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Biologie, essentialisme – Nature, écologisme, sexisme, racisme, spécisme

Qu’est-ce que la nature ? Y a-t-il seulement lieu de se poser une telle question ? Si le terme nature désigne uniquement la mer déchaînée, les montagnes enneigées, les gazelles fuyant devant les lions, les petits ruisseaux serpentant sur les collines, les abeilles qui butinent etc., on ne perçoit pas forcément l’intérêt d’y réfléchir ; mais la question prend toute son d’importance lorsqu’il s’agit d’expliquer les références incessantes à la nature dans les médias, les débats politiques ou encore la publicité. On préfère manger naturel, on s’oriente parfois vers des médecines dites naturelles, on justifie ses comportements en invoquant sa propre nature, on condamne des pratiques sexuelles sous le prétexte qu’elles seraient contre-nature… Au sein du Cortecs, nous avons rencontré ce concept si souvent qu’il ne nous semble plus du tout anodin ; le besoin se faisait nettement sentir d’analyser les sens qu’on lui prête et les représentations qu’il véhicule. L’objet de cet article est de présenter notre manière d’aborder, avec un large public, cette notion bien plus complexe qu’elle n’y paraît et les questions qu’elle soulève.

Précautions : comme ce sujet est particulièrement propice aux réactions affectives, tout comme mes collègues du Cortecs, je commence toujours mes interventions en prenant deux précautions : présenter la différence entre acte de foi et remport d’adhésion et discuter des différents sens du mot science, ceci afin de bien délimiter mon cadre de travail et de prévenir de nombreux malentendus. Les différentes étapes de l’exposé 1. Je tente de faire sentir au public la difficulté de définir simplement les mots nature ou naturel 2. Je donne une définition scientifique de naturel, chimique, synthétique et artificiel 3. J’analyse trois représentations de la nature véhiculée par les médias en les confrontant aux connaissances scientifiques actuelles 4. Je fais un bilan du rôle que joue la nature dans certaines trames argumentatives

Une définition scientifique du mot nature

Cette partie reprend en grande partie le travail « Naturel, chimique » de Denis Caroti : si vous souhaitez approfondir le sujet, c’est ici. 

Une définition difficile à saisir

L’idée est de faire sentir au public que nos représentations de la nature sont souvent incohérentes. Pour cela, je passe en revue très rapidement différents sens qu’on prête volontiers à naturel, en donnant dans la foulée un contre-exemple qui démontre que la définition proposée ne tient pas : c’est la méthode de la réfutation par le contre-exemple. Cela donne :

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– naturel = qui n’est pas produit par l’Humain → mais alors le saucisson n’est pas naturel – naturel = qui n’est pas produit de manière industrielle → mais alors, le jus de fruits « bio » ne serait pas systématiquement naturel – naturel = qui n’est pas chimique → mais alors la photosynthèse ne serait pas naturelle – naturel = qui ne pollue pas → mais la digestion d’une vache produit du méthane – naturel = qui ne modifie pas son milieu → mais les éruptions volcaniques modifient leur environnement – naturel = ce qui existait avant l’Humain → mais alors, un jardin potager ne serait pas naturel – etc.    

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L’image qui me vient à l’esprit quand j’essaie d’attraper la définition de nature, c’est une savonnette (100 % naturelle, cela va de soi) : à chaque fois qu’on a l’impression de la tenir, elle nous glisse entre les doigts.    

Proposition de définition scientifique

Les programmes de physique-chimie de 3ème (BO spécial n°6 du 28 août 2008, enseignements de physique-chimie, classe de 3ème, partie A2 – Synthèse d’espèces chimiques) précisent que les enseignants doivent présenter à leurs élèves des substances synthétiques, artificielles et naturelles, ainsi que les techniques permettant leur élaboration. Mais nous venons de voir qu’il n’est pas si simple de distinguer ce qui est naturel de ce qui ne l’est pas. Alors Denis Caroti s’est penché sur la question ici et propose d’introduire ces notions de la manière suivante :

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  • chimique : une substance est chimique si elle est composée d’éléments recensés dans le tableau de Mendeleïev ou de molécules constituées de ces mêmes éléments. Avec cette définition, toute substance est chimique, sans aucune connotation négative. Le plomb, l’uranium mais aussi l’eau et la vitamine C dans un jus d’oranges pressées sont chimiques.
  • naturel : certaines substances chimiques existent sans intervention humaine, on dira qu’elles sont naturelles. Ces substances seront alors chimiques ET naturelles. C’est le cas de l’eau mais aussi de l’uranium.
  • artificiel : d’autres substances chimiques ont été inventées (on pourra dire aussi créées) par l’Humain, on dira qu’elles sont artificielles, comme le nylon ou le paracétamol.
  • synthétique : si, par définition, toute substance artificielle a été créée par l’Humain, elle a donc subi un ensemble de transformations, de réactions chimiques (hé oui, là le terme est correct !) pour être fabriquée, synthétisée. C’est aussi le cas de certaines substances dites naturelles. Par exemple, la vitamine C est présente dans une orange sauvage mais peut aussi avoir été fabriquée, synthétisée – et donc copiée dans ce cas – en laboratoire. Nous dirons qu’une molécule est synthétique si cette molécule a été produite par l’Humain, qu’elle soit naturelle ou artificielle. Précisons immédiatement qu’une molécule naturelle et sa copie synthétique sont strictement identiques et qu’à de rares exceptions près il n’est pas possible de les distinguer. Une molécule de vitamine C sortant d’une orange est identique à celle produite en laboratoire.

Pour clore cette partie, il me semble vraiment nécessaire d’insister sur deux points.

– La nature ne semble se définir que par rapport à l’Humain, mais c’est un choix totalement arbitraire et anthropocentré.

– Ces définitions sont totalement vidées des connotations positives ou négatives qui accompagnent ces mots dans le langage commun.

Le concept de nature au quotidien

Quels sens donne-t-on usuellement au mot nature ? Dans quels contextes ? Pour quelles trames argumentatives ?

J’ai recensé trois représentations principales du concept de nature et je les présente de la plus simple à la plus complexe.

Sens commun n°1 – La nature, c’est ce qui est bon

Serait naturel ce qui est bon pour la santé, serait chimique ce qui est toxique ou polluant. Comme nous l’avons déjà entrevu précédemment, cette définition n’est pas très robuste. En effet, tout ce qui est qualifié de naturel n’est pas nécessairement bon : le laurier rose est « naturel », il est également extrêmement toxique. Par ailleurs, la vitamine C est « chimique » mais indispensable pour être en bonne santé (même si Richard Monvoisin rappelle ici même qu’il y a parfois exagération de ses bienfaits ou des doses à consommer).

Cette représentation pseudo-scientifique est fréquemment utilisée par la publicité, qui exploite ainsi la volonté de tout un chacun de choisir le « meilleur » pour soi ou pour son entourage : gels douche, soupes, jus de fruits, produits laitiers, sodas, etc, la publicité a recours au naturel pour valoriser ses produits.

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C’est également le cas des médecines dites « naturelles », qui se drapent par là-même d’une connotation a priori positive. Pourtant, sans discuter de l’efficacité de telle ou telle pratique thérapeutique en particulier – c’est un sujet vraiment trop vaste pour en parler si succinctement –, assurer qu’une médecine est naturelle n’informe en tant que tel ni sur les qualités de ses effets thérapeutiques, ni sur ses effets secondaires.

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Une autre représentation fortement basée sur le concept d’une nature bonne et bienveillante est l’idée répandue que la nature est bien faite. À ce moment de l’exposé, je propose en guise d’introduction humoristique à la question, cet extrait du sketch La nature est bien faite de Florence Foresti :

Cette représentation soulève deux questions :

1 — Avant même de se demander si la nature est bien ou mal faite, il faudrait commencer par se demander si elle est faite et par qui. Toute réponse ne peut qu’appartenir au domaine des finalismes, qui sont hors-science, et relèvent donc de la sphère privée.

2 — Se pose ensuite la question du sens de l’expression « bien faite ». Vous aurez peut-être reconnu ici un effet Pangloss, effet qui désigne un raisonnement à rebours. Pour préciser un peu les choses, imaginons que je tire une flèche en fermant les yeux dans une forêt. Une fois la flèche plantée, j’ouvre les yeux, je retrouve la flèche, je trace une cible autour et je m’exclame « c’est incroyable, elle est arrivée au centre ! » : ce n’est pas parce qu’aujourd’hui le monde fonctionne comme il fonctionne que c’était pré-écrit, téléologique. Pour prendre un exemple parmi d’autres, la cicatrisation n’est pas un but d’une Création Divine ou d’un dessein intelligent : les individus qui cicatrisaient ont eu un avantage sur les autres, avantage leur permettant de survivre et de se reproduire préférentiellement. Dire que la nature est bien faite, c’est reprendre et propager, souvent malgré soi et dans une phrase apparemment sans grande profondeur, une trame rhétorique finaliste de l’Intelligent Design qui explique le monde en mobilisant une intelligence créatrice extérieure à ce même monde.

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Cette idéologie repose sur une métaphore, appelée métaphore de l’horloger énoncée par William Paley en 1802 : quand on observe une montre, le fait que chaque pièce soit parfaitement ajustée pour jouer son rôle et que ses rouages soient si parfaitement agencés est dû à l’intention de l’horloger qui a conçu chaque pièce en fonction du rôle qu’elle allait jouer. Par analogie, les adeptes de l’Intelligent Design en concluent que la nature est si bien faite qu’elle est nécessairement mue par un but sous-jacent. Ce courant milite pour que ses idées soient enseignées dans les écoles au même titre ou parfois même à la place de la théorie de l’évolution. Si aujourd’hui celui-ci n’est autorisé dans les écoles publiques ni aux Etats-Unis, ni en Europe, les enseignants restent tout de même confrontés à des élèves qui refusent la théorie de l’évolution en avançant des arguments finalistes.

Si vous souhaitez approfondir ce sujet, vous pouvez par exemple consulter les travaux de Joël Peerboom – Comment enseigner la théorie de l’évolution à des élèves croyant qu’elle n’existe pas – et/ou l’interview de Guillaume Lecointre (vidéo n°4).

Sens commun n°2 – Tout est nature mis à part les Humains

La nature serait un monde sans Humains, en parfaite harmonie et sans violence, où cohabiteraient brebis et loups dans un fragile et précieux équilibre ; la nature serait alors un paradis perdu ou une sorte de Terre mère – Gaïa ou Pachamama (on pourra approfondir ce sujet avec l’article de ?. Lambert dans le Monde Diplomatique de Février 2011 : Le spectre du pachamamisme)

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Dans cette représentation, la Nature revêt son N majuscule, elle est sacralisée.

À l’image de la Nature dans le film Avatar, elle doit affronter l’Humain qui la parasite et brise cette harmonie en outrepassant ses droits ; la Nature en colère se défend à coup d’ouragans et de tsunamis tout comme Zeus brandissait jadis son foudre.

On retrouve cette représentation, à des degrés de sacralisation plus ou moins importants, dans certains milieux politiques écologistes qui, pour amener leur public à s’interroger sur les conséquences de l’activité humaine sur l’environnement, s’appuient sur l’idée d’une Nature pure et fragile opposée à l’Humain destructeur. C’est le cas par exemple dans les films Le syndrome du Titanic de Nicolas Hulot ou Home de Yan Arthus-Bertrand, où les séquences montrant une Nature harmonieuse et sublime sont systématiquement opposées à des séquences d’images d’activité humaine polluante, en témoigne la bande-annonce du film Home :

Sens commun n°3 – Tout est nature mis à part la culture

Le sens commun n°2, en excluant totalement l’espèce humaine de la nature, devient rapidement peu satisfaisant, car l’Humain reste un mammifère qui, en tant que tel, a des comportements animaux ou innés que l’on peut légitimement intégrer dans le naturel. Le sens n°3 propose donc de lui rendre une place dans la nature tout en excluant ses comportements dits culturels, qui constitueraient le « propre » de l’Humanité. Pourtant, la frontière entre nature et culture n’est pas aussi nette que le laisse entendre cette proposition de définition. La question de la part de l’inné et de l’acquis dans le comportement humain est complexe et l’on rencontre plusieurs idées reçues sur ce sujet, y compris dans la sphère politique. Citons par exemple le débat initié en avril 2007 par certains propos de Nicolas Sarkozy, alors candidat aux élections présidentielles :

« J’inclinerais, pour ma part, à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a 1 200 ou 1 300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable. Prenez les fumeurs : certains développent un cancer, d’autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire. Les circonstances ne font pas tout, la part de l’inné est immense. »

Nicolas Sarkozy dans Confidences entre ennemis, Psychologie Magazine, n°8, Avril 2007

Certains neurologues, comme Axel Kahn, avaient alors réagi publiquement en faisant le point sur les connaissances scientifiques actuelles dans ce domaine. Vous pouvez l’écouter dans cet extrait du Magazine de la santé au quotidien du 10 avril 2007 (France 5) :

Certes le patrimoine génétique d’un individu le prédispose à certains comportements, mais le cerveau ne cesse « d’apprendre » et de réagir à son environnement ; Axel Kahn dira sur La Télé Libre.fr : « à la question : sommes-nous inné ou acquis ? il faut répondre : nous sommes 100% inné et 100% acquis ». On pourrait aussi répondre « Mu ».

