Le double sens du mot croyance

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Voici de mon point de vue le point central sur lequel il faut insister lors de n’importe quel cours portant sur l’esprit critique     : le double sens du mot croyance.  Je cherchais dans mes cours à m’affranchir d’emblée du champ des non-théories, des points de vue, des goûts, et des arguments pseudo-démocratiques du type « il faut respecter toutes les croyances » car il est, hélas, des croyances qui ne sont pas très respectables – prenons par exemple les « vertus prétendues de l’excision », ou la croyance en l’ordonnancement des « races » humaines.
J’ai consacré un bref passage de ma thèse de doctorat sur ce point (pp. 61-63), passage reproduit ici. Je me suis rendu compte que si prendre cette précaution de distinction fait l’objet de débats chez les philosophes (cf. Bouveresse, à propos de la controverse Wittgenstein – Russel), pédagogiquement parlant,  je la trouve incontournable. Je ne connais aucun intérêt à ne pas la faire. Cela permet de se centrer sur les énoncés de type scientifique, juste ou faux, et de ranger Dieu dans les actes de foi, qui ne se discutent pas scientifiquement, donc ne peuvent s’imposer aux autres selon des moyens logiques et par conséquent se cantonnent dans la sphère privée. Un objet de foi n’est analysable que dans la mesure où il énonce une affirmation de type scientifique, vérifiable ou réfutable. Chaque fois que j’ai testé de ne pas commencer mon cours par ce point, j’ai eu une avalanche de questions du type respect des religions. Alors qu’en le faisant, je pose mon respect de la foi en tant qu’acte de foi, de même que je respecte les goûts des autres sauf s’ils portent atteinte à l’intégrité du voisin (quelqu’un qui aimerait la chair fraîche par exemple).

Mes collègues Nicolas Gaillard, Guillemette Reviron et Denis Caroti ont eux aussi repris ce point de départ.
Essayez, et donnez-nous  vos impressions.
Richard Monvoisin

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Croyance : entre  acte de foi et « remport d’adhésion »

Dans notre démarche zététique, nous devons nous consacrer au monde des croyances, à la manière de les appréhender et à quelques moyens de s’en servir à des fins pédagogiques. Pour cela, employer une lexicologie précise s’avère incontournable. Pourtant, première constatation : la langue française ne permet pas de faire la distinction entre la croyance comme acte de foi (faith) et la croyance de type adhésion (belief). Le recouvrement des deux acceptions du même terme crée ce que les zététiciens appellent un effet paillasson. Pour sortir de ce glissement sémantique, nous avons proposé la notion de remport d’adhésion, qui se rapproche de la définition anglo-saxonne de rationnal belief, c’est-à-dire d’une croyance produite par une démarche d’énonciation de vérité susceptible d’être infléchie par le raisonnement ou l’expérience.

Alors que la croyance en tant qu’acte de foi relève du choix personnel, ne cherche pas les caractéristiques d’une construction scientifique, et n’a pas vertu à s’imposer factuellement, nous appelons remport d’adhésion le mécanisme complexe et multifactoriel qui amène un individu à penser que son adhésion à une thèse, une hypothèse ou à une théorie est mue par une chaîne de raisonnements rationnels étayés par des faits.

Toutefois une adhésion peut être remportée à tort, par exemple lorsqu’elle est de type simili-rationnelle, lorsqu’elle repose sur des critères non suffisants ou non réfutables, lorsque le raisonnement est entaché de biais, soutenu par des idées reçues ou motivée par des options idéologiques ou métaphysiques, etc.

Lorsque cette croyance persiste chez un individu, malgré la démonstration des défauts théoriques de ladite croyance, alors on a tendance à parler de croyance pseudoscientifique (de pseudês, en grec : mensonger).  Ainsi, croire en une théorie fausse est une croyance non-scientifique. Persister à croire malgré une démonstration en règle peut être qualifiée de pseudo-scientifique (même si la personne est sincère dans sa persistance).

Résumons : la croyance comme adhésion remportée relève des théories de la connaissance, de la psychologie cognitive, de l’ethnologie,  des sciences de l’Humain ; la croyance comme acte de foi, elle, fait intervenir une transcendance et de ce fait se situe sur un magistère totalement disjoint des sciences – et de ce fait ne peut prétendre à une quelconque validité hors de la sphère personnelle.

Chose pratique, cette distinction est également revendiquée par un bon nombre d’experts de la foi (par exemple Erny 1995).

