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Quantox : l’art d’accommoder le mot quantique à toutes les sauces

Il y a une pléthore de dérives autour des notions de « quantique ». Surinterprétations, incompréhensions, entretiens de faux mystères… À en croire certains articles, le monde de la physique quantique ressemblerait à celui de Matrix.
Cet article explique comment je m’y suis pris pour élaborer ma conférence et mon enseignement sur ce que j’ai appelé l’art d’accommoder le quantique à toutes les sauces, que j’ai présenté pour la première fois au colloque du GEMPPI (Groupe d’Etude des Mouvements de Pensée et de Prévention de l’Individu), à l’hôpital de la Timone, à Marseille, le 3 octobre 2009. J’encourage tout-e enseignant-e à s’en inspirer et à l’améliorer. Je précise que cette conférence a été pensée pour un public qui n’a jamais fait de physique.

Dans cet article seront abordés sommairement quelques éléments des théories quantiques et de leurs avatars pseudoscientifiques, puis une série de concepts physiques plutôt malmenés. Nous aborderons le problème des surinterprétations dont ce domaine est l’objet, puis quelques exemples de détournements idéologiques pouvant avoir des conséquences graves. Enfin, nous tenterons de cerner des responsabilités, et il faudra se rendre à l’évidence que les médias de vulgarisation jouent un rôle non négligeable dans la diffusion de pseudo-information. 

Note 1 : cet article a été publié en juin 2011 dans le Bulletin de l’Union des Physiciens (BUP Vol. 105 N°935 pp 679-700). La version publiée, un peu plus « froide » et moins illustrée que celle du site, est téléchargeable ici.

Note 2 : le tout a fait l’objet d’un livre, Quantox, Mésusages idéologiques de la mécanique quantique, paru en janvier 2013 aux éditions book-e-book.com, Collection : Une chandelle dans les ténèbres.

 

Introduction

La mécanique quantique est la théorie scientifique qui, en mêlant dans l’esprit du public science, fiction, complexité et mystère, créé probablement l’un des plus forts complexe d’infériorité intellectuelle. Ceci a au moins deux conséquences directes. La première est de laisser croire que de se pencher sur la physique actuelle est réservée aux génies, aux cerveaux et que le profane devra se contenter de vulgarisation plus ou moins hasardeuse. La seconde, plus tragique, est la prolifération des emplois abusifs du mot quantique, que ce soit dans le champ des pseudosciences, du paranormal ou de certaines thérapies discutables. C’est lorsque le mésusage du quantique s’est développé dans certaines dérives aliénantes ou sectaires que le GEMPPI s’est emparé du problème, et m’a demandé de développer simplement… ce que n’est pas le quantique. Cet article est tiré de la conférence faite à l’Hôpital de la Timone, à Marseille, le 3 octobre 2009, devant un parterre de grand public et de thérapeutes. Il développe tous les concepts abordés ce jour-là, avec la panoplie d’outils critiques nécessaires et les documents que j’ai choisi d’employer, pour donner à tout enseignant souhaitant aborder la possibilité de s’en inspirer.

Démarche critique

Il ne s’agira pas ici d’étudier la MQ elle-même, bien entendu, mais bien de voir en quoi les mauvaises interprétations de la théorie sont récupérées par une petite gamme de pseudo-sciences qui dévoient la théorie et entraînent des dérives à forte consonance sectaire. Et comme je vois la démarche critique zététique comme une forme d’éducation populaire, je vais présenter ce que j’ai dit pendant la conférence, en mettant à disposition toutes les diapositives et les documents dont je me suis servi, ceci afin que quiconque le souhaitant, enseignant ou non, puisse reprendre mon outillage ou s’en inspirer.

Dans la première partie, je donnerai une définition vague de ce qu’on entend par quantique. Dans la deuxième, j’aborderai les concepts développés par les « récupérateurs » du quantique. Je consacrerai une troisième partie à un retour sur les images culturelles et les idées reçues sur le quantique les plus ressassées dans les médias. Une quatrième partie tentera de montrer les dérives idéologiques et parfois sectaires que ces images culturelles sur-interprétées peuvent servir, tandis que dans la dernière partie, j’essayerai de montrer que la faute ne revient pas forcément à qui l’on croit.

Pour être totalement dénué de mathématiques, je resterai à fleur du sujet, faisant parfois de grossiers raccourcis, en espérant que les puristes de la discipline ne me lapideront pas à coups de quantons. Je donnerai à la fin quelques liens vers des œuvres ou ouvrages qui poussent le bouchon un peu plus loin. Car il n’y a pas besoin d’être spécialiste en physique quantique pour déjouer une grande majorité des pièges qu’elle tend.

1. Théories quantiques

Feynman plaisantait

Comment ai-je commencé ma présentation ? Par une brève histoire : ma première diapositive montrait les grands visages sévères des fondateurs de la mécanique quantique, tous du XXe siècle. Bohr, Fermi, Heisenberg, Planck, Pauli, Einstein, et en gros plan, Richard Feynman.

Feynman, physicien états-unien décédé en 1988 est un peu plus récent que les autres. Il reçut le prix Nobel en 1965, et devint surtout célèbre pour ses qualités pédagogiques et son humour. altMais il a été aussi l’artisan du mythe de la MQ en déclarant cette phrase devenue célèbre :

« Je peux dire de manière sûre que personne ne comprend la mécanique quantique1 ».

Quand un expert d’un domaine nous dit que personne – même lui – n’y comprend goutte, cela calme les ardeurs d’aller se frotter à la théorie. Et quand ils sont plusieurs à le dire, on frise l’apoplexie. Niels Bohr, par exemple :

« Ceux qui ne sont pas choqués quand ils rencontrent pour la première fois la théorie quantique ne l’ont probablement pas comprise »,

ou John Wheeler, récemment décédé :

« Si vous n’êtes pas complètement désorienté par la mécanique quantique, c’est que vous ne la comprenez pas ».

Revenons à Feynman : sa phrase, aussi belle soit-elle, est purement marketing et ne veut pas dire grand chose. On pourrait tout à fait écrire aussi « Je peux dire de manière sûre que personne ne comprend la théorie de la gravitation » car c’est tout aussi vrai. Certains épistémologues nous rassureraient en nous disant que de toute façon, la science n’a pas pour objet de comprendre, mais de décrire, et en ce sens, la MQ propose une description ultra-précise des phénomènes sur lesquels elle se penche. Que demander de plus ? Pourquoi alors Feynman a-t-il dit cela ? Probablement parce que la MQ, on va le voir, a ceci de particulier qu’elle est parfois contre-intuitive, c’est-à-dire que ce qu’elle décrit ne ressemble pas vraiment à ce que l’on voit tous les jours. Entre nous, ça ne doit pas pour autant engendrer une grande déférence : la vie des cloportes, la survie des pandas sont aussi contre-intuitives, et personne n’est complexé pour autant devant un spécialiste des cloportes ou des pandas.

Donc foin de complexe ! Oublions la phrase de Richard Feynman.

Quantique, c’est le beurre en plaquettes

Qu’est-ce donc que la MQ ? Aussi surprenant cela soit-il, ce n’est pas si terrifiant. Quantique vient de quantum, qui veut dire petite quantité. Jusqu’au début du XXe siècle, les notions physiques étaient des notions continues. Continu veut dire qu’on peut envoyer valser un objet avec une vitesse de 150 kilomètres à l’heure, de 151, de 150,5, 150,45 ou 150,9999999, bref toutes les valeurs que vous voulez. CorteX_plaquettes_beurrePareil pour la chaleur, la température, la conductivité, la force, etc. Or advint une gamme d’observations de phénomènes qui obligea les physiciens à considérer que dans le monde des particules, à une échelle minuscule, il y a des notions qui ne sont pas continues et font des petits sauts de valeur, comme des sauts de puce. Pour faire une analogie, disons que chez le crémier, vous pouvez acheter une valeur continue de beurre (par exemple 147,52 grammes) alors que dans le monde quantique, vous êtes, comme chez l’épicier, contraint d’acheter par plaquettes de 250 ou 500 grammes. Comme ces notions font des sauts, on parle de phénomène quantique, « qui fait des sauts ». C’est tout ? C’est tout.

N’est pas quantique qui veut

On parle alors de mécanique quantique, – au sens mécanique de description du déplacement (comme dans « mécanique céleste »). On parle de théorie quantique aussi, qui est plus vaste, car elle englobe d’autres aspects dont nous n’avons pas besoin ici, comme la théorie quantique des champs. On parle également de chimie quantique, lorsqu’on utilise la MQ pour comprendre comment des propriétés chimiques naissent entre les atomes. En toute rigueur, mécanique n’est pas le meilleur terme, puisqu’il implique qu’on étudie vitesse et position, ce qui n’est pas tout à fait possible (cf. chap. 3). Physique quantique serait la formulation la plus juste : mais Mécanique Quantique est plus utilisé par les récupérateurs du quantique. Quant à Physique Quantique, cela donnerait PQ, ce qui fait tout de suite moins sérieux.

Depuis quelques temps en France, on voit naître le mot quantique dans des endroits saugrenus. Cette tendance remonte aux années 80 aux États-Unis, mais elle est plus récente en France et offre des surprises de taille. Nous entendons par exemple parler de « thérapies quantiques », dont traitent de plus en plus d’ouvrages aux titres fleuris, au premier rang desquels se trouvent en pagaille ceux de Deepak Chopra, le gourou de la santé, initiateur de ce courant et auteur de Le corps quantique, Trouver la santé grâce aux interactions corps/esprit (2003) ; mais on trouve également L’ADN et le choix quantique, de Kishori Aird (2005), Médecine, le grand tournant vers la médecine quantique, de Simone Brousse (2004) et B.A-BA Médecine quantique, de Jean-François Mazouaud (2007).

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Les thérapies revendiquant une notion « quantique » portent parfois d’autres noms, comme l’Holoanalyse ou la Reconnexion.

