A décortiquer – Argumentaires lacaniens sur Le Mur

Vous avez probablement suivi la polémique autour du documentaire Le Mur – la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme. Non ? Alors cliquez là.
Les retours ne se sont pas fait attendre, et comme lors de chaque contestation de l’institution psychanalytique un festival d’argumentaires très discutables affleurent et pourraient remplir les pages web du corteX.

En guise de Travail Pratique, traitons ensemble un exemple.

  • Dans un premier temps, lisons attentivement l’analyse ci-dessous du film « Le mur », par Pierre-Yves Gosset, psychanalyste lacanien publiée sur le site de l’Association pour la Cause Freudienne Champagne Artois Picardie Ardennes (ci-dessous). Essayons d’y repérer par nous-mêmes les arguments fallacieux.
  • Puis dans un second temps, on pourra aller là et suivre l’analyse de notre collègue Jacques Van Rillaer, professeur de psychologie.

« Le Mur : la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme »

ou : Comment se servir de l’autisme pour « casser du psychanalyste »

C’est ce qu’illustre la réalisatrice du pseudo-documentaire intitulé: « Le Mur : la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme ».

Le titre en lui-même est a priori engageant, puisque nous mettons toujours, et c’est un grand principe depuis Freud, la théorie à l’épreuve de la clinique et l’une ne va pas sans l’autre. LACAN en donne la ligne dans ses Ecrits lorsqu’il nous dit qu’il faut toujours repenser notre théorie en fonction de notre objet, et non l’inverse (« Ecrits » p.126).

On comprend vite cependant que cette vidéo est un piège, une véritable diatribe contre la psychanalyse. Non pas une « querelle » au sens noble du terme, où arguments seraient échangés pour aboutir à une discussion constructive sur le thème de l’autisme. Il s’agit de bien autre chose, insidieux autant que simple : c’est une véritable propagande contre la psychanalyse, au profit de méthodes comportementales aux fondements douteux. Au fur et à mesure, cette vidéo nous plonge dans l’indignation et devient insoutenable.

Le Procédé 

La réalisatrice a interviewé des psychanalystes de renom, toutes écoles confondues. Ensuite, elle a manipulé l’enregistrement en effectuant des coupures et en ajoutant des commentaires a posteriori, visant à dénaturer et tordre les propos recueillis. Le but évident est de présenter les psychanalystes comme non crédibles.

Nous attirerons l’attention sur le fait qu’ainsi elle leur coupe la parole et qu’elle oeuvre selon ce grand principe de toutes les méthodes comportementales : réduire l’autre au silence, le faire taire. C’est le fil conducteur de toute cette propagande.

En contraste, un plan de cette vidéo présente une chercheuse de l’INSERM qui développe à l’aise, sans interruption aucune ni commentaires, les résultats de sa recherche devant un écran plat. La question lui est posée sur les causes de l’autisme. Elle répond sans hésiter : « génétiques ! ».

Cette chercheuse a, grâce à des moyens techniques sophistiqués, enregistré le parcours oculaire d’enfants qu’elle dit autistes, placés en face de scènes sociales filmées. Ce parcours a ensuite été visualisé sur l’écran, en fonction des images qui ont été présentées. Elle peut ainsi montrer ce que les enfants qu’elle dit autistes ont regardé sur les scènes présentées. Apparemment, explique-t-elle, « Ils regardent autre chose que ce que regarde la moyenne des gens. » Ils regardent les bouches et le bas du visage, pas les yeux. La chercheuse arrive à cette conclusion : « Ils regardent ailleurs que là où se trouve l’information ; comment voulez-vous qu’ils comprennent ? ». Outre les objections que l’on pourrait aisément faire sur ce que constitue l’ « information » et l’endroit où elle est censée être contenue, la principale est celle-ci : n’est-ce pas placer l’autiste en position déficitaire à partir de présupposés plus que douteux ? Il ne vient pas à l’idée de cette chercheuse ceci : ce que les enfants autistes ne regardent pas, ce qu’ils évitent, c’est ce qui les angoisse : l’objet regard. Ils se protègent aussi de l’objet voix, support de la parole : ceux qui côtoient des enfants dits autistes auront remarqué qu’ils se bouchent fréquemment les oreilles en présence de voix et de paroles. Soulignons aussi leur rapport singulier à la voix. Enfin, l’attention de ces enfants, portée sur la partie basse des visages témoigne de leur intérêt tout particulier pour la bouche en tant qu’orifice du corps. Les rapports singuliers des dits autistes à la bouche ne peuvent non plus passer inaperçus de tous ceux qui les côtoient. En outre, nous poserons une question éthique sur les conditions de réalisation de l’expérience : comment les enfants autistes testés l’ont-ils vécue ?

Enfin, une famille nous est montrée en compagnie de leur fils Guillaume qui se présente comme suit: « Je suis autiste à 80 pour cent ». On y entend les parents vantant les mérites d’une méthode qui consiste à utiliser des petits cartons (on ignore ce qu’il y a dessus, mais vraisemblablement, on peut le supposer, de petits dessins) et qui aurait permis à Guillaume de ne plus vomir l’eau qu’on lui présentait. Aucune explication supplémentaire n’est donnée quant aux hypothèses qui soutiendraient cette méthode ni sur les ressorts de sa prétendue efficacité. Ces parents ne tarissent pas de critiques contre les psychothérapies et contre la psychanalyse en particulier.

Discussion

La réalisatrice évoque, entre les lignes, les thèmes qui « fâchent ». A savoir, le pire : « On dit que les psychanalystes auraient culpabilisé les mères d’enfants autistes ». Pourtant, rien de cela ne s’entend dans le discours des psychanalystes interviewés.

