Comment élaborer un cours d’épistémologie de la biologie, en partant des pseudothéories ayant servi à des thèses idéologiques ? Voici une manière de s’y prendre telle que je l’ai développée, en cours de « Zététique & Autodéfense intellectuelle » pour des licences de science, et surtout pour l’enseignement Questions d’Actualités en Biologie de ma collègue Isabelle Lebrun destiné aux Licence 3ème année de Sciences de la Vie et de la Terre (SVT).
Je souhaite pointer les principaux détournements de la science biologique dans l’histoire sont les détournements idéologiques liés au racisme / aux mélanges spiritiualistes science-religion / au sexisme / à l’ordonnancement normal-pathologique, et montrer quelques outils d’épistémologie (comme le critère de réfutabilité des théories de Popper) pouvant être utiles pour pressentir la pseudo-science.
J’ai commencé par l’analyse de l’arbre phylogénétique du vivant, qui jusqu’à il y a peu était « orienté » vers l’humain, comme si l’humain était l’aboutissement d’un dessein intelligent, ou d’un créationnisme, et comme si l’ordonnancement des espèces montrait une perfection croissante. J’ai utilisé l’extrait du documentaire « Espèces d’espèces » illustrant parfaitement ce point (voir Biologie, évolution – Métaphore de la boule buissonnante). Nous avons également analysé les représentations classiques de l’évolution humaine, présentant un schéma faux, comme dans les exemples ci-dessous.
Puis j’ai analysé, sous forme de questions / réponses, des exemples de transformisme lamarckien qui passent l’air de rien, dans un certain nombre de fictions, que ce soient des pubs (comme Guinness, voir Biologie & vulgarisation – Analyse d’une pub Guinness – raisonnement panglossien), des films (Biologie, nutrition – Arguments anti-lait et lamarckisme dans le film Snatch), des documentaires (documentaires botanistes ou des docu-fictions comme L’Odyssée de l’espèce, voir Biologie, évolution – Erreur dans L’odyssée de l’espèce), ou des dessins animés pour enfants comme Il était une fois l’Homme.
Après avoir détaillé les enjeux et les drames des interprétations Intelligent Design et créationnistes, ainsi que le procès du Singe et le tout récent procès de Dover, nous avons ensuite parlé des détournements ouvertement racialistes ou nationalistes, que ce soit l’époque de la phrénologie et de la criminologie de Lumbroso, la hiérarchisation des races ou le nationalisme sous-jacent comme dans l’affaire du crâne de Piltdown.
Pour montrer que la modernité n’est pas exempte de ce type d’inflexion idéologique, j’insisite longuement sur les cas récents d’utilisation de la pseudo-science pour stigmatiser des populations : les classements DSM de pathologie (qui classait l’homoséxualité comme une pathologie mentale jusqu’en 1973), les affaires autour du gène « gay », et tout récemment les déclarations de N. Sarkozy sur l’origine génétique de la pédophilie (ci-dessous).
J’aborde ensuite le lyssenkisme, comme exemple de « science officielle » et de manipulation théorique vers le marxisme, ou le «pseudo-darwinisme social» de Spencer comme manipulation théorique vers le capitalisme.
Je termine par ce qui est certainement la discrimination la plus insidieuse, celle des femmes, en posant la question du sexisme au travers des âges, au travers de la représentation des organes génitaux féminins qui, tout comme du rôle du plaisir chez la femme, ont toujours suivi dans les livres de science les représentations sociales du moment (orgasme clitoridien infantile chez Freud, orgasme utile ou inutile à la procréation, etc.). Je me suis servi d’un petit montage tiré du documentaire Le clitoris, ce cher inconnu de Michèle Dominici.
Nous discutons enfin des questions de genre, des représentations féminines/masculines dans la presse, puis des corps dans les livres d’éducation, ou étrangement, lorsqu’il s’agit de représenter une action musculaire, ce sont toujours des images de garçon, tandis que les mécanismes passifs (lymphatiques) sont immanquablement représentés par des filles (voir ici, et là, entre autres).
Pour une séquence telle que celle-ci, au minimum deux heures sont à prévoir. Et préparez-vous à rester au moins une heure de plus pour discuter après le cours !
RM
- Pour aller plus loin sur les questions d’évolution, on pourra aller dans la Bibliotex, ainsi que se documenter dans le matériel pédagogique du professeur Barrette.
- Sur les questions d’idéologie raciale, on lira entre autres La malmesure de l’Homme de Stephen Jay Gould (ainsi que les critiques de ce livre envoyées par Serge Larivée, de l’université de Montréal, dans Vices et vertus de S. J. Gould, Revue québécoise de psychologie, vol. 23, n°3, 2002, pp 7 – 23).
- Sur les questions de sexisme, une introduction simple se trouve dans le livre Contre les jouets sexistes, éditions L’échappée.