Affiche des conférences gesticulées de Jérémy

Un kiné qui gesticule : Jérémy Muccio et l'entreprise médicale

Le mois dernier, nous relayions le travail de Nicolas Gaillard réalisé au sein de la SCOP l’Orage. C’est en farfouillant parmi d’autres conférences gesticulées – un des outils des SCOP – que je suis tombée sur celle de Jérémy Muccio, kinésithérapeute en Poitou-Charentes, intitulée L’entreprise médicale nuit gravement à la santé, filmée en 2013. Depuis lors, nous échangeons régulièrement avec Jérémy. Il a bien voulu se prêter au jeu de l’interview pour nous présenter son parcours, et a accepté de mettre à disposition pour toute lectrice et lecteur du CORTECS un extrait audio de sa dernière présentation, où il distille quelques outils d’esprit critique et contribue à diffuser un pan de l’histoire des luttes sociales, avec humour, entrain, et maîtrise.

– Tout d’abord, pourquoi t’être lancé dans la création d’une conférence gesticulée pour traiter le sujet de la pratique libérale dans le milieu de la santé ?

Affiche des conférences gesticulées de JérémyEn fait, j’ai le sentiment que tout a commencé comme un cri, une envie de dénoncer et de raconter toutes les choses que je trouvais choquantes, incohérentes et injustes auxquelles j’étais confronté dans le milieu dans lequel j’exerçais, celui de la santé. Et qui plus est par le prisme du monde libéral, que je connais bien, l’ayant pratiqué pendant 10 ans environ. 

Petit à petit, mon propos s’est étoffé, et s’est ouvert sur des horizons bien plus larges, politiquement et philosophiquement parlant. Comme sur la santé elle-même, sur ce qu’elle est et représente dans notre société. Sur notre système de santé (Sécurité Sociale) aussi, son histoire populaire, ainsi que les conséquences sociales et politiques des choix gouvernementaux le concernant depuis plus de 30 ans. Le tout en évoquant en parallèle mon parcours personnel. Histoire aussi d’expliquer pourquoi aujourd’hui je pense comme je pense. Donner aux gens les clés de ma propre analyse et ma compréhension du système dans lequel je travaille. Reprendre en quelque sorte la parole aux soi-disant experts ayant voix au chapitre, qui nous ont confisquée cette parole et qui nous disent comment et quoi penser. En somme, faire de l’éducation populaire.

– Quel est le public touché ?

Au départ je destinais ma conférence gesticulée aux étudiants et futurs diplômés en masso-kinésithérapie. Leur raconter mon expérience, mon vécu, pour qu’ils puissent se rendre compte dans quel milieu ils s’apprêtaient à évoluer. Et puis, finalement, je me suis dit que ma conférence pouvait et devait sensibiliser une audience plus large, à savoir non seulement tout type de professionnels de santé, patients et futurs patients, mais aussi et surtout les citoyens que nous sommes.

– Qu’est ce que tu attends de tes conférences ?

Jérémy Muccio avec sa guitare lors d'une présentation de sa conférenceQuand on se forme à l’outil d’éducation populaire qu’est la conférence gesticulée, on comprend qu’elle est un savant mélange entre savoirs chauds (les savoirs acquis de l’expérience, … dits illégitimes) et savoirs froids (les savoirs universitaires, qu’on trouve dans les livres, … dits légitimes). Et que, comme dans l’air, où l’air chaud et l’air froid ne peuvent se mélanger mais provoquent des orages, j’attends, comme toutes celles et ceux qui portent une conférence gesticulée, que cela provoque des orages dans les têtes. Que ça fasse réagir et réfléchir. Que ça puisse créer du temps de cerveau disponible pour la révolution. Rien que ça !

– Comment as-tu découvert la zététique, l’esprit critique ?

Fin 2014, une collègue kinésithérapeute et membre du Cortecs, Nelly Darbois, m’a contacté après avoir vu sur internet une vidéo de ma conférence. Après avoir échangé sur son contenu, commun avec l’un des objectifs du Cortecs à savoir la démarche critique politique, et présenté le travail du Cortecs, elle a aussi pointé, avec justesse et bienveillance, les approximations et autres erreurs en terme de rigueur et de méthode scientifique de ma propre conférence.
Du coup, après avoir longuement parcouru le site du Cortecs, ses articles et ses travaux, et après avoir lu (voire dévoré) l’ouvrage de N. Pinsault et R. Monvoisin, Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles j’ai décidé de me pencher plus sérieusement, non seulement dans ma conférence, mais aussi dans ma pratique professionnelle, sur le travail de démarche scientifique et d’esprit critique et d’en utiliser ses outils.

– Et depuis, en quoi ces outils t’aident dans ta conférence ou dans ta pratique quotidienne ?

Tout d’abord ces outils m’ont permis de revoir ma conférence dans son ensemble. Pas forcément sur le fond, mais sur sa forme. La rendre toujours plus juste, moins approximative. Je ne dis pas que j’y suis complètement arrivé, le chemin est long, mais petit à petit je pense y parvenir. Puis, j’ai ouvert un chapitre sur la démarche critique en elle-même, et comment elle peut nous permettre de nous faire une idée critique sur les choses qu’on nous propose. Je prends notamment l’exemple du jeune kinésithérapeute diplômé, à qui on va faire miroiter monts et merveilles tant dans les spécialités post-diplômes ou les machines de physiothérapie qui soignent tout ou presque. 

Extrait de la conférence gesticulée de Jérémy présentée au Festival des Ressorts le 14 mars 2015 à Lamothe-Landerron (33), où il présente la charge de la preuve, la réfutabilité et la commensurabilité des théories. Dans cet extrait, Jérémy emploie le terme de « charlatan ». Il lui préfère en fait celui de « praticien.ne.s », moins connoté, ces praticien.ne.s étant le plus souvent de bonne foi et convaincu.e.s d’œuvrer pour le bien-être de leurs patient.e.s.

Mais il va sans dire que tous ces outils peuvent être utilisés par tout le monde, pas que les professionnels de santé, et en toute occasion.

Pour ce qui me concerne, dans ma pratique quotidienne, j’essaye depuis de rendre accessible et compréhensible auprès de mes patients mes choix de traitement les concernant, et les impliquer dans ceux-ci. Leur expliquer comment se fonde mon analyse de leur pathologie, afin qu’ils comprennent au mieux leur condition et comment y remédier.

– Après ta conférence, y a-t-il des débats ou des échanges ? Si oui, sur quoi portent-ils, et comment cela se passe ?

Pour tout dire, la conférence gesticulée n’est que la première partie de l’outil d’éducation populaire que je propose. Il doit être complété par un atelier où les personnes présentes lors de la conférence peuvent mettre à profit leur réflexion, travailler différents sujets, et pourquoi pas par la suite se regrouper et agir localement (volonté de création de maison de santé communautaire par exemple).

Et là encore, les outils de démarche critique sont d’une grande utilité pour mener à bien ce type d’atelier, couplés bien sûr avec des méthodes de travail issues de l’éducation populaire.

Il est possible d’assister à la conférence de Jérémy :

– le 30 avril 2015, à l’IFMK (Institut de Formation des Masseurs-Kinésithérapeutes) de Poitiers ;

– le 14 juin 2015, à Nantes ;

– le 26 juin 2015, à La Chapelle sur Erdre.

Le site des conférenciers gesticulants : ici.

ND

Un guérisseur, rebouteux, magnétiseur et réflexologue

A décortiquer – "Guérisseurs, magnétiseurs, coupeurs de feu… que dit la médecine ?", France Inter, janvier 2015

Logo de l'émission La tête au carréLa Tête au carré est l’émission quotidienne de France Inter qualifiée de scientifique. Hélas, la rigueur scientifique est loin d’être toujours au rendez-vous, les thèmes et invités sont très inégaux. Mais ces émissions nous permettent de ne jamais être à court de ressources propices à l’application des outils critiques. 

Le résumé donne le ton : 

Rebouteux, magnétiseurs ou coupeurs de feu…. Les guérisseurs en tout genre suscitent de plus en plus d’intérêt. Grâce à leurs mains, ils soulagent les patients. Certains services d’urgence font appel à eux, notamment pour des grands brûlés, et des hôpitaux à la pointe de la technologie, comme en Suisse ou aux États-Unis, les intègrent dans les traitements afin d’optimiser les résultats. Pourtant leurs pratiques restent un mystère pour la science, qui ne parvient pas expliquer les mécanismes de ces médecines traditionnelles. Quels sont les recours des patients à ces thérapies alternatives ? Comment sont-elles perçues par le corps médical ? Comment favoriser le dialogue entre les guérisseurs et les médecins ?  

Avec Christophe Limayrac (guérisseur, rebouteux , magnétiseur et réflexologue), Isabelle Nègre (médecin anesthésiste réanimateur, spécialiste de la douleur), Isabelle Célestin-Lhopiteau (directrice de l’IFPPC, Institut français des pratiques psycho-corporelles, présidente de l’Association Thérapies d’Ici et d’Ailleurs, psychologue, psychothérapeute au Centre d’évaluation et de traitement de la douleur du Centre hospitalier universitaire Bicêtre).

Voici l’émission audio (durée avec coupure des musiques : 31 min) :

 Télécharger : Guérisseurs : que dit la science ?. Ou la page de l’émission.

Aidez-nous à repérer les biais de raisonnement, les erreurs épistémologiques et à les analyser !

ND

Un canard de bain, jaune

L'insubmersible canard de bain* : la fasciathérapie "méthode Danis Bois"

Suite à sa mise en ligne sur le CORTECS, le mémoire « La fasciathérapie « Méthode Danis Bois » : niveau de preuve d’une pratique de soin non conventionnelle » a été envoyé à une fasciathérapeute enseignante à l’Ecole Supérieure de Fasciathérapie. Cette dernière nous a cordialement répondu et a transmis le mémoire à Danis Bois. Nous proposons ici dans son intégralité l’analyse de Danis Bois qu’il nous a transmis le 22 juin 2012. Nous avons cependant reçu l’autorisation pour sa diffusion seulement en Septembre 2013. Nous publions également la réponse que nous lui avons communiquée en juin 2012, restée sans réponse à ce jour. Nous y avons apporté quelques modifications, signalées, prenant en compte certains travaux survenus entre-temps. En début d’article, nous ajoutons les résultats d’une recherche dans la littérature scientifique des travaux parus depuis.
* Le titre, l’insubmersible canard de bain, est emprunté entre autres au magicien James Randi, qui l’emploie pour désigner des assertions ou théories qui ont tendance à perdurer, à remonter à la surface, quels que soient les coups (ou réfutations) qui leurs sont portés.

