Dans le cadre d’un atelier doctoral sur l’interaction entre sciences politiques et fictions réalisé à l’Université de Grenoble, Djamel Hadbi, doctorant en génie électrique nous propose une séquence éducative recoupant trois idées-force : la manufacture du consentement, la fabrication de la discrimination, et le rôle des médias, tout cela sous la forme d’un débat entrecoupé d’un documentaire fractionné, Hollywood et les Arabes (Reel Bad Arabs: How Hollywood Vilifies a People) réalisé par Sut Jhally.
Table of Contents
1. Pourquoi ce thème
L’objet de notre travail de recherche était le suivant : comment le cinéma est parfois utilisé à des fins politiques parfois moralement justifiables.
À ce titre, nous avons lu un certain nombre d’articles et visionné des documentaires et des séries, ainsi que bon nombre de blogs où des journalistes indépendants et des sociologues expliquent les étapes d’une propagande pour justifier une guerre, et confèrent au cinéma un certain rôle. Pour ne citer qu’un article, voici celui de Nicolas Mettelet, Le cinéma : un outil de propagande pour faire accepter la guerre, dans Les cahiers de psychologie politique, numéro 12, Janvier 2008, ici).
Sans revenir sur toutes ces étapes, mais je vais me concentrer sur ce qui nous intéresse : le mariage douteux du cinéma et de la politique et l’un des fruits de ce mariage : la diabolisation de l’ennemi. Le travail de diabolisation d’une population est une tâche de longue durée, qui possède différents niveaux ; au départ, ce ne sont que des stéréotypes, de type essentialiste (voir ici, ou là) qu’on relaye au cinéma de façon secondaire, puis ces stéréotypes prennent le pas sur la réalité, et figent une représentation de ce groupe social illusoire, généralement raciste. Enfin, lorsqu’on s’apprête à faire la guerre contre ladite population, on passe à la vitesse supérieure, et s’y entremêlent le mensonge, la calomnie pour affubler cette population d’une sorte de crime originel.
2. Support choisi et public
Chaque période et chaque région a semble-t-il sa population « souffre-douleur ». Il semble que dans les sociétés capitalisto-judéo-chrétiennes, la population Arabe soit l’un des souffre-douleur favoris des sociétés capitalisto-judéo-chrétiennes. En effet, sont mélangées dans les représentations populaires, les Arabes, les Musulmans, les Maghrébins, et les « Islamistes », dans un écheveau bien enchevêtré. Sans entrer dans le détail, rappelons d’emblée quelques faits :
– tous les Arabes ne sont pas Musulmans
– une majorité de Musulmans ne sont pas Arabes ni Maghrébins (mais Indonésiens)
– tous les habitants du Maghreb et du Proche-Orient ne sont pas Arabes, ni locuteurs de l’arabe (Perses d’Iran, Kabyles, Touaregs, etc.)
– « Islamiste » est une notion fort imprécise. Si l’on entend par fondamentalistes du livre, ils ne sont qu’une portion ultraminoritaire, dans quelque groupe que ce soit.
Arabe est donc un mot à effet paillasson, sur lequel même les spécialistes ont du mal à s’entendre. En effet, sur le plan généalogique, serait Arabe celui ou celle qui situe certains de ses ancêtres dans l’une des tribus d’Arabie (définition médiévale, que l’on doit entre autres à Ibn Khaldûn1). Sur le plan national, serait Arabe l’habitant d’un des vingt-deux pays membres de la Ligue arabe – ce qui exclut une partie de la diaspora et phagocyte des minorités linguistiques (Coptes, Kabyles, Syriaques, Berbères, etc.). Sur le plan linguistique enfin, serait Arabe une personne dont la langue maternelle est l’arabe. Cela inclut les locuteurs des parlers locaux, appelés arabes dialectaux, qui ne se comprennent pas toujours entre eux.
Il est donc prévisible que, dans un tel flou scientifique, les stéréotypes aillent bon train, et alimentent un mélange d’Islamo-arabophobie.
Lorsque j’ai commencé à chercher des exemples de cette propagande, je me suis dirigé vers les grosses productions de films d’action d’Hollywood. En cherchant de façon plus approfondie, je me suis rendu compte que la propagande la plus insidieuse qui soit est celle qui passe pas des histoires où ce sont les sentiments et les passions qui sont manipulées.
Le corps du matériel pédagogique est le documentaire Hollywood et les Arabes (Reel Bad Arabs: How Hollywood Vilifies a People) réalisé par Sut Jhally et produit par Media Education Foundation en 2006. De toutes les séquences que j’ai visionnées, c’est le support le plus synthétique et le plus éloquent que j’ai trouvé. Il reprend pratiquement tous les stéréotypes, et son auteur a fait un travail profond. Il ne s’arrête pas aux séquences mais fait un travail d’investigation sur les personnes qui sont derrières ces films et le contexte historico-critique associé, ce qui permet de bien voir les évolutions de l’image de l’Arabe selon la période.
