Vidéo Disputatio n°2 – Souffrance animale et expérimentation thérapeutique

Après la première mouture de disputatio, réalisée en octobre 2016 (voir ici : Vidéo – Disputatio n°1 – L’art du débat rationnel), nous avons remis le couvert le mardi 21 novembre 2017 sur un thème fréquent de nos enseignements liés à la philosophie morale : la souffrance animale se justifie-t-elle moralement dans le cadre de l’expérimentation thérapeutique ? Nos invités furent le pharmacologue Christophe Ribuot et le militant égalitariste Yves Bonnardel. L’événement, qui rassembla environ 350 personnes, fut filmé par les bons soins de Fabien La Rocca, et mis en forme par Djamel Hadji, tous deux membres de l’équipe audiovisuelle de l’Université Grenoble-Alpes. L’événement fut dédié au réseau libre-penseur Mukto-Mona. Il n’y eut aucun travail de coupe dans le document. A déguster sans modération.

Déroulement

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Christophe Ribuot

Le plan du soir fut le même que pour la première fois, et nos consignes sont données dans le début de la vidéo.

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Yves Bonnardel, et la juge Nelly Darbois
Nicolas Vivant
Nicolas Vivant
  • Puis 20/20/10/10 : tirage au sort de la partie qui commence, puis 20minutes de présentation pour chaque partie, puis 10 minutes de réponses aux arguments de la partie adverse.
  • Système d’arbitrage : deux juges de touche ont la possibilité d’arrêter le débat si une entourloupe argumentative est déployée.
  • Vérification des faits (fact checking) : en cas d’utilisation d’une donnée chiffrée, possibilité de vérifier en direct la valeur de la donnée.
  • Enfin le public a eu la possibilité de transmettre ses propres questions par SMS (nous réfléchissons à un système permettant d’archiver ces questions par un autre procédé).
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Richard Monvoisin, Julien Peccoud et Albin Guillaud

Faisant l’analyse de l’événement, le principal regret fut dans le fait que le débat s’est quelque peu « croisé », et non opposé. Par contre le débat fut dans la forme de haute tenue, et le nombre d’interventions assez faible du jury en est témoin.  Voyez plutôt ci-dessous.

Christophe Ribuot met son diaporama à disposition en pdf : ici.

Les vidéos

Premier round

Deuxième round

Troisième round

Quatrième round

Résultats du test

Avec l’aide de Timothée Guilhermet et de Timothée Gallen, nous avons dépouillé les 207 résultats exploitables. Nous avons posé les hypothèses suivantes :

  • H1: Il y a une différence significative entre les scores avant et les scores après le débat chez les personnes du public
  • H2 : les différences entre les scores avant et après le débat sont dépendantes de l’âge du public (avec l’hypothèse que plus une personne est âgée, moins elle tend à changer d’avis). Aussi avons-nous trié trois populations : moins de 18 ans, 18-34, et 35 ans et plus.
  • H3 : les Les différences entre les scores avant et après le débat sont dépendantes de la position de départ : si extrême, peu mobiles ; si modérée, elles seront plus mobiles.

Nous avons dépouillé en attribuant -1 jusqu’à -5 aux positions du non, et +1 à +5 aux position du oui. Tous les résultats sont tronqués à trois décimales.

Le résultat est… décevant.

La moyenne générale est avant débat de -0.789 ; après débat, de -0.756. Nous avons commencé par tester la normalité de la distribution, et comme celle-ci n’était pas normale, nous avons ensuite fait un test de Wilcoxon signé pour comparer les résultats avant et après. Aucun résultat significatif sur l’effet général, donc H1 n’est pas validée.

Moyenne des moins de 18 ans : avant débat: -0.571 ; après débat: -0.035.

Moyenne des 18-35 ans : avant débat: -1.175 ; après débat: -1.221.

Moyenne +35 ans avant débat: -0.625 ; après débat: -0.729.

La même méthode (normalité puis Wilcoxon) a été utilisée, en testant les moins de 18 ans, ce qui suffit à compromettre l’hypothèse H2. Les différences entre les scores avant et après le débat ne sont donc pas accrues avec la jeunesse du public, puisque les différences sont non significatives même pour les plus jeunes. H2 n’est donc pas validée.

Pour H3 (les différences entre les scores avant et après le débat sont dépendantes de la position de départ : si extrême, peu mobiles ; si modérée, elles seront plus mobiles), nous avons fait comme suit : soit Delta {+/-i}, la moyenne des différences entre la valeur avant et la valeur après pour les gens ayant répondu i ou-i avant.

On s’attend d’après H3 à :

Delta {0} > Delta {+/-1}  > Delta {+/-2} > Delta {+/-3} > Delta {+/-4}

Voici les résultats tronqués à la 4ème décimale.

Delta {0} = 1.5384

Delta {+/-1} = 1.0243

Delta {+/-2} = 1.0245

Delta {+/-3} = 0.625

Delta {+/-4} = 0.7380

On a donc : Delta {0} > Delta {+/-2}  > Delta {+/-1} > Delta {+/-4} > Delta {+/-3}

Sans aucun test, on constate par simple calcul de la moyenne que l’effet n’est pas présent.

Aucune de nos hypothèses de départ n’a donc été validée. Ainsi va la science. Il est possible que ce soit du fait du « croisement » des argumentaires, et/ou aussi d’un effet de gel des positions sur des sujets aussi affectivement marqués. D’autre part, l’idée du questionnaire a été tardive, et fut construite en peu de temps. Il n’est pas exclu que les résultats soient biaisés, par la forme de la présentation, par celle de la question ou celle des modalités de réponse. Nous ferons notre possible pour améliorer le prototype et enlever cette variable de nos biais potentiels. Gageons que les disputes ultérieures auront un plus fort impact, sinon il nous faudra admettre que ce stratagème pédagogique ne porte pas les fruits escomptés.

Les statistiques ont été traitées par le logiciel (non libre) SPSS par Timothée Guilhermet, Licence 3 de psychologie, et Timothée Gallen, Master 2 philosophie des sciences.

CorteX_disputatio_souffrance_animale_21.11.2017

Merci à Ismaël Benslimane, Julien Peccoud, Nicolas Vivant, Nelly Darbois, Albin Guillaud, Timothée Gallen, Timothée Guilhermet, Fabien La Rocca, Djamel Hadji, Francois B pour le graphisme, Serge Merlin-Forel qui s’est démené pour nous procurer les chaises d’arbitre et les conférenciers qui se sont bien donnés, Christophe Ribuot et Yves Bonnardel. Grand merci à Armand Zvenigorodsky pour la musique spécialement créée pour nous.

Petite bibliographie – audiographie sur l'éducation, la pédagogie et toutes ces sortes de choses

Il nous a été demandé par une lectrice, Maya L., de fournir des ressources permettant la réflexion sur les questions éducatives, et horreur ! Nous sommes bien en peine d’en produire une liste. Aussi avons-nous phosphoré un peu tou.tes ensemble, rassemblant les ouvrages qui nous avaient marqués. Ils ne sont pas tous majeurs, pas tous homogènes, mais ils offrent une vue transversale, d’un angle plutôt critique sur un domaine qui trop souvent est soit lissé, propre, rigide comme l’éducation nationale, soit dérivant vers des méthodes ouvertement mysticoïdes comme les écoles Steiner-Waldorf1. Ce bric-à-brac est issu des cortex mis en commun des personnes suivantes : Philippe Dessus, Antoine Fernandès Caleiro, Véronique Delille, Irène Courtin, Nelly Darbois, Julien Peccoud, Yves Bonnardel, Nicolas Gaillard, Nico Hirtt, Guillemette Reviron, Richard Monvoisin, Julien Pinel.

Quelques incontournables

Voici quelques inévitables pionniers et pionnières de l’éducation un peu plus libre. Le caractère qui prévaut ici est la pertinence subjective alléguée, non la patine du temps.

John Dewey

CorteX_John_DeweyL’étasunien Dewey ( – 1952), psychologue et philosophe du courant dit pragmatiste de Charles S. Peirce et William James, a fortement contribué au courant dit d' »éducation nouvelle ». Il n’y a pas de membre du CorteX spécialiste de Dewey, aussi ne ferons-nous aucun commentaire sur son œuvre. Nous en relayons seulement une parcelle, qui nous a été conseillé : John Dewey, Qu’est-ce que l’intérêt de l’enfant ? (1897)/

Francisco Ferrer

CorteX_Francisco_FerrerFrancisco Ferrer y Guardia (en catalan Francesc Ferrer i Guàrdia) (1859-1909) libre-penseur et pédagogue libertaire espagnol, accessoirement franc-maçon, fonda en 1901 l’École moderne, projet éducatif rationaliste qui promouvait la mixité, l’égalité sociale, la transmission d’un enseignement rationnel, l’autonomie et l’entraide. Elle fut la première d’un réseau qui en comptait plus d’une centaine en Espagne en 1907, et inspira les modern schools aux États-Unis et les nouveaux courants pédagogiques. En 1909, à la suite des événements de la « semaine tragique » à Barcelone, dont il fut accusé, notamment par le clergé catholique, d’être l’un des instigateurs, il fut condamné à mort par un tribunal militaire à l’issue d’une parodie de procès, et fusillé, occasionnant un important mouvement international de protestation.

