Cet article (3/12) s’inscrit dans une série de douze articles sur la naturopathie rédigée avec la volonté de porter un regard détaillé et critique sur la discipline, et dont vous pourrez trouver le sommaire ici. Il ne s’agit pas de partir en quête d’une vérité absolue, mais d’alimenter des réflexions destinées à éviter de causer ou laisser perdurer des souffrances inutiles, de permettre à chacun.e de faire les meilleurs choix en termes de santé. Dans ce troisième article, il s’agira de présenter certains des éléments qui justifient l’attrait dont bénéficie la naturopathie.
Les médecines alternatives et complémentaires (MAC – dont la naturopathie) sont attractives à plusieurs titres, et sont parfois perçues comme une alternative valable à la médecine. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette attirance.1
Certaines personnes, convaincues par plusieurs témoignages, sensibles à la dimension « naturelle » ou « holistique » ou bien encore réceptives à l’illusion d’autonomie vantée par les MAC se laissent facilement tenter par ces pratiques. C’est d’autant plus vrai lorsque ces personnes baignent dans un milieu « alternatif » où fleurissent diverses influences favorables aux MAC (que ce soit le milieu familial, amical ou professionnel). Mais au-delà de ces influences, d’autres raisons expliquent l’attrait pour les MAC.
On remarquera pour commencer que la naturopathie profite des limites inhérentes à la médecine. En effet, la médecine n’apporte pas une réponse parfaite à toutes les situations. Il arrive en effet, malgré son sérieux, qu’elle échoue à proposer une solution curative, qu’elle peine à établir rapidement un diagnostic complexe, qu’elle peine à proposer des traitements efficaces sans effets secondaires, ou bien qu’elle soit limitée dans la prise en charge de certaines douleurs chroniques (même si cela a fortement évolué ces dernières années). Or, pour ce genre de situations, les MAC avancent des solutions simples et prétendument efficaces : il est donc particulièrement tentant d’y recourir, en désespoir de cause.
La naturopathie surfe également sur le climat de défiance généralisée envers la médecine, en se présentant comme une approche préventive et curative qui s’est construite en opposition aux fondements de la médecine (approche causaliste VS approche symptomatique, approche holistique VS approche spécialisée, approche vitaliste VS approche matérialiste etc – c’est l’objet de l’article suivant). La réputation de la médecine souffre en effet des nombreux scandales sanitaires qui ont écorné son image (affaire du sang contaminé, scandale du Distilbène ou du Mediator…), ainsi que des nombreuses situations où sont mis en avant divers conflits d’intérêts entre l’industrie pharmaceutique et les professionnel.les de santé. Cette crise de défiance généralisée conduit certaines personnes à réclamer un encadrement plus strict des rapports entre l’industrie pharmaceutique et les acteurices du monde médical (voir par exemple l’activité de l’association Formindep). D’autres personnes choisissent plutôt de se tourner vers les MAC, perçues comme une alternative idéalisée (nous reviendrons sur cet aspect un article suivant).
Notons également que, que dans certains secteurs géographiques, il est plus aisé de prendre rendez-vous avec un.e naturopathe qu’avec un médecin : les praticien.nes de MAC sont en effet souvent bien plus accessibles… Dans certaines situations d’ailleurs, ce sont les médecins elleux-mêmes qui recommandent le recours à des MAC, dont la naturopathie. A ce sujet, il n’est pas impossible que le peu d’énergie déployée par les institutions ordinales et gouvernementales pour combattre les dangers des MAC soit pour partie responsable de leur essor et de leur attractivité.
Un autre aspect qui peut rendre les MAC attirantes, c’est le constat d’une relation thérapeutique médecin / patient.e altérée.2 Les patient.es vont alors chercher auprès des praticien.nes de MAC la qualité relationnelle dont iels n’ont pas bénéficié dans un contexte médical.
En premier lieu, on peut pointer du doigt le manque d’écoute dont se plaignent la plupart des patient.es. Car les praticien.nes de MAC, elleux, peuvent se permettre de faire des consultations d’une heure, voire plus. Consultations pendant lesquelles les client.es se sentent pleinement écouté.es et entendu.es. Bien évidemment, les médecins, pour la plupart, ne peuvent pas se permettre de mener des consultations qui durent plus d’un quart d’heure. C’est tout simplement impossible au regard de la demande sous laquelle iels croulent. La première chose à faire, ce serait donc de réformer notre système de soin de manière à ce que les médecins et professionnel.les de santé puissent prendre ce temps d’écoute. Mais en attendant une petite révolution dans le milieu médical… rien n’empêche, pendant ce quart d’heure de consultation, de faire un effort pour se montrer à l’écoute de son ou sa patiente. Ça passe notamment par le fait de répondre précisément aux questions qui sont posées, d’être à l’écoute de ce que son ou sa patiente exprime verbalement et non verbalement, et de montrer dans la réponse que l’on apporte que l’on prend bien en compte ce qui a été exprimé.
Ensuite, un élément majeur dans l’attirance pour les MAC, c’est le fait que les médecins, pour la plupart, ne prennent pas le temps d’expliquer aux malades les mécanismes de leur(s) pathologie(s) et le mode d’action des traitements qu’ils leurs prescrivent. Parce qu’il faut bien avoir conscience d’une chose : là où les professionnel.les de santé n’auront pas fait cet effort de pédagogie et de communication, les praticien.nes de MAC, elleux, ne se priveront pas de donner des explications causales diverses et variées. Et même si ces explications sont sans fondement sérieux, si les patient.es n’en ont pas eu d’autres, iels y adhéreront sans peine.