Pour ceux qui souhaiteraient pousser les questionnements un peu plus loin sur l’existence d’une frontière nature-culture, il y a une piste intéressante, à creuser, dans les travaux de Richard Dawkins sur la mémétique : sa tentative d’intégrer certains processus culturels dans une lecture évolutionniste atténue encore la distinction puisque, selon sa théorie, certains « éléments de culture » subiraient variations et sélection « naturelle » dans un processus similaire à celui de l’évolution.

On pourra lire Richard Dawkins, Le gène égoïste, 1976 ou regarder les vidéos de Cyrille Barrette.

 Bref, il n’est pas si simple de distinguer, dans nos comportements, la part de l’acquis de celle de l’inné. Et ce n’est pas la seule raison de remettre en question la pertinence du sens 3. En effet, en excluant la culture humaine de la nature, il me semble difficile de se soustraire à la question de la culture animale. Je m’explique : si une certaine culture animale existe, pourquoi la considérer comme naturelle tandis que la culture humaine ne l’est pas ? Cela renforcerait le caractère arbitraire et anthropocentré d’une telle dénomination. Or les progrès récents en éthologie, en révélant que de nombreuses espèces ont développé des comportements semblables à des comportements humains dits culturels, vont dans ce sens. Citons quelques exemples , tous tirés de l’émission Sur les épaules de Darwin du 11 Septembre 2010 (France Culture) que vous pouvez écouter ici :

  • Jane Goodall découvre en octobre 1960 que des chimpanzés de la région du lac de Tanganyika, en Tanzanie, fabriquent des outils pour attraper des termites. Ceci remet en question les définitions de l’Humain et de la culture adoptées jusque-là.
  • Alban Lemasson et Martine Hausberger découvrent en 2004 que certains singes ont élaboré une syntaxe : en combinant six sons de manières différentes, ils sont capables de donner des précisions sur l’origine d’un danger.  
  • Sur l’île de Koshima, l’éthologue Syunzo Kawamura observe pour la première fois en 1953 une femelle d’un an et demi laver une patate douce dans l’eau : elle la tient dans une main et la frotte avec l’autre. En 1965, Masao Kawai publie son analyse de la transmission de ce nouveau savoir-faire aux autres membres du groupe : les adultes et surtout les mâles, qui sont moins en contact avec les femelles, s’approprient peu cette pratique tandis que la plupart des jeunes de moins de 4 ans l’apprennent au contact de leur mère. Ce comportement est ensuite complètement adopté par les nouvelles générations, tandis qu’il est inexistant dans des groupes de singes identiques vivant sur des îles voisines : la transmission et l’apprentissage d’un savoir-faire non inné fait partie du monde animal.
  • Si la culture désigne un changement de comportement suite à une expérience personnelle, que dire du comportement de ce geai décrit par Nathan J. Emery, Joana M. Dally et Nicola S. Clayton en 2004 qui cache sa nourriture et revient la chercher quand il en a besoin. Il arrive qu’un de ses congénères le remarque en train de dissimuler ses réserves et pille la cachette dès qu’il a le dos tourné. Un geai dont la cachette a déjà été pillée ne modifie pas son comportement, mais un geai qui a déjà eu l’occasion d’aller voler la nourriture d’un autre, lorsqu’il se sait observé, finit de dissimuler ses denrées mais revient plus tard pour les cacher ailleurs, un peu comme s’il projetait que son congénère pouvait avoir le même comportement que lui.

Pour aller plus loin, voici les références des articles :
LEMASSON, Alban et Martine HAUSBERGER, « Patterns of Vocal Sharing and Social Dynamics in a Captive Group of Campbell’s Monkeys (Cercopithecus campbelli campbelli) », Journal of Comparative Psychology, n°3, vol. 118, Septembre 2004, pp. 347-359
KAWAI Masao, « New-acquired Pre-cultural Behavior of the Natural Troop of Japanese Monkeys on Koshima Islet », Primates, n°1, vol. 6, Août 1965, pp. 1-30
EMERY Nathan J., Joanna M. DALLY et Nicola S. CLAYTON, « Western scrub-jays (Aphelocoma californica) use cognitive strategies to protect their caches from thieving conspecifics », Animal Cognition, n°1, vol. 7, Janvier 2004

Ces découvertes récentes rendent encore plus difficile la distinction nature-culture, distinction qui tend d’ailleurs à disparaître dans le milieu scientifique. Elle reste pourtant courante au quotidien, par exemple dans des expressions du type « il n’est pas dans ma nature de grimper aux arbres » ou « je n’aime pas jouer avec les enfants, ce n’est pas dans ma nature ». Pourtant, invoquer la nature dans ce contexte s’avère particulièrement aliénant : si tel ou tel comportement fait partie de ma nature, de mon essence, rien ni personne n’y pourra rien changer, je ne grimperai jamais aux arbres et n’aimerai jamais jouer avec des enfants ; et si je ne suis pas « entrepreneur-né », je n’entreprendrai jamais rien. C’est renoncer a priori à toute forme d’éducation et à toute volonté de changement.

Pour prendre un exemple dans la vie politique, l’extrait qui suit du film Juppé forcément de Pierre Carles, Alain Juppé invoque ses racines, pour justifier sa candidature aux élections municipales de 1995. Ce qui m’a frappée dans ce discours, c’est le rôle « dépolitisateur » qu’y joue la nature.

On pourra s’amuser à repérer dans cet extrait le champ lexical de la nature. Juppé forcément, Pierres Carles, 1995

Mais là où le recours à la nature sert particulièrement à légitimer un ordre éabli, c’est bien dans les préjugés racistes ou sexistes ; on appelle cela l’essentialisme. Plus précisément, ces préjugés s’appuient souvent sur une différence physiologique « naturelle » (sexes différents, couleur de peau, …) pour décréter que cette différence physiologique ou physique induit une « nature » différente, c’est-à-dire un ensemble de caractéristiques intellectuelles, affectives ou comportementales qui sont immuables et universelles. Comme nous allons le voir, l’essentialisme se fait une place, à des degrés divers, dans les blagues et la publicité mais aussi dans les catalogues de jouets ou la littérature enfantine et même dans le discours d’hommes politiques ou de journalistes.

Les discours essentialistes sur les Noirs – qui seraient fainéants et un peu à côté de la plaque, courraient vite, aimeraient le sexe, sentiraient fort, etc. – n’ont pas disparu. Il suffit, pour s’en convaincre, d’aller jeter un oeil à la page Racisme ordinaire qui fourmille d’exemples. J’en donnerai deux ici :

1 — la médiatisation des performances du sprinter Christophe Lemaître, présenté depuis deux ans comme  » le premier blanc à être passé sous les 10″ au 100m « , avec notamment le titre très essentialiste du 20minutes.fr du 13 août 2009 : Mondiaux de Berlin: les blancs savent-ils courir ?

2 — l’extrait d’un discours de Nicolas Sarkozy, tout juste élu Président de la République, à l’Université de Cheik-Anta-Diop de Dakar (Sénégal), le 26 juillet 2007 (le son et l’image sont un peu décalés).

Ceci dit, sans aucunement minimiser l’étendue du racisme ordinaire actuel, on peut tout de même noter que certains propos essentialistes envers les Noirs et les Arabes soulèvent l’indignation d’une partie de la population et des médias et qu’ils sont parfois condamnés par les tribunaux – je pense par exemple à certains propos d’Eric Zemmour ou de Jean-Paul Guerlain :

« J’ai travaillé comme un nègre, je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, m’enfin…», 15/10/10, JT de 13h (France 2)

« La plupart de trafiquants sont Noirs et Arabes », 06/03/2010, Salut les terriens (Canal+) (voir une analyse détaillée ici)

Cela ne signe pas la fin des inégalités sociales entre les Blancs et les Noirs, mais cela permet tout de même de réaliser qu’un pas a été fait…

Pourquoi cette remarque ? Parce qu’il existe une catégorie de personnes dont l’essentialisation ne provoque pas encore le même émoi : il s’agit des Femmes. Pour s’en convaincre, il suffit de se demander si quelqu’un a déjà provoqué une polémique pour avoir dit publiquement :  » les Femmes aiment s’occuper des enfants « ,  » les Femmes sont tête en l’air « , ou  » les Femmes ne s’intéressent pas à l’informatique « .

Pour une analyse détaillée de l’idée reçue :  » les Femmes ne s’intéressent pas à l’informatique « , on pourra écouter la conférence Opératrices de saisie ou hackeuses d’Isabelle Collet, contributrice du CorteX.​

Pour mesurer toute la portée de ces phrases faussement anodines, je suggère à mon public de les reprendre en y remplaçant Femme par Noir : en changeant le contexte, on se rend parfois mieux compte de l’aberration de certaines affirmations, qui ne font rien de moins que de cantonner les Femmes au foyer ou de les écarter a priori de certaines professions, sans invoquer d’autre raison que leur nature de Femme.

Pourtant, s’il est vrai que les Femmes s’occupent plus des enfants et qu’elles continuent à prendre largement en charge les travaux domestiques, il n’existe nulle preuve de l’existence de cette fameuse nature des Femmes qui les rendrait plus aptes à passer la serpillère.

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Parodie des albums pour enfants de la collection Martine

Si certaines recherches sont menées dans le but de mettre en évidence des différences entre les cerveaux des Femmes et des Hommes pour expliquer les différences de comportement et d’aptitude, Catherine Vidal et Dorothée Benoît-Browaeys précisent bien dans leur ouvrage Cerveau Sexe et Pouvoir qu’aucune étude ne révèle de différence signifiactive. Entendons-nous bien : quand bien même les différences physiologiques seraient telles qu’une partie de la population (Noirs, Arabes, Femmes…) serait en moyenne plus faible/moins résistante/moins intelligente/moins efficace/etc. qu’une autre (Blancs, Hommes…) – si tant est que plus « faible », « efficace », intelligente » ait un sens précis -, on pourrait toujours se demander en quoi cela devrait légitimer une différence de droits. Mais ce qui est intéressant ici, c’est que cette infériorité a priori n’est pas prouvée et reste purement spéculative, alors que d’autres pistes présentent des pouvoirs explicatifs bien plus importants. Plutôt que d’invoquer une morphologie typique du Blanc ou du Noir, le peu de performances des Blancs sur le 100m s’explique par le fait que c’est un sport peu rémunérateur et peu attractif qui reste pratiqué par les classes sociales les plus pauvres où les Noirs sont surreprésentés. C’est également le cas pour la boxe anglaise, mais le phénomène s’inverse pour le ski, où l’on ne rencontre que très peu de Noirs.En ce qui concerne les différences de comportement entre les Hommes et les Femmes, il suffit de s’arrêter dans un magasin de jouets ou de feuilleter un de leurs catalogues et de comparer ce qui y est proposé pour les petites filles puis pour les petits garçons. En attendant, voici quelques exemples sur lesquels on pourra observer le code couleur, les activités des filles et celles des garçons, mais aussi leurs attitudes.

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Cette catégorisation Fille-Garçon et des rôles qui leur incombent est également très prégnante dans les livres pour enfants. L’association européenne Du côté des filles qui a analysé 537 albums pour enfants fait le constat suivant : les filles sont le plus souvent représentées à l’intérieur de la maison plutôt qu’à l’extérieur, dans un lieu privé plutôt que public et dans des attitudes plutôt passives qu’actives.