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Il arrive même que ces ouvrages, bien achalandés, soient rangés au milieu des livres de physique dans les grandes surfaces. En parallèle est née toute une gamme de produits quantiques, c’est-à-dire des objets qui revendiquent la MQ pour prouver leur efficacité. Entre autres des lasers quantiques thérapeutiques, des physioscans quantiques, des couvertures quantiques et des patchs quantiques, comme ceux de Lifewave, qui ont pour slogan la puissance de la science quantique de demain associée à l’acupressure millénaire (sic !).

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Une sorte de foirfouille du quantique s’est donc peu à peu créée, noyant le client/patient dans une cacophonie de sollicitations dans lesquelles il va falloir essayer de s’y retrouver.

2. Concepts

On peut recenser trois grands domaines, hors sciences physiques, dans lesquels le quantique est utilisé. Il y a le champ des thérapies dites quantiques, les voyances quantiques et une branche qu’on pourrait qualifier de paranormal quantique. Comme nous allons le voir, les concepts utilisés par les nouveaux théoriciens quantiques ne sont pas très nombreux. Ils se chevauchent tous un peu, et empruntent au quantique sensiblement les mêmes images, les mêmes lieux communs. Cela va grandement nous faciliter la tâche.

Thérapies quantiques

Dans le champ des thérapies, voici les notions centrales développées par D. Chopra, le plus célèbre des défenseurs de la médecine quantique. Ces notions sont sensiblement les mêmes chez tous les « thérapeutes quantiques ».

1. La physique quantique permet d’expliquer une « communication intercellulaire ».

2. La dualité onde-particule de la MQ (cf. 3 Surintérprétations) est une analogie de la dualité en soi, entre le corps et l’esprit. Si l’on prend en compte cette dualité, on peut réveiller des énergies nouvelles, fortement curatives.

3. Le principe d’incertitude d’Heisenberg, grand pilier de la MQ (cf. 3 Surintérprétations) montre que la science n’est pas suffisante pour tout connaître, et qu’il faut trouver un paradigme complémentaire. Chopra propose en l’occurrence l’Ayurveda, qui est une combinaison religieuse de textes sacrés qui édictent des principes (comme les cinq éléments ou les trois doshas) pour atteindre un bien-être durable.

4. L’observateur a un rôle dans le monde quantique, donc l’observateur peut influer sur la matière, donc la conscience peut influer sur la matière, donc l’observateur peut décider sa guérison.

« Dualité », « incertitude », « inter-cellularité » et « observateur qui peut influer sur la matière » : quatre images très courantes, souvent répétées, et couramment reprises. Quatre images qui se marient très facilement avec d’autres pseudo-médecines : exemple pris chez Jean-Louis Garillon, « docteur » en naturopathie (voir ci-dessous Documentation). On apprend qu’en vertu de la MQ, matière et onde sont une seule et même chose, et qu’un organe sain émet une vibration précise que la fatigue, le stress ou la maladie viennent dérégler. Or, grâce à la MQ, chaque cellule contient l’information de tout l’organisme. Par conséquent, il suffit d’agir par résonance sur l’organe, grâce à l’aromathérapie, pour redonner la bonne fréquence, réparer les données altérées et ré-harmoniser tout l’organisme. C’est beau comme du Prévert, et c’est raconté en vidéo sur Internet. Mais est-ce vrai ?

Voyances quantiques

Le quantique vient également servir le monde de la voyance et de quelques autres capacités présumées du psychisme humain. On lit fréquemment sur la toile des choses comme :

– « [La MQ montre] qu’au niveau de l’infiniment petit, les particules se moquent de l’espace… mais aussi du temps linéaire » (http://www.guidedelavoyance.com/)

– Il existe une autre dimension du réel où les relations de cause à effet seraient purement et simplement abolies, et qui ainsi expliquerait que des esprits particuliers puissent capter des choses échappant au commun des mortels. À ce niveau, est généralement convoqué à citation un auteur spiritualiste, parfois Trinh Xuan Thuan, mais généralement le défunt Olivier Costa de Beauregard, avec des phrases du type :

« [une autre dimension] qui imprégnerait tout l’univers, en reliant entre eux les points les plus éloignés aussi bien que les plus proches et dans un temps qui rassemblerait passé, présent, futur dans un même instant immuable et comme immobile… L’éternité, en somme, telle que s’appliquent à la définir les catéchismes de la plupart des grandes religions ».

– Il serait donc possible pour les voyants, grâce à leur mystérieux 6ème sens empruntant cette dimension, de deviner le futur et le passé dans le présent.

« Paranormal » quantique

Question paranormal, les concepts sont sensiblement les mêmes. Par le principe d’incertitude de Heisenberg, l’observateur fait corps avec le système mesuré, ce qui implique que tout système physique serait donc en relation holistique avec tout l’Univers. Cette cohésion universelle cachée, cette intrication (cf. chap. 3) permettrait ainsi que tout changement quantique dans un système donné implique un changement quantique dans un autre, ce qui expliquerait par exemple les actions à distance.

Ainsi, les phénomènes de psychokinésie et de Poltergeisten

« ne seraient que le résultat inévitable d’un transfert de K-quanta entre le système conscient qu’est le sujet psi et se système fait de l’objet mobilisé psychiquement ».

CorteX_13_JPGirardJean-Pierre Girard, célèbre psychokinète français spécialisé dans une prétendue torsion des métaux par l’esprit, a tenté lui aussi dans son Essai de théorisation du phénomène P.K, d’impliquer la MQ :

« L’élaboration d’une théorie ressortant du domaine de la mécanique quantique et de l’interaction Esprit-Matière est tout à fait cohérente, si je pose le postulat que la Conscience est capable de faire collapser la fonction d’onde

C’est absolument séduisant. Mais comme se le répète le zététicien, le soir dans son lit à baldaquin : les yeux du cœur ont mauvaise vue.

3. Surinterprétations de la MQ

 

Je vais me cantonner à battre en brèche les interprétations abusives courantes sur cinq des objets culturels les plus cités de la MQ : la formule E=mc2, la dualité onde-corpuscule, le principe d’incertitude de Heisenberg, le chat de Schrödinger et l’intrication quantique.

E=mc²

Célébrissime équation, E=mc² ne relève pas vraiment de la MQ – au contraire, elle pose encore des problèmes d’intégration à la théorie CorteX_14_E_mc2_biographiequantique. Mais peu importe, elle est incessamment brandie à tort et à travers. Elle est perçue comme l’aboutissement du génie humain, capable en une sorte de théorie du tout, de résumer le monde en quelques lettres. J’utilise à ce niveau de l’exposé un court extrait du docufiction E=mc² biographie d’une équation, de Johnstone Gary (2005).

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Outre l’image un peu facile et très exploitée médiatiquement d’Einstein comme symbole de l’intelligence humaine, cette équation laisse penser principalement deux choses. D’une part, que tout est énergie ; d’autre part que toute énergie est matière.

Prises comme telles, ces interprétations engendrent plusieurs représentations fausses. Tout est énergie, par exemple, nous laisse penser que toute matière est convertible en énergie, et comme le facteur c² est immense, (c est la vitesse de la lumière) tout corps, en particulier le corps humain, renferme une quantité d’énergie incroyable qu’il faudrait apprendre à utiliser. Une masse même petite comme 1 gramme possède potentiellement une quantité énorme d’énergie (environ cent mille milliards de joules, de quoi largement faire des millions de biscottes).

Le monde ne se plie pas à nos exigences

Ce qui est rarement précisé, c’est qu’il s’agit d’une équivalence entre la masse et l’énergie « de masse », purement calculatoire, et on ne peut pas passer de l’un à l’autre directement. Il y a d’autres lois qui montrent qu’on ne peut espérer convertir la matière en énergie suivant cette formule. Un peu comme si, en regardant les icebergs du Groenland, on imaginait combien de parcelles de déserts on pourrait arroser.

Penser que la matière recèle autant d’énergie vient à l’appui de toutes les croyances postulant des énergies mystérieuses, que ce soit dans le champ des interactions personnelles, des capacités extraordinaires ou dans le domaine thérapeutique. E=mc² sert de viatique pour appuyer l’idée, par exemple que les énergies vitales et curatives existent matériellement – ce qui semble accrédité par l’idée que toute énergie est matière. Ce qu’on conclut trop vite, c’est que même si l’énergie (au sens physique) a une équivalence avec la matière, cela ne rend pas matérielle et physique les énergies des médecines énergétiques, par exemple, qui n’ont que le mot énergie en commun. Voici par exemple ce que l’on peut lire chez Jean-Marie Bataille, dans Le biomagnétisme humain :

« Partant du principe d’Einstein démontrant que la matière est de l’énergie, nous sommes tous capables avec les énergies électromagnétiques qui sortent de nos mains de créer un plasma énergétique immatériel, pour le transformer en cellules biologiques matérialisées ».

Hélas (je dis bien hélas, car j’aimerais bien que ce soit vrai), l’équation d’Einstein n’est en rien un gage de l’existence d’énergies auto-proclamées, et encore moins une caution de techniques comme l’utilisation des mantra.

« Einstein formula sa fameuse équation E = mc2, et en accord avec la pensée moderne scientifique qui dit que chaque molécule est issu de l’énergie d’une vibration, chaque atome, at-Om, provient de la vibration primordiale qui est symbolisée par OM » (www.omsweetom.com).

Lire ceci doit nous encourager à la méfiance. Même si cette équation ne relève pas du quantique, E=mc² est importante, et explique par exemple pourquoi lors de certaines collisions de masse de l’énergie peut être libérée, ou de la masse créée. Mais il ne faut pas se servir de ce qu’on croit avoir compris pour accréditer ce qu’on aimerait qu’il soit vrai. Comme il se dit souvent en philosophie des sciences, le monde et sa réalité ont peu tendance à se plier à nos exigences.

