alt

Intelligent Design dans Prédictions (Knowing) d’Alex Proyas (2009)

Attention, cette critique est un peu pointue. Elle nécessite de savoir ce qu’est l’Intelligent Design et ses impasses.

Le premier extrait est un cours introductif de John Koestler, professeur au M.I.T., joué par Nicolas Cage. L’acteur présente aux étudiants le « thème du libre arbitre contre le déterminisme dans l’univers » (sic, voir extrait suivant). Mais ce thème va dériver ensuite vers une opposition Dessein intelligent contre hasard, comme le montre le passage suivant. Télécharger ici.

 Le passage est retranscrit car il demande de l’attention :

« (…) essayez de penser comme il faut à la succession exemplaire de circonstances qui ont placé cette gigantesque boule de feu céleste [le Soleil] exactement à la distance adéquate de notre merveilleuse petite planète pour que la vie s’y développe (…)  C’est quand même une idée rassurante qu’il y ait un fondement pour tout, que tout ait un certain ordre, et soit déterminé. Mais ce point de vue a forcément son côté opposé : la théorie du hasard, selon laquelle tout n’est que pure coïncidence. Le fait que vous et moi existions n’est rien d’autre que le résultat d’un enchainement aussi complexe qu’inévitable d’accidents chimiques et de mutations bio-organiques. Il n’y aucune grande idée maîtresse, ni raison d’être fondamentale ».

Reprenons. Etait annoncé libre arbitre (thèse 1) contre déterminisme dans l’univers (thèse 2). Mais c’est dans l’ordre inverse que va être traitée cette présentation.

Dans le cours du professeur, la seconde thèse (déterminisme dans l’univers)  est illustrée (en premier, attention à ne pas s’emmêler les pinceaux) par l’argument du réglage soi-disant adéquat de la distance Terre – Soleil en vue de l’apparition de la vie.

Or cet argument est un classique de cette catégorie d’arguments dits « de l’horloger », très défendus dans les courants créationnistes et Intelligent Design (comme par exemple le créationniste musulman Harun Yayah, ici). Ce sont des raisonnements qu’on qualifie de panglossiens (cf. Outillage), car ils raisonnent à rebours : au lieu de s’extasier sur le caractère miraculeux d’un tel « réglage », il suffit de retourner le problème : la vie n’a pu apparaître que sur une planète dont la distance à l’étoile était propice à cela (et donc nous sommes nés sur cette planète).

Utiliser un argument Intelligent design pour démontrer « Que tout ait un certain ordre, et soit déterminé » est plutôt tendancieux. Que tout ait un certain ordre, que les chiens ne fassent pas des chats par exemple, n’implique pas qu’il y ait un « projet » divin derrière. Que tout soit déterministe (c’est-à-dire le fait que chaque événement est déterminé par un principe de causalité) est juste. Dire que tout est déterminé n’est par contre pas rigoureux : il y a des exemples comme la météorologie qui sont déterministes (si on connaissait tous les points, tous les paramètres, toutes les vitesses, etc, on saurait ce qui va se passer)  mais qui ne sont pas déterminés, car leur sensibilité aux conditions initiales les rendent peu prédictibles. Penser que tout est déterminé, selon un plan pré-établi, est un saut métaphysique dans l’argument du professeur.

Résumons ce premier tour de passe-passe : son argument est déterministe, mais finaliste (avec une finalité prééxistente, comme dans les discours de création divine). Que tout ait un ordre ne veut pas dire que tout soit « déterminé », qui plus est à l’avance. Donc :

Déterminisme -> argument déterministe finaliste de type « intelligent design »
 
alt

La première thèse devait être le libre arbitre. Koestler la présente en second et la résume ici en ce qu’il appelle la « théorie du hasard ».  Le problème est que la « théorie du hasard » n’existe pas en physique. Je présume qu’il veut parler de la contingence, le fait de ne pas être nécessaire (donc ne relevant pas d’un finalisme) tout en pouvant être déterminé quand même – en clair, le fait que le monde soit comme il est par hasard. Mais ce n’est pas parce que le monde est contingent qu’il n’y a aucune raison d’être, ni au sens physique (il y a une chaine d’événements déterministes qui a produit cette Terre), ni au sens métaphysique (on peut choisir sa raison d’être, justement).