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Le Cortecs dans Le Monde Diplomatique, décembre 2015

Dans l’édition de décembre du Monde Diplomatique est paru un article co-écrit par Richard Monvoisin et Nicolas Pinsault. Ils y soulèvent une nouvelle fois l’importance de l’enseignement et de la mise en place de la démarche scientifique chez les professionnel.le.s de santé et notamment chez les kinésithérapeutes. Le titre initial, dont les auteurs étaient très fiers, était « La kinésithérapie : entre la poire et le faux mage », mais le journal a changé le titre, perdant en route, à notre grand dam, l’essence du jeu de mot. Qu’importe ! Voici l’article. Les lignes introductives sont rédigées par le journal. En bas, une réaction parue dans le Monde diplomatique de mars 2016, et notre réponse.

 

La kinésithérapie piégée par les mages

En septembre dernier, la Cour des comptes dénonçait la progression des dépenses en kinésithérapie. Ostéopathie, chiropractie, haptonomie : l’engouement pour les thérapies manuelles conduit à s’interroger plus largement sur l’information des patients et sur l’efficacité de certaines pratiques. Ne faudrait-il pas replacer la démarche scientifique au cœur de ce type de soins ?

Illustration du Monde Diplomatique : Valentine Hugo. – « Objet », assemblage d’objets divers, issu de la collection André Breton, 1931
Illustration du Monde Diplomatique : Valentine Hugo. – « Objet », assemblage d’objets divers, issu de la collection André Breton, 1931

La demande de soins du corps ne cesse de croître et entraîne un engouement pour les traitements manuels. Mais l’émiettement de l’offre laisse perplexe : kinésithérapie, ostéopathie, chiropractie, biokinergie, kinésiologie appliquée ou microkinésithérapie ; même les professionnels en perdent leur latin

! Pour la personne en attente de soins, faire un choix revient à jouer à la loterie.

Les raisons de ce flou sont multiples. Sur le plan pratique, la technique la plus saugrenue peut donner l’illusion d’être efficace : l’écoute, le toucher et l’empathie contribuent à produire certains bénéfices de l’effet placebo 1. Sans bienfaits spécifiques démontrés scientifiquement, beaucoup de gestes semblent « marcher » et satisfont les patients… à court terme. Dans ce domaine comme pour les autres pratiques médicales, seules les preuves acquises par l’expérience clinique permettent de déterminer les thérapies efficaces. Or, très peu de thérapeutes manuels s’y réfèrent : bon nombre préfèrent suivre leur ressenti, bien moins chronophage et qui semble leur conférer une sorte de don.

Quand bien même certains praticiens souhaiteraient tester leurs hypothèses, il n’existe pas, en France, de cursus de troisième cycle propre à la kinésithérapie et encore moins de conseil national des universités chargé de cette discipline. Une majorité de médecins la considèrent avec condescendance, lui laissant peu d’autonomie dans les services de soins et si peu de place dans leurs laboratoires que cela empêche la production d’études.

Les groupes de pression des ostéopathes et des chiropraticiens sont à l’œuvre pour faire évoluer la réglementation en leur faveur 2, tandis que les structures de représentation des kinésithérapeutes peinent à renforcer les fondements de leur discipline. Avant 2014, le Conseil national de l’ordre des kinésithérapeutes était lui-même frileux à l’idée d’énoncer des avis sur les soins non conventionnels et de poser des démarcations franches avec la médecine non scientifique. Cette convergence de facteurs crée un invraisemblable flou épistémologique, plus rien n’étant testé méthodiquement. Personne ne paraît savoir ce qui fonctionne ou pas, ni ce qu’il faudrait valider scientifiquement ou faire rembourser par la Sécurité sociale.

La confusion actuelle trouve son origine dans une histoire chaotique : la masso-kinésithérapie, dénomination franco-belge pour ce que l’on appelle ailleurs « physiothérapie », est un assemblage de compétences issues de professions plus ou moins concurrentes. Au début du XXe siècle, techniques médicales et gymnastiques cohabitent avec des méthodes de rebouteux. Avec la Grande Guerre et ses cohortes d’estropiés, la demande en rééducation explose pour alimenter le front en hommes. Les médecins, submergés, s’adjoignent des auxiliaires médicaux, infirmières en tête, formés à la hâte pour remettre debout rapidement ceux qui peuvent l’être.

Science ou mysticisme ?

C’est en 1946 qu’intervient la reconnaissance des compétences communes fondées sur le massage et la gymnastique médicale, par la création d’un diplôme d’Etat de masseur-kinésithérapeute. Il faut attendre 1989 pour voir la profession encadrée par un décret, encore en vigueur pour les étudiants déjà engagés dans une formation et qui ne fait aucune mention de la recherche ou des pathologies ayant émergé depuis. Adopté en 2000, un deuxième décret, relatif cette fois aux actes professionnels et à l’exercice de la profession de kinésithérapeute, change considérablement la donne : les praticiens passent alors du statut d’exécutants à celui de décideurs, responsables de la planification thérapeutique non seulement vis-à-vis du patient, mais aussi des médecins prescripteurs et de la caisse primaire d’assurance-maladie.

Cette responsabilité accrue aurait nécessité la structuration d’une discipline dotée de frontières claires. Hélas ! la profession se voit aujourd’hui débordée, d’un côté, par les instituts de soins et de bien-être et, de l’autre, par des thérapeutes autoproclamés usant de techniques souvent sans aucun fondement, truffées de concepts révélés divinement à des maîtres qui furent fréquemment des pasteurs, évangélistes ou adventistes.

Trier ce qui relève de la démonstration scientifique de ce qui procède de ressentis ou d’illuminations mystiques demande des compétences plutôt austères, peu appréciées des professionnels. Il faut savoir lire les essais cliniques, quand ils existent, et comprendre les méta-analyses de la littérature scientifique. Or le décret de 1989 n’impose aucune formation à la méthodologie dans les cursus. La réforme engagée depuis dix ans et formalisée le 2 septembre 2015 par la publication d’un décret et d’un arrêté relatifs au diplôme d’Etat de masseur-kinésithérapeute devrait améliorer la situation pour les étudiants entrés dans les instituts à compter de la rentrée 2015-2016. Après une première année universitaire, ils suivront quatre ans de formation en institut, soit une année de plus qu’aujourd’hui. Toutefois, aucun grade universitaire ne leur sera délivré.

Pour choisir un kinésithérapeute, le patient n’a que le bouche-à-oreille, la réputation, la proximité, la possibilité d’une prise en charge financière, quand ce n’est pas simplement le hasard d’une rencontre ou d’une recherche sur Internet. Devrait-il regarder les conditions d’exercice et les compétences respectives des professions ? Pas si simple ! Certes, la kinésithérapie demeure, dans le domaine des soins manuels, la seule profession de santé au sens réglementaire3, avec un exercice conventionné et soumis à prescription médicale. Les ostéopathes et les chiropraticiens ne sont ni conventionnés ni remboursés… mais de mieux en mieux reconnus administrativement. Ils sont même enregistrés au répertoire national des certifications professionnelles avec un niveau supérieur à celui des kinés, et ce en dépit de corpus théoriques originels quasi religieux et qui s’appuient sur une maigre documentation. L’ostéopathie est ainsi née d’une « vision épiphanique » reçue le 22 juin 1874, à 10 heures précises, par Andrew Taylor Still, son fondateur… Les techniques d’ostéopathie dont l’efficacité est démontrée ne sont pas propres à cette discipline. Et toutes les méta-analyses de littérature concluent à l’existence de biais méthodologiques dans les essais cliniques des deux champs qui lui sont spécifiques (ostéopathies viscérale et crânio-sacrée). C’est à n’y rien comprendre : alors qu’il faut voir au préalable un médecin pour obtenir des séances de kinésithérapie, un patient peut consulter directement n’importe quel professionnel de la « manipulation ». D’ailleurs, certains médecins dispensent eux-mêmes des thérapies manuelles, ce qui peut rassurer, mais ne confère pas plus d’assise scientifique aux techniques employées.

Ajoutant à la confusion, les soins de kinésiologie, d’étiopathie, de microkinésithérapie ou de biokinergie — autant de pratiques sans fondements scientifiques — sont souvent dispensés par l’un des 83 000 masseurs-kinésithérapeutes répertoriés en France4. Un tiers des 20 000 ostéopathes recensés sont aussi kinés, certains n’hésitant pas à jouer sur cette polyqualification pour que leurs patients puissent se faire rembourser des techniques propres à leur école. Et que dire quand l’hôpital public propose l’haptonomie (« art du toucher affectif ») dans les maternités, le barrage de feu pour les brûlés ou la réflexologie pour les cancéreux — méthodes qui n’ont jamais montré d’efficacité au-delà de l’effet placebo ?

Pourtant, les patients semblent enchantés. Et pour cause : explications simples, unicausales ; thérapie qui peut tout avec un soupçon de magie, d’enchantement et une pincée d’orientalisme ; thérapeute qui fait appel à ses émotions ; prise en charge plus longue, personnalisée ; corpus souvent mystique, qui donne un « sens » au pourquoi des souffrances. Alors que le médecin paraît souvent pressé, le pseudothérapeute rassure par sa présence : mi-gourou, mi-chaman. Les bénéfices contextuels de l’effet placebo opèrent.

