Très instructives sont les oeuvres de fiction dans leur manière de traiter ou de maltraiter la connaissance scientifique. Nous sommes plutôt coutumiers de films ou de séries qui traitent de physique ou de chimie, mais l’OVNI historique qu’a représenté le Métronome de Lorant Deutsch mérite un regard critique appuyé. Dans sa propension à proposer une interprétation dévoyée de l’histoire, l’analyse du Métronome rejoint les critiques du Comité de Vigilance sur les Usages de l’Histoire, que nous faisons nôtre. Nous n’avons pas les compétences pour décortiquer scientifiquement le Métronome, mais en attendant une déconstruction analytique, nous souhaitons placer en contre-point de l’immense couverture médiatique du livre puis des documentaires cette critique lancé par l’élu Alexis Corbière, sur un plan historico-politique.
Peut-on critiquer le Métronome de Lorant Deutsch ?
(…) Il est temps que sur ce blog je m’exprime clairement à propos du volumineux et inattendu « buzz » qui est né en fin de semaine, depuis que la nouvelle s’est répandue que j’allais proposer un vœu au Conseil de Paris de demain et après-demain à propos du livre de Lorant Deutsch, le « Métronome ». Par naïveté, je pensais que l’écho médiatique de nos batailles sociales pour les parisiens, et notamment notre opposition à la volonté de la majorité socialiste que désormais les personnes âgées payent la carte Emeraude (qui leur donnait droit à la gratuité des transports), serait plus important que ma volonté d’ouvrir un débat sur le contenu de cet ouvrage. J’ai eu tort. Mais du coup, j’étais parti en province quelques jours et dans l’incapacité d’écrire sur ce blog pour apporter quelques précisions. De nombreux journalistes m’ont appelé et c’est au téléphone que j’ai pu m’exprimer pour préciser mon propos. C’est avec amusement que j’ai découvert par la suite les titres de ces différents articles. Ils sont révélateurs. En voici quelques uns, en vrac : « Lorant Deutsch attaqué par les élus communistes » (ça, c’est le Figaro qui ne connaît pas le Front de Gauche et le PG manifestement). Pour un autre : « Les élus PCF-PG réclament la tête de Lorant Deutsch » (Bigre, ça sent la guillotine et le sang… ! ). Pour un autre encore nommé Médiatterranée : « L’auteur du Métronome dans le collimateur des élus communistes » (Ils ne connaissent toujours pas le Front de Gauche ? Et pourquoi ce mot de collimateur qui sous-entend que je souhaite abattre un homme ?). Etc.. Et puis, il y a aussi l’extrême droite qui se déchaîne. Sur des sites de Fédérations FN, on affirme à mon sujet « La Gôche n’aime pas l’histoire » et l’on défend Lorant Deutsch. Selon des sites d’extrême droite, déjà connus pour m’insulter et me calomnier sur ma vie privée, je ferai preuve d’un « Totalitarisme de gauche » en osant m’en prendre à M. Deutsch. Enfin, « Jeune Nation », le site du groupuscule de l’ultra droite antisémite, affirme : « Lorant Deustch et son Métronome donnent de l’urticaire à la gauche maçonnique parisienne » et se moque de notre initiative en termes abjects. J’arrête, la liste est encore longue.