La dualité onde-corpuscule

La dualité onde-corpuscule est le deuxième des objets culturels dévoyés. Il part d’une bizarrerie physique des objets micro-microscopiques (tout petits, quoi) : ces objets possèdent des propriétés d’ondes ET de corpuscules : je mets ET en majuscule pour bien souligner qu’à l’échelle macroscopique, celle de notre vie de tous les jours, ces deux descriptions sont parfaitement incompatibles. Une onde, c’est un déplacement de déformation, comme des ronds dans une flaque d’eau, mais la matière ne bouge pas. Un corpuscule, c’est un grain de matière. Or il n’y a pas d’objet présentant des caractères ondulatoires et des caractères corpusculaires en même temps.

Plus surprenant encore, il semble que le comportement de ces objets se comportent soit comme une onde, soit comme un corpuscule, selon comment l’observateur cherche à les observer. Un document vidéo que j’utilise ici est une partie animée montrant l’expérience des fentes d’Young tirée de What the bleep do we know (cf. Documentation).

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Fentes d’Young, What the bleep do we know

Cela lança le festival des interprétations abusives, qui fleurirent comme la mandragore sous les gibets. Elles entretinrent, et entretiennent encore des idées reçues, dont voici les trois plus graves : la matière est duale ; la matière obéit à l’esprit de l’observateur ; et la MQ rompt avec un déterminisme froid et lugubre.

L’ornithorynque quantique CorteX_16_double_nature_ornithorynque

Que la matière soit prétendue duale est une manière de parler qui a permis à de nombreux spiritualistes (personnes qui postulent que l’esprit n’est pas réductible à la matière, et qu’il existe des entités, comme l’âme qui échappent à la description des sciences) de faire des ponts faciles avec des courants religieux. On y lut la dualité corps-esprit, commune aux religions monothéistes. On a cru y trouver aussi une preuve de la dualité dite orientale, type bouddhiste ou hindouiste, qu’on se représente souvent sous la forme de la boule noire et blanche Yin-Yang. Pourquoi ces ponts avec les courants spirituels, aussi séduisants soient-ils, sont-ils trompeurs ? Parce qu’il n’y a pas de réelle dualité de la matière. C’est une dualité de description seulement. Prenons une analogie rigolote : l’ornithorynque. Imaginons qu’un explorateur du XVIIIe siècle en Australie, tombant face à face avec la bestiole, veuille le décrire : il dira vraisemblablement que cet animal ressemble à un canard. Imaginons maintenant un second explorateur, le voyant de dos, ou de loin : l’animal ressemble plus volontiers à quelque chose proche d’une taupe. Mais l’ornithorynque n’est ni une taupe, ni un canard. CorteX_15_OrnithorynqueC’est un ornithorynque (qu’en anglais on appelle d’ailleurs duck-mole, canard-taupe). On ne parlera pourtant pas de « dualité canard-taupe » ! On dira qu’il existe un autre animal, qui n’est ni un canard, ni une taupe, mais qui selon comment on le regarde, ressemblera au canard ou à la taupe. Il ne viendra pas à l’idée du lecteur d’y voir un pont avec le Yin et le Yang (merci à J-J. Lévy-Leblond, à qui je crois devoir cette analogie).

Pour la MQ, c’est pareil. Les modèles d’objets microscopiques ont des propriétés et d’onde, et de corpuscule, ce sont de nouveaux modèles d’objets.

Un autre exemple facile à utiliser est le cylindre : si son ombre est projetée selon son axe principal, elle sera ronde.

Si son ombre est projetée de côté, elle aura l’air carré. Personne ne dira néanmoins que le cylindre est une dualité carré-cercle.

CorteX_17_Dualite_cylindre

Le cylindre est-il à personalité multiple ?

La matière n’a pas pour but de nous faire plaisir

Puisqu’on étudie l’objet quantique comme une onde, il se comporte comme une onde. Si on le souhaite corpuscule, il se plie à notre exigence. De là à conclure que la matière obéit à l’esprit, il n’y a qu’un entrechat rapidement franchi. Reprenons l’exemple du cylindre : si on le regarde de face, on le voir rond ; de côté, on le voit carré. Se plie-t-il à notre exigence pour autant ? Nous touchons là un point sensible de la MQ : le langage. Si les enseignants et les vulgarisateurs s’astreignaient à ne plus parler de dualité onde-corpuscule, mais simplement d’un nouvel objet, qu’on appellerait par exemple quanton2, alors les dérives interprétatives seraient plus limitées, de même que l’ornithorynque a été distingué rapidement de sa dualité canard-taupe.

Le déterminisme et les fossoyeurs empressés

Le déterminisme est la théorie selon laquelle la succession des événements physiques est due au principe de causalité. On l’illustre souvent par cette parabole : si on pouvait connaitre toutes les positions et les vitesses de tous les fragments de matière de l’univers à un moment précis, on pourrait potentiellement connaître leur position et leur vitesse à n’importe quel moment ultérieur. En gros, connaître la position et la vitesse de toutes les particules du chanteur Carlos à un moment donné aurait pu permettre de prédire ses chansons-phare, comme Big Bisou ou Tirelipimpon sur le chihuahua.

Le déterminisme est un peu le croquemitaine de la philosophie des sciences : beaucoup craignent que si déterminisme il y a, alors tout est prédéterminé, le libre arbitre s’évapore, nous ne serions plus que des machines dont même les créations les plus artistiques et les plus sensibles ne seraient que le résultat d’une immense équation. La frayeur qu’exerce sur le pape Benoît XVI la théorie de l’évolution est de cet ordre. Très récemment, en décembre 2009, il écrivait :

(…) lorsque la nature et, en premier lieu, l’être humain sont considérés simplement comme le fruit du hasard ou du déterminisme de l’évolution, la conscience de cette responsabilité [de l’exploitation de l’environnement] risque de s’atténuer dans les esprits. Au contraire, considérer la création comme un don de Dieu à l’humanité nous aide à comprendre la vocation et la valeur de l’homme.

Situation en faux dilemme : soit on accepte le déterminisme, et on perd sa responsabilité dans le combat écologique, soit on le refuse, et on retrouve la valeur de l’humain. Cette peur du déterminisme est tellement sur-employée comme un levier rhétorique qu’elle a également amené N. Sarkozy à la dénoncer lui aussi dans son livre La république, les religions, l’espérance (pour une analyse de ce livre, voir ici). Pour résumer, qui refuse les religions et opte pour l’athéisme tombe dans le déterminisme le plus froid, source de toutes les désespérances, et donc d’une frange des délinquances. Raisonnement magique, mais très efficace.

Bref, qui veut tuer le déterminisme l’accuse de la rage. Mais l’enjeu est de taille : qui montre la fin du déterminisme impose d’introduire une nouvelle variable non physique, une volonté immanente, une main invisible. Et comme on nous bassine de dualité onde-corpuscule, l’idée de dualité matière-esprit aidant, la question de Dieu et de ses avatars est réintroduite (ce qu’on appelle couramment une intrusion spiritualiste) au nom du libre-arbitre dans la science, par tous les orifices, si vous me passez l’expression. La MQ, semblant montrer que la matière avait plusieurs facettes dont certaines sensibles à la volonté de l’observateur, devient tout à coup la « preuve » que le déterminisme est mort. Des livres entiers ont chanté cette fin du déterminisme – je pense notamment à certains livres de Jean Staune et de l’« Université » Interdisciplinaire de Paris.

Imprévisible n’est pas indéterministe

Or, n’en déplaise aux grincheux, le problème est sensiblement le même que précédemment : le monde physique est comme il est, et non comme on voudrait qu’il soit. Et rien ne montre que la MQ n’est, heureusement ou non, pas déterministe. Le débat étant vite complexe sur cette question, je vous renvoie si vous êtes curieux à l’excellent document de Jean Bricmont qui détaille un peu ce problème (La mécanique quantique pour les non-physiciens, cf. Documentation). Contentons nous en attendant d’insister sur un seul point : ce n’est pas parce que quelque chose est imprévisible qu’il est indéterministe.

Je m’explique. Prenons le tirage du loto, chaque soir. Le tirage est imprévisible, au sens où il est peu probable de tomber sur la bonne série de nombre parmi les millions de possibilités. Mais le tirage est déterministe : si nous avions la position et la vitesse de toutes les boules, nous pourrions potentiellement suivre les trajectoires de chacune et trouver le bon résultat. Autre exemple : le temps qu’il fera dans une semaine est difficilement prévisible, mais entièrement déterministe. L’équation centrale de la MQ, l’équation de Schrödinger, tout comme les équations de Navier-Stokes qui régissent les turbulences météorologiques, sont des équations 100% déterministes. Imprévisible ne veut pas dire mort du déterminisme – par conséquent n’est en rien une occasion de réintroduire Dieu, ou un dessein intelligent qui guiderait le monde vers un but prédéfini à l’avance.

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Points communs entre l’équation de Schrödinger et le loto : imprévisibilité mais déterminisme.
 

Relation d’incertitude de Heisenberg

Au tout début le la MQ, un brillant physicien du nom de Heisenberg posa ce qu’on commença à appeler le principe d’incertitude. C’était en 1927. Il s’écrit Delta X Delta P ge {hbar over 2}.

La signification de ce que disait Heisenberg est qu’il n’est pas possible d’imaginer un environnement expérimental permettant de définir la position (ici X) et et la vitesse (ici P, la quantité de mouvement) de façon aussi précise que l’on veut, car vitesse et position n’ont pas de sens en même temps dans le monde quantique. Oui, c’est bizarre, mais c’est ainsi.

Pressentant qu’il allait être mal compris, Heisenberg transforma vite incertitude en indétermination, mais la traduction en anglais le devança, et installa durablement le terme incertitude. Beaucoup y virent alors un simple problème de mesure, un peu comme vouloir mesurer la taille d’un atome avec un double-décimètre. Mais c’était plus compliqué que cela ; ce n’est pas l’observateur qui n’a pas les outils adéquats, et quand bien même il les aurait, que le problème serait toujours là : il ne pourrait pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Ou, pour faire toucher du doigt le type de problème : si on veut savoir si une allumette marche, il faut l’allumer – mais une fois grattée, on ne sera pas plus avancé.

