La médecine et ses "alternatives", quelques outils d'autodéfense pour militant.es…

En ce début octobre 2013 paraissait la revue La Traverse N°3, éditée par les Renseignements Généreux. S’il en est qui n’ont pas consulté les numéros précédents et leur contenu, talentueusement mis en page par la graphiste Clara Chambon, qu’ils/elles se précipitent .
Richard Monvoisin y a écrit La médecine et ses « alternatives », Quelques outils d’autodéfense intellectuelle pour militant-es, reproduit ci-dessous, ainsi que sur Médiapart. En rouge, des corrections ultérieures.

Magnifique version pdf ici (sans la correction)

La médecine et ses « alternatives » – Quelques outils d’autodéfense intellectuelle pour militant.es

 
Je vais partir de la question suivante : quelles sont les raisons qui font que nous-mêmes, et nos proches, dont la santé est essentielle, nous détournons du système de soin classique pour recourir à des thérapies dites alternatives, quitte parfois à ce que l’efficacité du soin ne soit pas au rendez-vous ?

La médecine scientifique : hégémonie et gémonies

La médecine est un ensemble de techniques utilisées pour guérir un mal-être ou une pathologie particulière, ou pour prévenir leur apparition. L’objectif premier du médecin est de mettre au point des méthodes efficaces, c’est-à-dire des techniques qui, appliquées, permettent d’obtenir plus de guérisons qu’on n’en obtiendrait sans rien faire. Pour cela, il lui est nécessaire d’étudier longuement la physiologie et la psychologie de l’humain, et cela pose à mes yeux au moins cinq problèmes politiques majeurs à regarder de près.
Le premier problème vient directement de ces longues études : ayant suivi un long cursus, le toubib jouit d’un statut d’élite, supérieur aux pharmaciens, maïeuticiens (les « sage-femmes »), infirmiers, aide-soignants, et s’en sert souvent. Les médecins ont souvent cette morgue agaçante de ceux qui, comme les avocats ou les garagistes, nous placent dans une situation de dépendance technique – à la différence qu’il n’y a pas d’exercice illégal de la loi ou de la mécanique. Comme il y a par contre un exercice illégal de la médecine, que c’est la loi qui tranche entre ce qui est de la « bonne » médecine et de la « mauvaise », et que de fait il n’y a pas de processus démocratique consultatif sur les lois qui fixent le curseur, cela donne l’impression vague d’un corps « officiel » s’étant octroyé une hégémonie sur la santé, sur notre santé. Il n’est donc pas étonnant que des militants politiques méfiants envers des experts proclamés par l’état et semblant s’approprier une question qui nous appartient – le rapport à notre corps – dénoncent le statut mandarinal du médecin, et contestent son autorité, qui va parfois jusqu’à prendre des décisions à l’insu du patient, ou l’incorporer dans une étude sans le lui dire. Partant du principe que chacun.e est libre de disposer de son propre corps, il n’est pas illogique de contester les médecins qui doutent de la santé mentale et font la morale à un.e trans1, ou à une femme souhaitant avorter, qui font la leçon aux toxicomanes ou n’octroient pas aux personnes en souffrance le droit de mourir quand bon leur semble.
 
En revanche se posera alors la question, par exemple, de notre positionnement par rapport au Témoin de Jéhovah (TJ) qui refusera une transfusion sanguine car perçue comme contraire à ses principes religieux. J’ai envie de dire que si les risques encourus sont clairement exposés au malade, la décision ultime lui appartient, mais le problème se déplace si ce sont les parents TJ qui réclament que leur enfant TJ ne soit pas transfusé. Je laisse cette question en suspens pour nos longues soirées d’hiver.
 
Le deuxième problème est la question de l’efficacité. Devant un tel statut d’autorité, le patient a une attente de toute puissance, et s’attend à 100% de guérison. Or il n’existe pas de méthode efficace à 100%. Tout au plus peut-on nous dire que dans l’état où nous sommes, à l’instant t, la probabilité que telle intervention nous sorte de la maladie est de tant, sur la base de toute la littérature scientifique sur le sujet. Contester le médecin parce qu’il est autoritaire est un point, le contester parce que 100% des gens ne guérissent pas ce qui prouverait le naufrage de la médecine scientifique est une erreur.
 
Le troisième problème est plus subtil, car il entraîne dans des chemins métaphysiques. Généralement, le patient gravement atteint cherche plus qu’une cause physique à sa maladie : il cherche une « raison », un pourquoi. Pourquoi moi, qu’est-ce que j’ai fait au bon dieu pour mériter ça, etc.  Aussi compréhensible soit-elle, cette question est du même genre que celle sur le sens de la vie, ou sur « pourquoi moi, je suis dans le corps-là, maintenant, et où vais-je aller après ma mort ? ». La poser à un médecin est un peu la même chose que demander le sens de notre existence à notre employeur, ou au chauffeur du bus. Là où le malade demande pourquoi, le médecin ne peut répondre que comment ; quand la personne cherche un « sens », le médecin ne peut que donner des « raisons ». C’est assez insatisfaisant, bien sûr. Dire à quelqu’un ayant développé une maladie que c’est normal, qu’il est la personne sur 100 prévue par la théorie, est aussi dur que d’expliquer à un autre qui a gagné au loto que cela n’a rien à voir avec la chance. Il était prévisible que le gros lot / le cancer tombe sur quelqu’un ; maintenant, que ce soit vous, moi ou un autre est un hasard de tirage au sort parmi des populations-cible (celles qui jouent pour le Loto, celles qui cumulent susceptibilités génétiques et comportement ou contexte à risque pour les cancers)1.
 