Caractéristiques de la
représentation des Hommes
Caractéristiques de la représentation des Femmes
extérieurintérieur
espace publicespace privé
actifpassive
travail rémunérateurtravail gratuit et dans le cadre familial
multitude de rois, ministres, médecins,scientifiques, historiens,écrivains, policiersune femme cadre, une avocate, une reine

On retrouve également la répartition « homme = actif » et « femme = passif » dans les livres de biologie : lorsqu’il s’agit du système lymphatique, on représente majoritairement une femme ; pour le système musculaire, un homme ; de même, l’idée est assez répandue que l’ovule attend passivement l’arrivée du spermatozoïde, fougueux, combattif et… gagnant. Et la métaphore couramment utilisée pour expliquer la reproduction aux enfants, à savoir que « le papa met une petite graine dans le ventre de la maman », propage aussi cette image de l’homme actif et de la femme passive. La publicité n’est pas en reste et véhicule elle aussi des stéréotypes essentialisants ; en voici un exemple :

{avi}CorteX_Nature_Pub_Heineken_genre_sexe_social{/avi}

C’est ce qu’on appelle la construction du sexe social ou le genre. Être femme ou homme, cela s’apprend et ce n’est d’ailleurs pas la même chose suivant les époques ou les régions géographiques. C’est ce que résume en quelques mots la formule de Simone de Beauvoir : « on ne naît pas Femme, on le devient ». De la même manière, on ne naît ni Homme, ni entrepreneur, ni même Noir.

Qu’en est-il de la nature humaine ?

S’il n’existe pas de nature du Noir ou de la Femme, qu’en est-il de la nature Humaine ? Qu’est-ce qui fait de l’Humain une espèce à part ou, dit autrement, qu’est-ce qui constitue le « propre » de l’Humain ? S’il s’agit de savoir si l’Humain est différent du crocodile ou du moineau, la réponse ne peut être qu’affirmative, mais s’il s’agit de savoir en quoi l’Humain est supérieur au crocodile ou au moineau, la réponse est bien moins évidente. D’ailleurs, le crocodile est tout aussi différent du moineau que l’humain et nous n’en ressentons pas nécessairement le besoin d’en déduire une relation d’ordre entre ces deux espèces, ni d’octroyer plus de droits à l’un qu’à l’autre. Alors je terminerai en posant cette question dont je n’ai pas la réponse : qu’y a-t-il de si différent dans la nature humaine qui autorise les Humains à se décréter au-dessus des autres espèces et à s’octroyer des droits qu’ils n’accordent pas aux autre.

Qu’en conclure ?

Une fois le constat fait que la nature ne décrit pas de réalité scientifique précise, il me semble important de s’interroger sur le rôle que joue ce pseudo-concept dans un argumentaire.

En premier lieu, la nature est formidable pour se soustraire à toute obligation d’argumentation. Lorsque Nadine Morano, ministre de l’apprentissage, veut soutenir la candidature de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle contre celle éventuelle de Jean-Louis Borloo, elle déclare : « Nous avons un leader [Nicolas Sarkozy], nous avons un candidat naturel donc la question des primaires ne se pose même pas ». La voici sur le plateau de l’émission En route vers la présidentielle du 21 avril 2011 :

 

On trouve la même trame argumentative dans des débats sur la légitimité du mariage entre personnes de même sexe, jugé parfois contre-nature. Argument souvent suivi d’un effet Pangloss du type : « s’il y a des hommes et des femmes, c’est bien fait pour se reproduire ». Je fais une petite parenthèse : cet argument est assez étonnant aujourd’hui, en France, où la contraception est très répandue – quid de tous les rapports sexuels sous contraceptifs ? Quid des relations sexuelles sans pénétration ? Et quid de toutes les assistances médicales à la procréation, peu « naturelles » mais bien légales ? Sans oublier le fait que la recherche du plaisir sexuel sans reproduction peut difficilement être taxée de « contre-nature », tant les exemples de pratiques sexuelles indépendantes de l’acte de reproduction sont nombreux dans le monde animal.

On essaie de nous faire intégrer la chose suivante : ce qui est naturel est dans l’ordre des choses ; c’est ce qui doit être.

Par ailleurs, le concept de nature est aussi très utile pour justifier et asseoir des discours conservateurs et des inégalités sociales. Comme le rappelle Yves Bonnardel dans le texte De l’appropriation à l’idée de Nature (cahiers antispécistes, vol.11, 1994) et contrairement à une idée répandue, les rhétoriques essentialistes sur les Noirs ne sont apparues qu’après le début de l’esclavagisme ; ce n’est pas une conception du Noir en tant que race inférieure qui a rendu possible l’esclavagisme, mais bien le fait d’avoir réduit les Noirs en esclavage qui a conduit les Blancs à invoquer la nature inférieure du Noir pour légitimer cette exploitation. Quant à l’essentialisme concernant les femmes, s’il a beaucoup évolué ces dernières décennies, il a lui aussi justifié en France l’appropriation légale des Femmes par les Hommes jusque dans les années 1990. Le mot peut paraître fort, mais n’oublions pas que, jusqu’en 1965, les Femmes devaient avoir l’autorisation de leur mari pour être salariées, que le devoir conjugal n’a été aboli qu’en 1990 et que le viol conjugal n’a été reconnu par jurisprudence qu’en 1992.

La nature humaine, elle, continue de légitimer la différence de droits entre les espèces sur le plan juridique, différence de droits immense puisque l’Humain, malgré certaines mesures de protection – parcs nationaux ou régionaux, règlementation de la chasse ou de la pêche, etc. – dispose tout de même du droit de tuer les autres espèces (élevage, permis de chasse ou de pêche etc.), parfois même en invoquant une tradition ininterrompue (corrida, combats de coq).

Article 521-1 du code pénal « Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. » (alinéa 1) À titre de peine complémentaire, le tribunal peut prononcer « l’interdiction, à titre définitif ou non, de détenir un animal. » (alinéa 3) « Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Elles ne sont pas non plus applicables aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie. » (alinéa 7)

Le mot nature est un mot valise : il est tellement creux qu’on le pense très profond, ce qui permet à chacun d’y mettre ce qu’il veut. Evidemment, cela ne porte pas à conséquence si l’on reste dans le domaine de la poésie, mais la rhétorique naturaliste reste un adversaire de taille dans la lutte contre toute sorte de discriminations. Alors, à chaque fois que je l’entends, je dresse l’oreille, j’active mon système d’auto-défense intellectuelle et je me méfie car, à chaque fois que je l’ai relevé, la nature était utilisée pour asseoir ou défendre un ordre établi et bottait en touche toute remise en question potentielle. C’est ce que résume particulièrement bien Yves Bonnardel dans ce court extrait :

« En pratique, l’attitude est plus ambiguë : tantôt les humains dénoncent avec indignation ce qu’ils jugent contre-nature, tantôt ils célèbrent les conquêtes qui ont permis à l’humanité d’échapper aux rigueurs de sa condition primitive. Personne ne souhaite vraiment que nous imitions la nature en tout point, mais personne ne renonce pour autant volontiers à l’idée que la Nature doit nous servir d’exemple ou de modèle. Les considérations sur ce qui est contre-nature et ce qui est naturel (censé être équivalent à : normal, sain, bon…) viennent trop souvent court-circuiter la réflexion sur ce qu’il est bon ou mauvais de faire, sur ce qui est souhaitable et pourquoi, en fonction de quels critères. L’idée de nature « pollue » les débats moraux et politiques… « (En finir avec l’idée de Nature, Renouer avec l’éthique et le politique, Les Temps modernes, Mars-Juin 2005)

 

Alors concrètement, je dresse l’oreille, donc, mais j’essaie aussi de rayer le terme nature de mon vocabulaire, par exemple en le supprimant, en le remplaçant par des termes plus précis ou en formulant les choses autrement. Par exemple, plutôt que de dire « il est de nature coquette » ou « elle est dynamique par nature » je dirai quelque chose comme « il aime prendre le temps de se faire beau » ou « elle est dynamique ». Plutôt que de dire « j’aime la nature » je dirais « j’aime les ballades en montagne » (ou « à la campagne » ou « sur la plage », etc.), même si, évidemment, dans ce contexte l’équivoque ne prête pas trop à conséquences.    

Cette démarche, parfois plus difficile qu’elle n’y paraît, est plus qu’un simple exercice de style : elle me contraint à raisonner en dehors des rhétoriques naturalistes, tellement courantes qu’on les reprend parfois à son compte sans même s’en rendre compte. D’ailleurs, cela arrive même à Lévi-Strauss (premier extrait de l’article Quelques perles de Lévi-Strauss)… 

Guillemette Reviron

Décortiqué – Réactions à l'entrée du genre dans les programmes de 1ère

Nous avons suivi la fameuse polémique médiatique sur l’entrée du genre dans les programmes de SVT en première L et ES et, au fur et à mesure de nos lectures ou des reportages, notre stupéfaction n’a fait qu’augmenter : ce fut le grand bazar des idées fausses et des arguments fallacieux. Je crois qu’il faut se rendre à l’évidences : la plupart des gens qui se sont exprimés sur le sujet et dont on a relayé les propos, les coups de gueule, les indignations ne savent pas ce qu’est le genre. Les journalistes qui les ont questionnés ne devaient pas en savoir beaucoup plus. A défaut d’être pertinents, ils nous auront donné une formidable matière pour élaborer des travaux pratiques. Les documents que j’analyse ici sont regroupés ici. Comme d’habitude, n’hésitez pas à nous faire part de vos propres analyses.
 Pour en savoir plus sur le genre, on pourra se référer à ces deux articles :

Sélection commentée de ressources sur la notion de genre
Sociologie, biologie – Atelier-débat sur la théorie du genre


Analyse de la vidéo 1
Analyse des vidéos 2 et 2bis
Analyse de la vidéo 3 (à venir – envoyez-nous la vôtre) 


Analyse de la vidéo 1

Erreur n°1 : le genre n’est pas une théorie
Le genre ou sexe social n’est pas une théorie, c’est un concept, un objet d’étude. Il désigne l’ensemble des différences non biologiques (psychologiques, sociales, économiques, démographiques, politiques…) distinguant les hommes et les femmes. Il n’y a pas une théorie du genre mais des théories scientifiques issues de domaines très variés (histoire, sociologie, psychologie, neurobiologie, ethnologie, etc.) qui expliquent comment ces différences se construisent et se perpétuent. Chaque domaine d’étude propose et teste ses hypothèses et produit un savoir scientifique sur ce sujet, c’est-à-dire qu’il retient les affirmations qui sont plus vraies que fausses dans l’état actuel des connaissances.
Rien de bien sorcier en fait : en effet, la plupart des détracteurs de la « théorie » du genre reconnaissent les différences non biologiques entre les hommes et les femmes (ce qu’ils dénoncent, c’est justement le fait qu’on chercherait à les gommer) et si le genre existe, il est possible l’étudier. On aurait d’ailleurs pu découvrir en l’étudiant que les hormones ou la taille des cerveaux expliquaient tout. Ce n’est simplement pas le cas.

Homme de paille + faux dilemme

Dans deux des reportages diffusés à heure de grande écoute, il est affirmé que la théorie (sic !) du genre consiste à dire que l' »on ne naît pas homme ou femme, on le devient en fonction d’un choix personnel ». Voilà un magnifique homme de paille ou strawman. Je ne connais pourtant pas de théorie scientifique qui défende ce point de vue. Je suppose que ce dévoiement des propos de Simone de Beauvoir – « on ne naît pas femme, on le devient » – provient d’un faux dilemme qui pourrait s’énoncer de la manière suivante : soit les différences entre les sexes sont biologiques, soit les individus choisissent leur sexe. C’est paradoxal puisque justement, les travaux sur le genre démontrent que les mécanismes qui sous-tendent la construction du sexe social sont extrêmement complexes et sont, la plupart du temps, subis par les individus et véhiculés par ces mêmes individus de manière non consciente. Evoquer un choix n’a pas de sens dans ce contexte.
Derrière ce faux dilemme se cache l’idée reçue suivante : biologique = déterministe et non-biologique = choix possible. C’est entièrement faux : d’une part les travaux en sociologie et en psychologie décrivent justement comment de nombreux comportements sont en quelque sorte hérités de notre environnement social, d’autre part, ce n’est pas parce qu’un caractère est (aussi) biologique, qu’il dicte sa conduite à un individu.
Faux dilemme : genre versus explications biologiques

La plupart des reportages opposent « genre » et « causes biologiques de la différence entre les sexes ». Etudier le genre ne revient pourtant pas à nier les différences biologiques évidentes : cela consiste simplement à identifier les différences non biologiques. D’ailleurs certains neurobiologistes abordent cette question d’un point de vue biologique en cherchant des différences entre les cerveaux des hommes et des femmes qui pourraient être à l’origine des différences comportementales.
De la même manière que ce n’est pas parce qu’on étudie l’estomac qu’on nie l’existence du foie, ce n’est pas parce qu’on étudie les différences entre les sexes sociaux qu’on nie les différences biologiques. Les deux approches ne sont pas contradictoires. Dans un premier temps, il est nécessaire de les étudier de manière indépendante pour mettre en évidence les mécanismes relevant du caractère social ou du caractère biologique ; il est ensuite possible de chercher à comprendre si ces mécanismes s’additionnent ou interagissent et comment. Un point de vue purement biologique comme un point de vue purement psycho-social ne nous donnerait qu’une vision partielle du phénomène.