Il s’agit bien d’une indétermination. Et comme Heisenberg l’a prouvée, le fameux principe devient donc en toute rigueur un théorème. Par conséquence, si l’on souhaite être précis, il faut parler de théorème d’indétermination de Heisenberg.

Car « principe d’incertitude » a eu un effet désastreux sur le public. Les conclusions tirées furent bien sûr : la fin des mesures, la Nature inconnaissable en soi, la fin des certitudes, et donc celle du déterminisme, que nous avons déjà abordé. Et qui dit fin des certitudes dit que « tout se vaut », et nous fait sombrer dans le relativisme cognitif complet (pour plus de détails, on pourra lire Sokal et Bricmont, Impostures intellectuelles, cf. Documentation).

Il suffira d’insister sur quelques points pour sortir du bas-côté. Rappelons que la MQ est totalement déterministe. Rappelons aussi qu’elle a une précision inégalée dans ses prédictions, ce qui bat en brèche l’idée que tout se vaut. Ordinateurs, lasers, diodes, quoi qu’on en pense, sont autant de preuves d’applications de cette redoutable précision.

Il faut aussi se méfier du transfert de phénomènes du champ microscopique au champ macroscopique. Imaginez un petit dessin tout moche, prélevé sur une frise : la beauté artistique ne nait que de la frise, c’est-à-dire l’agencement de dizaines de motifs les uns par rapport aux autres, mais le motif tout seul, lui peut être tout à fait hideux. Voyez ? La beauté de la frise nait en prenant du recul. La couleur est aussi un peu le même principe : elle ne naît que parce que beaucoup d’atomes prennent la forme d’un objet, c’est une propriété macroscopique. Néanmoins, un atome seul, même de carbone, n’a pas vraiment de couleur.

Dans le sens inverse, c’est pareil : plus les objets sont gros, moins les effets spécifiques de la MQ se font sentir, ce qui fait que pour décrire notre monde usuel, la physique classique est pratiquement exacte. Donc rêver de transférer la (pseudo)dualité onde-corpuscule, ou l’idée d’une (pseudo)incertitude fondamentale de la connaissance, à notre monde, est aussi saugrenu que, disons, de conclure de l’observation des amibes que nous pourrions nous aussi nous reproduire de la même façon si nous faisions un effort (*).CorteX_20_DvCauwelaert

(*) En 2004, D. Van Cauwelaert, auteur à succès, m’a soutenu le plus sérieusement du monde lors du festival Sciences Frontières la thèse suivante : à la manière des salamandres, si nous nous faisions amputer d’un membre et empêchions ensuite la cicatrisation, alors le membre repousserait de lui-même. C’est le courage qui, selon lui, manque aux scientifiques pour essayer.

Le Chat de Schrödinger

L’affaire – car c’est une affaire – du chat de Schrödinger est un incontournable de la MQ. Sans cesse vulgarisé, ce chat, ne lui en déplaise, est une vraie poule aux œufs d’or. Voici l’histoire, mais je vais faire un petit détour nostalgique.

Si vous avez fait le lycée – ce qui n’est pas nécessaire du tout pour notre propos – vous vous rappelez peut être cette secousse qu’on peut vivre au lycée quand on étudie les équations du 2ème degré (les ax²+bx+c=0, ce genre de truc affreux) : on nous apprend que les solutions existent si le discriminant est supérieur ou égal à 0, mais qu’elles n’existent pas si le discriminant est négatif. Or, un an plus tard, en terminale, on nous révèle que ces dernières existent tout de même, mais ne sont pas « réelles », comme si elles étaient dans une autre dimension, un autre domaine de nombres ! Ça crée une sorte de déflagration cérébrale, assez perturbante.

En MQ, le plus difficile à saisir est que la description du monde qu’elle propose passe par l’utilisation d’outils mathématiques appelés des fonctions d’onde, et qui décrivent les objets non par des mesures, mais par des amplitudes de probabilité. Je passe sur les détails, mais il faut savoir qu’une fonction d’onde peut donner une description de son objet non plus dans un certain état ou un autre, – par exemple ON / OFF – mais d’une superposition de deux états, c’est-à-dire ON et OFF plus ou moins en même temps. Et c’est seulement lorsqu’une mesure va être faite que l’état de l’objet va bifurquer, se figer, en ON ou en OFF. Un atome peut se retrouver par exemple dans un état quantique superposé, à la fois intact et désintégré, qui ne sera tranché en intact ou désintégré qu’à partir du moment où quelqu’un va venir le regarder. On se croirait devant la Licorne Rose Invisible, qui disparait dès qu’on la regarde !3

Chat de Schrödinger vs chat de Cheschire

Pour illustrer ce problème, Erwin Schrödinger, semble-t-il inspiré par le chat d’Alice au pays des merveilles, a imaginé une expérience dans laquelle un chat est enfermé dans une boîte avec un dispositif qui tue l’animal dès qu’il détecte la désintégration d’un atome d’un corps radioactif. Schrödinger imagina un détecteur de radioactivité type Geiger, relié à un interrupteur provoquant la chute d’un marteau cassant une fiole d’acide cyanhydrique liquide sous pression – une fois le flacon brisé, le liquide se vaporise, devenant un gaz mortel qui dessouderait le chat. C’est cruel, n’est-ce pas ? Pour la petite histoire, Einstein, lui proposa un baril de poudre pour faire sauter le chat, ce qui n’est guère plus gentil.

Si les probabilités indiquent qu’une désintégration a une chance sur deux d’avoir eu lieu au bout d’une minute, la CorteX_21_Wanted_chat_SchrodMQ indique que, tant que l’observation n’est pas faite, l’atome est simultanément dans deux états (intact/désintégré). Or le mécanisme imaginé lie l’état du chat (mort ou vivant) à l’état des particules radioactives, de sorte que le chat serait simultanément dans deux états (l’état mort et l’état vivant), jusqu’à ce que l’ouverture de la boîte (l’observation) déclenche le choix entre les deux états. Du coup, on ne peut absolument pas dire si le chat est mort ou non au bout d’une minute. On dit que le chat est mort-vivant, ce qui plaira aux amateurs de films d’horreur. Mieux, on dira plus précisément que le chat est (|mort> + |vivant>)/√2 ce qui, il faut l’avouer, peut empêcher de dormir un moment. 

Mort-vivant ?

Qu’est-ce qui cloche ? Notre intuition nous dit que les phrases « le chat est mort » et « le chat est vivant » ne peuvent être vraies en même temps. Mais dans le monde quantique, il existe une troisième possibilité : le chat peut être dans un état de superposition, dans lequel il cumule plusieurs états classiques incompatibles. Il n’y a pas de problème logique, c’est juste qu’un objet quantique peut avoir des propriétés contredisant notre expérience quotidienne. C’est l’utilisation du chat, macroscopique, qui fout le bazar, car cette superposition d’état n’existe pas hors du monde microscopique, et dans le monde quantique, vie et mort perdent leur sens (comme la notion de couleur, abordée précédemment).

En résumé : continuer à utiliser le chat est un stratagème pédagogique efficace, mais source de mauvaise interprétation. 

Je passe sur les implications de ce problème, qui sont immenses : elles donnent des théories interprétatives fort nombreuses et très stimulantes intellectuellement, dont certaines tendent vers la science-fiction (comme la théorie des multi-univers d’Everett). Parmi ces théories, il y a une sorte de courant spiritualiste posant la conscience, voire l’âme, comme le paramètre faisant bifurquer la superposition quantique. De bons scientifiques, généralement mus par des velléités religieuses ou spirituelles, ont été séduits par cette interprétation sexy, et y ont donné une audience tenant plus à leur goût personnel qu’à la scientificité des hypothèses. Quant aux médias, ils y trouvèrent un tonneau sans fond sur la question des réconciliations science-religion, avec des figures médiatiques servant complaisamment cette soupe, de Hubert Reeves à Trinh Xuan Thuan, de Bernard d’Espagnat aux Bogdanoff. En corollaire, on a pu voir naître avec l’avènement d’Internet tout un tas de sites utilisant cette « puissance de l’esprit » dans les phénomènes physiques – l’exemple le plus parlant étant certainement celui de Jean-Pierre Girard (cf. Chap. 2).

N’oublions pas ceci : la superposition des états ne décrit pas tant la réalité que seulement ce qu’on en sait. Au fond, peu importe pourquoi, ce qui compte, c’est que la description de la MQ rende bien compte des phénomènes. C’est tout ce qu’on lui demande.

Intrication et téléportation quantiques

Vous en êtes désormais convaincu, le monde quantique est bizarre. Et dernière grosse bizarrerie, l’intrication quantique.

Si on se rappelle bien l’histoire du chat, un objet quantique peut être en quelque sorte dans deux états superposés. L’intrication quantique désigne le fait qu’un système formé par deux objets doit être décrit globalement, sans pouvoir séparer un objet de l’autre bien qu’ils puissent être séparés et fortement éloignés. En gros, c’est comme si on séparait le blanc du jaune d’un œuf, que le blanc servait à faire une meringue, et le jaune à dorer une chouquette, et qu’en agissant ensuite sur la chouquette, on transformait… la meringue. À l’état macroscopique, ça n’est plus valable. Mais entre deux atomes liés qu’on casse en deux et qu’on éloigne, il se passe un peu la chose suivante : comme si une immense tige se tendait entre les deux atomes, et qui faisait qu’en tournant le premier atome d’un demi-tour, on faisait automatiquement tourner l’autre atome, même très très loin. Sauf que la tige n’existe pas. C’est cela qu’on appelle l’intrication : on ne peut pas raisonner sur deux objets différents, mais sur le système formé par les deux objets même s’ils sont séparés.

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Le document vidéo  que j’utilise en présentation est tiré du film What the Bleep do we know, down the rabbit hole, et présente de manière très visuelle l’intrication, même si le but ultime du film est l’interprétation holistique mystique.

[dailymotion id=xkrzy4]

 

Là encore, on retrouve la cohorte des interprétations les plus métaphysiques : tout est lié en un immense cosmos ; une action sur une partie crée une action sur tout ; agir sur une cellule crée un effet sur tout le corps ; actions à distance et capacités psychiques de guérison seraient donc possibles, etc.

