La charge de la preuve sous l’angle bayésien

Un ami du cortecs, Antonin, en dernière année de licence de philosophie et avec un bon nombre d’années de réflexions critiques derrière lui, nous propose cette petite discussion autour du concept de charge de la preuve. Une occasion de s’inscrire dans la continuité de l’éclaircissement par l’approche bayésienne des outils pédagogiques de la zététique.

La charge de la preuve est un argument couramment utilisé par les sceptiques. Lors d’un débat, c’est à la partie qui porte la charge de la preuve d’amener des preuves de ce qu’elle affirme, et si elle ne le fait pas, il n’y a pas de raisons d’accepter ses affirmations. Il est souvent utilisé face à des défenseurs de médecines alternatives, de scénarios complotistes ou autres croyances ésotériques. Mais il n’est pas toujours évident de déterminer de manière rigoureuse qui doit porter la charge de la preuve, et d’expliciter les critères qui permettent d’assigner cette charge. Je me propose ici d’apporter quelques clarifications, en m’aidant de l’approche bayésienne.

L’argument de la charge de la preuve est souvent exprimé sous cette forme “c’est à la personne qui affirme quelque chose de prouver ce qu’elle affirme”, ou encore “ce qui est affirmé sans preuve peut être rejeté sans preuve”. Mais il importe de clarifier ce que l’on entend par “affirmer”, et ce que signifie le rejet d’une affirmation.

Prenons un exemple : je me promène en forêt avec un ami lorsque nous tombons sur un champignon. J’affirme « ce champignon est comestible », ce à quoi mon ami me répond : « je suis prêt à te croire si tu me le prouves, mais tant que tu ne me l’as pas prouvé, je n’accepte pas ton affirmation. Je considère donc a priori que ce champignon n’est pas comestible. » Cela semble sensé, si l’on considère que la négation de l’affirmation est la position par défaut. Mais c’est en réalité un écueil à éviter.

Car si j’avais au contraire affirmé en apercevant ce champignon « Il est vénéneux », en suivant les mêmes principes, mon ami aurait dû avoir comme position a priori la négation de cette affirmation, « ce champignon n’est pas vénéneux », à savoir « ce champignon est comestible », soit la négation de la proposition a priori du premier cas ! Le fait que j’affirme en premier que ce champignon soit comestible ou vénéneux semble contingent et arbitraire ; cela ne peut pas déterminer une position rationnelle a priori sur la toxicité du champignon.

On voit ici que la notion de ce qu’est une affirmation ou une négation semble floue : je peux affirmer qu’un champignon est vénéneux : d’un point de vue logique, cela est strictement équivalent à affirmer qu’il est pas comestible, c’est-à-dire à nier qu’un champignon est comestible. Nous nous sommes fait piéger ici par la grammaire de notre langage. Cela est très fréquent et a incité les philosophes à essayer de construire un langage purement logique. Mais la syntaxe et la grammaire de nos langues façonnent tellement notre manière de penser qu’il est extrêmement difficile de voir à travers elles pour déceler la structure logique réelle de nos idées. Retenons simplement que l’affirmation logique n’est pas liée à la forme grammaticale de l’affirmation. Une affirmation, dans le sens qui nous intéresse ici, c’est le fait de défendre une position, même si cette position consiste à nier grammaticalement une proposition.

Il faut donc bien garder en tête que “rejeter une affirmation” qui n’est pas soutenue par des preuves, ce n’est pas “accepter la négation de cette affirmation” : c’est simplement suspendre son jugement. Que l’on fasse une affirmation positive ou négative, on porte la charge de la preuve.

Mais lors d’un débat, on a bien souvent deux opinions contraires qui s’opposent. Lorsque quelqu’un m’affirme que le crop circle qui est apparu dans la nuit est d’origine extra-terrestre, je ne me contente pas de rejeter son affirmation et de suspendre mon jugement, je fais une affirmation à mon tour en disant que ce crop circle n’a PAS été réalisé par des extra-terrestres. Qui porte la charge de la preuve dans ce cas ?

Examinons plusieurs catégories d’affirmations.

Premièrement, celles qui touchent directement à des questions scientifiques.

A l’échelle du débat scientifique dans sa généralité, la partie qui porte la charge de la preuve est celle qui vient contredire le résultat scientifique le plus solide dont on dispose. La charge de la preuve a déjà été remplie par ce résultat scientifique même, qui porte en lui sa justification. Cela peut-être une étude isolée qui n’a pas été répliquée, qui ne présente donc qu’un faible degré de confiance, mais si c’est la seule étude dont on dispose sur un sujet donné, elle a rempli son devoir de la charge de la preuve. La charge de la preuve réside donc sur la partie qui viendrait contredire ce résultat. Elle devra fournir au moins une étude de portée au moins équivalente pour remettre en cause l’affirmation du statu-quo, ou bien mettre en évidence le manque de fiabilité de l’étude précédente. Si elle présente une étude statistiquement plus fiable, ou une méta-analyse, ce sont ces nouveaux résultats qui contredisent les précédents qui deviennent le statu-quo scientifique, et la charge de la preuve revient maintenant à qui veut remettre en cause ce nouveau statu-quo, (cela peut être en produisant une méta-analyse plus impactante, en prouvant que les données sur lesquelles s’appuie la méta-analyse sont mauvaises, ou que les scientifiques qui l’ont produite sont corrompus…) et ainsi de suite.

Lors d’un débat entre deux individus sur une question scientifique, il suffit donc d’introduire l’état de l’art du débat scientifique dans le débat personnel pour porter la charge de la preuve qui soutient le statu-quo scientifique. Encore faut-il apporter la preuve, en fournissant les sources, que l’avis scientifique se range bien de son côté.

Mais souvent, le débat porte sur des questions qui n’ont pas encore traitées directement par la science, soit qui sortent du cadre de la science, soit qui n’ont pas encore été tranchées. Qui doit donc commencer par porter la charge de la preuve dans ce cas ?

Cela nous amène à une deuxième catégorie, celles qui affirment l’existence d’une entité, métaphysique ou non.

Par exemple, Dieu. On observe souvent une utilisation fallacieuse de la charge de la preuve dans ce débat. L’existence de Dieu est affirmée par une des parties, et fait porter la charge de la preuve à la partie adverse pour réfuter son existence. Si la partie adverse ne le peut pas, la première partie en conclut donc que Dieu existe.

Un argument pour répondre à cela est celui de la théière de Russell. Il reprend la structure de l’argument, mais en remplaçant Dieu par une petite théière en orbite dans le système solaire, indétectable par les télescopes. Puisqu’il n’est pas possible de prouver la non-existence de cette théière, si on suit le même raisonnement, alors on doit conclure qu’elle existe. Pourtant, peu de personnes seraient prêtes à accepter la conclusion de cet argument, qui semble absurde, et il faut donc rejeter la validité de l’inférence. Ce que cherche à illustrer cette théière cosmique, c’est que l’irréfutabilité de l’existence d’une entité, quelle quelle soit, ne permet pas d’affirmer l’existence de cette entité.

Mais si la charge de la preuve ne repose pas sur la partie qui nie l’existence de Dieu, repose-t-elle pour autant sur celle qui l’affirme ? On l’a vu, affirmer ou nier l’affirmation sont tous deux des affirmations. Et pourtant, dans ce cas, la charge de la preuve repose bien sur la personne qui affirme l’existence de Dieu. C’est le fameux rasoir d’Occam qui permet de justifier cela, qui dit qu’il faut préférer les hypothèses les moins “ontologiquement coûteuse”, c’est-à-dire les hypothèses qui mobilisent le moins d’entité possible pour expliquer un phénomène. Affirmer l’existence d’une entité à un coût qui doit se justifier : ce coût est la charge de la preuve.

Pour assumer la charge de la preuve d’une hypothèse ontologiquement plus coûteuse qu’une autre, il faut montrer qu’elle permet de rendre compte de certains phénomènes qui ne peuvent pas être expliqué avec les hypothèses plus parcimonieuses.

Il y a ensuite une 3ème catégorie, les questions qui touchent à des cas qui n’ont pas été traités directement par la science.

