novembre 1996).
- 3. Un exemple tout à fait épouvantable sur la Biologie totale est donné dans On a tué ma mère – Face aux charlatans de la santé, par Nathalie de Reuck et Philippe Dutilleul, Buchet Chastel (2010).
- 4. Il semble que la version du film de Sean Penn soit un peu arrangée et que McCandless soit plus probablement mort d’une combinaison de sous-nutrition et du Mal du Caribou – hyperconsommation quasi-exclusive de protéines animales, appelée aussi Rabbit starvation.
- 5. Le carabin, surnom de l’étudiant en médecine, est un terme qui désignait ceux qui enfouissaient les morts pendant les grandes pestes de la fin du Moyen-Âge.
- 6. C’est le premier verset de la Vulgate, la Bible version latine, utilisé au V° siècle dans la liturgie lors de l’Office des morts
- 7. Richard Asher en parlait dans son recueil d’articles non traduit Talking Sense, Pitman Medical (1972). À titre d’anecdote, Asher dénonçait la littérature scientifique incrustée de « foul-2-mots-6-byl-1,1-compréhensibles-2-tout-1-chakin » (allotov-words-2-obscure-4-any-1,2-succidin-understanding-them) et parlait des 7 péchés capitaux du médecin : l’obscurité, la cruauté, les mauvaises manières, la sur-spécialisation, l’amour du rare, la stupidité commune et la paresse (dans The Lancet, 27 août 1949, pages 358-60).
- 8. Autre anecdote : on doit ce biais, cette « regression to the mean », à Francis Galton, grand savant mais également tragique fondateur de l’eugénisme, et inventeur de la systématique des empruntes digitales.
- 9. Elton Mayo, Hawthorne and the Western Electric Company, The Social Problems of an Industrial Civilisation, Routledge (1949). Cela rejoint ce que les enseignants appellent parfois l’effet Pygmalion, sorte de prophétie autoréalisatrice qui consiste à influencer l’évolution d’un élève en émettant une hypothèse sur son devenir scolaire. Mais si l’effet Hawthorne est considéré comme certain, l’effet pygmalion a semble-t-il été surestimé.
- 10. J’ai recensé tout cela dans Les fleurs de Bach, Enquête au pays des élixirs, Book-i-book.com (2008).
- 11. L’opération de l’appendicite « sous acupuncture » du journaliste James Reston à Pékin lors du voyage du président Nixon, et racontée par ses soins dans le New York Times du 26 juillet 1971 fit grand bruit. Mais l’histoire est embellie, puisqu’il semble que Reston eut une anesthésie et des soins post-opératoires classiques auxquels fut adjointe de l’acupuncture.
- 12. À propos de Steiner, je ne parle pas directement des écoles Waldorf, de l’agriculture biodynamique, des produits Weleda ou du mouvement Camphill, mais du père fondateur lui-même, Rudolf Steiner, dont il faut lire les textes pour se rendre compte qu’on n’est pas du tout dans l’alternative progressiste, mais plus volontiers dans le naturalisme chrétien d’extrême-droite. Cela vaut le détour de lire par exemple R. Steiner, Cours aux agriculteurs, Novalis (2003).
- 13. Association Formindep www.formindep.org
- Et non un.e transexuel.le, terme que j’avais utilisé et qui est impropre – la transidentité n’impliquant rien sur le plan de la sexualité – et connoté – c’est un terme pathologisant, renvoyant à la psychiatrie des années 1950. Merci à Yves Bonnardel de m’avoir indiqué ce terme indélicat d’un autre âge.
- Et non la phytothérapie contrairement à ce que j’avais indiqué par mégarde. Merci à Charles Techer.
- et non des transexualités, comme je l’avais écrit au départ.