Après les grands mouvements étudiants de 2013, et suite au lancement d’une nouvelle grève étudiante d’envergure de plusieurs dizaines de milliers d’étudiant·e·s québécois·e·s, le conseil exécutif de l’UQAM (l’Université du Québec à Montréal) a convoqué devant leur comité disciplinaire neuf étudiant·e·s militant activement dans l’université en vue de les expulser. Les actions qui leur sont reprochées, fumeuses et parfois datées, s’inscrivent pourtant dans ce qu’on est en droit d’attendre d’un·e étudiant·e critique et conscient·e des enjeux socio-économiques. Aussi le CORTECS apporte-t-il son soutien à ces personnes, et mobilise son réseau en ce sens. Au jour d’élaboration de cet article (10 avril 2015), des étudiants et des enseignants de l’UQAM exigeaient la démission du recteur Robert Proulx, suite à l’intervention du Service de police de la Ville de Montréal pour évacuer les occupants sauvages d’un bâtiment de l’université*. Pour se faire une idée des enjeux, nous reproduisons ici un texte co-élaboré par une cinquantaine de collègues de l’UQAM, ainsi que la lettre que nous avons signée.
Dès les débuts de l’Université en Europe, les étudiants se sont mobilisés pour des questions pédagogiques ou sociales, comme le prix des loyers. Le militantisme étudiant n’est donc pas nouveau. Grèves, occupations et perturbations d’évènements ont ponctué la vie universitaire, y compris à l’UQAM. Très souvent, ces mobilisations ont été à l’avant-garde de causes progressistes pour la justice sociale : féminisme, pacifisme, écologisme, entre autres.
Historiquement, les directions d’établissements d’enseignement étaient relativement tolérantes face aux actions militantes, dont les occupations, certaines se prolongeant jusqu’à six semaines, comme à l’École des Beaux-Arts en 1968. Dans les années 2000, ces directions ont changé d’approche, appelant rapidement la police qui est intervenue brutalement, y compris à l’UQAM (sans oublier l’UQO – NdCORTECS : Université du Québec en Outaouais – et l’Université de Montréal en 2012, entre autres). Cette mutation volontaire s’inscrit dans une tendance générale de la part des autorités à être de plus en plus répressives face aux mouvements sociaux et à saisir l’occasion de quelques cas isolés pour justifier une généralisation des mesures répressives. S’inscrivant dans cette tendance, la direction de l’UQAM privilégie de plus en plus la répression sous forme d’intimidation et de violence institutionnelles. Cela entraine d’importantes dépenses (caméras et agents de « sécurité » supplémentaires) et contribue à la dégradation du climat social sur un campus bien connu pour sa vie associative et militante. Pourtant, il n’y a pas de consensus dans les publications savantes au sujet des effets de la répression sur les mouvements sociaux. Certaines études démontrent qu’elle provoque un affaiblissement de la mobilisation, d’autres qu’elle provoque un élargissement de la mobilisation et une radicalisation militante.
Or il y a quelques semaines, une poignée de professeurs de l’UQAM et des membres de la haute direction ont dénoncé dans les médias la violence et l’intimidation étudiantes (échos tardifs du Jean Charest de 2012). Cette opération de communication lancée dans la phase de préparation de la grève étudiante maintenant en cours a offert l’occasion à un député de la CAQ – NdCORTECS : la Coalition Avenir Québec – de prétendre que règne à l’UQAM une « culture radicale d’anarchie » (sic.) et de demander à la ministre de la Sécurité publique comment elle comptait y rétablir « la sécurité ». Les collègues écorchaient au passage la démocratie étudiante, s’inscrivant ainsi dans une curieuse tendance médiatique qui consiste à critiquer le fonctionnement des assemblées lorsqu’elles votent la grève, mais ne rien dire lorsqu’elles rejettent la grève.
Rebondissement vendredi 20 mars 2015. Neuf étudiantes et étudiants ont reçu un courrier recommandé les convoquant devant le Comité exécutif pour répondre de mesures disciplinaires. Le Service de sécurité recommande lui-même dans certains cas la suspension pour un an, dans d’autres l’expulsion définitive. Les faits reprochés ? Turbulence lors de levées de cours et perturbation d’événements publics. Le débat reste ouvert quant à l’attention qu’il convient d’accorder à de tels faits isolés, à ce qui est réellement survenu et à l’importance que s’exprime à l’UQAM le débat politique, y compris parfois par des actions militantes.
Ce n’est pas la première fois que la direction cherche à bannir des activistes du campus et cela n’a jamais eu d’autres effets que de punir quelques personnes ciblées, alors que les actions sont collectives. Problématiques en soi, ces mesures apparaissent cette fois-ci particulièrement douteuses :
Absence de proportionnalité : pourquoi imposer l’expulsion définitive sans avoir commencé par donner de simples avertissements ? Le recours aux mesures extrêmes est cruel pour des étudiantes et des étudiants puisqu’il ruine leur projet universitaire et compromet leurs projets professionnels (sans compter la destruction de leurs relations sociales).
Absence d’urgence : certains des faits reprochés se sont déroulés au printemps 2014 et même en janvier 2013, soit il y a plus de deux ans ! Pourquoi sévir maintenant ?