L’engouement pour les thérapies manuelles n’est pas sans poser des questions politiques. L’essentiel des thérapies « alternatives » impute les souffrances à l’individu lui-même. Chacun devient sinon la propre source de ses malheurs, du moins le porteur de la solution pour les évincer : en évitant les ondes, en harmonisant ses énergies ou en ouvrant ses chakras. Exit l’analyse socio-économique du mal-être. La déprime peut être due à un petit chef autoritaire, à un harcèlement ou à un boulot éreintant, qu’importe : injonction est faite de chercher en nous la cause de notre tourment. Cette individualisation des problèmes pulvérise toute contestation sociale.

Sur le plan économique, si la kinésithérapie a son contingent de libéraux qui savent faire du chiffre en « occupant » une demi-douzaine de patients simultanément par des « ateliers » de soins, elle reste ancrée fondamentalement dans le modèle de sécurité sociale hérité du Conseil national de la résistance. En revanche, l’ostéopathie repose, comme d’autres techniques, sur un modèle collant à la doctrine libérale et à un système de soins rendu de plus en plus concurrentiel par la lente déréglementation des professions de santé. Ce nouveau cadre contraint moins les thérapeutes à soigner le patient qu’à satisfaire une clientèle que les professionnels se revendent. Un marketing truffé de concepts usurpés soutient l’ensemble. Ainsi en est-il, par exemple, de la « vertèbre déplacée », d’autant plus facile à « remettre en place » que l’on dispose du « cracking », l’art de faire craquer les articulations, dont la seule vertu thérapeutique est de donner au patient l’illusion que quelque chose s’est produit 5. On voit prospérer des thérapies à la sauce quantique, avec une incompréhension complète de la physique ; des recherches de chocs affectifs « engrammés » dans une mémoire des tissus ; des chirurgies psychiques, avec des ustensiles invisibles appartenant à une autre réalité. Nombre d’autres concepts du même genre se propagent dans un va-et-vient curieux à l’égard de la science : quand celle-ci semble cautionner une thérapie, ses promoteurs s’en revendiquent ; lorsqu’elle paraît la récuser, la démarche scientifique devient le mal absolu.

Prendre la satisfaction du patient comme seule référence de la qualité d’un soin revient à considérer ce soin comme un produit de consommation parmi d’autres. Or ce que le patient vient acheter n’est pas qu’une denrée, la solution à son problème, mais une confiance. La relation patient-professionnel ne pourrait à la rigueur devenir commerciale que dans la mesure où le patient en saurait autant que le thérapeute. Dans la réalité, le malade est inquiet, les proches aussi, et le thérapeute, même attentif, n’a pas, lui, à faire confiance à son patient. Dans un tel déséquilibre, l’espoir peut se monnayer. Et il n’est pas moralement justifiable de proposer une libre concurrence dans un marché de la confiance, sauf à placer le médecin de clinique privée, le visiteur médical, le kiné libéral, l’ostéo, le chiro, le rebouteux, l’assureur et le pasteur évangélique charismatique sur un même pied.

Le ressenti personnel ne suffit pas

On pourrait juger anodin le flou des frontières entre thérapies et pseudo-thérapies, y voir le vestige d’une querelle de chapelles. Mais n’est-il pas dérangeant de voir les contributions de tous à l’assurance-maladie payer des actes de soin dits non conventionnels pratiqués par des professionnels conventionnés ? Faire le tri des sollicitations est donc une nécessité. Or cela impose rigueur et méthode. Il ne suffit pas qu’un patient aille mieux pour valider l’efficacité d’une technique : il faut qu’il aille mieux que s’il n’avait pas reçu le traitement, et même mieux que s’il avait reçu un placebo. Enfin, il faut que son cas ne soit pas traité seul, mais dans des groupes représentatifs. Le ressenti personnel, hélas, n’est pas bon juge, car fortement suggestible.

Pour apprendre rigueur et méthode, rien de mieux que la formation par la recherche. Et c’est là qu’un nouveau problème d’ordre politique survient, avec la dépendance croissante de la recherche vis-à-vis des financements privés dans un contexte de mise en concurrence des chercheurs et de leurs laboratoires. Or, si l’on excepte quelques gadgets à la mode, comme les plates-formes vibrantes ou les bandes adhésives colorées K-Tape, les thérapies manuelles n’intéressent pas les industries. Faute d’investisseurs ou de moyens universitaires comme il en existe en Nouvelle-Zélande et en Australie, la recherche reste faible en France.

Confier sa santé, son dos, ses articulations à quelqu’un mérite une grande prudence. Seule la compétence scientifique du praticien, couplée à une prise en charge personnalisée, peut amener les patients vers le mieux-être et, surtout, vers des choix thérapeutiques effectués en connaissance de cause. Sans réflexion approfondie sur son rôle et ses responsabilités, le kinésithérapeute d’aujourd’hui peut ressembler au soignant de 1914, courroie de transmission de l’oppression des masses laborieuses par un travail usant. Sans formation spécifique à la culture expérimentale, il aura plus de mal à éviter les modes et à ignorer les fluctuations du marché. Sans bases méthodologiques et sans système universitaire pour les transmettre, il n’aura aucun moyen de savoir si une thérapie séduit par son efficacité propre ou par l’imaginaire qu’elle véhicule. Le retour à la science et aux pratiques fondées sur les preuves ne relève pas du scientisme, mais constitue la seule planche de salut.

Richard Monvoisin & Nicolas Pinsault. Respectivement kinésithérapeute, enseignant à l’école de kinésithérapie de l’université de Grenoble, et didacticien des sciences au Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique & sciences (Cortecs). Auteurs de Tout ce que ce vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles, Presses universitaires de Grenoble, 2014.


En mars 2016, le conseil d’administration du Centre international de recherche et de développement de l’haptonomie a fait paraître au Courrier des lecteurs du Monde diplomatique. Bien qu’ils n’aient pas directement pris soin de nous écrire, il est de bon ton de répondre ensuite pour l’évolution du débat. Les coupes ne sont pas de nous mais du journal.

L’haptonomie est une science expérientielle. Est expérimentale une science qui expérimente avec des objets… d’expérimentation. Est expérientielle une science qui suppose que le sujet vive lui-même l’expérience pour percevoir ce dont il s’agit et ses effets. (…). Vous prônez la mesure (au sens de l’appareil), le « scientifique », donc l’objectif. Nous prônons le subjectif. Cependant, l’émergence et le soutien du sujet n’empêchent en rien la recherche et la monstration. (…) Nous avons publié des études qui remplissent les critères scientifiques habituels (…). Nous ne saurions que vous inciter à en prendre connaissance. Vous y (re)découvririez le sens de ce mot latin que vous répétez à l’envi, placebo : « je plairai », « je serai agréable ». Il est étrange de constater que le plaisir a pris, pour la science, la connotation négative que vous soulignez avec force. Pour l’haptonomie, le plaisir devrait être sus-jacent à tout acte humain, la vie comprise. Bien sûr, il ne s’agit pas de n’importe quel plaisir plus ou moins égoïste, mais d’un plaisir mâtiné d’éthique, qui tienne compte de l’autre.

Merci de votre retour. Même si nous sortons du cadre de l’ostéopathie crânienne ici, nous avons étudié de près l’haptonomie, à l’occasion du livre « Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles » (PUF, 2014). Nous avons lu Frans Veldman, entre autres. Nous vous indiquons le passage que nous avons rédigé sur le sujet ci-contre – et nous serions friands de pouvoir le revisiter.

Une science expérientielle subjective est une énigme pour nous. Si un épisode de vie peut l’être évidemment (une extase, une joie, etc.) une science subjective est un oxymore. Si effectivement votre science est subjective, quelles sont les raisons de penser que votre discipline aie un intérêt pour autre que vous-même ? Or dès que vous pensez que la démarche haptonomique peut être utile à d’autres personnes, vous rentrez dans l’objectivation. Alors inutile de nous grimer dans le stéréotype des « scientistes » avec appareil de mesure. Nous souhaitons juste que soient proposé aux patients des méthodes qui dépassent le plaisir expérientiel d’aller au cinéma, de se promener sur la plage, voyez-vous ?

Pour la fin du courrier, il s’agit plus de procès d’intention, ou de technique de l’épouvantail aussi n’est-il pas nécessaire de poursuivre sur ce point. Nous ne sommes pas ennemis du plaisir, bien au contraire : nous avons goûté écrire cet article, et malgré la forme de votre courrier, y répondre reste un plaisir.

Bien cordialement

RM & NP

Extrait de « Tout ce que… », pp. 110-112
1980 Haptonomie – Frans Veldman (1921 – 2010) (Pays-Bas puis France)

De haptein qui signifie le toucher, le contact, et de nomos, règle, loi, norme : définie comme « science » du toucher affectif ou «  science » du contact psychotactile, cette technique est particulièrement répandue dans le cadre périnatal français et hollandais, et largement présentée dans les hôpitaux publics en préparation à l’accouchement. À l’origine de cette technique, Frans Veldman, « thérapeute » néerlandais, posa sa « théorie » de contact psychotactile par analogie avec les trains de la mort. Selon beaucoup d’auteurs, dont la célèbre Catherine Dolto, « Frans Veldman a vécu dans un wagon où des humains étaient entassés comme des animaux des échanges d’une telle profondeur et intensité qu’après s’en être échappé il a décidé de consacrer sa vie à développer et comprendre ce que les humains pouvaient gagner à la compréhension de ces échanges non verbaux (…) » (Dolto, 2005).

