9 étudiant·es menacé·es – Le CORTECS dénonce les dérives autoritaires de l'UQAM

Après les grands mouvements étudiants de 2013, et suite au lancement d’une nouvelle grève étudiante d’envergure de plusieurs dizaines de milliers d’étudiant·e·s québécois·e·s, le conseil exécutif de l’UQAM (l’Université du Québec à Montréal) a convoqué devant leur comité disciplinaire neuf étudiant·e·s militant activement dans l’université en vue de les expulser. Les actions qui leur sont reprochées, fumeuses et parfois datées, s’inscrivent pourtant dans ce qu’on est en droit d’attendre d’un·e étudiant·e critique et conscient·e des enjeux socio-économiques. Aussi le CORTECS apporte-t-il son soutien à ces personnes, et mobilise son réseau en ce sens.  Au jour d’élaboration de cet article (10 avril 2015), des étudiants et des enseignants de l’UQAM exigeaient la démission du recteur Robert Proulx, suite à l’intervention du Service de police de la Ville de Montréal pour évacuer les occupants sauvages d’un bâtiment de l’université*. Pour se faire une idée des enjeux, nous reproduisons ici un texte co-élaboré par une cinquantaine de collègues de l’UQAM, ainsi que la lettre que nous avons signée.

 

CorteX_UQAMDès les débuts de l’Université en Europe, les étudiants se sont mobilisés pour des questions pédagogiques ou sociales, comme le prix des loyers. Le militantisme étudiant n’est donc pas nouveau. Grèves, occupations et perturbations d’évènements ont ponctué la vie universitaire, y compris à l’UQAM. Très souvent, ces mobilisations ont été à l’avant-garde de causes progressistes pour la justice sociale : féminisme, pacifisme, écologisme, entre autres.

 Historiquement, les directions d’établissements d’enseignement étaient relativement tolérantes face aux actions militantes, dont les occupations, certaines se prolongeant jusqu’à six semaines, comme à l’École des Beaux-Arts en 1968. Dans les années 2000, ces directions ont changé d’approche, appelant rapidement la police qui est intervenue brutalement, y compris à l’UQAM (sans oublier l’UQO – NdCORTECS : Université du Québec en Outaouais – et l’Université de Montréal en 2012, entre autres). Cette mutation volontaire s’inscrit dans une tendance générale de la part des autorités à être de plus en plus répressives face aux mouvements sociaux et à saisir l’occasion de quelques cas isolés pour justifier une généralisation des mesures répressives. S’inscrivant dans cette tendance, la direction de l’UQAM privilégie de plus en plus la répression sous forme d’intimidation et de violence institutionnelles. Cela entraine d’importantes dépenses (caméras et agents de « sécurité » supplémentaires) et contribue à la dégradation du climat social sur un campus bien connu pour sa vie associative et militante. Pourtant, il n’y a pas de consensus dans les publications savantes au sujet des effets de la répression sur les mouvements sociaux. Certaines études démontrent qu’elle provoque un affaiblissement de la mobilisation, d’autres qu’elle provoque un élargissement de la mobilisation et une radicalisation militante.

 Or il y a quelques semaines, une poignée de professeurs de l’UQAM et des membres de la haute direction ont dénoncé dans les médias la violence et l’intimidation étudiantes (échos tardifs du Jean Charest de 2012). Cette opération de communication lancée dans la phase de préparation de la grève étudiante maintenant en cours a offert l’occasion à un député de la CAQ – NdCORTECS :  la Coalition Avenir Québec – de prétendre que règne à l’UQAM une « culture radicale d’anarchie » (sic.) et de demander à la ministre de la Sécurité publique comment elle comptait y rétablir « la sécurité ». Les collègues écorchaient au passage la démocratie étudiante, s’inscrivant ainsi dans une curieuse tendance médiatique qui consiste à critiquer le fonctionnement des assemblées lorsqu’elles votent la grève, mais ne rien dire lorsqu’elles rejettent la grève.

 Rebondissement vendredi 20 mars 2015. Neuf étudiantes et étudiants ont reçu un courrier recommandé les convoquant devant le Comité exécutif pour répondre de mesures disciplinaires. Le Service de sécurité recommande lui-même dans certains cas la suspension pour un an, dans d’autres l’expulsion définitive. Les faits reprochés ? Turbulence lors de levées de cours et perturbation d’événements publics. Le débat reste ouvert quant à l’attention qu’il convient d’accorder à de tels faits isolés, à ce qui est réellement survenu et à l’importance que s’exprime à l’UQAM le débat politique, y compris parfois par des actions militantes.

Ce n’est pas la première fois que la direction cherche à bannir des activistes du campus et cela n’a jamais eu d’autres effets que de punir quelques personnes ciblées, alors que les actions sont collectives. Problématiques en soi, ces mesures apparaissent cette fois-ci particulièrement douteuses :

Absence de proportionnalité : pourquoi imposer l’expulsion définitive sans avoir commencé par donner de simples avertissements ? Le recours aux mesures extrêmes est cruel pour des étudiantes et des étudiants puisqu’il ruine leur projet universitaire et compromet leurs projets professionnels (sans compter la destruction de leurs relations sociales).

Absence d’urgence : certains des faits reprochés se sont déroulés au printemps 2014 et même en janvier 2013, soit il y a plus de deux ans ! Pourquoi sévir maintenant ?

Instrumentalisation politique : seule la situation présente, soit la grève qui commence, peut expliquer la volonté de neutraliser des militantes et militants du mouvement étudiant. Il s’agit d’une instrumentalisation politique des mesures disciplinaires (qui rappelle les arrestations préventives du groupe Germinal deux jours avant le Sommet des Amériques en 2001, des 17 « chefs » anarchistes à Toronto en 2010 et d’une douzaine d’activistes le matin du Grand Prix Formule 1 à Montréal en 2012). Alors que les actions au cœur des accusations étaient menées par plusieurs dizaines d’étudiantes et d’étudiants, la direction a choisi de cibler des personnes qui occupent des postes dans les associations étudiantes et même qui siègent aux plus hautes instances de l’UQAM. Il est bien pratique, en temps de grève et de négociations de conventions collectives, de faire taire la voix étudiante dans les lieux de pouvoir de notre établissement.

Frapper fort pour faire peur : parallèlement, la direction a envoyé à l’ensemble du corps étudiant un courriel mettant en garde contre toute perturbation pendant la grève, y compris de simples levées de cours, adoptant ainsi un ton menaçant inédit à l’UQAM. Les expulsions des neuf relèvent donc aussi de la peine exemplaire pour effrayer l’ensemble des grévistes, sans compter le déploiement de nouveaux effectifs d’agents de « sécurité » qui fouinent partout (y compris dans des assemblées syndicales), suivent et intimident un peu tout le monde, refusent de révéler leur identité et se permettent des propos sexistes à l’endroit d’étudiantes (« Salut, bébé ! »).

Il est consternant de constater que la direction adopte cette approche autoritaire contraire à la tradition de l’UQAM, qui a su préserver jusqu’ici un espace plus libre que ce que nous propose en général notre société disciplinaire. Nous nous dissocions totalement de la campagne de relations publiques clamant que le chaos règne sur le campus et nous demandons à la direction de l’UQAM de garder son sang-froid, de favoriser le dialogue (même laborieux) plutôt que la répression et dans tous les cas de revenir à une attitude d’ouverture face au militantisme étudiant. Ainsi, l’UQAM se démarquerait positivement d’une tendance de plus en plus répressive des diverses autorités québécoises. Cela nécessite, bien sûr, de faire le deuil d’une certaine volonté de puissance et d’une cruauté qui ne réjouit jamais que les puissants et les partisans de la loi et l’ordre, aux dépens de personnes plus vulnérables (ici, nos étudiantes et étudiants).

 Pour terminer, soulignons un paradoxe politique : la direction réprime des étudiantes et des étudiants qui se mobilisent présentement contre une politique d’austérité qui menace réellement notre établissement.

*Texte signé par une cinquantaine de professeurs et chargés de cours de l’UQAM, dont Marcos Ancelovici, Rémi Bachand, Isabelle Baez, Dany Beaupré, Marrie-Pierre Boucher, Rachel Chagnon, Line Chamberland, Jawaher Chourou, Marc-André Cyr, Anne-Marie D’Aoust, Martine Delvaux, Stall Dinaïg, Francis Dupuis-Déri, Alain-G Gagnon. Consulter la liste complète des cosignataires (NdCORTECS : même si regarder les cosignataires ne devrait avoir rationnellement aucun impact intérêt direct sur le choix de signer ou non).

 

Voici la lettre que nous avons signée.

Support letter from European academics for the nine student activists facing expulsion from Université du Québec à Montréal, Canada

The Executive Council of Université du Québec à Montréal (UQAM) has taken steps to evict nine students from the University who took part in demonstrations or strikes in the past two years. Their political commitment seems to be the only reason justifying these extreme measures and these unprecedented disciplinary sanctions are therefore considered as intimidation attempts. Indeed, this is the first time that the University has taken such actions regarding political activities. The praxis for which the Executive Council declared the activists guilty are:

  • The protest against the Orwellian security drift at UQAM on January 30th 2013, an authoritarian response to Quebec’s historical student strike of 2012

  • The Application of legitimate strike mandates voted in general assembly by the student community by cancelling classes on April 2th and 3th 2014, and on October 8th 2014

  • The demonstration that took place in the University organized by the student and employees union (SETUE) on April 2nd 2014

  • The disturbance of Frank Des Rosiers’s (assistant deputy minister in the federal government) conference on January 20th 2015.

The fact that these convocations arrive all at the same time, even if those events took place separately in a large time scale between several months and years, raises some serious doubts about the true intentions of the Executive Council. Moreover, these are non-urgent situations and concerned students do not pose a threat to the university community. Why such a hurry? Why such reactions? As it has been stated in the support letter of De Nieuwe Universiteit of Amsterdam “[c]uriously, they [the Executif Council actions] coincide with the beginning of a new student strike against austerity measures and budget cuts in social services.” The current situation suggests that these disciplinary sanctions are purely political and meticulously calculated to annihilate the cultural activism of UQAM student community, whereas 60 000 students around Québec are triggering strike movements.

The concerned students are left helpless since the student representative on the Executive Council is aimed by three different accusations such as “having blocked a corridor” or “having raised the tone of voice.” Her appearance in front of the Executive Council and her possible suspension before the other students de facto eliminates the only student representative of the Council, leaving the other students alone before the university’s administration. Furthermore, the expulsion, which is the most severe sanction that could be used on students, should only be applied in severe cases of aggression threats or repetitive plagiarism. Even in these cases, students must first pass through committees at the departmental level and faculty before being heard by the Executive Council. The fact that the University bypass these normal procedures will have disastrous consequences on the concerned students, since they have invested hundreds of hours and thousands of dollars in their studies only to see their efforts swept away.

On the behalf of freedom of expression and freedom of opinion, the UQAM administration’s political repression shall end and the disciplinary sanctions on the nine concerned students shall be removed. The outrageous power abuses demonstrated by the administration represent a worrying discriminatory treatment that will have tremendous consequences for the concerned students.

L’équipe CORTECS, Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique & sciences. www.cortecs.org

* Fin de l’occupation de l’UQAM après l’intervention du SPVM, Radio Canada.

Ressources pour une laïcité active

La posture d’un-e enseignant-e critique est la même que celle d’un-e scientifique : elle procède d’un contrat laïc, c’est-à-dire qu’elle passe par une lecture non-surnaturaliste du monde, une lecture matérialiste au plan méthodologique (voir ici). Au fond, peu importe les croyances qui l’habitent : elles peuvent lui servir de moteur, d’inspiration, mais doivent rester cantonnées dans sa sphère privée. C’est lorsque les croyances, religieuses ou non, débordent dans la sphère publique qu’il y a danger de passer d’une rationalité partagée à un affect centré sur soi. Si notre critique des croyances pseudoscientifiques est déjà bien étoffée, celle des croyances religieuses est bien plus discrète, probablement à cause du tour de passe-passe syllogistique suivant : celui qui défend la laïcité est contre les religions, or être contre les religions est insensé/immoral/irrespectueux (cochez la bonne réponse) donc… Nous pensons que les intrusions religieuses ou spiritualistes dans la sphère publique sont à chaque fois un recul. Voici un petit recueil d’événements et de ressources laïques, pour étoffer des ateliers à venir. D’aucuns y verront-ils du matériel athée ? Alors il faudra prendre « athée » au sens que lui donnait Bertrand Russell vis-à-vis sa théière cosmique : qui souscrit, à une lecture bright, héritière des Lumières.