Le second glissement se résume ainsi :

Libre arbitre -> théorie du hasard -> pas de raison d’être fondamentale.
 

Le scénariste nous coince ainsi dans un faux dilemme*, entre le déterminisme « Intelligent design » et un libre arbitre hasardeux et désenchanté sans raison d’être. Et la question du libre arbitre humain s’est étrangement dissoute en cours de route.

On s’en doute, toute la trame du film consistera à faire évoluer la pensée de John Koestler d’une interprétation contingente du monde à une interprétation mystique, ce qui n’est pas à proprement parler une avancée citoyenne majeure, et bien au contraire suit le courant orthodoxe du moment.

On relèvera également :

  • L’argument d’autorité lié au prestigieux institut.
  • Les équations différentielles qui couvrent le tableau noir dans le dos de l’acteur, et qui tranchent avec la rusticité du petit planétarium qu’il manipule.
  • Son nom, directement inspiré du nom d’Arthur Koestler (1905-1983)**.
Richard Monvoisin
*Ce dilemme, à titre d’anecdote, est l’exacte transposition de celui défendu par le Pape Benoit XVI, par le président de la République française et par nombre de personnalités à fort fondement religieux qui partent du principe que le désespoir social en particulier nait du manque de foi.
 
**Écrivain, essayiste et grand fan de parapsychologie – il a fait un legs pour la création d’une chaire de parapsychologie à Édimbourg, devenue le KPU, The Koestlet Parapsychology Unit.
 
 
en physique

Biologie – Olivier Brosseau, les créationnismes

Le 12 novembre 2009, l’émission « La Tête au carré » sur France Inter accueillait Olivier Brosseau pour parler du livre Les créationnismes, une menace pour la société française ? co-signé avec Cyrille Baudouin. L’émission, expurgée de ses intros et chansons, est complétée par un reportage de Lucie Sarfaty au salon évangélique de Lognes, avec entre autres une interview d’André Eggen (chercheur en génétique animale à l’INRA et fondateur de l’association créationniste « Au commencement »).

 Le tout est écoutable ici.

Télécharger.
On trouvera nombre d’autres documents audio, de ressources et de liens, sur le site consacré à leur livre.

RM
Pierre Danis
CorteX-Cyrille_Barrette_miroir_du_monde

Biologie – Liste des livres majeurs, selon Cyrille Barrette

Lors d’une série d’interviews avec Cyrille Barrette, professeur retraité de biologie de l’université de Laval, Québec, la question lui fut posée : quels sont les ouvrages qui ont le plus orienté sa pensée de biologiste ?
Voici sa réponse.

Pour mémoire, Cyrille a lui-même déjà deux ouvrages remarquables de clarté et grand public :
– « Le miroir du Monde : Évolution par sélection naturelle et mystère de la nature humaine » (Québec, Éditions Multimondes, 2000)
CorteX-Cyrille_Barrette_miroir_du_monde

– « Mystère sans magie. Science, doute et vérité » (Québec, Éditions Multimondes, 2006)
mystere_sans_magie

RM, 1er novembre 2010

Biologie – Réflexions partagées sur le naturalisme, l’athéisme et l’agnosticisme, par Cyrille Barrette

Cette partie est primordiale pour les enseignants qui se sentent mis en défaut par les élèves ou étudiants tendant vers le créationnisme, et qui souhaiteraient adopter une posture matérialiste, ou naturaliste dans leur discipline, et surtout exempte de « surnature ». Le point de vue de Cyrille sera bien sûr discuté, mais il offre une bonne base de réflexion et de mûrissement de cette question primordiale. 

Réflexions partagées sur le naturalisme, l’athéisme et l’agnosticisme.