Effet « ad etatsunium »

Il est sans arrêt répété dans les JT que la théorie (sic !) provient des Etats-unis. Il est étonnant de remarquer le bi-standard qu’il y a sur les références aux travaux états-uniens : lorsqu’il s’agit de nouvelles technologies, par exemple, cela nous est présenté en comme un gage de sérieux. Dans notre cas, cette référence a tendance à disqualifier la « théorie ». Quoi qu’il en soit, d’une part un savoir scientifique n’est ni états-unien, ni congolais, ni chinois, ni russe, d’autre part l’étude du genre n’est plus une spécificité états-uniennes : si c’était le cas jusqu’en 2000, de nombreuses recherches sont menées en France. Et puis la fameuse phrase « on ne naît pas femme, on le devient » que tous se sont empressés de reprendre et de déformer est due à Simone de Beauvoir, de nationalité française.

Effet Panurge + effet paillasson + intrusions idéologiques en sciences : une théorie contestée

Contestée par qui ? On apprend au cours d’un des reportages qu’une pétition a été signée, en majorité par des catholiques. Catholique ou non, là n’est pas la question. Il faudrait d’abord se demander quels sont les fondements de cette contestation : les signataires de la pétition remettent-ils en cause la validité scientifique de certains aspects de ladite « théorie » ? La contestation est-elle d’ordre idéologique ? Mettre ces deux types de contestations sur le même plan provoque une confusion importante : dans le premier cas, il serait légitime de refuser d’enseigner une théorie fausse, tandis que dans le deuxième cas, cette revendication n’a plus lieu d’être.
Par ailleurs, l’utilisation de l’effet Panurge – qui sous-entend que le nombre important de gens qui s’opposent à la « théorie » du genre suffit à qualifier la « théorie » de contestable – joue sur un effet paillasson concernant l’adjectif contestable : une affirmation scientifique est toujours contestable scientifiquement, c’est à dire avec les règles imposées par le contrat scientifique, règles qui excluent toute contestation uniquement d’ordre idéologique. Ceci ne signifie pas pour autant que l’affirmation n’est pas validée : elle l’est jusqu’à preuve du contraire. En revanche, dans le sens commun, contestable signifie douteux, problématique, incertain. Ce double sens peut entraîner une grande confusion sur le statut – valide ou non valide – de l’affirmation.

Homme de paille + Pétition de principe

Dans le deuxième reportage (France 2, 30 Août 2011), le commentaire dit : « or certains éditeurs ont choisi d’aborder la théorie du genre sans la nommer explicitement. Exemple : l’identité sexuelle se réfère au genre sous lequel une personne est socialement reconnue (extrait d’un manuel) ».

NG : Homme de paille car c’est une insinuation de « la » position « des » éditeurs et une pétition de principe car les éditeurs ne peuvent pas aborder la théorie si ce n’en est pas une (sauf si l’on le sous-entend au départ).


Analyse des vidéo 2 et 2 bis (à voir ici)

  • 1ère intervention : Lionel LUCA, député UMP des Alpes-Maritimes sur M6 BONUS.fr (non diffusé à la télévision) – analyse de la version intégrale

Homme de paille + appel à la peur + intrusions idéologiques :

L’extrait commence par  » cette théorie est dangereuse  » passe par  » [La théorie] veut légitimer à terme la pédophilie  » et se termine sur « les homosexuels n’ont pas besoin de cette théorie-là pour être reconnus dans notre société et admis comme tels ». Or une théorie scientifique n’est ni dangereuse, ni pas dangereuse, ni sexiste, ni pro-homosexuels, etc. ; une théorie ne veut rien, n’a pas de but politique, elle est valide ou non (et cela peut évoluer au cours du temps et des découvertes) et permet d’expliquer un phénomène.

Je ne pense pas avoir besoin de m’attarder trop longtemps sur le gigantesque homme de paille que brandit ce député :  » ce qui est grave, c’est que cette théorie, sous couvert de reconnaître différentes identités sexuelles, veut légitimer à terme la pédophilie, voire la zoophilie, puisque ceux qui le revendiquent aux Etats-Unis, défendent l’amour pour les jeunes enfants. « 

Plurium affirmatum et Pétition de principe

M. Luca dit : « si Adam et Eve s’étaient posé la question avec le livre, on ne serait pas là pour en parler, tout simplement parce qu’on naît bien homme et on naît bien femme et on se reproduit . » Il admet donc snas le préciser qu’Adam et Eve ont existé (plurium affirmatum) et bâtit sa démonstration de l’affirmation : « on naît homme ou femme » sur deux prémisses :
– l’existence d’Adam et Eve, qui est une hypothèse extrêmement coûteuse (voir Rasoir d’Occam)
– on naît bien homme ou femme
On pourrait « simplifier » le raisonnement et se passer de la première prémisse : « on naît homme ou femme puisqu’on naît homme ou femme ». Sans commentaire.

NG – Je pense a un non sequitur avec une prémisse en pétition de principe:
A – Si Adam et Eve avaient choisi leur genre ils ne se seraient pas reproduits.
B – Or ils se sont reproduits, ils n’ont donc pas choisi leur genre
Donc on naît bien homme ou femme.

Bi-standard sur la reconnaissance d’une théorie

Dans la phrase « Ca ne veut pas dire bien entendu qu’il n’y ait que l’amour entre l’homme et la femme, cela va de soi, c’est reconnu comme tel aujourd’hui […] », M. Luca dit ne pas pouvoir nier l’homosexualité puisqu’elle est reconnue. Il me semble qu’il aurait pu dire de la même manière : « ça ne veut pas dire bien entendu qu’il n’y ait pas de construction sociale de l’identité sexuelle, cela va de soi, c’est reconnu comme tel aujourd’hui […] ». Le critère de validation d’une théorie semble évoluer selon la théorie : c’est un bi-standard.
A moins que la reconnaissance dont il parle soit l’acceptation sociale – on pourra au passage noter l’effet paillasson sur le terme reconnu, mais l’acceptation sociale d’une théorie n’est ni suffisante ni nécessaire pour la valider.

Homme de paille

« …mais ce qui n’est pas la grande majorité des cas ne doit pas imposer sa norme à son tour »
Qui a dit qu’il ou elle souhaitait imposer l’homosexualité à la Terre entière ?

Une phrase puits :

  « je crois que c’est la confusion plutôt que la clarification. »
Je ne le lui fais pas dire…

  • 2ème intervention : Jean-François Coppé

Le genre n’est pas une théorie
voir ici
Mise sur le même plan de la connaissance scientifique et des opinions
« Ce qui est profondément choquant dans cette affaire, c’est que la théorie du genre, qui est une théorie défendue par des personnes mais qui est combattue par d’autres, soit présentée comme une vérité scientifique alors que ça ne l’est pas »
Il est tout à fait certain que les scientifiques débattent sur la validité et le poids relatif des causes invoquées pour expliquer la construction du genre. ceci dit, l’existence du genre est une « vérité scientifique », non pas dans le sens « vérité absolue », mais dans le sens « affirmation validée dans l’état actuel de nos connaissances ». Comme je l’ai déjà stipulé dans l’analyse de la vidéo 1, les personnes qui s’opposent à l’enseignement du genre ne remettent pas en question l’existence de différences entre les sexes. Si maintenant ils réfutent les causes sociales, historiques, psychologiques, etc., sur quels arguments, sur quelles études fondent-ils leur réfutation ?
A décortiquer
« C’est comme si on présentait dans les manuels d’économie le marxisme comme une vérité scientifique alors que ça ne l’est pas, ce n’est qu’une théorie ».

  • 3ème intervention : Eric Zemmour

Homme de paille

« le scandale est double : quand on marginalise le biologique et qu’on pense que la construction d’un homme et d’une femme n’est QUE sociale, parce que c’est CA la théorie du genre, il faut arrêter de se raconter des bobards. La théorie du genre, c’est un constructivisme psychologique et social. L’homme et la femme ne sont QUE ça et on évacue le biologi… c’est ça la théorie du genre. »
C’est le même argument que celui analysé ici

Homme de paille
« comme si la minorité devenait la majorité, comme si l’exception devenait la norme. »
Voir ici

Guillemette Reviron, Nicolas Gaillard

Décortiqué : campagne publicitaire « l’éducation nationale recrute »

Vous avez mené avec brio votre analyse de la page « Campagne publicitaire à analyser : l’éducation nationale recrute » ? Voilà ma propre analyse, n’hésitez pas à nous écrire pour compléter / corriger cette proposition de décorticage.


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1/ Les effets rhétoriques

L’éducation nationale recrute 17000 personnes…

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Ce recrutement semble a priori en contradiction : 

 

  • D’une part avec le plan d’austérité du gouvernement dénoncé par les syndicats de l’éducation nationale, les élus locaux et nationaux et les fédérations de parents d’élèves : coupes budgétaires, fermetures de classes et suppression d’emplois (comme le présente le reportage ci-contre.)

 

  • D’autre part avec la démarche demaîtrise des dépenses publique dans l’éducation nationale, notamment par la suppression de postes, annoncée l’année dernière par Luc Chatel et toujours d’actualité.
La publicité annonce donc « 17000 postes d’enseignants, d’infirmier(e)s et de médecins scolaires sont à pourvoir en 2011. »

On est face à une rhétorique en deux étapes :

Un effet paillasson, c’est-à-dire que le terme pourvoir est ambigu et peut renvoyer à de nombreuses définitions dans cette situation. Il peut vouloir dire plusieurs choses. Ces postes sont-ils créés ? Sont-ils à pourvoir au sens de « remplacer ce qui manque » ? Sont-ils à pourvoir parce que désertés par les professionnels ? Sont-ce des postes précaires ?

Selon comment on l’interprète, ce terme va jouer sur l’équivoque et la compréhension du sens de cette phrase. N’écrire que « 17000 postes sont à pourvoir » désyncrétise le problème, et gomme toute interprétation négative : cela évoque plutôt des maintiens d’emploi, des embauches, voire des créations de postes, de surcroît dans une période de crise.

Un carpaccio .

Le chiffre 17000 est un chiffre détaché – c’est-à-dire que l’on ne sait pas à quoi le comparer, ni sur quelle base l’appréhender – il crée un impact important : je me dis « 17000, c’est beaucoup ! » .

Pourtant cette affirmation dissimule une réalité moins joviale. Si le Ministère de l’éducation nationale recrute 17000 personnes c’est qu’en réalité sur les 33000 départs à la retraites en 2011, seule la moitié est effectivement maintenue, conformément aux principes de non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite (dans le carde de la révision générale des politiques publiques).

La manière dont la publicité est construite met en scène 17000 postes à pourvoir comme s’il s’agissait de 17000 postes créés, tout en dissimulant 16000 suppressions de postes. C’est une forme de scénarisation de l’information, pour l’embellir, la rendre séduisante, mais bien souvent en cachant ses aspects les plus rébarbatifs. On nomme cette manière de faire la technique du Carpaccio ; il suffit de couper en fines lamelles une rondelle de tomate, une feuille de salade, du bœuf ou un ministre de l’éducation pour en faire un « carpaccio de… » beaucoup plus attrayant. Il suffit de « tourner » l’information en la blanchissant, en la mettant en scène, et on obtient un produit d’appel publicitaire.