Par exemple, lorsque quelqu’un affirme : “ce crop circle a été fait par des aliens”, je ne me contente pas de rejeter cette affirmation, et de suspendre mon jugement. Je vais affirmer que ce crop circle n’a PAS été réalisé par des aliens, même si je n’ai aucune information sur ce crop circle précis. A l’aide d’un calcul bayésien, basé sur des données antécédentes à ce crop circle particulier, il semble peu probable que le CC soit fait par des aliens.

Voyons en détail : pour la théorie T : “les extra-terrestres ont fait ce CC”, la donnée D « un CC est apparu pendant la nuit”, on a la probabilité que « la théorie T soit vrai en sachant la donnée D » égale à P(D|T)xP(T) / P(D). P(D) peut s’exprimer sous la forme P(D|T)P(T) + P(D|A)P(A) ou A est l’ensemble des théories alternatives qui expliqueraient D (principalement, et pour la totalité des CC jusque ici, des humains blagueurs).

Il faut maintenant estimer subjectivement la valeur de ces probabilités. P(D|T)=1, puisqu’il est certain que si des aliens étaient venus faire un CC, nous observerions un CC. J’estime ensuite que la probabilité a priori de la visite des aliens est très faible, mais soyons charitable et admettons une probabilité de 0,5 (cette valeur influe peu sur le calcul de toute façon), j’estime P(D|A) à environ 0,95 puisqu’on a été capable d’expliquer la majorité des CC avec une explication autre que celle extra-terrestre (il est donc très probable d’observer un CC même si les aliens ne visitaient pas la terre), et P(A) très élevée (disons 0,999 puisqu’on observe tous les jours des humains blagueurs).

Le résultat du calcul nous donne une probabilité de 0,34 (inférieur à 0,5)

Je vais donc affirmer qu’il a une autre origine que celle extra-terrestre. Mon interlocuteur devra m’apporter des nouvelles données sur ce CC particulier de manière à modifier le résultat du calcul bayésien et faire pencher la probabilité du côté opposé (supérieur à 0,5), c’est-à-dire qu’il devra m’apporter des nouvelles données qui ont une probabilité très faible d’arriver dans le cadre d’une explication alternative, ou de me fournir des éléments qui amèneraient à penser que la probabilité a priori de la visite des extra-terrestres est proche de 1. S’il le fait, la charge de la preuve pèse maintenant sur mes épaule si je veux continuer à affirmer qu’il a une origine autre qu’extra-terrestre.

Cette approche bayésienne de la charge de la preuve permet de la faire porter aux personnes qui prétendent qu’une nouvelle médecine alternative fonctionne. Ces dernières fleurissent à un rythme bien supérieur à celui de la marche de la science, il est donc impossible de toute les réfuter scientifiquement. Mais même sans information précise sur une médecine alternative particulière, on peut quand même se permettre d’en nier l’efficacité et de faire porter la charge de la preuve à la personne qui affirme son efficacité. Du fait que ces déclarations du pouvoir guérisseur miraculeux de toutes sortes de choses pullulent autant, et que beaucoup ont quand même pu être réfutées, on sait que la probabilité qu’une personne affirme qu’une médecine alternative marche alors qu’elle ne marche pas est très élevée, ainsi que le probabilité a priori qu’elle ne marche pas. Du fait de ces hautes grandeurs dans le dénominateur de la formule de Bayes, la probabilité qu’une médecine marche en sachant qu’une personne affirme qu’elle marche est toujours inférieur à 0,5 a priori.

En conclusion, la charge de la preuve n’est pas une règle épistémologique absolue, elle reflète simplement la position du curseur de probabilité bayésien en fonction des nouvelles données qui s’ajoute au calcul. Mais ce calcul reste lié à des données subjectives a priori, antécédente au débat, et la position de ce curseur ne peut donc être une position objective. La charge de la preuve est un outil pratique dans le débat, mais il serait peut-être plus judicieux de le traduire en terme bayésien, et plutôt que de dire “tu portes la charge de la preuve”, dire “mon curseur bayésien attribue une faible probabilité à la croyance que tu défends. A toi de m’apporter des nouveaux éléments susceptible de faire pencher ce curseur de l’autre côté.”

CorteX_Chiffres_de_la_delinquance_Diagrammes_Surrepresentation

Sciences politiques et Statistiques – Analyse de chiffres sur la délinquance

Dans les nombreux débats sur la délinquance 1 pleuvent chiffres et statistiques, la plupart du temps sans qu’aucune précaution ne soit prise pour replacer ces chiffres dans leur contexte ou pour expliquer ce qu’ils traduisent réellement.
Pourtant, ces chiffres, particulièrement difficiles à obtenir que ce soit pour des raisons techniques ou éthiques, ont un impact très fort sur les représentations que nous nous faisons de la situation. Il m’a donc semblé important de faire un bilan de ce qui était vérifié et ce qui ne l’était pas, pour lutter contre les idées reçues et leurs conséquences sociales.
 
Le matériau de base de cet article est le fameux débat entre B. Murat et E. Zemmour chez T. Ardisson.
Une des notions statistiques clés abordées ici est la notion de surreprésentation.

Extrait de Salut les terriens, 6 Mars 2010.

Retranscription de la fin de la discussion :
B. Murat :
Quand on est contrôlé 17 fois dans la journée, ça modifie le caractère
E. Zemmour :
Mais pourquoi on est contrôlé 17 fois par jour ? Pourquoi ? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes. C’est comme ça, c’est un fait !
B. Murat :
Pas forcément, pas forcément.
E. Zemmour :
Ben, si.

A la suite de cette émission, E. Zemmour déclare dans Le Parisien du 08.03.2010 :

Ce n’est pas un dérapage, c’est une vérité. Je ne dis pas que tous les Noirs et les Arabes sont des délinquants ! Je dis juste qu’ils sont contrôlés plus souvent parce qu’il y a plus de délinquance parmi eux. Demandez à n’importe quel policier.

Avant-propos

Si le but premier de ce travail est d’analyser ces échanges d’un point de vue statistique, il me semble tout de même nécessaire de commencer par faire quelques remarques :

  • Autorité
    Quelle est la l’expertise de E. Zemmour et B. Murat sur le sujet ? Ont-ils une expertise scientifique c’est-à-dire dépassant le cadre de la simple opinion ? Ont-ils réalisé une étude sociologique sur la question ? Ont-ils réalisé un bilan des connaissances sur le sujet ? Si la réponse est non, il y a de fortes chances qu’ils n’expriment sur ce plateau qu’une opinion personnelle. Se poser cette question (et aller chercher la réponse) est essentiel pour déceler d’éventuels arguments d’autorité.
  • Source de l’information – Le témoignage
    Quelles sont les sources des deux protagonistes ?
    Pour B. Murat, on ne sait pas.
    Pour E. Zemmour, n’importe quel policier. Mais n’oublions pas ce proverbe critique (ou facette zététique) : un témoignage, mille témoignages, ne font pas une preuve. Le fait que mille personnes assurent avoir vu des soucoupes d’extra-terrestres n’est pas une preuve de leur existence.
  • Prédiction auto-réalisatrice
    Les propos d’E. Zemmour constituent une prédiction auto-réalisatrice. Considérons en effet qu’un délinquant est quelqu’un qui a été qualifié comme tel après avoir été arrêté par la police et acceptons momentanément les prémisses d’E. Zemmour :
    (a) La plupart des trafiquants sont Noirs et les Arabes
    (b) Le contrôle d’identité est efficace pour détecter des trafiquants.
    Si une majorité de policiers pensent que la phrase (a) est vraie, ils tendront à contrôler plus les Noirs et les Arabes. Et si la phrase (b) est vraie, ils tendront à trouver, de fait, plus de délinquants Noirs et Arabes. Ils conforteront ainsi les dires d’E. Zemmour.
  • Plurium interrogationum, essentialisation et effet cigogne
    Dans la dernière partie de ce travail, nous discutons du sens et de la validité statistique de la phrase Il y a plus de délinquance chez les Noirs et les Arabes, mais nous n’aborderons pas une autre prémisse qui, même si ce n’est pas l’intention de l’auteur, est très souvent entendue dans cette même phrase : Les Noirs et les Arabes sont plus délinquants (par essence) que les Autres.
    L’analyse de cette prémisse, ou plus exactement du raisonnement Il y a plus de Noirs et d’Arabes en prison ; on peut en déduire que les Noirs et les Arabes sont plus délinquants que les Autres fera l’objet d’un TP à part entière. C’est un bel exemple d’effet cigogne.
    En attendant, vous pouvez lire un article sur ce sujet dans le livre Déchiffrer le monde de Nico Hirtt, intitulé Méfiez-vous des grandes pointures ; il y est expliqué comment d’autres variables sont corrélées, tout autant que la variable « être Noir ou Arabe », à la fréquentation des prisons : pauvreté économique mais aussi niveau scolaire faible, avoir des parents analphabètes ou… avoir de grands pieds – nous laissons soin au lecteur de trouver une raison à cette dernière observation. Ce dernier exemple permet, il me semble, de mesurer à quel point une corrélation interprétée sans précaution comme une causalité peut se révéler être un non sens total.