RM, 1er novembre 2010

Biologie – Introduction à la sociobiologie, par Cyrille Barrette

Voici une série de vidéos de Cyrille Barrette qui éclaireront les pédagogues souhaitant comprendre ce qu’il y a derrière le terme sociobiologie.

  •  Introduction à la sociobiologie et ses critiques de base

  • Livre « princeps » : Sociobiology, de Edward O. Wilson (1975)

  • Introduction au « gène égoïste » de Richard Dawkins et à ses limites : métaphore du bâton de relais – oeuf & poule

Richard Monvoisin, 1er novembre 2010, Québec.

alt

Biologie – 7 erreurs principales sur l’évolution selon Cyrille Barrette

Les 7 erreurs principales sur l’évolution, selon Cyrille Barrette

  • Erreur N°1 : invoquer le bien de l’espèce pour expliquer le caractère d’un individu & métaphore de l’étudiant

  • Erreur N°2 : le finalisme et la téléologie

  • Erreur N°3 : il y aurait des animaux « plus » évolués, « moins » évolués ou « parfaitement adaptés » – piège de l’humain comme critère central d’évaluation

  • Erreur N°4 : limite de la métaphore de la sélection & idée du tamis

  • Erreur N°5 : lecture linéaire de l’évolution – chaînon manquant & hominisation

Cyrille cite les représentations communes suivantes, sur lesquelles on peut abondamment débattre en cours.

  • Erreur N°6 : le « darwinisme social » est issu de Darwin

  • Erreur N°7 : le Dessein Intelligent, ou intelligent design – intrusion spiritualiste, « dieu des trous » et créationnisme

Pour expliquer le caractère buissonnant, et non ramifié comme un arbre, de l’évolution, voir ici : Biologie – Systématique et métaphore de la boule buissonnante.

Sont cités les ouvrages de Patrick Tort, notamment « L’ordre et les monstres – le débat sur l’origine des déviations anatomiques au XVIIIe siècle« , Syllepse (1998).

Pour expliquer la fausseté de l’ID pour l’oeil par exemple, on pourra se référer au très bon travail vidéoclip sur le raisonnement panglossien réalisé par Nicolas Berthier, Axelle Davidas, Cyrille Martin et Marion Sevajol, le groupe de moniteurs de l’atelier Zétéclips du CIES de Grenoble que j’encadrai en mai 2010. A voir ici !  

RM

alt

Biologie, évolution – Matériel pédagogique du professeur Cyrille Barrette

Durant la fin octobre 2010, j’ai eu l’immense plaisir d’habiter chez Cyrille Barrette, professeur retraité de biologie de l’université de Laval, Québec. Cyrille avait déjà contribué à développer l’esprit critique maintes fois, entre autres sous la forme d’ouvrages remarquables de clarté et grand public. 

  • « Le miroir du Monde : Évolution par sélection naturelle et mystère de la nature humaine » (Québec, Éditions Multimondes, 2000)

CorteX-Cyrille_Barrette_miroir_du_monde

  • « Mystère sans magie. Science, doute et vérité » (Québec, ÉditionsMultimondes, 2006)

mystere_sans_magie

Il m’avait également déjà fait le plaisir d’une conférence intitulée « La théorie de l’évolution en péril : Le cas étrange du panda« , présentation résolument anti-créationnisme à la faculté de pharmacie de Grenoble le 5 mai 2005 (en partenariat avec l’Observatoire Zététique). Voici cette conférence, refaite en 2015 sur le campus de Carleton-sur-Mer du Cégep de la Gaspésie-et-des-îles de la Madeleine.

Il avait également improvisé un cours devenu légendaire dans le cadre de l’enseignement Zététique & autodéfense intellectuelle, lors duquel il avait décortiqué avec les étudiants en science le docu-fiction de Jean Malaterre et Yves Coppens, l’Odyssée de l’espèce.

Durant mon séjour, il a accepté de me donner des bribes de cours d’esprit critique en direct devant une petite caméra de voyage.

