Mardi 20 septembre 2011, pour l’Unité d’Enseignement CAB (Critique de l’Actualité en Biologie, anciennement QAB) dirigée par ma collègue Isabelle Lebrun, j’avais pour tâche de parler 1h30 d’esprit critique, de biologie et d’actualité, et si possible en faisant débattre les étudiants – en l’occurrence des Licence 3ème année de Biologie.
Au semestre précédent, j’avais abordé les inflexions idéologiques en biologie, notamment autour du créationnisme et de l’intelligent design (voir Biologie, idéologies, racisme, sexisme – comment monter un cours de biologie à partir des pseudosciences).
Ce semestre-ci, je me suis jeté à corps perdu sur le sujet le plus trépidant de cette rentrée 2011 : l’introduction de la théorie du genre en Sciences de la Vie et de la Terre (SVT) pour les classes de 1ère L et ES… et les incroyables levées de bouclier qui s’ensuivirent.
Voici la trame générale que j’ai suivie.
J’ai d’abord donné des exemples simples de « sexisme ordinaire », mais non immédiatement décelables par un-e non-avertie.
En voici quelques-uns :
-
Extrait de Dans les Alpes avec Annette (アルプス物語 わたしのアンネット, Arupusu Monogatari Watashi no Annetto) (1983, épisode 7)
- Publicité Heineken
Dans la même veine, la « réponse » faite ensuite par Bavaria.
J’ai alors demandé aux étudiants* s’ils voyaient un lien manifeste entre les deux documents. Puis je leur ai demandé quelle différence ils voyaient entre les deux pages de la Campagne de recrutement de l’éducation nationale 2011
- Campagne de recrutement de l’éducation nationale 2011 (voir l’analyse de N. Gaillard)
Une fois que la différence des représentations femme/homme était bien percue, j’ai donné le contexte social de départ : l’inégalité de salaires, de répartition des tâches ménagères, d’accès aux postes à responsabilité et d’accès aux postes de pouvoir femmes/hommes
- Intro de Bienvenue dans la vraie vie des femmes, de Virginie Lovisone et Agnès Poirier (2009) – DVD disponible ici.
J’ai ensuite posé la question suivante : qu’est-ce qui permet de faire cette distinction femme/homme ? Le triple objectif du débat était de montrer que
1) la différence biologique sexuelle n’était pas si évidente dans un certain nombre de cas (hermaphrodites, intersexes, transsexuel-les, etc.)
2) les 2 catégories mâle et femelle sont « exclusives », et n’ont de réel sens que dans un cadre de reproduction (la question d’où ranger les femmes stériles, les hommes stériles, les femmes ménopausées s’est posée).
3) ce sont surtout des caractères non biologiques qui permettent de faire la distinction. C’était le moment d’introduire la notion de genre (ou sexe social), par la définition donnée par Irène Jami :
- Irène Jami, extrait de la Fabrique de l’Histoire, France Culture, 9 septembre 2011
- Eric Fassin, extrait de Ce soir ou jamais du 7 septembre 2011.
J’ai alors raconté le contexte du mois de septembre 2011.
- Titres et articles dans Le Monde, le Figaro (bientôt disponible)
Devant l’entrée de ce qu’on appelle « la théorie du genre » dans les contenus d’enseignement, des levées de boucliers ont eu lieu dans les franges politiques conservatrices, droite chrétienne, droite populaire ou extrême-droite (comme Christine Boutin), avec comme point d’orgue une lettre de 80 députés UMP (droite populaire) au Ministre Luc Chatel pour le contraindre à retirer la théorie du genre des enseignements de biologie.
J’ai utilisé
- le journal télévisé de LCM
- le journal télévisé de France 2 (dans l’émission CSOJ, de 0’22 à 1’52)
- le journal télévisé de i-Télé du 30 août 2011 (cliquez sur le lien)
J’ai demandé les réactions des étudiant-es – sur l’introduction de cette « théorie » dans l’enseignement – sur le statut de « théorie » de ladite théorie – sur le bien ou mal fondé de l’entrée des politiciens dans les questions de science et de limitation des contenus.
Pour aller plus loin : on pourra parler pour illustrer :
- du lyssenkisme en biologie
- des créationnismes et de l’Intelligent design en biologie
- des lois mémorielles françaises en histoire
- du rapport Inserm sur les psychothérapies en psychologie, etc.
- de la pathologisation de l’homosexualité
Il était alors nécessaire de parler de ce rapport nature / culture : dans quelle mesure ce qui fait d’une femme une femme, d’un homme un homme, est un fait de nature ? (Je renvoie pour cette question au travail de Guillemette Reviron ).
Il nous a fallu revisiter les arguments « neurosexistes », mais aussi les arguments « préhistoriques » à l’appui d’une « nature », d’une « essence » féminine/masculine.
En cela, j’ai utilisé
- Sexe, cerveau et pouvoir, de C. Vidal et D. Benoit-Broweys (voir Sélection commentée de ressources sur la notion de genre).
J’avais également sous le coude
- Référence à l’article de C. Vidal dans Libération, Tête au carré, France Inter 7 septembre 2009.
- C. Vidal dans Mon cervau a-t-il un sexe ?
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=p8csCdhQ_l8]
(Anecdote, j’étais prévenu qu’une heure avant, Catherine Vidal et Eric Fassin étaient sur les ondes de France Inter, justement sur cette question – voir ici).
J’ai terminé en donnant l’historicité de la question du genre. J’ai pour cela utilisé :
- L’entrevue de Simone de Beauvoir (archive INA).
- L’analyse de Pierre Bourdieu sur la domination masculine.
Je n’ai pas eu le temps hélas de passer l’analyse de l’historien Louis-Georges Tin, tiré de La fabrique de l’histoire, France Culture du 11 juin 2011 . Le voici tout de même.
Pour aller plus loin
On pourra aller voir toutes les références du CorteX sur les questions de genre (voir ici ), ainsi que lire entre autres, Judith Butler, Simone de Beauvoir, Christine Delphy, Julien Picquart et Eric Fassin.
On pourra également regarder en détail les réactions médiatiques et en faire autant de Travaux Pratiques. Merci aux L3 d’avoir été mes cobayes consentant-es :
- d’Eric Zemmour face à Nicolas Domenach
- du médecin Bernard Debré face au sociologue Fassin et au philosophe Enthoven
-
de Caroline Fourest face à Luc Ferry (attention cette vidéo a été « montée » par NO-Gay, qui comme son nom l’indique est un collectif anti-gay : on pourra relever les biais de raisonnements à l’oeuvre dans le générique de fin).
Richard Monvoisin
* J’ai introduit quelques féminisations forcées dans mon texte. Montrer aux étudiants que même dans la grammaire la norme « masculine » l’emporte sur le féminin, ou qu’un genre indéfini est automatiquement masculin (règles du grammairien Vaugelas, vers 1645) est généralement un argument-massue. A l’hypothèse ue la féminisation alourdirait la lecture, il semble que les premiers résultats scientifiques répondent que ce n’est pas le cas (lire sur ce point Noelia Gesto & Pascal Gygax, Lourdeur de texte et féminisation : Une réponse à l’Académie française, L’année psychologique, 2007, 107, pp. 239-255)