Les médias là encore n’ont pas contribué à calmer les esprits en parlant de téléportation quantique. Bien sûr, le terme est vendeur, et nous transporte dans le monde des fictions et de Retour vers le Futur. Mais il ne désigne rien d’autre que ce que nous abordions avec l’action par la tige. Imaginons le système formé par les deux faces d’une pièce de monnaie. Imaginons que nous séparions les deux côtés, et qu’on les éloigne, très loin. L’un des côtés montrerait pile, l’autre à des milliers de kilomètres, montrerait face. Ce qu’on appelle téléportation quantique est le fait que tourner l’un des côtés va automatiquement tourner l’autre côté : celui qui était pile devient face, et celui qui était face devient pile. Super, non ?

CorteX_25_Chaseism_piece (Photo : Chase Ism)

 

Mais ne nous méprenons pas : contrairement à ce qu’affirme le courant spiritualiste, ce n’est pas l’esprit, l’âme ou la conscience qui crée le lien entre les deux objets, c’est la structure de l’espace qui fait ça, et qui crée ce qu’on appelle des variables non-locales (elles ne sont pas collées à l’objet). Il ne s’agit pas non plus du système des deux objets qui a don d’ubiquité et peut être en deux endroits à la fois.

L’erreur principale vient du mot téléportation. Nous imaginons tous qu’il y a transfert de matière dans ce processus, comme dans la téléportation du savant dans La Mouche de D. Cronenberg, mais ce n’est pas le cas.

Grand jeu : entre ces deux téléportations, l’une n’est pas une vraie téléportation. Sauras-tu dire laquelle ?

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La Mouche, D. Cronenberg (1986) vs. Christopher Monroe, University of Maryland


 

Le phare d’Ouessant

CorteX_28_phare_nuit

Pour montrer cette nuance, laissez-moi vous narrer l’histoire d’un phare breton. Imaginons-nous sur l’île d’Ouessant, avec le phare qui promène un faisceau de 100 mètres de long, à la vitesse d’un tour par seconde. Un petit calcul ̶ le seul de cet article – montre que l’extrémité du faisceau de lumière va parcourir en une seconde un cercle de 100 m de rayon, soit un périmètre de 2∏R = 2∏x100 mètres par seconde. Ce qui donne 628 mètres / seconde.

Imaginons qu’on équipe le phare d’un projecteur plus puissant, qui permet de faire un faisceau cette fois d’un kilomètre. Le même calcul montre que la pointe du faisceau se promènera donc à la vitesse de 2∏x1000 par seconde, soit 6280 mètres / seconde, ce qui équivaut à plus de 22000 km à l’heure.

Imaginons un phare archi-méga-ultra puissant, qui projette de la lumière maintenant à 50000 km. La pointe du faisceau atteindra alors la vitesse de 2∏ x 50 000 kilomètres par seconde, soit… 314 000 km/s. Nous avons alors dépassé l’indépassable, c, la vitesse de la lumière ! (qui est de presque 300 000 km/s). Comment est-ce possible ?

C’est très simple : la vitesse de la lumière est indépassable, ce qui signifie qu’une particule quelle qu’elle soit ne pourra jamais dépasser cette vitesse. Or, le cas du archi-méga-phare est un peu comme celui d’une Ola dans un stade : ce n’est pas parce que l’information Ola fait le tour du stade en quelques secondes que les gens qui se lèvent et se rassoient battent un record de vitesse. Ce qui se promène ici à une vitesse plus grande que c n’est pas une particule, c’est l’arrivée décalée de nombreuses particules après 50 000 km de route. Encore une autre image : un arroseur à jet d’eau, qui fait psshht pshhht sur les pelouses, peut tourner à la vitesse qu’il veut, ce ne sont pas les mêmes gouttes qui forment le cercle.

Cela nous fait donc deux bonnes nouvelles.

CorteX_29_Signal_travaux_nuitLa première est que si vous faîtes le pari avec quelqu’un, vous pouvez lui démontrer, avec un phare, ou mieux, avec des plots lumineux de chantiers par exemple qui s’allument consécutivement, qu’on peut faire en sorte que quelque chose (en l’occurrence une information, et non un objet) dépasse la vitesse de la lumière. Pas mal, non ?

Gagnez votre pari en montrant qu’avec des plots lumineux de chantier une information peut dépasser la vitesse de la lumière.

La seconde est que ce n’est pas parce qu’une information circule très vite ou instantanément qu’il y a téléportation. Je vais m’arrêter là, car je ne voudrais pas rendre complexe le débat, mais cette nuance est tout à fait importante à saisir.

4. Détournements idéologiques

Pourquoi avoir pris toutes ces précautions ? Vous pourriez me dire qu’au fond, il ne s’agit que de vendre une panoplie d’outils pseudoscientifiques, de gadgets comme il y en a tant, rien de plus.

Et pourtant… Tout d’abord, il y a ces fameuses thérapies quantiques, dont on attend les preuves de leur efficacité. Nous savons que dans les cas de maladies graves et rapides, il n’y a guère le temps de faire plusieurs choix thérapeutiques. Aussi vanter une thérapie dont on n’a pas la preuve de la validité peut être synonyme d’aggravation, ou de décès4.

Il y a aussi une mise en garde profonde à faire sur les déviances de type sectaires. Pour illustrer mon propos, je reprends les trois exemples disponibles dans le célèbre documentaire What the bleep do we know, down the rabbit hole.

Masaru Emoto

Emoto est un chercheur autodidacte japonais, diplômé en médecine alternative par l’Open International University for AlternativeCorteX_30_Emoto_Peace_project Medicine d’Inde qui étudie les effets de la pensée et des émotions sur l’eau. Au moyen d’études fortement entachées de biais qu’il n’a ni reproduit sous contrôle, ni publié dans une revue scientifique à comité de lecture, il avance qu’on peut changer la structure de l’eau, et créer des cristaux particuliers, simplement en écrivant sur la bouteille des émotions, comme amour, haine, etc. Hélas, la notoriété de ses travaux dépasse largement leur qualité. Il est aujourd’hui président de l’institut de recherche d’IHM Corporation, ainsi que président du Project of Love and Thanks to Water, et son mouvement prend des contours de plus en plus sectaires.

Project of Love and Thanks to Water, de Masaru Emoto

Dans le documentaire, on voit une exposition d’images tirées de la pseudoscience d’Emoto, et un commentaire disant en substance :

« Si une telle action est possible sur l’eau (sachant que notre corps est composé de 95% d’eau) imaginez l’action possible que cela pourrait représenter sur nous-mêmes. »

Avec des si, on peut dire beaucoup de choses. Et c’est le physicien mystique Amit Goswami, connu pour ses tentatives de réconciliation de la science avec l’Advaita Vedanta et la Théosophie, qui vient conclure ainsi :

« Mais si la réalité est constituée par les possibilités de ma conscience (…) je peux créer moi-même la réalité. Cela peut sembler une théorie nébuleuse d’un adepte du New Age qui ne comprend rien à la physique. Mais c’est ce que nous enseigne la mécanique quantique ».

Voici un des documents utilisés pendant la conférrence, pour donner un exemple d’interprétation « mystiquantique » d’A. Goswami en vidéo.

[dailymotion id=xksv3o]

Malheureusement, ce n’est pas vraiment ce que nous enseigne la MQ. En attendant, on apporte de l’eau (cristal) au moulin d’Emoto, ainsi qu’aux mouvements recensés par la commission parlementaire sur les sectes en France et qui reprennent ses postulats, comme la Fraternité Blanche Universelle5.

[dailymotion id=xkswkq]

Autre exemple : validation des théories sur l’eau-cristal de Masaru Emoto par la MQ

 En mai 2012, nous avons challengé les prétentions d’Emoto avec des étudiants de l’Université de Grenoble 1 (voir ici).

L’effet Maharishi

CorteX_31_Maharishi_Mahesh_YogiLe deuxième exemple est celui de l’« effet Maharishi ». On entend John Hagelin, de la Maharishi University, décrire comment le taux de criminalité de Washington D.C. fut abaissé durant deux mois par 4000 praticiens de la Méditation Transcendantale, et là encore, c’est la MQ comme porteuse d’un nouveau mode de conscience et de rapport au monde qui est sollicitée.

[dailymotion id=xksw18]

Présentée comme cela, on a envie de serrer John Hagelin dans ses bras et de rejoindre ses rangs de méditants, comme le firent en d’autres temps les Beatles6.

Seulement l’expérience n’en était pas une : pas de comparaison réelle des taux, taux de réduction variable, pas d’analyse en double-aveugle, pas de groupe-témoin, bref, une pseudo-expérience ce qu’il y a de plus navrant sur le plan protocolaire, qui lui a d’ailleurs valu, rappelons-le, le prix IgNobel (pour les études les plus stupides) en 1994.
 
 

Une propagande anti-médicament

CorteX_32_What_the_bleepLe meilleur est pour la fin dans le documentaire What the bleep : la femme qui sert de fil conducteur a le regard perdu, et admire la ville et ses lumières. Défilent alors plein d’« experts » qui ont parlé de quantique dans le film.

Goswami : « Pour reconnaître le moi quantique, le lieu où l’on a vraiment le choix, pour reconnaître l’esprit, quand survient ce glissement de perspective, on parle d’illumination ».

Intervient alors Jeffrey Satinover, « psychanalyste » (ce qui n’est pourtant pas un titre validant un contenu théorique précis – voir à ce sujet ici) :

« La mécanique quantique permet au phénomène intangible de la liberté d’être amalgamé dans la nature humaine ».

Goswami à nouveau :

« la physique quantique est en réalité la physique des possibilités. La question est de savoir qui a ces possibilités et qui choisit parmi elles pour nous donner une expérience donnée. La seule réponse satisfaisante et qui a un sens est que la conscience est le fondement de toute existence ».