Première partie : que représentent les chiffres de la délinquance ?

B. Murat comme E. Zemmour s’appuient sur des chiffres pour étayer leurs propos et placent ainsi le débat dans le domaine des statistiques. Ils ont tous les deux beaucoup d’assurance et s’expriment comme si les chiffres allaient de soi et étaient connus de tous.
Or, quand des chiffres sont avancés pour étayer un argumentaire sur la délinquance, il est parfois très difficile de comprendre de quoi l’on parle exactement, ce que l’on aurait voulu dénombrer et ce que l’on a vraiment compté.
D’ailleurs, les organismes qui produisent ces chiffres précisent et décrivent très minutieusement ce qu’ils ont dénombré exactement ; leurs chiffres sont à prendre pour ce qu’ils sont, et non pour ce qu’on voudrait qu’ils soient.

Voici quelques citations parmi d’autres issues de la description de la méthodologie utilisée par la Direction centrale de la police judiciaire pour réaliser le rapport intitulé Criminalité et délinquance constatées en France (2007).

Que choisit-on de compter pour décrire la criminalité et la délinquance en France ?

Page 12 : B – LA REPRÉSENTATIVITÉ DES STATISTIQUES
Que représentent les statistiques de la criminalité et de la délinquance constatées par les services de police et les unités de gendarmerie ? Autrement dit, quelles en sont les limites dans le champ des infractions ?

1 – LE CHAMP DES STATISTIQUES
Il ne comprend pas les infractions constatées par d’autres services spécialisés (Finances, Travail…), les contraventions, les délits liés à la circulation routière ou à la coordination des transports.
La statistique ne couvre donc pas tout le champ des infractions pénales. Elle est limitée aux crimes et délits tels que l’opinion publique les considère. Elle correspond bien à ce que l’on estime relever de la mission de police judiciaire (police et gendarmerie).

Tri sélectif de données : on peut constater un premier tri sélectif des données : ne sont comptés que les crimes et délits constatés. On sait cependant que dans certains cas, les victimes n’osent pas parler, comme par exemple les victimes de viols, les hommes et les femmes battus ou le harcèlement au travail…

Opinion publique pour légitimer un second tri sélectif : on peut également se demander qui est l’opinion publique et le on qui définissent si clairement ce qu’est ou non une infraction pénale. Et quelles sont les bases qui permettent à l’auteur du rapport d’affirmer que l’opinion publique ne considère pas comme infraction relevant du pénal des infractions au droit du travail, ou les circuits financiers clandestins, le blanchiment d’argent, voire le financement du terrorisme 2, qui relèvent du service TRACFIN du ministère des finances. Un deuxième tri sélectif des données est opéré.


Plus précisément, comment sont créées les variables statistiques (ici, les désignations de tel ou tel délit) ?

Page 13 : 2 – LE RAPPORT DES STATISTIQUES À LA RÉALITÉ
Il n’y a pas de criminalité « en soi » mais des comportements désignés comme illicites par la collectivité. Tout naturellement, ces comportements sont alors dénombrés à partir des « désignations » que constituent les procédures judiciaires. Un comportement illicite non « désigné » aux autorités judiciaires n’est donc pas pris en compte.

«comportements désignés» : par qui ?
Comme illicites : donc en vertu d’une loi, qui peut changer ; par exemple, l’adultère n’est plus puni pénalement depuis 1975
– par la collectivité : qui est la collectivité ? Comment s’exprime-t-elle ?

Au regard des trois derniers points, le Tout naturellement semble pour le moins incongru ; d’autant plus quand, dans la phrase précédente, il est explicitement dit Il n’y a pas de criminalité « en soi ». Il semble donc, au contraire, que la désignation des délits relève d’un choix : il est décidé que l’on comptera un acte comme délit s’il peut être désigné par une des procédures judiciaires répertoriées au préalable, cette liste étant décidée par la collectivité. Et ce choix peut évoluer. Rien de naturel donc.

Comment interpréter la variation d’une variable ?

Page 13 : Par ailleurs, il faut noter que le nombre de faits constatés peut s’accroître ou diminuer selon l’importance des moyens mis en oeuvre pour combattre un phénomène (comme par exemple la toxicomanie) ou à la suite de variation dans le mode de sanction des infractions (par exemple, la dépénalisation en 1991 des chèques sans provision d’un faible montant)

Effet cigogne : ce qui se dit ci-dessus permet de prédire une floppée d’effets cigognes dans les médias, lors de repas dominicaux ou sur les terrasses de cafés : la variation d’un chiffre ne reflète pas nécessairement la variation du nombres de délits effectifs mais peut refléter une hausse des moyens mis en oeuvre pour le combattre. C’est un biais très sérieux. Par exemple, plus il y a d’agents sur le terrain pour mesurer la vitesse des automobilistes, plus il y a d’excès de vitesse constatés. Il n’est absolument pas possible d’en conclure qu’il y a de plus en plus de chauffards.
Vous repèrerez quasiment tous les jours des effets cigognes à ce sujet dans vos médias préférés.


Comment sont produites les données ?

Page 13 : 3 – LA QUALIFICATION DES FAITS
[…] Chaque fait à comptabiliser est affecté à tel ou tel index de la nomenclature de base en fonction des incriminations visées dans la procédure. Naturellement, il ne s’agit que d’une qualification provisoire attribuée par les agents et officiers de police judiciaire en fonction des crimes et délits que les faits commis ou tentés figurant dans les procédures sont présumés constituer. Seules les décisions de justice établiront la qualification définitive, quelques mois et parfois plus d’une année après la commission des faits. Or, il ne saurait être question d’attendre les jugements pour apprécier l’état de la criminalité, de la délinquance et de ses évolutions.

Effet paillasson : Une fois les variables créées, il est dit explicitement que, par manque de temps, il n’est pas possible d’attendre une désignation définitive des faits, ce qui rajoute un biais. Comment, en effet, s’assurer que la qualification des faits par un agent de police est celle qui sera retenue par la suite ? D’autant plus que l’agent n’est pas un observateur neutre, la qualification des faits pouvant influencer sa propre évaluation par ses supérieurs ; il est alors envisageable que cela puisse modifier, même de manière involontaire, son évaluation de la situation. Par ailleurs, rien n’assure que la personne poursuivie pour ce crime ou ce délit sera jugée coupable.


Conclusion

Tris sélectifs et invocation de l’opinion publique voire pour définir ce qui constitue un acte de délinquance, non indépendance des variables « nombre de délinquants » et « nombre d’agents luttant contre la délinquance », relevé des données biaisé : ces chiffres sont à utiliser avec de nombreuses précautions.


2ème partie : quelles statistiques sur le contrôle d’identité

Propos de B. Murat :

« Quand on est contrôlé 17 fois par jour »

ou

  • Quelles sources disponibles ? Quelle méthodologie ? Quels résultats ?
  • Quelles conséquences d’une mauvaise utilisation des chiffres ?

D’où vient le chiffre 17 ?

Comme B. Murat ne cite pas ses sources, on peut émettre différentes hypothèses : il connaît quelqu’un qui connaît quelqu’un (Ami d’un ami) et l’information mériterait d’être vérifiée ; ou il utilise une exagération pour mettre en relief son propos (effet impact d’une hyperbole) ; ou il a lu une étude sur le sujet ; ou il propage une idée commune mais non vérifiée. Je n’ai trouvé trace d’aucune étude énonçant ces chiffres, mais il existe une étude sur le sujet, menée en 2009 par deux membres du CESDIP – laboratoire de recherche du CNRS mais également service d’études du ministère de la Justice – F. Jobard et R. Lévy , intitulée Police et minorité visible : les contrôles d’identité à Paris.
Je n’en ai pas trouvé d’autres. Il est d’ailleurs dit p. 9 du rapport : Cette étude, qui présente des données uniques sur plus de 500 contrôles de police, est la seule menée à ce jour, propre à détecter le contrôle à faciès en France.