  • Sylvain Wagnon, Francisco Ferrer, une éducation libertaire en héritage, suivi de Francisco Ferrer, L’école Moderne, Atelier de création libertaire (2013).
  • Francisco Ferrer, L’École moderne : explication posthume et finalité de l’enseignement rationnel, préface de Anne Morelli et Marie-Jo Sanchez Benito, Éditions Couleur livres, Bruxelles (2010).
  • Mari Carmen Rodriguez, Frédéric Mole, Charles Heimberg, Francisco Ferrer et la pédagogie libertaire, interview par lachaine.ch (2009).

Sébastien Faure

CorteX_Sebastien_FaurePédagogue libertaire à l’initiative de La Ruche, fondateur de l’école libertaire en 1904 (fermée en 1917) et initiateur de l’Encyclopédie anarchiste en 1925.

Célestin Freinet

CorteX_Celestin_FreinetCélestin Freinet (1896-1966) est un pédagogue français issu d’un milieu rural. L’expérience pastorale sera pour Freinet le leitmotiv de son expérience éducative. Il entre à l’école normale d’instituteur de Nice. Mobilisé et grièvement blessé au Chemin des Dames, il ne se remet pas complètement de ses blessures et gardera toute sa vie le souffle court auquel il attribue lui-même, pour partie, la nature de ses innovations en matière d’enseignement. Sa pédagogie est fondée sur différentes techniques : classe-atelier, classe-promenade et observation du milieu naturel, production de textes libres imprimerie, suppression de la notation… Lors de cette séance publique qui se déroule à Neuchâtel en 1958, Célestin Freinet présente à des parents et à des enseignants les lignes directrices de son enseignement. Dès les années 1920, il met en pratique avec sa femme Élise, l’essentiel de ses méthodes qui ne sont pas toujours bien reçues. Freinet va d’ailleurs quitter l’Éducation nationale pour fonder en 1935 sa propre école à Vence (Alpes maritimes), école privée, laïque et prolétarienne. Le mouvement Freinet prend forme peu à peu avec la mise en commun des expériences de chacun et la tenue de congrès réguliers, la publication de revues pédagogiques comme La Bibliothèque du travail (ou BT), ou les Brochures d’éducation nouvelle populaire. Se crée après la deuxième guerre mondiale l’Institut coopératif de l’École moderne (ICEM) et en 1957, de la Fédération internationale des Mouvements de l’École moderne (FIMEM). Ci-joint le documentaire de Séverine Liatard et Séverine Cassar « L’école moderne de Célestin Freinet en 1958″, diffusé dans La Fabrique de l’histoire  du 8 janvier 2013, avec les témoignages et les analyses de Guy Goupil et Michel Barré (anciens instituteurs du mouvement Freinet) et Philippe Meirieu (professeur de sciences et pratiques de l’éducation à Lyon II).

Télécharger ici

Pierre Guérin, Chasseur de son, France Culture, 18 juillet 1976

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Pour aller plus loin : on pourra lire Célestin Freinet, Les invariants de C. Freinet, Bibliothèque de l’École Moderne n°25 (1964), puis Guy Goupil, Comprendre la pédagogie Freinet, éditions des Amis de Freinet, 2007, ainsi que fréquenter un site pleinement consacré à l’héritage de Célestin Freinet, et regarder le téléfilm Le maître qui laissait les enfants rêver, de Daniel Losset (2006) (visionnable ici).

Maria Montessori

CorteX_Maria_MontessoriMême si l’œuvre de Maria Montessori, publiée chez Desclée de Brouwer, est aussi revendiqué que rarement lue dans le texte, nous étions assez réticent.es à la présenter ici. Seulement, n’ayant pas connaissance d’une analyse critique approfondie et ne l’ayant pas faite nous-mêmes,  nous plaçons néanmoins cette auteure, mais avec scepticisme.

  • Éducation pour un monde nouveau.
  • L’enfant dans la famille.
  • L’enfant.
  • L’esprit absorbant de l’enfant.
  • Étapes de l’éducation.
  • Pédagogie scientifique, tome 1 et 2.
  • Tim Seldin, Éveiller, épanouir et encourager son enfant, Nathan.
  • Charlotte Poussin, Apprends-moi à faire seul, Eyrolles.

Si l’une d’entre nous se souvient d’une lecture originale où les affirmations abondaient sans étayage rigoureux, et si l’un d’entre nous se rappelle d’une pédagogie très « psychologisante » et plutôt compatible politiquement avec n’importe quel régime même conservateur, les autres membres du CorteX n’ont pas  fait de travail exhaustif sur les textes fondateurs pour en faire une critique documentée. Nos doutes ne portent somme toute pas sur l’approche sensorielle qu’elle a développé, mais sur les principes pédagogiques. Selon la médiatique Madame Alvarez, qui a relancé médiatiquement la vogue en 2016, le programme Montessori consiste à éviter de produire des révolté.es en empêchant l’enfant de ressentir de la distance entre lui-même et son environnement, et en faisant du lieu (classe/école/maison d’enfants) un lieu à la disposition de l’enfant.

« Il s’agit de faire en sorte que l’enfant ne rencontre aucun obstacle, aucune frustration, ne subisse aucun échec qui pourrait être nocif à son épanouissement et le forger dans la confrontation aux autres et aux institutions ». 1.

Françoise Dauliat explique :

« Cette méthode donne l’illusion à l’enfant que la société est harmonieuse et à son service afin qu’il ne développe aucun esprit critique à l’encontre de ses défauts et dysfonctionnements. La société serait si bonne et si peu critiquable que se retourner contre elle ne pourrait être produit que par un défaut dans l’éducation de l’enfant. C’est probablement dans cette vérité sur le fondement de la méthode Montessori qu’il faut chercher l’une des raisons de l’engouement étatique à son égard.(…) L’objectif de l’école de la République, construire le citoyen et son esprit critique, disparaît. Chaque enfant est seul face à l’activité qui doit lui permettre d’acquérir des connaissances et des savoir-faire. On est dans un registre purement cognitif et individuel. Les relations avec les autres n’existent que dans la démonstration silencieuse de la maîtresse dont la place cesse d’être centrale dans le groupe-classe, personnage dont le rôle se confond avec celui de l’autre adulte intervenant, voire avec celui de l’enfant plus grand qui assumera à son tour la démonstration silencieuse ».

S’ajoutent à cela quelques indicateurs selon nous inquiétants :

  • « La méthode » Montessori imposait dans les maisons d’enfants des cours de catéchisme très traditionnels et devait permettre aux enfants de s' »éveiller aux réalités surnaturelles ». Des extraits de L’enfant (1936) sont disponibles ici et indiquent le caractère religieux de la démarche.
  • Maria Montessori, fervente catholique, fut aussi très proche de la société théosophique (courant ésotérico-orientaliste fondé par Helena Blavatski), et vanta une « éducation cosmique » quasi créationniste2.
  • La pédagogie de Maria Montessori fut soutenue et financée par Giovanni Gentile, le ministre de l’éducation de Benito Mussolini. Loin de nous l’idée d’user d’un déshonneur par association, bien sûr, mais c’est un indicateur non négligeable de la compatibilité de cette méthode avec le maintien d’un système de type catholico-fascisant, et cela de 1922 à 1934. 3. Mussolini déclara : « Le télégraphe de Marconi et la méthode Montessori  expriment deux forces, deux génies réunis dans le nom auguste de la Patrie pour réaliser le dessein que certainement la Providence de Dieu a assurément tracé« . (« Il telegrafo Marconi ed il metodo Montessori esprimono due forze, due genialità congiunte nel nome augusto della Patria per compiere il disegno che certamente la Provvidenza di Dio ha tracciato »
    (Benito Mussolini, discours de célébration du retour à la mère Patrie de Montessori. Cité par Bruno Vespa, dans Donne d’Italia, éditions Mondadori, 2015). [/efn_note]
  • La compatibilité entre la méthode Montessori et la catéchèse est notoire, du fait entre autres des travaux de Sofia Cavalleti et de la catéchèse du Bon-Pasteur.

Il nous semble donc assez légitime de douter gentiment du caractère libératoire et critique de cette pédagogie.