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Brèves

Les brèves présentées ici sont mises dans un ordre chronologique.

  • Septembre 2015

Notre-Dame du Laus, Laudun, Sommières, ont comme Peyres-Tortes procédé à une bénédiction des cartables le dimanche 6 septembre. Voici le texte exact de la prière :

Prière dite par le prêtre.

« Dieu qui sanctifies tout par Ta parole, répands ta bénédiction sur ces cartables et fais que tous ceux qui s’en serviront avec amour et courage, selon Ta volonté, reçoivent de Toi l’intelligence et la force de travailler pour Ta gloire. Par le Christ Notre Seigneur. »

  • août 2015

La petite comune de Peyres-Tortes, près de Perpignan, a organisé une « bénédiction des cartables » dans la chapelle, le 30 août, pour les enfants de tous âges, mais aussi pour les parents et les enseignants (source : L’indépendant de Perpignan)

  • 12 mai 2015

CorteX_Ananta_Bijoy_DashUn troisième blogueur « libre-penseur » assassiné au Bangladesh

Un commando armé de machettes a tué un blogueur, mardi 12 mai 2015, à Sylhet, dans le nord-est du Bangladesh. Ananta Bijoy Das écrivait pour Mukto-Mona (« libre pensée »), un site Internet connu pour son engagement contre l’extrémisme religieux, autrefois animé par le blogueur américain d’origine bangladaise Avijit Roy lui-même assassiné au début de l’année à Dacca. Selon des djihadistes du groupe Ansar Al-Islam Bangladesh, repris par le centre américain de surveillance des sites islamistes SITE, le meurtre aurait été revendiqué par l’organisation Al-Qaida dans le sous-continent indien (AQSI) basée au Pakistan, dirigée par Assim Oumar et s’étendant à l’Inde, au Bangladesh et jusqu’à la Birmanie.

C’est le troisième meurtre de « libre-penseur » depuis le début de l’année, a annoncé la police. Un autre blogueur, Washiqur Rahman, a également été tué à coups de couteau en mars à Dacca. Ananta Bijoy Das « avait reçu des menaces d’extrémistes pour ses écrits au cours des derniers mois. Il était sur leur liste de cibles », a confié Debasish Debu, un de ses ami à l’AFP, faisant référence à une liste supposée de blogueurs athées, menacés par des activistes islamistes. En février, l’assassinat d’Avijit Roy, fervent promoteur de la sécularisation de l’islam dans ce pays où 90 % des 160 millions d’habitants sont musulmans, avait suscité l’indignation à la fois dans son pays et à l’étranger. Son meurtre a été revendiqué il y a une semaine par Al-Qaida sur le sous-continent indien, entité d’Al-Qaida dont la création avait été annoncée en septembre. Farabi Shafiur Rahman, un islamiste, considéré comme le principal suspect, a été arrêté au début du mois de mars. (d’après Le Monde, 12 mai 2015).

  • 29 avril 2015

« Les autorités de l’état de l’Indiana, après avoir voté une loi restaurant une liberté religieuse jamais remise en question, se voient dans l’obligation de l’amender peu de temps après, tant les fondamentalistes en ont fait un instrument de discrimination envers autrui, plus que de liberté personnelle. Les républicains, qui ont adopté ce texte, ont inspiré leurs homologues de l’Arkansas, qui se sont dotés du même arsenal juridique, permettant aux individus et aux entreprises de se défendre contre les entraves « substantielles » à leurs convictions religieuses. Du coup, deux états ont vu fleurir les pizzerias et autres lieux de restauration qui ne veulent pas servir les couples homosexuels ou les personnes appartenant à d’autres communautés religieuses. Face  au tollé soulevé dans l’ensemble du pays à cause de la multiplication des cas d’homophobie, une clause interdisant toute discrimination a été ajoutée au texte de loi ». Extrait du Canard enchaîné.

  • 30 mars 2015

CorteX_Washiqur_RahmanWashiqur Rahman, 27 ans, blogueur athée, vient d’être CorteX_Washiqur_Rahman_tuémassacré dans la rue, dans la longue lignée d’assassinats d’athées ou de progressistes dont le dernier point d’orgue était Avijit Roy, fin février, achevé à la machette. D’autres menaces du même type sont proférées à l’enconte d’autres militants, notamment Imran H. Sarker. Ces menaces viennent semble-t-il de l’équipe d’Ansarullah Bangla, groupe intégriste ultraviolent inspiré de Anwar Al-Awlaki, un activiste d’Al Qaida basé au Yémen. Pétition ici.

  • 29 mars 2015

CorteX_Demon_Test_Bob_LarsonNous apprenons (dans le magazine Skeptic vol. 20. N°1) que le Révérend Bob Larson a mis en vente un test d’évaluation d’envoûtement par des démons, appelé Demon Test (9,95$). Il avait déjà fondé l’École Internationale d’Exorcisme, qui vous forme à l’exorcisme pour 2000$.

  • 14 mars 2015

Zakieya Latrice Avery, de Gremantown près de Washington (EU), et Monifa Sanford son amie, viennent d’être condamnées pour le meurtre des deux enfants de Zakieya : celle-ci, qui se disait « commandeur » d’un culte appelé « Demon assassin » a poignardé ses enfants de 1 et 2 ans, les pensant envoûtés par des démons. Si personne n’avait appelé le 911, a déclaré le juge, ses deux autres enfants de 5 et 8 ans, poignardés eux aussi, y seraient également passés.

  • 13 mars 2015

CORTECS_women_footbalDans l’Est du Bangladesh, une fatwa a été lancée contre un match de football féminin. Le match est désormais annulé par les autorités : « L’Islam ne permet pas de regarder des femmes jouer sur un terrain avec des tenues courtes« , déclarèrent les fondamentalistes. Merci à Taslima Nasreen pour cette information.

  • 9 mars 2015

Le Vatican justifie l’excommunication d’une mère brésilienne et de médecins, pour l’avortement d’une fillette de 9 ans. L’enfant avait été violée par son beau-père qui, lui, n’est pas excommunié.

Le cardinal Giovanni Battista Re, préfet de la congrégation pour les évêques au Vatican, a justifié l’excommunication de la mère d’une Brésilienne de 9 ans ayant avorté après avoir été violée par son beau-père, car les jumeaux qu’elle portait « avaient le droit de vivre », apprend-on ce lundi 9 mars.
L’archevêque de Recife dans le nord-est du Brésil a excommunié jeudi la mère de l’enfant, qui a avorté de jumeaux alors qu’elle était enceinte de quinze semaines.
L’excommunication a été étendue à toute l’équipe médicale qui a pratiqué l’opération, mais pas au beau-père de l’enfant car « le viol est moins grave que l’avortement » a expliqué Giovanni Battista Re (Extrait du Nouvel Observateur).

  • 26 février 2015

CORTECS_Avijit_RoyLa longue série de militants athées, rationalistes ou libres penseurs se faisant dessouderCORTECS_Avijit_Roy se prolonge. C’est cette fois Avijit Roy, bengali naturalisé étasunien, bloggeur et grand militant rationaliste qui a été assassiné. Défenseur des droits humains, anti-censure, sceptique, féministe et humaniste séculier, il animait le site libre-penseur Mukto-Mona. Il a été abattu à coups de machette à Dhaka, et sa femme sévèrement blessée. 

https://youtu.be/es6Sob_DmWQ 

  • 20 février 2015

CORTECS_Govind_PansareGovind Pansare, militant progressiste athée, et sa femme Uma, ont été abattus par des motards près de chez eux le 16 février. Govind est décédé à Mumbaï 4 jours plus tard. Il faisait l’objet des mêmes menaces que Narendra Dabolkar, tué en août 2013 (cf. plus bas).CORTECS_Govind_Pansare_Hopital

  • 18 février 2015

Le cheikh Bandar Al-Khaibari, prédicateur saoudien, a fait une « démonstration » d’astronomie à l’université et diffusée à la télévision Al-Arabiya, « prouvant » que le Soleil tourne autour de la Terre. « C’est pour cela que les avions arrivent à destination (…) Si vous dites que ça tourne, si nous quittons l’aéroport Sharjah pour un vol international vers la Chine, la Terre tourne, n’est-ce pas ? Donc si l’avion s’arrête toujours en vol, la Chine ne devrait-elle pas venir vers lui ? » Un grand moment de sciences physiques.

https://youtu.be/-9Jp_XCvVto

  • 17 février 2015

CORTECS_Kirschenaustritt« Français d’Allemagne, il est urgent de vous faire rayer des listes de baptême« , article de Thomas Bores sur rue89 qui montre comment être simplement baptisé vous vaut de payer le denier du culte, même lorsque vous êtes athée. Le comble de l’histoire est qu’un système digne d‘Interpol a mené l’Église allemande à demander à l’Église française le certificat de baptême du plaignant. Une solution à cela est la désinscription du registre des baptêmes. Pour les ressortissants allemands, autrichiens ou suisses, on consultera le site Kirschenastritt. Pour les Français, la marche à suivre d’apostasie (très efficace) est donnée par la Libre Pensée ici.

  • 26 janvier 2015

Lors du changement de gouvernement grec, quelques journaux se demandent si l’équipe d’Aléxis Tsípras abrogera le délit de blasphème en Grèce. L’article 198 du code pénal grec punit en effet (de deux ans de prison) celui qui, en public et avec malveillance, offense Dieu de quelque manière que ce soit, et celui qui manifeste en public, en blasphémant, un manque de respect envers le sentiment religieux. L’article 199 prévoit la même peine en cas de blasphème contre la religion orthodoxe et les autres religions reconnues (reste à savoir ce qui est reconnu et selon quels critères). Cette loi a été utilisée pour faire condamner à 6 mois de prison in abtentia en janvier 2005 l’illustrateur autrichien Gerhard Haderer pour une BD jugée blasphématoire (La vie de Jésus) après en avoir interdit la parution en 2003 (condamnation heureusement levée en cour d’appel ensuite).

  • 15 janvier 2015

CORTECS_bonhommes-de-neige-sacrilege-en-arabie-saouditeLors des chutes de neige de l’hiver, Muhammad Saalih Al-Munajjid (محمد صالح المنجد), cheikh du nord de l’Arabie saoudite a émis une fatwa pour interdire les bonhommes de neige car ces passe-temps reviendraient à édifier des « idoles impies ».

Ce monsieur a par ailleurs d’autres sources de courroux :

– Les femmes qui conduisent (cf. plus bas).CORTECS_muhammad-salih-al-munajjid

– Selon lui, les souris sont des créatures du diable (par conséquent le dessin Tom & Jerry est corrupteur, tout comme Mickey).

– Hacker un site n’est pas bien, sauf si c’est un site juif (Saudi Cleric Muhammad Al-Munajjid Issues Fatwa Permitting Hacking into « Jewish Websites », MEMRITV, Clip No. 3687 January 21, 2011).

– Le tsunami de 2004 aurait pour cause Allah, qui se venge des vacanciers chrétiens pétris d' »immoralité, abomination, adultère, alcool, danse en état d’ébriété, festivités« .

At the height of immorality, Allah took vengeance on these criminals. « Those celebrating spent what they call ‘New Year’s Eve’ in vacation resorts, pubs, and hotels. Allah struck them with an earthquake. He finished off the Richter scale. All nine levels gone. Tens of thousands dead. « It was said that they were tourists on New Year’s vacation who went to the crowded coral islands for the holiday period, and then they were struck by this earthquake, caused by the Almighty Lord of the worlds. He showed them His wrath and His strength. He showed them His vengeance. Is there anyone learning the lesson? Is it impossible that we will be struck like them? Why do we go their way? Why do we want to be like them, with their holidays, their forbidden things, and their heresy?

  • 11 janvier 2015

Le ministre des affaires étrangères algérien Ramtane Lamamara a défilé à Paris dans la manifestation Je suis Charlie, tandis qu’à Alger toute manifestation de soutien à « Charlie » était strictement interdite.

  •  9 janvier 2015

CORTECS_raif-badawiLe blogueur Raif Badawi a reçu ses 50 premiers coups de fouet en place publique. Condamné à 10 ans de prison et 1000 coups de fouet pour avoir osé critiquer la police religieuse. Chaque vendredi, coups de fouet par série de 50. Pourtant, le 11 janvier, l’Arabie Saoudite dépêchait à Paris le N°2 de sa diplomatie, Nizar al-Madani, pour représenter le pays lors du défilé de soutien à « Charlie ».