Enfin, cette campagne met fortement en avant la profession d’enseignant, dans les textes principaux et les images, renforçant une possible erreur de compréhension « 17000 postes = 17000 postes d’enseignants ». Mais c’est bien 11600 postes d’enseignants qui seront recrutés sur les 17000.

Cela porte à confusion même si ce n’est pas à proprement parler une dissimulation puisque l’information apparaît en bas du document, mais sans donner la répartition des professions et en petits caractères : « Pourquoi pas vous ? 17000 postes d’enseignants, d’infirmier(e)s et de médecins scolaires sont à pourvoir en 2011. »

En creusant un peu, on s’aperçoit que les arrêtés publiés au Bulletin Officiel fixant au titre de l’année 2011 le nombre de postes offerts au concours pour le recrutement d’infirmier-e-s et de médecins arrivent au maximum à 514 postes (sans savoir précisément si l’ensemble de ces postes sont intégrés dans le total des 17000 recrutements.)

Je fais une rapide soustraction : 17000 – 11600 – 514 = 4886

Il reste donc environ 4886 postes non-précisés et qui n’apparaissent pas dans le texte. C’est bien 17000 postes dont 11600 d’enseignants, 414 d’infirmier(e)s, 100 de médecins scolaires et 4886 autres, qui sont à pourvoir en 2011. Finalement la dissimulation pointe le bout de son nez, puisque rien ne laisse supposer que d’autres professions sont concernées et en quelle proportion. (J’ai demandé des informations au Ministère, j’attends et je publierai la réponse.)

Cette campagne publicitaire oriente délibérément vers une erreur de perception : 17000 postes = 17000 postes d’enseignants, d’infirmier(e)s et de médecins scolaires. C’est embêtant.

 

2/ La fabrication de l’image

Julien semble sorti du magazine Challenge ou Capital (magazines sur l’actualité économique en direction des cadres et managers), et Laura d‘un catalogue de mobiliers IKEA.

Les images sont fortement sexuées, avec des stéréotypes classiques, notamment sur les critères de beautés attendus. Pour le garçon c’est une ambiance à dominante bleue, cheveux courts, bruns, chemise dans un environnement studieux. Pour la fille c’est une ambiance à dominante rose : cheveux blonds mi-longs, habits clairs et dans un environnement de détente. Intérieurs aseptisés et modernes, les acteurs sont quasi-souriants, ils semblent détendus, en un mot : heureux. La technologie est mise en avant avec Julien qui est occupé sur un ordinateur portable. Pour Laura c’est la culture littéraire qui est privilégiée, elle lit adossée à une bibliothèque, la jambe nonchalamment pliée.

Ces choix ne sont pas anodins, puisque l’objectif de cette campagne est de rendre séduisant un métier qui ne l’est plus. Alors pas d’élève (pourtant central dans le texte), pas d’établissement scolaire, on est très loin d’une classe surchargée de RAR (Réseau Ambition Réussite).

C’est la plénitude et la dynamique intellectuelle qui sont mises en avant dans ces visuels.

Ce choix scénaristique utilise les mêmes leviers que les campagnes du Ministère de la défense pour les recrutements de l’armée de terre, où le dynamisme, l’aventure et le dépassement de soi sont les axes forts.

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3/ Le vocabulaire utilisé dans les images

Que connote-t-il ? Quels problèmes cela peut-il poser ?

La comparaison des deux textes dénote sans ambivalence la différence de genre entre hommes et femmes. Les termes reproduisent les stéréotypes de genre en différenciant la démarche de Laura et de Julien. Laura lit un livre, elle est représentée nonchalante, passive, dans un environnement clair, voire rose (stéréotype féminin) :

« Laura a trouvé le poste de ses rêves. C’est l’avenir qu’elle a toujours envisagé. »

Julien pianote sur un portable, il semble dynamique et actif, il est dans un environnement de travail :

« Julien a trouvé un poste à la hauteur de ses ambitions. C’est la concrétisation de son projet professionnel. »

Laura a trouvé le poste de ses rêves : est-ce l’unique ? Celui qui lui était destiné ? Le poste de ses rêves connote un déterminisme de genré « fille », où selon les représentations classiques, la femme est maîtresse d’école ou infirmière plus volontiers que chercheur en physique (ce qu’on appelle les professions du care, « prendre soin »). C’est d’ailleurs l’avenir qu’elle a toujours envisagé, le déterminisme est renforcé, c’est devenu sa vocation (étymologiquement un appel venu d’ailleurs, comme Jeanne d’Arc), son destin..

Julien, quant à lui, a trouvé un poste ; un parmi d’autres, contrairement à Laura. A-t-il plus de choix que Laura ? Les termes connotent clairement une attitude dynamique, affirmée et déterminée. Il a de l’ambition et concrétise ses projets. Ceux-ci sont professionnels, là où Laura vit un rêve.

Laura est une fée, douce, blonde, habillée en blanc et cantonnée à la littérature ; Julien est un homme, il est branché haute-technologie, dynamique, brun, en chemise aux manches retroussées et cantonné aux sciences.

Tous ces éléments viennent renforcer un essentialisme sexuel. On reproduit l’idée implicite de comportements genrés qui seraient naturels, en évinçant la question de leurs construction sociale. Voir les travaux du Cortex sur ces questions Sociologie, anthropologie – Atelier sur le racisme ordinaire et Biologie, essentialisme – Nature, écologisme, sexisme, racisme, spécisme .

Finissons sur un détail : cette publicité est un exemple rare de la féminisation des textes. C’est en général peu employé, d’abord par commodité de lecture, c’est une pratique qui alourdit le texte. Pourtant ici, infirmier apparaît infirmier(e)s. Initiative intéressante, si ce n’est que celle-ci n’est appliquée que dans un sens : simplement pour masculiniser une profession, infirmière, plutôt que pour en féminiser également une autre, comme enseignant. On peut se demander alors ce que vise réellement cette démarche, elle ne cherche apparemment pas à pointer la construction genrée de notre grammaire et rétablir un peu la balance.

Alors même que les établissements scolaires cherchent à lutter quotidiennement contre les discriminations, notamment sexuelles, cette campagne de publicité s’inscrit précisément dans la reproduction de stéréotypes. Bigre, je gronde mais à 1,35 milion d’€ la campagne publicitaire, le résultat n’est pas fameux : je préviens le Ministre de ce pas et promis je vous mettrai la réponse plus bas.

 Nicolas Gaillard


 
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SVT 6ème – Concevoir un protocole expérimental avec une fève et un épluche-patates.

Comment de manière simple, élégante, avec un épluche-patate Williwaller et une fève de galette des rois, Alain Le Métayer nous explique une séquence de niveau 6ème en Sciences de la Vie et de la Terre qu’il a élaborée et testée.

Pour résoudre le problème « des conditions favorables à la germination », les élèves de 6ème doivent apprendre à formuler des hypothèses, à concevoir des protocoles destinés à tester les hypothèses puis enfin, à valider (ou pas) les hypothèses.

Il se trouve que pour ce travail, une fève et un épluche-patates (attention, pas n’importe lequel : le Willywaller 2006) peuvent se révéler très utiles !

Ce document vous présente brièvement la démarche que j’ai utilisée en classe.

Quant au Beautiful épluche-pôtates Willywaller 2006…

 

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Alain Le Métayer

Note : n’est pas introduit dans ce TP la discussion sur l’argument 100% Naturel – consulter le cours Naturel, chimique de Denis Caroti ainsi que le cours Nature, écologisme, sexisme, racisme, spécisme et les conférences de Guillemette Reviron sur ce sujet.

CorteX_Source_de_la_Loue

Atelier Grand jeu de la recherche de la source de l’information

Atelier corrigés du grand jeu de la recherche de la source !
Voici une collection d’exercices simples à usage des élèves ou étudiants souhaitant se former à la recherche de la source d’une information, d’un concept ou d’une rumeur.

CorteX_5sens

  • D’où provient l’idée que l’humain possède cinq sens ? Cherchez avec internet l’origine de cette idée.

Essayez vraiment, avant de regarder la réponse, et comptez le temps passé et la méthode employée.
Réponse ici.

  • Quel « poète africain-américain » a dit, dans les années 50, que « Si le Noir n’est pas capable de se tenir debout, laissez-le tomber. Tout ce que je vous demande, c’est de ne pas l’empêcher de se tenir debout. » ?

Réponse ici

Richard Monvoisin 

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Mode d’emploi – Atelier / débat & démocratie participative

L’objectif de cet atelier/débat est de définir « scientifiquement » la notion de démocratie et de montrer que la participation des citoyens, qui est normalement la définition même du concept de démocratie, est présentée comme une avancée – ce qui semble un peu paradoxal.
Ayant la chance d’avoir une intervenante qualifiée, j’ai pu utiliser des ressources pointues, sachant que nous reviendrions ensuite sur les définitions.

Introduction « douce »

J’ai d’abord commencé par cette image tirée d’Astérix en Corse, qui m’avait beaucoup marqué étant plus jeune, et qui se passe de commentaire.

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Puis, pour poser un cadre agréable, j’ai utilisé un extrait de Enfermé dehors, d’Albert Dupontel (2006).

Ensuite, nous sommes allés directement sur la démocratie proprement dite, sous un angle général, en tournant autour.

Nous avons passé une rafale de trois documents :

  • Alain Badiou, extrait audio sur la liberté, la démocratie et le vote – France Inter, Là-bas si j’y suis, 15 septembre 2009.

  • Nuance démocratie / oligarchie, par Hervé Kempf, dans Ce soir où jamais, de janvier 2011

  • Noam Chomsky : reflexion sur la démocratie, extrait de Chomsky : les Médias et les Illusions Nécessaires (1993)

S’ensuivit une présentation rapide par Amélie de la démocratie au cours des trois derniers siècles, en particulier avec les courants « Rousseau » et « Montesquieu ». Puis vinrent une première série de questions, qui nous permirent d’arriver à la notion de démocratie participative proprement dite.

Nous avons alors pioché dans les documents ci-dessous.

  • Démocratie participative : nouveau créneau politique ? JT, TV8 Mont Blanc, juin 2010

  • Démocratie participative à Grigny (69), extrait de HumaTV

  • Démocratie participative à Grenoble : les faux débats de la CNDP sur les nanotechnologies, extraits des JT de France 3 Grenoble, 1er et 2 décembre 2009

  • Démocratie en science : Jacques Testard, Pierre-Henri Tavoillot sur France Inter (3 septembre 2010)

  • Serge Halimi, extrait de L’encerclement – La démocratie dans les rêts du néolibéralisme, extrait du documentaire de Richard Brouillette

Pour finir, voici un petit lien vers une sympathique brochure des Renseignements Généreux

Sommes-nous en démocratie ? A télécharger ici, ou à imprimer en format livret .

Richard Monvoisin

Cortex espèces d'espèces

Espèces d’espèces – Histoire de la systématique & boule buissonnante

Monument de vulgarisation, aussi limpide d’exempt des erreurs grossières auxquelles les documentaires sont coutumiers, nous souhaitions donner un lien vers le documentaire Espèces d’espèces, de Denis Van Waerebeke, Vincent Gaullier, avec la collaboration de Raphaëlle Chaix, produit en 2009 par Ex Nihilo, Arte, France 5, CNRS images, le Muséum national d’histoire naturelle et présenté par Benoît Giros.

On y retrouve un paquet de chercheurs, comme Pascal Duris, Philippe Bouchet, Jacques Cuisin, Kristoff Voisin, Jean-Pierre Gasc, Mark-Olivier Rödel, Philip C.J. Donoghue, Patrick Forterr, et surtout Guillaume Lecointre que nous connaissons bien.
Pour donner l’eau à la bouche, voici un extrait choisi, gracieusement mis à notre disposition par Didier Van Waerbeke.

Pour briser la représentation fausse de l’arbre du vivant, nous n’avons rien de tel que cet extrait tiré de l’excellent documentaire Espèces d’espèces de Denis Van Waerebeke (2008) qui traite de la boule buissonnante de l’évolution et de la métaphore fausse de l’arbre, avec une introduction à l’histoire de la systématique et les enjeux qu’elle recèle.

J’en profite pour dire qu’il s’agit d’une des rares vulgarisations grand public couplant simplicité et qualité remarquable. Comme quoi, ça existe !