Quelle méthodologie et quelles notions pour établir des satistiques sur les contrôle au faciès ?

F. Jobard explique la méthodologie employée :

{avi}CorteX_Delinquance1_Jobard_Methodologie_controle_identite{/avi}

Les notions de surreprésentation et d’odds-ratio :
Que signifie la phrase « Telle catégorie est plus contrôlée que telle autre » ? Comment le mesurer ?
Quand on parle de surreprésentation, il faut faire attention à ne pas détacher des données importantes ; par exemple, si 10 Noirs et 5 Blancs ont été contrôlés, on ne peut pas affirmer pour autant que les Noirs sont 2 fois plus contrôlés que les Blancs. En effet, si les contrôles se font dans un lieu où se trouvent deux fois plus de Noirs que de Blancs, la population Noire contrôlée n’est pas surrepésentée dans la population contrôlée.

CorteX_Chiffres_de_la_delinquance_Diagrammes_Surrepresentation


Dans la première population imaginée, nous avons :
– 1 000 Noirs ou Arabes (bleu)
– 500 Blancs (orange)
– 10 trafiquants Noirs ou Arabes (bleu)
– 2 trafiquants Blancs (orange)

Les Noirs et les Arabes sont surreprésentés.

Dans la deuxième population imaginée, nous avons :
– 1 000 Noirs ou Arabes (bleu)
– 500 Blancs (orange)
– 10 trafiquants Noirs ou Arabes (bleu)
– 5 trafiquants Blancs (orange)

Les Noirs et les Arabes ne sont pas surreprésentés.

Il faut donc impérativement connaître la composition de la population globale du lieu d’observation avant de conclure à la surreprésentation et utiliser un outil statistique qui en rende compte, par exemple le odds-ratio dont vous pourrez trouver une définition sur wikipedia.

F. Jobard et R. Lévy nous expliquent comment l’interpréter :

L’odds-ratio compare entre elles les probabilités respectives de contrôle des différents groupes Les odds-ratios présentés dans ce rapport ont tous comparé les groupes relevant des minorités visibles à la population blanche, de sorte que l’odds-ratio se lit de la manière suivante : « Si vous êtes Noir (ou Arabe, etc.), vous avez proportionnellement x fois plus de probabilités d’être contrôlé par la police que si vous étiez Blanc ». L’odds-ratio est reconnu comme la meilleure représentation statistique de la probabilité affectant différents groupes d’une même population compte tenu de la composition de cette population.
L’absence de contrôle au faciès correspond à un odds-ratio de 1,0 : les non-Blancs n’ont pas plus de probabilité d’être contrôlés que les Blancs. Les odds-ratios allant de 1,0 à 1,5 sont considérés comme bénins, ceux allant de 1,5 à 2,0 comme le signe d’un traitement différencié probable. Les ratios supérieurs à 2,0 indiquent qu’il existe un ciblage des minorités par les contrôles de police.

Quels sont les résultats de l’étude ?

  1. Sur l’ensemble des 5 lieux d’observation, les Noirs (resp. les Arabes) ont entre 3,3 et 11,5 fois (resp. entre 1,8 et 14,8) plus de chances d’être contrôlés que les blancs. Le contrôle « au faciès » est donc avéré.
  2. Cependant, d’autres variables sont importantes, en particulier la tenue vestimentaire. Comme il l’est précisé dans le résumé de l’étude p. 10.
    Il ressort de notre étude que l’apparence vestimentaire des jeunes est aussi prédictive du contrôle d’identité que l’apparence raciale. L’étude montre une forte relation entre le fait d’être contrôlé par la police, l’origine apparente de la personne contrôlée et le style de vêtements portés : deux tiers des individus habillés « jeunes » relèvent de minorités visibles. Aussi, il est probable que les policiers considèrent le fait d’appartenir à une minorité visible et de porter des vêtements typiquement jeunes comme étroitement liés à une propension à commettre des infractions ou des crimes, appelant ainsi un contrôle d’identité.
    Il est important de noter que plusieurs corrélations – entre « être Noir ou Arabe », « être habillé jeune » et « être contrôlé »- sont établies. La relation de causalité « être Noir ou Arabe » implique « être contrôlé » mérite donc d’être discutée. En effet, si nous exagérons les faits et que nous supposons que tous les Noirs et Arabes et seuls les Noirs et les Arabes s’habillent jeunes, on ne saurait pas si le critère du contrôle est « être Noir ou Arabe » ou « être habillé jeune ».
    En réalité, la force prédictive de ces deux variables est à peu près équivalente.[…]En tout état de cause, même si l’apparence vestimentaire était la variable-clé de la décision policière, cela aurait un impact énorme sur les minorités visibles, dans la mesure où leurs membres sont plus susceptibles que les Blancs d’arborer une tenue « jeune ». En effet, deux tiers des personnes en tenue « jeune » appartiennent également à une minorité non-Blanche. Si l’on considère les trois groupes principaux, seulement 5,7% des Blancs de la population de référence portent une tenue « jeune », contre 19% des Noirs et 12,8% des Arabes. En d’autres termes, on peut dire de la variable « tenue jeune » qu’elle est une variable racialisée : lorsque la police cible ce type de tenues, il en résulte une surreprésentation des minorités visibles, en particulier des Noirs, parmi les contrôlés.
  3. Sur la fréquence des contrôles (attention, ces chiffres sont basés sur la déclaration des personnes contrôlées et n’ont pas été établis de manière rigoureuse).
    À la question de savoir si c’était la première fois qu’elles étaient contrôlées, une grande majorité de personnes interrogées (82%) a répondu par la négative. 38% ont indiqué être contrôlées souvent, 25% ont indiqué avoir été contrôlées de deux à quatre fois par mois, et 16% ont indiqué être contrôlées plus de cinq fois par mois. Il faut remarquer que l’éventail du nombre de contrôles dans cette dernière catégorie était étendu, les personnes indiquant avoir été contrôlées entre cinq et neuf fois le mois précédent, jusqu’à un total de 20 fois.

Quelles conséquences des approximations contenues dans les propos de B. Murat ?

Il est probable que B. Murat ait gonflé ce chiffre pour appuyer son discours, et qu’il ne pensait pas vraiment que le fait de contrôler les mêmes personnes 17 fois par jour est une pratique courante dans les banlieues.

Cependant, n’oublions pas que B. Murat pour répond à l’argument : « Il y a de la délinquance dans les banlieues ». On peut alors penser qu’il sous-entend qu’une des causes de cette délinquance est la répétition des contrôles. Si cela semble plausible pour, par exemple, ce qui concerne le délit d’outrage à agents – plus on est contrôlé, plus le nombre d’occasions « d’outrager » un agent de police est élevé – je ne connais pas d’étude qui démontrerait cette relation de cause-conséquence dans le cadre général. Ceci est probablement un effet cigogne.

En revanche, ce que tend à montrer la partie qualitative du rapport de F. Jobard et R. Lévy, c’est que le contrôle d’identité est perçu comme une agression par les personnes qui en sont les cibles, même si la plupart du temps et selon l’avis même des personnes contrôlées, le contrôle est mené sans agressivité de la part des agents.

Malgré le caractère généralement neutre ou positif des jugements sur le comportement de la police, ces contrôles ont suscité des sentiments très négatifs. Quelques personnes ont simplement déclaré que la police ne faisait que son travail et que le contrôle ne les avait pas dérangées. Mais près de la moitié des personnes interrogées ont indiqué être agacées ou en colère du fait du contrôle.[…] Le préjudice que les pratiques de contrôle de police causent à la relation que la police entretient avec les personnes objet de contrôle est manifeste.

Cette pratique est ressentie comme violente et humiliante par ceux qui la vivent donc la question de son efficacité mérite d’être posée. Je précise ma pensée : si le but de la politique est de minimiser la souffrance globale de la population et si le contrôle est vécu comme violent, il me semble tout de même nécessaire de s’assurer du fait que cette pratique est indispensable pour lutter contre une autre violence, celle dite « de la délinquance ». Savoir si cette condition est suffisante pour légitimer le contrôle d’identité est encore une autre question.