Instrumentalisation politique : seule la situation présente, soit la grève qui commence, peut expliquer la volonté de neutraliser des militantes et militants du mouvement étudiant. Il s’agit d’une instrumentalisation politique des mesures disciplinaires (qui rappelle les arrestations préventives du groupe Germinal deux jours avant le Sommet des Amériques en 2001, des 17 « chefs » anarchistes à Toronto en 2010 et d’une douzaine d’activistes le matin du Grand Prix Formule 1 à Montréal en 2012). Alors que les actions au cœur des accusations étaient menées par plusieurs dizaines d’étudiantes et d’étudiants, la direction a choisi de cibler des personnes qui occupent des postes dans les associations étudiantes et même qui siègent aux plus hautes instances de l’UQAM. Il est bien pratique, en temps de grève et de négociations de conventions collectives, de faire taire la voix étudiante dans les lieux de pouvoir de notre établissement.
Frapper fort pour faire peur : parallèlement, la direction a envoyé à l’ensemble du corps étudiant un courriel mettant en garde contre toute perturbation pendant la grève, y compris de simples levées de cours, adoptant ainsi un ton menaçant inédit à l’UQAM. Les expulsions des neuf relèvent donc aussi de la peine exemplaire pour effrayer l’ensemble des grévistes, sans compter le déploiement de nouveaux effectifs d’agents de « sécurité » qui fouinent partout (y compris dans des assemblées syndicales), suivent et intimident un peu tout le monde, refusent de révéler leur identité et se permettent des propos sexistes à l’endroit d’étudiantes (« Salut, bébé ! »).
Il est consternant de constater que la direction adopte cette approche autoritaire contraire à la tradition de l’UQAM, qui a su préserver jusqu’ici un espace plus libre que ce que nous propose en général notre société disciplinaire. Nous nous dissocions totalement de la campagne de relations publiques clamant que le chaos règne sur le campus et nous demandons à la direction de l’UQAM de garder son sang-froid, de favoriser le dialogue (même laborieux) plutôt que la répression et dans tous les cas de revenir à une attitude d’ouverture face au militantisme étudiant. Ainsi, l’UQAM se démarquerait positivement d’une tendance de plus en plus répressive des diverses autorités québécoises. Cela nécessite, bien sûr, de faire le deuil d’une certaine volonté de puissance et d’une cruauté qui ne réjouit jamais que les puissants et les partisans de la loi et l’ordre, aux dépens de personnes plus vulnérables (ici, nos étudiantes et étudiants).
Pour terminer, soulignons un paradoxe politique : la direction réprime des étudiantes et des étudiants qui se mobilisent présentement contre une politique d’austérité qui menace réellement notre établissement.
*Texte signé par une cinquantaine de professeurs et chargés de cours de l’UQAM, dont Marcos Ancelovici, Rémi Bachand, Isabelle Baez, Dany Beaupré, Marrie-Pierre Boucher, Rachel Chagnon, Line Chamberland, Jawaher Chourou, Marc-André Cyr, Anne-Marie D’Aoust, Martine Delvaux, Stall Dinaïg, Francis Dupuis-Déri, Alain-G Gagnon. Consulter la liste complète des cosignataires (NdCORTECS : même si regarder les cosignataires ne devrait avoir rationnellement aucun impact intérêt direct sur le choix de signer ou non).
Voici la lettre que nous avons signée.
Support letter from European academics for the nine student activists facing expulsion from Université du Québec à Montréal, Canada
The Executive Council of Université du Québec à Montréal (UQAM) has taken steps to evict nine students from the University who took part in demonstrations or strikes in the past two years. Their political commitment seems to be the only reason justifying these extreme measures and these unprecedented disciplinary sanctions are therefore considered as intimidation attempts. Indeed, this is the first time that the University has taken such actions regarding political activities. The praxis for which the Executive Council declared the activists guilty are:
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The protest against the Orwellian security drift at UQAM on January 30th 2013, an authoritarian response to Quebec’s historical student strike of 2012
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The Application of legitimate strike mandates voted in general assembly by the student community by cancelling classes on April 2th and 3th 2014, and on October 8th 2014
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The demonstration that took place in the University organized by the student and employees union (SETUE) on April 2nd 2014
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The disturbance of Frank Des Rosiers’s (assistant deputy minister in the federal government) conference on January 20th 2015.
The fact that these convocations arrive all at the same time, even if those events took place separately in a large time scale between several months and years, raises some serious doubts about the true intentions of the Executive Council. Moreover, these are non-urgent situations and concerned students do not pose a threat to the university community. Why such a hurry? Why such reactions? As it has been stated in the support letter of De Nieuwe Universiteit of Amsterdam “[c]uriously, they [the Executif Council actions] coincide with the beginning of a new student strike against austerity measures and budget cuts in social services.” The current situation suggests that these disciplinary sanctions are purely political and meticulously calculated to annihilate the cultural activism of UQAM student community, whereas 60 000 students around Québec are triggering strike movements.
The concerned students are left helpless since the student representative on the Executive Council is aimed by three different accusations such as “having blocked a corridor” or “having raised the tone of voice.” Her appearance in front of the Executive Council and her possible suspension before the other students de facto eliminates the only student representative of the Council, leaving the other students alone before the university’s administration. Furthermore, the expulsion, which is the most severe sanction that could be used on students, should only be applied in severe cases of aggression threats or repetitive plagiarism. Even in these cases, students must first pass through committees at the departmental level and faculty before being heard by the Executive Council. The fact that the University bypass these normal procedures will have disastrous consequences on the concerned students, since they have invested hundreds of hours and thousands of dollars in their studies only to see their efforts swept away.
On the behalf of freedom of expression and freedom of opinion, the UQAM administration’s political repression shall end and the disciplinary sanctions on the nine concerned students shall be removed. The outrageous power abuses demonstrated by the administration represent a worrying discriminatory treatment that will have tremendous consequences for the concerned students.
L’équipe CORTECS, Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique & sciences. www.cortecs.org
* Fin de l’occupation de l’UQAM après l’intervention du SPVM, Radio Canada.