Voici en images des éléments d’esprit critique « en boîte » sur la biologie et l’évolution, exploitables aussi bien pour les enseignants du secondaire que pour les universitaires, et accessibles pour toute personne intéressée même sans formation.

La qualité du son n’est pas excellente, mais ce n’est pas très grave : il faudra monter le volume de votre lecteur.

Thèmes des documents vidéos.

Merci à Cyrille de s’être prêté à cet exercice pédagogique !

RM, 1er novembre 2010

Généralités critiques – pastilles sceptiques de Pierre Cloutier

Voici en guise d’outillage quelques pastilles sceptiques réalisées par Pierre Cloutier, porte-parole de l’association Sceptiques du Québec, pour la radio Passion FM.

Ces quelques documents, assez brefs, furent diffusées du 18 avril au 20 juin 2008. Ils sont largement exploitables pour un débat ou un enseignement, car ils sont rigoureux. Leur seul défaut : un ton légèrement ironique de Pierre, un peu « rude », de ce genre de ton qui rend plus difficile les discussions à teneur critique : un ton entraînant immanquablement une « résolution de dissonance cognitive » à l’encontre du sceptique.

1. Scepticisme – introduction
2. Les effets de la Lune
3. Le Secret (pensée magique)
4. Le complot du 11 septembre (conspiration)
5. Le calendrier Maya (2012) (fin du monde)
6. Les OVNIs (extraterrestres)
7. Le créationnisme
8. L’astrologie
9. La télépathie Attention : dans cette pastille, Pierre Cloutier balaye un peu trop rapidement toute la parapsychologie d’un revers de main.
10. Les médecines douces
Merci aux Sceptiques du Québec.

RM

Terre plate

Science et religion – Cas Hawking, Bogdanoff, etc.

Ceci est une sorte d’introduction pour bâtir un cours sur les intrusions spiritualistes en science, sujet assez épineux. Ceci est une manière que j’utilise dans les stages d’initiation à l’enseignement supérieur, avec des doctorants – d’un bon niveau, donc.

En science ou en zététique, on s’intéresse à la connaissance scientifique, pas à l’acte de foi, qui relève de l’intimité de chacun. Qu’un chercheur croit en un dieu ou pas, peu importe ! Tant que ce dieu n’entre pas dans des scénarios explicatifs, chacun balaye son chat à midi devant sa porte, chacun est libre de trouver l’inspiration même pour ses travaux dans les options métaphysiques, spirituelles ou artistiques qu’il choisit.

Demander à un chercheur s’il croit en un dieu est donc une question qui n’a pas de sens. Si on me la pose lors d’une soirée ou entre amis, je dois répondre en mon nom propre, subjectivement car donner une expertise sur dieu en tant que chercheur reviendrait à demander le sens de la vie à une géographe, le pourquoi du comment à un garagiste. Parler de dieu en tant que scientifique, est comme émettre un jugement sur la technique de Van Gogh en tant que fromager, ou donner son expertise sur le camembert quand on est peintre : on est dans l’escroquerie intellectuelle, en quelque sorte. C’est le genre d’escroquerie que les médias orchestrent avec entrain car on est assuré en glissant dieu de-ci de-là de faire une certaine audience. Par contre, au passage, on prend le risque de décérébrer tout le monde ; car si la frontière entre les « scénarios de foi » (créationnisme, fine-tuning, intelligent design, etc.) et les théories est cassée, il va être impossible d’endiguer les croyances diverses qui ne manqueront pas, sur la base argumentative de la « démocratisation des idées » (cf. sophisme) de se déverser dans le frêle esquif de la connaissance. Dernier exemple en date : la première conférence catholique annuelle sur le…. géocentrisme, annoncée pour le 6 novembre 2010 sous le titre « Galilée avait tort. L’Église avait raison ». À quand un colloque sur la Terre plate ?