Partie 3 : quelles statistiques ethniques de la délinquance ?

Propos d’E. Zemmour :

« La plupart des trafiquants sont noirs et arabes. »

Quelles variables aléatoires ? Quelles sources ? Quelles conclusions ?

Trame du raisonnement :
a. La plupart des trafiquants sont noirs et arabes
+ b. Le contrôle d’identité permet d’attraper les trafiquants
=> c. En contrôlant plus les noirs et les arabes, on attrapera plus de trafiquants,

Pour tester la validité de la prémisse a, notons que la phrase La plupart des trafiquants sont Noirs et Arabes est une affirmation statistique, mal énoncée certes, mais relevant de la statistique tout de même. E Zemmour sous-entend donc que ces satistiques existent et que quelqu’un a dénombré tous les trafiquants (T), puis les trafiquants Arabes (Ta) ou Noirs (Tn) et a calculé le rapport (Ta+Tn)/T et a trouvé ainsi une probabilité supérieure à 0,5.

Quelles variables statistiques dans la prémisse (a) ?

Le « nombre de trafiquants » est une mauvaise variable statistique. On ne sait même pas de quel trafic on parle : de voitures, de drogue, de subprimes, d’armes, de sous-marins, de cigarettes, d’organes, de diamants, d’oeuvres d’art… ?
On peut supposer qu’E. Zemmour pense au trafic de drogue. Soit. Mais de quelle drogue ?
Comment peut-on compter les trafiquants ? Ceux qu’on a attrapés ? Ceux qui détenaient beaucoup de drogue ? Un peu ? Sont-ils représentatifs de la population des trafiquants ? Considère-t-on qu’on est trafiquant dès lors qu’on a « trafiqué » une fois ?
Une variable statistique pertinente – dans le sens : que l’on peut dénombrer convenablement – serait, par exemple, le « nombre de personnes condamnées pour détention de cannabis ». Une phrase qui aurait un sens statistique serait : « Il y a plus de Noirs et d’Arabes parmi les personnes condamnées au moins une fois dans les 5 dernières années pour une infraction sur les drogues ». Cette phrase a un sens; elle peut être vraie ou fausse.

« Etre Noir » ou « être Arabe » ou « être Blanc » sont également de mauvaises variables statistiques. Quand commence-t-on ou arrête-t-on d’être Noir, Arabe ou Blanc ? Quand un des parents l’est ? Ou bien les deux ? Ou une grand-mère suffirait ? Pour « trancher » la question, certains pensent même à utiliser la consonance du nom de famille, comme cela a déjà été fait dans un article du Point :

Le Point a pu consulter ces notes, dans lesquelles il apparaît que plus de la moitié, voire 60 ou 70%, des suspects répertoriés ont des noms à consonance étrangère. Cet élément est délicat à manipuler. En aucun cas l’on ne saurait déduire avec certitude une origine d’un patronyme. Il ne s’agit pas non plus de tirer des conclusions absurdes sur un caractère « culturel » de la criminalité. Mais écarter ces constatations d’un revers de manche est une grave erreur qui occulte l’échec de l’intégration.

On remarquera que la gravité de la conclusion, occulter l’échec de l’intégration, méritait pourtant qu’on s’assure de la qualité des prémisses du raisonnement.

Quelles sources pour les statistiques ethniques ou raciales dans la prémisse (a) ?

Si le fait d’établir des statistiques ethniques est en général illégal, certaines dérogations sont accordées par la CNIL. Par exemple, elle peut autoriser sous certaines conditions la collecte d’informations sur le pays d’origine des individus ou de leurs parents (on pourra aller consulter les 10 recommandations de la CNIL ). Comme le rapporte un article du Monde du 05/02/2010 :

De fait, si la loi Informatique et liberté de 1978 énonce une interdiction de principe sur le traitement statistique des données sensibles, elle permet d’y déroger, sous contrôle de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL) et à condition de respecter certains critères (consentement individuel, anonymat, intérêt général…).

Notons toutefois qu’il n’existe pas de statistiques sur des « variables » du type Blancs, Arabes et Noirs, à une exception près, exception de taille : à mon grand étonnement je l’avoue, il existe un fichier confidentiel, nommé Fichier Canonge, qui classe les « délinquants » par « type » physique. Voici ce qu’en dit l’Express du 07/02/2006 :

A quoi ressemblent les délinquants de tous les jours? Pour le savoir, il suffit de se plonger dans un fichier méconnu, baptisé «Canonge», qui comporte l’état civil, la photo et la description physique très détaillée des personnes «signalisées» lors de leur placement en garde à vue. Grâce à cette base de données présentée à la victime, celle-ci peut espérer identifier son agresseur. Or ce logiciel, réactualisé en 2003, retient aujourd’hui 12 «types» ethniques: blanc-caucasien, méditerranéen, gitan, moyen-oriental, nord-africain-maghrébin, asiatique-eurasien, amérindien, indien, métis-mulâtre, noir, polynésien, mélanésien.

Cet outil est à manier avec prudence. D’abord, parce que, même si le Canonge est légal, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) interdit d’exploiter ses renseignements à d’autres fins que celle de la recherche d’un auteur présumé. Ensuite, parce qu’il ne dit rien de la nationalité et de l’origine de l’individu – qui peut être français depuis plusieurs générations malgré un physique méditerranéen, par exemple. Enfin, parce que les mentions sont portées par l’officier de police, avec la part de subjectivité que cela suppose.

Remarque : les mêmes précautions sont à prendre qu’avec les chiffres du rapport Criminalité et délinquance constatées en France (tris sélectifs de données, prédicion auto-réalisatrice, subjectivité des observateurs…)

Quelle population de référence pour établir la surreprésentation dans la prémisse (a) ?

Quand E. Zemmour prétend que la plupart des trafiquants sont Noirs ou Arabes, il énonce un résultat de surreprésentation : les Noirs ou les Arabes sont surreprésentés dans la population des trafiquants. Mais cela ne vous a pas échappé : cette notion n’a de sens que si l’on connaît la population de référence. Il est probable qu’E. Zemmour considère la population résidant en France, mais cela n’a pas vraiment de sens, puisque toutes ces personnes ne vivent pas forcément dans des conditions externes égales. Pour savoir si les Noirs ou les Arabes sont surreprésentés, il me semblerait préférable de considérer la population « susceptible d’être délinquante » (si tant est qu’on puisse donner un sens rigoureux à cette expression), c’est-à-dire celle qui vit dans les mêmes conditions que les « délinquants ».

Quelle probabilité conditionnelle dans l’implication (a)+(b) => c ?

Les prémisses (a) et (b) n’entraînent pas (c). Nous avons là un bel exemple de sophisme Non sequitur, dû à une erreur d’inversion de probabilité conditionnelle.
On retrouve le même sophisme dans les phrases suivantes, où il est plus facile à repérer

La plupart des pédophiles sont Blancs donc il faut plus contrôler les Blancs.
OU
La plupart des inculpés français dans l’affaire des frégates de Taïwan sont Blancs donc il faut plus contrôler les Blancs.
OU
Tous les incestes sont commis par un membre de la famille donc il faut contrôler tous les membres de sa famille

En fait, E. Zemmour s’emmèle les probabilités conditionnelles.

Ce n’est pas parce que la proportion de Noirs et d’Arabes est importante dans la population des trafiquants – dans ce cas on considère P(N U A/T) – que la proportion de trafiquants est importante dans la population Noire et Arabe – ici on regarde P(T/N U A). Vous en serez encore plus convaincu si vous prenez les autres versions du sophisme.

Exemple :
Imaginons une population composée de 1 000 personnes, dont :
– 400 Noirs ou Arabes
– 600 Blancs
– 7 trafiquants : 5 Noirs ou Arabes et 2 Blancs
Dans cet exemple,
P(NUA / T) = Nombre de Trafiquants Noirs ou Arabes / Nombre de Trafiquants ≈ 71,4%
P(T / NUA) = Nombre de Trafiquants Noirs ou Arabes / Nombre de Noirs ou Arabes ≈ 1,2%
Les ordres de grandeur sont radicalement différents.