J’utilise cet extrait :

– dans un cours sur la biologie et l’impasse de l’Intelligent Design et du créationnisme scientifique (Licences sciences)

– dans un cours sur les représentations scientifiques fausses dans la vulgarisation (Stage critique des médias, CIES, pour doctorants)

– dans un cours sur l’Histoire et les tentatives de détournements pseudoscientifiques (Licences sciences) 

Et pour aller plus loin, vous pouvez le commander ici.Cortex espèces d'espèces

RM

Sophismes et rhétorique – TP Analyse de documentaire sur l’homéopathie

Les sophismes (raisonnements logiquement corrects seulement en apparence) ainsi que certaines figures rhétoriques comme l’effet paillasson sont autant de techniques d’argumentation qui sèment le doute dans le raisonnement et favorisent les affirmations fallacieuses. Le risque : une « embrouille » argumentative pour nous faire accepter des affirmations sur la forme plutôt que sur le fond. Il est salutaire de s’entraîner à les repérer.

Ce TP propose un entraînement à l’identification de sophismes dans l’argumentation de certains intervenants d’un documentaire sur l’homéopathie. Sans traiter le fond, c’est la forme des arguments qui sera ici mise en lumière.

Ce travail peut être réalisé en plusieurs étapes :

  1. Mise à disposition matériel critique sur le sophisme, l’argumentation fallacieuse, l’effet paillasson.
  2. Visionnage des vidéos.
  3. Discussion sur l’argumentation et identification des figures sophistiques et rhétoriques, avec un aiguillage si nécessaire.

Les passages sont extraits du documentaire « L’homéopathie : mystère et boules de sucre« , diffusé le mardi 11 janvier 2011 dans l’émission Enquête de santé du Magazine de la santé de Marina Carrère d’Encausse et Michel Cymes. Y apparaît Richard Monvoisin, dans le cadre de son cours « Zététique & autodéfense intellectuelle » à la Direction des Licences Sciences et Techniques de l’Université Joseph Fourier, Grenoble.

Nous vous proposons, sur le site, de visionner les vidéos, repérer les differentes figures rhétoriques et vérifier ensuite avec nos propositions…
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Extrait 1 – Vous avez trouvé ?…vérifiez ici                                                           Extrait 2 – Vous avez trouvé ?…vérifiez ici

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Extrait 3 – Vous avez trouvé ?…vérifiez ici                                                           Extrait 4 – Vous avez trouvé ?…vérifiez ici

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Extrait 5 – Vous avez trouvé ?…vérifiez ici                                                           Extrait 6 – Vous avez trouvé ?…vérifiez ici

Matériel vidéo à télécharger ici: Vidéo 1 Vidéo 2 Vidéo 3 Vidéo 4 Vidéo 5 Vidéo 6

Extrait 1

Discussions avec un médecin homéopathe sur le Natrum muriaticum, préparation homéopathique à base de sel de cuisine. Le médecin fait la démonstration que ce n’est pas simplement  du sel de cuisine mais bien un médicament.

  •  Pétition de principe, petitio principii

Méthode : consiste à faire une démonstration qui contient déjà l’acceptation de la conclusion, ou qui n’a de sens que lorsque l’on accepte déjà cette conclusion.

La démonstration du médecin : « (…) le Natrum muriaticum c’est du sel de cuisine, mais c’est un médicament car la préparation homéopathique change le produit. Sinon les gens qui auraient besoin de ce médicament, n’aurait qu’à manger salé et il n’y aurait alors pas besoin de ce médicament. C’est donc autre chose que du sel de cuisine.« anti_girafe

Qu’on peut simplifier ainsi : le Natrum muriaticum est un médicament car si ça n’en était pas un, les gens n’en auraient pas besoin.

Cette pétition de principe est de la forme du répulsif anti-girafe : le répulsif anti-girafe fait fuire les girafes. Comment le sait-on ? Regardez autour : il n’y a aucune girafe !

  • Faux dilemme

Méthode : réduire abusivement le problème à deux choix pour conduire à une conclusion forcée.

Ici: « Soit les homéopathes sont des charlatans, soit ils ont raison ».

Le fait de ne pas être un charlatan ne valide pas pour autant les affirmations de l’homéopathie. Ce faux dilemme oriente soigneusement la réponse en interdisant toute autre solution. Cette stratégie est redoutable car elle oriente sournoisement le débat en le simplifiant en un unique antagonisme. Mais celui-ci n’est qu’apparent : le fait que deux propositions soient compétitives ne signifie pas forcément qu’elles soient contradictoires. Le faux dilemme crée l’illusion d’une « compétitivité contradictoire ».

Broch l’explique dans une facette Z : « compétitif ne veut pas dire contradictoire »

Pour approfondir : voir la vidéo « Quelques facettes zététiques expliquées par le professeur Henri Broch », ou lire l’article Le culbuto, l’effet bof et autres ni-ni.

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Extrait 2 

 «Selon les homéopathes, plus un produit est dilué, plus il est efficace. A défaut de preuve ils misent sur l’idée qu’il y aurait autre chose, une trace, une onde, que notre science ne saurait pas encore détecter. »

  • Appel à l’ignorance, argumentum ad ignorantiam
Méthode : prétendre que quelque chose est vrai seulement parce qu’il n’a pas été démontré que c’était faux, ou que c’est faux parce qu’il n’a pas été démontré que c’était vrai.

Le propos est résumable ainsi : la dilution homéopathique fonctionne mais la science ne peut pas encore détecter le principe de fonctionnement.

  • Renversement de la charge de la preuve

Méthode : demander à l’interlocuteur de prouver que ce qu’on avance est faux.

Par extension, l’appel à l’ignorance aboutit au renversement de la charge de la preuve. Il est insinué que ce n’est pas aux homéopathes de prouver l’efficacité des dilutions homéopathiques, mais à la science (voir plus loin) de le faire.

La journalise note d’ailleurs pertinemment dans le commentaire « qu’à défaut de preuve, ils misent… ». On se situe effectivement bien loin de la démarche scientifique.

  • Faux dilemme

Méthode : réduire abusivement le problème à deux choix pour conduire à une conclusion forcée.

Il y a également un faux dilemme subtil dans l’utilisation du terme « notre science ». D’une part ce terme se révèle très ambigu : « science » est ici un mot creux qui risque de laisser l’interprétation libre à chacun. De quelle science parle-t-on ? Le corpus de savoirs communément acceptés, la communauté scientifique, l’application technologique, ou la démarche intellectuelle ?

Ensuite le « notre science » induit subtilement un antagonisme, « notre » s’opposant à quelque chose qu’on va chercher à situer. En laissant libre cette opposition dans le propos, c’est le sens qui est laissé à la subjectivité de chacun. On risque alors d’accepter des connotations fallacieuses : que doit-on comprendre ici ? Une science occidentale versus une science orientale, une science moderne versus science ancienne, une science rigide versus science plus ouverte… Le débat est alors orienté.

  • Hypothèse ad hoc

« A défaut de preuve ils [les homéopathes] misent sur l’idée qu’il y aurait autre chose, une trace, une onde, que notre science ne saurait pas encore détecter. »

C’est une hypothèse formée Ad hoc, « dans un but précis » en latin. On admet au départ ce que l’on entend prouver par la démonstration que l’on va faire, c’est l’effet cerceau de la zététique.

Une hypothèse ad hoc est suggérée pour expliquer ce qu’on ne peut expliquer. Prétendre par exemple que si aucune preuve de vie martienne n’est obtenue, c’est parce que la NASA s’obstine à effacer les traces qu’elle trouve (thèse de R. Hoagland, par exemple). L’hypothèse ad hoc de théories complotistes : Il existe un complot et le manque de preuve montre bien que ce complot est efficace !

On dit ici qu’il n’y a pas de preuve que « plus un produit est dilué, plus il est efficace » alors c’est qu’il y aurait autre chose: une trace, une onde. Avant d’invoquer d’autres mécanismes explicatifs (des traces, des ondes), il faut s’assurer simplement que l’affirmation de départ est valide. Ce qui n’est pas le cas. Il est toujours plus raisonnable d’appliquer le rasoir d’Occam plutôt que de proposer des hypothèses ad hoc spéculatives pour sauvegarder une allégation douteuse.

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Extrait 3 

Entretien à propos de la mémoire de l’eau avec le professeur Luc Montagnier, co-découvreur du virus du sida et prix Nobel de médecine.

  • L’homme de paille, technique de l’épouvantail, ou strawman

Méthode : travestir la position de l’interlocuteur en une autre, plus facile à réfuter ou à ridiculiser.

« La grande erreur, la bêtise, serait de dire ce phénomène nous ne le comprenons pas, donc il n’existe pas, …c’est anti-scientifique… »

Le professeur tourne en ridicule d’éventuels opposants à ses propos, en évoquant une position fictive et grossière, qualifiée d’anti-scientifique. Il y a détournement flagrant du débat dans la mesure où aucun phénomène n’a pu être observé, il n’est donc pas possible de le comprendre : il est refusé non parce qu’il n’est pas compris, mais parce qu’il n’est pas observé.

  • Technique du chiffon rouge, red herring, hareng fumé

Méthode : déplacer le débat vers une position intenable par l’interlocuteur.

« Soyons modeste, pensons que nous avons encore beaucoup de choses à apprendre de la nature, que nous avons d’autres théories qui sont plus près de la réalité mais qui ne sont pas encore tout à fait la réalité… »

Double sophisme: autour d’un appel à l’ignorance (tout n’a pas été démontré) le professeur impose une position intenable car ridicule. C’est la technique du chiffon rouge : refuser son propos serait refuser d’être modeste et prétendre tout savoir de la nature

Effet paillasson : qu’est-ce qu’on entend pas nature ici ? (pour approfondir, on pourra lire les travaux de G.Reviron).

L’utilisation du mot « théorie » est trompeuse : la mémoire de l’eau n’est pas une théorie au sens scientifique, ce n’est encore qu’une prospective, qui n’est pas étayée. Le risque est de mettre en compétition des théories qui n’ont pas le même niveau d’étayage. Par exemple, mettre à égalité la théorie de l’évolution des espèces et celle du créationnisme. Pour creuser voir Les 7 erreurs principales sur l’évolution, selon Cyrille Barrette.

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Extrait 4 

  • Technique du chiffon rouge, red herring, hareng fumé

Méthode : déplacer le débat vers une position intenable par l’interlocuteur.

« Les études scientifiques sont très intéressantes pour valider, mais surtout pour des médicaments qui ont des risques considérables et qu’on va mettre sur le marché. »

Technique du chiffon rouge : le débat est détourné sur la nécessité de valider des médicaments aux risques considérables. C’est vrai, mais ne change rien à la question de la validation scientifique des produits homéopathiques. L’autre technique du chiffon rouge ici consiste à déplacer la question de l’effcacité vers celle de l‘utilité de ces poduits. C’est une diversion sur d’autres sujets, qui ne font partie du débat qu’en apparence mais sont utilisés comme des arguments de poids.

  • L’appel à la popularité, argumentum ad populum.

Méthode : Invoquer le grand nombre de personnes qui adhèrent à une idée.

« Nous ça fait 200 ans que nous sommes sur le marché, ça fait 200 ans que des patients dans plus de 80 pays dans le monde utilisent des médicaments homéopathiques. Vous pensez sincèrement que des patients et des professionnels de la santé vont utiliser des médicaments inefficaces ? »

« N’oubliez pas les milliers de personnes qui se soignent à l’homéopathie, […] ils voient bien que ça marche. »

L’appel à la popularité est redoutable car il est posé très simplement en quelques mots : « Des milliers de gens l’utilisent » et nécessite une démonstration évidemment un peu plus longue pour le réfuter. Mais que des milliers de gens se servent de l’homéopathie, ne prouve pas son efficacité : la véracité d’une proposition ne dépend pas du nombre de gens qui la soutient.

Là encore cela permet un écran de fumée qui dissimule le sujet initial, en subtilisant la question de la validité scientifique par celle de l’efficacité évaluée subjectivement, quand bien même par des milliers de gens. Rappelons qu’on peut tromper mille personnes une fois…

On pourra lire Richard Monvoisin, Pour une didactique de l’esprit critique, pp. 221-224 Principe de la preuve sociale, effet Panurge ou argumentum ad populum

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Extrait 5

  • Effet paillasson

L’effet paillasson consiste à désigner une chose ou un objet par un mot qui se rapporte à autre chose. 