Et tandis que notre héroïne, épuisée, s’endort sur un banc, sont vantés les avatars, Jésus et Bouddha. Puis retentit un discours décousu de Judy Zebra Knight, alias Ramtha (possédée par l’esprit de Ramtha), dirigeant la plus célèbre école de channeling mediumnique d’Amérique, – dont, sachons-le, les trois producteurs du documentaire sont des élèves.

Au matin dans une musique synthétique New Age, l’héroïne se réveille, fraîche et dispose, s’étire devant le fleuve, met sa main à la poche, et y retrouve une boîte de ce que l’on présume être des anxiolytiques. Alors elle réfléchit, puis prend la boîte et, au ralenti, les yeux fermés, lance ses médicaments dans une poubelle comme signe de sa délivrance. Tout cela grâce à la mécanique quantique.

[dailymotion id=xksw59]

Extrait N°7 – propagande anti-médicament


 

5. La « faute » à qui ?

Qui incriminer ? Que faut-il faire pour éviter un tel dévoiement des concepts quantiques à des fins marketing ou idéologiques ?

Au premier degré d’analyse, on tend à penser que les individus non scientifiques ou pas spécialistes sont certainement charmés par les notions séduisantes des thérapeutes quantiques qui, telles des sirènes, les emmèneraient vers leur perdition : la faute reviendrait alors à Deepak Chopra et ses épigones, – dont dire qu’ils en font un commerce serait une litote : car pour Chopra, on devrait parler d’industrie. Le monsieur pèse autour de 15 millions de dollars7.

Toutefois, si l’on pousse l’analyse à un degré de plus, on se rend vite compte que malgré quelques opportunistes utilisant sciemment le marketing quantique comme d’autres l’ADN végétal, une frange non négligeable de ces thérapeutes est sincère dans sa démarche.

De quelle manipulation alors les « quantocs » du quantique seraient-ils donc le jouet ?

La source du problème est dans les médias

J’ai ma petite hypothèse, depuis mes recherches sur les médias. Pour m’en rendre compte, il m’a fallu prendre le problème là où il démarre, avec cette question simple. Quand est-ce que l’homme ou la femme du monde, comme mon oncle par exemple, entend parler de MQ ? La réponse est : soit dans les revues type Sciences & Avenir et Science et Vie en kiosque ; soit lorsque les frères Bogdanoff passent à la télé.

Or, si l’on regarde de près quels types de représentations de la MQ nous donnent les revues de vulgarisation, on retrouve… exactement les mêmes interprétations abusives qu’abordées précédemment. En clair, thérapeutes comme patients potentiels baignent dans le même flot d’information quantique mysticoïde.

  • La grande énigme du quantique enfin résolue ? Le paradoxe du chat de Schrödinger (Sciences & Avenir)
  • La physique quantique rend-elle fou ? (Science & Vie)
  • L’ultime secret de la physique quantique enfin dévoilé – l’expérience qui montre comment la matière devient réelle (Science & Vie)
  • Méditation quantique – explorer les espaces parallèles grâce aux dernières découvertes scientifiques (L’Initiation)
  • Mécanique quantique, l’erreur d’Einstein (La Recherche)
  • La Vie serait quantique ! Les révélations des physiciens sur l’ADN (Science & Vie)
  • Plus vite que la lumière – les nouvelles expériences qui défient Einstein (Science & Vie)
CorteX_33_Couv_HSSAv_Chat_Schrod CorteX_34_Linitiation_1_Meditation_Q_couv CorteX_35_la_Rech_418_Erreur_Einstein_2008

CorteX_36_Pourquoi_esprit_guerit_corps

CorteX_37_SV_defi_Einstein_0997_oct2000

CorteX_38_SV_MQrend_fou_1097_fev2009

CorteX_39_ultime_secret_quantique CorteX_SV_la_vie_serait_quantique  

Effet Coupe-faim

Lire que la MQ est un pont vers le Nouvel Age, fait toucher les limites du réel ou amorce une révolution de conscience est un phénomène addictif : le média annonce quelque chose qui crée la soif, l’appétit : un titre comme « La mécanique quantique chamboule-t-elle notre représentation du monde ? » a des vertus apéritives.

Le dossier présenté ensuite remplira en quelque sorte le rôle de coupe-faim intellectuel, qui nous rassasie pour un instant. Pour un instant seulement car il suffit d’une discussion un peu élevée avec un spécialiste pour se rendre compte qu’il nous manque encore pas mal de choses, et notre cerveau a encore besoin de manger ! Mais qu’on se rassure, il ne passera pas un mois sans voir réapparaître dans les kiosques la question quantique dans l’une ou l’autre des revues de vulgarisation, généralement jouant sur les mêmes objets culturels.CorteX_Raider_2doigts

Le résultat : un article de Sciences & Avenir est à la théorie quantique ce qu’une barre chocolatée est à la tortillade de fruits de mer en sauce. Un coupe-faim.

L’illusion de la science sans peine

Les médias nous entretiennent vite dans l’illusion d’avoir compris l’essence même de la théorie, et ce sans effort. Une sorte de « science sans peine ». Et comme la vulgarisation scientifique fonctionne ainsi à coups d’images simples et de métaphores, il arrive qu’on prenne le messie pour une lanterne et la métaphore pour argent comptant. Ne reste alors dans l’esprit de mon oncle que la métaphore, que le scénario médiatique qui a assuré le succès commercial ̶ en général, le titre de la couverture du journal. C’est cela qui peut le mettre à la merci des quantocs. C’est dans ce terreau-là, dans cette illusion d’avoir cerné la théorie quantique, que des marchands de soin, de rêve, ou de métaphysique viennent planter les graines de leurs propres « théories quantiques ».

Boucle médiabolique

Tout ceci pourrait être représenté comme le fruit d’une boucle « médiabolique », qui consisterait en ceci : le journaliste, souvent pigiste et précaire, qui tient à son poste, veut complaire à sa rédaction, dont le but principal est de vendre. Or pour remplir cet objectif, il faut plaire au public, l’allécher avec des couvertures séduisantes, l’attirer. Et pour cela, tous les ressorts sont bons, de l’émotion, de l’insécurité, du scoop plus ou moins bricolé, du mystique et du paranormal. Et comme le public est lui-même déjà baigné dans cet univers, il ira chercher les revues dont les couvertures empruntent les idées qu’il a déjà – que la MQ est vraiment bizarre, ou que la physique n’a plus de sens. Et tant pis si les sciences y sont torturées, c’est un pis-aller. Ce qui donnera raison au pigiste et à sa rédaction, etc. etc. Une sorte de mercantilisation globale de l’information scientifique.

Alors la faute ? Elle ne reviendrait pas à quelqu’un en particulier, mais à un système qui prend d’abord pied sur la précarité des journalistes et la visée purement commerciale des revues.

Non à la marchandisation de l’information scientifique

On m’a reproché d’être un peu sec avec la vulgarisation scientifique. J’assume, c’est effectivement le cas. D’une part parce que personne ne le fait – le vulgarisateur jouit, comme l’humanitaire, d’une aura de respectabilité en soi. D’autre part parce que tant que la vulgarisation répondra plus à un enjeu commercial qu’à un enjeu d’éducation populaire, il y aura une mercantilisation des théories. On pliera les connaissances au bon vouloir de l’audience, on laissera les Bogdanoff remplir nos fantasmes, et Yves Coppens malmener la paléoanthropologie pour que ses docu-fictions se vendent mieux.

Pour finir, si je ne devais insister que sur un point, ce serait celui-là : une théorie scientifique, c’est comme une langue vivante.

  • Soit on en ignore tout, mais on en est conscient : par conséquent aux questions sur le sujet on répond qu’on ne sait pas et on fait le deuil d’un avis éclairé sur le domaine.
  • Soit on bosse le lexique de base, les phrases-type : on sait qu’on n’est pas spécialiste, mais on n’est pas dupe, et au moins pourra-t-on se débrouiller dans les cas urgents.
  • Soit on maîtrise la théorie. Mais cela demande du boulot, d’autant plus que la langue/théorie est exigeante. Rien d’impossible, bien sûr. Comprendre la MQ, c’est comme lire du chinois. C’est possible, mais ça prend du temps.

Alors message aux vulgarisateurs : faire croire aux gens qu’en trente secondes et deux couvertures de Sciences & Avenir ils sauront tout sur la physique quantique est non seulement leur mentir, les asservir avec de la soap-science qui s’auto-entretient. Mais il y a pire : une mauvaise vulgarisation peut contribuer à les mettre à la merci des imposteurs et colporteurs quantiques de toute sorte.

Nous avons tous une responsabilité dans cette boucle médiabolique. L’information scientifique est la nourriture de l’esprit critique et des choix éclairés : et de même qu’on décrie la malbouffe, il est primordial de refuser la malinformation.

Richard Monvoisin

Merci à Dominique Bocher, du CLEPT Grenoble, pour ses judicieuses remarques, ainsi qu’à Jean Bricmont, de l’Univ. Louvain.

 

En complément, voici l’avis de Julien Bobrow, sur la « nature quantique » du jugement humain, l’emploi de « quantique » en sciences humaines, et sur les médecines quantiques, extrait de la Tête au carré sur France Inter du 17 juin 2014. Précisons qu’il n’y a pas qu’en Angleterre qu’on parle de Quantox : en France aussi (c’est le titre du livre de R. Monvoisin).

Télécharger


 

1 Dans R. Feynman, The Character of Physical Law (1965) Chapitre 6.

2 Et ceux qui les étudient s’appelleraient des quantonniers, hé hé, on rigole bien dans le monde quantique.

3 Adresse du culte : http://filer.case.edu/~bct4/

4 Pour d’autres remarques sur ce thème, j’ai écrit un article dans les Actes du colloque national « Science, pseudo-sciences et thérapeutiques déviantes », GEMPPI, 2006 disponible ici.