J’ai tendance à penser que cette recherche d’un sens caché est un mélange entre une morale religieuse qui nous a martelé que tous les épisodes qui nous arrivent sont le fait de la volonté d’un Dieu, et une occultation permanente de la mort en France (hormis pour les chrysanthèmes de la Toussaint) : on fait un peu comme si on ne mourait jamais, on nous épargne la vue de nos proches défunts pendant toute notre jeunesse, et on aborde rarement sans prendre un ton solennel la manière dont on aimerait mourir. Même aujourd’hui parler de ses propres obsèques est un tabou fort. Alors quand le médecin annonce une mort possible ou probable, le cerveau ne peut absorber la nouvelle : d’abord il rechigne, puis tente de s’accrocher à des questions supérieures, des questions de sens auxquelles le médecin ou le scientifique ne peuvent hélas absolument rien répondre. Autant d’interrogations qui font par contre la fortune des prêtres au chevet des moribonds terrorisés, la fortune de Mère Teresa qui baptisait contre leur gré de futurs défunts2, et des techniques alternatives type Biologie totaleMédecine nouvelle de Hamer, Dianétique ou Psychogénéalogie qui vont fournir un choix de « raisons » séduisantes à la maladie  (selon nos goûts, un conflit interne,  un Dirk Hamer Syndrome par filiation, un engramme mal réglé ou un fantôme hérité d’autres générations, et transmis à notre insu3).
 
Je crains qu’il n’y ait finalement que deux possibilités pour trouver le « sens » de la vie – et celui de la mort à plus forte raison : soit au rayon surgelé des prêtres, des imams, ou des philosophes à la mode, qui construisent des réponses toutes faites et peu autonomisantes ; soit dans l’activisme personnel, pour construire un sens de vie politique, ici-bas, sans attendre un quelconque au-delà chantant. J’y reviendrai dans la conclusion
 
Le quatrième problème est la manne financière que représente le médecin : prescripteur, il fait qu’il le veuille ou non les beaux et les mauvais jours des médicaments et des équipements coûteux. Pas étonnant donc que les industriels développent des politiques marketing très agressives, développant des gammes de séduction auxquelles il est franchement difficile de résister, allant de cadeaux séditieux à des financements de colloques scientifiques de grand intérêt, – colloques qui n’auraient d’ailleurs généralement pas pu être financés autrement. Les militants politiques, là encore, y voient à raison un avatar du capitalisme industriel et se demandent parfois dans quelle mesure le médecin n’est pas pris dans un conflit d’intérêt avec une industrie lorsqu’il prescrit, lorsqu’il cherche, lorsqu’il se fait envahir par des visiteurs médicaux, quand il siège dans des commissions d’autorisation de mise sur le marché.
 
Enfin, le cinquième problème est celui du soin. La santé était l’objet d’un service public qui est démantelé lentement, en mille morceaux, pour diverses raisons prenant toutes leur source dans l’ultralibéralisme économique dont l’Accord Général sur le Commerce des Services, annexe des accords constitutifs de l’Organisation Mondiale du Commerce est le principal burin. On retrouve là un conflit classique dans les discussions anti-domination : passer par un service public géré par l’État est une forme de soumission, mais finalement bien moindre que de passer par des solutions de libre concurrence, les cliniques privées par exemple, qui créent des accès au soin à plusieurs vitesses se résumant ainsi : aux plus fortunés les meilleurs soins, et que les autres fassent la queue. Quant à ceux qui sont gravement malades, non solvables, ou dont les soins ne rapportent rien, eh bien… qu’ils aillent se faire voir chez les Grecs. Chomsky a popularisé un slogan du Movimento dos Trabalhadores Sem Terra, les Fermiers Brésiliens Sans-terre : « étendre la surface de la cage avant de la casser. ». L’État est une cage, certes, mais en dehors de la cage il y a des fauves qui sont les grandes compagnies privées et, d’une certaine façon, la cage nous protège des fauves. Il faut donc étendre les barreaux de la cage, mais ne pas la retirer tout de suite au risque de se faire croquer.
 
C’est ainsi que de fil (à recoudre) en aiguille (de seringue) les hôpitaux publics accueillent une majorité de gens, la moins fortunée, avec des moyens et du personnel se réduisant au jour le jour. Et qui dit moins de moyens et d’accueil dit dépersonnalisation du soin, stress, conditions de travail pénibles, rythmes infernaux et donc prise en charge médiocre, sinon indécente comme dans les services d’Urgence.
 
Donc, pour un public grandissant, la médecine scientifique est qualifiée d’« officielle », cumule autoritarisme, non-réponse aux questions métaphysiques, collusion avec les industriel.les, prise en charge froide, pressée et défaillante, tout ceci pour des résultats qui ne sont « même pas » de 100% et des prises de risques parfois cachées (comme dans les affaires récentes du Mediator, ou du Vioxx). Et je ne parle même pas du fonctionnement hospitalier très hiérarchisé, ou du refus du choix des actes les moins rentables. Il est temps de créer des alternatives, c’est évident.

Réappropriation, à quel prix ?

