J’ai co-animé avec notre compère Philippe Rennard un atelier sur le sujet du travail dans le cadre du cycle de coformation de la Fabrique du futur, à Grenoble. Voici le déroulé de cet atelier et le matériel utilisé pour aborder des notions d’esprit critique dans le vaste domaine du travail, que ce soit dans la présentation de chiffres ou de graphiques ou dans les discours politiques.
Cet atelier avait pour objectif de décortiquer des discours politiques et médiatiques autour du monde du travail afin de mettre en lumière des techniques de manipulations langagières, de raisonnements fallacieux, et l’utilisation abusive de chiffres et de données scientifiques.
1ère étape : un peu d’outillage critique
2ème étape : utilisation de données scientifiques
1er exemple : le Journal du dimanche du 12 octobre 2008 affiche en couverture « Sondage : les Français veulent travailler le dimanche. »
Réponses possibles :
– non jamais (33%)
– de temps en temps (50 %)
– toujours (17 %)
Cette présentation joue sur un effet Bi-standard, qui consiste à raisonner selon deux standards différents selon les circonstances, en gros changer les règles en cours du jeu.
2ème exemple : Le Figaro.fr du 12 Octobre 2010 titre « Partir plus tôt en retraite peut nuire à la santé »
Là encore, la lecture de l’étude nous apprend beaucoup de choses, entre autres ces conclusions des chercheurs : « Pour les hommes, partir à la retraite un an plus tôt augmente de 13,4% les chances de mourir avant 67 ans. Pour les femmes, en revanche, un départ à la retraite anticipé n’a aucun effet sur l’âge du décès » est interprété par le Figaro comme « Partir plus tôt en retraite peut nuire à la santé » C’est une simplification pour le moins radicale.
Ensuite l’article du Figaro ne mentionne pas une donnée importante. En effet, les chercheurs parlent de retraites volontaires et de retraites non volontaires (licenciements par exemple) : « La retraite précoce concernant les départs volontaires ne semble pas liée à la mortalité, alors que la retraite précoce causée par des licenciements involontaires l’est ». Cela change la conclusion de cette étude par rapport à la présentation qu’en fait l’article.
Enfin, l’article du Figaro ne mentionne pas les hypothèses d’explication des chercheurs, conclusion de l’étude : « Finalement, nous apportons des éléments prouvant que la retraite précoce involontaire a un effet négatif sur la santé, mais pas nécessairement la retraite précoce volontaire »
Article lié, sur Acrimed
3ème étape : supports vidéo
Désormais lourdement armé contre les manipulations, mon co-animateur Philippe Rennard a pris le flambeau pour présenter une série de documents vidéos comme supports de discussion. Il présente, quatre exemples de vidéos et résume les réactions qu’elles ont pu susciter.
Ces commentaires s’inscrivent dans le travail de réflexion de la fabrique du Futur : « Un autre monde du travail est possible… oui, mais lequel ? »
1/ Serge Dassault et la valeur « travail »
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=cCnEYdhtqJM]
Dans cet exemple Serge Dassault oriente la pression sur les salariés :
- en comparant l’incomparable, à savoir (bons) travailleurs chinois et (mauvais) français, sans même évoquer les différences abyssales entre les standards socio-productifs des pays respectifs ;
- en nivelant par le bas : nous devrions culpabiliser de ne pas travailler assez, au lieu de nous mobiliser contre l’exploitation des travailleurs chinois.
2/ UMP : la République du travail et du mérite
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=PfnXQixZXvg]Dans cet exemple, Camille Bedin tente de masquer la répartition arbitraire des richesses :
- sous couvert de l’idée reçue « la réussite ne pourrait s’accomplir en dehors du travail ». C’est la représentation d’un travail qui (par la magie du mérite) engendrerait la réussite sociale qui est inlassablement répétée ici ;
- sous le concept « d’égalité des chances », cache-sexe des inégalités auxquelles aboutit une économie basée sur le capitalisme. Les déclinaisons récentes de ce concept vont de la Bourse au mérite aux internats d’excellence, structures sujettes aux discriminations positives qui permettront d’entretenir le mythe de l’ascension sociale ;
- sous la gabegie de « l’assistanat » désignée comme cause de tous les maux économiques et sociaux. Cela résulte pourtant des impasses de l’idéologie du mérite dont le seul partage des richesses n’assurerait certainement pas la paix sociale.
3/ Wauquiez et les contreparties au RSA
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=hp0hX7XMdMs]
Laurent Wauquiez tente dans cet exemple de rendre évident des conditions à l’octroi de minima sociaux :
- en manipulant les chiffres. Selon lui, un couple au RSA gagnerait plus qu’un couple au SMIC. C’est faux ;
- en substituant à l’emploi salarié un service bénévole de travail obligatoire ;
- en plafonnant, c’est-à-dire en réduisant les aides de l’État.
Autant de stratégies qui s’effondreraient avec par exemple un revenu de base inconditionnel.
4/ Un jour sur quatre, un Québécois perd la vie au travail
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=9jwNUlbYIYU]
Dans cet exemple le message tente de concilier santé et travail au sein d’une économie qui les rend profondément incompatibles :
- on travaille pour gagner notre vie, pas pour la perdre. Difficile de ne pas déceler ici un détournement du slogan « soixante-huitard » « on ne veut pas perdre notre vie à la gagner« . Augmenter la sécurité sur un lieu de travail risqué préserve moins de vies que refuser tout travail dans des conditions hasardeuses.
- la touche patriotique finale et anthropomorphique (le Québec a besoin de tous ses travailleurs) arrive comme pour convaincre de l’intérêt supérieur de la mobilisation dans l’intérêt du « travail » mais pas forcément des salariés.
Philippe Rennard et Nicolas Gaillard