
Depuis 2008, je fais un cours dans mon enseignement Zététique & autodéfense intellectuelle centré sur les sciences historiques. Parmi les lieux communs que je revisite, le Moyen-âge, la préhistoire et le mythe fondateur français métropolitain, les Gaulois. Sur ce dernier sujet exclusivement, je vous renvoie à cette audio/vidéographie qui m’a documenté au cours du temps.
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En guise d’introduction, voici un hommage à Ricet Barrier (1932-2011), grand troubadour moderne, qui écrivit en 1975 La java des Gaulois, qui est l’une des chansons préférées de notre ami et bienfaiteur Stanislas Antczak.
{Refrain:}
Poilus, barbus, vêtus de peaux de bêtes
Ils bravaient la tempête Tue-le, tue-la
C’était la loi des Gaulois !
Ils prenaient la route
Pour chasser l’mammouth
Et courir le guilledou
Ils coupaient le gui
Mais à propos où
Où coupaient-ils donc le houx
La chasse finie
Les homm’s réunis
Plongeaient sur la nourriture
Au p’tit Chilpéric
Qu’était rachitique
On jetait les épluchures
{Refrain:}
Poilu, barbu, le druide à noble tête
Arrivait pour la quête
Paie pas, planque-toi
C’était la loi des Gaulois
Quand ils guerroyaient
Mêm’ les feuill’s tremblaient
Les femm’s se jetaient à leurs pieds
Mais un beau matin
Un sombre devin
Leur a prédit : ça va barder !
Tout près des menhirs
La troupe en délire
Astiqua les fers de lance
Vércingétorix, un dur, un caïd,
Etudia la carte de France
{Refrain:}
Bardé, casqué, un Jul’s nommé César
Arriva sur son char
Il leur a dit :
« Veni, veni, vidi, vici »
On s’tira les tifs
On s’tapa sur l’pif
Mais on vit bientôt les légions
Des Romains pompett’s
Qu’aimaient la piquette
S’coller dans la Vas’ de Soissons
La Gaule manqu’ de bras
Dit un chef gaulois,
Il faut retrousser nos manches
Ils fir’nt des maisons
Ils fir’nt même les ponts
Sauf le sam’di et l’dimanche
{Refrain:}
Poilus, barbus, ils guinchaient le sam’di
Au bal sur pilotis
Flânant, crânant
On causait entre poteaux
En r’gardant les Gauloi(ses)
Jouer les pompadour
Et la Gaule endimanchée
Chantait à plein gosier
En trinquant à l’amour
L’amour !
En prolongement, voici un petit travail modeste contenant quelques coquilles, mais très intéressant de jeunes étudiant.es de mon enseignement, saison 21 (janvier 2016), intitulé « La civilisation gauloise, entre idées reçues et réalité historique », signé Nicolas Ivol, Flavien André, Marine André, Genevois Clément et Justine Praly.
L’archéologie contribue-t-elle à fonder nos mythes nationaux ?
Le salon Noir, France Culture, 5 juin 2013
Jean-Paul Demoule (que vous avez déjà rencontré au sujet des hypothétiques Indo-européens ici) et Jean-Jacques Beneix parlent des Gaulois ici.
Anecdote : le fameux musée de Glozel, célèbre dans le milieu zététique pour son vrai-faux-vrai site ambigu, que j’ai eu la chance de visiter en 2008 avec mes camarades Antczak, Fabre, Vivant, Martin et Déguillaume, a fait un commentaire publié sur le site de France Culture.
Suite à l’émission de ce jour, l’association « Musée de Glozel », par la voix de son président Jean-Claude Fradin, tient à faire savoir qu’elle défend une autre vision de l’histoire des fouilles du site archéologique de Glozel et du rôle important joué par le docteur Antonin Morlet dans cette découverte.
Que doit le français à la langue gauloise ?
Le salon Noir, France Culture, 20 mars 2013, avec le linguiste Xavier Delamarre.
Les Gaulois
La tête au carré, France Inter, 21 novembre 2011
Les représentations du Gaulois, forgées à partir du XVIIIe siècle, constituent un bric-à-brac de clichés et de préjugés, relevant d’un cabinet de curiosités historiques et préhistoriques. Cette figure fut relayée dans les manuels d’histoire et exploitée par le pouvoir politique à des fins de propagande. Pourtant, le visage des Gaulois est tout autre… Les dernières découvertes archéologiques ont démenti les images d’Épinal. Les Gaulois ne mangeaient pas de sangliers. Leurs construction fortifiées et leurs habitats aux matériaux biodégradables témoignent de leur savoir-faire de bâtisseurs. Derrière le barbare impétueux porté par son courage se dessinent des combattants disciplinés et entraînés, bénéficiant d’un armement renommé pour sa qualité. Avec François Malrain, archéologue, ingénieur d’étude et de recherche à l’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives) et commissaire scientifique de l’exposition Gaulois, une expo renversante.
Le gaulois en 30 minutes
Le salon Noir, France Culture, 8 octobre 2016
« La Gaule unie, formant une seule nation, animée d’un même esprit, peut défier l’univers »
Vercingétorix devant ses troupes à Avaricum, de Bello Gallico, VII, 29.
Archéologie et idéologie ont toujours fait bon ménage. Ainsi, l’archéologie est fille de la nation, mais aussi bonne fille ! Dans une période de régression identitaire, à l’image des Mésopotamiens, ou des Polynésiens, les Français, l’avenir dans le dos, font désormais face au passé…leur passé ? Cro-Magnon, gallo-romain, Francs, Clovis ou Jeanne, le débat se focalise aujourd’hui sur le gaulois, les origines gauloises de la nation, en un mot « nos ancêtres les gaulois » ? Dans le cadre de notre roman national, de cette recherche de parenté historique, depuis 150 ans, l’archéologie fait figure, de très bonne fille… Avec Jean-Louis Brunaux, directeur de recherche au CNRS
Ces Gaulois vendus à Rome
Le Salon Noir, France Culture 4 juin 2016
Depuis peu, les archéologues entrevoient ces soldats vendus à Rome, et montrent que la trahison était omniprésente pendant la guerre des Gaules. Face à l’ancienne fureur guerrière, le sac de Rome en 390, la prise de Delphes en 279, la société gauloise se serait-elle ramollie dans les années 60 avant notre ère ? Vercingétorix devant ses troupes l’aurait dit « la Gaule unie, formant une seule nation, animée d’un même esprit, peut défier l’univers »… Certes, mais l’esprit n’y était déjà plus ! Le discours savant évoque souvent une Gaule prête à rentrer dans l’histoire; peut-on, tout au contraire, envisager des élites gauloises livrant leur pays à César ? Omniprésente, la trahison se pratique de toute part dans la Guerre des Gaules, à l’image de Litaviccos, parjure frère de Rome. Triomphe de l’impérialisme romain, Alésia peut-elle être vue comme la victoire des élites « collaborationnistes » gauloises ? Depuis peu, les archéologues entrevoient ces soldats vendus à Rome, un cavalier gaulois à Paris, la solde de soldats auxiliaires de Rome à Basing en Moselle… Avec Laurent Olivier, Conservateur en chef du musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye.
Vins, bière ou hydromel : la Gaule était-elle ivrogne ?
Le salon Noir, France Culture, 24 octobre 2015, avec Fanette Laubenheimer, archéologue, directrice de recherche émérite au CNRS.
Les Gaulois sont-ils des celtes ?
Le salon Noir, France Culture, 25 novembre 2014, avec Jean-Louis Brunaux, directeur de recherche au CNRS. Et si les archéologues qui découvrent des sites archéologiques qu’ils attribuent aux Celtes étaient tout simplement victimes d’une idéologie historique ?
Cycle Histoire des Gaulois, en 4 épisodes
dans La Fabrique de l’Histoire, France Culture, octobre 2009
N’ayant pas retrouvé toutes les émissions en mp3, nous vous proposons une merveilleuse retranscription du fait du site fabriquedesens.net
Histoire des Gaulois (1) : état des savoirs sur la Gaule et les Gaulois
Émission La Fabrique de l’Histoire, par Emmanuel Laurentin, du lundi 26 octobre 2009, « Histoire des Gaulois », avec Christian Goudineau.
Ci-dessous, voici la retranscription offerte par le site fabriquedesens.net, que nous remercions !
Lire la retranscriptionÀ l’occasion du cinquantième anniversaire du personnage Astérix, la « Fabrique de l’Histoire » a décidé toute cette semaine de faire le point sur ce que nous savons des Gaulois, mais aussi sur leurs représentations. Ce matin, le titulaire de la chaire des Antiquités Nationales du Collège de France, Christian Goudineau est notre invité et il nous explique comment il a été difficile, dans les années 1970, de briser les idées reçues nées des textes romains sur la Gaule et de rénover ce secteur de recherches. Pour ce faire, sa génération de chercheurs a bénéficié des nombreux apports de l’archéologie de sauvetage et de l’archéozoologie. Christian Goudineau a ainsi remis à sa juste place le personnage de Vercingétorix, montré combien les Gaulois étaient depuis longtemps en relation avec le monde méditerranéen, et il a rénové l’analyse des structures sociales de la Gaule d’avant Rome. Avec Christian Goudineau, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire d’Antiquités nationales.
Un point d’interrogation, entre parenthèse indique un doute sur un mot ou un groupe de mots.
Introduction par Emmanuel Laurentin : Premier temps de la nouvelle semaine de la « Fabrique de l’Histoire » construite sur un autre modèle que nos séries habituelles. Nous allons en effet de temps en temps tenter de montrer comment un personnage, un événement, un phénomène historique ont été perçus et compris sur la très longue durée. Cette semaine, nous allons évoquer les Gaulois, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’invention du personnage d’Astérix le Gaulois et de ses camarades. Jeudi, vous pourrez écouter un documentaire d’Anaïs Kien et de Véronique Samouiloff qui ont suivi la journée d’étude, organisée il y a une quinzaine de jours, par l’université de Paris13 à Bobigny, la même où Uderzo dessina ses premières planches. Demain, nous nous poserons la question de l’émergence de la figure du Gaulois, dans la France du XVIe siècle. Et mercredi, nous nous attacherons à la façon dont les historiens du XIXe siècle ont réinventé nos ancêtres. Ce matin, nous avons choisi de discuter avec Christian Goudineau, titulaire, depuis vingt cinq ans, de la chaire d’Antiquités nationales. Il nous dira comment la recherche historique et archéologique, des 30 dernières années, a profondément bouleversé notre connaissance de ce monde gaulois et débarrassé celui-ci de bien des idées fausses.