… c’est évident. Les mots d’ordre intuitifs sont donc : réapproprions-nous notre corps, soignons-nous nous-même, exproprions le corps médical de ses droits comme on exproprie les riches propriétaires de leurs latifundio, et ne dépendons plus des médecines qui, comme chantait Renaud, « est une putain, son maquereau c’est le pharmacien ». À ces slogans, même les manchots signeraient. Pourtant…
 
Si se réapproprier notre corps signifie l’écouter plus, et sentir les débuts de lombalgie, prévenir les contextes allergiques ou veiller à son sommeil, pas de problème. Si cela signifie par contre prétendre tout sentir et tout savoir sur notre corps par simple « écoute de soi », c’est un leurre. Il est difficile de sentir une appendicite secréter son pus à l’avance, il est malaisé de distinguer une migraine d’une tumeur au cerveau, l’apparition d’un diabète ne se détecte pas par introspection et on ne connait pas d’intuition mystique qui permette de sentir si une tâche ou un kyste sont bénins ou malins. Soignons-nous nous-même ? Sauf à se tromper de plante comme Christopher McCandless dans le film Into the Wild4 cela marchera entre huit et neuf fois sur dix, puisque huit à neuf pathologies humaines sur dix disparaissent spontanément. Pour les autres cas, il faudra recommencer 2000 ans de botanique poussive, de pharmacologie et de galénique laborieuse pour obtenir un remède efficace. Enfin, ne dépendons plus des médecins, d’accord, mais entre nous, êtes-vous près à confier une opération de la cornée ou des dents de sagesse à n’importe quel quidam venu ? Pas moi.
 
Se passer des médecins est possible. Soit on sait ce qui relève de la guérison spontanée et de la pathologie bénigne, et on court chez le toubib pour les autres cas. Soit il faut étudier la médecine. C’est possible, mais il faut entre 7 et 10 ans, passer le concours d’entrée et lire l’anglais. Je connais des militants qui ont décidé de se former solidement en économie pour contrer le dogme dominant, d’autres qui ont décidé de se former pour cultiver la terre afin de ne plus dépendre des grands céréaliers et des serres maraîchères esclavagistes de Murcia, au sud de l’Espagne. Je connais des militant.es de l’action directe qui sont devenus avocat.es pour la cause. En médecine, je ne connais pas grand monde qui a fait le choix de faire Médecine pour spécifiquement se réapproprier sa santé. Pour expliquer ça, je fais une hypothèse : il y a une telle multiplicité de thérapies, médecines alternatives, douces ou complémentaires, qui se développent et qui proposent de presque tout guérir en 3 mois de stage, 3 semaines de formation, et un livre du fondateur que personne n’a envie de consacrer au moins un dixième de sa vie entouré de carabins braillards5.

L’arbre des possibles

Imaginons que je veuille acheter un slip qui ne soit pas fabriqué par un prisonnier chinois. Je vais fouiller, refouiller, jusqu’à ce que je trouve un slip fabriqué dans des conditions décentes par un travailleur épanoui. Mais à la fin, je veux quand même un slip, c’est-à-dire un truc qui tient au cul tout seul, qui laisse passer les deux jambes, que je peux enlever facilement et qui ne gratte pas. Si le seul slip-non-fait-par-un-détenu-chinois est une vague boule de tissu écru sans élastique, je n’ai plus que trois solutions : la première, retourner vers le slip-fait-par-un-détenu-chinois (de dépit). La deuxième, tisser moi-même mon slip (autonomie accrue, mais il faut que j’apprenne). La troisième, renoncer purement et simplement au slip.
 
Revenons à nos boutons. Si je veux un soin qui se passe d’un médecin autoritaire et de la pharmacologie agressive, je vais fouiller, refouiller jusqu’à ce que je trouve un médecin non autoritaire qui garantit son indépendance vis-à-vis des industriels. À la fin, je veux quand même un soin efficace, c’est-à-dire le soin qui me garantit le maximum de chances de guérir – et s’il en est deux qui proposent la même garantie, je choisirai celui qui me convient le mieux. Si le seul soin-sans-médecin-autoritaire-ni-pharmacologie-agressive est une obscure technique de prière indonésienne faisant appel au dieu Chacal par ingestion de l’hallucinogène ayahuasca dans une yourte de sudation, je n’ai plus que trois solutions : la première, retourner vers le soin-avec-médecin-autoritaire-et-pharmacologie-agressive (de dépit). La deuxième, apprendre moi-même à faire un soin à efficacité maximum (autonomie accrue, mais pour le cas sur 10 non bénin, il faut que je fasse Médecine). La troisième, renoncer purement et simplement au soin, avec les risques que cela comporte.
 
Encart
Effet placebo, efficacité réelle, pathologie spontanément résolutive et médecines alternatives : quelques notions de base pour l’honnête militant-e alternatif
 
On peut semble-t-il faire remonter à quelques dizaines de siècles le constat suivant : un patient qui a confiance en son thérapeute aura de meilleurs résultats que… s’il n’a pas confiance. Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit généralement pas de meilleures « guérisons » : on ne guérit hélas pas vraiment plus. Par contre, on le vit mieux. Le patient aura ainsi une meilleure appréciation de son état, vivra mieux son mal-être, ses douleurs et les évaluera comme moins pire après la visite, indépendamment de l’acte qui lui est prodigué, que ce soit une injection, un massage, une discussion introspective ou un comprimé.
 
C’est ainsi qu’est né l’effet placebo, du latin je plairai – qui vient de Placebo domino, « je plairai au Seigneur » 6 – qui est l’écart positif, entre le résultat thérapeutique d’un soin et son efficacité réelle ; en gros, le « bonus en plus » de l’efficacité réelle du soin. Ce bonus est un mélange d’auto-suggestion et de sécrétion de substances par notre cerveau, les endorphines, stimulées par la confiance et qui baissent la douleur ressentie. La grosse surprise est que tout acte thérapeutique efficace ou non entraîne un effet placebo, effet d’autant plus important que la pathologie est psychosomatique, ou dépendante de l’état psychologique du patient. En clair, il y a effet placebo que le soin soit efficace ou non.
 
Un certain nombre de médecins malgré eux ont compris cela : lorsqu’ils ne savaient pas vraiment que faire pour un patient, ils lui donnaient des substances « vides », des placebos. On dit que c’est dans son Dictionnaire Médical de 1811 que le médecin Robert Hooper nomma pour la première fois placebo la « dication destinée plus à plaire au patient qu’à être efficace ». À la même époque le médecin Jean-Nicolas Corvisart utilisait avec succès des boules de mie de pain pour l’entourage de Napoléon.
 