Paul Robin

CorteX_Paul_RobinPaul Robin (1837-1912) est un pédagogue libertaire français, connu en particulier pour avoir développé l’éducation intégrale à l’orphelinat de Cempuis. En 1879, il devient inspecteur de l’enseignement au primaire, puis directeur, de 1880 à 1894, de l’Orphelinat Prévost, à Cempuis dans l’Oise. Dans cet établissement qui dépend du Conseil général de la Seine, il met en place ses théories sur l’éducation intégrale, et cela sur un nombre conséquent d’enfants. Athéiste et internationaliste, mais aussi égalitariste (filles et garçons sont éduqué-es ensemble), cette éducation veut donner aux enfants des classes défavorisées le moyen d’accéder à l’éducation, en développant harmonieusement l’individu dans sa « globalité », tant sur le plan physique qu’intellectuel ou moral. Paul Robin sera en 1894 l’objet d’une campagne particulièrement violente, qui le contraindront à démissionner.

  • Nathalie Brémand, Cempuis : une expérience d’éducation libertaire à l’époque de Jules Ferry, 1880-1894, Paris, Éditions du Monde libertaire, 1992.

Matthew Lipman (1922-2010)

CorteX_Matthew_LipmanLipman est considéré comme le théoricien et le principal développeur de la philosophie pour les enfants. S’inspirant de de Charles Sanders Peirce et de John Dewey, les théories de Lipman reposent sur un pragmatisme assumé, voulant que les théories se fondent sur les pratiques concrètes qui fonctionnent sur le terrain plutôt que de voir les pratiques guidées par les théories.  Son premier roman, La Découverte de Harry Stottlemeier, (J. Vrin, 1978) destiné aux enfants à partir de dix ans, met en scène des enfants qui découvrent par eux-mêmes la logique formelle.
Matthew Lipman, A l’école de la pensée, enseigner une pensée holistique, de Boeck, 2011.

Paulo Freire (1921-1997)

CorteX_Paolo_Freire Pédagogue brésilienn, Freire conçoit l’éducation comme un processus de conscientisation et de libération populaire. Il a développé l’alphabétisation militante, conçue comme un moyen de lutter contre l’oppression politique

  • La pédagogie des opprimés, N’AUTRE école/n° 12, printemps 2006. Télécharger ici
  • Paulo Freire, Pédagogie des opprimés, Éditions Maspero,1974.

Ferdinand Buisson (1841-1932)

CorteX_Ferdinand_BuissonPhilosophe, éducateur et homme politique, Buisson fut cofondateur et président de la Ligue des droits de l’Homme, ainsi que président de la Ligue de l’enseignement. Directeur de l’Enseignement primaire en France, il a été un fort militant en faveur d’un enseignement laïque à travers la Ligue de l’enseignement. Il a par ailleurs présidé en 1905 la commission parlementaire chargée de mettre en œuvre la séparation des Églises et de l’État.
On nous vante les mérites de Éducation et République. Choix de 111 textes, effectué par Pierre Hayat, avec des notes et une présentation, aux éditions Kimé, Paris (2003).

Normand Baillargeon

CorteX_Normand_BaillargeonDifficile de présenter Normand Baillargeon, contributeur depuis le début du CorteX, notamment par son petit cours d’autodéfense intellectuelle.
Ancien professeur en sciences de l’éducation à l’université du Québec à Montréal (UQAM) de 1989 à 2015, il a fondé en 2005 avec Bernard Cloutier et Michel Virard, l’Association humaniste du Québec, ainsi que le Collectif pour une éducation de qualité, qui s’oppose au renouveau pédagogique (anciennement « la réforme de l’éducation ») qui se met alors en place dans les écoles québécoises.
Il est loisible de l’écouter ici.
CorteX_une_histoire_Pédagogie_BaillargeonNous recommandons chaudement :

  • Normand Baillargeon, Éducation et liberté, Tome 1, Lux (2005).
  • Normand Baillargeon, Histoire philosophique de la pédagogie.

Émission La tête ailleurs, Radio Canada, 11 juin 2011.

Télécharger là

Jacques Rancière

CorteX_Jacques_RancièreNé en 1940, professeur émérite à l’Université de Paris VIII (Saint-Denis). On nous a recommandé L’école ou la démocratie ?, 2010, et Le Maître ignorant : cinq leçons sur l’émancipation intellectuelle, Fayard 1987 (réédition poche, 10/18, 2004), qui aborde la pédagogie de Joseph Jacotot.

Nico Hirtt

CorteX_Nico_HirrtNico Hirtt est un enseignant de sciences physiques que vous avez probablement déjà rencontré dans nos pages Bibliotex par son livre dechiffrer_le_mondeDéchiffrer le monde. Contre-manuel de statistiques pour citoyens militants4. Il est surtout connu pour son combat contre les politiques enseignementales actuelles, et nous avions relayé sa conférence à Grenoble en mai 2012 sur la critique de l’approche par compétences 5.
Fin mai 2012, grâce au professeur des écoles Fabrice Garnier, nous avons pu l’intercepter dans un troquet de la place Saint-Bruno lors de sa venue sur Grenoble.
Entrevue.

  • Présentation de Nico Hirtt et de Fabrice Garnier, co-organisateur.

  • Où Nico Hirtt fait la critique sur les politiques d’enseignement. Il défend l’opinion que ces politiques sont de plus en plus dictées par des organismes internationaux (Organisation de Coopération et de Développement  Économique, Fonds Monétaire International, Banque Mondiale…), et visent à instrumentaliser l’enseignement en vue d’une compétitivité d’entreprise. Idéologie de flexibilité du travail et polarisation haute et basse qualification sont deux aspects parmi les plus délétères, fortement sélectifs et contradictoires avec une démocratisation de la connaissance.

[dailymotion id=xt8mj0]

  • Quelques conseils de résistance.

Au niveau micro : résister aux injonctions médiocrisantes et décontextualisées des programmes d’enseignement, user de pédagogies constructivistes, pousser les revendications syndicales pour réduire les effectifs d’élèves en primaire, car l’efficacité de cette mesure est prouvée (voir l’étude du projet STAR6).
Au niveau macropolitique : revendiquer des programmes d’enseignement non asservis au monde de la productivité ; ne pas laisser le monopole des enjeux de demain entre les seules mains des enfants des classes moyennes et supérieures.
[dailymotion id=xt8n0d]Appel aux enseignants – ne pas rester seuls.

  1. Réseau APED, Appel Pour une École Démocratique.
  2. Revue trimestrielle L’école démocratique (quelques numéros disponibles en ligne).

[dailymotion id=xt8nag]Quelques conseils de lecture de Nico Hirtt.

  • Parmi ses propres écrits,7

CorteX_Hirrt_nouveaux_maitres_ecoleLes Nouveaux Maîtres de l’École, l’enseignement européen sous la coupe des marchés, éditions EPO (Bruxelles) et VO-Éditions (Paris), 2000.
En Europe, les compétences contre le savoir, Le monde diplomatique, pp. 22 et 23, octobre 2010.

  • L’École sacrifiée, la démocratisation de l’enseignement à l’épreuve de la crise du capitalisme, éditions EPO, Bruxelles (1996) (avec G. de Selys).
  • Tableau noir, résister à la privatisation de l’enseignement, éditions EPO, Bruxelles (1998).
  • L’École prostituée. L’offensive des entreprises sur l’enseignement, éditions Labor/Espaces de Liberté, collection « Liberté j’écris ton nom », Bruxelles (2001) .
  • L’École de l’inégalité. Les discours et les faits, éditions Labor/Espaces de Libertés, collection « Liberté j’écris ton nom », Bruxelles (2004).
  • De school van de ongelijkheid, EPO, Anvers (2008).
  • L’École et la peste publicitaire (avec Bernard Legros), Aden, Collection « La Petite Bibliothèque d’Aden », Bruxelles (2007)Je veux une bonne école pour mon enfant, Pourquoi il est urgent d’en finir avec le marché scolaire, Aden, Bruxelles (2009).

Puis, pour les fondamentaux marxistes et pédagogiques,

  • Frederich Engels, Socialisme scientifique et socialisme utopique, CorteX_Engels_Socialisme(1880) Aden (2005).Texte en ligne ici.
  • L’œuvre d’Antonio Gramsci. Nous renvoyons les lecteurs à Écrits politiques (3 tomes), Gallimard, Paris, 1974, dont l’Université du Québec à Chicoutimi met des textes à disposition.
  • L’héritage de Célestin Freinet (cf. Freinet, plus haut).

Sur l’autorité, la domination adulte

Sur l’éducation dite « bienveillante »

  • Adèle Faber Elaine Mazlish, Parler pour que les enfants écoutent, écouter pour que les enfants parlent, Editions du Phare (2012) (outils concrets pour éviter de donner un ordre ou de faire appel à la peur).
  • Les Vendredis intellos, animé par Béatrice Kammerer, espace ouvert aux contributions sur les questions éducatives (donc pas de ligne ou de parti pris précis, et les contenus peuvent être hétérogènes dans leur démarche et leur fiabilité).

Sur l’enseignement en classe et la pédagogie

Ouvrages faciles d’accès

  • Normand Baillargeon, Légendes pédagogiques, Essai libre (2013).
  • Olivier Houdé, Apprendre à résister, Paris, Le pommier (2014) (sur l’héritage de Piaget).
  • Olivier Houdé, Le raisonnement, Paris, PUF, (2014).