L’analogie avec l’expérience des trains de la mort durant la seconde guerre mondiale ayant été utilisée plusieurs fois comme expérience décisive pour d’autres auteurs, parmi lesquels le suspecté plagiaire Bruno Bettelheim(1), nous nous sommes méfiés d’une histoire tant de blanc cousue. Beaucoup prêtent à Veldman une déportation (ainsi qu’une évasion) : à la suite d’expériences vécues lors de sa déportation (de Tychey, 2004, p. 37).
Exactement les mêmes mots chez Caroline Eliacheff et Myriam Szejer (2003).
« Frans Veldman a eu l’intuition de ce que serait l’haptonomie lors d’un moment tragique de sa vie. Il racontait comment il avait pu s’évader d’un wagon de déportés grâce à un échange de regards avec un soldat polonais, sans qu’un mot ne soit prononcé entre eux. Dans ces wagons, il disait avoir vu des gens sortir d’eux-mêmes la plus grande humanité et la plus grande beauté. Une fois sauvé – il était jeune médecin –, il éprouva le besoin d’étudier l’importance de l’affectif, de cette communication qui est en deçà et au-delà de la parole, et surtout les moyens d’éviter aux humains d’être acculés au tragique pour trouver en eux cette fraternité. » (Dolto, 2003).
Selon Max Ploquin (NdA ; médecin gynécologue de Châteauroux, haptothérapeute et psychanalyste lacanien), « Frans Veldman est un médecin hollandais, qui, déporté en 1943, se trouvait dans un wagon plombé avec 86 personnes. Beaucoup de promiscuité, impossible de s’étendre pour dormir, un petit coin dans le wagon pour les besoins humains, deux ou trois morts pendant le voyage. Frans Veldman a demandé aux gens de s’accepter, d’accepter le corps de l’autre qui vous touche de trop près, de comprendre comment on peut vivre ensemble ». (Ploquin, 2010).
Nulle trace de cette histoire ailleurs que chez Catherine Dolto et Max Ploquin (malheureusement décédé en 2012).
Catherine Dolto a été contactée, mais sans réponse.
Aucun élément biographique ne nous a permis de vérifier
– s’il a été médecin (il semble que non)
– s’il a été déporté (cela semble très peu probable).

Le centre de formation CIDRH de Veldman (qui a déposé la marque haptonomie authentique) lui-même est plus nuancé :
« Après avoir été confronté à des expériences déshumanisantes en rapport avec la déportation (…)  »
par « la réflexion de Frans Veldman face aux trains de la mort qui emportaient les déportés pendant la guerre  (…)».
À en suivre le centre de formation de Frans Veldman lui-même, c’est probablement plus sur l’intuition qui lui vint en pensant aux déportés, que sur une expérience de promiscuité qu’il n’a en tout état de cause pas eu, qu’est née la méthode. Que l’histoire soit fausse n’est pas important, sauf lorsque toute la théorie repose sur l’analogie de départ. L’absence d’autres faits empiriques étayant l’analogie nous laisse penser qu’il avait décidé en amont de sa théorie, l’orientation qu’il souhaitait lui donner et ne fit que chercher les cas la corroborant. Frans Veldman publia en 2004 haptonomie. Amour et raison, et haptonomie, Science de l’affectivité en 2007.
Catherine Dolto, fille de la psychanalyste Françoise Dolto et du kinésithérapeute Boris Dolto, est la principale promotrice de la méthode.

Scientificité de la découverte : il n’existe pas de publication scientifique par Veldman sur le sujet.

Principe théorique non étayé  : un contact dit « affectivo-psycho-tactile » aurait des effets bénéfiques sur la santé

(1) Outre ses méthodes brutales, Bettelheim a plagié certains travaux. Ainsi, Psychanalyse des contes de fées (1976) a été dénoncé par l’anthropologiste Alan Dundes (1991) comme étant un plagiat de A Psychiatric Study of Myths and Fairy Tales: their origin, meaning, and usefulness (1974) de Julius Heuscher. Pour en savoir plus, Pollak (2003).

Couverture de l'ouvrage de Raphaël Hammer

Lecture : Raphaël Hammer – Expériences ordinaires de la médecine, confiances, croyances et critiques profanes

Couverture de l'ouvrage de Raphaël HammerRaphaël Hammer est docteur en sociologie, et actuellement enseignant et chercheur en Suisse au sein d’une structure regroupant différentes formations paramédicales. Cet ouvrage 1 retranscrit les résultats d’une enquête sociologique menée dans le canton de Genève en l’an 2000, qui s’intéressait aux formes principales de reconnaissance, de valorisation et de critique portées par les « profanes » vis-à-vis des médecins, du système de santé et des thérapies dites alternatives. Son contenu fait écho à de nombreuses problématiques soulevées et traitées au sein du Cortecs. Un livre de plus à ajouter à la bibliothèque critique du praticien en santé !

Une saine méthodologie

Dans le cadre de l’étude sur laquelle s’appuie l’ouvrage, des entretiens semi-directifs ont été menés auprès de 64 hommes âgés de 40 à 60 ans habitant dans le canton de Genève, recrutés via l’annuaire téléphonique, appartenant à différentes catégories socio-professionnelles : travailleurs manuels, instituteurs, employés de bureau. Les conclusions tirées de cette enquête concernent donc un échantillon bien spécifique de la population suisse ; l’auteur insiste à juste titre sur cet élément épistémologique important. Surtout, ce qui est intéressant ici, c’est de voir comment une méthodologie qualitative fréquemment utilisée en sciences sociales (la conduite d’entretien) peut être menée de manière rigoureuse.

Des précisions sur la critique de « la science »

Souvenons-nous, le mot science peut revêtir différents sens2. Rappelons-les brièvement ; le mot science peut renvoyer à la méthode, à la somme des connaissances, aux sciences appliquées et aux technologies, à la communauté scientifique vue de l’intérieur, à la même communauté vue de l’extérieure. Lorsque quelqu’un remet en cause la science médicale, il est donc légitime de se questionner sur ce qu’il désigne par ces termes. C’est ce que fait Raphaël Hammer.

Ainsi, nous découvrons que les personnes interrogées ne remettent pas du tout en cause la science en tant que méthode. En effet, « c’est moins la science en tant que telle qui est l’objet des inquiétudes et des contestations, que les aspects politiques et économiques de son fonctionnement et de son insertion dans la société globale » (p220). Plus précisément, «  ce sont bien les aspects politiques et économiques qui sont au centre des acquisitions les plus fréquentes et les plus vives : l’influence du néo-libéralisme sur la gestion des institutions de soin, l’importance de la rentabilité des politiques sanitaires, ou encore le pouvoir des industries pharmaceutiques et des assurances-maladie sur le système de santé et les pratiques médicales. Nombre de discours sont ainsi marqués par ce sentiment inquiet que la qualité des soins, la santé comme bien en soi et l’équité sont des valeurs menacées par la logique capitaliste et la quête du profit » (p221).

Critères de légitimité des thérapies alternatives selon leurs usagers ou sympathisants

Aiguilles d'acupuncture
Des aiguilles servant à pratiquer l’acupuncture

Le chapitre IV s’intitule « Médecines alternatives et populaires : représentations et usages » et tente de cerner les éléments socio-institutionnels, symboliques, et pratiques qui fondent la crédibilité de ces thérapies aux yeux de leurs usagers.

Les positionnements des interrogés sont différents selon le type de thérapie proposée. Lorsque la pratique est présentée comme étant le fruit d’un talent ou du don d’une personne (c’est souvent le cas avec les barreurs de feu ou les rebouteux), les critères de rationalité, de scientificité et de reconnaissance institutionnelle sont plus fréquemment suspendus ; on se fie alors aux témoignages, à la gratuité de l’acte, comme garants de son efficacité. Lorsque les pratiques sont présentées comme étant le fruit d’un savoir (l’homéopathie, l’acupuncture par exemple), elles sont jugées comme étant digne de confiance, puisque s’appuyant sur un savoir théorique constitué et énonçant peu voir aucun effet secondaire. L’adhésion aux idéologies et aux principes qu’elles véhiculent (l’approche globale de l’individu, la valorisation des défenses propres de l’organisme etc.), le parcours académique des pratiquants, le contrôle par les autorités scientifiques et politiques rassure et leur confère plus de crédibilité.

Le développement de ces pratiques serait avant tout la conséquence d’un profond désenchantement vis-à-vis de la technicité médicale, de la déshumanisation des soins, de la barrière relationnelle et statutaire entre le soignant et la patient. Il est alors étrange de s’apercevoir que les pratiques « alternatives » sont finalement évaluées et choisies selon les mêmes critères que les pratiques dont elles prétendent se démarquer. Les interlocuteurs désirant les utiliser disent qu’elles doivent répondre à des impératifs de validité, de compétence, et d’efficacité. Vis-à-vis d’elles, ils adoptent un positionnement agnostique, qu’Hammer qualifie de « scepticisme libéral » (p173) : ils n’y croient pas, sans pour autant dire qu’elles ne sont pas valides ou efficaces.

Pour de vraies alternatives en santé

Si Raphaël Hammer ne prend pas vraiment position vis-à-vis du statut des thérapies « alternatives », on peut penser qu’en plus de ne pas avoir fait la preuve de leur efficacité propre, elles ne sont pas des alternatives politiques ou économiques 3. Mais alors, que proposer pour parvenir à un système plus efficace et satisfaisant pour le plus grand nombre ? Quelques éléments de réponse sont esquissés dans cet ouvrage. Hammer postule que la question n’est plus d’être pour ou contre la science, mais plutôt de définir le cadre de son développement, d’instaurer un débat autour des questions éthiques. J’ajouterais à cela que tous les citoyens devraient potentiellement pouvoir y prendre part. Mais pour que les échanges soient fructueux, cela nécessitera de bien poser la cadre épistémologique et théorique de départ (notamment, ce que l’on entend par « science »), et de détecter les argumentations fallacieuses, ce qui nécessite que les participants soient formés au préalable au maniement d’outils d’analyse spécifiques.

À titre individuel, en tant que professionnel de santé, l’ouvrage nous rappelle, s’il le fallait, l’importance du dialogue, du facteur relationnel et de l’attention que l’on doit porter aux aspects psychosociaux de la prise en charge de nos patients. Encore faut-il que notre contexte professionnel nous le permette, où que nous nous octroyons cette possibilité.

Nelly Darbois

phare breton

Un phare breton dans les ténèbres de la kinésithérapie

ÀPhare breton sous un beau ciel bleu l’école de kinésithérapie de Rennes, les « frères Piette », deux kinés et formateurs, furent à l’initiative, en collaboration avec le CorteX, de la création d’un module « formation à l’esprit scientifique ». Gaël Piette n’en est pas resté là et a cherché à évaluer l’impact de cet enseignement sur les attitudes et capacités critiques des étudiants, en les comparant à celles d’une population témoin n’ayant pas suivi ces cours.