Notons qu’E. Zemmour revient sur ce point dans le Parisien et le rectifie. Cependant, quand il dit « Je dis juste qu’ils sont contrôlés plus souvent parce qu’il y a plus de délinquance parmi eux« , le parce que légitime la pratique du contrôle et sous-entend qu’on a des chances d’attraper des trafiquants de cette manière et donc que la probabilité P(T/A U N) est élevée ; sa prémisse de départ est, rappelons-le, que P(A U N/T) est élevée.

Quelles conséquences des approximations contenues dans les propos d’E. Zemmour ?

Ces propos sont très essentialistes même, encore une fois, si ce n’était pas l’intention de l’auteur. La phrase « La plupart des trafiquants sont Noirs ou Arabes » est très souvent entendue comme « Ils sont délinquants parce qu’ils sont Noirs ou Arabes » (effet cigogne), ce qui n’a aucun fondement scientifique et qui exacerbe le racisme.


Mais au fait, quelle est la probabilité d’attraper un trafiquant lors d’une journée de contrôles d’identité ?

Cette partie est conçue pour pousser votre public à se méfier des statistiques, y compris quand c’est vous qui les présentez. Je vous propose pour cela de faire de mauvaises statistiques sans en avoir l’air. Si un membre du public réagit, vous avez gagné la partie. S’il n’y a pas de réactions spontanées, cela vous donnera l’occasion de pointer du doigt
1. la nécessité d’être vigilant en permanence : même averti, on n’est pas à l’abri d’une entourloupe, volontaire ou non,
2. qu’il ne faut pas croire sur parole la personne qui essaie de vous transmettre des outils critiques.

Attention : Mauvaises statistiques ! Les chiffres obtenus dans ce qui suit ne représentent absolument rien.
– Dans l’article de l’Express sur le fichier Canonge, il est dit que sur 103 000 trafiquants fichés, il y a 29% de Nord-Africains et 19% de Noirs.
En tout, cela fait 49 440 trafiquants Noirs ou Arabes.

– On peut évaluer à environ 2 988 745 personnes Noires ou Arabes en France.

– La probabilité de tomber sur un délinquant en contrôlant un Noir ou un Arabe au hasard est donc à peu près de 49 440 / 2 988 745 ≈ 1,7%.

– F. Jobard et R. Lévy rapportent p. 62 que le nombre moyen de contrôles observés par heure est de 1,25. Ce qui fait 8,75 contrôles pour 7 heures travaillées. Disons 9 contrôles par jour.

– En remarquant que la variable aléatoire « nombre de trafiquants attrapés dans la journée » suit une loi binomiale, on obtient la conclusion suivante :
la probabilité d’attraper au moins un trafiquant dans la journée en contrôlant les Noirs et les Arabes est d’environ 14,2%. Sur 100 journées de contrôles d’identité, une équipe qui pratique les contrôles d’identité revient sans trafiquant 85 fois.

Vous venez de créer une occasion pour votre public d’analyser vos propos de manière critique :
Vous êtes-vous posé la question de savoir d’où sortait le chiffre du nombre de Noirs et Arabes en France ? Ce n’est en fait qu’une estimation, très mauvaise, faite avec les moyens du bord et très critiquable.
Je suis allée sur le site de l’INSEE où figurent des données – cliquer sur Données complémentaires, sur cette page et consulter le graphique 2 – sur le nombre de personnes entre 15 et 50 ans dont au moins un des parents est immigré de Turquie, d’Afrique Subsaharienne, du Maroc, de Tunisie ou d’Algérie : il y en a 1 282 000.
Par ailleurs, sur le site de l’INED, on peut télécharger le document Immigrés selon le sexe, l’âge et le pays de naissance 2007. Dans l’onglet France détail, on peut lire qu’il y a en France en 2007, 1 706 745 immigrés issus du continent Africain et qui ont entre 18 ans et 59 ans.

Ensuite, j’ai appliqué une grande dose de racisme ordinaire : ceux qui viennent (ou dont un parent vient) d’Europe sont blancs, ceux qui viennent du Maghreb sont Arabes et ceux qui viennent d’Afrique Noire sont Noirs. Les Antillais qui sont Français sont comptés comme Blancs, les Français dont les deux parents sont Français sont comptés comme Blancs etc…

Remarquez que, sur wikipedia (version du 19/01/2011), on peut lire

En 2010, la France accueille 6,7 millions d’immigrés (nés étrangers hors du territoire) soit 11% de la population. Elle se classe au sixième rang mondial, derrière les Etats-Unis (42,8 millions), la Russie (12,3), l’Allemagne (9,1), l’Arabie Saoudite (7,3), le Canada (7,2) mais elle devance en revanche le Royaume-uni (6,5) et l’Espagne (6,4). Les enfants d’immigrés, descendants directs d’un ou de deux immigrés, représentaient, en 2008, 6,5 millions de personnes, soit 11 % de la population également. Trois millions d’entre eux avaient leurs deux parents immigrés. Les immigrés sont principalement originaires de l’Union européenne (34 %), du Maghreb (30 %), d’Asie (14 %, dont le tiers de la Turquie) et d’Afrique subsaharienne (11 %).

En reprenant les calculs avec ces chiffres – à savoir 41% de 6,7 millions + 6,5 millions-, on obtient une probabilité d’attraper au moins un trafiquant en une journée de 8% environ. Encore faudrait-il savoir à quoi correspondent ces données exactement ? Les sources de l’article de wikipedia sont :

Les immigrés constituent 11% de la population française [archive], TF1, Alexandra Guillet, le 24 novembre 2010, source : Ined

Etre né en France d’un parent immigré [archive], Insee Première, N° 1287, mars 2010, Catherine Borel et Bertrand Lhommeau, Insee

Bref, le calcul est biaisé et il m’est impossible d’évaluer la marge d’erreur commise. Ce chiffre n’a aucune légitimité et ne pourra être brandi d’aucune manière sur un quelconque plateau télé ou lors d’un quelconque dîner de famille.
Mais il permet d’énoncer une conclusion : les chiffres ne parlent pas d’eux-mêmes. Il est important de savoir comment ils ont été élaboré.

Le CORTECS se transforme en pôle emploi – poste à l'ENIB Brest

CorteX_pole-emploi-logoIl y a deux ans, nous avons eu le plaisir, en intervenant à l’École Nationale d’Ingénieurs de Brest, de découvrir le travail critique développé par notre amie Delphine Toquet. Férue de zététique, spécialiste de Francis Bacon, elle cherche un·e partenaire d’enseignement « critique », et nous demande de relayer son offre. C’est chose faite.

Théoriquement, le corps est « Agrégé », mais un CAPES fait l’affaire. La spécialité indiquée est Lettres Modernes, parce qu’il fallait bien indiquer quelque-chose, mais la discipline de départ ne semble pas être un frein. Pour toute autre question, contactez Mme TOQUET Delphine, professeur de lettres : delphine.toquet@enib.fr

Fiche de poste :

Ce  professeur  assurera  l’enseignement  des  « Sciences  Humaines  pour  l’Ingénieur »  auprès d’un public de 1ère, 2nde  et 3ème  années de  l’ENIB (semestre 1 à 6) ; et  accompagnera les étudiants sur des projets d’engagement social (Projet « Ingénieur Honnête Homme »). 

Sa pédagogie spécifique – théorique et pratique – conduira les étudiants à progresser dans la maîtrise  de leur expression, écrite et orale, et, d’une façon élargie, à prendre conscience et perfectionner  leurs  modes  de  communication  avec  leur  environnement  social  et institutionnel, contemporain.

 Pour  ce  faire,  il  pourra  puiser  dans  de  larges  ressources  et  pratiques  culturelles  où  les sciences humaines ainsi que les faits de langue et d’écriture (production de textes personnels, articles,  résumés,  synthèses,  etc.)  tiennent  une  place  déterminante :  linguistique, anthropologie,  philosophie,  ethnologie,  sociologie, psychosociologie,  esthétique,  etc.,  à l’œuvre dans le monde du travail et de l’entreprise, pourront fournir leur éclairage. Il aura à sa disposition les offres nombreuses que lui propose l’actualité, dans toute sa diversité et celles d’un  centre  de  documentation  actif  et  très  au  fait  des  problématiques actuelles (documentation d’actualité, films, documentaires, ouvrages spécialisés, etc.).