Ainsi a-t-on cerné progressivement les diverses facettes du placebo, que la psychologie appelle les effets contextuels : le prix élevé d’une consultation, un diplôme ronflant, un thérapeute à la mode et une longue queue devant le cabinet jouent aussi sur l’évaluation de notre mieux-être consécutif au soin. Idem pour les médicaments, dont la forme, la couleur et le prix entraînent un effet placebo. Deux comprimés placebo valent mieux qu’un seul et les gros comprimés font plus de bien que les petits. Même le nom « scientifique » agit : la mie de pain de Corvisart séduisit seulement sous le nom de Mica panis. Maintenant ce sont Viagra (que les publicitaires tirèrent de viril et Niagara) ou Seresta (sérénité et stabilité), mais aussi Medorrhinum (pus urétral de blennorragie), Pertussinum (crachat de coquelucheux) ou Oscillococcinum (autolysat de foie et de cœur de canard de barbarie) qui jouent sur le latin pour amplifier leur effet.
 
Le médecin Richard Asher pointa aussi ce paradoxe qui a gardé son nom : plus un thérapeute est autoritaire et persuadé d’avoir raison, plus le patient évalue comme valide le soin reçu 7. Au contraire, un thérapeute qui doute, ou une thérapie détestée par le patient entraînera un effet placebo négatif qu’on appelle alors nocebo (je nuirai).
 
Placebo = cerise, efficacité spécifique = gâteau
 
Pour savoir si un acte médical, soin, manipulation ou médicament a un effet réel sans les effets contextuels (les médecins disent une efficacité « spécifique ») il a fallu faire des tests en simple aveugle.
 
Imaginons que nous voulions tester une pilule : il nous faut un groupe – les médecins disent une cohorte – de patients consentants tous avec le même problème que la pilule prétend arranger ou guérir. On tire au sort la moitié qui prend la vraie pilule, et la moitié qui prendra un placebo de la pilule (même forme, même goût mais qui ne contient rien). Ainsi les patients ne savent pas s’ils reçoivent le médicament ou son placebo. La différence d’amélioration entre les deux groupes donnera l’efficacité spécifique de la pilule, et l’amélioration du groupe placebo renseignera sur l’ampleur de l’effet placebo déclenché.
 
Bien entendu, ce n’est pas toujours possible de faire un test en simple aveugle. Avec l’acupuncture par exemple, c’est faisable, car on peut faire un placebo d’acupuncture en utilisant des aiguilles retractables qui donnent l’illusion d’être plantées mais qui ne le sont pas. Par contre, il est très difficile d’évaluer ainsi l’intérêt spécifique d’une thalassothérapie par exemple, car comment faire un placebo de thalassothérapie ?
 
Toutefois, le simple aveugle n’est pas suffisant. C’est une mésaventure qu’on prête à Stewart Wolf, vers 1940, qui fit avancer encore d’un cran l’évaluation. On raconte que Wolf reçut un médicament nouveau qu’il testa sur ses patients, lesquels lui en dirent immédiatement le plus grand bien.  Conscient de la possibilité d’un effet placebo, il demanda au laboratoire un placebo de ce médicament, et le donna en cachette à ses patients qui illico remarquèrent la perte d’efficacité. Wolf s’apprêtait à conclure que le produit était excellent, avec une efficacité spécifique énorme… lorsque le labo l’informa que les médicaments envoyés étaient tous des placebos depuis le début.
 
Des indices non verbaux, des mimiques, des comportements à peine perceptibles avaient probablement renseigné les malades sur l’efficacité que Wolf attendait. Wolf créait ainsi sans le vouloir une sorte de prédiction auto-réalisatrice. On comprit donc qu’évaluer un produit nécessitait que le patient ne sache pas ce qu’il reçoit, et qu’en outre le thérapeute ne sache pas ce qu’il donne.
 
Ce fut la naissance du double aveugle, appelé parfois double insu, condition sine qua none pour prouver l’efficacité d’une technique. Simple à mettre en place, on peut utiliser le double aveugle aussi bien pour tester des thérapies que pour tester par exemple notre capacité à reconnaître un vin rosé d’un rouge, une bière blonde d’une brune, différentes sortes de fromages, etc.
 
En résumé, on parle d’étude en « ouvert » (open design) quand le médecin et le patient connaissent la nature du traitement ; de simple aveugle ou simple insu (simple blind) lorsque le médecin connaît la nature du traitement, non le patient. Notons que les nécessités réglementaires et éthiques de l’information de patients font que le simple insu est en pratique impossible. Et enfin, on dira étude en double aveugle (double blind) lorsque ni le patient, ni le médecin investigateur ne connaissent la nature réelle du traitement. Le terme « triple aveugle » est parfois utilisé : il désigne un essai dans lequel même la personne qui dépouille la statistique des résultats ne connaît la nature du traitement.
 
Placebo démesuré ?
 
On entend souvent que l’effet placebo est énorme, et par exemple que les cancers et autres pathologies graves peuvent se résorber par la simple volonté du malade. Ce n’est malheureusement pas le cas (et c’est en plus culpabilisant pour le malade qui ne guérit pas). L’effet placebo est largement surestimé. Voici trois des nombreuses raisons.