  • 30 décembre 2014

CORTECS_BuddhaHeadphonesPhilip Blackwood, néo-zélandais, Htut Ko ko Lwin et Tun Thurein, deux Myanmarais, croupissent en prison en attendant d’être jugés par le tribunal de Yagoon pour « insulte à la religion ». Ils ont été poursuivis par le département des affaires religieuses du Myanmar pour avoir posCORTECS_Htut_ko_ko_Lwinté sur Facebook une publicité de leur bar, où l’on voit un Bouddha portant des écouteurs. Ce sont les radicaux du Mabhata, comité pour la protection de la race et de la religion, qui poussent à la condamnation de ces trois hommes – de même qu’ils poussent au départ les 10 % de la minorité musulmane pour « épurer la race ». En mars 2015, ils écopent d’un an de travaux forcés.

  • 7 décembre 2014

« Epargnez-nous la guerre des crèches ! » écrit le Parisien. « Cette année, la Sainte Vierge et Jésus ne seront pas jetés dehors comme il y a 2000 ans. Ils resteront bien au chaud dans notre mairie« , déclare Robert Ménard, maire de Béziers… en pleine opposition avec la loi de 1905 qui interdit les emblèmes religieux « sur les monuments publics (…) à l’exception des édifices servant au culte« . Une autre crèche, installée dans la Préfecture de la Roche-sur-Yon, a été retirée, sur décision du tribunal administratif.

  • 1er décembre 2014

CORTECS_Loujain_HathloulLoujain Hathloul (لجين هذلول الهذلول) saoudienne de 25 ans, a été arrêtée par la police saoudienne au volant d’une voiture, ce qui est interdit car selon les autorités de Riyad, « cela enfreint la cohésion sociale« . La contrevenante risque dix coups de fouets. Une campagne est lancée, libérez Loujain, sur Facebook. Mais il s’agirait plutôt de « libérez-nous des systèmes politiques non laïcs ».

  • 31 octobre 2014

Le premier ministre roumain, Liviu Dragnea a déclaré en pleine campagne électorale :CORTECS_dragnea_liviu « Nous devons aider l’Église. Elle est le seul repère qui procure un soutien moral et assure notre tranquillité. » (Note : l’Église orthodoxe roumaine ne paie pratiquement pas d’impôts).

  • 25 octobre 2014

Brishna, une fillette âgée de 10 ans de la province afghane de Kunduz, a été violée par un mollah local en mai 2014. Même si le mollah en question a été condamné (25 ans de prison), elle risque d’être victime d’un meurtre pour des questions d’« honneur » aux mains de sa famille et des membres de sa communauté. La militante des droits des femmes qui la soutient est en butte à des menaces de mort. Une pétition d’Amnesty International est disponible ici.

  • 17 octobre 2014

CORTECS_Asia-BibiAsia Bibi, une chrétienne pakistanaise condamnée à mort pour blasphème en 2010, a été déboutée en appel par la haute cour de Lahore. Le 16 octobre, la haute cour de Lahore a débouté de son appel. Âgée de 45 ans et mère de cinq enfants, cette femme a été déclarée coupable de blasphème le 8 novembre 2010 et condamnée à la peine capitale en vertu de la section 295C du Code pénal pakistanais car elle aurait outragé le prophète Mahomet lors d’une altercation avec une musulmane. L’équité de son procès est fortement mise en doute. Asia Bibi affirme que les éléments attestant prétendument le blasphème, qui ont été jugés recevables par différents tribunaux, ont été forgés de toutes pièces et qu’elle n’a pas pu consulter d’avocat pendant sa détention ni le dernier jour de son procès, en 2010. L’avocat d’Asia Bibi estime que l’affaire est fondée sur des ouï-dire. Des défenseurs des droits humains ont dénoncé, quant à eux, le fait que les juges de la haute cour de Lahore avaient peut-être débouté Asia Bibi de son appel par crainte pour leur sécurité. Des groupes religieux réclamant l’exécution de cette femme étaient présents au tribunal. Rappelons que le 4 janvier 2011, le gouverneur du Pendjab Salman Taseer, qui avait publiquement défendu Asia Bibi, est assassiné. Le 2 mars, le ministre fédéral des Minorités religieuses, Shahbaz Bhatti, de confession catholique, qui l’avait lui aussi publiquement soutenue, et avait appelé à un amendement de la loi sur le blasphème, est à son tour assassiné.

  • 5 octobre 2014

A Nice, le père Gil Florini (encore) a béni dans son église Saint Pierre d’Arène les animaux (compagnie et ferme).

  • 26 septembre 2014

A Nice,  le père Gil Florini a béni dans son église Saint Pierre d’Arène les téléphones et les tablettes, au nom de l’Archange Gabriel, saint-Patron des transmissions (sic!)

CorteX_Affiche_benediction_telephones CorteX_Gil_Florini_telephones

  • 20 juin 2014

Ghoncheh GhavamiGoncheh Ghavami, Irano-britannique de 25 ans, a été arrêtée à Téhéran pour avoir voulu assister à un match de volley-ball masculin. Elle a été condamnée à un an de prison et à deux ans d’interdiction de retour dans son pays, le Royaume-Uni. Pétition ici.

  • 18 juin 2014

La saoudienne Souad al-Chammari, co-fondatrice du site « Réseau libéral saoudien » quiCORTECS_souad_al_chammari critique l’establishment religieux, a été mise en prison à Djeddah pour « insulte à l’Islam » : dans un tweet, elle avait posté la photo d’un homme faisant le baise-main à un religieux barbu, avec le commentaire : « Remarquez la vanité et l’orgueil sur son visage quand il trouve un esclave pour lui baiser la main. » . Et dans un autre tweet, elle avait interpellé les autorités à propos de l’arrestation de deux femmes par la police  religieuse au motif qu’elles avaient pris un taxi conduit par un homme.

  • 15 juin 2014

CORTECS_Manal_al-ShraifLa saoudienne Manal al-Chérif (منال الشريف‎) a été arrêtée en mai 2011 et maintenue 10 jours enCorteX-New_Saudi_Arabia's_traffic_sign_ détention après avoir diffusé sur YouTube une vidéo dans laquelle on la voyait conduire. Elle a ensuite lancé le mouvement pour le droit des femmes à conduire.

  • Juin 2014

Sheima Jastaniah, une Saoudienne, a été condamnée à dix coups de fouet pour avoir bravé l’interdiction de conduire (elle fut graciée en novembre 2011 par le roi).

  •  8 octobre 2013

Saudi preacher gets fine and short jail term for raping and killing daughterFayhan al-Ghamdi, prédicateur télévisé saoudien, a été condamné à 8 ans de prison, et à la rançon du sang (blood money) de 31 000 livres pour avoir massacré sa fille de 5 ans, en la violant plusieurs fois (concerné qu’il était par sa virginité, dit-il) en lui enfonçant la boite crânienne et en lui brisant le dos. La petite Lama al-Ghamdi succombera à ses blessures au bout de 7 mois.

  •  20 août 2013

Un des plus grands militants pour l’abolition des superstitions à caractères racistes et discriminatoires, le rationaliste Narendra Dabolkhar, a été tué à coups de poignards dans la rue. Il avait fondé et présidé la Maharashtra Andhashraddha Nirmoolan Samiti (MANS), association anti-superstition en 1989. Il se savait menacé depuis longtemps, et avait toujours refusé une garde rapprochée. Du fait de sa mort, l’ordonnance appelée Anti-Superstition and Black Magic Ordinance fut promulguée quatre jours plus tard dans l’État du Maharashtra. Le CORTECS lui a dédié plusieurs cours. Rares furent les médias à traiter cette histoire, si ce n’est la Fédération Nationale Pour la Libre pensée.

Ressources audio

L’affaire Calas, par Robert Badinter

CorteX_affaire_CalasÉmission du 5 mars 2015 des nouveaux chemins de la connaissance, sur France Culture.

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Voltaire et la religion

Au long de sa vie passablement agitée, Monsieur le Multiforme n’a évidemment pas toujours tenu le même discours en matière de religion mais il s’est toujours inscrit entre deux bornes : ni fanatisme ni athéisme. « L’athéisme et le fanatisme sont deux monstres qui peuvent dévorer et déchirer la société », dit-il et il ajoute : « L »athée dans son erreur conserve sa raison, qui lui coupe les griffes alors que le fanatisme est atteint d’une folie continuelle. » Ceci est écrit en 1771.

C’est dans ses dernières années qu’on peut en effet le mieux saisir le langage de Voltaire en la matière. Auparavant, il a pu varier selon le moment, l’opportunité, le genre littéraire qu’il pratiquait. Mais, après 1762 et l’affaire Calas, il habite pleinement sa vérité.

Sa célébrité et sa fortune le protègent, l’âge le libère. Depuis son château de Ferney, à la frontière helvétique, il expérimente la fonction du guetteur d’idées : chaque fois qu’il le peut, il sonne l’alarme contre les dévots de tous poils. Depuis, le rôle a été repris des milliers de fois. Mais le dernier Voltaire, le Voltaire septuagénaire l’emporte souvent sur ses successeurs par la grâce de son style : le goût du trait et de la pointe, la légèreté de l’écriture… C’est, peut-être, le premier intellectuel au sens que donnera au mot l’affaire Dreyfus mais aussi, loin de tout dieu qui l’aurait culpabilisé, le dernier intellectuel qui donne l’impression d’être heureux…

Avec André Versaille. Cette émission de La marche de l’Histoire a été diffusée sur France Inter le 31 octobre 2013.

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Loi de séparation de l’Église et de l’État en France

CorteX_la-separation_eglise_EtatLe texte est d’importance, il rompt avec le Concordat de 1802 : le catholicisme, « religion de la grande majorité des citoyens », y était conçu en rempart de l’ordre, ses évêques et ses prêtres salariés, logés, tels des fonctionnaires.

La séparation telle que la choisissent ses inspirateurs, partisans de l’apaisement, ne met pas pour autant fin aux relations des Églises et de l’État. La République ne reconnaît plus  les cultes. Cependant, elle a encore à les connaître puisqu’elle se préoccupe de la liberté de leur exercice. A cet effet, sont considérées toutes les questions de biens et d’argent qui pourraient se poser pour les édifices.

La loi  imagine des interlocuteurs pour chacun d’entre eux, qui seraient des associations cultuelles. Mais la catholicité refuse de se laisser atomiser. Au début de 1906, l’inventaire des églises, qui aurait dû n’être qu’un épisode technique, vire au tragique dans certaines régions. Clémenceau, ministre de l’Intérieur et farouche anticlérical pourtant, en conclura qu’on ne doit pas mettre en jeu des vies humaines pour compter des chandeliers… Ce sont les diocèses qui, de fait, deviennent affectataires des églises. Et, quinze ans plus tard, la République trouvera plus commode de rétablir les relations diplomatiques avec le Vatican !

La loi  du 9 décembre 1905 avait tout prévu par le menu. Sauf, tout de même, l’avantage qu’en tira l’Église, assurée désormais d’une assise matérielle stable.

La loi avait tout prévu mais l’islam, pourtant si présent dans les colonies, n’était pas sur la photo. Et, si plastique soit-elle, la loi de 1905 ne peut guère lui faire de place sauf à être modifiée.

Cette émission de La marche de l’Histoire a été diffusée sur France Inter le 5 février 2015.

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Le mythe de l'islamisation

Et si les attentats de janvier dernier pouvaient s’expliquer par une islamisation de la société ? Cette question serait pertinente si cette hypothétique islamisation était avérée. Dans le cas contraire, il faudra nécessairement envisager d’autres pistes d’analyse1.

img1c1000-9782021078848Raphael Liogier, politiste, décortique et réfute de manière implacable l’hypothèse de l’islamisation dans son dernier ouvrage : le mythe de l’islamisation – essai sur une obsession collective paru au Seuil en 2012 dont voici la description par l’éditeur.

Depuis le milieu des années 2000, un mot s’est immiscé dans le débat : islamisation. Les musulmans, dont la population s’accroîtrait dangereusement, chercheraient à submerger numériquement et culturellement l’Europe. L’imaginaire du complot déborde ainsi peu à peu le cadre de l’islamophobie ordinaire. Si cette perception paranoïaque était restée l’apanage d’une poignée d’extrémistes, elle ne ferait pas question, mais elle envahit aujourd’hui l’espace public, imprègne les discours de politiciens écoutés et les analyses d’auteurs réputés sérieux. Cet essai salutaire s’attelle à déconstruire ce qui n’est autre qu’un mythe et interroge l’obsession collective qu’il recèle. Il montre ainsi que la « bombe démographique musulmane » qui serait prête à éclater sur le triple front de la natalité, de l’immigration et de la conversion relève du fantasme. Quant au regain de ferveur spirituelle et au renouveau identitaire des musulmans, ils n’ont pas la signification conquérante ni même politique que suggère l’épouvantail de l’« islamisme ». Cette réfutation en règle permet enfin de comprendre pourquoi l’Europe et la France en particulier ont tant besoin de l’« ennemi musulman ».