Dans ce travail réalisé dans le cadre d’un master 2 en sciences de l’éducation, Gaël retrace également les parcours professionnel et intellectuel qui l’ont conduit petit à petit à se questionner sur l’efficacité de ses pratiques. Il y détaille aussi le contenu des cours qui furent dispensés à l’école de Rennes.

Toute l’originalité de sa démarche réside dans l’élaboration et la mise en place d’un questionnaire pour tester, rétrospectivement, si la  population exposée aux séquences  pédagogiques a une meilleure pensée critique et une moindre adhésion aux croyances que la population témoin. Bien sûr, Gaël n’hésite pas à souligner les limites de son expérimentation. Son travail pourra constituer une base solide pour des étudiants ou professionnels kinés souhaitant aborder le thème esprit critique et kinésithérapie.

Voici le mémoire en PDF : Mémoire Gaël PIETTE – Esprit critique et kinésithérapie.

Bravo à lui pour ce travail mené en parallèle d’un exercice professionnel chronophage ; ils sont fous ces bretons1 !

À noter qu’en Bretagne, les kinésithérapeutes peuvent, dans leur développement professionnel continu, choisir les formations « Sciences et croyances en kinésithérapie » ou « Choisir ses traitements à l’aide des statistiques ». Cela se passe ici.

Appareil d'électrothérapie (TENS) relié à 4 électrodes

Comment se faire rapidement une idée de l'efficacité d'une technique ou d'un outil utilisé en kinésithérapie ?

En tant que kinésithérapeutes, nous sommes amenés à utiliser au quotidien de nombreuses techniques, instrumentales ou non. Pour une même prise en charge nous devons faire un choix qui peut dépendre de notre expérience personnelle, du temps et du matériel disponible, de la demande du patient, etc. Il est aussi possible d’en privilégier certaines en fonction des données accessibles dans la littérature scientifique. La recherche d’informations scientifiques dans la littérature est souvent abandonnée par les kinésithérapeutes faute de temps1; ce paramètre est donc à prendre en compte dans cet article.

Cet article n’a pas pour vocation de permettre de mener une recherche bibliographique exhaustive mais présente des astuces pour débusquer rapidement et gratuitement des informations scientifiques sur l’efficacité d’une technique ou d’un outil utilisé en kinésithérapie. La mise en application des différentes étapes décrites ci-dessous nécessite une connexion à internet et quelques notions d’anglais. Tout au long de cet article, j’illustrerai les différentes étapes présentées à l’aide d’une situation fictive que voici :

Une personne se tient le bas du dos, elle semble avoir malPartons d’une pathologie fréquente et prise en charge en kinésithérapie1 : la lombalgie chronique.
Dans cet exemple fictif, le kiné propose différentes choses aux patients dont le motif de la prescription est « lombalgie chronique ». Il consacre 30 min en face à face avec le patient, puis lui propose 30 min de prise en charge antalgique passive sans présence de thérapeute. Créons un faux dilemme pour l’occasion ; admettons que le kiné dispose au cabinet de deux appareils applicables sur le dos du patient délivrant l’un des ultrasons (US), l’autre du TENS2. Il se demande lequel il vaut mieux utiliser.

L’idée de cet article est de trouver des informations permettant d’étayer l’efficacité et l’innocuité supposées de ces techniques. Ceci permettra en pratique de privilégier, dans ce contexte, un traitement à un autre… ou aucun ! (En gardant en tête qu’il y aurait d’autres possibilités, comme proposer autre chose, ou rien etc.).

Formuler une question précise.

Il s’agit de formuler précisément la question que l’on se pose, de la clarifier, afin d’en identifier les concepts-clé. On peut par exemple utiliser les critères PICO3. Voici ce que signifient chaque lettre du mot PICO :
– P = patient ou problème médical ;
– I = intervention évaluée ;
– C = comparateur ;
– O = outcomes = résultat mesuré, critère de jugement.
Pour chacun de ces termes, il faut se questionner sur ce que l’on met derrière dans le cadre de notre recherche.

 Exemple

Chez un patient atteint de lombalgie chronique, l’application du TENS comparativement aux US soulage-t-elle mieux la douleur ?
P = patient atteint de lombalgie chronique
I = l’application du TENS
C = US
O = douleur
Cette question est très large et a juste pour prétention de dégrossir le terrain.

Temps estimé : 2 minutes.

Faire ressortir des mots-clés.

Il s’agit de faire ressortir de la question formulée les mots les plus importants, qui serviront à mener nos recherches.

 Exemple

Lombalgie chronique, TENS , ultrason, douleur.

Temps estimé : 1 minute.

Traduire les mots-clés.

Il faut traduire les mots-clés en anglais. Si cela est difficile spontanément, on peut utiliser Linguee que je trouve bien conçu pour trouver le bon mot en fonction du contexte.

 Exemple

J’obtiens donc : chronic low back pain, Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation, ultrasound, pain

Temps estimé : 2 minutes.

Vérifier les mots-clés.

Il s’agit de vérifier que ces traductions correspondent à celles utilisées dans la littérature scientifique. Pour cela, on peut utiliser MeSH 4. Il suffit de taper dans la barre de recherche vos mots-clés les uns après les autres et de voir les propositions qui apparaissent.

Exemple

chronic low back painlow back pain

Le mots clés correspondants à chronic low back pain sont low back pain

Transcutaneous Electrical Nerve StimulationTranscutaneous Electrical Nerve Stimulation

painpain

Concernant la traduction d’ ultrasound, il s’agira de trouver la bonne appellation concernant le procédé délivrant des ultrasons pour le traitement d’une région du corps. Douze résultats apparaissent sur la MeSH, le premier étant ultrasonography. Grâce aux descriptifs des mots-clés, on peut relever : ultrasonic therapy et diathermy.

MeSH

Si j’ai encore un doute, je peux aller sur le moteur de recherche de la base de données PEDro qui recense exclusivement des articles relatifs à la kinésithérapie. En tapant ultrasonic therapy, dans les titres, apparaissent d’autres mots semblant qualifier la même chose : low-frequency ultrasound, ultrasonic sessions, ultrasonic wave etc. Idem en tapant diathermy : microwave diathermy, shortwave diathermy, ultrasound therapy, etc.

Je décide de garder les termes qui paraissent les plus généraux, soit les mots redondants : diathermy, ultrasonic et ultrasound.
Temps estimé : 3 minutes.

Rechercher des articles sur le sujet.

Je vais maintenant utiliser ces mots-clés dans un moteur de recherche d’une base de données pour voir si des études sur le sujet existent. Il existe différents moteurs de recherche. Je choisis d’utiliser celui de la base de donnée Medline, car c’est celui que je maîtrise le mieux. Il en existe aussi un spécifique au domaine de la kinésithérapie : PEDro, et d’autres comme HAL, Cochrane, Google Scholar etc. Je vais taper d’abord un seul mot clé et en fonction du nombre de résultats, je préciserai ma recherche.

Exemple

(Recherches réalisées le 2 août 2014)

low back pain : 25 225 résultats. Cela fait beaucoup trop d’études à trier, il faut donc être plus précis.

Il y a 25 225 occurences pour les mots clés low back pain
low back pain Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation : 204 résultats. Là encore, trop d’études apparaissent.

low back pain Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation AND (ultrasound OR ultrasonic OR diathermy) : 20 résultats. J’ai utilisé cette fois 3 opérateurs : AND, OR et (). La traduction littérale de cette recherche donne : je cherche les articles contenant les termes low back pain Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation en plus (AND) soit du mot ultrasound, soit (OR) du mot ultrasonic, soit (OR) du mot diathermy. Si je n’avais pas mis de parenthèses, cela aurait donné : je cherche les articles contenant les termes low back pain Transcutaneous Electrical Nerve Stimulation et ultrasound, ou le terme ultrasonic, ou le terme diathermy.

On est passé de 25 525 résultats à 20 en faisant une recherche avancée
Pour préciser encore plus ma recherche, je peux sélectionner seulement les Reviews qui recensent les essais cliniques de bonne qualité méthodologique. J’arrive alors à 9 résultats.

Sélectionner l'option Review permet à nouveau de réduire le nombre d'articles sélectionnés

Temps estimé : 2 minutes.

Sélectionner les articles pertinents.

Je me contente dans un premier temps de lire les titres des articles.

Exemple

Voici les titres apparaissant ainsi que leur année de publication et ce que je décide rapidement d’en faire.

Mechanical therapy for low back pain. (2012) + Subcutaneous peripheral nerve stimulation with inter-lead stimulation for axial neck and low back pain: case series and review of the literature. (2011) + Managing low back pain in the primary care setting: the know-do gap. (2010)

→ Cela ne porte pas vraiment sur les techniques que j’étudie et/ou couvre un sujet beaucoup plus large : je ne sélectionne pas.

The efficacy, safety, effectiveness, and cost-effectiveness of ultrasound and shock wave therapies for low back pain: a systematic review. (2011)

→ Cela traite au moins d’un des deux traitements que j’étudie : je la sélectionne.

Evidence-informed management of chronic low back pain with transcutaneous electrical nerve stimulation, interferential current, electrical muscle stimulation, ultrasound, and thermotherapy. (2008) + Nonpharmacologic therapies for acute and chronic low back pain: a review of the evidence for an American Pain Society/American College of Physicians clinical practice guideline. (2007) + Effective physical treatment for chronic low back pain. (2004)

→ Je sélectionne ; la première traite explicitement du TENS ; la seconde traite des thérapies non pharmacologiques dont le TENS et les ultrasons font partie.

Pain management in polycystic kidney disease. (2001)

→ Cette étude porte sur les traitements contre la douleur existants pour une maladie des reins. Le sujet étant trop éloigné de ce qui m’intéresse, je ne sélectionne pas.

[Conservative therapy of backache. Part 5: TENS, acupuncture, biofeedback, traction, cryotherapy, massage and ultrasound]. (1993)

→ Celle-ci paraît traiter à la fois du TENS et des ultrasons : je la sélectionne.

Temps estimé : moins d’une minute par article.