« Saisis de peur au milieu de ce désert et craignant, en se dispersant, de tomber dans quelques pièges, ils se rassemblent au forum et dans les rues environnantes. Là, ils trouvent les maisons des Plébéiens fermées, celles des nobles ouvertes. Ils eurent plus d’hésitations à pénétrer dans celles-ci que dans celles-là car ils se sentaient pris de respect en voyant assis sur le seuil de leur demeure des personnages que leur attitude, leur costume, leur air grave et solennel rendaient pareils à des Dieux. Immobiles, ils les contemplaient tels des statues. D’après ce que l’on raconte, c’est Marcus Papirius, dont un Gaulois s’était permis de toucher la barbe, qu’il laissait pousser selon la mode du temps, qui, en frappant celui-ci sur la tête avec son bâton d’ivoire, déchaîna la fureur des Gaulois. Il fût le premier massacré. Après lui, tous les autres patriciens, trouvés dans leurs maisons. L’extermination des nobles une fois achevée, personne ne fût épargné, ensuite, on pilla les maisons et on y mit le feu. »
Voilà comment Tite-Live, dans le livre V, raconte le siège de Rome par les Gaulois, cette apparition brusque, dans l’histoire de Rome, des Gaulois, en 390 avant J.-C., c’est cela Christian Goudineau ? Bonjour.
Christian Goudineau : Bonjour et merci de m’avoir invité à « La Fabrique de l’Histoire ».
Emmanuel Laurentin : Merci à vous d’avoir accepté de venir.
Christian Goudineau : Parce que là, on voit l’histoire fabriquée.
Emmanuel Laurentin : Cela sera en plus le thème de cette semaine, justement de travailler sur les différentes visions des Gaulois. Là, on voit la vision des Gaulois par un historien tardif, qui raconte évidemment des événements qui se sont passés bien auparavant. Et ces événements ont profondément marqué Rome. Ce sont aussi ces événements, cette arrivée brusque des Gaulois dans Rome, qui d’un seul coup font émerger ce thème des Gaulois dans l’histoire.
Christian Goudineau : Ce qu’il faut bien voir, c’est que l’on peut mettre en doute beaucoup de traits par rapport à la véracité historique. C’est-à-dire que s’est constituée très rapidement, à partir d’événements qui ont été effectivement des migrations de Gaulois, enfin de Celtes – on reviendra peut-être sur la distinction – vers l’Italie, des récits terrifiants. Et ces récits terrifiants, c’est le topo habituel dans l’Antiquité : le civilisé, le Grec ou le Romain, par rapport aux Barbares. Donc, il faut se mettre dans la peau d’un petit Romain, disons du 1er siècle avant J.-C., celui qui sera peut-être un soldat avec César, auquel on apprend qu’il y a des gens absolument féroces, qui sont très grands, très différents, qui poussent des cris inarticulés, qui sont capables de vous trancher la gorge, qui ne se contrôlent pas, qui sont souvent sous l’empire de l’alcool, etc., etc. Il faut partir de là, je pense, pour comprendre les récits, et même certaines descriptions de type, on dira ethnographiques, que l’Antiquité nous a transmis des Gaulois
Emmanuel Laurentin : Il faut savoir – on le racontera toute semaine avec nos autres invités- qu’évidement le savoir sur les Gaulois est un savoir extrêmement limité. Limité par le nombre de textes qui en parlent, quelques poignées de textes pourrait-on dire, hormis celui de Jules César bien entendu, au moment de la guerre des Gaules, qui évoque ces Gaulois avant justement la conquête romaine. Très peu de textes, donc cela veut dire que depuis des siècles et des siècles c’est sur ces textes-là que jusqu’à maintenant on s’appuyait pour pouvoir comprendre ce qu’était la Gaule et les Gaulois ?
Christian Goudineau : Oui, c’est tout à fait cela. Si l’on va rechercher les textes les plus anciens, cela serait, grosso modo, à l’époque de Platon que l’on commence véritablement à dire qu’il y a des Celtes qui ont tel ou tel trait, même si l’on avait parlé un petit peu avant. Le grand récit, sur lequel en partie d’ailleurs s’appuiera César – cela peut nous paraître bizarre mais dans ses propres commentaires il reprend des traditions qui sont les topoï littéraires – est écrit par un personnage absolument étonnant, qui s’appelle Poseidonios. Poseidonios, un Grec d’Asie Mineure, qui a des curiosités de toutes sortes, qui est un grand philosophe. Il va être à la tête de l’école stoïcienne, il va voyager, écrire des livres sur l’océan, sur les climats et il a écrit un livre sur les Celtes, nous savons qu’il est venu dans ce que nous nous appelons la Gaule -on le sait, par un de ses imitateurs ou de ses épigones – qu’il avait, par exemple séjourné chez un Massaliote, qui s’appelle Charmolaos, on a même le nom. Donc, il y a un récit, qui est un récit ethnographique, d’une certaine manière, qui décrit une situation, qui serait une situation aux alentours de 100 avant J.-C. Mais là encore elle décrit relativement rapidement et, comme nous faisons tous aujourd’hui encore, on retient un certain nombre de traits et l’on a du mal à s’en détacher. Je ne dirais pas que l’on voit toujours les Écossais avec un kilt ou un Brésilien avec un borsalino ou en train de danser la samba, mais il y a quelque chose qui traîne. Les clichés dont on a parlé tout à l’heure, avec Tite-Live et « le sac de Rome », d’autres clichés sur le fait que « les Gaulois étant mal civilisés, se livrent plutôt à la guerre alors qu’ils feraient mieux de cultiver la terre », tout cela s’est constitué au fil des consciences…
Emmanuel Laurentin : Ça se sédimente ?
Christian Goudineau : Cela se sédimente et on l’apprend aux enfants.
Emmanuel Laurentin : Et c’est difficile de s’en détacher. C’est d’autant plus difficile de s’en détacher qu’effectivement ce corpus de textes, étant donné la fascination qu’a pu avoir ensuite, à partir de la Renaissance au moins, l’Europe de l’humanisme pour Rome, sert d’appui, de base, pendant très longtemps, pour l’apprentissage de ce qu’étaient véritablement les Gaulois. Il n’est pas vraiment mis en discussion ou en débat. Il y a bien des travaux d’historiographes qui décident que peut-être ici ou peut-être là César ou les autres ont été un peu rapides en jugement, mais néanmoins il n’est pas remis en débat. Il faut attendre – et c’est pour cela que c’est très intéressant de vous avoir à notre micro – mettons, la fin du XXe siècle pour qu’en particulier grâce aux travaux archéologiques, aux grandes missions archéologiques, qui sont liées à tous ces travaux sur le territoire national, qui sont faits grâce aux fouilles de sauvetages, en particulier à partir des années 80, on redécouvre la Gaule et les Gaulois. Redécouvre-t-on d’ailleurs la Gaule, Christian Goudineau, on n’en est pas sûr, parce que cette Gaule évidemment c’est une construction ?
Christian Goudineau : Oh là là ! Cela fait beaucoup de question à la fois.
Emmanuel Laurentin : Allez-y, je vous laisse le temps ?
Christian Goudineau : Je commencerais par dire que ce n’est pas seulement grâce à l’archéologie que l’on redécouvre la Gaule, les Gaulois – on va revenir sur la notion – c’est parce que l’on s’est débarrassé la tête d’un certain nombre de choses qui polluaient notre vision et qui nous mettaient au fond en complicité avec les historiens antiques. C’était quoi ? C’était l’opposition entre Français et Allemands, et c’était aussi notre rôle de colonisateurs.
Emmanuel Laurentin : On en parlera dans nos émissions futures de la semaine.
Christian Goudineau : Vous en parlerez. Moi, je dirais que le déclic, quand même, est parti de là. C’est parce que nous avons compris que nous vivions sur ces clichés qu’on était prêt finalement à accueillir, avec les yeux ouverts, des réalités qui autrement auraient peut-être été escamotées ou auraient dérangé.
Emmanuel Laurentin : Cela veut dire qu’il n’y a pas simplement ces découvertes archéologiques, dont on va parler avec vous, Christian Goudineau, il y a la numismatique, la relecture des textes antiques, et à nouveau frais, là vraiment, en se lavant les yeux de cette accumulation de clichés qui ont pu être mis en place, après la période romaine et jusqu’entre la période romaine et aujourd’hui.
Christian Goudineau : Bien sûr mais il faut bien voir, par exemple, qu’après la guerre 1870, un petit peu avant, un petit peu après, les Français et les Allemands se balançaient César à la tête. César avait dit que : les Gaulois étaient, selon son sens à lui, assimilables alors que les Germains ne l’étaient pas… Donc, vous, vous êtes des sauvages et nous, nous sommes déjà des gens civilisés. En revanche, les Allemands disaient : Mais non, pas du tout, vous, vous êtes des collabos alors que nous les Germains sommes des purs. On n’imagine pas la violence y compris entre gens sérieux, très cultivés, érudits,…
Emmanuel Laurentin : Entre Camille Jullian d’un côté, par exemple, et Mommsen de l’autre, les grands historiens de l’Antiquité…
Christian Goudineau : Et bien d’autres…
Emmanuel Laurentin : D’un côté les Allemands et de l’autre les Français…
Christian Goudineau : Voilà. L’autre message, puisque vous parlerez inévitablement de la conquête de la Gaule, c’était, heureusement d’une certaine manière que l’on a perdu. C’est-à-dire que les Gaulois, on a besoin qu’ils soient civilisés sinon nous-mêmes nous ne serions pas passés dans un monde où règne l’ordre, la paix, les lois. Donc, ils étaient courageux, ils avaient toutes sortes de qualités, mais quand même c’est bien que Rome ait gagné. Et qu’est-ce que nous faisons d’autre ?
Emmanuel Laurentin : Bien sûr…
Christian Goudineau : Aux petits Africains, aux petits Asiatiques etc. ? On apporte le progrès, on apporte la civilisation.
Emmanuel Laurentin : Donc, tout cela c’est dans une sorte de logique dont il est difficile de se détacher.
Christian Goudineau : Extrêmement difficile.
Emmanuel Laurentin : Vous ferez partie de ceux qui, dans les années 60, en décidant ouvertement, après votre passage à l’École de Rome, d’avoir une chaire consacrée aux Antiquités nationales, à l’université de Provence d’abord puis ensuite au Collège de France – Chaire que vous occuperez au Collège de France à partir de 1984 – de reprendre toute cette question-là, de vous dire d’abord que la chaire d’Antiquités nationales, c’est la chaire de Camille Jullian, c’est la chaire de celui qui d’une certaine façon nous a aussi donné des images à voir, qui ont été ensuite reprises par Lavisse et par d’autres dans nos manuels autour de cette histoire de la Gaule et des Romains. Il faut la reprendre et décider qu’à partir de là faire un travail scientifique, un véritable travail de décapage pourrait-on dire de ces couches qui empêchent de voir vraiment ce qu’étaient les Gaulois.