La  démonstration de Raphaël Liogier est synthétisée dans l’article « Le mythe de l’invasion arabo-musulmane » publié dans Le Monde diplomatique en mai 2014 (disponible ici).

Le 15 février 2013, il fut l’invité de l’ancienne émission de France Inter (aujourd’hui exclusivement en ligneLà-bas si j’y suis.

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Nous trouvons par exemple une concrétisation de ce mythe dans cette vidéo que décortique Raphaël Liogier dans son ouvrage :

https://www.youtube.com/watch?v=S9mfvDoARQY

Certaines racines de ce mythe ne datent pas d’hier. Même s’il s’agissait plus des arabes (et en fait des Algériens) que des musulmans, on trouve déjà des traces de la peur d’une « invasion » dans certains propos du Général de Gaulle. Par exemple, en 1959, pendant la guerre d’Algérie, le Général de Gaulle disait à propos de l’intégration des Algériens dans une perspective de non-indépendance2:
« Avez-vous songé que les Arabes se multiplieront par deux, puis par cinq, pendant que la population française restera presque stationnaire ? Il y aurait deux cents, quatre cents, six cents députés arabes à Paris ? Vous voyez un président arabe à l’Élysée ? » Nous trouvons également ces réflexions faites à son ami Raymond Dronne3: « Voulez-vous être bougnoulisé ? Voyons, Dronne ! Donneriez-vous votre fille à marier à un bougnoule ? ».

On trouve par ailleurs des éléments statistiquement significatifs d’une forte hostilité à l’égard des musulmans dans les enquêtes d’opinion historiques et ce, dès 19514.

 

islamisationPlus récemment, la thèse « Eurabia » détaillée par l’universitaire britannique Bat Y’eor dans son ouvrage Eurabia, l’axe euro-arabe a contribué à alimenter le même mythe. Cette thèse d’un « axe euro-arabe » est également critiquée par Raphaël Liogier dans son ouvrage.

 

Le mythe de l’islamisation et ses différentes facettes que déconstruit rigoureusement Raphaël Liogier se situe à la croisée de différents domaines scientifiques tels la science politique, la sociologie du religieux et la démographie.

Le mythe de l’islamisation peut fournir un réservoir de matériel efficace pour illustrer divers aspects de la démarche critique : identifier la source de l’information (multiples affirmations démographiques erronées) ; repérer des confusions corrélation/causalité5 (délinquance et islamisme) ; décortiquer  des scénarios complotistes6 (une intentionnalité islamique cachée) ; débusquer des essentialisations7 (le musulman comme possédant une essence, une nature propre) ; démêler des amalgames (islamistes, musulmans, arabes, maghrébins, etc.) ; traquer les généralisations abusives8 (tous des extrémistes ces musulmans !) ;  dénicher des « biais de la cause unique » 9 (l’extrémisme expliqué par la nature des propos coraniques) et enfin déceler des interprétations erronées ou de fausses inférences causales (port de l’hijāb – un des différents voiles islamiques – comme un signe systématique de radicalisation et/ou signe de soumission à l’homme).

Au CorteX, nous avons déjà décortiqué différents matériaux en lien direct avec ce sujet :

Atelier Cinéma & stéréotypes : les Arabes, souffre-douleur du cinéma par Djamel Hadbi et Richard Monvoisin

TP : analyse d’une publicité partisane sur l’immigration par Julien Peccoud

Perception subjective amplifiée de l’immigration et de la pratique musulmane par Richard Monvoisin

Peur sur la ville : les islamistes, Al Qaïda et le djihad global (deux ateliers de l’information) par Clara Egger

Bonan legon kaj pripensojn !10

 

AG

 

Pétition contre la censure dans les bibliothèques universitaires

Nous relayons ici une campagne qui nous parait faire sens. Précisons qu’aucun.e membre du CorteX n’a jamais lu l’ouvrage en question, mais en tant que dépôt d’ouvrages controversés, il nous semble logique, quitte à mettre une notice à l’intérieur du livre, qu’il est contraire à l’investigation rationnelle des faits de bloquer l’accès à des ouvrages, pour déplaisants qu’ils soient.

 

Pétition contre la censure maccarthyste dans les bibliothèques universitaires adressée au président de l’université de Paris 1, M. le Professeur Philippe Boutry

 Un lecteur de la bibliothèque Pierre Mendès France de l’Université de Paris 1 Sorbonne ayant récemment proposé l’achat de l’édition française de l’ouvrage de Geoffrey Roberts, professeur à l’université de Cork en Irlande, « Les guerres de Staline », paru en 2014 aux éditions Delga, ouvrage publié en 2006 par les Editions de l’université Yale, s’est attiré la réponse suivante :

« L’ouvrage proposé, bien qu’écrit par un universitaire, ne nous semble pas a priori présenter la neutralité historique et scientifique nécessaire à son éventuelle intégration dans nos rayons. Les autres titres publiés par l’éditeur non plus ».

La direction de cette bibliothèque, contactée, tant sur l’ouvrage incriminé que sur les conditions à remplir par un éditeur pour que ses ouvrages puissent être acquis, a accumulé les réponses évasives. Une consultation des rayons consacrés à l’histoire de la Russie soviétique (puis URSS) au XXème siècle a montré que, depuis plus de quinze ans, ont été systématiquement achetés les ouvrages de publicistes propagandistes, tels Bernard-Henri Lévy et André Glucksmann, même de négationnistes avérés, tel Ernst Nolte. Dans la même période, n’ont pas été acquis les ouvrages scientifiques publiés en français tels ceux d’Arno Mayer, Michael Carley, Alexander Werth (dont le célèbre ouvrage La Russie en guerre, réédité en 2011, demeure absent), etc.

Cette censure est révélée dans un contexte particulier. Par exemple, à l’occasion de la célébration du soixante-dixième anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz, le ministre des Affaires étrangères polonais Grzegorz Schetyna a soutenu, le 21 janvier 2015, pour justifier la non-invitation de la Russie, que c’était les Ukrainiens et non l’armée soviétique qui avaient libéré le camp d’extermination. Le premier ministre ukrainien, Arseni Iatseniouk, avait affirmé le 8 janvier, sans être davantage contredit, que l’Union Soviétique avait agressé l’Allemagne en juin 1941.

Ces contre-vérités grossières n’ont provoqué aucune réaction officielle. Cette passivité n’est possible qu’en raison du manque de connaissance historique de l’opinion publique, résultat, entre autres, de la censure qui s’est étendue jusque dans les institutions universitaires. Longtemps tacite ou sournoise, celle-ci atteint désormais un niveau tel qu’une bibliothèque de Paris 1 Sorbonne ne se dissimule plus pour justifier l’interdit frappant un universitaire reconnu et tout le catalogue d’un éditeur progressiste.

Nous exigeons que soit mis fin à cette violation caractérisée de la déontologie scientifique et que la bibliothèque Pierre Mendès France de l’Université de Paris 1 Sorbonne respecte le pluralisme des publications scientifiques mises à la disposition des étudiants et autres usagers. Ceci vaut pour cette bibliothèque comme pour toutes les autres bibliothèques universitaires.

Non à la censure maccarthyste dans les bibliothèques universitaires !

Paris, 3 février 2015

Godefroy Clair, ingénieur d’études à l’université Paris 8
Annie Lacroix-Riz, professeur émérite d’histoire contemporaine, université Paris 7
Aymeric Monville, directeur des éditions Delga

Le dossier complet sur cette censure et la correspondance y afférente est disponible sur http://www.historiographie.info/debats.html

Droit d'ingérence et impérialisme humanitaire : les rouages de la propagande de guerre

« La propagande est un ensemble de moyens psychologiques développés pour influencer la perception publique des événements ou des enjeux, de façon à endoctriner ou embrigader une population et la faire agir et penser d’une manière prédéfinie » (Edward Bernaÿs). La propagande de guerre a ceci de particulier qu’elle est extrêmement facile à décrypter et pourtant très fréquemment utilisée et très efficace. En 2013-2014, le CorteX a proposé deux ateliers pour en décortiquer les rouages.
Nos deux ateliers ont eu lieu à Montpellier et à Grenoble et chacun d’eux a rassemblé un public d’une dizaine de personnes principalement constitué d’étudiant.e.s, d’universitaires, de personnels administratifs et de quelques curieux.
Voici comment nous avons procédé pour chacun d’eux.


La défense des droits humains peut-elle justifier une guerre ? – Midi critique animé par Guillemette Reviron à l’Université de Montpellier II

En guise de remarque préalable, il faut souligner que je n’ai aucune expertise spécifique en histoire ou en sciences politiques. J’ai donc choisi pour ce midi critique de me concentrer sur l’analyse critique des arguments régulièrement utilisés pour tenter justifier ce qu’on qualifie de « guerres humanitaires » ou de « guerres justes » et pour construire notre opinion en matière d’interventionnisme, plutôt que d’analyser des situations particulières comme par exemple les interventions françaises au Mali, en Syrie ou en Afghanistan.

Quand j’ai commencé à préparer cet atelier, j’ai beaucoup réfléchi à la manière de sortir des réactions émotionnelles. Comment faire surgir les questions que soulèvent ce qu’on appelle le droit d’ingérence quand on est imprégné depuis des années par un discours parfois culpabilisant qui prône ce droit (voire ce devoir) d’ingérence ? Comment mettre en évidence que l’émotion engendrée par des situations dramatiques nous empêche souvent de raisonner et de prendre le temps de l’analyse avant de prendre une décision ou de se faire un avis, alors même que ces réactions émotionnelles dépendent de nombreux paramètres dont on est peu conscient ? Je ne trouvais pas de solution satisfaisante à partir d’extraits vidéos traitant d’une situation particulière. Je craignais en effet d’embarquer le public dans des débats très (trop ?) pointus sur les motivations réelles ou prétendues d’une guerre ou d’une autre, débat qui m’aurait fait m’aventurer sur un terrain que je ne maîtrisais pas. J’ai finalement eu l’idée de découper ce midi critique en deux phases : l’une qui avait pour objectif de faire émerger les différents types de critères que l’on évalue consciemment ou non avant d’agir, l’autre qui se proposait de questionner ledit droit d’ingérence à travers la grille des critères élaborée dans la phase 1.  

Phase 1
Dans un premier temps, je voulais faire réfléchir le public aux raisons qui nous poussent ou nous retiennent d’intervenir dans un conflit. J’ai eu l’idée de partir de situations quotidiennes où les enjeux me semblaient plus facilement identifiables. J’ai donc commencé par un exercice de positionnement stratégique en matérialisant avec des panneaux deux axes perpendiculaires dans un coin de la salle (un axe d’accord / pas d’accord et un axe perpendiculaire capable / pas capable). Ces deux axes définissaient alors quatre zones différentes. J’ai ensuite retenu quatre situations concrètes problématiques :

  • Situation 1 : vous emmenez vos deux enfants au bac à sable. L’aînée tape violemment sur le petit. Vous vous levez et vous donnez une fessée à votre fille aînée.
  • Situation 2 : vous êtes dans un parc public et vous voyez un enfant taper violemment un autre enfant plus petit. Sans discuter, vous lui donnez une fessée.
  • Situation 3 : vous êtes à un arrêt de tramway et vous voyez un homme frapper sa compagne. Sans discuter, vous le frappez.
  • Situation 4 : un collègue vous raconte qu’hier, il a entendu son voisin frapper sa compagne. Vous demandez l’adresse du voisin et vous allez lui mettre une rouste.