Lire les résumés

Je me retrouve donc avec cinq études sélectionnées par leur titre. Il faut maintenant lire leur résumé. Un résumé-type aborde en quelques phrases le contexte dans lequel s’inscrit l’étude, son ou ses objectifs, la méthode employée, les résultats produits, et une conclusion. Je peux parcourir l’article en diagonale et m’arrêter surtout sur la partie évoquant les résultats de l’étude.

Exemple

Étude de 1993.
Seul le résumé de cette étude est accessible en anglais, le reste étant en allemand. Je mets de côté cette étude (je ne parle pas assez bien l’allemand) en espérant que les plus récentes soient méthodologiquement au moins aussi solides que celle-ci.

Étude de 2004.
Son résumé dit seulement qu’est abordé le cas des US et du TENS : je vais donc la regarder plus en détail.

Étude de 2007.
Dans la partie « résultats » de ce résumé, les dispositifs de TENS et US ne sont pas évoqués ; on va donc devoir se reporter à la partie résultats figurant dans la version complète de l’article.

Étude de 2008.
Son résumé ne donne aucun renseignement sur ce qui nous intéresse ; je dois me procurer l’article.

Étude de 2011.
La partie résultat est plus complète que dans les autres études. Elle m’apprend que chez les patients lombalgiques chroniques, les ultrasons sont moins efficaces (sur quoi?5) que les manipulations vertébrales, que le TENS est aussi efficace que les manipulations vertébrales, qu’il n’y a pas de cas d’effets secondaires relatés et qu’il n’y a pas d’information sur le rapport bénéfice/coût économique.

Temps estimé : entre 1 et 5 minutes par article.

Récupérer les articles en entier.

Il y a plusieurs possibilités pour cela parmi lesquelles :
– taper le titre de l’article dans un moteur de recherche : on peut parfois tomber sur une version intégrale en accès libre ;
– contacter par courriel l’auteur de l’article pour qu’il nous l’envoie ;
– y accéder via une université ou un autre endroit abonné à la revue.

Exemple

Dans notre exemple les trois études à récupérer sont disponibles gratuitement : à cette adresse pour celle de 2011, à cette adresse pour celle de 2008 et à cette adresse pour celle de 2004. Elles ont été trouvées en tapant le titre de l’article dans le moteur de recherche Google.

Temps estimé : entre 2 et 10 minutes.

Lire les parties pertinentes.

Il s’agira de survoler l’article et de s’arrêter sur les parties m’intéressant, particulièrement dans les parties résultats, discussion et conclusion.

Exemple

Sont ici retranscrits des passages des études qui permettent de répondre à la question de départ.

É
tude de 2004.
*US. « The only systematic review of ultrasound in the treatment of chronic LBP concluded that ultrasound is ineffective » (Philadelphia Panel,2001). [Partie Ineffective treatments]
*TENS. « The four systematic reviews of TENS have concluded that either TENS does not have a clinically important effect [4,13,40] or is of unknown value [15,41] in the treatment of chronic LBP. » [Partie Ineffective treatments]

Étude de 2011.
*US. « Results from this review do not support the use of ultrasound or shock wave for treating patients with LBP and leg pain. (…) » [Partie discussion]
« Results from this review do not support the clinical use of ultrasound for patients with common LBP without leg pain, either. » [Partie discussion]

Tableau présentant les niveau de preuve des applications de TENS selon leur fréquence et le type de pathologieTableau extrait de l’étude de 2011. Niveaux de recommandation6

Étude de 2008.

*US. « No eligible studies were found on which to base recommendations for US. » [Partie Evidence of efficacy]
*TENS. « Contradictory postintervention results (two studies reported mostly positive outcomes [9,32] and two mainly negative ones [15,38]) could be explained by differences in assessment periods. (…) » [Partie Summary]
« Thus, although TENS appears to immediately reduce pain, its repercussions in overall management of CLBP are not well known. » [Partie Summary]

Temps estimé : 3 minutes par article.

Se questionner sur la validité interne des études.

On peut se questionner au moins à deux niveaux :
(1) sur la rigueur de la méthode employée par les auteurs pour réaliser leur revue de littérature : ont-ils employé des mots-clés pertinents ? Que penser des critères d’inclusion des études ? Etc. Il s’agit de s’intéresser à la validité interne de la revue de littérature.
(2) sur le sérieux des essais contrôlés randomisés (ECR) sur lesquels s’appuient les auteurs pour constituer leur revue. Ces derniers en font généralement déjà eux-même une critique dans la partie « Discussion ». Il s’agit de s’intéresser à la validité interne des ECR.

Exemple

Concernant les trois études les plus récentes, je cite quelques passages extrait des études illustrant (1).

Étude de 2011.
« Two of the three RCTs on ultrasound had a high risk of bias for chronic LBP patients without leg pain, ultrasound was less effective than spinal manipulation, whereas a shock wave device and transcutaneous electrical nerve stimulation led to similar results. Results from the only study comparing ultrasound versus a sham procedure are unreliable because of the inappropriateness of the sham procedure, low sample size, and lack of adjustment for potential confounders. No study assessed cost-effectiveness. No adverse events were reported. »
→ Voici donc quelques limites des études testant les US et TENS : absence de comparaison à une thérapie placebo ou placebo faillible, faiblesses statistiques (taille de l’effet, ajustement des variables), pas de données sur le rapport coût-bénéfices.

Étude de 2008.
« Most of the included studies on TENS can be considered of relatively poor methodological quality, with four [8,9,32,39] of the six scoring 2 or below on the Jadad scale [44]. »
→ Ici sont soulignées de manière générale les faiblesses méthodologiques des études testant le TENS. Celles-ci ont été relevées en utilisant le score de Jadad7.

Étude de 2007.
« As opposed to the study on shock wave [15], the quality of reporting of the studies on ultrasound was very poor [16 # 18]. »
« All these shortcomings imply that this study has a high risk of having been affected by multiple biases (Tables 1 and 2) [18], making it impossible to rule out the possibility that ultrasound may simply be acting as a placebo for LBP patients. »
→ Les études portant sur les US comportaient aussi des risques élevés de biais et étaient donc très faibles sur le plan méthodologique.

Concernant l’étude la plus ancienne, j’illustre le (2).

Étude de 2004.
Contrairement aux autres études sélectionnées, celle-ci est moins intéressante pour différentes raisons parmi lesquelles son antériorité de réalisation ainsi que son manque de détail sur la méthode de recherche bibliographique, la sélection des études et des données. Je m’appuierai donc plutôt sur les trois autres études.

Temps estimé : 1 minute par article.

Répondre à la question de départ.

Les points 8 et 9 devraient permettre de répondre au moins partiellement à la question formulée initialement.

Exemple

Notre question était : « chez un patient atteint de lombalgie chronique, l’application du TENS comparativement aux US soulage-t-elle mieux la douleur ? ».
Je n’ai pas trouvé d’étude de bonne qualité méthodologique traitant spécifiquement de cette question.
J’ai cependant lu que l’efficacité spécifique des US sur la douleur des lombalgiques chroniques n’est à l’heure actuelle étayée d’aucune façon.
En revanche, il semble y avoir quelques preuves concernant l’efficacité spécifique du TENS.

Temps estimé : 2 minutes.

Conclusion.

Ces recherches donnent un aperçu de la littérature sur le sujet. Elles peuvent étayer notre point de vue sur une technique et permettre de privilégier une technique plutôt qu’une autre, d’acheter un matériel plutôt qu’un autre, ainsi que d’informer le patient sur ce que l’on sait à l’heure actuelle du traitement qu’on lui octroie.

Bien évidemment, elles ne peuvent se substituer à une étude plus exhaustive et approfondie du sujet, prenant en compte la validité interne et externe des études, ainsi que les failles du système de publication8.

À titre indicatif est indiqué le temps supposé de réalisation de chaque étape sans entraînement préalable. Je pense qu’avec l’habitude, ce type de recherche ne prend pas plus de quinze minutes. Lorsque je la présente à un étudiant, je prévois trente minutes, si j’ai au préalable déjà récupéré les articles.

Sur le sujet.

Couverture de l'ouvrageJean-Michel Vandeweerd. Guide pratique de médecine factuelle vétérinaire, Lavoisier, 2009.

Cet ouvrage, rédigé par un vétérinaire enseignant notamment en méthodologie scientifique, traite de l’application de cette dernière en sciences vétérinaires (mais cette démarche est généralisable pour d’autres domaines d’application). Il s’appuie sur des cas concrets et ne nécessite pas de pré-requis particuliers, même si certaines parties sont plus denses que d’autres.

* Vidéo de Nicolas Pinsault sur le site du CorteX. Comment lire et comprendre des articles scientifiques, novembre 2013.

* PDF en accès libre de la Haute Autorité de Santé. Guide d’analyse de la littérature et gradation des recommandations, 2000.

Nelly Darbois

dents d'Albin

Initiation à la démarche critique des étudiants en kinésithérapie pendant les stages de formation clinique : retour d'expérience

Depuis une dizaine d’années, différents organismes nationaux et internationaux soulignent le développement croissant du recours aux pratiques de soins non conventionnels par la population. Le recours à ces pratiques n’est parfois pas sans risque pour la santé physique et mentale des patients, en particulier lorsqu’elles sont « porteuses de dérives sectaires »1.

L’ensemble des professionnels de santé est concerné par cette problématique notamment les kinésithérapeutes. En effet, nous pensons que les modalités de prise en charge (proximité physique, durée des soins, etc…) exposent particulièrement ces professionnels confrontés à une offre de formation continue pléthorique1 et à un retard, en France, en terme de recherche clinique2. Il semble donc crucial que les professionnels aient un regard critique vis-à-vis de la littérature scientifique et des pratiques de soins non conventionnels afin d’assurer des soins de qualité3.

En réponse à cela, certains enseignants de l’Institut de formation de l’école de kinésithérapie de Grenoble et de l’Université Joseph Fourier ont choisi de dispenser des enseignements d’esprit critique aux étudiants kinésithérapeutes afin de leur donner des outils pour les aider à faire le tri parmi toutes ces pratiques4. L’esprit critique, comme la méthodologie scientifique, n’est à ce jour pas inscrit au programme officiel de la formation5.

