Atelier Science & Vie – La vie serait-elle quantique ?

Les magazines de vulgarisation scientifique offrent très régulièrement (pour ne pas dire systématiquement) un large choix de thèmes à disposition du lecteur. La manière dont sont traités ces sujets, proposés la plupart du temps de façon alléchante, dramatique, mystérieuse ou même révolutionnaire, donne une image de la science tronquée, raccourcie et parfois même fausse. Que ce soit en véhiculant des affirmations inexactes sous prétexte de scénariser l’information scientifique comme tout autre type d’information, ou en jouant sur l’ambiguïté et la soi-disant soif de mystère et de scoop des lecteurs, nous ne pouvons que déplorer cet état de faits.
Quelles sont les techniques utilisées par ces « diffuseurs de science » ? Comment les identifier et s’en méfier ? Un décorticage du dernier numéro de Science et Vie va aujourd’hui nous servir de support.

Analyse de la couverture

Création du scoop – effet impact

 

Ici, un événement est proposé au lecteur. Pas à lui seulement d’ailleurs puisque le quidam qui passera devant l’affiche publicitaire du magazine sera lui aussi soumis à ce scoop : « la vie serait quantique ». On aura le temps de lire certainement le sous-titre qui parle de « révélations » et de « l’ADN », tout pour créer l’événement, événement au sens d’inattendu puisque l’on nous parle de révélations. Arrêtons-nous pour commencer sur ce terme qui figure à la une de la revue : qu’évoque-t-il exactement ? Plus précisément, comment est-il connoté ? Si sa définition (ce qu’il dénote) est aisée à trouver (porter à la connaissance une information inconnue), on s’aperçoit qu’il va également activer tout un champ lexical lié à ce qu’il connote, comme la révélation divine (Dieu communique la connaissance à l’Humain), la découverte miraculeuse d’une information dissimulée, ou bien encore une donnée nouvelle et qu’il a fallu extraire de haute lutte pour la porter aux oreilles du public.

Si en lisant ces lignes vous vous dîtes que c’est une interprétation personnelle et exagérée de ce terme, imaginez simplement dans quels contextes le mot révélation est habituellement utilisé. Affaire judiciaire : les révélations du présumé coupable. Contexte religieux : la révélation faite aux prophètes par le Tout Puissant. Ambiance Gala/Voici/Paris Match : les révélations sur les fréquentations de Johnny. Politique : la vérité sur le 11 septembre : les révélations des autorités américaines. Etc.

La connotation de ce mot est puissante et évoque sans qu’on s’en rende compte un fait caché, qui doit être porté à notre connaissance. On pourra ainsi parler d’effet impact pour ce terme avec un fort penchant pour le mystérieux et le sensationnel.

Mais l’effet impact le plus fort est sans doute celui du mot quantique. Pour exprimer ce que l’on peut ressentir en lisant ce terme – qui plus est accolé au mot « vie » – nous n’avons pas trouvé mieux que ce qu’écrivait notre ami Richard Monvoisin :

La mécanique quantique est actuellement la théorie scientifique qui crée le plus fort complexe d’infériorité intellectuelle. Il y a bien la Relativité, qui n’est pas mal non plus, tout comme la Théorie du Chaos, mais aucun autre terme ne conjugue autant science, mystère et complexité intellectuelle que le mot quantique.

Mécanique quantique. Il faut le dire dans un murmure, avec un air un peu mystérieux et les yeux plissés. En susurrant « méca-Q », comme les initiés, ou en l’écrivant MQ comme je le ferai dans la suite de cet article, on pense à Einstein, on pense aux Bogdanoff, on se dit qu’on pénètre là dans le temple de Delphes, dans la sacristie de la connaissance où tout est tellement obscur qu’il est difficile d’y distinguer un authentique prix Nobel de physique d’une paire de jumeaux russes médiatiques.

Au lycée, avant que je l’étudie pour de bon, le mot quantique était pour moi ce que le feu rouge des Humains est pour Louie, le roi des singes dans Mowgli : j’y voyais un pouvoir qu’il fallait acquérir à tout prix. J’avais envie de m’approcher, de pénétrer des connaissances interdites, mais avec cette peur de me brûler, de devenir fou, de savoir ce qu’il ne faut pas savoir, même d’approcher Dieu et de vérifier si effectivement il joue ou non aux dés.