On peut écouter Olivier Houdé sur nos modes de raisonnement sur France Culture dans Continent sciences le 5 mai 2014.

Télécharger

  • Didier Pleux, La Déraison pure : Dolto entre Freud et Pétain, Paris, Autrement (2013).
  • Gérard De Vecchi, André Giordan, L’enseignement scientifique : comment faire pour que « ça marche » ?, Delagrave, 3ème édition (2002).
  • Marc Durand, L’enseignement en milieu scolaire. P.U.F. (1996) (un classique français).
  • Philippe Dessus, Des outils cognitifs qui forment notre compréhension : une présentation de la théorie d’Egan, Penser l’éducation, n°13, pp. 71-87 (théorie de l’intérêt/apprentissage).
  • Kieran Egan, The Educated Mind, how cognitive tools shape our understanding. Chicago: University of Chicago Press. et une revue en français ici (théorie de l’intérêt/apprentissage) (1997).
  • Carl Bereiter, Education and mind in the knowledge age. Mahwah : Erlbaum (2002) (construire des connaissances).
  • Philippe Descamps, Des établissements sans classements ni redoublements En Finlande, la quête d’une école égalitaire, Le Monde diplomatique, janvier 2013.

Pour aller plus loin

Télécharger

  • Le matériel de Philippe Dessus, du Larac (ex-laboratoire des sciences de l’éducation de Grenoble)
  • Le matériel de Paul Kirschner et Mirjam Neelen, publié par le groupe de travail néerlandais 3-star learning experience
  • R. M. Gagné, W.W. Wager, K.C. Golas, J. M. Keller, Principles of instructional design (5th ed.). Belmont: Wadsworth. (2005) – livre de référence sur la préparation de cours).

Pour aller plus loin en sciences cognitives de l’apprentissage

  • Daniel Kahneman, Système 1 / système 2 : les deux vitesses de la pensée, Flamamarion, 2012.
  • Eric Bruillard, Les machines à enseigner. Hermès (1997) (sur la technologie éducative numérique).
  • Merlin Donald, Les origines de l’esprit moderne, De Boeck (1999).
  • J. Sweller, (2003). Evolution of human cognitive architecture. The Psychology of Learning and Motivation, 43, 215–266.
  • T.K. Landauer, & S.T. Dumais (1997). A solution to Plato’s problem: the Latent Semantic Analysis theory of acquisition, induction and representation of knowledge. Psychological Review, 104(2), 211–240.
  • G. Gergely, G. Csibra, (2006). Sylvia’s recipe: The role of imitation and pedagogy in the transmission of cultural knowledge. In N. J. Enfield & S.Levenson (Eds.) Roots of Human Sociality: Culture, Cognition, and Human Interaction. (pp. 229-255), Oxford: Berg Publishers, (2006).
  •  J. van Merriënboer, & P. Kirschner, Ten steps to complex learning. Mahwah: Erlbaum (2007, mais une nouvelle édition est parue).

Articles pointus

  • J-P. Astolfi, Disciplines et plaisir d’apprendre, La saveur des savoirs, Esf pédagogies (2008).
  • G. Stahl, G.. Group cognition. Computer support for building collaborative knowledge. Cambridge: MIT Press. (2006) (sur la construction collaborative de connaissances).
  • K. Egan, The Educated Mind, how cognitive tools shape our understanding. University of Chicago Press (1997).
  • C. Bereiter, Education and mind in the knowledge age. Mahwah: Erlbaum (2002) (sur la construction des connaissances).
  • T.J. Sabol, S.L. Soliday Hong, R.C. Pianta, & M. Burchinal, Can rating Pre-K programs predict children’s learning? Science, 341, 845–846. (2013) (sur les liens entre climat de classe et apprentissage).
  • C. Levenson (Eds.), Roots of human sociality: Culture, cognition, and human interaction (pp. 229–255). Oxford: Berg. (théorie controversée).

Sur l’éducation populaire

  • Franck Lepage, (In)cultures 1 – L’éducation populaire, Monsieur, ils n’en ont pas voulu…

  • Inculture(s) 2 – Une autre histoire de l’éducation

  • Inculture(s) 5 – Travailler moins pour gagner plus ou l’impensé inouï du droit du travail

Sur l’histoire de la pédagogie

  • Anne Querrien, L’école mutuelle. Une pédagogie trop efficace ?  Les empêcheurs de penser en rond (2005).
  • Jean Houssange, 15 pédagogues, Bordas (2000).
  • Isabelle Pelloux, La pédagogie de la coopération (2014).

Accessoirement

  • Delphine Gardey, Ecrire, calculer, classer. Comment une révolution de papier a transformé les sociétés contemporaines (1800-1940), La Découverte (2008), qui contient des passages passionnants sur la pédagogie, mais qui traite essentiellement de la manière de classer/produire de l’info entre la fin du XIXe et le XXe siècle.

Du 27 au 30 novembre 2017, la fabrique de l’histoire sur France Culture a déroulé un cycle de quatre émissions sur les pédagogies nouvelles.
Volet 1 : y est évoqué le documentaire de Joanna Grudzinska Révolution école (1918-1939) puis la Biennale internationale de l’Éducation nouvelle qui s’est tenue du 2 au 5 novembre 2017.

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Volet 2 : le documentaire évoque l’école Decroly de Saint-Mandé, créée en 1946 et appartenant à ce mouvement d’éducation nouvelle né d’une critique radicale du système éducatif traditionnel. Avec les témoignages d’enseignants et d’anciens élèves : Florence Beaujou, Nicole Christophe, Michel Daubet, Louis Hacquin, Marielle Issartel, Christine et Jean-Paul Morley, Claudine Watigny et Sylvain Wagnon (professeur en sciences de l’éducation à Montpellier III).

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Volet 3 : cette émission d’archives rappelle les pratiques pédagogiques inventées par Célestin Freinet, inséparables de ses expériences de guerre. Il y est question également les spécificités pédagogiques de l’Ecole des Roches.

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Volet 4 : débat historiographique consacré au projet de réforme de l’enseignement datant de 1947, connu sous le nom de « plan Langevin-Wallon ». Un plan à la « fonction quasi-liturgique pour la gauche française », une « référence sacrale » selon l’historien Antoine Prost. Comment et pourquoi cette commission de réforme de l’enseignement a-t-elle été mise en place à l’automne 1944 ? Quelles en étaient ses principaux membres ? Pourquoi une grande partie de ses préconisations liées à la démocratisation de l’enseignement n’ont-elles pas été appliquées dans l’immédiat, tout en inspirant les réformes postérieures de l’enseignement ? Avec les trois invités (Laurent Gutierrez, maître de conférences à l’Université de Rouen, spécialiste de l’éducation nouvelle,Pierre Kahn, professeur à l’université de Caen et André Robert, professeur de philosophie), sont discutés les axes du plan : prolongation de la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans, école divisée en trois cycles, etc ainsi que sur les débats qu’il a suscités.

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Sur l’histoire des idées

  • Peter Watson. Ideas, a history of thought and invention, from fire to Freud. Harper, (2005) (contient quelques petits passages sur la pédagogie)

Sur la critique de l’école

  • Nico Hirtt, L’école prostituée. L’offensive des entreprises sur l’enseignement,  Labor (2001).
  • Christian Laval,  L’école n’est pas une entreprise, La Découverte (2004).
  • Antonella Verdiani, Ces écoles qui rendent nos enfants heureux, Actes sud (2012).

Sur l’éducation « parentale »

  • Catherine Dumonteil Kramer, Une nouvelle autorité sans punition ni fessée, Nathan (2016).
  • John Holt, S’évader de l’enfance (1976).
  • Didier Pleux, Les dix commandements du bon sens éducatif, Paris, Odile Jacob (2014).
  • Didier Pleux, Une journée avec Zoup : des histoires pour éduquer nos enfants, Paris, Odile Jacob (2011).
  • Didier Pleux, Petits caprices et grosses colères : gérer les crises de son enfant, Paris, Eyrolles, coll. « Les consultations du pédopsy » (2012).

Sur le sexisme et la construction genrée

  • Cordelia Fine, Delusions of gender: How Our Minds, Society, and Neurosexism Create Difference, Norton & Cie (2010).
  • Collectif, Contre les jouets sexistes (Ce livre n’est hélas plus édité, mais présent dans les bibliothèques du CORTECS de Chambéry et Grenoble).
  • Marcela Iacub, Patrice Maniglier, Antimanuel d’éducation sexuelle, Bréal, (2005).
  • Collection de livres pour enfants Talents Hauts.

Émissions sur l’éducation des filles :

  • Les femmes, toute une histoire, 2 octobre 2011, avec Marie Duru-Bellat, sociologue.

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  • La fabrique de l’histoire, 10 janvier 2013, avec Rebecca Rogers, Martine Sonnet, Nicole Mosconi et Claude Lelièvre.