Nous fûmes parmi les premiers étudiants kinésithérapeutes à recevoir ces enseignements. Les considérant comme essentiels pour toute personne travaillant en tant que professionnel de santé, nous avons tenté de nous faire le relai de ces enseignements en proposant une initiation à la démarche critique auprès d’étudiants kinésithérapeutes lors de leurs stages de formation clinique. Nous allons dans cet article vous présenter la manière dont nous avons procédé ainsi que notre retour sur cette expérience. Nous espérons fournir ainsi des idées à tous les kinésithérapeutes et autres professionnels de santé qui souhaiteraient se lancer dans le même type de démarche. Cela permettra également aux étudiants stagiaires que nous avons rencontrés d’avoir le contenu de l’intervention à disposition.

Procédure d’intervention

a. Caractéristiques générales

Public : étudiants kinésithérapeutes en 1ère, 2ème et 3ème année.

Lieu : centres de rééducation.

Taille des groupes : de 2 à 8 étudiants.

Durée de l’intervention : 30 minutes.

b. Support pédagogique

Nous avons créé un texte qui portait sur une thérapie de notre invention : la phanérothérapie. Nous avions pensé au départ à la capillothérapie. Seulement après une rapide recherche sur internet nous nous sommes rendus compte que cette thérapie existait déjà. Nous avons alors pensé à la phanérothérapie (les phanères étant les productions de l’épiderme : cheveux, ongles etc.) pour laquelle nous ne trouvions à l’époque aucune occurrence (printemps 2013). À ce jour, deux occurrences sortent sur la première page du moteur de recherche Google lorsque nous entrons « phanérothérapie » mais ne renvoient pas à une thérapie existante.

Dans ce texte, nous avons glissé les différents arguments qui nous paraissent récurrents lorsque quelqu’un tente de faire la promotion d’une thérapie.

Voici le texte en question (voir plus bas pour une analyse de ce document) :

La phanérothérapie.

Une technique efficace en kinésithérapie

Les fondements théoriques de la phanérothérapie s’appuient sur l’importance des phanères dans le corps. Des stimulations réflexes des phanères, en particulier des ongles, permettent d’actionner des circuits réflexes de second ordre. Il existe différentes techniques en terme de rythme, d’intensité, de grattage ou de pianotage.

Cette technique permet de soulager les douleurs chroniques de tout type, mais aussi certaines douleurs aiguës. Elle a été introduite par le médecin chef d’un centre dans lequel nous avons travaillé. Il a pratiqué la phanérothérapie pendant plus de 20 ans en libéral. Cette méthode a aussi été utilisée depuis plusieurs centaines d’années par les Indigènes du Pacifique : Nouvelle-Zélande, Nouvelle-Calédonie, Australie, etc.

Ce médecin nous a présenté beaucoup de témoignages positifs que les patients lui avaient envoyés après quelques séances. Beaucoup de gens affectés de douleurs depuis des années sont allés mieux dans les semaines qui ont suivi leur séance de phanérothérapie. Il n’y a jamais eu aucun effet secondaire.

Plusieurs études scientifiques de qualité ont été réalisées sur cette thérapie.

Séance de phanérothérapie
Séance de phanérothérapie

c. Déroulement de l’intervention

Étape préliminaire : invitation des étudiants et définition d’un lieu sans annoncer le sujet de la présentation.

Étape 1, confrontation: distribution du texte + consignes « Lisez et essayez de relever dans ce texte, par rapport à la thérapie qui vous est présentée, les éléments qui vous interpellent ou vous intéressent et pourquoi. »

Étape 2, recueil : tour de table. Nous interrogeons un à un les étudiants et notons les éléments « saillants » de leur discours sur un tableau si disponible.

Étape 3, analyse : nous expliquons aux étudiants que le texte est de notre invention. Nous reprenons leurs propos notés lors de l’étape 1 puis pointons et explicitons les différents arguments glissés dans le texte. Nous échangeons.

Voici une analyse du texte distribué. Celle-ci était réalisée à chaque intervention lors de cette étape, mais de manière non formalisée. Nous avons aussi inséré les principales remarques des étudiants lors de l’étape 2 que nous avons encore en mémoire ; nous n’en n’avons pas tenu un compte précis.

Point 1. L’absence de mention de la source du document.

Ceci permet d’aborder l’importance de l’origine de l’information6.

Remarques des étudiants : aucun n’a posé de questions concernant la source du document distribué, ce qui est pourtant fondamental à toute démarche critique.

Point 2. Des stimulations réflexes des phanères, en particulier des ongles, permettent d’actionner des circuits réflexes de second ordre.

Ici, notre idée fut de créer un sentiment de cohérence ainsi que de conférer une aura de scientificité à la technique en introduisant un terme scientifiquement bien défini, réflexe7dans un contexte, lui, dénué de signification précise8. Nous pensons retrouver ici une des caractéristiques de l’imposture intellectuelle telle que définie par Sokal et Bricmont9.

Remarques des étudiants : c’est la partie du texte qui a soulevé le plus de questions et de remarques. Les étudiants ont systématiquement demandé plus de détails théoriques et pratiques sur la technique, comme « que sont les circuits réflexes de second ordre ? ». Ils semblaient accorder beaucoup d’importance à la cohérence théorique de la technique, sans pour autant la remettre en question. Certains ont même fait un rapprochement avec les réflexothérapies, ce qui semblait donner pour les étudiants un certain crédit à la technique « Ah oui c’est un peu comme en réflexologie plantaire en fait ! »

=> Nous avons essayé d’évoquer le fait que ce n’est pas parce qu’une technique est cohérente et conforme aux connaissances anatomiques et physiologiques actuelles qu’elle est efficace. Nous avons aussi donné des exemples de techniques ou médicaments dont l’efficacité est étayée alors qu’il n’existe que des hypothèses concernant ses modalités d’action (ex : le paracétamol10).

Point 3. Cette technique permet de soulager les douleurs chroniques de tout type, mais aussi certaines douleurs aiguës.

Nous proposons à ce stade des prétentions importantes et imprécises (quelles pathologies ? Quel type de patient ? Quelle taille de l’effet11 ? etc.). Elles doivent alerter le lecteur. Ce sont en effet des affirmations de type scientifique.12 qui porte sur un effet thérapeutique. À ce titre, nous nous attendons à trouver les études scientifiques qui étayent ces propos. Tout autres type d’arguments doivent inviter à la vigilance.

Remarques des étudiants : quelques-uns nous ont demandé plus de précisions sur les indications de la phanérothérapie, les trouvant un peu vagues. Mais aucun n’a été choqué par la démesure des prétentions thérapeutiques.

=> Nous avons approuvé leurs remarques sur le caractère vague et prétentieux de ces indications, en insistant sur le fait qu’ils risquaient d’y être fréquemment confrontés au cours de leur pratique future13.

Point 4. Elle a été introduite par le médecin chef d’un centre dans lequel nous avons travaillé. Il a pratiqué la phanérothérapie pendant plus de 20 ans en libéral.

Nous utilisons ici un argument d’autorité14 à deux niveaux. Le premier niveau se décline en deux facettes : la hiérarchie sanitaire (le médecin est prescripteur de l’intervention du kinésithérapeute) et la hiérarchie institutionnelle (médecin chef). Le deuxième niveau concerne ce que nous qualifions d’argument de l’expérience qui intervient comme un dérivé de l’argument d’autorité (thérapie pratiquée 20 ans en libéral).

Point 5. Elle a aussi été utilisée depuis plusieurs centaines d’années par les indigènes du pacifique Nouvelle-Zélande, Nouvelle-Calédonie, Australie, etc.

Nous avons ici un argument d’historicité ainsi qu’un appel à l’exotisme.

Remarques des étudiants : certains ont fait remarquer qu’il était bizarre qu’il n’aient jamais entendu parler de la phanérothérapie si elle était pratiquée depuis si longtemps. Mais selon eux, une des explications pourrait en être que c’est parce qu’elle a été pratiqué sur d’autres continents, et que cela n’est pas parvenu jusqu’à chez nous. Le parallèle a été fait une fois avec la médecine traditionnelle chinoise (MTC) dont « on entend parler depuis pas longtemps alors qu’elle est pratiquée et efficace depuis des millénaires là-bas ».

=> Nous avons préféré ne pas rebondir sur la MTC au risque de nous éloigner du propos et des arguments purement rationnels. Nous avons alors pensé qu’il est plus efficace de rester centré sur la phanérothérapie et de ne pas ouvrir les échanges sur des sujets connexes, au risque de provoquer un effet boomerang15.

Point 6. Ce médecin nous a présenté beaucoup de témoignages positifs que les patients lui ont envoyé après quelques séances.

Ceci est un appel aux témoignages.16

Remarques des étudiants : certains nous ont demandé s’il y avait aussi des témoignages négatifs. Mais aucun n’a remis en cause la validité de ce type d’argument. Certains ont même ajouté : « De toutes façon il n’y a qu’à essayer pour se faire son opinion ». Dans une certaine mesure, cette allégation confère au témoignage personnel une valeur supérieure à celle du témoignage d’autrui. Or, c’est oublier que vu de l’extérieur, ce témoignage personnel ne fera que s’ajouter aux autres, ne lui conférant aucun caractère particulier.

Point 7. Il n’y a jamais eu aucun effet secondaire.

C’est aussi une prétention très importante. Nombreux sont les médicaments ou actions thérapeutiques susceptibles d’entraîner des effets secondaires (tous ?). Pour le vérifier, il suffit de jeter un œil sur les petites notices à l’intérieur des boites de médicament. Une allégation de cette nature doit donc éveiller la suspicion. Même si nous ne prétendons pas impossible qu’il existe des traitements sans risque iatrogène, une affirmation telle que celle-ci ne peut se contenter d’être simplement déclarée gratuitement. Elle nécessite une évaluation scientifique.

Remarques des étudiants : aucune à ce sujet. Pourtant cette prétention est au moins aussi importante que l’effet bénéfique d’un traitement.