Si ces deux types de croyance peuvent potentiellement être objets d’analyse critique, la méthode scientifique, redoutablement efficace pour les secondes, ne l’est que dans certaines conséquences ou interprétations corollaires de la première. En effet, l’acte de foi ne nécessitant ni raisonnement, ni preuve — puisque basé sur des concepts transcendantaux —, son objet sort du matérialisme et la science prise au sens méthodologique n’a aucune prise sur lui : un regard scientifique critique pourra éventuellement s’exercer sur l’historicité et les fondements des dogmes forgeant l’acte de foi (l’existence historique de Jésus, par exemple, ou le caractère sacré des textes scripturaires), ou sur certaines prescriptions scientifiques ou médicales effectués au nom de cet acte de foi (la maladie comme punition divine, par exemple, ou la négation de l’existence du SIDA). Mais l’analyse de l’acte de foi en lui-même ne peut se faire pratiquement qu’aux plans moral et politique. À l’opposé, étayer un acte de foi sur des faits — stigmates, traces, signes, suaires, miracles — devient un non-sens. Nous simplifions à outrance un des plus vastes champs de réflexion de la philosophie classique en écrivant :

 
Une différence fondamentale [entre les deux acceptions du terme croyance] est à opérer pour un zététicien : là où la première est un remport d’adhésion souvent hâtif, la seconde acception, elle, de facture religieuse, repose sur un acte de foi. En d’autres termes, si l’adhésion à une théorie peut être critiquée zététiquement, un acte de foi n’est pas discutable puisqu’il ne se base sur rien de tangible. Les deux acceptions buttent sur ce que Bricmont appelle un irréductible antagonisme. La zététique ne peut traiter la question de dieu ; celle du suaire de son fils, si !

Nous avons pris le parti pédagogique de toujours commencer les enseignements  zététique/esprit critique/rapports sciences et pseudosciences par ce distinguo, ceci non seulement pour épargner (momentanément ? À eux de voir) les choix moraux personnels des interlocuteurs/étudiants — et ne pas soulever de réactions « épidermiques » pouvant interférer avec notre enseignement -, mais aussi pour conserver à la science son assise. C’est loin de n’être qu’une précaution oratoire lorsque, comme nous l’entreverrons, les sollicitations « spiritualistes » sont nombreuses.

Dans un contexte médiatique où le mélange des genres est récurrent, nous donnons préférentiellement trois exemples aux étudiants.
 

  • Le créationnisme

La revendication de l’enseignement conjoint de la théorie de l’évolution et du créationnisme dans un certain nombre d’états américains et océaniens. Manifestement, la série d’arguments apportés en guise de « preuve » d’un dessein cosmique a suffit, dans une certaine mesure (1), pour faire valoir une équivalence factice entre l’enseignement de la théorie de l’évolution, scientifique, et celui du créationnisme, ou de son avatar pseudoscientifique, l’ID — cela sur un fond démagogique de libéralisme intellectuel propre à la laïcité au sens états-unien (voir 4.4.5 Le mode politique).

  • Le « Suaire » de Turin

Le prétendu « suaire » de Turin, présenté comme une preuve de la qualité divine de Jésus dont la toile de lin aurait  enseveli le corps. Le non-sens est manifeste puisque si la qualité divine se prouvait — et avait attendu les études sur la toile de lin pour l’être — alors la croyance au divin serait une question scientifique.

  • La physique quantique et son utilisation pour étayer la possible existence d’une autre réalité

Les exemples sont pléthore (voir à ce propos le cours de Denis Caroti « La vie serait quantique ? »). Le dernier en date au moment de rédiger date du 1er juin 2007, dans le Figaro :

(…) la physique quantique ne prouve en rien l’existence de Dieu. Elle élargit le « champ des possibles ». La physique démontre l’existence d’un niveau de réalité dont on ne peut rien préjuger. Rien de cet autre niveau de réalité ne nous amène à l’idée qu’il existe un Dieu plein d’amour pour nous. Mais l’existence de cet autre niveau de réalité, avec lequel l’homme peut sans doute être en contact, rappelle les intuitions majeures de toutes les grandes religions — y compris les religions sans dieu comme le bouddhisme ou le taoïsme — fondées sur deux principes : l’existence, précisément, d’un autre niveau de réalité et la possibilité d’un lien entre l’esprit humain et cette autre instance. Ces principes deviennent beaucoup plus crédibles qu’ils ne l’étaient avant les découvertes de la mécanique quantique (…) (Staune & Comte-Sponville, 2 juin 2007).
 

Même s’il ne s’agit pas de « prouver Dieu » comme les titres le résument régulièrement, postuler qu’il existe une autre réalité corroborant une intuition religieuse précipite derechef dans l’acte de foi. Relevons au passage le non-sens d’une telle assertion, aussi stimulante que paradoxalement non testable : si on montre scientifiquement (avec la mécanique quantique ou autre) que quelque-chose existe, alors ce quelque-chose fait partie de la réalité, puisqu’il existe. Prouver réellement qu’il existe une autre réalité participe de l’oxymore.

RM

(1) Fin 2005, fort heureusement, le juge Jones a tranché en défaveur de l’Intelligent Design. Goodstein L., Judge Rejects Teaching Intelligent Design, New York Times, 21 déc. 2005. (Mais est-ce à la justice de trancher sur la  pseudoscientificité (🙂) d’une théorie ?).