  • D’abord, comme je l’ai écrit plus haut, une majorité des affections disparaissent spontanément, quoi qu’on y fasse. Soigne ton rhume, dit le proverbe, il durera sept jours. Ne le soigne pas, il durera une semaine. On fait une erreur de causalité, et on prête ainsi à l’effet placebo ce qui est l’œuvre du temps.
  • La deuxième raison porte un nom barbare : la régression à la moyenne8. Un patient vient souvent voir le médecin quand il est dans le pic de la souffrance. Si on vient prendre une pilule au moment d’un pic, il est très probable que le mieux soit dû non à la pilule mais à la redescente naturelle vers la position moyenne.
  • Une troisième raison est appelée effet Hawthorne et mérite un détour historiqueEntre 1924 et 1932, le psychologue Elton Mayo conduisit une suite d’essais dans les usines de Hawthorne de la Western Electric Company, aux États-Unis qui devaient montrer si des modifications simples des conditions de travail comme l’éclairage pouvaient avoir des effets sur la productivité des ouvriers. À sa grande surprise, la productivité a augmenté qu’on augmente, ou qu’on diminue la lumière, et même lorsque les ampoules étaient remplacées par de nouvelles de même puissance. Ce n’étaient cependant pas les conditions extérieures qui étaient décisives pour les résultats, mais la participation à l’étude en soi, et l’attention accrue des sujets sur l’impression que quelque chose s’était passé. L’effet Hawthorne prévoit donc que des sujets qui se savent inclus dans une étude ont tendance à être plus motivés et répondre un peu ce qu’ils présument qu’on attend d’eux9.

Il y a encore d’autres raisons, plus techniques, que je n’aborde pas ici.

 

Les médecines alternatives sont-elles des médecines, et sont-elles alternatives ?

Voici donc la question qui fâche, et il y a tant de théories différentes que c’est difficile de répondre en vrac. Je ne vais prendre que quatre des exemples principaux en France : l’homéopathie, l’acupuncture, les élixirs floraux de Bach et la naturopathie. Je précise d’emblée que ce que je vais écrire n’est pas une opinion, mais le fruit d’une étude approfondie, et que j’ai moi-même longtemps été persuadé de l’exact contraire. Et comme nous sommes contre le prêt-à-penser, j’encourage les lecteurs à vérifier tout ce que je raconte s’ils ont le moindre doute.

L’homéopathie

Les fondements de l’homéopathie, posés par Samuel Hahnemann en 1796, sont au nombre de quatre (la pathogénésie, les hautes dilutions, la succussion et l’individualisation, cf. encart). On sait désormais que les trois premiers sont soit démontrés faux, soit affirmés sans preuve. Seul le quatrième a un réel intérêt, celui d’individualiser, de donner la sensation au patient d’être pris dans toute sa personne dans un laps de temps plus long qu’une majorité de médecins non-homéopathes – et l’on fera le lien avec les notions d’effets contextuels abordés plus haut. Chose paradoxale, le médicament homéopathique le plus vendu est un médicament non individualisé, l’Oscillococcinum. Toutes les études en double aveugle montrent toutes le même résultat : l’homéopathie est un bon générateur d’effet placebo. Son efficacité spécifique, elle, est nulle. On pourrait alors se demander comment est donnée l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) de l’homéopathie, puisque dans l’AMM, il faut prouver l’efficacité spécifique de la substance. La réponse est vraiment étrange : les médicaments homéopathiques sont les seuls médicaments dispensés de faire la preuve de leur efficacité. Ils jouissent de conditions d’AMM allégées, sorte de passe-droit que guigneraient volontiers tous les autres éléments de la pharmacopée. Il y a beaucoup d’articles disponibles pour entrer dans le détail de ces fondements de l’homéopathie. Voici un bref résumé.
  • Pathogénésie. Hahnemann est parti du principe qu’on doit soigner le mal par le mal, et a posé la règle suivante : si un poison crée des dégâts chez un sujet sain, on doit pouvoir l’utiliser pour guérir ces mêmes dégâts. Mais afin de ne plus avoir le « poison », mais seulement son message, il faut le diluer suffisamment, puis le dynamiser (cf. plus loin). Prenons un exemple : si le café maintient éveillé un sujet sain, alors selon Hahnemann du café hautement dilué et dynamisé (médicament homéopathique Coffea cruda) entrainera le sommeil chez une personne insomniaque. Hahnemann a ainsi posé des centaines de poisons, qui vont deMephitis putorius (sécrétion de la glande anale du putois) à Tonsillinum (extraits d’abcès d’amygdales) – et qui bat en brèche l’idée répandue que l’homéopathie est une médecine à base de plantes. Cette règle de pathogénésie sur la base des poisons est désormais abandonnée en médecine, car elle ne fonctionne pas et il n’y a aucun indice suspectant que ça puisse fonctionner. Chose étrange, l’homéopathie d’aujourd’hui n’est plus indexée sur les pathogénésies du fondateur.

Attention, le mécanisme vaccinal n’est pas le même : alors que Hahnemann veut soigner le mal par la substance hautement diluée et dynamisée qui à l’origine pouvait créer le mal chez un sujet sain, le vaccin « prévient » une maladie en préparant le corps à la substance qui le rendra malade, et cela avec des doses importantes. Là, quel que soit son point de vue moral dessus, la technique fonctionne, et le mécanisme physiologique est largement décrit depuis plus d’un siècle.

