Ce manifeste a été produit en soutien à la seule presse alternative du bassin grenoblois. C’est une tribune, et à ce titre, elle déroge un peu à la charte de publication du CorteX. Mais il s’agit ici de mettre un peu les mains dans le cambouis. Les intellectuel.les ont le devoir accru de descendre de leurs hautes sphères et de se concerner pour la vie publique et le paysage médiatique, un devoir plus grand que pour quelque autre profession car leur métier est de penser, de réfléchir, et s’ils/elles ont appris à faire ça par les services et les deniers publics, il est légitime qu’ils/elles rendent au public un peu la monnaie de leur pièce. Comme l’écrivait Michel Audiard, deux intellectuels assis vont moins loin qu’une brute qui marche.
Lettre ouverte à Christophe Ferrari, président de la Métro, et Yveline Denat, directrice de cabinet de la Mairie de Pont-de-Claix
Monsieur Ferrari, Madame Denat,
Nous sommes enseignant.e.s, chercheur.euses, journalistes, éducateurs et éducatrices, maniant plus facilement la cervelle que la truelle. De fait, nous sommes des intellectuel.les. Par conséquent les faits scientifiques, les études, les livres et le journalisme d’investigation sont nos nourritures, notre matière première de travail, notre glaise. Vous ne pouvez pas l’ignorer, en particulier vous Monsieur Ferrari, scientifique universitaire que vous êtes.
Le contexte actuel ne vous est pas étranger : la presse caustique a les dents limées, la presse satirique se prend du plomb dans la tête, la presse d’investigation n’existe presque plus, et l’aide à la presse, censée « contribuer au pluralisme du paysage médiatique et offrir un choix réel au lecteur », subventionne plus volontiers les mastodontes et les programmes télévisés que les petites feuilles de chou locales1.
Une presse alternative décapante est essentielle à l’alimentation de la réflexion des citoyens de la métropole, réflexion qui avait tendance à s’habituer au ronron anxiolytique du Dauphiné Libéré, pourtant subventionné à près de 5 millions d’euros par an.
Tuer cette presse, c’est enlever le ciment au maçon, c’est acidifier la terre de l’agriculteur. C’est pisser dans le seau à champagne. Tuer cette presse, c’est retirer le matériel de réflexion dont nous nous servons pour former à la réflexion critique nos chères têtes blondes, bouclées et crépues.
Et il s’agit bien ici de non-assistance à presse en danger. En laissant le Postillon et son directeur de publication être déclarés « coupables » et condamnés à verser « 2 000 euros d’amende, dont 1 000 avec sursis »,puis « 2 000 euros de dommages-intérêts à Yveline Denat », plus « 1 500 euros de dommages-intérêts à Christophe Ferrari », plus « 1 200 euros chacun pour le remboursement de leurs frais de justice », vous savez bien, Monsieur Ferrari, Madame Denat que vous faites couler la barque, fabriquée par des personnes précaires qui ne proposent ce canard que par conviction.
Le caractère diffamatoire ou non est de notre point de vue très secondaire dans cette affaire.
Entendez notre appel : retirez votre plainte !
D’abord par calcul personnel : car cette plainte vous rend antipathiques, comme Goliath, comme Polyphème. Elle fait de vous une botte militaire qui écrase la seule fleur d’un bocage. Elle signifie flinguer la seule presse alternative grenobloise existante, pour simplement laver votre plumage. Vous allez torpiller un enjeu d’utilité publique pour un petit honneur confit dans une surestime de soi.
Surtout, pour l’Histoire. Vous n’êtes pas dupes : cela relève de notre boulot de documenter, de garder trace, de consigner. Les encyclopédies du présent et du futur sauront garder votre fait d’armes, et il est assez probable que nos descendants auront grand mal à revendiquer votre héritage. Il est prévisible que votre action en justice fasse pouffer nos petits-enfants, comme nous pouffons devant les censures de l’ORTF ou de l’abbé Béthléem.
Nous faisons le pari que vous n’aviez pas vu les choses sous cet angle, et que comprenant tout l’enjeu qu’il y a rapporté à ce que vous essayez de sauver, vous allez annoncer le retrait de votre plainte. Les enjeux collectifs, nous en sommes sûr.es, dépassent et subsument nos égos, n’est-ce pas ?