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  • Filles et garçons à l’école de Jules Ferry, Concordance des temps, sur France Culture, 12 avril 2014.

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Pour aller plus loin, on pourra consulter Histoires et luttes des femmes.

Sur l’autogestion par les enfants

Sur la philosophie pour enfants

  • Nous attendons une bibliographie de Véronique Delille sur le sujet.
  • Ci-contre, une émission Lectures sceptiques pour enfants, n°359 de Scepticisme scientifique, novembre 2016 (durée 56 mn 22) par Jean-Michel Abrassart.

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Y sont cités les ouvrages suivants (qui ne sont pas forcément des ouvrages sceptiques !)

  • « Les questions des petits sur la mort » de Marie Aubinas & al., Bayard Jeunesse (2010).
  • « Les questions des petits sur les religions » de Marie Aubinas & al. Bayard Jeunesse (2016).
  • « Raconte-moi Jésus » de Gwénaëlle Boulet et Élodie Durand, Bayard Jeunesse (2009).
  • « Coucou ! L’espace » de Anna Milbourne & al. chez Usborne.
  • « Ankylosaur Attack: A Dinosaur Adventure » de Daniel Loxton.
  • « Plesiosaur Peril » de Daniel Loxton
  • « Grandmother Fish: A Child’s First Book of Evolution » de Jonathan Tweet et Karen Lewis
  • “My Name Is Stardust”, de Douglas Harris, Bailey Harris & Natalie Malan.
  • « C Is for Cthulhu: The Lovecraft Alphabet Book » de Greg Murphy et Jason Ciaramella
  • Matthew Lipman (voir plus haut)
  • La série des enfants philosophes, Phileas & Autobule
  • Mathieu Gagnon, Guide pratique pour l’animation d’une communauté de recherche philosophique, PUL (2006) ( plus technique – voire « surtechnique » ! – pour des gens qui veulent travailler la manière d’animer une discussion philosophique).

Sur le développement de l’enfant

  • The Informed Parent : A Science-Based Resource for Your Chilsd’s First Four Years, Tara Haelle, Tarcher Perige (2016) – avec un gros défaut : absolument aucune référence bibliographique n’est appelée dans le texte ni même présente en bibliographie, ce qui est proprement affligeant vu le titre et l’objectif de l’ouvrage.
  • Céline Alvarez, Les lois naturelles de l’enfant, Les Arènes (2011), avec le bémol introduit à l’onglet Montessori ci-dessus et controverse plus générale, abordée entre autres par Laurence de Cock dans Le Crieur N°6 (Céline Alvarez, le business pédagogique).
  • Michel Desmurget, TV lobotomie, Max Milo (2014).
  • Philippe Bihouix, Karine Mauvilly, Le désastre de l’école numérique, Plaidoyer pour une école sans écrans, Seuil (2016).
  • Catherine Guéguen & Fabrice Midal, Pour une enfance heureuse. Repenser l’éducation à la lumière des dernières découvertes sur le cerveau, Laffont (2014).
  • Howard Gardner, Les formes de l’intelligence, Odile Jacob (1997) (controversé).

Sur la vie sexuelle des enfants

  • Patrick Doucet, La vie sexuelle des enfants ? Tout ce qu’on aimerait sans doute savoir, mais qu’on ne souhaite peut-être pas entendre, Liber (2016).

Quelques données existent sur la vie sexuelle des enfants, illustrant que des pratiques permettant d’éprouver du plaisir seul·e ou à plusieurs peuvent survenir très tôt dans la vie d’un être humain8.

Romans

On nous recommande (mais personne au CorteX ne les a lus)

  • Les romans de Christiane Rochefort, dans leur ensemble.
  • Witold Gombrowicz, Ferdydurke, 10/18 (1937).

Richard Monvoisin recommande :

  • Jack London, Martin Eden (1909), Folio (1997).
  • Jorgé Amado, Capitaine des sables (1952) Gallimard (1954).
  • William Goldin, Sa majesté des mouches (1956 en français) adapté en film par Peter Brook en 1963.
  • Italo Calvino, Le Baron perché, Seuil (1980).

 Sitographie en vrac

Note : nous mettons le lien vers Question de classe, mais avec circonspection : sur leur demande, nous avions écrit des articles pour eux…. avant d’être éconduits sans ménagement. Raison invoquée ?  (Selon un seul de ses membres qui semble-t’il a « capturé » la disussion) Avoir hébergé des articles faisant référence à Jean Bricmont. Comprendre dans la logique de notre interlocuteur « : J. Bricmont <=> liberté d’expression <=> liberté d’expression pour les négationnistes <=> négationnistes <=> tous les gens qui aiment les travaux de Bricmont en physique / philosophie / morale et politique sont donc des négationnistes qui s’ignorent. Autant dire que nous sommes restés comme deux ronds de flanc, et nos articles non publiés.

« Sale bête », « sale nègre », « sale gonzesse » – Identités, dominations et système des insultes, par Yves Bonnardel

Yves Bonnardel est un militant politique, notamment connu pour ses textes sur l’antispécisme et la construction morale du droit des animaux. Sa critique radicale de la notion de « nature », soit comme avatar de Dieu, soit comme processus essentialisant, a beaucoup inspiré le CORTECS, et reste l’un des sujets les plus tortueux à aborder1. Voici un texte introductif sur la normativité dont témoignent nos insultes. Il a été publié il y a près de vingt ans dans les Cahiers antispécistes n°12 (avril 1995) : de quoi stimuler la réflexion de tout être humain en lui faisant décortiquer ses insultes favorites. C’est l’occasion pour des enseignant-es de s’emparer de ce sujet, et ce dès le plus jeune âge, pour introduire ce qui pourrait être le premier cours de philosophie morale de beaucoup d’enfants à partir des insultes classiques.

CorteX_Yves-Bonnardel« Sale bête », « sale nègre », « sale gonzesse »  –  Identités, dominations et système des insultes

par Yves Bonnardel

La liste aurait pu s’allonger : sale gitan, sale juif, sale arabe, sale pédé, sale gouine, sale pute, sale gosse… Les insultes sont des mots ou des expressions toutes faites, dont le caractère offensant est immédiatement perçu par tous, et que l’on utilise pour attaquer quelqu’un à qui l’on s’adresse directement, en le rabaissant et en lui signifiant du mépris. Parce qu’il leur faut être immédiatement compréhensibles à chacun, elles négligent tout caractère réellement individuel pour ne se référer qu’à des catégories sociales : et c’est ainsi qu’elles sont une bonne source d’indications sur les rapports sociaux. C’est pourquoi elles sont normalisées1, et aussi pourquoi elles sont particulièrement bêtes et mesquines : c’est que, comme d’autres aspects du langage mais avec plus de vivacité et clarté, elles expriment les catégories sociales déterminantes et l’ordre dominant.

Toujours, injurier quelqu’un consiste à l’attaquer en dévalorisant ou en niant l’image qu’il est censé (par le corps social) avoir de lui-même. Et si le ton de mépris ou de haine joue également un grand rôle, le contenu (la signification) de l’insulte n’est pas du tout indifférent : il obéit à des règles strictement codifiées et à des types bien définis, qui révèlent ainsi les rapports sociaux de domination et les représentations d’eux-mêmes que les humains acceptent (semble-t-il) si facilement.

Les insultes ont donc en commun d’attaquer une identité sociale de l’injurié, dans une situation de conflit. L’Espèce et le Sexe (mais la Race aussi) sont parmi les plus fondamentales de ces identités : ce sont des catégories sociales, qui apparaissent d’autant plus évidentes par elles-mêmes que leur rôle social est plus omniprésent, et qui permettent, au sein d’une société donnée, de classer des individus et de les remiser en divers paquets, avec des conséquences tout à fait concrètes.

Ces catégories sont bien plus conventionnelles et arbitraires qu’il n’y paraît spontanément : ainsi, il y a cinquante ans, « blonde » ou « brune » (pour les individus remisés dans le groupe femmes) étaient des catégories signifiantes (les « brunes » étaient censées être « de tempérament volcanique », etc.), comme l’indiquent les chansons de l’époque, mais qui n’existent plus guère aujourd’hui.

Toujours est-il que les insultes sont des expressions abouties, et même souvent caricaturales, de l’omniprésence de ces catégories et des liens de hiérarchie qu’elles entretiennent, et qu’elles permettent donc dans un premier temps de s’en faire une idée (même si on peut perdre un peu alors le sens de la nuance).

Comme en fait je n’ai pas du tout l’intention d’entreprendre un inventaire exhaustif de tous les types d’insultes, et que je ne veux m’attacher qu’aux catégories existantes qui conditionnent le plus la vie des humains, ne vont m’intéresser ici que certaines d’entre elles, qui sont tout de même, et de loin, les plus fréquentes : les insultes racistes, sexistes, homophobes ou… spécistes.