Christian Goudineau : Oui, c’est tout à fait cela mais j’ajouterais quand même une chose, cela a paru un peu ringard, à mon époque, reprendre…
Emmanuel Laurentin : En 68, reprendre ces Antiquités nationales à l’université de Provence, par exemple…
Christian Goudineau : C’était après 68, peu importe, surtout au Collège de France. Pourquoi ? Parce que Camille Jullian s’était battu pour qu’il y ait enfin une chaire consacrée à l’histoire de la Gaule quelque part, il n’y en avait dans aucune université.
Emmanuel Laurentin : Parce qu’il faut imaginer le monde à la fin du XIXème siècle…
Christian Goudineau : Ce qui comptait, c’est Rome, c’est la Grèce, c’est l’Afrique…
Emmanuel Laurentin : Tellement pris dans l’idée de…
Christian Goudineau : Mais la Gaule c’était méprisable. Camille Jullian obtient, et c’est intéressant de voir qui était son concurrent, c’était Durkheim, de 8 voix près. …
Emmanuel Laurentin : L’inventeur de la sociologie à la française.
Christian Goudineau : Il obtient cette chaire d’Antiquités nationales, qui après va évoluer, et qui lorsque Paul-Marie Duval, que l’on peut considérer comme l’un des successeurs de Jullian, l’occupait s’appelait l’histoire de la Gaule, tout simplement. Moi, je reprends Antiquités nationales, pourquoi ? Eh bien pour taper une deuxième fois sur la table, un peu comme Camille Jullian, en disant qu’on est en train de foutre en l’air tout notre patrimoine, notre patrimoine national. On n’a pas de loi prévoyant que les grands travaux seront précédés de fouilles archéologiques. C’était une espèce de pétition de principe. Grâce à des gens comme Jack Lang, on a essayé de monter une mécanique. Mais les oppositions ont été telles qu’il a fallu attendre 2001 pour que l’on ait enfin une loi sur l’archéologie préventive…
Emmanuel Laurentin : Et un institut…
Christian Goudineau : Et des instruments, comme l’Inrap,
Emmanuel Laurentin : [L’Institut national de recherches archéologiques préventives…
Christian Goudineau : Enfin, Antiquités nationales, c’était…
Emmanuel Laurentin : Un acte politique…
Christian Goudineau : Oui, c’était un acte politique.
Emmanuel Laurentin : C’est un acte politique qui tient compte aussi du profond renouvellement de la problématique autour de cette question du passé national sur le territoire de ce que l’on a appelé la Gaule. Alors, venons-en justement à ce renouvellement avec vous, Christian Goudineau. D’abord, vous dites, dès ce moment-là, dès le début des années 80, que la Gaule, ce n’est pas la Gaule. On ne peut pas parler de Gaule, il faut là aussi commencer à nous laver le regard. Il n’y a pas de différence majeure, de différence notable entre ce territoire que l’on appelle la Gaule et les territoires voisins en allant vers le centre de l’Europe en particulier jusqu’à la Hongrie.
Christian Goudineau : C’est une discussion extrêmement compliquée, que je suis obligé de simplifier. Disons que depuis l’Atlantique jusqu’à Budapest, à peu près, il y avait des peuples, une centaine, peut-être 120, que l’on ne sait pas toujours nommer. À certaines époques, c’étaient de toutes petites entités, et il y en avait infiniment plus et puis à l’époque où nous commençons à bien connaître ces choses, grâce à Poseidonios et à César…
Emmanuel Laurentin : Donc, Ier-IIe siècle avant J.-C.
Christian Goudineau : Ier-IIe siècle avant J.-C., il y a ce que l’on peu appeler des espèces d’États, dont les plus grands couvrent trois à quatre de nos département, quelque chose comme ça, les plus petits, la moitié d’un. Donc, c’est une mosaïque. Chaque État étant indépendant mais bien sûr toutes sortes de réseaux secrets, ce sont des réseaux d’alliances, ce sont aussi le fait que le plus puissant contrôle l’un peu plus faible, ce sont des mariages, ce sont des contrats économiques… Donc, une mosaïque mais une mosaïque qui a tissé un certain nombre de liens. C’est le premier point. Là-dedans, pourquoi identifier un ensemble qui s’appelle Gaule ? Qui va le faire ? C’est Jules César. Jules César va se conduire comme beaucoup de conquérants…
Emmanuel Laurentin : En nommant sa conquête.
Christian Goudineau : Une fois une conquête achevée, quand il considère que c’est à peu près homogène, il dit voilà, ça, cela s’appelle la Gaule. D’ailleurs les géographes antiques, après César, vont être dans un embarras constant parce qu’ils ne savent plus entre la Gaule, la Celtique, ils vont faire des contorsions absolument épouvantables, parce que le Dieu César a forcément raison, il a dit que cela s’arrêtait au Rhin, cela s’arrête au Rhin. Alors, comment nommer ceux qui sont de l’autre côté du Rhin ? On ne sait pas trop. On va dire les Germains, un géographe comme Strabon dit : on les appelle Germains mais ils sont vraiment exactement, exactement comme ceux qui sont de l’autre côté. Enfin, vous voyez, cette espèce, comment dire, de révolution comme Lyautey a dit, associer au Maroc, savoir lire le ( ?), voilà, je ne sais pas quoi, le Congo, ou comment on a fait les frontières, totalement artificielles, qui ont causé tant de malheur aussi bien d’ailleurs en Europe qu’à l’extérieur. Alors, il y a ça, puis il y a un deuxième phénomène, sur lequel on ne saurait trop insister, c’est qu’on a eu la conception que la Gaule était une espèce d’entité farouchement repliée sur elle-même, sans contact pratiquement avec l’extérieur, alors qu’à l’époque qui nous intéresse rien n’est plus faux.
Emmanuel Laurentin : C’est la mobilité.
Christian Goudineau : Il suffit de lire César lui-même. Il y avait outre les problèmes de migrations qui se sont produites jusqu’en Asie mineure, notamment sur le nord de l’Italie, il y a le fait que les peuples aux IIe et Ier siècle avant J.-C. ont une politique extérieure.
Emmanuel Laurentin : Les Éduens ont par exemple un ambassadeur à Rome.
Christian Goudineau : Sûrement. Ce sont des alliances qui se sont faites, pour les Éduens, on peut imaginer au début du IIe siècle avant J.-C., en tout cas c’était fait au milieu. Cela veut dire quoi ? Ils sont déclarés même frères du même sang.
Emmanuel Laurentin : Avec les Romains, ce qui est rare.
Christian Goudineau : Avec les Romains. Cela veut dire – vous y reviendrez je suppose en parlant du XVIe siècle – qu’il y a une légende troyenne qui les réunit et que le Sénat de Rome a accepté et puis le Sénat éduen à sans doute imaginé peut-être lui-même des liens remontant au siège de Troie, ou en tout cas à l’époque ( ?). Ce sont des choses absolument fantastiques. Alors, cela veut dire quoi ça ? Cela veut dire évidemment…
Emmanuel Laurentin : Cela veut dire culture, ça veut dire connaissance mutuelle, ça veut dire échange, ça veut dire commerce, ça veut dire cadeaux, etc.
Christian Goudineau : Et tout, bien sûr. Alors, notre idée que la petite Gaule ait été en but aux horribles légions césariennes, rien de plus faux. Il faut voir que parmi les peuples, la soixantaine de peuples dont on a parlé, qui constitue la Gaule – maintenant on va dire au sens césarien –
Emmanuel Laurentin : Jusqu’au Rhin, avec la Belgique etc.
Christian Goudineau : Les plus puissants ont été six années sur sept les alliés de César.
Emmanuel Laurentin : C’est donc seulement la dernière année qu’ils se sont…
Christian Goudineau : Où il y a eu l’insurrection générale, pour des raisons sur lesquelles on pourra revenir, si vous le voulez.
Emmanuel Laurentin : Donc, il y a cette dimension géographique qui est extrêmement importante quand on parle de cette question-là. Puis, il y a une dimension qui tient à la profondeur du temps. On a l’impression, d’une certaine façon, que l’on a rabattu des siècles d’histoire, parce qu’évidemment la documentation manquait, sur, mettons, les 50 ou 100 dernières années avant la conquête romaine et que tout cela c’est la même chose, que cela a été effectivement une sorte de compression rapide dans quelques décennies d’une histoire beaucoup plus longue dont on a les premières traces, mettons, au VIIe – VIIIe siècle avant J.-C. C’est cela, Christian Goudineau ?
Christian Goudineau : Oui, si l’on fait une distinction entre l’âge du bronze, l’âge du fer, la distinction classique de l’archéologie. En réalité le vrai problème cela serait de savoir quand est-ce qu’un fond de population, que l’on appellera celtique par commodité, s’est vraiment installé au centre de l’Europe en diffusant jusqu’à l’Atlantique.
Emmanuel Laurentin : Et ça ?
Christian Goudineau : C’est très, très difficile à dire, faute de textes bien entendu et puis parce que les crises laissent rarement des vestiges qui soient concrets. On peut avoir un énorme incendie, là on le voit, mais des crises sociales, des crises économiques, des crises climatiques, on ne sait pas trop. Aujourd’hui, on dirait sans doute que ce peuplement qui va conduire aux Gaulois est en place essentiellement aux alentours 1200 ou 1000 avant J.-C., quelque chose comme ça. Alors, on peut le retracer grâce essentiellement à des coutumes funéraires, voire éventuellement à une succession d’habitat de petites fermes, enfin on ne dira pas d’agglomération encore, l’agglomération, c’est un autre problème, beaucoup plus difficile. Effectivement, quand on n’a pas les données de l’archéologie, et l’on avait très peu, on comprime tout cela. Pour faire comprendre, lorsque l’on part de textes, c’est-à-dire que l’on a une culture classique, qu’est-ce que l’on a tendance à faire ? On a tendance à illustrer les textes.
Emmanuel Laurentin : Donc, on part du texte et on essaye de retrouver soit dans l’archéologie, soit dans les données de l’épigraphie, des données tangibles, d’une certaine façon, de faire coller ce que l’on trouve avec les textes que l’on a au départ ?