La première partie du documentaire montre l’image stéréotypale de l’Arabe avant la Deuxième Guerre Mondiale, décrypté par le spécialiste de la question, Jack G. Shaheen, professeur émérite de communication de masse à la Southern Illinois University Edwardsville (EU).
[Dailymotion http://www.dailymotion.com/video/x8rkn2_hollywood-et-les-arabes-1-3_news]
La deuxième et troisième partie abordent l »image des Arabes après la Deuxième Guerre Mondiale.
[Dailymotion http://www.dailymotion.com/video/x84lcr_hollywood-et-les-arabes-2-3_news]Ce documentaire fut notre source principale, et mérite pratiquement une diffusion in extenso.
3. Enchainement de la séquence
Nous encourageons à une démarche socioconstructive basée sur le débat et la construction du savoir grâce aux apports des camarades et sous forme de débat argumenté.
Nous recommandons de commencer par la diffusion d’un extrait de film hollywoodien dénigrant les Arabes de façon complètement insensée : ainsi en est-il de Retour vers le futur (Back to the Future) de Robert Zemeckis (1985) (sous les traits de fanatiques Lybiens, et ce gratuitement, puisque cela ne concourt en rien à l’intrigue !).
On peut faire le choix de diffuser d’abord l’extrait sans le son, puis avec, et stimuler la réflexion générale : qu’est ce qui attire votre attention, vous choque ? En amenant progressivement à la question suivante : que font des « terroristes » Libyens (Arabes sur le plan national et linguistique) dans un film de science-fiction aux Etats-Unis ?
Ensuite, élargissons la gamme stéréotypale avec Gladiator, de Ridley Scott (1999). Télécharger ici.
Par une maïeutique socratique, amenons le questionnement légitime : que fait une caravane de vendeurs d’esclaves arabes en plein territoire romain ?
Exemple qui semble plus innocent : l’image de l’Arabe barbare est fortement appuyée dans Aladdin, des studios Walt Disney (1992) – dans lequel le héros, lui, est typé eurocaucasien. Télécharger ici.
Enfin, nous vous suggérons également des extraits du film L’enfer du devoir (Rules of engagement) de William Friedkin, sorti en 2000, qui pousse la caricature loin, en faisant des Marines des victimes en situation de défense au Yémen, et tendant à justifier ainsi le meurtre et l’agression d’enfants. Télécharger là
4. Public et déroulement recommandé
La séquence s’adapte bien à des élèves de lycée ou dans le supérieur, avec une diversité socio-culturelle de préférence. L’introduction à la complexité de la définition d’Arabe sera à placer avant, pendant ou après les séquences vidéos, selon que votre public est non-arabe, mixé ou majoritairement arabe. Ainsi, si le public est complètement naïf de la question « arabe », une introduction sur ce thème éclaircira les idées. Si par contre cette séquence se déroule en France avec des Français se revendiquant Arabes, ou des Arabes en pays « arabe », il sera tout indiqué d’attendre la fin pour complexifier une question que votre public pensait être acquise (de la même façon qu’on peut questionner l’identité nationale de tout pays, depuis le Français aux racines gauloises, inventée à la fin du XIXe siècle, au Magyar descendant des Huns, thèse ouraniste construite par le parti nationaliste Hongrois Jobbik, en passant par le Juif, notion au moins aussi floue qu’Arabe et élégament décryptée par Sholomo Sand dans Comment le peuple juif fut inventé (Fayard, 2008).
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Parler des guerres en général, comment on les justifie et comment on prépare l’opinion ça (voir à ce propos la séquence de C. Egger & R. Monvoisin sur la propagande de guerre).
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Lancer les extraits pour montrer des exemples et susciter le débat, éventuellement permettre à l’audience d’interrompre la projection pour commenter, vu que le degré de propagande n’est pas le même ante et post-Deuxième Guerre Mondiale. Il y aura forcément une réaction différente, selon l’ancienneté des films.
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Projeter le dernier extrait flagrant qui montre la manipulation des esprits en passant le message: les armées d’occupation en Irak, en Afganistan et ailleurs dans le monde sont des gentils et sont en auto défense. A ce propos, nous ne pouvons que recommander les ouvrages de décryptage majeurs que sont la manufacture du consentement, de Noam Chomsky et Edward Herman (Contre-feux, 2008), et Impérialisme humanitaire. Droit de l’Homme, droit d’ingérence, droit du plus fort ? de Jean Bricmont (Agone, 2009).
Pour creuser encore le sujet, nous recommandons le livre Reel Bad Arabs de Jack Shaheen (Olive Branch Press, 2010) et indiquons la page du site Sens Critique, qui recense certains des films propagandistes listés par J. Shahenn.
Et pour faire le lien avec d’autres discriminations en public jeune, nous recommandons, voir ici.
Djamel Hadbi
Réalisé dans le cadre des ateliers du DFI, service Doctoral pour la Formation, l’Initiation et l’insertion professionnelle de l’Université de Grenoble. Encadrement R. Monvoisin, C. Egger