Les insultes racistes

Les injures racistes traitent un Juif de youpin (ou sale Juif), un Noir de nègre (ou sale nègre), un Arabe de bougnoul (sale Arabe)… On a une bonne idée du statut de ces humains lorsqu’on remarque que pour les attaquer on ne les compare pas à « quelque chose d’autre », mais qu’au contraire on insiste simplement sur « ce qu’ils sont » : youpin signifie Juif, nègre Noir, etc., ces mots étant seulement plus explicitement péjoratifs. De même, « sale » n’est introduit que pour expliciter ce caractère péjoratif, « sale Juif » par exemple ne signifiant pas « Juif de la variété sale », mais « Juif, donc sale ».

Dans la civilisation « blanche », tout Blanc (non Juif, du moins) sera en grande mesure épargné par les insultes racistes : car « blanc » n’est pas dévalorisant. Et je ne serai jamais traité ni de bougnoule ni de nègre, parce que me manquent les signes fondamentaux de cette « différence » qui collent à la peau d’autres et les distinguent négativement2.

Les insultes sexistes

Les injures sexistes qui s’adressent aux humains, elles, ont trait directement à l’appartenance de sexe (la catégorisation de sexe, en homme ou femme) ou prennent pour cible la sexualité (la catégorisation en fonction des préférences sexuelles).

Eh bien, lorsqu’on attaque les hommes directement en tant qu’hommes, on les traite… de femmes : gonzesse, femmelette, sans-couilles… Par ailleurs on les traite aussi, ce qui est plus ou moins censé revenir au même, de « faux » hommes, d’hommes passifs, d’« hommes-femmes » en quelque sorte, en les assimilant à ceux qui n’ont pas la bonne sexualité (celle, masculine standard, qui fait un « vrai homme ») : pédé, enculé, tapette, tante…

Ainsi, bien que j’aie de façon indéniable un pénis, du poil au menton, etc., je peux encore être nié dans ma qualité d’homme : mes caractères physiques ne sont que des présomptions de mâlitude, insuffisantes pour me remiser ad vitam aeternam dans la catégorie « homme ». Il y faut aussi les attitudes dont la société estime qu’elles leur correspondent : virilité, hétérosexualité, courage, dynamisme (caractère actif et individuel), etc. Le fait d’être « un homme » ne semble pas aller autant de soi que celui d’être « un Noir ». Finalement, « homme » n’est pas du tout un attribut aussi « naturel » qu’il semblerait de prime abord …

Par contre, le fait d’être femme l’est clairement plus, « naturel », puisque pour attaquer une femme en tant que telle on ne la traite pas d’homme, mais au contraire, on marque sa non-virilité, c’est-à-dire qu’on la traite en toute bonne logique de… vraie femme (putain, salope, gouine, connasse, pétasse, serpillère). De « vraie » femme, puisque, comme on sait, dans la représentation courante les femmes restent essentiellement mères ou putains, comme l’exprime la caricature machiste : « Toutes des salopes, sauf ma mère ! ». C’est le fait que l’on puisse injurier une femme en la traitant dans le fond simplement de femme3 qui donne le plus clairement la mesure du mépris dans lequel sont tenus la moitié des humains.

De plus, contrairement à celle des « hommes », et comme celle des « Noirs », la catégorie « femme » est censée être « naturelle » : on n’en échappe pas (malgré quelques dérogations limitées, du type « elle a plus de couilles que beaucoup de mecs ») ; nul besoin d’un comportement particulier pour être une femme, le sexe biologique suffit (« on naît femme, on devient un homme »).

Les insultes spécistes

Et, enfin, on peut encore attaquer un humain quel qu’il soit dans son humanité : en le traitant d’inhumain (monstre), d’humain raté (avorton, taré, mongol), ou d’un nom d’animal quelconque : soit chien, porc, âne, cochon… soit chienne, truie, dinde… (ici aussi le sexe reste trop déterminant pour être oublié). Ou bien encore on l’attaquera sur les attributs présumés de l’humanité, principalement la raison (fou), l’intelligence (âne, idiot, bête, imbécile, stupide, débile) ou… l’« humanité » (salaud, monstre, sans cœur).

Là aussi mon humanité, pourtant censée être fondée sur des signes biologiques évidents, peut m’être retirée, notamment si je ne satisfais pas aux critères de comportement requis. Elle n’est pas très « naturelle » non plus, et n’est pas acquise d’emblée…

J’appelle cette dernière classe d’insultes « spécistes », d’une part parce qu’elles s’attaquent à notre identité d’espèce, et d’autre part (mais cela est bien sûr directement lié), parce qu’elles font référence de façon péjorative à d’autres animaux qui sont, eux, dévalués parce que n’appartenant pas à la bonne espèce, celle de référence, l’humaine. L’adjectif « spéciste » est évidemment construit sur le modèle de « raciste » et « sexiste », et l’analogie faite ici est bien pertinente : bien que les humains sachent que les animaux ne parlent pas, les « sale bête ! » ponctuent volontiers les coups de pied d’un « maître » à son chien.

Voilà clos ce rapide tour d’horizon4. Les insultes qui jouent sur les identités sociales sans pour autant reprendre les schémas que l’on vient de voir sont peu nombreuses et visent généralement plus à se moquer (plus ou moins) gentiment qu’à réellement blesser. À peine peut-on encore parler d’insultes : ainsi, les seules qui traitent un humain mâle de mâle (par une référence au signe de mâlitude qu’est le pénis) sont bon-enfant et souvent affectueuses : couillon, cornichon, andouille. Ce sont en fait des variations humoristiques sur le thème de l’injure, qui ne sauraient se prendre véritablement au sérieux.

Insultes et appartenances

Ces différents types d’injures ont en commun d’attaquer l’individu, identifié à une catégorie sociale, dans cette appartenance même ; soit en la niant si son groupe est dominant, soit en insistant dessus dans le cas contraire. Elles l’attaquent donc non en tant qu’individu singulier, mais en niant sa singularité pour ne plus se référer qu’à son appartenance, fictive ou non, reconnue par lui ou non. C’est à travers la catégorie toute entière qui lui est attribuée que l’individu est censé être dévalorisé, et l’insulte ne l’atteint que si (ou parce que) lui-même adhère à cette catégorisation, c’est-à-dire accepte le jeu. Et il faut convenir que… ça marche ! (en notant par ailleurs que la haine, le mépris, la volonté de détruire dont l’insulte est vecteur sont aussi en soi déstabilisants, terroristes.)

Les insultes ont pour effet de verrouiller l’appartenance d’un individu, lorsqu’il s’agit d’un groupe dominé. Cette catégorie (noir, femme, bête…), identifiée à l’aide de « signes » anatomiques, est perçue comme « naturelle » ; l’individu ne peut donc en changer, et les insultes le remettront toujours à sa place. À l’inverse, les critères d’appartenance à un groupe dominant sont ressentis comme moins purement naturels, biologiques ; doivent s’y ajouter des critères de comportement obligatoires sous peine de déchoir et d’être remisé dans une catégorie dominée. Les dominants se perçoivent donc comme une catégorie naturelle et sociale, ou plutôt, comme une catégorie naturellement sociale, les catégories dominées étant, elles, vues comme purement naturelles5.

Paradoxalement cependant, l’appartenance à la catégorie dominante est conçue comme la norme ; puisque le mot « homme » désigne aussi tous les humains, un homme est un homme tout court, et une femme est un homme plus, ou plutôt moins, sa féminitude. L’appartenance à une catégorie dominée est perçue comme faisant relief négativement sur la « bonne » communauté, la normale, celle de référence. Le fait d’être « un Blanc » par exemple est généralement un implicite, non formulé : il correspond directement à l’appartenance à la société, à la civilisation (la vraie !), à l’humanité typique…

Quand l’individu fait partie du groupe dominant, les insultes peuvent remettre en cause cette appartenance. Cela se fait peu pour la race (on traitera rarement un Français bon teint de bougnoul ; les nazis avaient cependant l’expression « enjuivé ») ; s’adressant à un membre de la catégorie la plus « normale » (un humain mâle bon teint), les insultes de loin les plus nombreuses sont celles qui contestent, à travers le comportement, l’identité sexuelle et celle d’espèce. La représentation que nous avons de nous-mêmes semble ainsi construite d’abord sur ces deux identités sociales fondamentales, dans une certaine mesure liées : l’identité sexuée et l’identité humaine, modes de représentation de nous-mêmes socialement imposés, correspondant à des statuts sociaux.

Cela se retrouve également dans nos vêtements et nos aménagements corporels (coupe de cheveux, etc.), uniformes bel et bien obligatoires en pratiquement toutes circonstances. Être vêtu est en soi symbole de notre humanité (obligatoire au moins en public), tout comme l’est la civilisation de notre corps (qu’on arrache à la « pure naturalité » en passant chez le coiffeur, par exemple). Les vêtements doivent en outre obéir à des critères plus ou moins stricts, ceux d’une époque et d’une civilisation, marquant ainsi l’appartenance à une culture donnée, et de façon indirecte encore à l’humanité. Enfin, last but not least, ils doivent être féminins ou masculins, et cela aussi est pour une grande part obligatoire6.