5 On peut en savoir plus avec cette Petite histoire fraternelle, blanche et universelle (POZ N°36 mai 2007, p.7).

6 J’avais narré l’histoire dans lesChroniques zétético-musicales N°02 sur George Harrisson (POZ N°23 juin 2008,p.11).

7 Chopra a gagné le prix Ig Nobel 1998 des études les plus ridicules, « pour son interprétation unique de la physique quantique et de ses applications à la vie, la liberté et la quête du bonheur » (http://improbable.com/ig/winners/).

Documentation

Comme promis, je mets à disposition toutes les ressources que j’ai utilisées.

Vidéos

Livres & articles

Pour pousser plus loin la réflexion, voici quelques lectures tout à fait profitables :

  • Jean Bricmont et Hervé Zwirn, Philosophie de la mécanique quantique, Vuibert (2009).
  • Jean Dubessy, Guillaume Lecointre, Jacques Bouveresse, Intrusions spiritualistes et impostures intellectuelles en sciences, Syllepse, 2ème édition (2003)
  • Richard Feynman, Le Cours de physique de Feynman, tome 3 – Mécanique quantique, Dunod (2003)
  • Jean Dubessy, Guillaume Lecointre, Marc Silberstein, Les matérialismes (et leurs détracteurs), Syllepse (2003)
  • Alan Sokal et Jean Bricmont, Impostures intellectuelles, Odile Jacob (1997)
  • Sven Ortoli, Jean-Pierre Pharabod, Le cantique des quantiques, La découverte Poche (1998)
  • Confusion quantique, la physique moderne confirme-t-elle le paranormal ?
  • (En anglais) Stephen Barrett, A few thoughts on Ayurvedic Mumbo-Jumbo, Quackwatch.com

(Vous trouverez plus de détails sur une bonne partie de ces livres dans BiblioteX).

Pour un œil critique sur le documentaire What the bleep do we know, down the rabbit hole, (en anglais) :

Vous avez créé votre propre cours sur le sujet ? Ecrivez-moi.
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Effet probabilité Inversée

L’effet probabilité Inversée est une manière trompeuse de présenter les chiffres en jouant sur les probabilités conditionnelles. Notre collègue physicien Florent Tournus a écrit en 2008 un article pour l’Observatoire zététique intitulé « Inconditionnel des probabilités conditionnelles« , si clair que que nous le reproduisons ici. Merci à lui !

Note : un groupe de doctorants-moniteurs du CIES de Grenoble a réalisé en 2010 un Zétéclip sur cet effet. Voir ici.


Les chiffres sont souvent utilisés à des fins de manipulation, de marketing par exemple (les fameux prix en 99 euros ou 99 centimes [1]). Tout le monde le sait, ce n’est pas un scoop. Et pourtant, même en le sachant, il est difficile de ne pas se laisser influencer, de ne pas tomber dans certains « pièges ». Essayer de garder un regard critique sur les chiffres qu’on nous présente (sondages etc.) demande une vigilance permanente. Je voudrais aborder ici un sujet qui, bien qu’éloigné du « paranormal », permet d’exercer son esprit critique : les probabilités ou proportions qui sont données de manière à être interprétées à tort, à créer un fort impact. Cet impact s’appuie sur une mauvaise perception des chiffres avancés, par ce que j’appellerai un effet de « probabilité inversée ».
L’exemple peut-être le plus fameux, mais aussi le plus caricatural – ce qui fait que personne ne tombe (il faut espérer) dans le piège de la « probabilité inversée » – est ce slogan de la Française des jeux : « 100 % des gagnants ont tenté leur chance ». Telle quelle, cette phrase n’apporte en fait aucune information [2] : si on a gagné, c’est forcément qu’on a joué ! Du coup, évidemment, personne n’a gagné sans avoir joué. De manière amusante, on pourrait aussi prendre comme slogan « 100 % des perdants ont tenté leur chance », mais c’est moins vendeur… Ce qui intéresse le joueur, ou le joueur potentiel que la Française des jeux espère appâter, c’est la probabilité de gagner sachant qu’il a joué, et pas la probabilité inverse, c’est-à-dire celle qu’il ait joué sachant qu’il a gagné ! En notation mathématique, si on note A l’événement « je gagne » et B l’événement « je joue », la première probabilité s’écrit [3] P(A/B) qui se lit « probabilité P de A, sachant B » et la seconde P(B/A). Ces probabilités sont appelées probabilités conditionnelles [4]. Vous le voyez tout de suite, P(A/B) n’est absolument pas égal à P(B/A) [5] : la probabilité que je gagne sachant que j’ai joué est extrêmement faible, tandis que la probabilité que j’aie joué sachant que j’ai gagné est de 1 (c’est-à-dire 100 %).
L’effet de « probabilité inversée » est donc le suivant : prendre (à tort) la probabilité de A sachant B, comme probabilité de B sachant A. Bien que ces deux probabilités soient liées, la donnée de l’une d’entre elles (sans autre information) ne permet pas de connaître l’autre. Au mieux, procéder de la sorte n’apporte aucune information réellement utile, au pire cela relève d’une sorte de manipulation : on sait pertinemment quelle est la probabilité qui intéresse le public visé, mais on lui fournit la probabilité de la situation inverse. Dans tous les cas, on n’a pas donné l’information espérée mais on a créé une impression de l’avoir (au moins de manière qualitative).
Prenons un exemple moins trivial de slogan avec « probabilité inversée », que l’on a pu voir sur les panneaux d’autoroutes : « Pas de ceinture : 2 morts sur 5 ». Quel est le but d’un tel message ? Il s’agit clairement d’inciter à mettre sa ceinture de sécurité, en faisant croire que ces chiffres montrent que l’on a bien moins de chances de mourir lorsqu’on porte sa ceinture que lorsqu’on ne la porte pas. Certains auront même vite fait de penser que deux personnes sur cinq qui ne mettent pas leur ceinture meurent  [6]. « C’est faux mais ce n’est pas grave, ça devrait les inciter à mettre leur ceinture » doivent penser les personnes à l’origine de la diffusion de ce message. Remarquons tout d’abord qu’on se doute bien, sans avoir besoin de chiffres, que la ceinture de sécurité protège un minimum ! Ça, c’est du qualitatif. Quant à l’aspect quantitatif, on a l’impression que ce message nous l’indique. Or il n’en est rien, comme on peut s’en rendre compte en regardant de plus près.
J’ouvre une parenthèse. Dans cet exemple, je ne suis même pas convaincu que l’effet « probabilité inversée » fonctionne très bien. On peut en effet convaincre quelqu’un (avec un raisonnement biaisé) que si deux morts sur cinq n’avaient pas mis leur ceinture, alors trois morts sur cinq avaient bien mis leur ceinture [7]. Ceci signifie qu’il y a plus de morts avec ceinture que sans, et donc (c’est là que le raisonnement est faux !) qu’on a plus de chances de mourir quand on met sa ceinture que lorsqu’on ne la met pas [8] ! Je ferme la parenthèse.

Quelles sont les probabilités (ou proportions) qu’il faudrait connaître pour savoir à quel point mettre sa ceinture protège de la mort ? Il faudrait connaître la probabilité de mourir sachant qu’on a sa ceinture, et la comparer à la probabilité de mourir sachant qu’on n’a pas sa ceinture. C’est-à-dire, en notant A l’événement « mourir dans un accident de voiture », B « ne pas mettre sa ceinture » et C « mettre sa ceinture », comparer P(A/B) à P(A/C). Mais que nous donne le message « Pas de ceinture : 2 morts sur 5 » ? Ni P(A/C), ni même P(A/B), mais P(B/A) (la probabilité de ne pas avoir mis sa ceinture, sachant qu’on est mort d’un accident de voiture). Comment donc comparer P(A/B) à P(A/C) en connaissant uniquement P(B/A) ? Cela semble quasiment impossible ! Et pourtant, on sent bien malgré tout  [9] que le slogan indique qu’on a plus de chances de survivre à un accident de voiture quand on met sa ceinture de sécurité. Cela vient peut-être du fait qu’on a une certaine « intuition » des probabilités mises en jeu, qui relient justement P(B/A) à P(A/B) [et P(A/C)].

Prenons notre courage à deux mains et lançons-nous dans une écriture mathématique du problème. Dans la suite, nous allons considérer que les probabilités sont confondues avec les proportions effectivement mesurées sur toute la population ou du moins, sur une grande population [10]. Commençons par préciser quelques notations : nous allons noter N le nombre total d’automobilistes [11], qui se répartissent en NB qui ne mettent pas leur ceinture et NC qui la mettent (on a donc NB + NC = N) et NA le nombre d’automobilistes qui sont morts dans un accident de voiture, qui se répartissent en NA&B qui n’avaient pas mis leur ceinture et NA&C qui l’avaient mise (on a donc NA&B + NA&C = NA). Les différentes probabilités correspondent alors aux proportions suivantes :

P(A&B) = NA&B/N (probabilité d’avoir A et B, « A&B » signifiant « A et B »)
P(B/A) = NA&B/NA et P(A/B) =NA&B/NB
P(A) = NA / N et P(B) = NB / N
P(A) = NA et P(B) = NB
Ces expressions nous permettent de retrouver la formule reliant les différentes probabilités :

P(A&B) = P(B) × P(A/B)

Celle-ci se comprend très bien : en effet, la probabilité d’avoir A et B est donnée par la probabilité d’avoir B, multipliée par la probabilité d’avoir A sachant qu’on a B. En écrivant cela on considère en quelque sorte que pour avoir A et B, on commence par réaliser la condition B, puis on réalise A sachant qu’on a déjà B. On aurait tout aussi bien pu faire passer A « avant » B et écrire que la probabilité d’avoir A et B est égale à la probabilité d’avoir A, multipliée par celle d’avoir B sachant A. Ceci revient à écrire cette seconde égalité, qui est tout aussi vraie :

P(A&B) = P(A) × P(B/A)

En identifiant les deux expressions de P(A&B), le lien entre P(A/B) et P(B/A) apparaît [12] :

P(A) × P(B/A) = P(B) × P(A/B)

ce qui donne :
P(A/B) = P(B/A) × (P(A) / P(B))