Les patient.es se plaignent aussi parfois des jugements émis par les professionnel.les de santé au sujet de leur mode de vie, de leur choix de contraception, de leurs choix alimentaires etc. A ce sujet, je pense notamment aux travaux de thèse en médecine générale du Dr Sébastien Demange3, qui a montré clairement un lien entre le fait d’être confronté.e à des jugements négatifs de la part de son médecin sur le choix d’avoir une alimentation végétarienne, et l’attirance qui en découle pour les MAC. Car une fois que la qualité de la relation médecin / patient.e est altérée, les patient.es ont tendance à taire leurs symptômes auprès de leur médecin, à moins bien observer les prescriptions médicales, mais aussi à plus facilement solliciter un.e naturopathe, un.e praticien.ne de médecine traditionnelle chinoise ou un.e homéopathe. Les patient.es pensent donc échapper à ces jugements en ayant recours à des pratiques de soins valorisées dans des milieux alternatifs.
A noter également : les comportements ou propos oppressifs (sexisme, homophobie, racisme, transphobie, validisme, grossophobie ou bien psychophobie) sont des éléments majeurs qui conduisent les patient.es à se détourner de la médecine, pensant être préservé.es en recourant aux MAC. La littérature scientifique abonde de publications qui mettent en lumière l’impact de ces discriminations dans le parcours de soin de personnes minorisées.4
Autre point dont je pense qu’il contribue à l’essor des MAC : les médecins ont encore trop souvent tendance à négliger l’importance de l’accompagnement réalisé par les professionnel.les de la santé mentale et par les professionnel.les de santé que sont les diététicien.nes. Car en ne renvoyant pas vers les diététicien.nes, les médecins laissent la porte ouverte aux naturopathes, qui se réjouissent de pouvoir faire des recommandations alimentaires à leurs client.es. Et en ne renvoyant pas leur patient.es vers les professionnel.les de la santé mentale que sont les psychologues, les médecins contribuent indirectement au succès des sophrologues, kinésiologues, magnétiseurs et autres réflexologues, ces praticien.nes de MAC qui tentent tant bien que mal de répondre à la détresse mentale et psychologique de leurs client.es.
Il me faut bien évidemment nuancer mon propos, car on ne peut pas souligner l’importance de l’accompagnement diététique et psychothérapeutique sans déplorer en même temps le frein majeur que constitue l’absence de prise en charge par la sécurité sociale de ces consultations. On notera tout de même qu’il y a eu une tentative en ce sens avec le conventionnement des certain.es psy, mais force est de constater que la réforme « Mon parcours psy » est un échec cuisant et ne répond absolument pas aux besoins des patient.es (ni à ceux des psy d’ailleurs…).
Enfin, le défaut d’enseignement des outils de la pensée critique et d’auto-défense intellectuelle aux plus jeunes contribue sûrement pour partie à l’attractivité des MAC, qui, sans recul critique, peuvent être perçues comme rigoureuses. Mais sur ce point, les choses évoluent favorablement, car le Ministère de l’Éducation Nationale prend de plus en plus au sérieux l’éducation à l’esprit critique (bien que les volontés politiques ne permettent pas, pour l’heure, de déployer des moyens adaptés…).
Pour lire les articles précédents et suivants de cette série sur la naturopathie : cliquer ici.
- Chatterjee A. Why do chronic illness patients decide to use complementary and alternative medicine? A qualitative study. Complement Ther Clin Pract. 2021 May;43:101363. doi: 10.1016/j.ctcp.2021.101363. Epub 2021 Mar 11. PMID: 33740591.
- Steiner-Hofbauer V, Schrank B, Holzinger A. What is a good doctor? Wien Med Wochenschr. 2018 Nov;168(15-16):398-405. doi: 10.1007/s10354-017-0597-8. Epub 2017 Sep 13. PMID: 28905272; PMCID: PMC6223733.
Popa-Velea O, Purcărea VL. Issues of therapeutic communication relevant for improving quality of care. J Med Life. 2014;7 Spec No. 4(Spec Iss 4):39-45. PMID: 27057247; PMCID: PMC4813615.
- Demange S., La relation médecin-patient au regard du végétarisme, thèse de médecine générale, Université Jean-Monnet, Saint-Étienne, 2017. https://onav.fr/theses-de-sante-en-france-en-2017/
- Quelques exemples :
Racisme médical : Paradies Y et al. Racism as a Determinant of Health: A Systematic Review and Meta-Analysis. PLoS One. 2015 Sep 23;10(9):e0138511. doi: 10.1371/journal.pone.0138511.
Homophobie médicale : Zeeman L. et al.; Health4LGBTI Network. A review of lesbian, gay, bisexual, trans and intersex (LGBTI) health and healthcare inequalities. Eur J Public Health. 2019 Oct 1;29(5):974-980. doi: 10.1093/eurpub/cky226.
Transphobie médicale : Gonzales G, Henning-Smith C. Barriers to Care Among Transgender and Gender Nonconforming Adults. Milbank Q. 2017 Dec;95(4):726-748. doi: 10.1111/1468-0009.12297.
Sexisme médical : Samulowitz A, Gremyr I, Eriksson E, Hensing G. « Brave Men » and « Emotional Women »: A Theory-Guided Literature Review on Gender Bias in Health Care and Gendered Norms towards Patients with Chronic Pain. Pain Res Manag. 2018 Feb 25;2018:6358624. doi: 10.1155/2018/6358624.
Grossophobie médicale : Rubino, F., Puhl, R.M., Cummings, D.E. et al. Joint international consensus statement for ending stigma of obesity. Nat Med 26, 485–497 (2020).