Identités et statuts sociaux

J’entends par identité sociale une image de nous-mêmes qui nous est donnée par notre environnement social à la fois comme nature et comme modèle, à laquelle nous sommes tenus de nous conformer dès la naissance, et à partir de laquelle nous nous construisons : elle façonne notre attitude générale face au monde, face à nous-mêmes comme face aux autres, et nous pourvoit en valeur. Bien qu’elle ne nous détermine pas entièrement et que nous puissions prendre quelques libertés avec elle, il s’agit d’une image sur laquelle nous comptons trop en toutes choses et à laquelle nous sommes trop souvent ramenés par les autres pour pouvoir nous en débarrasser ou simplement en faire abstraction.

L’identité sera l’aspect subjectif du rôle social, et le rôle social l’expression dans les actes (objective) de l’identité. Tout individu a une identité d’espèce, de sexe et de race (et beaucoup d’autres encore, moins fondamentales, moins perçues comme « naturelles »), correspondant chacune à divers rôles sociaux, eux-mêmes liés à divers statuts sociaux. Dire à quelqu’un qu’il est peu humain (« complètement taré ! ») ou qu’il est un animal, qu’il est une femme, qu’il n’est pas de bonne race, peut le blesser sérieusement, et est couramment pratiqué dans ce but. Le fait même que celui qui se fait ainsi verbalement traiter le ressente mal est le signe de son mépris pour les non-humains, pour les individus qui ont un sexe femelle, pour ceux qui sont d’ailleurs.

C’est aussi par contre le signe de son grand respect pour son appartenance à l’humanité, à son propre sexe, à sa propre communauté : quelle mine il fait, si on cherche à remettre en cause cette appartenance ! Et ce genre de pratique qui semble si dénué de sens, si absurde, qui consiste à traiter quelqu’un soit de « ce qu’il est », ou au contraire de « ce qu’il n’est pas », est en fait pris au sérieux par tous, ou peu s’en faut ! Qui, homme ou femme, blanc ou non, homo ou hétérosexuel…, aurait le réflexe d’éclater de rire, et de bon coeur, à s’entendre traiter d’enculé, de pétasse, de sale nègre, de porc ? Non, par-delà le simple fait d’être haï ou méprisé, il s’agit bien en soi d’un mauvais traitement, face auquel l’âme fière pâlira et l’âme moins bien trempée s’empourprera. Une partie de la misère des humains ne se niche-t-elle pas là, dans cette difficulté à prendre une distance par rapport à ces images de soi-même ? Des images qui ne sont d’ailleurs même pas directement de soi, mais seulement du groupe auquel on est socialement identifié ! Quelle rigolade !

En fait, non, ce n’est certainement pas drôle, et ce n’est pas une simple histoire de mots. Rares sont ceux qui peuvent ne pas se sentir concernés ; car derrière les mots se cachent des différences de statut fondamentales, et selon celui qui nous est assigné nous pouvons être propriétaire ou esclave, bon vivant ou bien mort. Homme ou femme, je lirai le journal et rapporterai une paye plus élevée de moitié, ou ferai la vaisselle et torcherai la marmaille. Mâle homo ou hétérosexuel, on me crachera au visage ou je serai l’enseigne de la respectabilité. Humain ou animal (non humain), je jouirai de droits élaborés et ma vie sera sacrée, ou l’on pourra me faire ce que l’on voudra pour n’importe quel motif (comme me plonger vivant dans l’eau bouillante, si je suis classé truite ou homard !). Les mots désignent des réalités, des statuts qui ont une telle incidence sur notre vie et sa qualité, qu’il ne peut être indifférent à quiconque que l’on cherche à rabaisser la catégorie à laquelle il appartient.

Car toujours, dans un conflit, les injures sont potentiellement un premier pas. En assignant verbalement à un adversaire une position de dominé dans le système hiérarchique social (en lui rappelant sa position sociale réelle lorsqu’il s’agit déjà d’un dominé, ou en le ravalant à une catégorie inférieure dans le cas contraire), on le met en demeure de se soumettre ou de se préparer à être traité physiquement comme un dominé, récalcitrant de surcroît : c’est-à-dire, fort mal.

Les insultes, en nous renvoyant brutalement à nos identifications de groupe, renforcent celles-ci (et la hiérarchie entre elles), et ceci tant pour l’insulteur que pour l’insulté. Attaquer par exemple un humain dans son humanité, cela revient en fin de compte à renforcer l’obligation à laquelle je suis moi-même aussi soumis de me conformer à « mon » humanité, qui plus est au détriment des idiots, des handicapés ou des non-humains. Non merci.

Car les identités sociales font référence à des groupes (que j’appelle groupes d’appartenance) auxquels je suis censé appartenir et qui ont de ce fait des droits sur moi, sur mes agissements, etc. C’est pourquoi les insultes ne sont pas un problème en soi, ne sont pas le problème : elles n’en sont qu’une expression. J’aurais pu tout aussi bien parler du ridicule et de la peur qu’on en a si souvent. Les insultes ou la peur du ridicule sont un bon révélateur de notre enfermement à tous dans différentes catégories sociales, qui déterminent notre vie à tous les niveaux, et dont il est très difficile de sortir.

Être blanc, homme, et humain, c’est être inscrit comme dominant sur une échelle hiérarchique qui comprend, donc, aussi des dominés. C’est bénéficier de privilèges, matériels et identitaires…, dont de dominer d’autres, sans soi-même risquer de l’être. Mais c’est aussi toujours avoir sous les yeux l’exemple des dominés, de la façon dont ils sont traités, en sachant que si l’on cesse d’avoir les comportements requis par son groupe d’appartenance, on en sera exclu, et alors éventuellement passible des mêmes mauvais traitements.

Aspects communs des formes de domination

Toujours, les dominations présentent deux aspects, que l’on peut théoriquement isoler l’un de l’autre, mais qui dans la pratique sont souvent indissociables : un que j’appelle matériel (on pourrait aussi dire objectif), et un que j’appelle identitaire (on pourrait dire subjectif). Le premier consiste en une exploitation, une mise à son service du dominé par le dominant, qui vise à en retirer des avantages matériels, par l’utilisation de son corps, de sa force de travail, de son affection, etc. Le second aspect consiste pour le dominant à s’octroyer une valeur positive, supérieure, au moyen d’une dévalorisation du dominé : on ne peut se poser comme supérieur que relativement à autre chose, qu’il faut donc inférioriser, mépriser. Cette valorisation est en soi jouissive, source de plaisir.

Ces deux finalités de la domination sont généralement indissociables : pour plier quelqu’un à sa volonté, l’exploiter, et ceci sans problèmes de conscience graves, il faut l’avoir dévalorisé, avoir cessé de le considérer comme son égal. Mais inversement le fait d’utiliser quelqu’un, de le faire obéir à sa volonté, de l’obliger à devenir un instrument de nos propres besoins (quels qu’ils soient), indépendamment des siens, est une façon très efficace de le dévaloriser, de l’inférioriser, de l’humilier : donc de poser sa propre supériorité. Dans certains cas l’usage de la violence n’aura pas pour but l’exploitation matérielle, mais uniquement la dévalorisation : c’est ainsi que j’explique la consommation de la viande (où c’est l’exploitation matérielle qui a alors pour but la valorisation), et le sadisme des relations de pouvoir en général. De toute façon, que le but soit matériel ou identitaire, la domination s’exercera par la violence, effective ou simple menace explicite voire implicite ; et elle s’appuiera sur une idéologie justificatrice, forme sociale du mépris.

La domination, c’est la valorisation

Dans toutes les sociétés, la supériorité (dominance) sociale s’affirme symboliquement par le monopole, d’une part de l’usage légitime de la violence, et d’autre part, de la possession de biens. L’usage de la violence, et la possession de biens sont des annexes des individus dominants, ils leur sont constitutifs. C’est-à-dire que ce ne sont pas simplement des marques extérieures de leur qualité de dominants, mais des attributs inhérents, qui en font partie intégrante.

Les individus ne sont jamais appréhendés seuls, isolés de tout contexte : ils sont au contraire perçus à travers ce qu’ils ont, qui exprime ce qu’ils sont (ou ce qu’ils sont socialement censés être). C’est que je suis effectivement ce que je possède, ce qui, à des degrés divers, me constitue : mon corps, mes vêtements et autres objets, mais aussi mon caractère, mes projets, mes intérêts, mes sentiments, mon passé, mes relations, etc.7.

La possession de biens, c’est-à-dire, de choses qui sont perçues comme m’étant originellement extérieures, non propres, me permet, par leur annexion, leur appropriation, leur incorporation à mon individualité, de me poser relativement aux autres comme plus ou moins gros, plus ou moins puissant, plus ou moins riche en valeur(s) : ma valeur dépend de ce que je possède (au sens large) et peux faire valoir.