Christian Goudineau : C’est un processus qui n’est pas dévoyé, c’est le processus que l’on a instinctivement dans la tête. Tout ce qui a changé avec les grands travaux, c’est que ce n’est plus l’historien ou l’archéologue qui décide. C’est-à-dire que ce qu’il serait allé chercher avec les textes roudans ( ?) au fond de sa mémoire, là, c’est tout à fait autre chose, on crée une autoroute, on crée une ligne de chemin de fer, on fait un détournement, on va creuser des parkings souterrains dans une ville et on tombe sur des choses que l’on n’aurait pas imaginées.
Emmanuel Laurentin : Et l’on remet à jour d’une certaine façon un passé que l’on n’aurait jamais imaginé autrement.
Christian Goudineau : Bien sûr.
Emmanuel Laurentin : Et à partir de là, il faut repenser de façon différente tout ce passé là.
Christian Goudineau : C’est sûr.
Emmanuel Laurentin : On lui donne une dimension chronologique bien plus longue, une dimension géographique bien plus large d’une certaine façon, on repense et le temps et l’espace.
Christian Goudineau : Le temps et l’espace tout à fait et j’ajouterais que ces grands travaux, dans la mesure où ils génèrent toute une activité, dans la mesure où ils génèrent des facilités économiques que les archéologues n’avaient jamais eues, ont permis de développer des recherches de types techniques, méthodologiques ou scientifiques que l’on n’avait jamais pu lancers auparavant, que l’on aurait souhaitées…
Emmanuel Laurentin : Lesquelles, par exemple ?
Christian Goudineau : Par exemple, on va voir des spécialistes qui vont étudier les restes des graines.
Emmanuel Laurentin : La palynologie
Christian Goudineau : Les spectres polliniques, la dendrochronologie, bref, tout ce qui tient à l’analyse technique d’une part…
Emmanuel Laurentin : L’archéozoologie, également
Christian Goudineau : Et tout ce qui tient à l’environnement, à l’alimentation, donc à la vie quotidienne, des pans entiers que nous ignorions.
Emmanuel Laurentin : Justement, si l’on se rapproche de cette description que l’on veut faire avec vous, en ouverture de cette semaine consacrée à l’histoire aux Gaulois et leurs représentations, de cette vie quotidienne, est-ce qu’on peut pendre quelques secteurs de ce que l’on pourrait imaginer être la vie quotidienne dans cet espace qu’on nomme la Gaule, mais qui n’est pas la Gaule, on l’a compris avec vous, Christian Goudineau, entre le Ier et le IIe siècle avant J.-C. ?
Christian Goudineau : Je vais d’abord vous dire les deux choses qui ont véritablement compté avant même l’archéologie de sauvetage.
Emmanuel Laurentin : Allez-y.
Christian Goudineau : La première, c’est l’archéologie aérienne.
Emmanuel Laurentin : Le survol des territoires, et on comprend assez vite, en particulier au moment de la maturité des cultures, qu’il y a des différences, au printemps par exemple, entre telle ou telle colories de terre et l’on comprend à ce moment-là qu’il y a soit des trous de poteaux soit des restes d’habitation souterrains, sous tel ou tel champ de culture…
Christian Goudineau : Des habitations, des sanctuaires, c’est-à-dire que pour la première fois, et il faut reconnaître le génie de deux ou trois personnages, notamment Roger Lagache, qui avec de tous petits avions a fait ces observations.
Emmanuel Laurentin : Et ça, c’est les années soixante ?
Christian Goudineau : Oui, les années 60. Il faut bien comprendre que beaucoup de gens n’y croyaient pas. On lui disait : mais qu’est-ce que ces photos, ce n’est pas possible, vous les avez truquées ! Hallucinant ! Hallucinant, alors qu’aujourd’hui c’est devenu évidemment une pratique courante et à partir de là on pouvait déjà commencer à faire des atlas et on s’est aperçu que l’occupation rurale, aussi bien à l’époque romaine mais on l’a vu aussi à l’époque gauloise puisqu’il y a souvent ( ?), était infiniment plus dense qu’on ne l’imaginait.
Emmanuel Laurentin : Ce n’était pas une Gaule couverte de forêt.
Christian Goudineau : Et la palynologie ensuite le démontrera. Donc, ça, c’était un premier point.
Emmanuel Laurentin : Très important.
Christian Goudineau : Très important. Le Gaulois qui passe son temps à faire la guerre, non !
Emmanuel Laurentin : Chasser les sangliers, non.
Christian Goudineau : On peut ajouter, puisque vous parlez des sangliers, que l’étude des ossements d’animaux que l’on retrouve dans les fouilles montre que les Gaulois mangeaient du cochon et que le sanglier c’était une part absolument minuscule. Passons là-dessus. Le deuxième point, qui a beaucoup compté, peut-être un tout petit plus tard mais on est encore dans les années 60-70, c’est l’archéologie sous-marine. C’est-à-dire les fouilles méthodiques d’épaves…
Emmanuel Laurentin : En particulier d’épaves romaines qui sont aux alentours du territoire gaulois.
Christian Goudineau : Qui se trouvent sous les rives de Méditerranée et du Languedoc. Quand on trouve une cargaison ce n’est pas parce qu’elle avait du bois, etc. c’est parce qu’elle avait une cargaison d’amphores, sinon la plus-part du temps tout disparaît. Donc, ce sont des tas d’amphores qui font découvrir les épaves. Et on s’est aperçu que depuis le VIIIe siècle avant J.-C., ce sont à peu près les premières épaves, jusqu’à l’époque moderne, il y a un pic dans le nombre des naufrages qui est représentatif du nombre des transports, et ce pic est à peu près entre les années 150 et 50 ou 30 avant J.-C. À partir de là, on s’est rendu compte qu’il s’agissait de vins italiens, qui inondaient littéralement la Gaule, le marché gaulois, à ce point que certains collègues faisant des calculs, évidemment pour donner un ordre d’idée, ont montré qu’il y avait chaque année entre 500 000 et un million d’amphores, contenant chacun à peu près 25 litres de vin, qui arrivaient. Alors, là encore la petite Gaule repliée sur elle-même prenait un sacré coup. Parce que…
Emmanuel Laurentin : C’est un lieu d’échange, de transport, d’économie, bien sûr.
Christian Goudineau : Et contre quoi ? Contre quoi ces amphores ? Il fallait se poser la question. Il y a quelques textes.
Emmanuel Laurentin : La vieille route de l’étain ?
Christian Goudineau : La vieille route de l’étain, sans doute, des métaux, peut-être quelques produits agricoles, des peaux, des voiles, des trucs comme ça. Mais l’essentiel, on le voit bien chez César et d’autres, les esclaves, ce qui amène à réfléchir sur la société en question. C’est-à-dire qu’un certain grand peuple sans doute devait faire des razzias parce que les criminels de guerre c’est vite épongé, si j’ose dire. Alors razzias, où ? Chez qui ? C’est des milliers chaque année.
Emmanuel Laurentin : Un esclavage Nord-Sud et non plus Sud-Nord, comme beaucoup plus tard on l’imagine. On transporte ces esclaves à Rome en particulier parce que l’on a besoin de main-d’œuvre et cette main-d’œuvre on vient la chercher justement du côté de ces territoires dits gaulois.
Christian Goudineau : Bien sûr. Et n’oublions pas que César avait à côté de lui, lors de ses expéditions en Gaule, les représentants d’énormes firmes. Certains sont capables d’acheter 53 000 Aduatuques qu’ils décident de faire prisonniers et de réduire à l’esclavage. Ils les faisaient convoyer vers Rome, ce qui n’est pas rien.
Emmanuel Laurentin : Effectivement.
Christian Goudineau : Alors, donc, là aussi, il y avait ce cheminement la Gaule, agricole en grande partie, puis aussi…
Emmanuel Laurentin : Les échanges.
Christian Goudineau : La Gaule échangeant avec le monde méditerranéen, ce qui accentuait, disons, les réflexions de type politiques, dont on a parlé précédemment.
Emmanuel Laurentin : Cela veut dire que lorsqu’on réfléchit au territoire, on n’y réfléchit pas du tout de la même façon, Christian Goudineau, dans les années 1970-1980. Quand avec d’autres vous lancez tout un tas d’études sur ce territoire gaulois, on n’y réfléchit pas de la même façon, on cherche à la fois des lieux de centralité, des lieux d’échanges, des lieux de marché et on va commencer à réfléchir aux routes qui permettent d’aller de cité en cité et non plus à un vaste territoire vierge dans lequel il n’y aurait que deux ou trois grandes villes qui seraient perdues au milieu de nulle-part.
Christian Goudineau : Oui, c’est tout à fait ça. C’est-à-dire que l’on va se pencher sur des questions, en gros, d’organisation du territoire.
Emmanuel Laurentin : Et organisation du territoire veut dire organisation sociale, organisation culturelle, organisation politique.
Christian Goudineau : Bien sûr. Religieuse également. Et l’archéologie de sauvetage, finalement qu’est-ce qu’elle nous montre ? Elle nous montre un certain nombre de parcelles, elle nous indique comment peuvent être réparties les exploitations agricoles et elle nous montre aussi une hiérarchie, depuis la toute petite ferme jusqu’à une résidence beaucoup plus imposante, cossue, qui représente vraisemblablement, la résidence d’un aristocrate, d’un chef. C’est toujours difficile d’employer des mots précis. Un ( ?) dirait peut-être César. Puis, au niveau supérieur de la hiérarchie, on découvre, pour cette époque-là, ce que dans notre jargon on appelle les oppida, parce que César emploie ce terme qui est un terme neutre qui veut dire les établissements, les agglomérations, les grandes agglomérations. Et là aussi, on s’aperçoit qu’il y en a beaucoup plus qu’on ne le pensait et surtout qu’ils témoignent d’une organisation politique et sociale tout à fait différente des schémas que l’on avait dans la tête.
Emmanuel Laurentin : C’était ?
Christian Goudineau : C’était un grand ouvrage de défense avec pour la Gaule centrale, disons, 100 à 150 hectares, quelques petits artisanats, en cas de coup dur, les gens se réfugiaient, une place publique pour peut-être que l’on puisse tenir des assemblées,…
Emmanuel Laurentin : Et un marché ?
Christian Goudineau : Des marchés périodiques, des choses comme ça, mais relativement vides, clairsemés. Or, par exemple, les fouilles qui ont été menées au Mont Beuvray, à Bibracte, grande capitale des Éduens, témoignent d’une urbanisation…
Emmanuel Laurentin : Complexe.
