Ci-dessous, une analyse de l’article du Figaro du 23 septembre 2011, Relativité : Einstein contredit par des chercheurs du CNRS.
Préambule : vous rappelez-vous l’arbre des possibles ? (voir ici, Illusion par validation subjective).
Faisons ici un petit arbre des possibles.
Soit ce scoop se révèle vrai – et nous assistons à un bouleversement de la physique – et donc à la confirmation que les médias avaient raison. Soit elle se révèle fausse – et nous oublierons qu’elle a existé, comme… les dizaines d’annonces du même type qui jalonnent les médias chaque anné (on relira par exemple Scénarisation de l’information : la technique de la peau de l’ours, ou bien les nombreux exemples dans Pour une didactique…)
Quel que soit le cas, personne ne pensera à venir épingler les Science & Vie, Sciences & Avenir, AFP, le Monde ou le Figaro lorsqu’ils nous alignent des effets d’annonce de ce type.
Ah si. Nous.
(et Arrêt sur Image, semble-t-il)
Complément ajouté le 16 mars 2012 – Nous attendions la suite de cette histoire avec impatience. Elle est arrivée dans ce très court article du Figaro titré Neutrinos pas plus rapides que la lumière, à lire à la fin de l’analyse de R. Monvoisin.
Analyse de RM : en noir
Je vais pointer seulement deux choses dans cet article : l’effet peau de l’ours, mais aussi l’épistémologie douteuse. Ces deux critiques sont valides que la nouvelle s’avère réelle ou non.
- L’effet peau de l’ours
Des chercheurs du CNRS ont montré que des particules sont capables de voyager plus vite que la lumière.
Ton indicatif, pas de conditionnel, la nouvelle est à 100% démontrée. Pourtant, quand on entre dans l’article, la prétention de départ se dégonfle un peu.
Cette technique journalistique : « je fais un titre péremptoire + un contenu où je mets des conditionnels » est une sorte de cache-misère. Comme le/la journaliste n’a pas les moyens de vérifier directement, il y a bluff sur l’annonce. Soit la nouvelle est vraie, et c’est « tout bénef ». Soit la nouvelle est fausse, et dans ce cas le journal brandira l’article pour rappeler la prudence avec laquelle ils ont traité le sujet. Il ne s’agit bien sûr pas du tout d’une spécificité du Figaro : cette technique est tellement courante qu’on se demande si elle n’est pas enseignée.
- L’épistémologie douteuse
Ils ont raison d’être prudents, car comme se le répète le sceptique, à prétention extraordinaire, preuve extraordinaire. (voir Outillage critique). Par contre, même remarque que précédemment : le travail d’Einstein n’ira bien sûr pas à la poubelle. Nous sommes en plein scénario « déboulonnement d’idoles ».
La violation de la vitesse de la lumière a été observée sur un faisceau de neutrinos, (…)
Violation ? Le terme est impropre, car hérité du sens légaliste de Loi. Pour le problème posé par la métaphore juridique, voir Epistémologie – la loi en science et la métaphore juridique
(…) Un décalage qui paraît infime, mais qu’aucune théorie actuelle n’est capable d’expliquer.
Là, épistémologiquement, c’est bien plus juste : aucune théorie pour l’instant n’est en mesure d’intégrer ce fait nouveau. Cela n’enlève rien aux théories précédentes et à la prédictivité qu’elles offraient, mais les rend incomplètes.
RM
Complément
Le 3 octobre 2011, le physicien Jean-Philippe Uzon, chercheur en physique théorique et le cosmologiste Aurélien Barrau (que je connais, il est dans la même université que moi, au laboratoire de physique subatomique et de cosmologie (LPSC) de Grenoble) débattaient d’un sujet trépidant sur le plan épistémologique et sur lequel nous reviendrons au CorteX : les Multivers. Cela se passait sur France Culture, dans l’émission Contient Sciences. A la fin de l’émission, S. Deligeorges réintroduit la question de ce scoop. La réponse qu’en fait J-P. Uzon, commentée par A. Barrau, participe de notre analyse.
Non seulement il convient d’être précis (ce n’est pas la vitesse de la lumière qui change, mais potentiellement des particules qui la dépasseraient, en encore, ce qui n’est pas acquis) mais en outre le processus d’annonce dans les médias est très dérangeant.
Rappelons-nous que les cas où les médias se sont emparés de résultats avant même que les spécialistes puissent les regarder étaient de mauvais augure (Mémoire de l’eau, fusion froide, gène de l’homosexualité etc.).
Le 16 mars 2012, le Figaro.fr revient en catimini sur cette annonce :
Les neutrinos mesurés cet automne par l’expérience Opera n’allaient pas plus vite que la lumière, selon les calculs effectués par une autre équipe pour tenter d’élucider ce résultat qui remettait en cause la physique d’Einstein, a annoncé aujourd’hui le CERN.
Cette nouvelle mesure indique que les neutrinos n’ont pas dépassé la vitesse de la lumière, selon un communiqué du Centre européen de recherches nucléaires (CERN). « Il commence à y avoir des présomptions selon lesquelles les résultats d’Opera seraient liés à une erreur de mesure« , ajoute ce communiqué.
A suivre ! G.R.