Si violence il y a envers les enfants autistes et les parents d’enfants autistes, elle est ailleurs, dans le fait de la ségrégation que génère le discours de la science par ses méthodes de dépistage, d’évaluation et de classement. Nous recommanderons la lecture de l’ouvrage (« Sortir de l’Autisme », éditions Buchet-Chastel) où l’auteur, Jaqueline BERGER, mère de deux enfants autistes, en témoigne avec justesse. Que dire de l’exclusion de toutes les structures sociales qu’ont à subir les enfants et les parents d’enfants autistes, sans que des lieux d’accueil soient créés en suffisance ? Et que dire encore du revers de cette exclusion : l’ « intégration » forcée des enfants autistes dans les écoles en France ?

Si les psychanalystes ont placé la relation parents-enfant au cœur de la formation du sujet, c’est bien parce que « Entre tous les groupes humains, la famille joue un rôle primordial dans la transmission de la culture et […] prévaut dans la première éducation » (LACAN : Autres Ecrits p. 24-25)

La réalisatrice et les « chercheurs » comportementalistes veulent l’ignorer ou le nient.

« Les psychanalystes rejettent les « théories organiques » mais n’hésitent pourtant pas à y recourir. » Absurde ! Les psychanalystes, depuis FREUD, ne font que travailler sur le nouage entre corps, langage et imaginaire. FREUD a d’ailleurs commencé par là : voir ses « Etudes sur l’hystérie ».

« La relation mère-enfant comprend quelque chose de la folie ».

Oui ! Toute relation humaine a quelque chose de « fou », dans le sens de « singulier », hors normes, car il n’y a pas de normalité en cette affaire si l’on veut bien ouvrir les yeux et les oreilles. Il n’y a pas non plus de prétendue « harmonie » dans la relation mère-enfant, Jaqueline BERGER le souligne très justement dans son précieux ouvrage (cité ci-dessus, p 92) : «Il faut en finir avec l’idée qu’élever des enfants est la chose la plus naturelle qui soit, que les femmes sont dotées d’un instinct maternel inné et que les défaillances de leur progéniture les disqualifient, elles et leur compagnon. »

Cette relation, quand on ne le nie pas, est faite de chair et de langage. Car c’est dans un bain de langage, « bouillon de culture » qu’arrive le corps de tout être humain et non pas dans un « programme génétique ».

« La gueule du crocodile qu’il faut toujours empêcher de se refermer à l’aide d’un bâton ». On peut voir dans ce montage vidéo une psychanalyste qui témoigne de son travail avec des enfants autistes. Elle fait des constructions théoriques dans son cabinet, en jonglant avec les animaux en peluche qui font partie de ses outils de travail. Comment nier l’immense intérêt des enfants pour la vie des animaux et ce qu’ils leur permettent de symboliser ! Le premier cas d’enfant amené par son père chez FREUD, n’était-il pas un petit garçon de 5 ans et demi, envahi par une phobie des chevaux, du temps où ceux-ci couraient encore les rues ?

La gueule du crocodile ? Mais elle représente l’irreprésentable : ce qui risque de vous bouffer tout cru ! Ce n’est pas la mère proprement dite, bien entendu ! Mais dans l’imaginaire fantasmatique de l’enfant, sa toute puissance sur lui, qui pourrait bien n’être pas que bienveillante. Le bâton ? Ce n’est pas le père en tant que tel, bien sûr (il n’a plus beaucoup de poids, de nos jours), mais ce que LACAN a redéfini d’une fonction : ce qui dirige le désir de l’enfant sur autre chose que sur sa mère et qui fait que la mère puisse ne pas s’occuper que de son enfant. N’oublions pas qu’une mère est une femme et l’enfant, son objet. Dans son ignorance, la réalisatrice croit et veut faire croire qu’il s’agit de promouvoir une concurrence entre père et mère. C’est absurde !

« Je suis autiste à quatre-vingts pour cent »

Nous discuterons enfin de la question du diagnostic. D’abord, quelles peuvent être les conséquences, sur l’avenir d’un enfant, de se trouver dès son plus jeune âge, identifié, par les tenants de ces méthodes de diagnostic et d’évaluation, à : «Je suis autiste à 80 pour cent ».

Ensuite, pour Guillaume, enfant un peu turbulent certes, les choses ont l’air de plutôt bien se passer. Tant mieux. Mais que dire de ces enfants autistes pour qui les choses sont autrement plus compliquées ? « […] chez ces jeunes gens, tout est différent, la voix, les gestes, le regard, les mimiques, le tempo. […] Il y a la mutisme total des uns, au point qu’on pourrait les croire aphones, les cris étranges des autres, des mots répétés en écho sans fin, de l’agitation mal cordonnée ou mécanique, à la manière d’une marionnette. Il y a les trop familiers ou ceux qui vous rendent transparents. » (J. BERGER op. cit. p 28)

Les gens avisés, avec une éthique, savent que ce n’est pas avec des petits cartons, encore moins en « bouffant du psychanalyste » que les choses vont se dénouer. Et, en regardant plus loin que les écrans des chercheurs de l’INSERM, nous voyons nous aussi, avec Jaqueline BERGER, que « Sortir de l’autisme concerne tout le monde, parce que les « autistes » sont le signe autant que le produit de la désagrégation du lien à autrui. Miroir grossissant de nos propres souffrances, ils sont peut-être notre ultime chance d’ouvrir notre regard. »  

Analyse du film « Le Mur »

Disponible sur : http://www.autistessansfrontieres.com/

par Pierre-Yves Gosset,

psychanalyste lacanien