  • Très hautes dilutions. La substance de départ est diluée dans 99 fois son volume de solvant (l’eau en général, parfois l’alcool) pour obtenir 1 CH, ou Centésimale Hahnemanienne. CH2 revient à prendre une goutte de CH1, et rediluer dans 99 gouttes de solvant (donc un volume de substance, pour 10000 volumes de solvants, etc.) A partir de CH12, il n’y a pratiquement plus aucune chance de trouver la molécule de départ, et chaque CH en plus divise cette chance par 100. À 5 CH, l’équivalence de dilution est un fond de bière (1 cl) dans 40 piscines olympiques. À 12 CH, c’est la même goutte de bière dans tous les océans du monde. Les plus curieux auront remarqué qu’un autre type de dilution est utilisé entre autres pour l’Oscillococcinum dilué à la 200e K. La technique K du nom de son inventeur l’homéopathe Semen Korsakov revient à rincer 200 fois un récipient avec de l’eau et en secouant très fortement à chaque rinçage, ce qui est une technique de dilution au bas mot hasardeuse.Devant de telles techniques, la seule solution fut d’invoquer l’idée que même en l’absence de substance, un message se répand dans le solvant qui en garde une « mémoire ». C’est ainsi que naquit l’histoire de la « mémoire de l’eau », née d’une publication dans Nature en 1989 de résultats que l’on a démontrés depuis comme frauduleux. Ceci dit, rien pour l’instant ne vient à l’appui d’une telle « mémoire », mais qui sait ? Peut-être un jour la science montrera-t-elle son existence. En attendant, cette hypothèse n’est pas nécessaire car l’efficacité relative de l’homéopathie ne dépasse pas les effets contextuels placebo.
  • La succussion. Voyant qu’en diluant ses poisons, il diluait également les principes actifs, Hahnemann eut l’intuition de secouer le mélange pour le « dynamiser » et retrouver ainsi le « message » de départ. Pour l’instant, il n’existe aucun élément à l’appui de l’idée que secouer une solution dans laquelle trop peu de substances actives sont présentes réveillerait et stimulerait une activité. Pour imager un peu, c’est comme si, secouant un extrait de pastis dilué à un point où il n’y a plus les molécules du pastis, on retrouvait du pastis.

L’efficacité thérapeutique repose sur la confiance que les patients lui vouent couplée aux pathologies spontanément résolutives et aux régressions à la moyenne expliquent son succès. Les mêmes effets contextuels sont observés chez les nourrissons. Quant aux animaux, idem (c’est montré depuis 1999 par McMillian) avec un paramètre en plus : non seulement les animaux sont sensibles aux effets contextuels – attention accrue, visites plus nombreuses, caresses – mais en outre le mieux-être est évalué par le propriétaire, non par l’animal lui-même. Et il est rare que le propriétaire ne sache pas quels sont les résultats attendus, ce qui est une belle brèche dans le double aveugle.

Les fleurs de Bach

Les élixirs floraux ont une théorie fortement mystique, non basée sur des évaluations réelles mais sur l’intuition et la « révélation » du fondateur, le très pieux Edward Bach. Les rares études développées, que j’ai toutes lues avec attention 10, ont montré que ces élixirs ont sensiblement la même efficacité propre que l’homéopathie, avec ceci que les symptômes que les fleurs se proposent de soigner sont très subjectifs (red chestnut pour lutter contre la tendance mère-poule par exemple, sweet chestnut pour le « sentiment d’être au bord du gouffre » ou le célèbre rescue, ou remède de secours pour toute situation de stress).

L’acupuncture

L’acupuncture est un peu différente. Même si la théorie est un vrai bricolage, que les cartes de points sont un tel bazar qu’il a fallu ré-harmoniser toutes les cartes disponibles, et que les supports énergétiques prétendus n’ont jamais été isolés ou mis en évidence, on s’est rendu compte chez l’humain comme chez les grands mammifères que le fait de piquer la peau a un intérêt. En double aveugle, les résultats sont sensiblement les mêmes chez les acupuncté.es que chez cell.eux qui sont piqués hors point méridien ; idem pour ceux chez qui on a simplement donné l’impression de planter une aiguille (rétractable), ce qui laisse penser que c’est moins l’acupuncture et sa théorie que l’aiguille seule qui exerce un effet intéressant. On a également remarqué que l’acupuncture marche d’autant mieux que les thérapeutes sont aimables et gentil.les. On dit aussi – mais je n’ai pas trouvé de source – que la technique marche encore mieux quand il.les sont typé asiatique, si possible chinois. On entend parfois dire que « tout de même, si les Chinois s’en servent depuis des millénaires, c’est qu’il y a une raison ». Non seulement on peut se servir des millénaires de choses inefficaces (comme les lavements ou les ventouses en France), mais on se sert aussi de l’effet placebo depuis des millénaires. À titre d’anecdote, il est stimulant d’apprendre que l’acupuncture avait été fortement délaissée en Chine fin XIXe, considérée comme la thérapie du pauvre, et il a fallu attendre un coup de bluff scientifico-politique de Mao envers les États-Unis en 1971 pour relancer la mode hors-Chine 11.
 
La naturopathie2
 
C’est un domaine très touffu, puisqu’il mélange des techniques à fort mysticisme, des procédés pseudoscientifiques, à une partie phytothérapie, à velléité scientifique, certaines plantes pouvant avoir une certaine efficacité relative (même l’efficacité de nous expédier en aller simple pour l’au-delà, comme la belladone ou la digitale). La naturopathie repose toutefois sur une prémisse fausse : que tous les remèdes humains sont dans la nature, ce qui laisserait penser que la Nature a été créée pour l’Humain et son utilisation, avatar de la bonté de Dame Nature et de la force curative vitale vantée au Moyen-âge. Ceci dit, il est des plantes possédant des principes actifs, mais noyées dans un amas d’affirmations non démontrées dans presque tous les bouquins de botanique populaire. On lit par exemple que la tisane de tilleul fait dormir, alors que la même tisane sans le tilleul assoupit dans les mêmes proportions… ce qui permet de se passer de tilleul, et de ne garder que l’essentiel : l’eau chaude. En outre il faut d’une part jauger le bénéfice contre les effets secondaires – car tout principe actif a des effets secondaires possibles ; mais aussi évaluer la dose nécessaire, car s’il s’agit de manger plusieurs kilos de cerfeuil pour avoir sa dose de vitamine C, il devient vite nécessaire de compacter la part intéressante dans un petit granulé et c’est… la naissance du médicament, avec les dérives commerciales que l’on connaît.