CorteX_Intelligent_geography

C’est pour cela que j’en veux à L’Express, à Ciel & Espace, à Le Point, à Sciences & Avenir, qui pour s’assurer de confortables ventes, n’hésitent pas à faire dans le racolage et sabotent les quelques rares concepts d’épistémologie que le public a difficilement construit comme rempart à l’imposture. Il y a une crétinisation des masses, avec des couvertures comme les suivantes – dont chacune peut servir de support d’enseignement, tant par le montage de l’image, que le titre en faux dilemme ou les scénarios concordistes ou en pseudo-combat.

 Le cas Bogdanov

Autre porte d’entrée vers un ramollissement intellectuel : celui de présenter les frères Bogdanoff comme des experts scientifiques, à l’image de la mise en scène du journal télévisé de France 2 du 11 juin 2010).

Eux qui ont menti sur leurs titres pendant des années, qui ont « scénarisé » leur intelligence, leur QI, leur origine russe, eux qui ont poussé hors de la scène médiatique tous les autres intervenants de physique deviennent désormais les instituteurs de la France, à grand coups de Téra-électrons-volt et surtout de réconciliation de dieu et du big bang. Mais le danger est surtout là : en utilisant des arguments de fine-tuning que ne renieraient pas les groupes comme la Fondation Templeton ou l’Université Interdisciplinaire de Paris, l’association de Jean Staune1, ils réintroduisent la religion dans la connaissance, là où la pensée s’escrime à la virer depuis environ quatre siècles. Pas étonnant que l’ancien ministre de l’éducation, le chrétien et sotériologique Luc Ferry acclame le dernier livre des deux frères. (Dieu, la science et le big bang).

Le cas Hawking

On frise même le mauvais goût au plus haut niveau avec le dernier cas en date, le cas Hawking. Grand savant que ce Stephen Hawking, c’est évident, même s’il semble au moins aussi connu pour ses théories que pour son handicap. Que ce soit de son fait ou non, vous remarquerez qu’il est toujours présenté comme titulaire de la chaire de Newton, comme si c’était le fait d’être assis sur le trône qui vous conférait du génie. Il est représenté comme l’esprit désincarné, la pure intelligence, c’est à lui qu’on pense pour écrire l’équation universelle, la théorie du tout, et il s’en faut de peu qu’on ne lui demande pas à lui qui sait tout, de retrouver nos clés perdues.

Là où un personnage m’agace le plus, c’est quand (de son fait ou non) on construit sa légende en direct : ainsi, dans le cas de Stephen Hawking, alors que son choix de bosser sur la physique fondamentale est venu très tôt, on raconte désormais dans les chaumières que sa vocation lui est venue de son handicap, comme un défi de l’esprit transcendant le corps, etc.

Voir sur ce point le TP Fabrication du héros & syndrome Professeur Simon.

Il présente dès lors lui-même sa quête d’une équation ultime, ou d’une théorie du tout, comme un défi à Dieu – Hawking défendant des idées déistes jusqu’alors. Et si le Pape lui demandait en 2006 de ne plus travailler sur l’origine de l’univers, Dieu lui semblait l’encourager en feignant d’écrire ses initiales dans le ciel (cf. les images du satellite Cobe, dans l’article de Fabrice Neyret, POZ N°56 février 2010).

Seulement, cette fois, Hawking n’est vraiment pas gentil avec Dieu. Pourquoi ? Parce que dans son dernier livre The grand design , il a écrit une phrase qui fâche : « Dieu n’a pas créé l’univers. », titrent Le Times, puis Le Monde du 3 septembre) . L’Express renchérit : « pour Stephen Hawking, Dieu n’a finalement pas créé l’univers ». Sacrée nouvelle.

D’un, l’avis d’un scientifique sur Dieu est anecdotique.

De deux, il y a mélange scénario – théorie. Le sous-titre du livre « Nouvelles réponses sur les questions ultimes de la vie » ne fait qu’alimenter le brouet.

De trois, il s’agit d’une phrase unique, pratiquement à l’avant-dernière (page p 180) du livre.