Après présentation de chaque situation et sans avoir évoqué les suivantes, j’ai demandé aux participants de se placer dans l’espace : par exemple, une personne qui  pense qu’il faut intervenir et qu’elle le ferait, se placera dans le carré d’accord/capable ; si elle pense qu’il faudrait intervenir mais qu’elle ne le ferait pas, elle se placera dans la zone d’accord/pas capable etc. Les personnes qui le souhaitaient pouvaient rester en observation, mais « ne pas se positionner dans une case » ne faisait pas partie des options possibles pour ceux qui avaient décidé de participer (en effet, comme le disait Howard Zinn, on ne peut pas être neutre dans un train en marche). Le fait de devoir se positionner est parfois très difficile, surtout quand on ressent des tensions internes, et c’est justement l’intérêt de ce type d’exercice : pour décider d’aller dans une case ou dans une autre, il nous faut identifier les contradictions potentielles ou les principes qui sous-tendent notre décision. Les participants avaient également la possibilité de changer de case lorsqu’ils adhéraient aux arguments présentés par quelqu’un d’autre. Chaque personne qui le souhaitait pouvait ensuite exposer les raisons qui expliquaient son positionnement, éventuellement les raisons qui l’avaient poussée à de déplacer par rapport aux situations précédentes ou encore ce qui avait suscité un dilemme le cas échéant.

Mon objectif était de faire sortir les arguments types qui sont invoqués pour justifier ou rejeter le recours à l’ingérence. J’avais au préalable pensé aux critères suivants :
1 – Légalité de l’intervention
2 – Gravité de la situation
3 – Légitimité du recours à la violence (ultime recours, médiation ou négociation préalables, situation d’urgence)
4- Effets attendus de l’intervention (efficacité sur le court/long terme)
5- Légitimité individuelle de l’intervention (plus précisément, le recours à la violence me paraît légitime mais suis-je légitime, moi, pour l’exercer ?)
6 – Arguments moraux (angle déontologique ou angle conséquentialiste)
7 – Capacité physique / moyens
8- Connaissance du contexte / fiabilité de l’information difficile à évaluer

J’ai noté tous les critères énoncés par les participants sur de grands panneaux au fur et à mesure pour m’appuyer dessus dans la deuxième phase.

Retour de la phase 1
Même si cette phase a été très riche – presque tous les arguments sont ressortis -, j’ai réalisé en cours de route que cet exercice était peut-être trop intrusif. Il faudrait modifier les règles pour que les participants s’exposent moins. J’ai réalisé après coup qu’il n’est pas si facile de donner son avis à des inconnus sur un sujet aussi engageant. Si je devais le refaire, je suggérerais aux participants de se glisser dans la peau d’une autre personne de leur choix, qu’ils connaissent bien, sans avoir à dire de qui il s’agit, et d’imaginer dans quelle case cette personne se positionnerait afin de minimiser la violence que l’on peut ressentir quand on est en position minoritaire.

Les critères mentionnés par les participants pour justifier ce qu’ils feraient ou ne feraient pas furent les suivants :

D’accordPas d’accord
Pas capable
Situation_1– dissuasion
– limite dépassée
– ultime recours
– si le dialogue a précédé
– on ne connaît pas assez le contexte
– on ne résout pas la violence par la violence
– pas efficace
personne ne s’est dit « pas capable »
Situation_2personne ne s’est dit d’accord– on ne connaît pas assez le contexte
– on ne résout pas la violence par la violence
– pas efficace
– ce n’est pas à moi de gérer
– on n’est pas légitime
Situation_3– urgence
– réaction émotionnelle
– besoin personnel (culpabilité, responsabilité)
– gravité
-la violence engendre la violence
-faire appel aux institutions/autorités
– pas les moyens physiques
– peur des représailles
– peur des conséquences
Situation_4personne ne s’est dit « d’accord »– violence engendre la violence
– pas efficace sur le long terme
– difficile de jauger la fiabilité de l’info
– éloignement de la situation
– moins d’émotions
– d’autres réactions possibles :
faire appel aux institutions / autorités ; possibilité d’établir un autre rapport de force
– peur des représailles
– peur des conséquences

Phase 2

Cette seconde phase avait pour objectif de revenir sur le droit d’ingérence en situation de guerre, en raccrochant les discussions aux critères vus dans la phase 1. J’ai repris la forme classique du midi critique et projeté des extraits vidéos. Pour chaque extrait, j’ai demandé aux participants s’ils y retrouvaient des critères abordés dans la première phase de l’atelier.

Extrait 1 : l’affaire Nayirah, Zapping, 1993
Le contexte : en 1990, l’armée Irakienne envahit le Koweit. Le gouvernement états-unien projette d’intervenir en Irak mais ne bénéficie d’aucun soutien de la population états-unienne. Jusqu’au jour où une jeune femme koweitienne, prénommée Nayirah, témoigne devant le congrès et raconte avoir vu des soldats irakiens jeter des bébés hors des couveuses. Cet épisode, très médiatisé, retourne « l’opinion publique » et les états-unis entrent en guerre contre l’Irak en janvier 1991. On apprendra par la suite grâce au journaliste John Martin que Nayirah n’est jamais allée au Koweit, qu’elle est en fait la fille de l’ambassadeur Koweitien et que tout a été orchestré par l’entreprise de relations publiques Hill and Knowlton.

Nayirah_Zapping_1993

J’ai choisi cet extrait, volontairement lointain, pour introduire les éléments classiques de la propagande de guerre (diabolisation de l’ennemi, appel à l’émotion, fabrication de preuves,…). Elle a aussi permis d’alimenter la réflexion sur d’autres exemples de fausses preuves (armes de destruction massive en Irak, soi-disant bombardement de manifestants à Tripoli par des avions de chasse de Kadhafi le 21 février 2011) ou de faits dont la réalité est encore discutée aujourd’hui (armes chimiques en Syrie)
Critères concernés : 2,7 et 9

Extrait 2 : Michel Collon – Ce soir où jamais, France 3, le 6 septembre 2013
Présentation : Michel Collon, journaliste, énonce les différents principes de propagande de guerre.

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=9GDFi4KP6bE]

Cet extrait m’a donné l’occasion du discuter des effets bi-standard, et des techniques de sélection et d’ordonnancement des informations. Bi-standard car les médias condamnent à des degrés variables l’utilisation des armes chimiques par les états qui y ont recours. La théorie du « mort au kilomètre » et de l’extra-ordinarité explique pourquoi nous sommes plus touchés par des morts proches de chez nous que par des drames plus lointains.
Critères concernés :  1, 6, 8

Extrait 3 : Journal Télévisé, France 2, le 2 mai 2001 sur la situation des femmes afghanes
Contexte : cet extrait date de mai 2001 (avant les attentats du World Trade Center). La situation des femmes afghanes est déjà régulièrement médiatisée en France et le soutien de la France à cette population est débattue (voir par exemple dans le Journal Officiel du Sénat du 15 mars 2001).

La condition des femmes en Afghanistan_Journal Televise_France 2_2 mai 2001

Cet extrait met en lumière un argument couramment invoqué par les tenants de l’interventionnisme : celui de la défense des droits des femmes. Sur la base de cette justification, j’ai introduit un débat sur l’évaluation de l’efficacité d’une intervention. Se soucie-t-on / les médias se soucient-ils de la situation des femmes afghanes aujourd’hui ? Si c’est un des arguments qui a poussé le gouvernement français à entrer en guerre, comment se fait-il que nous n’ayons aucune idée de ce qu’il en est aujourd’hui ? Comment mesure-t-on l’efficacité de notre guerre ? Combien de femmes ont été tuées dans les bombardements ? A partir de combien juge-t-on la guerre efficace ? Quels sont nos critères d’évaluation ?
Critères abordés : 5, 7

Extrait 4 : extrait d’une interview de J. Bricmont (jusqu’à 5min06)

Propagande_jean-bricmont_l imperialisme humanitaire_1_news

La suite de l’interview est disponible ici.

Notre légitimité à intervenir pour secourir une population menacée ou exterminée est l’un des critères les plus difficiles à questionner. En revenant sur l’exemple des Sudètes, J. Bricmont montre que c’est pourtant loin d’être aussi simple.

Ce fut aussi l’occasion de revenir sur le pseudo-concept de droit d’ingérence sous l’angle du droit international : la Charte des Nations Unies donne aux états membres un devoir de non-ingérence dans les affaires intérieures d’un autre état. Le dit droit d’ingérence n’existe donc pas en droit. Toutefois on peut mentionner l’existence du principe de responsabilité de protéger (très contesté et invoqué pour intervenir en Libye).
Pour plus d’information sur ces débats juridiques, on pourra se référer à l’ouvrage de Jean-Baptiste Jeangème Vilmer, La guerre au nom de l’humanité (Paris, PUF, 2012).
Critères abordés : 1,2 et 6

Conclusion
Le problème fondamental dans le recours au droit à l’ingérence, c’est qu’il permet de passer sous silence de nombreux aspects de la question qui ne sont ainsi jamais débattus ni soupesés. Pire, il devient même immoral de demander que les critères d’intervention ou de non intervention soient explicités (comment oser se demander si notre intervention est légitime quand des enfants meurent tous les jours ?). Les guerres se succèdent ainsi, sans qu’on ne sache jamais quels sont les enjeux réels, sans qu’on n’évalue l’efficacité d’une intervention, sans qu’on n’ait même défini les critères d’évaluation, sans qu’on ne puisse jamais affirmer qu’elles ont apporté plus qu’elles n’ont détruit.


Les rouages de la propagande de guerre : des Sudètes (1938) à la Syrie (2013) – Atelier de l’info animé par Clara Egger et Richard Monvoisin

Puisque cet atelier est disponible ici dans sa version intégrale, nous nous limiterons à expliciter nos choix avant de présenter les suites qui ont été données à cet atelier.

Deux questions ont motivé cet atelier :

  • Comment se fait-il, dans un contexte où la guerre est impopulaire, que la France finisse toujours de s’engager dans un conflit ?
  • Comment comprendre que, bien que chaque guerre soit toujours un fiasco, la France n’ait cessé d’être impliquée directement ou indirectement (via l’envoi de troupes au sein de missions multilatérales régionales ou globales) dans des conflits?

Pour obtenir un soutien aux entreprises guerrières, il y a des stratégies de manufacture de l’opinion qui sont récurrentes dans tous les conflits du XXème siècle. L’objectif de l’atelier fut alors de développer les points centraux d’un cycle qui se répète à chaque fois ou presque. Nous avons choisi d’analyser les mécanismes de propagande présents :

  1. avant le conflit, pour justifier l’entrée en guerre
  2. pendant le conflit pour assurer un soutien à l’entreprise guerrière
  3. après le conflit, pour éviter de poser la question du bilan de la guerre

La principale difficulté a été de choisir nos cas d’étude car une analyse exhaustive de tous les cas de guerres était impossible. Nous avons brièvement mentionné le cas de l’annexion des Sudètes par Hitler qui fut justifiée au nom de la protection des droits de la minorité allemande. L’objectif était de montrer que la justification de la guerre par de nobles causes existe depuis longtemps et qu’elle est le fait de tous les états. L’actualité récente nous livrait des exemples nombreux de guerres dites humanitaires ou justes (cas de la Syrie, intervention en Libye, au Mali,…).

Nous avons choisi de sélectionner des cas emblématiques pour lesquels nous disposions de ressources (extraits de journaux, de journaux télévisés, de documentaires,…) et que nous maîtrisions. Nous avons commencé par des exemples connus et anciens, notamment des entreprises guerrières menées par les Etats-Unis pour terminer sur des cas plus complexes, impliquant la France. L’objectif était d’incrémenter un débat sur le rôle des médias dans la fabrique d’une opinion favorable à la guerre.

Nous avons conclu l’atelier en élargissant la discussion sur les critères possibles pour décider, rationnellement, de s’engager dans une intervention militaire. A ce propos, l’ouvrage de Jean-Baptiste Jeangème Vilmer propose une analyse détaillée des différents critères juridiques encadrant la doctrine de la « guerre juste » (La guerre au nom de l’humanité. Tuer ou laisser mourir, Paris, PUF, 2012).

La trame de cet atelier a été approfondie dans deux de nos cours. Le premier a été co-animé par Clara Egger et Richard Monvoisin dans le cadre de l’UE transversale de Richard Monvoisin « Zététique et auto-défense intellectuelle » (Université de Grenoble) en décembre 2013. Le second a été animée par Clara Egger à l’Université de Sudbury (Canada) en mars 2014.

Sources et références :

Jean Bricmont, Impérialisme humanitaire. Droits de l’Homme, droit d’ingérence, droit du plus fort ? Editions Aden, 2005- 2e édition 2009.

Edward Bernaÿs, Propaganda, Horace Liveright, 1928. Traduit en français sous le titre Propaganda, Comment manipuler l’opinion en démocratie, Zones, 2007.

Edward Herman & Noam Chomsky, La Fabrication du consentement. De la propagande médiatique en démocratie, Agone, 2008.