« [L’effet placebo] la capacité d’un médecin à induire la fabrication de médicaments intérieurs par l’organisme »

« L’effet placebo c’est qu’un médecin (sic) arrive à déclencher par l’organisme cette fabrication de médicaments. »

On ne peut pas réduire l’effet placebo au médecin, c’est l’effet attribuable au traitement en général : le contexte de prescription mais également la substance. En mettant en avant la pratique du médecin dans une définition erronée, on peut alors conclure du bien fondé de cette pratique ensuite.

Le placebo est une substance neutre que l’on substitue à un médicament pour contrôler ou susciter les effets accompagnant la médication. L’effet placebo est l’effet positif attribuable à la conception qu’une prise en charge/médicament aura un effet. L’effet placebo est l’effet strictement psychologique ou psychophysiologique lié à la prescription d’un placebo. Les deux principaux  moteurs de l’effet antalgique d’un placebo, domaine où il a été le mieux étudié, sont les attentes positives du médecin et du patient sur la prise de la substance.

« Notre corps peut fabriquer des antibiotiques, des anti-fièvre des anti-cancers…on peut fabriquer du crack, du haschich, de l’alcool, de la nicotine, on peut tout faire en fait. »

Il y a ici une équivoque entre les produits, leurs effets et leur composition. L’utilisation des mots comme crack, haschich, alcool, fait plus référence aux effets sur l’organisme de ces produits que sur leur véritable production par l’organisme. Le crack, par exemple, est une transformation de la cocaïne par dissolution qui provoque une cristallisation du produit (en caillou). L’organisme ne peut évidement pas effectuer cette opération.

On pourrait alors plutôt comprendre que le médecin fait référence à la composition chimique des produits, qui serait reproductible par l’organisme. C’est une affirmation tendancieuse et  péremptoire, qui demanderait un développement beaucoup plus conséquent. En l’état on ne peut pas affirmer que notre corps peut produire, par exemple, de la « nicotine » en tant que telle, c’est un effet paillasson.

« [L’homéopathie] est une médecine très noble parce qu’ils [les homéopathes] obligent le corps à se guérir lui-même. »

On pourrait voir une forme d’animisme simpliste dans la manière de présenter le corps humain comme capable de «guérir» par lui-même. Bien sûr, certains systèmes végétatifs fonctionnent tous seuls. Mais ici, où l’on parle d’une prise «symbolique» de médicament, le présenter de la sorte dissipe le caractère psychoactif du processus.
On notera aussi que la notion de noblesse en médecine est pour le moins discutable : y a-t-il des thérapies moins nobles (plus…. viles ?) que d’autres ?

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Extrait 6

L’effet paillasson consiste à désigner une chose ou un objet par un mot qui se rapporte à autre chose.

« On fait tous 8, 10 cancers tous les jours… »

De la même façon le terme cancers est tendancieux. Le cancer est un ensemble de maladies, qui se traduit par une altération de cellules, engendrant le développement d’amas de cellules cancéreuses (formant des tumeurs) qui échappent aux processus ordinaire de destruction par l’organisme. C’est uniquement si les cellules altérées ne sont pas détruites qu’on commence à parler de cancer. On ne peut pas alors raisonnablement utiliser ce terme pour évoquer des cellules altérées qui vont être supprimées par les lymphocytes.

En jouant sur l’ambiguïté des mots utilisés, on peut connoter des choses radicalement différentes. On utilise ici la charge symbolique des termes, pour vraisemblablement, entretenir une sorte de mystère, de magie autour de l’homéopathie, de l’effet placebo, de la médecine…

Il y a très certainement d’autres choses à extraire de ces courts passages. Toute suggestion est la bienvenue !

N.G.

 
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Appel à la peur – Collection d’exemples

Vous trouverez ici une collection de documents, images ou vidéos, dans laquelle vous pouvez piocher à votre guise pour illustrer le sophisme de l’appel à la peur

Comment faire travailler un groupe avec ce matériel ? Proposition de Richard Monvoisin :

  • leur montrer quelques couvertures de la même catégorie « simple » (insectes, astrophysique), et les laisser formuler le point commun
  • dispatcher quelques couvertures faisant appel à la peur dans une dizaine d’autres, à eux de les retrouver
  • faire la même chose avec une catégorie « plus complexe » (science politique)
  • débattre de l’intérêt de cette scénarisation
  • et enfin leur demander d’essayer de présenter les mêmes situations/phénomènes sans faire appel à la peur


Créer / entretenir la peur de menaces extra-terrestres

Ogres stellaires, bolides de l’espace…
Les nouveaux monstres du cosmos 

Special FIN DU MONDE
Quand le ciel nous tombera sur la tête

> Astéroïdes : un jour c’est sûr…
> Galaxies : Andromède fonce sur nous
> Soleil : Il embrasera la Terre

Le soleil en panne !
Sommes-nous à l’aube d’une nouvelle
perturbation climatique ?

Notons que sur France Inter, le 22 Octobre 2007, La tête au carré et Science et Vie ont proposé une émission intitulée La fin du monde.

On peut lire dans le sous-titre de cette émission :

Quand le ciel nous tombera sur la tête : astéroîdes, galaxies et soleil… les scientifiques en sont désormais sûrs mais ce n’est pas pour demain ! Nous voici rassurés.

Créer / entretenir la peur d’invasions

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  • Grèce, Portugal, Espagne : l’offensive de Pékin
  • Entreprises : la stratégie des prédateurs

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L’économie européenne gangrénée

Créer / entretenir la peur dans les campagnes de prévention

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Créer / entretenir la peur des médicaments

Ce type d’appel à la peur peut avoir des conséquences graves : détournement des thérapies efficaces et reconnues comme telles.

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Créer / entretenir la peur d’un ennemi intérieur 

L’ultra-gauche – les anarcho-autonomes

Petit montage trouvé sur le net* à l’époque de l’affaire Tarnac, sur l’arrestation le 11 Novembre 2008, de personnes accusées d’avoir posé des fers à béton sur les caténaires de TGV.

Médiatisation des émeutes de 2005 dans les banlieues

Dans cet extrait de Banlieue sous le feu des médias, que l’on peut regarder gratuitement dans son intégralité sur le site de Clap 36, les journalistes français s’étonnent des appels à la peur des journalistes étrangers. Il est toujours plus facile de repérer ce genre de choses chez les autres que dans sa propre édition.

Créer / entretenir la peur de l’islamisme

En France et en Europe

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Affiche suisse créée à l’époque de la votation sur les minarets

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Reprise de l’affiche suisse par le Front National

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Image trouvée sur le Web

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  • Plus de porc dans les cantines
  • Absentéisme au cours de gym
  • Contestation du Darwinisme

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  • Le retour de la menace terroriste
  • La poussée des fondamentalistes
  • L’échec de l’intégration

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Révolutions Tunisienne et Egyptienne

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  • La peur de l’islamisme
  • Le Moyen-Orient destabilisé
  • Comment sauver la paix

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  • La contagion est-elle possible ?

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  • Ce que la France risque
  • La vérité sur les Frères musulmans

Dans ce montage réalisé par Arrêt Sur Image, l’animateur de l’émission Mots croisés de 07/02/2011 ne cesse de questionner ses invités sur le thème : « Faut-il avoir peur des frères musulmans ? »

Toutes les images suivantes concernant la « contagion » ont été recueillies dans l’article intitulé La presse contaminée par la contagion sur le site d’Arrêt sur Image. Elles illustrent particulièrement bien comment le simple choix d’un champ lexical (ici celui de la maladie ou de l’épidémie) peut susciter la peur.

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Actu-Match du 24/01/2011

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20minutes.fr du 24/01/2011

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Le Monde.fr du 19/01/2011

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Libération.fr du 24/01/2011

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Le Point.fr du 20/01/2011

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Le Figaro.fr du 21/01/2011

Créer / entretenir la peur des récidivistes 

Rappelons une fois encore, sur ce sujet sensible, que désigner un appel à la peur n’est en rien une manière de dire qu’on accorde trop d’importance à un sujet ; cela met simplement en évidence le fait qu’on nous pousse dans un état dans lequel il est plus difficile de réfléchir rationnellement et sereinement.

  • Vidéo : le 10 Février 2011, sur le plateau de TF1, lors de l’émission Paroles de Français, N. Sarkozy répond en particulier aux questions d’une pharmacienne sur le thème de l’insécurité. Il y évoque le meurtre de Laetitia. Vous ne pouvez plus visionner la vidéo sur le site de l’Elysée mais voici le passage retranscrit ci-dessous commence à la minute 18’27.

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« Pour moi, ce qui fait déborder le vase, c’est cette jeune Laëtitia, violée par un récidiviste, assassinée par un récidiviste, découpée en morceaux par ce même récidiviste, s’il s’avère que c’est bien lui, les charges pesant sur lui étant très lourdes. Vous voyez, moi je suis plus choqué par ça que par toute autre chose. […]Je veux d’abord aller à l’essentiel. Qu’est-ce qui s’est passé avec Laëtitia ? Ça intéresse les gens de savoir ça. C’est pas rien. Un monsieur, qui avait déjà violé, qui avait passé onze années en prison, est relâché, après sa peine, ce qui est normal, sans que personne ne le suive ! Et ne s’occupe de lui ! Personne ! Ce même monsieur, au même moment où sa compagne dépose au commissariat de police une plainte pour tentative de meurtre et viol, on ne le recherche pas. […] Soit l’enquête conclut que tout s’est bien passé (circulez, y a rien à voir).
C’est la fatalité ? Je peux pas l’accepter ! Je peux parfaitement comprendre la fatalité d’un homme qui n’a jamais violé et jamais tué et qui tout d’un coup commet l’irréparable. Ça, qui pouvait prévoir ? Mais il avait déjà violé, il avait déjà un passé judiciaire ! Donc je ne peux pas accepter qu’on me dise… [changement d’idée en cours d’énoncé] »

 

Voir l'extrait

Oui, Tony Meilhon est un récidiviste. Oui, il a été condamné pour un viol commis en 1997, à cinq ans de prison dont deux avec sursis. Il avait alors 16 ans. Tel que Nicolas Sarkozy le raconte, on peut croire que le violeur mis en examen dans l’affaire Laëtitia est donc un délinquant sexuel qui s’est déjà attaqué à des femmes par le passé.

Or, les faits pour lesquels il a été condamné n’ont rien à voir avec cette association d’idées induite par le propos de Nicolas Sarkozy. Dans un foyer pour mineurs, en compagnie de deux codétenus, ils ont introduit un manche à balai dans l’anus d’un quatrième détenu mineur afin de le punir d’être ce que l’argot des prisons nomme un « pointeur » (des détenus inculpés pour des affaires de mœurs, pédophilie notamment).
Cet acte de torture est une punition contre des délinquants sexuels pédophiles qui sont victimes de l’opprobre en prison depuis très longtemps, comme Jean Genet par exemple a su le décrire. Car même les taulards se considèrent comme régis par un certain code de l’honneur, dans lequel figure le droit de martyriser ceux qui se sont sexuellement attaqués à des enfants, jugés des êtres faibles et incapables de se défendre.

« Il avait passé onze années en prison. » Dans le contexte énonciatif, on peut penser qu’il s’agit de onze années pour des faits de viol. Or, il n’a purgé pour cette affaire que trois ans, et les autres années sont liées à divers délits, essentiellement des attaques à main armée et une agressivité vis-à-vis des autorités de police et de justice (« rébellion », « outrage »…).

Toujours dans le même contexte, le propos de Nicolas Sarkozy, par contiguïté des énoncés, laisse croire que, après ces onze années de prison pour délinquance sexuelle supposée, il a été mis en liberté sans suivi pour être soigné de ses pulsions.
Or, les faits ont été commis il y a plus de douze ans, la peine purgée pour cela il y a bientôt dix années. La justice a manifestement affaire à un être violent, pas à un délinquant sexuel récidiviste.

Quant à la plainte déposée par son ex-petite amie, elle date du 26 décembre 2010, et la disparition de Laëtitia date du 18 janvier. Si l’enquête concluait à l’absence totale de toute tentative de le retrouver, suite à cette plainte, il faut quand même noter qu’il ne s’est écoulé qu’une vingtaine de jours et qu’il est courant de voir des enquêtes et recherches s’enclencher en plus de temps.