Ce sont bien sûr les biens les plus prestigieux qui confèrent le plus de valeur à leur propriétaire. Dans de nombreuses sociétés, lorsque les conditions s’y prêtent, les biens les plus prestigieux sont d’autres êtres vivants qui sont appropriés, annexés à leur propriétaire : animaux, enfants, femmes, esclaves. Propriétés d’un autre, ces individus n’ont pas eux-mêmes dans les cas les plus extrêmes de propriété du tout, y compris celle de leur corps ou de leurs traits de caractère, et n’existent pas socialement en tant qu’individus, que propriétaires.

Instrumentalisés, les dominés reçoivent des attributs d’instruments. Un tournevis est fait pour visser, fait par le fabricant. Une femme de même est faite pour faire des enfants, etc. : mais par qui ? Sa fonction procréatrice n’est pas façonnée par un humain ; c’est donc un troisième partenaire qu’on introduira, un partenaire complice, qui fait les femmes pour les hommes comme il pourrait aussi faire pour eux, mais ne fait pas, des tournevis : ce partenaire, c’est la Nature. Ainsi les dominés en général sont-ils naturalisés, faits par nature pour faire ou subir ce qu’ils sont obligés de faire ou subir8.

L’autre versant de l’idéologie, qui en est l’exact contrepoint, concerne alors les dominants : ceux-ci se retrouvent valorisés, investis d’une valeur égale à celle dont sont dépossédés les dominés, individualisés à la mesure même de la dés-individualisation que subissent les appropriés, et enfin se posent, eux, comme étant leur propre fin : ils existent pour eux-mêmes, par eux-mêmes, etc.

La valorisation à travers les appartenances

Je n’ai jusqu’à présent parlé de la domination que sous un angle individuel (la domination d’un individu par un autre, visant à une exploitation matérielle et à une annexion identitaire). Mais, même si ce point de vue individuel n’est pas incompatible avec l’angle social, il reste insuffisant si l’on ne recourt pas à une analyse des rapports de l’individu à sa société, à son groupe d’appartenance.

Les rapports d’appartenance des individus sont contraints socialement, c’est-à-dire que, même si nous y trouvons plus ou moins notre compte, il existe une très forte pression sociale à nous conformer aux comportements correspondant au groupe auquel nous sommes censés appartenir. Mais nous trouvons aussi des avantages à cette socialisation : les diverses appartenances qui nous sont imputées nous donnent une sorte de contenu (on est homme, femme, humain… : c’est notre identité), assorti d’une valeur qui sera plus ou moins grande selon les appartenances en question, mais aussi selon la façon dont nous gérons le rôle (avec plus ou moins de brio et de conviction…).

Or, schématiquement, les groupes d’appartenance s’opposent deux à deux, selon un modèle dominant/dominé : blanc/non-blanc, homme/femme, humains/animaux ; ce modèle dominant/dominé correspond également grosso-modo aux dichotomies valorisé/dévalorisé, social/naturel, libre/déterminé…

C’est que la domination d’un groupe, d’une catégorie sociale, d’une classe, sur un-e autre, lui permet de procurer une identité, fonctionnelle socialement bien sûr, mais également valorisante, à ses membres : et elle lui permet de fonder sa cohésion, car cette identité et sa valeur, qui sont pour les dominants un privilège, leur sont communes et doivent être conquises et défendues contre ceux à l’encontre desquels elles s’établissent. Ce sont donc en grande partie leurs intérêts communs qui fondent la cohésion du groupe des dominants, qui assurent qu’ils se soumettront à leur fonction-statut social, étant entendu que pour ceux d’entre eux qui refuseraient de s’y soumettre, par exemple en remettant en cause la domination de leur groupe, il y a la réprobation-répression-pression sociale, qui peut être ouvertement contraignante, et aller jusqu’à la mort, l’exclusion ou la rétrogradation au statut de dominé, en passant par la ridiculisation. C’est ainsi que je m’explique que les insultes qui attaquent des dominants dans leur identité d’hommes ou d’humains se baseront volontiers sur leur non-adéquation aux comportements imposés par leur propre groupe.

Pour les dominés, il n’y a pas besoin du tout (ou moins besoin, c’est selon les cas) d’une cohésion de groupe (qui pourrait se révéler dangereuse pour les dominants) : c’est directement la contrainte exercée par les dominants qui jouera le plus grand rôle dans le fait que les dominés restent à leur place inférieure et exploitée9 : c’est ce qui c’est passé pour les esclaves ou les indigènes des colonies, pour lesquels c’est la terreur plus que la propagande (dont faisait tout de même partie la christianisation) qui assurait la sujétion. C’est aussi la terreur plus que la propagande qui a assuré tant bien que mal la soumission du prolétariat aux conditions atroces des débuts de la révolution industrielle10.

Toujours est-il que c’est la domination sur un autre groupe qui crée subjectivement le groupe dominant en tant que tel (et également le plus souvent matériellement, parce que c’est l’exploitation des dominés qui fonde très concrètement les conditions de vie des dominants). Ses membres se considèrent comme égaux (les aristocrates anglais s’appellent des « Pairs », par exemple), c’est ce qui les distingue des autres ; ils sont égaux : cela signifie qu’ils sont investis, à peu de choses près, de valeurs égales ; qu’ils ont accès aux mêmes privilèges (relativement aux dominés), dont le plus important consiste sans doute justement à se traiter les uns les autres de façon égale. La meilleure façon de se rendre palpable le caractère distinctif de cette égalité consiste logiquement à la mettre en contraste avec l’inégalité de traitement qui est l’essence des rapports de domination, et qui est réservée aux dominés11.

Se livrer, donc, à des pratiques collectives humiliantes, dégradantes, dévalorisantes envers les dominés sera une bonne façon de resserrer les liens des dominants, de mettre en relief et leur rappeler les privilèges qu’ils partagent aux dépens des autres. Les pratiques en question sont celles qui vont instrumentaliser les dominés, et elles seront d’autant meilleures si elles font appel plus explicitement à la violence

L’analyse des insultes, de la logique qui leur est sous-jacente, nous montre que lorsqu’un homme insulte une femme en tant que femme, il se pose en contrepoint comme homme, comme « appartenant » à la catégorie des hommes, qui est alors clairement exprimée comme valorisée-valorisante. Lorsqu’un homme en insulte un autre en lui refusant sa qualité d’homme (en refusant de reconnaître son « appartenance » à cette catégorie), il se pose lui-même encore comme homme en valorisant cette « appartenance ». Quand un humain en traite un autre de non-humain (animal, sous-humain, etc.), il se renforce lui-même dans cette « appartenance », etc.

Or, il se passe la même chose lorsqu’on quitte le niveau verbal pour gagner celui des actes : lorsqu’on maltraite quelqu’un, on le dévalorise aussi en se valorisant soi ; s’il s’agit d’un dominé, c’est alors une façon de bien inscrire son « appartenance » à lui à un groupe dominé, de la lui rappeler tout en se « prouvant » ainsi son « appartenance » à soi à un groupe dominant. Et si c’est un égal que nous maltraitons, nous lui faisons ainsi quitter la sphère des égaux, et nous assurons par contre que nous, nous en faisons bien encore partie.

À ce niveau, on peut mettre sur un plan d’équivalence des pratiques aussi diverses que le fait pour des garçons de siffler des filles, que les viols collectifs ou individuels, les ratonnades (d’homos ou d’immigrés…), les spectacles où des animaux vont être tués à coups de pierre ou autres (corridas…), ou encore le fait de manger de la viande12.

… Les premières confortent les hommes dans leur « appartenance » à la classe des hommes, et confortent la valeur qui est associée à cette appartenance, les secondes confortent les humains en général (et plus encore, parmi eux, les hommes) dans leur appartenance à l’Humanité, en confortant simultanément la valeur qui lui est associée.

Mon propos est que la lutte contre les dominations passe donc aussi par la lutte contre les appartenances et les identités, puisque les dominations jouent un rôle de valorisation des identités et des appartenances des dominants, et que c’est là une de leurs raisons d’être.

Une loi récente par exemple interdit toute atteinte à la « dignité humaine » : je pense qu’un tel « attentat » (non pas à la dignité d’un individu, bien sûr, mais à celle de l’Humanité) est nécessaire, qu’il est un des axes que doit prendre la lutte pour l’égalité de tous les animaux ; car, une dignité humaine n’a de sens qu’en tant qu’elle est exclusive, qu’elle est dignité des seuls humains. Je ne vois pas sur quoi se base une telle valorisation de notre humanité… ou plutôt, malheureusement, je ne le vois que trop bien.

Yves Bonnardel

Ce texte a été publié initialement dans Les cahiers antispécistes n°12 (avril 1995). Merci à Yves Bonnardel pour l’autorisation de la reproduction. 

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