Norman Solomon, War Made Easy : How Presidents and Pundits Keep Spinning Us to Death, 2006.

Noam Chomsky, Comprendre le pouvoir, T.1, 2, 3 éditions Aden, coll. « Petite bibliothèque d’Aden », 2006.

Noam Chomsky, 11-9 : autopsie des terrorismes, Serpent à Plumes, 2001.

Noam Chomsky, Autopsie des terrorismes. Les attentats du 11 septembre 2001 et l’ordre mondial, Agone (2011)

John R. MacArthur, Second Front : Censorship and Propaganda in the 1991 Gulf War, Hill and Wang (1992) 2e édition University of California Press (2004)

Serge Halimi et Dominique Vidal avec Henri Mahler, L’opinion ça se travaille, Les médias et les guerres justes : Kosovo, Afghanistan, Irak, Agone, 2006 (1ère édition en 2000).

Documentaires

War Made Easy: How Presidents and Pundits Keep Spinning Us to Death, de Sean Penn 2007

Chomsky & Cie, d’O. Azam et D. Mermet, Mutins de pangée (2008)

Examen sur table de zététique : vous voulez essayer ?

Mardi 16 décembre 2014, 278 étudiant-es de l’Université de Grenoble ont eu deux heures pour en découdre avec l’examen qui suit. Vous voulez essayer ?
Tout document était autorisé. Seules les tablettes, téléphones et autres connectiques étaient refusées, dans la mesure où tout le monde n’est pas équipé de la même manière. Il y avait deux heures pour en découdre. Voici l’énoncé complet et son barème. Top chrono.

 

UET Zététique & Autodéfense intellectuelle
Richard Monvoisin

Table des matières

  • Cours (5 points)
  • Protocoles expérimentaux (5 points)
  • Thérapie (6 points)
  • Analyse de titres de presse (3 points)
  • Énigme zoologique (2 points)
    (Barème sur 21 points)

Cours

Quelles sont les différences fondamentales entre croire (en la gravitation, en l’évolution, en la tectonique des plaques…) et croire (en Dieu, en une volonté cosmique) et quels sont les risques à mélanger ces deux formes de croyance ?

Certains penseurs font l’hypothèse d’une volonté cosmique guidant l’évolution de tout l’univers depuis le début. En quoi le rasoir de Guillaume d’Occam nous est-il utile sur ce point ?

En quoi les deux affirmations suivantes posent-t-elles problème ?

« Comme tout dépend des yeux de l’expérimentateur, aucun énoncé n’est objectif. Donc les discours scientifiques ne sont pas différents des discours culturels : le Big Bang n’a pas plus de réalité que Atlas portant le monde sur ses épaules, ou le disque-monde porté par quatre éléphants, eux-mêmes portés par une tortue gigantesque navigant lentement dans le cosmos. La science n’est qu’une question de point de vue. Au fond, elle est une religion comme une autre, avec son propre clergé : les scientifiques. » Julian Peneck, You couldn’t die from tuberculosis before 1882, Oxvard, 2004.

« Franchement, Assassin’s creed Unit, le Métronome de Lórant Deutsch, Tintin au Congo, etc. ce ne sont que des œuvres d’art. Donc ce n’est pas bien grave si leurs auteurs déforment ou ont déformé la réalité historique. De toute façon, l’histoire est subjective en soi, et il y aura autant d’histoires différentes que de gens pour les raconter ». Guillermó Manillar, Epistemológicamente sin límites, Ed. el viejo topo, 3.12.2014.

 

Protocoles expérimentaux 

Un ami vous dit être capable de savoir à coup sûr si une femme enceinte attend une fille ou un garçon au moyen d’un pendule, qu’il fait tourner sur le ventre de la future maman. Lorsque son pendule tourne dans le sens des aiguilles d’une montre, c’est qu’il s’agira d’une fille, sinon, d’un garçon. Quel type de protocole expérimental zététique mettriez-vous en place pour tester la capacité de votre ami ?

Un (autre) ami vous dit être capable de savoir à coup sûr si une maison est habitée par un revenant (esprit d’un défunt mort dans cette maison) ou non, au moyen d’un pendule qu’il fait tourner sur la photographie de la maison. Lorsque son pendule tourne dans le sens des aiguilles d’une montre, c’est qu’il y a un revenant. Quel type de protocole expérimental zététique mettriez-vous en place pour tester la capacité de votre ami ?

Thérapie

Lors d’un repas, un proche de la famille vous raconte l’affaire suivante : « alors que chaque hiver, je suis sujet à des grippes, cette année j’ai suivi les conseils de mon pharmacien, et j’ai pris de l’homéopathie, en l’occurrence Oscillococcinum®. Et figure-toi que je n’ai pas été malade ! C’est fou, non ? Ma cousine, pareil. Pas un rhume, rien ! Alors on peut dire ce qu’on veut, ça marche. Et pour ceux pour qui ça ne marche pas, au moins ça ne leur fait pas de mal. De toute façon, c’est toujours mieux que de prendre des antibiotiques. »

Quelle analyse zététique faites-vous de ses propos ?

Analyse de titres de presse

Quelles critiques peut-on faire aux titres de presse suivants ?

  • Y a-t-il une malédiction africaine ? par Dov Zerah, Financial Afrik, 29 septembre 2014
  • L’Occident ne tiendra-t-il donc pas le choc des civilisations ?, par Franz-Olivier Biesgert, Le Point, 29 novembre 2014
  • Jeunes partant faire terroristes en Syrie : faut-il les punir ou les enfermer ?, par Garla Gregger, Das ArX-Lor, 2 décembre 2014

Énigme zoologique

À l’état sauvage, certains éléphanteaux sont porteurs de l’allèle d’un gène qui prévient la formation des défenses. Les scientifiques ont constaté récemment que de plus en plus d’éléphanteaux naissaient porteurs de cet allèle de gène (ils n’auront donc pas de défenses devenus adultes). Quelle explication donnez-vous à cette situation ?

Bon courage !
Richard Monvoisin

 

Le corrigé est ici.

Entrevue politique – corrigé de décorticage

CorteX_SeilliereVoici une proposition de corrigé pour l’exercice de décorticage présenté ici. Nous avons trouvé 71 moisissures argumentatives. Et vous ?

1) « L’analyse selon laquelle il existe une économie réelle d’un côté et la finance de l’autre n’est pas du tout une analyse objective. L’économie réelle, c’est-à-dire la production des biens et des services, fonctionne – c’est le corps, avec un système nerveux, je dirais même un flux sanguin. Et le système nerveux et le flux sanguin c’est ce qu’on appelle la finance ».

métaphore organique (cf point 7)

2) « la finance »

notion-valise : la finance recouvre beaucoup de choses très diverses telles que les entreprises du CAC 40, les places boursières, le système bancaire, etc.

3) « Il peut y avoir en effet, dans le corps, une maladie »

métaphore organique (cf point 7)

usurpation de connecteur logique

« En effet » introduit une relation de causalité. Il n’en est rien ici puisque le terme « en effet » ne sert qu’à renforcer la métaphore organique en introduisant les pathologies du système capitaliste.

4) « et il y a eu une maladie avec la crise des subprimes. Elle a d’ailleurs failli compromettre la santé du corps »

métaphore organique (cf point 7)

plurium affirmatum

« failli » veut dire qu’en réalité elle ne l’a pas compromise.

  5)  » d’ailleurs tout le monde, n’est-ce-pas… »

argumentum ad populum

inclusion abusive

couplés à un discours ralliateur

Le fait que « tout le monde » se soit jeté au « secours » du capitalisme ne prouve pas que le capitalisme soit le meilleur système possible. Par ailleurs, cet argument est faux et relève de l’inclusion abusive, car il ne prend pas en compte toutes les institutions ou personnes qui se sont opposées au sauvetage du capitalisme (notamment parmi les économistes non keynésiens).

« N’est-ce-pas » est une locution visant à rallier l’adhésion de l’interlocuteur.

6) « gauche-droite »

notion-valise issu d’une analogie douteuse

Le clivage « gauche-droite » qui est censé structurer la vie politique française est une analogie douteuse dont le sens n’est plus évident. En effet, elle fait référence historiquement à la position des différents partis politiques lors de la première assemblée nationale post-révolutionnaire (août-septembre 1789). Aujourd’hui, il y a autant de diversité au sein de la « gauche » et au sein de la « droite », qu’entre partis de gauche et partis de droite.

7) « s’est jeté au secours de ce capitalisme en crise pour essayer de lui faire reprendre santé. C’est bien ça qui s’est produit »

concept flou

« Se jeter au secours » du capitalisme est un argument flou recouvrant plusieurs types d’actions (prêts à taux zéro, nationalisation des banques, capitalisation des banques privées par l’Etat,…)

effet paillasson sur le mot crise

Le mot « crise » ici n’est pas défini. Or ce terme est employé pour qualifier des phénomènes très différents (crise au Mali, crise d’adolescence, crise de la quarantaine, crise des dettes souveraines, crise de la représentation…).

métaphore organique

La métaphore organique sur les crises du système capitaliste est ancienne. On retrouve un vocabulaire clinique sur les spasmes de folies du système capitaliste dans les Manuscrits de 1857-1858 de Karl Marx. Ici, Ernest Antoine Seillère l’emploie pour signifier que la crise est un phénomène pathologique exceptionnel chez un capitalisme, conçu comme un système économique en santé. Cette vision est contestée, notamment par les économistes qui critiquent rationnellement le modèle capitaliste.

Cette métaphore organique fait aussi office de deus ex machina, qui introduit l’idée qu’il est « naturel » que le capitalisme soit malade quand par ailleurs il est généralement en bonne santé. L’étude des responsabilités et l’analyse de ce processus de crise sont complètement évacuées. Voir l’article de Guillemette Reviron sur les arguments naturalistes.

8) « Vous n’avez pas d’alternative aujourd’hui à un capitalisme qui règne dans le monde entier »…

faux lemme 

Dire qu’il n’y a pas d’alternative au capitalisme est une sorte spécifique de faux dilemme, le faux lemme (plus qu’il n’y a aucune alternative).

généralisation abusive

argumentum ad populum

Ceci revient à ignorer les critiques rationnelles existantes sur le capitalisme et les systèmes économiques concurrents existants dans le monde (autogestion, coopérative, communisme). En outre, avancer que le capitalisme règne dans le monde entier ne prouve pas qu’il s’agisse du meilleur système possible.

notion-valise

personnification du capitalisme

Quand Ernest-Antoine Seillère parle d’un capitalisme, de quel capitalisme parle-t-il ? Le capitalisme est ici un notion-valise puisqu’il demeure peu défini. Or le capitalisme anglo-saxon diffère du capitalisme chinois, danois et français. Il existe des capitalismes très différents les uns des autres. 

9) « des milliards d’hommes l’ont choisi comme système actuellement, en Inde, en Chine »

argumentum ad populum 

sexisme 

généralisation abusive

Ce n’est pas parce que des « milliards d’hommes » (qu’en est-il des femmes ?) ont choisi ce système que cela en fait un bon système économique. De plus cet argument est faux : il existe des alternatives en Argentine, en Islande et en France au niveau local.

10) « – L’ont-ils vraiment choisi ?
– Ecoutez si ce sont les communistes chinois qui l’ont choisi pour eux, c’est encore plus extraordinaire « 

homme de paille : la position de l’interlocuteur (ont-ils vraiment choisi le capitalisme ?) est ici travestie pour la rendre ridicule.

11) « mais la réalité est celle-là le capitalisme règne dans le monde »

généralisation abusive 

notion-valise 

personnification du capitalisme (cf  point 8)

12) « Sauf peut-être, en effet, Cuba et la Corée du Nord qui ne sont pas des exemples particulièrement flagrants de réussite »

déshonneur par association 

effet cigogne

plurium affirmatum

Les exemples de Cuba et de la Corée du Nord sont utilisés comme des repoussoirs. Par ailleurs, le fait que Cuba et la Corée du Nord ne soient pas des réussites n’est pas uniquement dû à la nature du système économique mais également à des circonstances politiques particulières (mesures de rétorsion et d’embargo internationaux, autoritarisme en Corée du Nord).

L’argument suppose également que Cuba et la Corée du Nord ne sont pas des réussites sur le plan économique et social. Cet argument mérite d’être discuté dans la mesure où, par exemple, les systèmes éducatif et de santé cubains sont de très bonne qualité. Il est bon également de rappeler que l’avortement est totalement libre à Cuba, jusqu’à 10 semaines de grossesse et ce, depuis 1965 (soit 10 ans avant la France !) 

usurpation de connecteur logique

L’utilisation de « en effet » est ici dévoyée : ce connecteur sert à introduire une causalité qui est factice ici car le terme est choisi pour introduire des exemples.