Je m’amuse et m’indigne à la fois de cette façon de prendre le débat. Il faut donc remettre à l’endroit ce qui semble à l’envers dans l’esprit de certains. Je ne demande pas l’interdiction du Métronome de Lorant Deustch. Ce serait ridicule, je serais de plus un bien mauvais censeur, ce livre est vendu depuis deux ans avec le succès que l’on sait. Non, non, et non, je ne réclame aucune censure. C’est même l’inverse. Je refuse par contre que l’espace public et médiatique soit saturé d’une certaine façon de raconter l’histoire qui donne la part belle aux monarques et affaiblit la laïcité. Je veux défendre la liberté de conscience et la démocratie en demandant que ce ne soit pas seulement les ouvrages mâtinés d’obscurantisme qui dominent le haut du pavé. Je veux que l’école publique laïque et républicaine ne soit pas le lieu dans lequel se transmettent les légendes portées depuis des siècles par l’Eglise catholique. Est-ce trop ? Est-ce possible de faire entendre ma voix ? M. Deutsch et son éditeur disposent d’une puissance de feu médiatique 10 000 fois supérieure à la mienne et l’on me montre du doigt en me dépeignant comme une brute épaisse car j’oserais critiquer le contenu de ce livre ? Prenons garde. Si des gens comme moi ne peuvent se faire entendre, ou sont systématiquement ridiculisés, c’est là que résidera la nouvelle censure. Place aux marchands de produits à connotation historique, de préférence portés par un comédien ou un présentateur TV, et silence du côté de ceux qui veulent défendre une histoire basée sur des faits historiques réels et prenant en compte l’existence du peuple, et ses aspirations, et non seulement de quelques « héros » et monarques glorifiés à longueur de pages. Car le paradoxe de la situation est le suivant : nous vivons désormais dans une société marchande et médiatique où il n’est plus besoin d’interdire un livre pour qu’il soit censuré, c’est de façon plus sournoise que les choses se déroulent. Il suffit d’ultra médiatiser certains ouvrages et de taire l’existence d’autres pour que l’affaire soit réglée. C’est là le cœur du problème. C’est là le sens de mon vœu déposé au Conseil de Paris et qui va être débattu sans doute mardi après midi.
En voici l’essentiel du contenu. Rappel des faits. En 2009, le comédien Lorant Deutsch a publié un livre « Métronome » proposant une histoire de Paris construite au gré de promenades suivant des stations du métro parisien. Cet ouvrage a rencontré un vif succès a été vendu à près de 2 millions d’exemplaires. Pour moi, cela traduit une volonté, tout à fait positive, de la part de beaucoup de personnes, et évidemment de parisiens, de mieux connaître l’histoire de notre ville.
En plus de son succès commercial, cet ouvrage a immédiatement bénéficié d’une forte promotion médiatique, d’un soutien de la part du service public qui a financé la production de quatre épisodes diffusés à la télévision (France 5) qui reprennent son contenu historique, animé et présenté par son auteur M. Lorant Deutsch. Ce dernier a même été invité dans des écoles parisiennes, où en présence des représentants du Rectorat et d’élus de la Ville de Paris, il a proposé des conférences basées sur ses travaux, à de jeunes élèves d’écoles élémentaires. Le 4 juin 2010, le Maire de Paris a remis la médaille Vermeil de la Ville de Paris à M. Deutsch pour lui assurer « la gratitude, l’admiration et les encouragements » de la Ville. A cette occasion, le Maire de Paris a qualifié son livre de « remarquable récit » et a assuré à M. Deutsch que « cette ville vous doit beaucoup ».