Je n’avais pas du tout compris que je devais essentiellement cette fascination à un bon plan médiatique.

Quantoc : l’art d’accommoder le mot quantique à toutes les sauces. Richard Monvoisin, 2011

 

On peut toujours rétorquer que, bien entendu, si tout ceci est un peu exagéré dans la présentation, l’important est le sens de ce titre ! Eh oui, la vie serait quantique… que nous dit donc S&V sur ces « révélations » ? 

Analyse du contenu

Effet Pangloss

Jetons un œil à la première page, celle qui présente le dossier en question. Dans ce cas, voici ce que nous avons trouvé :

Depuis l’avènement de la science expérimentale, et plus encore depuis la découverte de l’ADN, les biologistes ont toutes les raisons de considérer que la vie est le fruit de réactions chimiques. Mais placez le vivant sous le regard et les instruments des physiciens de l’infiniment petit, ils vous diront tout autre chose. A Berkeley, Toronto, Londres, Singapour, et ailleurs encore, des équipes de physiciens sont en passe d’acquérir la conviction que les plus grand mystères de la vie peuvent être élucidés grâce… à la physique quantique ! Seules les étonnantes propriétés de la matière aux plus petites échelles semblent à même d’expliquer l’extrême efficacité de la photosynthèse, l’intense activité enzymatique, la miraculeuse stabilité de l’ADN, et même les sens de l’orientation et de l’odorat… La physique quantique au cœur de la vie ? Après tout, le vivant, qui a eu tout le temps de sélectionner le meilleur, aurait été bien sot de ne pas se servir dans la prodigieuse boîte à outils de la physique quantique. (p.3)

 

Il faut s’arrêter sur la dernière phrase. Le vivant aurait eu, d’après ce qui est écrit,  tout le temps de sélectionner le meilleur. On imagine que l’auteur de cette phrase a voulu parler de l’évolution à travers ces mots. Malheureusement, comme beaucoup, il est tombé dans les pièges d’un finalisme naïf : l’idée que l’univers aurait un but (ici, le vivant), une signification, que toute chose serait faite à dessein. On entend par exemple que l’œil est fait pour voir, que l’aile a pour but de voler, que les animaux inventent des ruses pour survivre, que la nature ne fait rien en vain, que la sexualité a été sélectionnée dans le but de créer de la diversité, que l’Humain est l’aboutissement de l’évolution ou, comme l’écrivait Voltaire à travers son personnage de Pangloss : « que les choses ne peuvent être autrement : car tout étant fait pour une fin, tout est nécessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont été faits pour porter des lunettes, aussi avons-nous des lunettes. »

Le vivant n’a rien sélectionné du tout, et encore moins le meilleur (1). Dire cela équivaut à valider les thèses de H. Spencer et sa « sélection des plus aptes », dont le darwinisme social en est une application, avec les conséquences sur les dérives colonialistes, eugénistes et fascistes que l’on sait. Il faut bien admettre que la théorie de l’évolution n’est pas forcément bien maîtrisée par l’individu lambda, qui parlera de la girafe qui étire son coup pour aller chercher à manger ou de la sélection natturelle comme d’une sélection des plus forts. Il nous semble donc d’autant plus important, dans un journal qui se veut scientifique, de ne pas faire ce genre d’erreurs dans le but d’écrire une phrase qui présente bien.
(1) Comme dirait Florence Foresti : « Quand tu regardes l’être humain tu te rends compte qu’ils ont arrêté en plein chantier c’est n’importe quoi… » (Extrait du sketch La nature est mal faite)

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N’oublions pas la fin de la phrase où il est question d’aller piocher dans la prodigieuse boîte à outils de la physique quantique. Là encore, on fait croire que le vivant a un but et « aurait été bien sot » (anthropomorphisme) de ne pas faire appel à la mécanique quantique…

Malheureusement, ce genre d’erreurs est reproduit dans le reste des articles. Vous pouvez les retrouver assez facilement en repérant les passages où il est question d’évolution et de nature. N’hésitez pas à nous faire part de vos commentaires qui pourront ainsi se rajouter au présent cours.