De quatre, il s’agit d’une phrase mal traduite. La phrase réelle est :

« Il n’est pas nécessaire d’invoquer Dieu (…). L’Univers peut et s’est créé lui-même à partir de rien. La création spontanée est la raison pour laquelle il y a quelque chose plutôt que rien, la raison pour laquelle l’Univers existe et nous existons. »

En gros, pas grand chose de plus que Laplace répondant à Bonaparte il y a deux siècles2.

De cinq, et c’est peut être le plus atroce, il semble que l’état de santé de Hawking ne lui permette plus réellement d’écrire, depuis quelque temps. On espère que le livre n’a pas été confectionné, à l’instar de l’affaire Rom Houben, par les méthodes désolantes de la Communication Facilitée (cf. POZ N°58).

Qu’en tirer ? Tout d’abord je rejoins l’analyse de Sylvestre Huet dans Libération (Hawking versus Dieu, 16 septembre 2010) : on est en plein dérapage intellectuel, et pour reprendre les termes d’Étienne Klein, on frise « le degré 0 de l’épistémologie ».

 Je fais une hypothèse : sachant que Dieu est une sauce qui s’accommode avec tout, et que Hawking, quoi qu’il écrive, est une poule aux œufs d’or, est-il plausible ou probable que la maison d’édition ait instrumentalisé le personnage et créé artificiellement du scoop ? Fabriquer de la fausse connaissance à des fins marketing, ça devrait porter un nom, et j’hésite entre publicisation mensongère et délit intellectuel.

Nous sommes dans la construction hagiographique des figures de la science. Ortoli & Witomski3 les appellent des « baignoires d’Archimède » ces mythes et légendes qui émaillent nos livres d’histoire, depuis le Eurêka jusqu’au nombre d’or. Éloge de l’intuition subite, du génie qui saisit d’un coup comme tombe la pomme, cette réécriture de la science trompe le lecteur en gommant la construction lente et pénible des connaissances. Que Newton aime, une fois vieux, narrer l’histoire de la pomme semble n’être qu’une coquetterie, mais elle nous fait croire que primo, pour faire avancer les connaissances il faut être génial, et secundo que ça vient d’un coup, comme le serpent de Kékulé qui lui insuffla la forme cyclique du benzène.

On déhistoricise la science, on la dépolitise, on l’appauvrit, de la même façon que les deux ex machina déhistoricisent l’histoire des peuples (à ce propos voir ici).

Et quand par dessus cela, se greffent des tentatives d’incrustations spiritualistes ou religieuses en science, nous frisons effectivement le degré zéro de l’épistémologie.

Le CorteX dans Visions croisées – Peut-on cauchemarder du droit au rêve ?

Peut-on cauchemarder du droit au rêve ? Comment, par une petite expérience simple, faire dérailler des amis raisonnables sur la question du droit au rêve

Court article critique publié par R. Monvoisin dans Visions Croisées (N°8, été 2010), magazine de l’Université de Grenoble.

Téléchargeable ici (pp. 8 et 9).

Cet article aborde simplement l’argument du « droit au rêve »,  et de manière souple l’impasse du relativisme cognitif et introduit la question de l’argument du Harm principle, le principe de non-nuisance.

Pour aller plus loin :

  • Sur le droit au rêve et la maxime de H. Broch : « Le droit au rêve a pour pendant le devoir de vigilance », on lira H. Broch, Le paranormal. Ses documents, ses hommes, ses méthodes, éd. Seuil, 1989.
  • Sur le relativisme cognitif & le postmodernisme , le chapitre 3 de A. Sokal & J. Bricmont, Impostures intellectuelles, Odile Jacob, 1997 est exemplaire. Cet article de J. Bricmont dans La Recherche « le relativisme alimente le courant irrationnel » est également éclairant.
  • Sur le harm principle et son énonciation originale, on pourra farfouiller dans John Stuart Mill, De la liberté (1859), Gallimard, coll. Folio Essais, 1990.

RM