Christian Goudineau : Complexe. On n’imaginait pas que ces espèces de Barbares puissent avoir quelque chose qui ressemblerait à des villes. Pourquoi ? Parce que les bâtiments en bois ne laissaient pas de traces, ou plus exactement on n’avait pas à les connaître. Moi, quand j’étais jeune, on ne connaissait que la pierre, éventuellement la brique, la brique crue, mais c’est tout. Et dans les découvertes les plus récentes de ces dernières années, à Bibracte même, qu’est-ce que l’on trouve à l’époque césarienne ? Un forum. Un forum de type italien comme on en trouverait en Italie centrale, avec une basilique etc. Puis tout autour des maisons tout à fait différentes de celles que l’on trouverait à Pompéi ou à Rome. Donc, des processus, comment dire, de mélange, d’acculturation mais aussi d’urbanisation très complexes que l’on commence à entrevoir.
Emmanuel Laurentin : Cela veut dire que l’historiographie de l’Antiquité et de la Gaule en particulier n’est pas étrangère aux grandes évolutions, pourrait-on dire, du reste de l’historiographie. C’est-à-dire qu’au moment même où des contemporanéistes ou des modernistes travailler sur la notion de transfert culturel, c’est-à-dire de ces échanges culturels qui ne sont pas simplement l’imposition d’un modèle sur un peuple qui reçoit ce modèle et qui ne discute pas ou qui peut résister mais disons qui ne résiste pas longtemps, vous, vous adaptez cette idée même de transfert culturel, d’acculturation en disant : il y a des échanges, cela va dans un sens mais ça va aussi dans l’autre…
Christian Goudineau : Bien sûr.
Emmanuel Laurentin : Et ça montre bien qu’effectivement cette Gaule de 150 -200 avant Jésus-Christ est beaucoup plus ouverte au monde qu’on ne l’a jamais imaginée et cela grâce aux archives que vous trouvez dans le sol, ces nouvelles façons de questionner le passé ?
Christian Goudineau : Bien sûr. On va donner un exemple extrêmement précis. L’archéozoologie nous a montré que depuis la domestication, au Néolithique, les espèces animales courantes, celles qui faisaient l’objet d’élevage, n’ont cessé de rapetisser, je ne sais pas si c’est pour une question de gestion cheptel etc., mais par rapport à l’animal sauvage, l’animal domestique devient de plus en plus petit, et les chevaux que l’on retrouve normalement dans les fouilles sont des chevaux relativement petits, à l’époque gauloise, ce que l’on appellerait nous des double-poneys, vous voyez, ce n’est pas très grand. On sait d’ailleurs, par les textes, que les grands guerriers essayaient de se procurer des chevaux qui venaient de l’étranger, parce que combattre avec des cuirasses sur un double-poney ce n’est pas terrible, terrible. Mais voilà que des fouilles nous ont montré, parmi les restes alimentaires, des chevaux de grande taille, de type romain, et pas seulement ça. À côté, on peut avoir des amphores, du matériel métallique et même, on a trouvé dans une fouille, à Besançon, un étalon en bronze qui représente un pied romain, cela veut dire l’équivalent de 30 centimètres, avec toutes ses graduations.
Emmanuel Laurentin : Et cela date de quelle époque à peu près ?
Christian Goudineau : 70 avant Jésus-Christ, c’est-à-dire avant la conquête. Et les indices s’accumulant, on peut même se demander s’il n’y avait pas eu avant la conquête une présence romaine qui n’aurait pas été seulement celle de commerçants mais celle de fermiers, d’agriculteurs, ce qui, là encore, changerait considérablement notre vision des choses.
Emmanuel Laurentin : Par exemple, dans cette Gaule transalpine du sud de la…
Christian Goudineau : Là, c’est déjà fait de toute façon…
Emmanuel Laurentin : Même déjà très tôt…
Christian Goudineau : Depuis là…
Emmanuel Laurentin : C’est-à-dire qu’à partir du moment où Rome conquière l’Espagne il faut bien un lieu de passage et ce lieu de passage déjà va être tout ce sud de la France, Languedoc…
Christian Goudineau : Absolument…
Emmanuel Laurentin : Et la région marseillaise qui était déjà alliée de Rome depuis très longtemps, tout cela va déjà être sous influence et dès va remonter plus haut, c’est cela que l’on peut dire ?
Christian Goudineau : Bien sûr, c’est cela. Imaginez par rapport à ce que l’on pensait, il y a simplement trente ans, qu’il puisse y avoir des espèces de colons, entre guillemets, italiens qui viennent en Gaule indépendante, c’est une petite révolution ! Je vais vous citer un deuxième ou troisième phénomène. Les numismates ce sont aperçus, qu’aux alentours de 120-80 avant Jésus-Christ, il s’est produit, à certains endroits, une véritable révolution. Alors que la Gaule fonctionnait avec des monnayages d’or et de petites divisions qui allait jusqu’au bronze, certains peuples passent à l’argent. Et l’argent ils le traduisent en pièces qui font exactement la moitié d’un denier romain et qui correspondent à peu près à une monnaie massaliote. Alors, nous qui avons vécu les difficultés du passage à l’Euro, qui avons vu combien il faut d’accords diplomatiques pour changer les monnaies, qui avons vu aussi tous les problèmes techniques que cela pouvait causer, imaginons ces peuples qui, en suivant à peu près la vallée du Rhône, de la Saône puis toute la périphérie en débordant largement vers l’ouest, changent totalement leur système. Ils le font pourquoi ? Ils ne le font pas forcément pour que les monnaies soient échangeables – il faut imaginer au-delà – mais parce que l’on peut compter. On compte avec le même langage.
Emmanuel Laurentin : On peut compter et l’on peut écrire aussi. Parce que tout compte fait, on a toujours pensé, depuis César, que les Gaulois n’écrivaient pas. Or, la trouvaille ou les trouvailles récentes de l’archéologie nous montrent que si, ils écrivaient sûrement.
Christian Goudineau : Bien sûr.
Emmanuel Laurentin : Ils écrivaient mais sur quoi ? Comment ? En tout cas on a quelques témoignages de ces écritures-là et d’un seul coup cela change complètement, là aussi, la vision d’une tradition simplement orale, qui se serait transmise par l’oralité et pas par l’écriture.
Christian Goudineau : Comment voulez-vous qu’une organisation, y compris commerciale, aussi complexe puisse marcher sans qu’il y ait des contrats ? Ce n’est pas possible. Ce qui reste c’est sur des tablettes de plomb par exemple, mais bien que l’essentiel devait être en cire, des tablettes de bois avec la couche de cire, comme César nous dit en avoir trouvé, lorsqu’il prend le camp des Helvètes. Il a trouvé le décompte complet de tous les microns ( ?), avec leur nom, leur âge, leur nombre, leur tribu, etc. César nous parle bien des testaments. Donc, ça fonctionnait. La seule question, c’est que les textes sacrés, comme il est courant d’ailleurs dans certaines civilisations, ne devaient pas être couchés par écrits et étaient l’objet d’une transmission orale. Mais il s’agit de textes sacrés.
Emmanuel Laurentin : Alors, justement ces textes sacrés, parce qu’évidemment quand on pense Gaule, on pense druidisme. Christian Goudineau, vous dites vous-même, dans un de vos ouvrages, que vous n’êtes pas très à l’aise avec ce milieu de la religion, cette compréhension de la religion et que néanmoins il faut bien s’y coller, quand on est historien de la Gaulle, et donc on tente de s’y coller. Comment ? Justement pour pouvoir là aussi renouveler la vision que l’on a de cette religion, de ses pratiques, pratiques funéraires qui accompagnent peut-être cette religion etc.
Christian Goudineau : Et bien, c’est difficile. C’est très difficile pour plusieurs raisons. D’abord l’archéologie de sauvetage ne nous a pas donné de renseignements tellement là-dessus. Il faut avoir le pot de tomber sur…
Emmanuel Laurentin : Un temple.
Christian Goudineau : Un temple, un sanctuaire. On en a. On a vu le rôle prédominant sans doute des offrandes guerrières. On a vu aussi le rôle politique que pouvait tenir des sanctuaires. Certains sanctuaires manifestement sont des émetteurs de monnaies. Maintenant quel était le fond de cette religion ? C’était un fond certainement savant, comme toute religion. Les Druides étaient considérés, dans l’Antiquité, comme de très hauts personnages, comme d’excellents connaisseurs notamment de l’astronomie et peut-être de l’astrologie.
Emmanuel Laurentin : Théologie fondée peut-être sur les astres, en tout cas on le pensait.
Christian Goudineau : Comme la plupart des religions de l’Antiquité.
Emmanuel Laurentin : Ce qui prouve là aussi les échanges, la capacité justement à faire migrer les savoirs liés à l’astronomie en particulier.
Christian Goudineau : Bien sûr. Ce n’est pas un hasard si l’on pense qu’il y a eu des relations entre les mouvements druidiques et les mouvements pythagoriciens, par exemple. Mais cela se traduit comment dans la vie de tous les jours ? C’est beaucoup plus difficile à savoir. Quel est le type de dévotion une fois que l’on a quitté les grandes sphères politiques ? Quel est le type de dévotion populaire ? On a bien de petits ex-votos, on a des choses comme ça, mais il est très difficile à dire sauf à pense que ce fond là à subsister durant l’époque Gallo-Romaine, auquel cas notre documentation…
Emmanuel Laurentin : Est particulièrement…
Christian Goudineau : S’accroît notablement, là on peut avoir les traces d’une religion populaire. Ce qui a été trouvé quand même, c’est un certain nombre de sanctuaires. Des sanctuaires qui nous étonneraient parce qu’ils sont essentiellement fait avec des matériaux périssables, parce qu’on y accroche des crânes humains, parce qu’on y accroche des dépouilles de bêtes, etc., etc.
Emmanuel Laurentin : Là, la rêverie reprend d’une certaine manière…
Christian Goudineau : La rêverie reprend, non, mais non.
Emmanuel Laurentin : Parce que l’on pourrait se dire…
Christian Goudineau : On se met dans l’idée que le sanctuaire antique c’est le Parthénon avec des colonnes blanches, ce qui est aussi une déformation totale de la réalité. Il suffisait d’aller n’importe où en Grèce ou en Italie pour voir sans doute des arbres avec des tissus, des dépouilles, etc.
Emmanuel Laurentin : Là, la rêverie reprend dans le sens où effectivement cette question des crânes, le funéraire, une vision peut-être de massacre, dont on ne sait s’ils se font sur des vivants ou sur des morts, tout cela commence à faire imaginer ou ré-imaginer un peuple barbare, sauvage, sanglant, qui n’hésite pas effectivement à sacrifier des humains dans sa religion.
Christian Goudineau : D’une part cela s’est fait dans toutes les religions antiques à certains moments…
Emmanuel Laurentin : Y compris à Rome…
Christian Goudineau : Y compris à Rome où l’on a enterré vivants des Gaulois encore au IVe siècle avant Jésus-Christ. D’autre part il faut bien distinguer entre des rituels qui sont des rituels de types guerriers, c’est des ennemis que l’on a battus dont on s’occupe, que l’on sacrifie éventuellement à Dieu, voire des criminels, et puis la notion de sacrifice humain qui est tout à fait autre chose et que l’on ne saurait véritablement attester.