On ne peut rester indifférent à cette situation. La façon dont se transmet l’histoire de notre ville n’est pas une question secondaire. Elle a nécessairement des conséquences sur la perception qu’en ont et auront nos concitoyens . Il y a ici un problème majeur. Le Conseil de Paris doit savoir que l’ouvrage de M. Deutsch contient de très nombreuses erreurs, affabulations et inventions historiques flagrantes qui ont choqué beaucoup d’historiens spécialistes de l’histoire de notre Ville. Il propose en réalité une vision orientée, répondant à une lecture idéologique assumée, pétrie notamment des convictions religieuses de l’auteur, bien particulière de notre histoire commune. L’auteur, au cours d’un entretien a d’ailleurs affirmé : « L’idéologie ne doit pas être détruite au nom du fait scientifique ». Ainsi, il ne se cache pas d’être hostile à la République, particulièrement à la Révolution française et se dit nostalgique de la monarchie (cf. l’émission On n’est pas couché). Les révolutionnaires de l’an II sont systématiquement montrés comme destructeurs et méprisables. Il invente par exemple une scène où Maximilien Robespierre couperait des poils de la barbe du cadavre d’Henri IV. Cette scène imaginaire vise à moquer une des principales figures du jacobinisme. Il assure dans son épisode 1 diffusé sur France 5, sans recul, que si Biscornet, le serrurier et ferronnier du portail de Notre Dame de Paris a pu réaliser dans les délais demandés son œuvre : « sans aide surnaturelle, c’est impossible.. alors Biscornet signe un pacte avec la diable qui permet de l’aider en temps voulu, contre son âme.. ». Est-ce bien raisonnable de présenter les choses ainsi, dans des conditions où les parents pensent que leurs enfants peuvent se cultiver en regardant ces épisodes (et les choses sont écrites de façon quasi identique dans le bouquin ) ? Et le livre est rempli d’exemples comparables. Il consacre généralement plusieurs pages à des légendes pures et simples (notamment celle de saint Denis, saint Marcel ou saint Martin relatées comme des faits quasi réels) mais oublie ou minimise des moments importants de l’histoire de Paris (la Commune de 1871, l’occupation, etc…).
Selon moi, le Conseil de Paris ne saurait cautionner sans commentaire ni mise en garde, une telle vision de notre histoire commune. Bien sûr, l’histoire appartient à tous et chacun peut écrire et publier ce qu’il veut. Mais, il convient notamment de préciser aux lecteurs et aux amoureux de Paris que l’ouvrage de M. Deutsch et son adaptation télévisée, ne sont pas des outils pédagogiques qui peuvent être utilisés, sans recul ni critique, dans nos écoles. Actuellement, le site de la Ville de Paris fait encore la promotion de cet ouvrage apportant là une « caution » particulièrement valorisante.
C’est pourquoi, je demande :
– que cesse la promotion acritique de la part de la Ville de Paris (sur son site, dans les écoles parisiennes, etc…) de l’ouvrage de M. Lorant Deutsch– que les associations d’historiens faisant la promotion d’une éducation populaire de l’histoire de la Ville de Paris soient sollicitées pour promouvoir une histoire de Paris conforme à la réalité historique
– qu’un débat public soit proposé et organisé entre M. Lorant Deutsch et des historiens sur l’histoire de Paris
– que des outils pédagogiques « grand public » (DVD, brochure…) proposant une découverte de notre capitale soient encouragés et réalisés avec l’aide de la Ville de Paris.
Voilà donc, ce que je demande au Conseil de Paris. J’ignore encore les conditions dans lesquelles tout ceci sera débattu dans les jours qui viennent. J’en ferai état sur ce blog. Je précise une dernière chose. Je suis un homme de gauche, engagé dans le débat public. Mais, cette « polémique » n’est pas d’ordre privée entre M. Lorant Deutsch et moi sous prétexte qu’il ne partage pas mes opinions politiques. Il existe , selon moi, des historiens de droite et monarchistes tout à fait rigoureux et dignes de foi. Je sais tout cela. De grâce, que l’on ne caricature pas ce que je veux faire entendre avec d’autres. Je suis surtout la voix dans cette affaire d’historiens et d’associations d’historiens qui essayent de se faire entendre depuis des mois, en vain. Je pense ici aux associations d’Education populaire Goliards animé par M. William Blanc et aussi Histoire pour tous. Que l’on soit d’accord ou pas avec les critiques que nous portons, ils veulent, et moi avec eux, d’abord une chose : que le débat soit possible et qu’il soit à armes égales La façon dont se transmet l’histoire d’une Nation est un enjeu majeur. Ne laissons pas cela entre les mains des marchands et des nostalgiques de l’Ancien régime. Débat d’apparence mineur aujourd’hui, c’est pourtant de l’avenir de la République qu’il s’agit. Que chacun y réfléchisse.
Alexis Corbière
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