Alors ?

Moi qui conteste le système de santé, l’autoritarisme médical, les industries pharmaceutiques et leur mainmise, je fais un constat assez perturbant.
 
Les thérapies alternatives n’offrent pas une alternative économique.
 
Si j’excepte quelques recettes mises en open-source (dont l’efficacité n’est pas toujours au rendez-vous) je ne vois qu’une série d’initiatives marchandes privées. Le marché des médecines alternatives est exemplaire de capitalisme, depuis la suprématie monopolistique de l’entreprise Boiron qui a tout racheté, aux entreprises florissantes d’élixirs floraux comme Nelson’s ou Center Bach qui se font une guerre commerciale à coup de procès ; des salons du bien-être à celui de la détox aux gadgets dépassant plusieurs centaines d’euros présentés dans des foires hautement commerciales.
 
Les thérapies alternatives n’offrent pas une alternative politique.
 
J’y vois au contraire une pulvérisation et une dépolitisation du mal-être. Alors que beaucoup de souffrance provient des aliénations classiques, patronat et subordination, sexisme, discrimination et souffrance au travail, les thérapies alternatives proposent à leurs clients en souffrance des solutions…. individuelles. Vous souffrez de ne pas pouvoir dire fuck à votre patron ? Ne lisez surtout pas Thoreau, Bakounine, ou Soumission à l’autorité de Milgram, mais prenez une gélule d’oligoéléments. Oh, vous ne pourrez toujours pas dire fuck au boss, mais au moins vous vous sentirez mieux. Vous avez un fort instinct maternel ? Ne lisez surtout pas Simone de Beauvoir ou Christine Delphy, prenez l’élixir Red Chestnut. Vous, jeune étudiant, vous stressez à l’école ? N’allez pas discuter avec Catherine Baker et parler d’insoumission à l’école obligatoire, prenez des extraits de pépins de pamplemousse et des massages énergétiques.
 
Les thérapies alternatives n’offrent pas une alternative à la soumission à l’autorité.
 
Je n’aborde pas le sujet des pères fondateurs de la plupart des médecines douces, qui lorsqu’on les lit dans le texte, nous transportent plus du côté au mieux de l’écologisme de droite et de l’illumination à la Swedenborg, au pire vers les thèses de soumission aux esprit des Grands Maîtres de l’Anthroposophie, et aux thèses astrologo-racistes d’un Rudolf Steiner 12. Plus prosaïquement, il n’y a pas grande différence en terme de soumission à l’autorité entre quelqu’un qui dépend d’un anxiolytique et quelqu’autre qui dépend d’une caisse pleine d’homéopathie. J’ai des amis tout contents de ne plus aller chez le médecin, mais qui voient leur ostéopathe chaque semaine, l’étiopathe et le diététicien tous les mois, et qui téléphonent régulièrement à leur micro-kiné et leur barreur de feu. La réappropriation de notre propre santé se refait confisquer. Quitte à utiliser un placebo, je ne vois pas en quoi il est libérateur d’aller l’acheter à une multinationale dont les patrons et l’actionnaire principal sont dans les 200 plus grandes fortunes françaises.
 
Alors ? Si on ajoute que les thérapies alternatives n’offrent pas une alternative à l’efficacité, c’est-à-dire que l’efficacité réelle des thérapies est largement moindre que les thérapies scientifiques, je ne perçois plus du tout l’intérêt de départ. Et moi qui souhaite voir mes compagnon-nes politiques en pleine forme, je suis inquiet.

Que faire ?

Voici ce que pour ma part j’ai décidé de faire, et qui est accessible à pratiquement tout le monde.
 
D’un côté : j’ai décidé de quitter les médecins qui me prennent 5 minutes entre deux portes, et qui accueillent des visiteurs médicaux des industries pharmaceutiques. J’essaie de savoir s’ils lisent la seule presse médicale indépendante, la revue Prescrire, plutôt que les brochures des grands groupes industriels. J’exige qu’ils soient membres du Formindep, association qui milite « pour une formation médicale indépendante au service des seuls professionnels de santé et des patients » 13, et je les titille sur leurs conflits d’intérêts.
 
D’un autre, j’ai appris à aller chercher par moi-même les études faites en double-aveugle sur les produits qu’on me donne (chercher le nom de la molécule de départ et le mot-clé « double blind » sur un moteur de recherche médical comme www.pubmed.com, avec quelqu’un qui lit l’anglais). J’ai également appris à plonger dans les textes d’origine des fondateurs (Hahnemann, Bach, Steiner, Nozier, Von Peczely, Freud etc.) dont les textes sont aussi disponibles que très rarement lus.
 
D’un autre côté encore, je milite pour de réels biens publics de santé, avec accès inconditionnel, personnel suffisant, gratuité des soins pour le maximum de gens, et indépendance de l’information médicale face aux lobbying industriel. Il s’agit d’un combat important car ces biens publics sont disloqués, morcelés par le gouvernement français et les directives européennes fortement libérales. Le fait que les hôpitaux ferment des lits, fonctionnent à flux tendu de personnel, ou acceptent des queues aux urgences n’est pas le fruit du hasard, mais d’une marchandisation du soin contre laquelle il faut se battre et dont les premières victimes sont les pauvres qui ne peuvent se payer des soins privés. Certaines opérations sont devenues plus rentables que d’autres, les mutuelles se transforment en assurances sous nos yeux, et une certaine morale s’y instille, vis-à-vis des toxicomanes, des autistes et de leurs parents, des femmes qui avortent, ou des transidentités3 qui sont méjugées.
 