13) « Donc regardons les choses en face »

technique de l’engluement

Ce discours englue l’interlocuteur en emportant son adhésion de façon spécieuse. Si vous êtes responsable et ne vous voilez pas le face, vous savez que le capitalisme est le meilleur système possible.

14) « Le capitalisme existe, il n’y pas d’alternative »

faux lemme (cf point 8)

15) « Cette crise est en voie, espérons-le, de solution »

mot fouine

Le terme « espérons-le » vide la phrase de son sens. L’information donnée est nulle.

16)« il faut vivre avec ce capitalisme »

faux lemme (cf point 8)

17) « parce que je viens ici comme auteur et non plus comme ex-patron du Medef »

argument d’autorité 

En citant, en passant, son statut actuel et ses occupations passées Ernest-Antoine Seillère se place en position d’autorité. Or ni son statut d’auteur, ni celui d’ex-patron du Medef ne garantit ses compétences en économie. Voir le jeu des 20 pièges pour débusquer les arguments d’autorité.

18) « Je crois que nous avons à regarder en face le monde qui vient »

nous inclusif

deus ex machina

Cette phrase introduit une explication fataliste. Un monde viendrait et s’imposerait à nous.

19) « est-ce que ce monde qui vient est un monde dans lequel il faut en être? »

plurium interrogatum

Cette question est purement rhétorique et conduit à avaler une couleuvre : l’idée qu’un monde vient fatalement à nous et qu’il faut s’y adapter.

20) « Ça va valoir le coup d’y vivre et est ce que ça vaut le coup notamment de passer un quinquennat d’efforts pour s’assurer en effet nous Français »

faux dilemme

usurpation de connecteur logique

nous inclusif

essentialisme

Cette phrase combine les sophismes. Une fois encore, le connecteur logique « en effet » y est mal employé. Il introduit un faux lemme : il n’y a pas d’alternative aux efforts pour vivre dans un monde meilleur à venir. Les Français sont, par ailleurs, essentialisés comme un groupe homogène.

21)« monde qui vient dont j’estime en effet qu’il est porteur d’une incroyable et formidable réussite potentielle »

→  usurpation de connecteur logique

mots fouine

Le connecteur logique « en effet » est ici dévoyé puisqu’il n’introduit aucune causalité. Les mots-fouine « j’estime » et « potentielle » vident la phrase de son sens : la réussite du monde qui vient paraît très incertaine.

22) « par la convergence de forces que je vous résume à l’extrême »

instillation de causalité

deus ex machina

Le terme « forces » a une forte connotation fataliste : des forces s’exerceraient pour nous amener vers un nouveau « monde » de façon inévitable. Cette phrase introduit une explication causale fataliste.

23) « d’une part en effet la mondialisation qui s’organise, d’autre part le capitalisme qui règne, système unique dans le monde et qui va faire réussir le monde »

personnification de la mondialisation et du capitalisme

usurpation de connecteur logique

notion-valise

Le terme « mondialisation » recouvre de multiples acceptions. La « mondialisation » désigne, tantôt, l’intégration des marchés internationaux ou les stratégies de développement des firmes multinationales. On parle aussi de mondialisation commerciale, culturelle, politique. Le terme est parfois utilisé comme synonyme de globalisation, un terme tiré de l’anglais globalization au sens voisin de mondialisation.

généralisation abusive

Le capitalisme n’est pas un système unique dans le monde, puisque, de l’aveu même d’Ernest-Antoine Seillère, des systèmes alternatifs existent.

24) « et troisièmement alors un troisième facteur qui est considérable c’est-à-dire la menace climatique et la menace de développement sur le développement durable »

notion-valise 

Les termes « développement » et  « développement durable » recouvrent également de multiples acceptions. Parle-t-on ici de développement économique, social, culturel ou politique ? Quels sont les acteurs qui vont se développer ? Les populations, les firmes multinationales, l’élite ?

Le terme « développement durable » date d’un rapport publié par les Nations Unies en 1987, le rapport Bruntland, qui lui donne un sens très imprécis. Selon ce document, le développement durable est un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre à leurs propres besoins.

oxymore

Enfin, les économistes théoriciens de la décroissance jugent que tout développement est, par essence, non durable puisqu’il implique l’idée d’une croissance basée sur la consommation de ressources rares et finies.

phrase insensée

La phrase « la menace de développement sur le développement durable » ne veut rien dire.

25) « qui, lui, est susceptible de créer aujourd’hui bien entendu par le travail des ingénieurs une véritable révolution industrielle porteuse de croissance et d’emploi »

mot fouine : « est susceptible »

technique d’engluement

La locution « bien entendu » vise seulement à emporter artificiellement l’adhésion de l’interlocuteur.

effet impact 

Le terme « révolution industrielle » est un terme à fort effet impact reposant sur un argument historique faux. En effet, l’industrialisation a été un processus lent et graduel plutôt qu’une révolution.

effet puits

Cette phrase a pour effet de noyer l’interlocuteur dans des concepts peu définis et flous.

26) « Donc j’ai une vision de ce qui vient, non pas la campagne présidentielle mais de ce qui vient qui est tout-à-fait optimiste »

deus ex machina (cf point 18)

27) « et j’aimerais bien que la France en soit « 

essentialisme

La France est posée comme une et homogène.

28) « Et ce monde-là, il profiterait à tout le monde ? Il profiterait au plus grand nombre Ernest-Antoine Seillère ou seulement à ceux qui font partie des happy few ?

– Eh bien écoutez, le capitalisme qui a donc en effet forgé l’Europe »

usurpation de connecteurs logiques

C’est le sophisme préféré d’Ernest-Antoine Seillère. « En effet » est ici combiné à « donc » : la combinaison de deux connecteurs causaux rend la causalité artificielle.

argument d’historicité faux

notion-valise

Rien ne prouve que la capitalisme ait forgé l’Europe. La terme est ici imprécis : de quelle Europe parle-t-on ? Des membres de l’Union européenne ? Des membres du Conseil de l’Europe ? De l’Europe de l’Ouest ? De l’Europe de l’Est ?

29) « est-il pour vous un système qui a conduit à un appauvrissement général de la population européenne »

renversement de la charge de la preuve

concept flou

homme de paille

Ernest Antoine Seillière renverse la charge de la preuve tout en travestissant de manière ridicule la position de son interlocuteur.

L’appauvrissement général des populations est un concept flou : quels sont les critères permettant d’évaluer l’appauvrissement général des populations? Des critères économiques? sociaux?

essentialisme

La population européenne n’est nullement définie mais posée comme homogène et une.

30) « à l’évidence non »

absence de preuve

Ernest Antoine Seillère balaie la remarque sans donner d’arguments précis qui invalideraient la position de son interlocuteur.

31) « le capitalisme a apporté l’innovation, le progrès, la croissance des niveaux de vie. C’est la modernité. »

effets cigogne

Il y a une confusion entre corrélation et causalité : on déduit de la présence d’une cause (le capitalisme) ses effets observés (innovation, progrès, croissance) alors que d’autres variables peuvent expliquer ceux-ci. Il est tout à fait possible que, par exemple, le capitalisme entraîne des effets contraires mais compensés par d’autres causes n’ayant aucun lien avec le capitalisme (le développement des connaissances scientifiques par exemple).

notions-valises

Le capitalisme n’a pas apporté à lui seul l’innovation, le progrès et la croissance des niveaux de vie. Ces trois termes sont par ailleurs des notions-valises non définis et souffrant de multiples acceptions. Parle-t-on d’innovation technologique, économique, sociale ? Quel est le progrès retenu ici ? Le progrès scientifique ? L’accroissement des connaissances médicales ? Les conquêtes sociales ? La façon de mesurer la croissance des niveaux de vie n’est pas par ailleurs précisée. Doit-on retenir le seuil de pauvreté? l’accroissement du PIB par habitant ? Le salaire moyen ? Médian ?

théorie pseudo-scientifique ethnocentrée

effet repoussoir 

« Le capitalisme, c’est la modernité » : rien ne prouve que le capitalisme se soit imposé en vertu de sa modernité, comme s’il s’agissait d’une évolution naturelle et bénéfique de l’économie. Dire que « le capitalisme, c’est la modernité » revient à adopter une posture ethnocentré sur les systèmes capitalistes et à qualifier tous les autres systèmes d’archaïques.

32) « – Oui. Mais aussi un accroissement des inégalités.
– Alors ça si vous voulez: c’est tout-à-fait en effet au centre de notre problème français »

explication creuse

La combinaison de « si vous voulez », « tout-à-fait » et  « en effet » ne produit aucune relation logique entre les arguments. Au contraire elle introduit une certaine confusion.

« notre » inclusif

Le « notre » inclusif conduit le lecteur à adhérer à la thèse qu’il y a un problème spécifique en France

Vous aussi vous disséquez de façon critique des extraits? Faites-le nous savoir!

 

Entrevue politique – décorticage

CorteX_SeilliereNous avons utilisé l’exercice suivant dans le cadre de la séance dédiée aux sophismes et « argumentocs » du cours spécialisé Sciences et pseudo-sciences politiques pour étudiant.e.s de l’Institut d’Études Politiques de Grenoble (voir ici).  A vous de jouer !

Il s’agit d’un extrait d’une entrevue d’Ernest-Antoine Seillière dans les matinales de France Inter (2 mars 2012). Nous avons proposé aux étudiant.e.s d’y repérer le plus grand nombre de sophismes possible.

Les étudiant.e.s devaient décortiquer la vidéo de la minute 2’26 à la minute 5’30. Notre analyse est .

 

 

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Linguistique, histoire – Mais où sont passés les Indo-Européens ? Le mythe d'origine de l'« Occident »

Il s’agit d’une enthousiasmante ouverture conceptuelle pour le CORTECS que cette réfutation d’hypothèse de Jean-Paul Demoule : l’existence d’une langue proto-indo-européenne et d’un peuple « originel » associé ne seraient que mythes. De quoi, du même élan, sectionner quelques arguments sur les Aryens, questionner la linguistique et ses présupposés « bibliques », et revisiter la métaphore d’un arbre des langues.

Nous n’avons pas encore farfouillé l’ouvrage, mais la stimulation intellectuelle sur ce sujet est venue de cet extrait de La fabrique de l’histoire du 27 octobre 2014, sur France Culture. Jean-Paul Demoule y était invité. Voici le passage en question.

L’idée d’une langue originelle colle à l’imaginaire biblique. En effet, dans le livre de la Genèse (11, 1-9), il est dit que la Terre, ayant été repeuplée après le Déluge, les Humains s’arrêtèrent dans la vallée de Sennar pour édifier une tour immense dont le sommet atteignait les cieux. Pour calmer leur orgueil, Dieu interrompit leur projet en brouillant leur langage, commun jusque-là, et les dispersa tout autour du monde.

CorteX_Arbre_langues_indoeuropDepuis les prémisses de la linguistique, les langues indo-européennes sont nommées ainsi car elles seraient issues d’une langue originelle commune, le proto-indo-européen, parlé par un peuple « originel » sur lequel les spécialistes s’écharpent encore. Las ! Encore faudrait-il que ce peuple, et cette langue, aient réellement existé. Les liens entre les langues indo-européennes sont néanmoins représentés dans des arborescences qui, comme on peut le voir sur les images ci-contre et ci-dessous, prennent tronc sur une seule souche. Et c’est cette souche-là que J-P. Demoule conteste. CorteX_Arbre_de_langues

CorteX_JP_DemouleJean-Paul Demoule s’est attelé depuis longtemps à ce qui ressemble fortement à un mythe anthropo-linguistique. Il a déjà écrit :

  • Réalité des Indo-Européens : les diverses apories du modèle arborescent, dans la Revue de l’histoire des religions, Vol. 208, N°208-2, p. 169-202 (1991) (télécharger ici).
  • Les Indo-Européens, un mythe sur mesure, La recherche, avril 1998 ().

Il vient de faire paraître au Seuil l’ouvrage Mais où sont passés les Indo-Européens ? Aux origines du mythe de l’Occident, dont voici la description par l’éditeur.