Emmanuel Laurentin : Alors, çà, c’est l’aspect religieux, pourrait-on dire, et puis on va peut-être terminer dans les quelques minutes qui nous restent sur ce qui reste de plus flagrant dans l’imagerie autour des Gaulois, c’est leur aspect. Leur aspect extérieur, leur grandeur, leur pâleur, leur blancheur leur caractéristique hirsute et leur pilosité en particulier, tout cela à nouveau freine là aussi encore l’archéologie, le travail long et patient des historiens, comme vous, Christian Goudineau, tout cela revient de façon différente sur le devant de la scène parce que vous vous dites : attention ! On a peut-être des façons de mieux comprendre à la fois ces textes et puis qui ils étaient véritablement.
Christian Goudineau : Écoutez, la première constatation c’est qu’une nouvelle fois on se trouve en face de clichés traditionnels. On a toujours un voisin, généralement vers le Nord, qui est plus grand, plus blond, etc. Pensez aux fantasmes que provoquent encore, je ne sais pas…
Emmanuel Laurentin : Les Suédois.
Christian Goudineau : Je vois votre œil s’allumer, les Suédoise !
Emmanuel Laurentin : Suédois et Suédoises, selon son inclinaison sexuelle.
Christian Goudineau : Oui. Ce que les Italiens disaient des Gaulois, les Gaulois le disaient des Germains et les Germains devaient le dire des Nordiques. En réalité, lorsqu’on fait, c’est un peu difficile parce qu’on incinère beaucoup à cette époque-là, un peu de paléodémographie, comme on dit, on s’aperçoit que la population entre l’Italie et la Gaule n’était guère différente. Ils devaient être à peu près comme vous et moi, peut-être un peu plus petits. Là encore c’est l’imaginaire qui s’est emparé de tout cela. Alors, hirsutes, là aussi, c’est le cliché du barbare. Ils pouvaient très bien effectivement avoir des cheveux long, pourquoi pas, et des moustaches, du moins pour certains, mais, on a des statues d’aristocrates, on a…
Emmanuel Laurentin : Des statues récemment trouvées, pour certaines.
Christian Goudineau : Oui, bien sûr. On a aussi les monnaies, dont j’ai parlées tout à l’heure. Sur ce monnayage d’argent, pour la première fois, il y a des magistrats, certains d’ailleurs donnant leur nom. Eh bien, on voit que non seulement ils ne sont pas moustachus et barbus mais qu’ils ont une chevelure extrêmement élaborée. Il semblerait que cela ne soit pas seulement la mode…
Emmanuel Laurentin : Soignés.
Christian Goudineau : Non. Ce n’est pas seulement une question de mode, c’est sans doute des signes distinctifs qui pouvaient marquer un rang social ou peut-être l’appartenance à une famille, je ne sais pas. Mais vous auriez rencontré un grand aristocrate gaulois dans la rue, il est probable qu’il vous aurait frappé par un caractère très convenu, je dirais, et vous n’auriez pas dit : Mon Dieu, quel pouilleux !
Emmanuel Laurentin : Est-ce que ce n’est pas difficile, Christian Goudineau, après vous être intéressé avec autant d’acharnement, de volonté, de volontarisme pourrait-on dire même, en tant qu’historien à cette histoire de la Gaule, de voir que malgré le travail, de vous-même et des gens qui sont autour de vous, ceux que vous conviez d’ailleurs dans votre cour au Collège de France, séminaire au Collège de France que vous continuez à faire encore cette année, la vingt-cinquième année, que malgré cela, c’est vraiment difficile d’en finir avec le clichés, les idées reçues ? C’est quand même ça qui est assez frappant ?
Christian Goudineau : Oui, oui, c’est une des grandes peines de ma vie, je dois dire.
Emmanuel Laurentin : La difficulté de transmettre le savoir savant sur des questions aussi ancrés dans les mémoires.
Christian Goudineau : Bien sûr. D’où vient le problème ? Le premier problème, à mon avis, c’est la difficulté d’opérer le passage vers les manuels scolaires. Pour toutes sortes de raisons, à la fois de programme, la Gaule n’est pas enseignée pratiquement. On ne parle de la Gaule que lorsque César a la bonté de venir la conquérir et toutes les découvertes de l’âge du bronze, de l’âge du fer, qui sont parmi les plus fantastiques, généralement elles n’ont aucun écho dans les manuels scolaires.
Emmanuel Laurentin : Alors qu’elle raconte des histoires formidables.
Christian Goudineau : Bien sûr. Mais, ce n’est pas moi qui fais les programmes, malheureusement ! C’est un premier point. La formation des enfants, c’est vitale. Le deuxième point, c’est un trait plus général de civilisation, il faut sans doute que la profession apprenne à mieux s’adresser, à mieux utiliser les médias. C’est ce que l’on essaye de faire, mais ce n’est pas simple parce que ce n’est pas un sujet qui intéresse forcément les médias. Je suis très content de voir que maintenant, cette année en tout cas, il est plutôt à l’ordre du jour…
Emmanuel Laurentin : Grâce à Astérix, qui va encore faire perdurer les idées reçues.
Christian Goudineau : Bien sûr, mais Astérix, c’était, de la part de Goscinny, une volonté de se moquer des contemporains en utilisant des clichés qu’il savait être des clichés alors que ses successeurs apparemment n’ont pas forcément la même acuité historique et intellectuelle.
Emmanuel Laurentin : Merci Christian Goudineau. On enjoint nos auditeurs à vous rejoindre au Collège de France. Les cours ont commencé ?
Christian Goudineau : Oui, Oui.
Emmanuel Laurentin : Cela sera votre dernière année ?
Christian Goudineau : Ah oui. Bien sûr, il faut bien s’arrêter un jour.
Emmanuel Laurentin : On les enjoint également à vous lire. « Le dossier Vercingétorix », c’est vrai que c’est ce caractère d’enquête qui est si formidable que vous mettez en œuvre à propos des personnages historiques : « César et la Gaule », « Regard sur la Gaule », plus récemment encore qu’est-ce qu’on peut conseiller ?
Christian Goudineau : « Regard sur la Gaule », qui va paraître également chez Acte Sud, dans la collection Babel. La plupart de mes livres, disons de vulgarisation, sont chez Babel.
Emmanuel Laurentin : Merci encore, Christian Goudineau, d’avoir accepté d’ouvrir cette semaine de la « Fabrique de l’Histoire », consacrée aux Gaulois et à leurs représentations…
Christian Goudineau : Merci à vous.
Emmanuel Laurentin : On a tenté, avec vous, de dépoussiérer ces représentations et d’être au plus près de ce que l’on sait aujourd’hui, de ce qu’on peut savoir de ce qu’étaient ces Gaulois. Merci encore. Demain, nous continuons cette semaine sur l’histoire des Gaulois en évoquant les Gaulois et leur renaissance, pourrait-on dire, dans l’imaginaire collectif, au XVIe et XVIIe siècle.
Bibliographie indiquée sur le site de l’émission :
Christian Goudineau, « Le dossier Vercingétorix », Ed. Actes Sud, 8 février 2001.
Christian Goudineau, « Regard sur la Gaule », Ed. Errance, 2007.
Christian Goudineau, « Par Toutatis ! : que reste-t-il de la Gaule ? », Ed. Seuil, coll. L’avenir du passé, 2002.
Histoire des gaulois 2
Je n’ai pas retrouvé cette émission, alors en voici la retranscription de l’émission La Fabrique de l’Histoire, par Emmanuel Laurentin, du mardi 27 octobre 2009.
Lire la retranscriptionUn point d’interrogation, entre parenthèse indique un doute sur un mot ou un groupe de mots. Un grand merci aux lecteurs qui signaleront à l’auteur (tinhinane[ate]gmail[point]com) les imperfections (y compris coquilles et fautes) afin que cette transcription soit de meilleure qualité pour les lecteurs.
Édito sur le site de France Culture : Après l’état des savoirs sur la Gaule et les Gaulois exposé hier par Christian Goudineau, nous nous imaginons ce matin comment la figure du Gaulois, oubliée tout au long du Moyen-âge, a resurgi dans la France du XVIème siècle.
Les historiens humanistes, soucieux de vanter une France où les contre-pouvoirs juridiques borneraient le pouvoir du souverain, inventent en effet une Gaule à leur image, délibérative et quasi républicaine, pour faire pendant à la Rome impériale et à la Troie que les rois se donnaient jusque-là pour origine. Ainsi, à leur instigation, le Roi se pare des atours de l’Hercule gaulois, tandis que les guerres entre catholiques et protestants déchirent le pays. Mais cette tentative de substituer la généalogie celte à la filiation troyenne tournera court au début du XVIIème siècle avec l’affirmation renouvelée d’un pouvoir monarchique qui ne veut plus s’identifier aux vaincus gaulois… Au cours de cette émission, Martin Amic lit pour nous des textes d’auteurs du XVIème (Ronsard, François Hotman, Étienne Pasquier, Du Bellay), tous commentés et complétés par trois historiens de cet imaginaire gaulois.
Avec Laurent Avezou, professeur en classes préparatoires au lycée Pierre de Fermat (Toulouse) ; Jean-Marie Le Gall, professeur d’histoire moderne à l’Université de Rennes 2 ; Claude Gilbert-Dubois (au téléphone), professeur émérite à l’Université de Bordeaux 3.