Par son charisme, sa culture, sa connaissance des divers mouvements de pensée et de leur histoire, il animera un cours selon une pédagogie vivante qui saura captiver des étudiants engagés dans un cursus scientifique et technique, et les introduira aux enjeux contemporains,  conformément à l’impératif d’ouverture d’esprit  qui doit être le leur.

 

Book-e-book, nouveau site pour bouquins critiques

CORTECS_logo_b-e-bookLes ressources critiques, zététiques, sceptiques ou peu importe leur nom n’ont que très peu de place sur le marché cognitif. Il existe pourtant un petit éditeur, Book-e-book qui tant bien que vaille résiste, et fait peau neuve. En achetant leurs livres, on fait d’une pierre trois coups : on diffuse une information rare, on apprend des choses et on soutient l’édition alternative. Que demande le lecteur ?

Le nouveau site de Book-e-Book est ouvert avec accès à la commande pour les livres en version papier et également pour les livres en version numérique pdf.
 

Le CORTECS a déjà publié trois ouvrages chez cet éditeur.

  • R. Monvoisin, Les fleurs de Bach. Enquête au pays des élixirs (ici).
  • Collectif, Esprit critique es-tu là ? ().
  • R. Monvoisin, Quantox – Mésusages idéologiques de la mécanique quantique (ici).
Bien d’autres collaborateurs y ont également produit de bons ouvrages : H. Broch, J-J. Aulas, J. Brissonnet, etc.
Nous vous encourageons à commander ces livres en ligne, ou à les faire commander par vos petites librairies locales : vu que la publication se réduit d’autant plus que les éditions sont possédées par de grands consortiums, il est recommandable d’éviter les grandes centrales d’achat type FNAC, qui elles, minimisent l’offre – ou placent nos bouquins à côté de ceux des frères Bogdanoff.
 
 

Matériel audio sur des pseudosciences

Voici au gré de nos écoutes des émissions traitant de pseudosciences qui peuvent fournir des bases de réflexion et d’élaboration de contenu pédagogique. Si vous vous en servez, racontez-nous.

[Toc]

CorteX_crane_phrenologiePhrénologie

Émission de la Marche des sciences, sur France Culture : « De la bosse des maths à la théorie du criminel né : l’histoire de la phrénologie » diffusée le 25 décembre 2014.

L’histoire de la phrénologie est des plus étonnantes et des plus rocambolesques pour qui sait, aujourd’hui, comment fonctionne le cerveau. Mais au 18e siècle, des hommes comme François-Joseph Gall, fondateur de la théorie de la phrénologie, Pierre-Marie Alexandre Dumoutier ou encore Johann Gaspard Spurzheim, ont réussi à la promouvoir et à la populariser dans une société qui a cru en cette pseudoscience et qui la rendue célèbre dans les salons de l’époque.
Que nous a apporté la phrénologie en matière de connaissance du cerveau ? Quelles techniques scientifiques a t-on mis en place pour asseoir cette discipline ? Quel héritage en reste t-il ? Pour répondre à ces questions, nous avons choisi de nous immerger dans les réserves du Musée de l’Homme où moulages et crânes de cette époque sont précieusement conservés, nous y avons convié deux invités, Marc Renneville, chercheur au CNRS au centre Alexandre Koyré, directeur de publication de la plateforme Criminocorpus et auteur entre autre du livre Le langage des crânes paru aux Empêcheurs de penser en rond, et Philippe Mennecier directeur de collections au Museum national d’histoire naturelle de Paris.  

 

Ecouter

Télécharger (37Mo)

Le CORTECS dans le Monde, 11 février 2015

Le CORTECS a fait l’objet d’un article d’A. de Tricornot, du Monde. Même si nous avons pu mesurer l’impact positif de ce type d’article, ne serait-ce que sur nos collègues, il nous semble nécessaire d’expliquer en quoi les lignes ci-dessous nous ont laissés perplexes. Voici donc l’article tel quel (et sa version pdf). Nous prendrons ensuite le temps de vous narrer le off, et les mécanismes sous-jacents à l’élaboration d’un tel article. Frissons garantis !

L’université de Grenoble réhabilite l’art du doute

Pour former l’esprit critique des étudiants, l’université Joseph-Fourier (UJF), à Grenoble, a dû pousser les murs. Son cours de « Zététique & autodéfense intellectuelle »– le premier terme désignant l’art de douter – a déménagé dans l’amphithéâtre Weil au cours du premier semestre, le plus grand avec ses 900 places. Et il s’est ouvert à l’ensemble des étudiants de licence 1 et 2 des universités Grenoble-Alpes (Joseph-Fourier, Stendhal, Pierre-Mendès-France), ainsi que ceux de Sciences Po Grenoble.

Au menu : décortiquer les thérapies bidon, les « pseudo-sciences » – y compris politiques –, le paranormal, les mécanismes de l’illusion, les manipulations en tout genre – des médiatiques aux sectaires –, la propagande… Ou du moins en donner des clés. Certains étudiants ont choisi cette « unité d’enseignement transversal » dans leur cursus, d’autres assistent en auditeurs libres à ce cours-événement. Les ressources pédagogiques sont aussi mises à disposition librement en ligne.

De plus en plus d’étudiants recherchent en effet ce regard critique. « On complexifie cette envie, on l’outille, on leur fait se méfier du goût assez intuitif des complots et on les entraîne à la recherche rationnelle d’informations », explique Richard Monvoisin, qui enseigne depuis dix ans la zététique. Premier docteur en didactique des sciences sur le sujet de la zététique en 2007, il est un des piliers du Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique et sciences (Cortecs), dont les cours essaiment avec Clara Egger, à Sciences Po Grenoble, et au-delà avec Denis Caroti, à Marseille, ou Guillemette Reviron, à Montpellier.

Depuis septembre 2012, Richard Monvoisin occupe un poste unique dans l’université française : chargé de mission « Sciences, critique & sociétés » auprès du président de l’UJF. « Patrick Lévy et nous nous battons pour monter une jeune équipe spécifique “esprit critique” », explique M. Monvoisin. « Nous sommes sur un site de fort développement technologique : tout ce qui peut donner un peu d’esprit critique à tous les champs disciplinaires est bienvenu », explique le président de l’UJF, qui souligne aussi l’intérêt « d’une démarche citoyenne qui a énormément de succès auprès des étudiants ».

« Saturation »

Depuis les attentats de Paris des 7, 8 et 9 janvier, les cours de M. Monvoisin n’ont pas encore repris. « J’ose espérer que les étudiants ont appliqué un de nos préceptes : ne pas se laisser aller dans le battage médiatique, et attendre que les choses se redéposent, comme le limon, pour traiter les choses rationnellement et non affectivement », dit-il. Qu’en ont-ils retenu, justement ?

Benoît Arnould, vice-président étudiant de l’UJF, se souvient d’avoir appris « comment détecter les techniques de manipulation les plus courantes et l’impact qu’elles ont eu. Par exemple, la façon de poser des questions dans un sondage téléphonique et le résultat sur les réponses. Ou, dans les médias, le rôle de l’omniprésence de l’information. Cela fonctionne beaucoup dans les périodes où aucun autre événement ne parvient à percer ». Une forme de « saturation » et « d’objet unique » sur les écrans offre alors des éléments très nombreux, partiels ou non vérifiés « sur lesquels peuvent s’appuyer des théories du complot, dont les formes les plus courantes nous avaient été présentées en cours », se rappelle l’étudiant, aujourd’hui en troisième année de chimie-biologie.

« Ce qui m’a fait réagir, c’est toutes les informations données au conditionnel dans les médias, abonde Astor Bizard, étudiant en deuxième année de mathématiques et informatique. Je me suis dit : quand il y aura une certitude, peut-être que je pourrai y accorder crédit. Car le doute ne conduit pas au complotisme. Il pousse à réfléchir. Si les sources sont fiables et vérifiables, il n’y a aucune raison de douter de ce que dit un média. » Benjamin Roelandt, étudiant en deuxième année de licence d’informatique, note, lui, que le processus de radicalisation des auteurs des attentats « faisait penser au principe des sectes : ils croisent les mauvaises personnes au mauvais moment, lors d’un choc psychologique : par exemple, ils se retrouvent dans la même prison que quelqu’un qui connaît des techniques de manipulation. Le professeur en a expliqué quelques-unes : demander beaucoup, puis ensuite juste un petit peu et, après, ça passe…, et terminer ses phrases par“je vous laisse libre de votre choix”, ce qui donne deux à trois fois plus de chances d’accepter ».