Mais où sont passés les Indo-Européens ? On les a vus passer par ici, depuis les steppes de Russie, ou par là, depuis celles de Turquie. Certains les ont même vus venir du Grand Nord. Mais qui sont les Indo-Européens ? Nos ancêtres, en principe, à nous les Européens, un petit peuple conquérant qui, il y a des millénaires, aurait pris le contrôle de l’Europe et d’une partie de l’Asie jusqu’à l’Iran et l’Inde, partout où, aujourd’hui, on parle des langues indo-européennes (langues romanes comme le français, slaves comme le russe, germaniques comme l’allemand, et aussi indiennes, iraniennes, celtiques, baltes, sans compter l’arménien, l’albanais ou le grec). Et depuis que les Européens ont pris possession d’une grande partie du globe, c’est presque partout que l’on parle des langues indo-européennes – sauf là où règne l’arabe ou le chinois. Mais les Indo-Européens ont-ils vraiment existé ? Est-ce une vérité scientifique, ou au contraire un mythe d’origine, celui des Européens, qui les dispenserait de devoir emprunter le leur aux Juifs, la Bible ? Jean-Paul Demoule prétend dans son livre paru en 2014 s’attaquer à la racine du mythe, à sa construction obligée, à ses détournements aussi, comme la sinistre idéologie aryenne du nazisme, qui vit encore. Il montre que l’archéologie la plus moderne ne valide aucune des hypothèses proposées sur les routes de ces invasions présumées, pas plus que les données les plus récentes de la linguistique, de la biologie ou de la mythologie. Pour expliquer les ressemblances entre ces langues, d’autres modèles restent à construire, bien plus complexes, mais infiniment plus intéressants.

Une autre émission a été consacrée à ce travail : dans La suite dans les Idées, sur France Culture le 24 janvier 2015. Là voici.

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Enfin, une dernière, sur France Culture toujours, chez Jean-Noël Jeanneney et son excellente émission Concordance des tempsqui une  fois n’est pas coutume nous offre un beau titre en faux dilemme  : Les Indo-Européens : réalité éclairante ou mythe dangereux.

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Bonne réflexion !

Richard Monvoisin

Journalisme, éthique – Outils pour un débat sur la liberté d'expression

Parmis les Midis critiques créés sur le campus de Grenoble depuis 2007, l’un d’eux eut lieu le 7 octobre 2009 et porta sur la liberté d’expression. Voici une manière,  parmi bien d’autres, d’incrémenter un débat sur ce sujet au moyen de ressources médiatiques disponibles facilement. La séquence dura 1h15, et « pirata » du temps de cerveau disponible aux étudiants durant la pause déjeuner.

Le Midi critique tel que je l’ai instauré est un petit détournement du temps de pause déjeuner. Il s’adresse aux étudiants à qui je n’avais pas le temps de montrer toutes les ressources que j’avais à disposition durant mes enseignements sceptiques. J’avais deux règles :

1. préparer la carte mentale d’un sujet que je maîtrise.

2. choisir des séquences de films, documentaires, radios, réclames me permettant, presque sans trop de commentaires de ma part, de faire incrémenter le débat le long de ma carte mentale.

Le seul maître mot était : faire en sorte que, sans que jamais personne ne se sente idiot, les étudiants repartent avec l’idée qu’un sujet peut s’avérer plus complexe qu’il n’y paraît.

Pour cet atelier, j’avoue avoir eu un public, disons, amical et bon enfant : 75 personnes, dont 40 étaient des étudiants que j’avais en classe, une trentaine étaient des étudiants « touristes », et une poignée de copains travailleurs qui venaient casser la croûte en même temps. Ce n’est pas toujours aussi intimiste, et j’ai déjà vu d’autres publics réagir assez violemment sur  l’intervenant-e (prise à partie, déplacement du sujet sur des revendications ethniques, confessionnelles, etc.). Ce sujet-ci se gère donc différemment selon les milieux, avec plus ou moins de mises au point préalables notamment sur la prise de parole.

CorteX_liberte_dexpression

J’ai démarré cette présentation-débat en parlant des restrictions légales en vigueur de la liberté d’expression en France. Elles sont au nombre de sept :

  • La menace de commettre un crime ou un délit contre les personnes (art. 222-17 du Code pénal).

  • La provocation à commettre un crime ou un délit (art. 23 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse).
  • La propagande ou la publicité en faveur de produits, d’objets ou de méthodes préconisés comme moyens de se donner la mort, punie de trois ans d’emprisonnement et de 45000 euros d’amende (art. 223-14 du Code Pénal).
  • L’atteinte au secret professionnel (art.226-13 du Code Pénal).
  • La diffamation et l’injure (art. 29 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse).
  • La lutte contre les contestations des crimes contre l’Humanité 11 (loi Gayssot de 1990 en France),
  • La protection de droits ou de catégories de personnes spécifiques (protection de l’enfance, défense de droits de propriété intellectuelle (soit droit d’auteur, soit copyright), etc.
  • Le secret « défense » (loi n° 2009-928 du 29 juillet 2009, Code de la Défense).

Mon procédé était d’engager le débat de manière douce, en partant de supports populaires drôles autant que possible, afin de poser une ambiance propice à la discussion. J’ai pioché dans mon stock de matériel filmique et opté pour trois extraits de films :

  1. Double extrait d’Ali, de Michael Mann (2002) : morceau où au téléphone Muhammad Ali joué par Will Smith refuse la conscription (avec le célèbre « aucun viet cong ne m’a jamais traité de sale nègre »), suivi du passage devant la commission lui retirant sa licence de boxe.
  2. Double extrait de Larry Flint, de Milos Forman (1997), réuni en un seul document : premier morceau lors duquel Flint, joué par Woody Harrelson, argumente sur la photographie du vagin, second morceau sur son discours sur l’obscénité, avec mise en parallèle (sous forme de faux dilemme) guerre / sexe.
  3. Extrait de Good night and good luck, de George Clooney (2006), sur le discours célèbre de Edward R. Murrow du 9 mars 1954 lors de l’émission très risquée See It Now intitulée « A Report on Senator Joseph McCarthy » (extrait que je n’utiliserai finalement pas faute de temps). Murrow est joué par David Strathairn.

Pour tous les extraits, j’ai choisi la version française (malgré mon aversion pour elle) car à l’époque je ne savais pas faire de beaux sous-titres, et je ne voulais pour rien au monde créer un sas linguistique infranchissable aux plus jeunes étudiants (les autres étant plus susceptibles de maîtriser un semblant d’anglais scientifique qui ferait, certes, se retourner Byron dans sa tombe). Fort heureusement, j’ai réussi à trouver une version sous-titrée de l’extrait de Good night… au dernier moment. Depuis ce temps, je m’arrange pour avoir presque toujours les deux versions : la version originale sous-titrée aux étudiants, la version doublée pour un public plus large.

L’extrait Ali illustre l’objection de conscience, et l’idée était d’en faire un support pour emmener le débat sur la restriction d’expression au nom du patriotisme, comme aux États-Unis le Patriot Act.

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Le groupe La Rumeur

J’avais également préparé une interview du chanteur Hamé, du groupe de rap La Rumeur, dans l’émission de F. Taddeï Ce soir ou jamais du 4 novembre 2008. Il y expliquait l’acharnement dont les ministères de l’Intérieur successifs ont fait preuve sur un article de Hamé voulu factuel et jugé diffamant pour la police. J’ai pris soin bien entendu de regarder où en était l’affaire au moment du débat, le 7 octobre 2009, et j’ai pu constater que l’acharnement était manifeste, avec un nouveau pourvoi en cassation. Il est bon de savoir que, depuis, la Cour de cassation a rejeté le pourvoi le 25 juin 2010 estimant « qu’ayant exactement retenu que les écrits incriminés n’imputaient aucun fait précis, de nature à être, sans difficulté, l’objet d’une preuve ou d’un débat contradictoire, la cour d’appel en a déduit à bon droit que ces écrits, s’ils revêtaient un caractère injurieux, ne constituaient pas le délit de diffamation envers une administration publique » (Cour de cassation, assemblée plénière, arrêt n° 585 du 25 juin 2010 (08-86.891). Cette décision met fin a une procédure de huit ans (voir « La Rumeur relaxé : Une gifle monumentale pour Sarkoland » rue89, juin 2010). Je recommande pour d’aucun-es souhaitant refaire cet atelier de se procurer le texte de l’article, au cas où une question soit posée dessus.

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Quant à Flint, il était le support rêvé pour discuter de la notion caduque d’obscénité, et de la forte composante morale de l’évaluation de cette obscénité qui fait la censure ou la restriction, par exemple par le CSA (Conseil supérieur de l’audiovisuel). Au cas où lors du débat, quelqu’un avance que des restrictions sur l’obscénité n’existent plus au-delà de 18 ans, je gardais en stock les deux extraits de Le secret de Brokeback Moutain, d’Ang Lee (2005) coupé par la chaîne Raï en Italie en décembre 2008 [ref]La RAI italienne censure des scènes gay de « Brokeback Mountain », Le Monde, 9 décembre 2008.[/efn_note].

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L’humoriste Dieudonné dans son sketch « à scandale ».

J’avais ensuite choisi de présenter la « censure » la plus connue du moment, celle de l’humoriste Dieudonné, et de la replacer dans un questionnement : peut-on tout caricaturer, et si non, pourquoi ? J’avais en stock :

  • « Dieudonné au pilori », montage prélevé sur la toile que j’ai utilisé car il permettait de retracer la genèse de l’affaire – mais que je suis incapable de retrouver !
  • « Dieudonné la bête noire », bonus du DVD, dont j’avais prévu un extrait que je n’ai finalement pas utilisé (à regarder ).
  • Et surtout ce magistral document mettant en parallèle le discours bi-standard de Thierry Ardisson sur la liberté d’expression selon qu’il parle à l’humoriste Dieudonné ou au judoka Djamel Bouras.

Pour élargir ensuite le débat sur le caractère absolu ou non de la liberté d’expression, j’ai gardé pour la fin l’extrait du film Chomsky, les médias et les illusions nécessaires, de M. Achbar & P. Wintonick (1993) portant sur l’affaire Faurisson.

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Noam Chomsky, se défendant d’avoir écrit une préface à R. Faurisson, mais ayant défendu sa liberté à s’exprimer librement.

J’avais gardé sous le coude les extraits des spectacles de Dieudonné sur Jacky, son technicien habillé en déporté juif, et sur la remise du prix de l’infréquentabilité à Robert Faurisson en 2008, mais je n’ai pas eu le temps nécessaire pour les développer – et il en faut, du temps ! 12

On pourra actualiser ce Midi critique avec les affaires plus récentes de censure ou de menace de censures (affaire des caricatures du prophète notamment, pièce de théâtre de Castellucci, etc.), ou en reprendre de plus vieilles, autour de chansons interdites ou tronquées, de films voués aux gémonies (comme Afrique 50 de René Vautier, réédité d’ailleurs récemment par Les Mutins de Pangée) et tant d’autres. On pourra également documenter et critiquer les « délits » d’expression chez les révisionnistes/négationnistes, comme l’a fait Jean Bricmont dans son excellent petit ouvrage La république des censeurs. Pour aborder l’affaire Faurisson – Chomsky, je recommande le documentaire Chomsky & Cie, d’Olivier Azam et Daniel Mermet, paru depuis, qui y consacre un moment.

Je recommande toutefois à qui voudrait se prêter à l’exercice de d’autant plus le préparer que son public lui est mal connu. Ce sujet, par ses ramifications, doit être fortement cadré pour ne pas déborder et, éventuellement, emporter tout sur son passage. Si je devais pondérer mes 50 midis critiques environ, je mettrais celui-ci (ex-æquo avec celui sur le voile et celui sur la liberté à disposer de son corps) comme celui nécessitant le plus d’expérience, car probablement l’un des plus difficiles à mener.

Matériel pédagogique : un disque de stockage ayant rendu l’âme, je n’ai plus mes montages. Ils sont cependant assez faciles à reproduire avec les références suivantes.

  • Ali, de Michael Mann (2002)
  • Larry Flint, Milos Forman (1997)
  • Le secret de Brokeback Moutain, d’Ang Lee (2005)
  • Good night and good luck, de George Clooney (2006)
  • Chomsky, les médias et les illusions nécessaires, de M. Achbar & P. Wintonick (1993), avec extrait sur la liberté d’expression quant à l’affaire Faurisson ici.
  • Montage Ardisson ()
  • Ce soir ou jamais, de F. Taddéï, 4 nov 2008.

Richard Monvoisin

Vous aurez certainement relevé la coquille dans l’affiche, vous aussi, n’est-ce pas ?