Introduction par Emmanuel Laurentin : Deuxième temps de notre semaine consacrée aux Gaulois, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’invention du personnage d’Astérix et de ses compagnons. Nous y reviendrons d’ailleurs jeudi, avec un documentaire enregistré par Anaïs Kien et réalisé Véronique Samouiloff, il y a une quinzaine de jours, à Bobigny, à l’occasion d’une journée d’étude de l’Université de Paris 13 autour de la figure du petit guerrier gaulois. Hier, le professeur au Collège de France, Christian Goudineau, nous a dit combien les recherches des trente dernières années, en histoire et en archéologie, avaient profondément bouleversé les idées reçues sur les Gaulois. Une fois les bases modernes sur les Gaulois fixées, nous allons aujourd’hui nous demander comment la Gaule et les Gaulois ont ressurgi dans l’histoire de notre pays, au XVIe siècle, et non au XIXe siècle, comme on le pense. Souvent sur fond de guerres de religions, les juristes du Royaume ont ainsi momentanément mis fin aux origines troyenne de la France. Nous allons le voir avec Anaïs Kien, de « La Fabrique de l’Histoire », avec Jean-Marie Le Gall, professeur d’histoire moderne à l’Université de Rennes 2, auteur de « Le mythe de Saint Denis, entre Renaissance et Révolution », chez Champ Vallon ; Laurent Avezou, archiviste paléographe, docteur ès-lettres, est professeur de classes préparatoires au lycée Pierre de Fermat à Toulouse, auteur de « Raconter la France : Histoire d’une Histoire », chez Armand Colin et Claude-Gilbert Dubois, professeur honoraire de l’Université Michel de Montaigne et auteur de « Récit et mythe de fondation dans l’imaginaire culturel occidental », c’est publié aux Presses universitaires de Bordeaux. Et en compagnie également de Martin Amic, que je salue, qui va nous lire les textes que nous avons choisis pour pouvoir illustrer cette émission qui part d’une sorte de fiction. Nous allons nous poser comme étant, mettons, au milieu du XVIe siècle, ou au début du XVIe siècle et nous demander quel est l’univers de ceux qui écrivent l’histoire de la France de cette époque-là. Une histoire de la France qui plonge ses racines normalement, quand on se trouve au début du XVIe siècle, plutôt du côté de Troie que du côté de la Gaule ?
Laurent Avezou : Tout à fait, puisque se réclamer de Troie, c’est se réclamer d’une filiation aussi noble que celle des Romains. Les Romains qui prétendent descendre d’Hélénus, fils de Priam ayant fui Troie après sa fuite. On constate qu’à partir du VIIe siècle, dans les sources médiévales, s’est mise en place la fiction selon laquelle les Francs seraient eux-mêmes des Francions, autre fils de Priam qui, lui, aurait choisit la voie du Danube et de l’Europe centrale pour faire gagner progressivement à son peuple les rivages de la France.
Emmanuel Laurentin : C’est assez étrange parce qu’effectivement quand on se replace dans notre époque aujourd’hui on peut considérer cela comme totalement étrange et bizarre mais d’une certaine façon, c’est une sorte de vulgate, tout le monde croit, depuis le VIIe siècle, à cette fiction d’une origine troyenne de la France.
Laurent Avezou : Tout le monde, c’est-à-dire ceux qui s’intéressent à…
Emmanuel Laurentin : Ceux qui écrivent, évidemment.
Laurent Avezou : Voilà, c’est ça, ceux – ceux qui écrivent et ceux qui se lisent en écrivant – qui voient une utilité doctrinale également à constituer cette fiction qui légitime la France en la rapprochant de toutes les monarchies d’Europe, ce qui est censé être sa matrice, c’est-à-dire l’Empire romain. En effet, au début du XVIe siècle, gare à ceux qui remettent en cause cette reconstitution des choses parce qu’elle est constitutive du discours de la monarchie de France. En fait, c’est un mythe politique.
Emmanuel Laurentin : C’est un mythe politique qui va être un peu mis à mal pendant ce XVIe siècle, on va en parler avec vous ainsi qu’avec Claude-Gilbert Dubois. Bonjour, Claude Gilbert-Dubois.
Claude Gilbert-Dubois : Bonjour.
Emmanuel Laurentin : Vous avez travaillé, depuis longtemps, sur la question de l’imaginaire culturel occidental, à l’université de Bordeaux puisque vous avez créé, en 1976, un laboratoire consacré à l’imaginaire appliqué à la littérature. Cet imaginaire, quel est-il à ce moment-là chez ceux qui ne sont plus tout à fait des clercs et qui vont devenir des laïques, progressivement tout au long du XVe et XVIème siècle, et qui commencent à réfléchir au passé de ce pays ?
Claude Gilbert-Dubois : Eh bien oui, ils ont beaucoup réfléchi au passé de ce pays et le présent. Le présent pour être présent emprunte plusieurs voies. La voie principale, elle vient d’être dite, c’est Troie. On vient de Troie. Il y a eu une immigration vers l’Ouest, toutes les migrations d’ailleurs en Europe, sauf quelques exceptions près, se font vers l’Ouest. Et ces héros troyens, je rappelle Francus aux Francions, Brutus pour les Anglais, sont venus de cette lointaine cité asiatique en passant par l’Europe centrale. Alors, lorsque Francus est arrivé, il a été accueilli, en Gaule, par le roi des Rèmes, tribu gauloise, Rème dont la capitale est l’ancêtre de Reims, capitale qui sera également célèbre pour un évêque qui s’appelle Remi, et vous voyez que les Rèmes, Reimes, Remi, tout cela renvoi à Remus, le frère de Romulus, qui n’est jamais nommé, in extenso mais qui est sous-dit dans tous ces noms homonymes et qui font que l’histoire des origines de la France se trouve parallèle, c’est l’histoire jumelle, de l’histoire d’Énée qui lui est allé dans le Latium.
Emmanuel Laurentin : Ce qui est extraordinaire c’est qu’effectivement il y a une mise en cohérence de tous ces clercs qui ont écrit tout au long du Moyen-Age sur cette question des origines de la France. Mise en cohérence qui d’ailleurs sera poursuivie par les laïques, qui vont faire la même chose au XVIe siècle en trouvant dans la toponymie, dans les débuts d’une sorte d’archéologie, des raisons de penser ce qu’ils pensent, d’une certaine façon. C’est-à-dire qu’ils mettent tout cela dans une cohérence telle que l’on ne peut pas remettre en cause cette idée des origines troyennes de la Gaule, de la France.
Claude Gilbert-Dubois : Je crois que cela tient à quelque chose qui est de l’ordre de la structure imaginative européenne, puisque l’Occident pour l’instant, c’est surtout l’Europe, c’est que tout mythe de fondation se fait en deux temps. Le modèle archétypal, c’est l’histoire d’Abraham, qui d’abord reçoit la promesse d’un territoire, puis plus tard arrive un descendant qui, lui, donne une législation à la nation, c’est Moïse. Dans l’histoire d’Énée, c’est exactement la même chose. Vous avez au départ un héros, qui est Énée, qui va aller vers l’Ouest, qui comme Abraham s’est arrêté à Harran en Syrie avant de rejoindre Canaon, lui-même fait un arrêt sur le mont Ida où il a fondé une seconde Troie, et ensuite est allé vers l’Ouest et après, je dirais, diverses péripéties a reçu ce territoire, qui lui a été promis. Après quoi, quelqu’un de la même lignée, qui s’appelle Romulus et puis la ligné des rois, Numa Pompilius également, vont être les législateurs de cette terre, qui a été donnée à Énée par un fatum, c’est-à-dire un destin, fatum cela vient du verbe latin fari qui veut dire énoncer solennellement et qui est l’équivalent du mektoub, c’est dit, cela a été dit, il y a un destin, comme il y a un don des Dieux du côté des Hébreux, il y a un destin du côté des Romains, qui fait que ce qui est arrivé ne pouvait pas être autrement.
Emmanuel Laurentin : Évidemment.
Claude Gilbert-Dubois : Je pense que là aussi on essaye de faire la même chose.
Emmanuel Laurentin : Évidemment, on comprend bien. Jean-Marie Le Gall, Bonjour.
Jean-Marie Le Gall : Bonjour.
Emmanuel Laurentin : Vous avez publié récemment, « Le mythe de Saint Denis, entre Renaissance et Révolution », chez Champ Vallon, dans la très bonne collection dirigée par Joël Cornette. Comment la figure de Saint-Denis rentre-t-elle dans ce paysage qui est en train d’être tissée par vos deux collègues ?
Jean-Marie Le Gall : À partir du moment où le mythe troyen s’effondre un petit peu quand même, au début du XVIe siècle, il faut quand même se prévaloir d’une origine avec la Grèce, d’autant que l’on est en guerre avec l’Italie, que les rapports avec Rome ne sont pas simples dans la première moitié du XVIe siècle. Donc, il y a cette volonté d’inscrire la translatitius todi ( ?) entre la Grèce et la Gaule autour de la figure de Saint-Denis. Alors, qui est Saint-Denis, quand même ? Rapidement parce qu’en fait…
Emmanuel Laurentin : Oui, il faut tout de même préciser.
Jean-Marie Le Gall : Aujourd’hui, on distingue trois personnages qui à l’époque sont confondus. Il y a tout d’abord le discipline de Saint-Paul, qui est un magistrat de l’Aréopage, à Athènes, et qui aurait été converti directement au Ier Siècle…
Emmanuel Laurentin : Saint-Denis de l’Aréopagite.
Jean-Marie Le Gall : Voilà, Aréopagite converti au Ier siècle. Puis ensuite, apparaissent, vers le Ve-VIe siècle, des textes important écrits par un pseudépigraphe, qui va se dire être Saint-Denis de l’Aréopagite, mais qui inscrivent ces textes dans le Ier siècle. Et enfin, la légende sera forgée au VIIIe siècle. Mais tout cela on y croit au début du XVIe siècle, ce Saint-Denis, qui aurait écrit des textes qui font figure presque de cinquième Évangile, qui est le disciple de Saint-Paul, serait venu évangéliser les Gaulois, serait donc l’apôtre des Gaules. Il mourait à Paris, à Montmartre, dont il est le premier évêque. Il meurt à Montmartre, mont des martyres. Cette figure-là est d’abord le protecteur de la monarchie, et les rois de France qui à la fin du Moyen-âge, pendant la guerre de Cent Ans, Colette Beaune l’avait montré, ont eu de la suspicion à l’égard d’un Saint-Denis qui était en quelque sorte accusé de collaborer avec l’occupant anglais, eh bien les souverains de France ont retrouvé, au XVIe siècle, en quelque sorte le chemin de Saint-Denis, qui est véritablement le protecteur de la couronne. Puis la France du début du XVIe siècle de François 1er, c’est aussi la France de l’humanisme en France, de la Renaissance, et la figure de Saint-Denis, cet auteur prestigieux, qui écrit justement en grec, permet d’illustrer l’idée, d’incarner même l’idée que la translation des études se fait de la Grèce directement vers la Gaule en enjambant en quelque sorte Rome.
Emmanuel Laurentin : En enjambant l’Empire romain. Une question d’Anaïs Kien
Anaïs Kien : Laurent Avezou, d’où vient le premier coup porté à ce mythe troyen ? Est-ce que l’on peut voir cette première griffure faite à ce mythe, qui jusque là tenait très bien la route ?
Laurent Avezou : C’est assez difficile de répondre parce que le mythe troyen n’a pas été, dans un premier temps, directement pris à partie par les humanistes ou les pré-humanistes mais…
Anaïs Kien : Il y a un moment de recherche ?