Enfin, et c’est peut être le plus subversif, j’ai appris les mécanismes du placebo et à jouer avec. Je fabrique mes placebos, je fais des tisanes de sorcières avec plein de trucs dedans, et pour 8 à 9 pathologies sur dix, j’utilise la méthode la plus « naturelle » qui soit : j’attends et je glande. Et si par hasard nous contractons une pathologie lourde, il nous faut demander, exiger même, toutes les solutions possibles, leur taux d’efficacité, leurs effets collatéraux, quitte à se faire accompagner si les termes techniques nous complexent. Car c’est seulement ainsi que nous pourrons faire le meilleur choix, et l’imposer : le nôtre, quel qu’il soit. Car il sera fait en toute connaissance de cause. Le médecin ne sera plus que l’exécutant de notre choix éclairé, et les opinions, croyances et ressentis de chacun auront leur place et seront un élément de ce choix. Je hasarde donc un vœu : qu’on prenne l’efficacité de la médecine scientifique, et la douceur de la prise en charge des techniques douces, et qu’on créé une troisième voie, efficace et douce, mais aussi vraiment alternative : celle du combat pour des services publics de santé efficaces, égalitaires, mutualistes, patients, et délivrant une information fiable, contrôlable et indépendante des industries.
 
Richard Monvoisin, du collectif CorteX, Collectif de Recherche Transdiciplinaire Esprit Critique & Sciences (www.cortecs.org)

Notes

  • 1. Voir Effet pangloss, les dangers des raisonnements à reboursLa Traverse 2.
  • 2. Je n’utilise pas par hasard Mère Teresa, qui en plus d’être baptiseuse de moribonds, était intégriste conservatrice et anti-avortement comme l’a montré Christopher Hitchens dans Le mythe de mère Teresa ou comment devenir une sainte de son vivant grâce à un excellent plan média, Dagorno (1996) et dans Mère Teresa, une sainteté médiatiqueLe Monde Diplomatique (novembre 1996).
  • 3. Un exemple tout à fait épouvantable sur la Biologie totale est donné dans On a tué ma mère – Face aux charlatans de la santé, par Nathalie de Reuck et Philippe Dutilleul, Buchet Chastel (2010).
  • 4. Il semble que la version du film de Sean Penn soit un peu arrangée et que McCandless soit plus probablement mort d’une combinaison de sous-nutrition et du Mal du Caribou – hyperconsommation quasi-exclusive de protéines animales, appelée aussi Rabbit starvation.
  • 5. Le carabin, surnom de l’étudiant en médecine, est un terme qui désignait ceux qui enfouissaient les morts pendant les grandes pestes de la fin du Moyen-Âge.
  • 6. C’est le premier verset de la Vulgate, la Bible version latine, utilisé au V° siècle dans la liturgie lors de l’Office des morts
  • 7. Richard Asher en parlait dans son recueil d’articles non traduit Talking Sense, Pitman Medical (1972). À titre d’anecdote, Asher dénonçait la littérature scientifique incrustée de « foul-2-mots-6-byl-1,1-compréhensibles-2-tout-1-chakin » (allotov-words-2-obscure-4-any-1,2-succidin-understanding-them) et parlait des 7 péchés capitaux du médecin : l’obscurité, la cruauté, les mauvaises manières, la sur-spécialisation, l’amour du rare, la stupidité commune et la paresse (dans The Lancet, 27 août 1949, pages 358-60).
  • 8. Autre anecdote : on doit ce biais, cette « regression to the mean », à Francis Galton, grand savant mais également tragique fondateur de l’eugénisme, et inventeur de la systématique des empruntes digitales.
  • 9. Elton Mayo, Hawthorne and the Western Electric CompanyThe Social Problems of an Industrial Civilisation, Routledge (1949). Cela rejoint ce que les enseignants appellent parfois l’effet Pygmalion, sorte de prophétie autoréalisatrice qui consiste à influencer l’évolution d’un élève en émettant une hypothèse sur son devenir scolaire. Mais si l’effet Hawthorne est considéré comme certain, l’effet pygmalion a semble-t-il été surestimé.
  • 10. J’ai recensé tout cela dans Les fleurs de Bach, Enquête au pays des élixirs, Book-i-book.com (2008).
  • 11. L’opération de l’appendicite « sous acupuncture » du journaliste James Reston à Pékin lors du voyage du président Nixon, et racontée par ses soins dans le New York Times du 26 juillet 1971 fit grand bruit. Mais l’histoire est embellie, puisqu’il semble que Reston eut une anesthésie et des soins post-opératoires classiques auxquels fut adjointe de l’acupuncture.
  • 12. À propos de Steiner, je ne parle pas directement des écoles Waldorf, de l’agriculture biodynamique, des produits Weleda ou du mouvement Camphill, mais du père fondateur lui-même, Rudolf Steiner, dont il faut lire les textes pour se rendre compte qu’on n’est pas du tout dans l’alternative progressiste, mais plus volontiers dans le naturalisme chrétien d’extrême-droite. Cela vaut le détour de lire par exemple R. Steiner, Cours aux agriculteurs, Novalis (2003).
  • 13. Association Formindep www.formindep.org
  1. Et non un.e transexuel.le, terme que j’avais utilisé et qui est impropre – la transidentité n’impliquant rien sur le plan de la sexualité – et connoté – c’est un terme pathologisant, renvoyant à la psychiatrie des années 1950. Merci à Yves Bonnardel de m’avoir indiqué ce terme indélicat d’un autre âge.
  2. Et non la phytothérapie contrairement à ce que j’avais indiqué par mégarde. Merci à Charles Techer.
  3. et non des transexualités, comme je l’avais écrit au départ.