Enfin, le motif de la plainte n’est pas celui énoncé par Nicolas Sarkozy, qui charge la barque pour renforcer sa démonstration : « Une plainte pour tentative de meurtre et viol. » Il s’agit en réalité d’une plainte pour « menace de mort » et « agressions sexuelles ». Très agressif avec sa compagne et encore après qu’elle soit devenue son ex-compagne, Tony Meilhon n’a pas accepté la rupture et lui a annoncé : « Je vais te tuer ! Je vais tuer ton fils ! Et j’irai tuer ta mère à Fougères [Ille-et-Vilaine] et je vais me tuer après » et « Il a répété ces menaces une dizaine de fois en quinze jours », ajoute-elle dans une interview au Parisien.

Elle n’a donc pas porté plainte pour tentative de meurtre, comme l’affirme Nicolas Sarkozy, mais pour des menaces. Ça ne le rend pas plus sympathique, mais cela relativise la gravité de la faute que Nicolas Sarkozy impute aux juges et aux policiers. Ce n’était pas un violeur récidiviste ni un assassin recherché suite à une plainte pour tentative de meurtre. En matière d’homicide, il n’était encore jamais passé à l’acte. Il est donc tout à fait dans le cadre « d’un homme qui n’a jamais tué et qui tout d’un coup commet l’irréparable », ce que Nicolas Sarkozy « peut parfaitement comprendre » selon ses propres dires…

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Sociologie, anthropologie – Atelier sur le racisme ordinaire et la discrimination

Voici du matériel simple pour animer un atelier sur le « racisme ordinaire » avec des étudiants, des élèves ou du grand public. Il est possible de passer les documents, puis de débattre, ou bien d’ajuster chaque document à un savoir-être bien précis.

Introduction au préjugé

Ci-dessous, quelques documents permettant d’introduire la question du préjugé raciste, même avec un public jeune.

  • Le Noir et le ballon (vous avez la référence de cette vidéo ? Nous la cherchons. Édit du 27 septembre 2017 : merci à Anaïs De Winter qui a trouvé la source : il s’agit d’une pub Thaï de 1980 pour du dentifrice à pâte noire aux herbes du groupe Twin Lotus Company)

Télécharger là

  • Le nageur Moussambani, aux Jeux Olympiques de Sydney (1996)

Ou ici en meilleure qualité :

https://sport.francetvinfo.fr/les-jeux-olympiques/video-natation-un-athlete-ethiopien-fait-le-buzz

Télécharger

Dans le cas présent, il s’agit de Stéphane Caron & Eric Besnard, riant de la mauvaise technique d’un nageur équato-guinéen, en gommant la génèse du problème.

Il est conseillé de regarder cette vidéo avant, et après avoir appris qu’Eric Moussambani n’avait appris à nager que depuis huit mois, n’avait jamais nagé 100 m d’affilée de sa vie, n’avait jamais vu de piscine de 50 m, car son entraînement ayant eu lieu dans une piscine d’hôtel de 20 m, seule piscine dans son pays. Sa fédération disposant de moyens inexistants, son maillot et ses lunettes lui ont été prêtés une heure avant l’épreuve par deux athlètes.

Note : il arrive parfois que cette seule vidéo amène le public à « essentialiser » le problème, en arguant du fait que « bien sûr, les Noirs ne flottent pas très bien, paraît que c’est à cause de leur mélanine », occultant du revers de la main avec un argument non-sourcé tout ce qui fait la génèse du fait que les Noirs Africains ont peu accès aux piscines. 

  • Nina Simone, la chanteuse noire

Dans son autobiographie Ne me quittez pas, Nina Simone raconte :

« A cause de Porgy, on me comparait souvent à Billy Holliday, ce que je détestais. Ce n’était qu’un morceau parmi tant d’autres à mon répertoire, et il suffisait de m’entendre l’interpréter pour comprendre qu’il n’y avait aucun rapport. Ce qui me rendait furieuse, c’est que visiblement les gens s’appuyaient sur la simple constatation que nous étions toutes les deux noires : si j’avais eu la peau blanche, personne n’aurait fait le rapprochement. (…) Me qualifier de chanteuse de jazz était une manière de dédaigner mon bagage classique, parce que je ne répondais pas à l’image de l’artiste noir que se faisaient les Blancs. Une forme de racisme : « puisqu’elle est noire, c’est forcément une chanteuse de jazz ». Un point de vue qui me rabaissait, tout comme Langston Hughes quand on le qualifiait de « grand poète noir ». Langston était un grand poète, un point c’est tout ; à lui, et à lui seul, revenait le droit de dire en quoi jouait la couleur de sa peau ». (Ne me quittez pas, Presses de la renaissance, 1992, p. 107).

Discrimination raciale dans les institutions

Le racisme ordinaire naissant sur du terreau « ordinaire », il est nécessaire de passer par des témoignages réels et actuels pour montrer la discrimination non seulement dans la vie, mais dans les institutions. Voici quelques exemples :

  • Injure raciale, France 3 Grenoble, 16 mars 2010

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  • Discrimination raciale de Jean-Marie, français d’origine béninoise à la Caisse Régionale d’Île-de-France, France Culture, Les pieds sur Terre 9 février 2011

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  • Discrimination d’un français d’origine maghrébine à la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris, France Culture, Les pieds sur Terre 9 février 2011

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Matériel plus poussé

Il est possible ensuite d’incrémenter un peu le sujet, avec le matériel suivant, dans un ordre de complexité croissant.

  • Racisme ordinaire et début d’analyse socio-économique – Daniel Balavoine chez P. Gildas, Canal + (1985)

Comment le chanteur Daniel Balavoine et le présentateur Philippe Gildas ramènent sur le plan socio-économique la question du racisme ordinaire et bousculent des effets cigogne (confusions corrélation/causalité). Date présumée du document : 6 novembre1985.

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  • Moustafa Kessous, journaliste du Monde, balaye quelques cas de racisme ordinaire dans la vie de tous les jours France Inter, Zapping, 26 septembre 2009)

  • Bi-standard pour le Rwanda – Clip de campagne I hate you, de Hands for hope

Attention ! Cette vidéo peut choquer un jeune public !

Ce clip introduit la différence de traitement médiatique selon la proximité du public avec le sujet qui souffre, en vertu de cette « loi » journalistique qui veut qu’un demi-mort local vaut mille morts lointains*. Il balaye aussi une représentation souvent primitiviste des « noirs qui s’entre-tuent »**, en transposant de manière plausible une scène dans un monde blanc (merci à Eric Bévillard, de l’Observatoire Zététique, de nous l’avoir transmis).

Note : ne sachant pas exactement ce qu’est l’objet social de l’association australienne Hands for hopes, j’utilise en public une version de la vidéo sans la mention de cet organisme.

  • Les propos de Nicolas Sarkozy, prélevés par Désentubages cathodiques (2007)

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Discours prélevés chez N. Sarkozy, avec les amalgames essentialistes suivants.

– Jeune des banlieues = pas de formation qualifiante = oisiveté = trafic

– Jeune des banlieues = non-blanc

– Musulman = faciès particulier (« ça n’a rien à voir avec la religion, quand on est musulman ça se lit sur sa figure »)

Passage incontournable : « Zinedine c’est formidable ! Mais les musulmans de France, ils sont capables aussi d’avoir des hauts fonctionnaires, des chercheurs, des médecins, des professeurs et si on ne donne pas à tous ces jeunes de banlieues des exemples positifs de réussir, comment ils vont croire en la République ? »

Racines de la discrimination

Le moment est tout indiqué pour réfléchir aux racines de la discrimination, sa genèse et la manière dont elle s’installe dans un groupe.

La leçon de discrimination, est un documentaire de 43 minutes tiré de l’émission Enjeux (Société Radio-Canada production) de Pasquale Turbide et Lucie Payeur (2006).

C’est une remarquable expérience lors de laquelle Annie Leblanc, enseignante dans une école primaire de Saint-Valérien-de-Milton, en Montérégie fait vivre à ses élèves du primaire la réalité des personnes qui subissent la discrimination en divisant sa classe en deux groupes sur un critère arbitraire – la taille -, un groupe étant valorisé et l’autre dévalorisé par l’enseignante. Ainsi la discrimination est subie par les grands la première journée, puis par les petits le jour suivant…

Le documentaire La leçon de discrimination est vendu en DVD aux professionnels de l’éducation. Pour plus deAnnie Leblanc indiquant la limite de taille renseignements, communiquez avec les Services éducatifs de Radio-Canada.

Notons que ce type d’expérience, aussi bouleversante soit-elle, n’est pas une première : il y eut entre autres celle de Jane Elliott (1968), discriminant à l’époque sa classe sur la base de la couleur des yeux.

Pour voir A class divided, (Frontline, PBS1), c’est ici (en version originale). Madame Elliott remit d’ailleurs une « dose » en 2010 avec une expérience intitulée How racist are you ? (Combien êtes-vous raciste?) que l’on peut regarder (version originale également).

Il est loisible ensuite de donner une sorte de recul historique, et de cadre théorique pour « penser » les origines de ce racisme ordinaire.

  • Nénuphar, chanson officielle de l’Exposition coloniale de 1931 à Paris (extrait INA prélevé dans 2000 ans d’Histoire, de Patrice Gélinet sur France Inter, 19 août 2010).

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  • Fabrication de l’éthnicité chez les mineurs d’Afrique du Sud – Extrait d’interview du géographe Philippe Gervais-altLambony dans l’Afrique enchantée, France Inter, 17 juillet 2011 (émission « le chant des mineurs »).
 
On comprend ainsi qu’un critère prétendument scientifique prend sa source directement dans une oppresion socio-économique mâtinée de préjugés moraux.
Pour en savoir plus : Philippe Gervais-Lambony, L’Afrique du Sud, Le Cavalier Bleu, collection Idées Reçues (2009).
  • Fabrication de l’ethnicité chez les Rwandais. Le cas fut pratiquement similaire ans le Rwanda belge, dont l’ethnicité Hutu/Tutsi est une construction coloniale réinterprétant en terme raciste/ethniciste ce qui relève d’anciens clivages socio-économiques. Les cartes d’identité « ethniques », instituées par le colonisateur belge en 1931, décrètent des critères biométriques qui n’ont pas de pertinence scientifique.
On pourra alors utiliser l’excellent documentaire Rwanda, l’histoire qui mène au génocide, de R. Genoud (1995), en particulier les passage de Claudine Vidal. 
  
Pour en savoir plus :
CorteX_Gouteux_nuit_rwandaisecouvJean-Paul Gouteux, La nuit rwandaise, Esprit frappeur (2002) CorteX_Franche_Rwanda
Dominique Franche, Généalogie du génocide rwandais, Tribord (2004)

  

 
 
  • Race, chaînon manquant : la science au service de la politique – extrait du documentaire Zoos Humains, de Pascal Blanchard et Éric Deroo (2002).
 

Analyse de la construction de la différenciation des races. Dévoiement des concepts darwiniens, et entreprise de hiérarchisation. Le biologiste André Langaney explique comment placer le « nègre » comme chaînon manquant au XIXe, permet « d’expliquer » à rebours du même coup le rabaissement de l’esclavage et la théorie de l’évolution.

Et le narrateur explique comment en essentialisant ainsi une infériorité, on justifie ainsi une politique coloniale sans merci.

Des éléments de cette compilation ont été déroulé par Richard Monvoisin :

Vous voulez aller plus loin ? Nous vous enjoignons à lire ce monument de la littérature scientifique qu’est « La malmesure de l’Homme », de Stephen Jay Gould (1983) qui compile toutes les (pseudo-)théories ayant tenté d’accréditer scientifiquement le racisme, le sexisme et le criminalisme.

Vous voulez aller…. encore plus loin ? Vous pouvez lire une analyse critique de La malmesure de l’Homme  écrite par Serge Larivée, de l’université de Montréal, dans Vices et vertus de S. J. Gould, Revue québécoise de psychologie, vol. 23, n°3, 2002, pp 7 – 23).

* Lire à ce propos Aubenas & Benasayag, La fabrication de l’information, les journalistes et l’idéologie de la communication, la Découverte (2007).

** Représentation battue en brêche entre autres dans B.Diop, O.Tobner-Biyidi, F-X. Verschave, Négrophobie, éditions Les Arènes (2005).

Richard Monvoisin

Le racisme au quotidien 3/3 : Racisme au quotidien