Laurent Avezou : De manière détournée en quelque sorte, c’est la résurgence des origines gauloises qui indirectement portent un coup au mythe troyen, que l’on peut situer très précisément, si on veut donner une date, en 1485, avec la publication par Paul-Émile d’un ouvrage qui s’intitule de l’« Antiquité de la Gaule », qui est le premier, à peu choses près, à être consacré en propre aux Gaulois.
Emmanuel Laurentin : Paul Émile étant un humaniste italien,…
Laurent Avezou : Voilà.
Emmanuel Laurentin : Venu à la cour chez Charles VIII…
Jean-Marie Le Gall : C’est cela, qui a été débauché par les rois de France à la fin du XVème siècle. Ce qui va se passer, c’est que la recouverte des Gaulois, à partir de cette époque, va servir à retourner le mythe troyen contre lui-même, dans une perspective qui va en même temps lui rendre hommage. J’entends par là que des auteurs qui, comme Guillaume Postel ou Jean Bodin, mais ceux-ci au milieu du XVIème siècle, vont essayer de mettre en place la fiction selon laquelle Troie aurait été créée par les Gaulois.
Emmanuel Laurentin : Attendez, là, il faut s’arrêter parce que c’est quand même très compliqué cette histoire, et c’est très intéressant parce qu’effectivement on voit bien comment on manipule du symbole dans ce début de XVIème siècle. Donc, il y a cette histoire ancienne, selon laquelle les Troyens fondent ce qui va devenir le royaume de France, mais après on va torturer, disons, cette histoire en inventant une translation dans l’autre sens.
Jean-Marie Le Gall : C’est ça, exactement. C’est une manière de ménager la chèvre et le chou parce que la monarchie tient à ces origines troyenne, on ne peut pas lui retirer Troie parce que Troie c’est la romanité. Mais, se développe parmi les représentants de l’humanisme un courant qui tente de rechercher des ancêtres, dans laquelle les humanistes, qui sont des gens d’Europe, des hommes de loi le plus souvent, cherchent à se reconnaître parce que les Troyens c’est la noblesse dans une large mesure. Les Troyens c’est la monarchie mais derrière elle l’aristocratie. Les humanistes ne peuvent pas alléguer cette filiation pour eux et les Gaulois vont servir à la contourner.
Emmanuel Laurentin : Surtout que dans certains milieux des humanistes on cherche une sorte de République idéale…
Jean-Marie Le Gall : C’est ça.
Emmanuel Laurentin : Et que l’on va inventer une sorte de République gauloise. On a un texte par exemple de Joachim du Bellay, dans Défense et illustration de la langue française, je crois qu’il est daté de 1549, qui va nous être lu par Martin Amic.
Lecteur, Martin Amic : « L’antique sainteté et gravité de meurs de nos Gaulois qui en leur jeu n’ont voulu suivre la vanité grecque des comédies et tragédies mais ont élu ce divin genre de poème pour proposer aux yeux du peuple l’institution de la bonne vie. Il n’y a pas de point de faute que nos Gaulois ont toujours plus que les autres peuples voulu démontrer les choses occultes et intelligibles par les choses sensibles et manifestes. »
Emmanuel Laurentin : Un esprit gaulois, tel qu’il nous est décrit par Joachim du Bellay, dans une lecture de Martin Amic, Laurent Avezou ?
Laurent Avezou : Ce que l’on peut commenter à ce sujet, c’est la perspective des humanistes qui ont un regard législatif en quelque sorte sur le passé gaulois. Les Gaulois sont des professeurs d’institution qui suggèrent que la constitution idéale propre à la France est une sorte de confédération, d’association librement consentie par des peuples qui dans le principe sont opposées à la monarchie absolue.
Emmanuel Laurentin : Alors ça, c’est quand même extraordinaire parce qu’effectivement ce sont des juristes, dites vous, qui ont été forgés du côté de Bourges, pour certains d’entre eux, dans une école de juristes particulière, qui ont travaillé autour de cet héritage du droit romain qu’il faudrait appliquer à l’Europe du XVIème siècle et qui, ces juristes, réfléchissent à l’idée qu’il faudrait, au moment même où se met en place le processus qui va peut-être conduire à la monarchie absolue, tempérer cette monarchie absolue en imaginant des modèles plus, entre guillemet, démocratiques, en tous les cas avec une contestation possible de la personne du souverain, contestation limitée certes…
Laurent Avezou : Confrontation, plutôt, monarchie participative parce que démocratie c’est trop fort mais…
Emmanuel Laurentin : Ça, c’est quand même assez extraordinaire. Voilà des gens qui pensent à l’encontre de ce que veut faire d’une certaine façon la monarchie dans une sorte de tropisme qui lui est propre.
Laurent Avezou : Oui, c’est exact. Mais vraisemblablement, quand cela se met en place, dans les années 1520-1530, je ne pense pas qu’ils soient conscients de forger une bombe à retardement contre l’absolutisme.
Emmanuel Laurentin : Oui, ce ne sont pas des terroristes avant l’heure.
Laurent Avezou : C’est le moins qu’on puisse dire.
Emmanuel Laurentin : Jean-Marie Le Gall, puis Claude Gilbert-Dubois ensuite.
Jean-Marie Le Gall : Sur ?
Emmanuel Laurentin : Sur ce thème.
Jean-Marie Le Gall : Sur ce thème justement de professeur d’institution, c’est vrai que naît au milieu du XVIème siècle le thème de l’autochtonie parce que les Gaulois c’est ça, c’est-à-dire que la France procède d’elle-même en quelque sorte, elle n’a pas besoin d’apports étrangers. Et c’est vrai qu’au XVIème siècle, le mythe gaulois en quelque sorte permet de contrebalancer le poids parfois de familles étrangères dans la vie du royaume de France, comme l’Église qui sont réputés étrangers, et le poids de ces Italiens qui sont envahissants…
Emmanuel Laurentin : Qui sont autour de la cour.
Jean-Marie Le Gall : En même temps à côté du thème de l’autochtonie en quelque sorte gauloise cohabite toujours cette idée qu’une partie de l’histoire de France procède aussi de l’étranger. Finalement, ce Saint-Denis l’Aréopagite qui vient de Grèce, qui fonde l’Église de France, est un moyen, si voulez, aussi de rejouer au XVIème siècle. Les Jésuites, par exemple, qui vont se fonder à Montmartre, vont se prévaloir de la mémoire en quelque sorte de Saint-Denis pour montrer que la France peut être en quelque sorte fécondée par des pensées et par des hommes qui viennent de l’étranger, c’est intéressant. Des ordres nouveaux, les Carmélites, par exemple, vont essayer de réemployer des lieux de mémoire de Saint-Denis.
Anaïs Kien : Jean-Marie Le Gall, comment se diffuse ce motif gaulois dans la représentation des familles aristocratiques et de la royauté française ?
Jean-Marie Le Gall : L’une des grandes familles du XVIème siècle c’est les Montmorency, famille rivale évidemment de l’Église et qui vont inventer, au début du XVIème siècle, une justification à leur devise familiale. Ils sont les premiers barons chrétiens de la chrétienté. Ils vont mettre en avant, au début du XVIème siècle, qu’ils descendent d’un certain Lisbius, sui serait un notable de Lutèce qui aurait été converti en personne par Denis Aréopagite.
Anaïs Kien : Donc là, on est dans l’invention généalogique ?
Jean-Marie Le Gall : On est dans l’invention généalogique.
Emmanuel Laurentin : Au 1er siècle !
Jean-Marie Le Gall : Au 1er siècle.
Emmanuel Laurentin : Converti au 1er siècle, donc c’est une famille aristocratique qui se dit plus ancienne que la famille royale elle-même et de la conversion de Clovis au christianisme. Des chrétiens avant le roi, avant la famille royale, cela pose un petit problème de concurrence entre les deux.
Jean-Marie Le Gall : Ça pose problème. Avant de répondre à la question de pourquoi cela pose problème, il faut bien voir que les Montmorency ont d’autant plus insisté sur cette fondation ancienne qu’ils étaient contestés sur le plan religieux parce que si le connétable mort dans la bataille de Saint-Denis est resté catholique, ses neveux c’étaient quand même le cardinal Odét de Chatillon, passé au protestantisme, c’était l’Amiral de Coligny, donc, c’était une famille qui sentait le fagot et c’était un moyen, pour eux, de montrer que « bon sang » ne saurait être de mauvaise foi.
Emmanuel Laurentin : On publie même, en 1571, un Montmorency gaulois.
Jean-Marie Le Gall : Oui, c’est Forcadel qui publie cela, au moment justement où les Montmorency vont être engagés dans des polémiques.
Emmanuel Laurentin : Claude Gilbert-Dubois, sur ce qui vient d’être avancé, puisque l’on avance tout au long du XVIème siècle sur cet imaginaire gaulois ?
Claude Gilbert-Dubois : En ce qui concerne le renforcement de la fondation du mythe gaulois en France, je crois que l’on peut tenir compte de deux éléments dont il a été fait mention. Le premier est que face à l’humanisme qui se réfère à l’Antiquité gréco-latine, il y a un humanisme moins important, qui est hébraïsant. L’hébreu est moins connu évidemment que le grec et le latin, au XVIème siècle, mais il y a néanmoins un humanisme hébraïsant dont le principal représentant a été cité, est Guillaume Postel, un savant qui connaît la plupart des langues orientales, outre l’hébreu, l’arabe, l’araméen. Alors, on va essayer d’utiliser la voie hébraïque, c’est-à-dire la voie sainte par excellence,…
Emmanuel Laurentin : Bien sûr.
Claude Gilbert-Dubois : Par les écritures, pour essayer de fonder en ancienneté, et en ancienneté encore plus considérable que celle de Rome et de la Grèce, l’antiquité des Gaulois. Alors, cela sera le rôle de Guillaume Postel qui fait descendre les Gaulois du fils aîné du fils de Noé, – Noé et sa famille est le dernier des hommes anciens et le premier des hommes nouveaux. Et de cet ancêtre qui s’appel, Gomère, Guillaume Postel fait naître les Gaulois mais également les Cimbres, par affinité phonétique et les Ambriens, vous voyez…
Emmanuel Laurentin : C’est extraordinaire ! C’est une période…
Claude Gilbert-Dubois : Vous voyez les mélanges sémantiques que l’on est en train de faire. C’est une voie qui permet de dire : vous voyez, les Grecs et les Latins ce ne sont pas eux qui sont à l’origine de notre civilisation, remontons…
Emmanuel Laurentin : Encore plus haut…
Claude Gilbert-Dubois : En suivant le livre de Dieu, à la vérité même qui est la descendance de Noé. Le deuxième élément dont vous venez également de parler, c’est le problème du