Bien cordialement
Les signataires
Alban BOURGE, nanotechnologies
Albin DE MUER, physique
Albin GUILLAUD, épidémiologie
Anaïs GOFFRE, agriculture
Anne DIDELOT, anglais, français langue étrangère
Anne VILAIN, sciences du langage
Anne-Laure DAUB, santé
Aurélien BARRAU, astrophysique
Aurore AUDRAIN, informatique
Aymeric SOLERTI, agriculture
Bastien LETOWSKI, génie électrique
Benjamin VIAL, sciences sociales
Brunelle DALBAVIE, construction
Caroline BORDIN-GOFFIN, santé
Caroline ROSSI, anglais
Cécilia DUPRÉ, nanotechnologies
Cédric TAILLANDIER, science des matériaux
Célia GUILLAUD, ressources humaines
Céline DALLA COSTA, mesures physiques
Claire MARYNOWER, histoire
Clara EGGER, science politique
Clément DEBIN, mathématiques
Cyril TRIMAILLE, sociolinguistique
Cyrille DESMOULINS, énergies alternatives
Denis CAROTI, sciences physiques
Dominique BOCHER, sciences physiques
Edwin HATTON, politique
Elise BOURGES, musique
Élodie BIDAL, biophysique
Elora MOURGUES, technologie
Eric DUMAS, mathématiques
Euxane ESPIAU, géotechnique
Fanny BASTIEN, audiovisuel et multimédia
Fanny VUAILLAT, urbanisme
Félix SIPMA, agriculture
Francis LAZARUS, informatique
Francis TROULLIER, sciences physiques
François BLAIRE, graphisme
François BOUX, informatique
Gaëtan BOUILLARD, médecine
Gilbert MARMEY, électrotechnique
Grégoire CHARLOT, mathématiques
Grégory HERBINSKI, médecine
Guillaume ALLÈGRE, informatique
Guillaume LAGET, mathématiques
Guillemette REVIRON, mathématiques
Haithem GUIZANI, sciences de gestion
Héléna REVIL, sciences sociales
Hélène PINSON, médecine
Irène FAVIER, histoire
Isabelle KRZYWKOWSKI, littérature générale et comparée
Ismaël BENSLIMANE, philosophie
Jean RESSIOT, informatique
Jean-Yves TIZOT, histoire et civilisation britannique
Jennifer BUYCK, urbanisme
Jérémy GARDEN, ethnomusicologie
Josua GRÄBENER, sciences politiques
Julien LÉVY, sciences sociales
Julien PECCOUD, sciences de la vie et de la Terre
Laure SAMBOURG, mathématiques
Laurence BUSON, sciences du langage
Laurent HUSSON, géologie
Lucas FLORIN, éducation populaire
Madeleine MIALOCQ, sciences humaines
Manon ÉLIE,ingénierie
Marie GARDENT, géomorphologie
Marine PONTHIEU, sciences de la matière
Marinette MATTHEY, sciences du langage
Marlène JOUAN, philosophie
Murielle FRANVILLE, sciences de la communication
Nelly DARBOIS, santé
Nicolas PINSAULT, santé, neurosciences
Nicolas VIVANT, indépendant
Olivier KRAIF, informatique pédagogique
Olivier RAZAC, philosophie
Olivier TOSONI, technologies industrielles
Pascale LAZARUS, musique
Pascale GUIRIMAND, éducation populaire
Pierre BADIN, parole et cognition
Pierre GENEVOIS, mécanique
Pierre LABREUCHE, physique
Pierre MAZET, sciences sociales
Pierrick BONNASSIEUX, ingénierie
Raul MAGNI BERTON, science politique
Rémi CLOT-GOUDARD, philosophie
Richard MONVOISIN, didactique des sciences
Robin ROLLAND, électronicien
Romain VANEL, mathématiques
Sarah MEKDJIAN, géographie
Sébastien BERGER, pollution
Serge BONDIL, informatique
Simon PONTIÉ, électronique
Simon VARAINE, science politique
Stéphanie GUINARD, agriculture
Thierry SOUBRIÉ, sciences du langage
Thomas BASILE, santé
Thomas VAN OUDENHOVE, informatique
Vincent BOURY, ressources humaines
Yves BONNARDEL, indépendant
Pour en savoir plus : Condamné, Le Postillon fait appel
Extrait de « un taxi pour Tobrouk« , de Denys de La Patellière (1961).
- Le Monde et le Figaro par exemple, touchent environ 18 millions d’euros par an. Ouest France autour de 10 millions, Télé 7 jours 7 millions, Télé star 5. À titre comparatif, le Canard enchaîné et le Monde Diplomatique touchent environ 500 000, soit autant que le Journal de Mickey. Le Postillon, quant à lui, rien. Et il ne demande même pas.