Comme beaucoup de ses condisciples, Astor Bizard souligne l’originalité de l’approche. « Je suis loin d’être passionné d’histoire, mais le fait d’aborder les erreurs qui peuvent exister dans les livres d’histoire m’a plu. » Ce qui l’a le plus surpris, c’est l’évaluation en groupe. Un travail critique a été demandé sur un article dans une publication scientifique : l’hypothèse débouchait-elle sur un résultat ? Les quatre étudiants sont venus argumenter dans le bureau de Richard Monvoisin, qui a débattu avec eux, avant de leur demander quelle note ils pensaient mériter. « On n’en avait pas la moindre idée : est-ce que ça valait 8 ou 14 ? Finalement, on a eu 14 et c’est ce qui nous a semblé le plus juste, une fois la surprise passée. »

Aujourd’hui, il n’existe plus de laboratoire spécialisé en recherche zététique en France. Le collectif Cortecs est l’héritier des cours interdisciplinaires du professeur Henri Broch – un des parrains et des conseils du Cortecs. Son laboratoire de zététique à Sophia-Antipolis (Alpes-Maritimes), où Richard Monvoisin avait fait sa thèse, n’assure plus d’enseignements universitaires. Grenoble pourrait reprendre ce flambeau.

Zététique ou « art du doute » est ainsi définie par un article de Richard Monvoisin dans l’Observatoire zététique :

« Dérivant du verbe grec zêtein (chercher), la zététique désigne, au IIIe siècle avant l’ère chrétienne, le “refus de toute affirmation dogmatique” (école de Pyrrhon). Utilisé par Montaigne, Viète, Thomas Corneille, le mot échoue dans le Littré de 1872 puis dans le Larousse de 1876 comme “nuance assez originale du scepticisme : c’est le scepticisme provisoire, c’est (…) considér[er] le doute comme un moyen, non comme une fin, comme un procédé préliminaire, non comme un résultat définitif”. Le mot est finalement repris dans les années 1980 pour désigner l’enseignement critique en question ».

Adrien de Tricornot

Pour le off, un peu de patience, ça arrive.

Le CORTECS dans La Repubblica – 22 février 2015

CORTECS_repubblicaRichard Monvoisin, du CORTECS, a répondu à une entrevue avec une journaliste de la Repubblica, le plus grand quotidien italien.  Pour le coup, sur 45 minutes de discussion, le résultat est très correct – ce n’est pas si souvent.

Version italienne seulement. En pdf, télécharger ici.

“Così insegniamo ai nostri alunni il pensiero critico”

di Anais Ginori   22 Febbraio 2015
 
Uno strumento di autodifesa per chi vuole mantenere intatta la propria capacità di pensare, apprendere, valutate e quindi agire in modo sensato. Particolarmente utile in un’epoca in cui la manipolazione delle menti è diventa un sofisticato strumento di potere. La Repubblica, 2 febbraio 2015

Liberi di criticare. Sono quasi dieci anni che all’università di Grenoble viene insegnata l’arte del dubbio. L’ateneo ha un corso di “Zetetica e Autodifesa intellettuale” frequentato da centinaia di studenti ma anche semplici curiosi, affascinati da una materia nuova e unica in Francia. La cattedra è guidata da Richard Monvoisin insieme ad altri insegnanti del Cortecs, Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique et sciences.

Com’è nata l’idea di un corso specifico?
«La zetetica, inventata da una scuola greca di scettici radicali nel IV secolo a. C., è stata riscoperta nel Novecento come investigazione scientifica su fenomeni paranormali da un americano di origini italiane, Marcello Truzzi, e poi dal francese Henri Broch. Dopo essermi laureato in didattica e scienze fisiche, ho fatto il mio dottorato con Broch. Mi sono accorto che la zetetica poteva essere una disciplina trasversale».

Su cosa si fonda questa disciplina?
«Partiamo sempre dall’analisi delle fonti, dalla ricerca su informazioni non verificate, dalla demistificazione di cifre o frasi vuote. Nel nostro collettivo ci sono specialisti di ogni disciplina, dall’informatica alla biologia, dalla medicina, all’economia, alle scienze politiche. Ormai ci sono corsi di zetetica anche a Marsiglia, Montpellier. Lavoriamo su temi diversi come il creazionismo o i gender studies, Internet aperto e la xenofobia in politica. L’obiettivo di Cortecs è mettere in rete contributi diversi, invitando altri esperti a dialogare con noi, in un processo evolutivo di conoscenza».

Perché nel titolo del corso si parla di “autodifesa intellettuale”?

«E’ una metodologia che combatte la manipolazione delle opinioni o l’emergenza di nuove forme di consenso. Come diceva Noam Chomsky, il pericolo è tanto più grande per chi studia e fa professioni intellettuali. Nel mondo accademico anglosassone c’è già chi insegna il critical thinking ».

È più facile oggi manipolare le opinioni?
«Sono nato nel 1976 e ho vissuto l’avvento di Internet come una benedizione. Ero convinto che le generazioni dopo di me avrebbero avuto accesso a ogni tipo di informazione. Oggi invece i giovani rischiano di annegare nella vastità della Rete oppure di accontentarsi di una rappresentazione parziale. Dietro una schermata di Google ci sono interessi economici che molti purtroppo ignorano. La pluralità delle fonti è uno dei punti di partenza. Se voglio farmi un’opinione su Vladimir Putin, ad esempio, cercherò di leggere testi francesi, russi e ucraini. Inoltre, la rapidità nella diffusione delle informazioni rende ancora più facile errori di analisi. Suggerisco ai miei alunni di aspettare almeno qualche settimana prima di prendere posizione su un evento. Insieme al dubbio, bisogna praticare un ritmo lento del pensiero».

La zetetica è una forma di scetticismo?
«Lo scetticismo è un atteggiamento filosofico che si può riassumere con la frase di Bertrand Russell: “Dammi una buona ragione di pensare quello che pensi”. La zetetica è la metodologia pratica dello scetticismo. Il nostro scopo è aiutare la libertà di pensiero dei cittadini».

Eppure i dubbi dilagano sul web, alimentando le teorie del complotto. Vi occupate anche di questo?
«Intanto non le chiamiamo teorie, ma scenari, miti moderni, perché non sono confutabili e dunque non rispettano il criterio di falsificabilità di Karl Popper. Quando ci troviamo di fronte a scenari complottisti, come quello sull’11 Settembre, non facciamo altro che usare nozioni di epistemologia, applicando il criterio di massima parsimonia o il cosiddetto “Rasoio di Occam” che prediligono spiegazioni dimostrabili e semplici. L’esercizio funziona quasi sempre».

Avete già affrontato il tema dell’informazione sugli attentati di Parigi?
«Cominceremo un nuovo ciclo questa settimana dal titolo “Censura e libertà di espressione”. Noi pensiamo che sia meglio pubblicare il libro di Eric Zemmour (popolare saggista francese contro l’immigrazione, n.d.r.) oppure autorizzare gli spettacoli di Dieudonné. Piuttosto che impedire a qualcuno di esprimersi, trasformandolo in una presunta vittima, è meglio diffondere strumenti critici e di analisi. La zetetica dovrebbe essere insegnata già nelle scuole ai bambini. Piuttosto che la censura, è meglio scommettere sull’intelligenza collettiva».

 

Le CORTECS sur France Inter – 22 février 2015

CORTECS_maison_rondeLe CORTECS a été invité à causer dans le poste dimanche 22 février, sur France Inter.  Guillemette Reviron et Denis Caroti ont fait le déplacement dans la maison de la radio. Chacune de nos interventions médiatiques méritant un regard critique, nous vous proposons d’écouter l’émission, puis nous vous raconterons les dessous, et notre point de vue sur la question.

L’émission est ici : http://www.franceinter.fr/emission-3d-le-journal-zetetique-ou-lart-du-doute

Elle est audible ici :

Téléchargeable