Technique du carpaccio et de la peau de chagrin

Mais d’ailleurs, quels sont ces outils prodigieux que le vivant exploiterait ? Rendons-nous quelques pages plus loin et lisons attentivement. On y trouve là encore tout un tas de phrases données au lecteur pour aiguiser son appétit, phrases qui soulèvent à chaque fois une forte charge de sensationnel, de mystère et/ou de merveilleux., en donnant ainsi une vision déformée de la réalité. Tout est « superlativisé », voire scénarisé. R. Monvoisin parle de technique du carpaccio pour caractériser cette mise en scène de l’information scientifique avec pour seul effet de la rendre séduisante, accrocheuse, mais bien souvent vide de sens :

« […] nous parlerons de carpaccio pour désigner les processus d’exposition de connaissance dont le seul intérêt réside dans leur scénarisation, bien souvent stéréotypale. Un carpaccio est à la connaissance scientifique ce que le lieu commun est à l’information classique, ce que la romance est au film hollywoodien : un apparat séduisant, mais vide, qui façonne à la longue le goût des consommateurs de vulgarisation scientifique. Le carpaccio a semble-t-il des vertus apéritives, pour ne pas dire publicitaires.» (*p.272)

Quelques-uns de ces carpaccios trouvés en vrac :

–          « A commencer par l’étonnante efficacité de la photosynthèse, qui voit les végétaux convertir en énergie 100% de la chaleur du soleil. Un rendement prodigieux… que les biologistes ne s’expliquent pas ! » (carpaccio mystère)

–          « Par quel prodige des effets quantiques parviennent-ils à émerger au cœur du vivant ? » (carpaccio énigme. On peut aussi repérer le terme prodige, qui s’inscrit dans le même champ lexical que celui de révélation avec toute la connotation qu’il dégage, voir ci-dessus)

–          « Une superposition quantique qui permet au célèbre chat de Schrödinger, enfermé dans une boîte, de narguer les physiciens en présentant à leurs équations comme à la fois mort et vivant[1]. »

–          « Sens de l’odorat. Sa subtilité tiendrait aussi à l’effet tunnel ! »

–          « Dépositaire de la mémoire du vivant, la molécule d’ADN se doit de rester stable. Comment ? L’intrication quantique serait ici la clé de l’énigme. » (carpaccio énigme)

Attention, il n’est pas question ici de dénigrer ou critiquer les recherches tout à fait intéressantes et passionnantes que des scientifiques mènent sur ces sujets. Il est question de la façon dont on traite l’information scientifique qui s’y rattache. Et force est de constater qu’on est plus proche d’une mise en forme publicitaire de celle-ci que d’une vulgarisation à visée pédagogique et rigoureuse.

On peut notamment vérifier cela en prêtant attention à la sensation laissée après lecture des articles du dossier, comparée à l’appât que constitue la couverture du magazine. Rappelons que le titre parlait de la vie qui serait quantique et des révélations des physiciens. Mais qu’apprend-t-on dans les pages à l’intérieur ? Par exemple, p.54, au tout début du dossier :

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« Les biologistes l’ont amplement démontré, la vie est un prodige de réactions chimiques. Mais pas seulement ! […] Jusqu’où la vie est-elle quantique ? La question est posée. »

On comprend tout de suite que les fameuses révélations dont il était question ne vont finalement pas être une révolution mais simplement des pistes de recherches puisque « la question est posée ».

Quelques pages plus loin, concernant la photosynthèse, si le titre évoque une réponse,

« Comment les végétaux peuvent-ils convertir 100% de la lumière ? Une propriété quantique – la superposition d’états – apporte enfin une réponse ».

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on apprend que « la réponse a commencé à se dessiner en 2007. » (p.58). Puis que cette « expérience [de Flemming] ne permettait pas de l’affirmer [le phénomène quantique responsable de la conversion d’énergie lors de la photosynthèse] : elle fut réalisée à une température peu propice à la vie de…-196°C. » (p.60)

Même page, on lit qu’une autre expérience, équivalente, aurait été conduite à température ambiante. Mais là encore on apprend que « ce résultat doit encore être validé« .

Bref, c’est ainsi pour chaque thème abordé, de la photosynthèse en passant par l’ADN et les enzymes : on nous fait miroiter des « révélations » pour au final nous servir des études en cours et qui méritent réplication et confirmation.