Point 8. Plusieurs études scientifiques de qualité ont été réalisées sur cette thérapie.

C’est d’après nous le seul argument qui doit retenir notre attention. Seulement, nous avons besoin des références bibliographiques qui ne sont pas mentionnées17. Cet élément permet de faire le pont avec les étudiants vers la nécessité d’être capable d’analyser un article scientifique dans le domaine de la santé18.

Remarques des étudiants : ce n’est pas la partie du texte qui a déclenché le plus de réactions. Certains étudiants nous ont tout de même dit qu’il faudrait regarder un peu plus en détail ces études.

=> Nous en avons profité pour leur demander comment ils s’y prendraient pour trouver ces études, sur quelles bases de données ils chercheraient… Peu d’étudiants connaissaient la Medline, Pedro, Google Scholar ou Science Direct, même pour les étudiants de dernière année ayant bien avancé la rédaction de leur mémoire de fin d’étude.

Point 9. de manière plus générale, nous avons entendu ce type de remarque : « Il suffit d’essayer sur un ou deux patients, et s’ils trouvent que ça marche et bien c’est bon ».

Sans rejeter le fait qu’expérimenter soi-même une technique puisse concourir en partie à sa validation personnelle, l’expression « Il suffit » nous paraît démontrer une absence de mesure dans le poids à attribuer à l’expérience personnelle, une méconnaissance des différents éléments pouvant conduire le couple praticien/patient à conclure à tort à une efficacité propre de l’acte thérapeutique délivré et à une occultation de l’importance de s’appuyer, s’il elles existent, sur des données scientifiques probantes.

Étape 4 : nous présentons les enjeux de la démarche critique, les faits qui nous ont conduit à proposer cette intervention et récoltons les courriels des étudiants afin de leur proposer les liens suivants, pour approfondir :

  • Vidéos sur les médecines non conventionnelles
  • Fiche illustrée présentant des sophismes
  • Article sur l’effet placebo
  • Memoire de l’un de nous sur une thérapie manuelle

100_9800Retour d’expérience

Il nous a paru difficile d’initier une démarche critique en si peu de temps. Nous pensons toutefois cette durée suffisante pour satisfaire au modeste objectif d’une simple mise en contact avec la démarche critique.

Nous tenons à souligner qu’à la vue des réactions des étudiants à notre texte et des arguments utilisés lors des échanges, nous restons convaincus du bien-fondé de ce type de démarche.

En ce qui concerne l’étape 1 de l’intervention, nous avons eu du mal à déterminer quelles consignes donner sans induire un doute quelconque chez les étudiants par rapport à l’aspect canular de la thérapie. Les étudiants semblaient être particulièrement surpris quand nous leur annoncions que le document et la thérapie étaient de notre invention. À titre anecdotique, nous avons eu une réaction du type « je ne vais plus jamais regarder mes ongles de la même façon ».

Un commentaire critique d’un étudiant concernant notre texte nous est apparu pertinent. Celui-ci nous indiqua que le fait que nous nous incluions dans la présentation de la thérapie rendait difficile pour lui d’être trop critique lors du premier temps d’échange. Voici les lieux du problème : « Elle a été introduite par le médecin chef d’un centre dans lequel nous avons travaillé » et « Ce médecin nous a présenté beaucoup de témoignages positifs que les patients lui avaient envoyé après quelques séances. » Nous proposons donc les modifications suivantes : « Elle a été introduite par le médecin chef du centre de rééducation des Zarénides en Suisse19. » et « Ce médecin présente beaucoup de témoignages positifs que les patients lui ont envoyé après quelques séances. »

Concernant la taille du groupe, plus elle fut importante (8) moins nous eûmes l’impression de faire passer un message efficace. Nous souhaitions en effet échanger et non faire un cours magistral. En disposant de 30 minutes seulement, il était difficile de donner la parole de manière à peu près égale à 8 personnes différentes, et nous avions tendance à plus nous écarter du sujet. Si nous refaisions une intervention de ce type, nous privilégierions un groupe de 3 à 4 personnes.

Nous présentons en annexe un court questionnaire que nous avons envoyé aux étudiants quelques mois après notre intervention afin d’apprécier – au doigt mouillé – son influence.

Conclusion

Même si nous aimerions tester un autre type d’intervention à l’avenir, nous n’excluons pas de refaire celle-ci. En effet, satisfaire en si peu de temps au simple objectif de créer un premier contact avec la démarche critique nous apparaît aujourd’hui suffisamment important au regard des enjeux sous-jacents plutôt que de ne rien proposer du tout. Par contre, réaliser quelque chose de plus long ou en plusieurs sessions est délicat car les stages des étudiants kinésithérapeutes sont relativement courts, interviennent dans un cadre de scolarité court également (3 ans) et dense qui fait que les étudiants sont très sollicités. L’idéal serait évidemment d’avoir directement des cours d’esprit critique en école de kinésithérapie dans un contexte de formation rénové et augmenté20.

Annexes

Le questionnaire

Nous avons réalisé un questionnaire anonyme21 que nous avons envoyé à tous les étudiants quelques mois après l’intervention.

Après coup, nous avons regretté d’avoir réalisé ce questionnaire qui souffre de nombreux biais et dont on ne peut rien retirer. Il ferait cependant un bon support pour qui souhaiterait s’entraîner à trouver les limites méthodologiques d’un questionnaire.

Les questions posées furent les suivantes.

Questions fermées :

1) Suite et à cause de cette intervention, vos idées sur la kinésithérapie ont-elles été modifiées?

2) Suite et à cause de cette intervention, vos comportements professionnels ont-ils été modifiés?

3) Suite et à cause de cette intervention, vos choix de formation et d’exercice (secteur d’activité, patientèle, etc.) ont-ils été modifiés?

Réponses proposées :

Pas du tout modifiés ; Peu modifiés ; Modifiés en partie ; Modifiés de manière conséquente ; Complètement modifiés.

Question ouverte :

D’une manière générale, comment avez-vous jugé cette intervention ?

Résultats du questionnaire

Réponses aux questions fermées

Sur les 21 étudiants interrogés, 9 ont répondu dans les temps après les deux relances. Voici leurs réponses :

 

Pas du tout modifiés

Peu modifiés

Modifiés en partie

Modifiés de manière conséquente

Complètement modifiés

Total

1) Idées sur la kinésithérapie

1

1

6

1

0

9

2) Comportements professionnels

1

6

2

0

0

9

3) Choix de formation et d’exercice

2

2

4

1

0

9

Total

4

9

12

2

0

27

Réponses à la question ouverte

Nous avons mis entre parenthèses les réponses aux questions fermées de chaque étudiant dans l’ordre indiqué dans le tableau.

Étudiant (conséquente, partie, partie) : « intéressante, nous montre qu’il faut se renseigner et consulter les dernières revues bibliographiques pour s’améliorer et juger de l’efficacité de chaque méthode »

Étudiant (partie, partie, peu) : pas de réponse

Étudiant (partie, peu, partie) : « intéressante et formatrice car elle remet en cause pas mal de techniques et cela n’a absolument pas été abordé en cours. »

Étudiant (partie, peu, partie) : « Intéressante. L’esprit critique, je l’utilise tous les jours mais sans vraiment m’en rendre compte ni savoir explicité mes doutes face à certaines affirmations. Grâce à cette intervention, j’ai des arguments pour étayer mes « intuitions », je sais quelles questions poser. »

Étudiant (partie, peu, peu) : « Modifie la vision de la profession, mais peu la pratique (enfin sauf si on fait de l’écoute tissulaire). J’admets cependant être plus sceptique aujourd’hui quant à certaines techniques que l’on nous propose, que ce soit à l’école ou en stage. Je m’intéressais déjà à approfondir certaines connaissances dans le sens de la critique avant votre intervention, je ne peux pas dire que vous ayez provoqué chez moi l’envie de m’y intéresser ; en revanche je peux dire que vous m’y avez encouragé et avez sûrement accéléré l’acquisition d’un certain scepticisme scientifique. »

Étudiant (pas, pas, pas) : « Bonne, mais rien de nouveau, l’esprit critique existe en tout »

Étudiant (partie, peu, conséquente) : « intervention bien amenée, réfléchie, construite, et intéressante. Seul bémol, attention à ne pas faire passer cette intervention comme « une parole à répandre », presque un dialogue « sectaire » (j’exagère, mais c’est pour être compris) on peut avoir tendance à basculer de l’autre côté, à savoir douter de tous les acquis en MK, ne plus croire en rien dans cette belle profession. »

Étudiant (peu, peu, partie) : « Je ne m’attendais pas à ce qu’on aborde ce sujet alors que c’est un sujet très intéressant et malheureusement pas abordé pendant notre scolarité. »

Étudiant (partie, peu, pas) : « J’ai trouvé l’intervention intéressante. Ce que j’ai retenu: développer un esprit critique quant aux articles et publications qu’on lit, ne pas croire tout ce qu’on lit, vérifier les sources des articles. »

Nous souhaiterions répondre à ceci : on peut avoir tendance à basculer de l’autre côté, à savoir douter de tous les acquis en MK, ne plus croire en rien dans cette belle profession

Douter d’une technique n’implique pas nécessairement de ne pas la pratiquer et nous pensons que c’est ici que se niche le malentendu. Le doute en tant que fin, qui débouche sur une suspension du jugement systématique n’est bien sûr pas satisfaisant car cela implique qu’aucune action concrète n’est jamais réalisée. C’est le doute en tant que démarche que nous prônons en sachant pertinemment que dans nombre de cas, malgré les doutes, il faudra passer à l’action. Ceci dit, il est essentiel de ne rien considérer comme acquis et de perpétuellement se questionner, douter, critiquer, remettre en cause l’état de l’art. Cela n’implique donc pas de « ne plus croire en rien » mais de se dire que, peut-être, notre profession d’aujourd’hui ne ressemblera plus du tout à celle de demain et de ne pas s’accrocher à des pratiques pour de mauvaises raisons.

 

Nelly Darbois et Albin Guillaud