Cette technique d’effritement du contenu après une mise en bouche mirobolante porte le nom de peau de chagrin (voir bibliographie) et désigne la tendance des médias à « gonfler la marchandise », quitte à ce que la conclusion de l’article n’ait plus grand-chose à voir avec le titre d’accroche de départ.

 

En conclusion

On pourrait répéter ce type de décryptage sur bon nombre de médias s’occupant de vulgarisation scientifique, ou, comme l’indique R. Monvoisin, s’occupant de la publicitarisation de la science. Il relève ainsi trois points importants et récurrents :

– le remplacement de la raison par la sensation
– la séduction par la simplicité
– la création de l’ « événementiel »

Nous avons tenté de donner quelques pistes concernant ce dernier volet en prenant un exemple parmi tant d’autres. Laissons à Richard le mot de la fin, illustrant le deuxième aspect de cette publicitarisation :

« Deuxième volet de la publicitarisation de l’information scientifique : le mythe de la simplicité. La vulgarisation scientifique (VS) dans son ensemble tend à faire croire que grâce à elle, la connaissance savante sera apportée au profane, par son entremise, et cela sur un plateau. Nous ne nous appesantirons pas sur le caractère assujettissant d’une telle démarche, le profane attendant la becquée que le vulgarisateur, tel l’évangélisateur du XIXe siècle en Afrique sahélienne, viendra aimablement lui délivrer : celui qui ne « sait » pas est campé dans un rôle de quémandeur d’aumône, et il n’y aura pas grand monde pour l’encourager à s’aventurer sur les chemins rocailleux de la formation scientifique et à réellement se former, en reprenant des études par exemple. La VS entretient aimablement ce mythe de la simplicité, en persistant à faire croire aux exclus de la connaissance scientifique que par son entrefaite, par quelque docufiction ou quelques pages imagées dans une revue, l’individu avide aura à peu de frais la substance de la connaissance en question. Le problème est qu’en guise de substance, il y a au mieux un aperçu, au médian une caricature, au pire une misconception.
Dans un océan de vulgarisation simplifiante, l’accueil réservé à un réel développement analytique est désormais perçu comme au mieux soporifique, au pire complexe, élitiste, voire snob, et des postures anti-intellectualistes naîssent. Au vu du nombre d’individus, étudiants ou non, qui lors des cours, des conférences ou sur les forums Internet, restituent des lieux communs sur la mécanique quantique par exemple, il y a quelque inquiétude à nourrir sur une « sciencesetavenirisation » de la connaissance scientifique populaire. Dans l’idéal, il faudrait rompre avec cette idée reçue que la science et l’information scientifique sont simples : elles sont difficiles, exigeantes et pleines de pièges. Quiconque souhaitant se forger une opinion sur la relativité restreinte, l’algèbre, la théorie du chaos ou le néo-darwinisme ne pourra éviter de compulser les bases, le vocabulaire, les règles, au même titre que celui qui voudra apprendre une langue étrangère devra passer par les fondamentaux. Il y a généralement autant de différence entre un champ scientifique et sa vulgarisation qu’entre une pratique maîtrisée d’une langue et le petit lexique de voyage des Guides du Routard. Nous ne disons pas que ces lexiques ne sont pas utiles, ou que cette VS simplifiante ne devrait pas exister : nous demandons à ce qu’il soit précisé à ses consommateurs que cette connaissance est simplifiée à outrance, non suffisante pour avoir une opinion éclairée, et crée du « sens » ou du « rêve » bon marché. Aussi sympathique soit-elle, ce n’est pas avec une fausse cape de Superman achetée en supermarché qu’on parviendra à voler. » (*p.119)

Denis Caroti

 


Bibliographie :
On retrouvera l’essentiel de ces critiques dans la thèse de Richard Monvoisin : Pour une didactique de l’esprit critique (2007), p.114, disponible ici

 


[1] Cette histoire du chat de Schrödinger qui narguerait les physiciens est ici, il faut l’avouer, très mal présentée. Ce chat ne nargue personne, c’est simplement une image pour illustrer ce que l’on nomme la superposition des états en MQ. Or, cette superposition n’a lieu qu’à des dimensions proches de celles de l’atome. Le chat, comme illustration de ce phénomène, est intéressant mais laisse souvent le lecteur dans un état pour le moins dubitatif sur les mystères de cette physique si étrange…voir ici pour plus de détails.

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