Revenons à notre exemple des accidents de la route. Pour connaître la probabilité de mourir sachant qu’on n’a pas mis sa ceinture [c’est-à-dire P(A/B)], à partir de P(B/A) (celle donnée par le message : la probabilité de ne pas avoir sa ceinture, sachant qu’on est mort), il faut connaître P(A) et P(B), c’est-à-dire respectivement la probabilité de mourir d’un accident de la route (indépendamment du fait qu’on ait mis ou pas sa ceinture) et celle de ne pas mettre sa ceinture. Comme nous n’avons pas ces données, nous ne pouvons pas vraiment évaluer P(A/B). Par contre, étant donné que le but du message était de nous « faire peur », de nous inciter à mettre la ceinture, on peut essayer de comparer cette probabilité à celle de mourir sachant qu’on a bien mis sa ceinture de sécurité [c’est-à-dire P(A/C)]. En suivant le même raisonnement que pour P(A/B), on arrive à l’égalité suivante :
 
P(A/C) = P(C/A) × (P(A) / P(C))

et en faisant le rapport de P(A/B) et P(A/C) on obtient :
P(A/B) / P(A/C) = P(B/A) / P(C/A) × P(C) / P(B)

On s’attend à ce que ce rapport soit plus grand que 1 (on a plus de chances de mourir si on n’a pas mis sa ceinture), mais de combien ? Ce que nous dit le message c’est que P(B/A)=2/5, ce qui nous permet de déduire que P(C/A)=3/5 (en effet, si deux morts sur cinq n’avaient pas de ceinture, les trois restants avaient leur ceinture  [13]). Du coup, avec l’information donnée par le message, on aboutit simplement à :
 
P(A/B) / P(A/C) = 2 / 3 ×P(C) = P(B)
 
et comme P(C)=1-P(B) [l’ensemble de la population se sépare en deux groupes uniquement : ceux qui ne mettent pas leur ceinture (B) et ceux qui la mettent (C)], cela peut s’écrire simplement :
 
P(A/B) / P(A/C) = 2 / 3 × (1 – P(B) / P(B))
 
Envisageons maintenant plusieurs cas. Si la proportion P(B) de gens qui conduisent sur l’autoroute sans mettre leur ceinture est de 2/5 on a alors (1-P(B))/P(B) = 3/2 et finalement P(A/B)=P(A/C). Autrement dit, mettre sa ceinture ou pas ne change rien à la probabilité qu’on a de mourir dans un accident ! Cela peut se voir directement d’après les proportions (sans même écrire les expressions mathématiques avec les probabilités conditionnelles) : si la proportion de gens qui ne mettent pas leur ceinture est la même parmi les morts (lors d’un accident de la route) que sur l’ensemble des automobilistes, alors finalement mettre ou non sa ceinture n’a pas d’incidence sur la probabilité de mourir.
En revanche, si la proportion de gens qui ne mettent pas leur ceinture est inférieure à 2/5, cela signifie que les automobilistes sans ceinture sont sur-représentés parmi les morts, et que P(A/B) > P(A/C). La probabilité de mourir est donc plus grande lorsqu’on ne met pas sa ceinture que lorsqu’on la met. Étant donnée que cette conclusion est celle à laquelle on s’attend, prendre le message « Pas de ceinture : 2 morts sur 5 » comme un encouragement à mettre sa ceinture de sécurité signifie qu’on estime implicitement que moins de deux personnes sur cinq ne mettent pas leur ceinture en voiture. En effet, l’information donnée par le message « Pas de ceinture : 2 morts sur 5 » implique qu’on a plus de chances de mourir lorsqu’on ne met pas sa ceinture, si et seulement si la proportion d’automobilistes sans ceinture est inférieure à 40 % (soit 2/5).
Comme quoi, la mise en garde n’est pas évidente (surtout quand on pense que le message est lu sur un panneau d’autoroute…) ! Le plus important, je trouve, est que la proportion donnée de 2/5 n’apporte finalement pas grand chose et qu’en particulier, elle ne permet absolument pas de chiffrer le risque supplémentaire de mourir lorsqu’on ne met pas sa ceinture. Notez que si la proportion de personnes ne mettant pas leur ceinture est connue [14], par exemple 1 sur 10, alors on peut calculer que
 
P(A/B) / P(A/C) = 2/3 × 9 = 6
 
Autrement dit, dans ce cas, ne pas mettre sa ceinture de sécurité revient à multiplier par 6 sa probabilité de mourir [15] ! Je trouve que ce genre de message est bien plus parlant, et quitte à donner un chiffre, sa signification apparaît ici immédiatement.
Le fait qu’on rencontre relativement souvent des messages faisant apparaître un effet de « probabilité inversée » vient peut-être du fait que toutes les données [par exemple ici, P(B)] ne sont pas connues [16]. En effet, il est relativement facile de mesurer la proportion de personnes sans ceinture parmi les morts, mais il est plus difficile de le faire parmi les vivants… Je pense plutôt que des proportions ou des probabilités inexploitables sont données sciemment, pour augmenter l’impact d’un message sur la cible visée. On peut d’ailleurs se poser la question de l’efficacité de ce procédé  [17] : finalement, que retiennent les gens ?
Je suis sûr que vous avez rencontré d’autres messages utilisant cet effet de « probabilité inversée ». Par exemple, il y a eu une campagne dans les journaux annonçant que « 80 % des victimes d’infarctus avant 45 ans sont fumeurs ». Beaucoup traduiront ça par : un fumeur a 80 % de chances de faire un infarctus avant 45 ans. Là encore, pour peu qu’on connaisse la proportion de fumeurs, on pouvait parfaitement transformer ce message en quelque chose comme « Fumer multiplie par 16 le risque de faire un infarctus avant 45 ans » (en faisant le même calcul que pour la ceinture de sécurité, et en considérant, de manière complètement arbitraire, que 20 % des gens sont des fumeurs).
Le procédé est parfois utilisé avec de bonnes intentions : sécurité routière, lutte contre le tabagisme, contre la prise de drogue… (Note de R. Monvoisin – Encore que : lutter contre une servitude volontaire peut se discuter sur le plan moral. Voir Y a-t-il une limite à la liberté de disposer de son propre corps ?), il n’en reste pas moins « pernicieux ». Il faut en effet faire un effort de raisonnement pour comprendre pleinement les implications de ces chiffres. Par ailleurs, cet effet de « probabilité inversée » se conjugue souvent avec un autre : le fameux « effet cigogne [18] » qui consiste à voir un rapport de cause à effet là où il y a une corrélation. Ainsi, lorsqu’un conducteur particulier ne met pas sa ceinture, il n’augmente pas forcément de manière radicale sa probabilité de mourir. En effet, ceux qui ne mettent pas leur ceinture font peut-être plus d’imprudences que ceux qui la mettent, font peut-être plus de route, sont moins vigilants, plus jeunes, plus âgés, que sais-je…
Une phrase comme « 30 % des consommateurs de drogues dures ont commencé par fumer du cannabis » (phrase inventée pour l’occasion, mais vous avez dû en rencontrer des semblables) a toutes les chances d’être interprétée comme « 30 % des fumeurs de cannabis vont prendre des drogues dures et cela, à cause de leur consommation de cannabis ». Maintenant que vous avez tout compris et que vous êtes sensibilisé(e) à l’effet de « probabilité inversée », vous pouvez vous amuser à les repérer et même à en inventer… N’hésitez pas à le coupler à l’effet cigogne pour obtenir de superbes phrases comme celles-ci pour manipuler les gens :
  • « 40 % des porteurs du VIH sont homosexuels » pour laisser penser : « Gare aux homosexuels, ils ont souvent le sida !»
  • « Aux États-Unis, 60 % des condamnés pour viol sont noirs » pour laisser penser : « Attention aux Noirs, ce sont des violeurs ! »
  • « 85 % des pédophiles consultent des sites web pornographiques » pour laisser penser : « Il est sur un site porno, tu te rends comptes, il est peut-être pédophile ! »
  • « 65 % des personnes qui payent l’impôt sur la fortune votent à droite » pour laisser penser : « Ceux qui votent à droite sont très riches »
  • « 70 % des élèves en échec scolaire regardent la télévision plus de 2h par jour » pour laisser penser : « Si mes enfants regardent trop la télévision, ils feront de mauvais élèves »
  • « 80 % des personnes atteintes d’une tumeur au cerveau possèdent un téléphone portable » pour laisser penser : « Les téléphones portables sont dangereux pour la santé ! »
  • « 40 % des chasseurs aiment écouter Robert Charlebois » pour laisser penser : « Tu dois être chasseur, je t’ai entendu siffloter du Robert Charlebois… Non ? Ah bon ! »
Florent Tournus

Notes

[1] Comme on peut le lire, références à l’appui, dans le livre « 100 petites expériences en psychologie du consommateur » de N. Guéguen (Éd. Dunod), au chapitre 1 intitulé « Les prix psychologiques », la terminaison « 9 » d’un prix possède une réelle influence sur le comportement d’achat.
[2] Vous me direz, ce n’est pas le but d’un message publicitaire !
[3] On l’écrit aussi parfois PB(A).
[4] Cette notion est au programme de mathématiques de terminale S, ES et L.
[5] Dans certains cas, les deux probabilités conditionnelles P(A/B) et P(B/A) se « ressemblent » et il faut vraiment réfléchir pour savoir quelle probabilité nous intéresse. Par exemple, dans le cas d’un test permettant de détecter une maladie, est-il préférable de connaître la probabilité que le test soit positif sachant qu’on est malade, ou celle qu’on soit malade sachant que le test est positif ?
[6] Ils meurent, mais quand ça ? Peu doivent se poser la question…
[7] En fait, même ce point n’est pas forcément clair. On peut en effet comprendre différemment le message de la sécurité routière : non pas « sur 5 morts d’un accident, 2 n’avaient pas mis leur ceinture » (ce qui revient effectivement à dire qu’il y a plus de morts « avec ceinture » que « sans ceinture ») mais : « sur 5 morts d’un accident, 2 sont morts à cause du fait qu’ils n’avaient pas mis leur ceinture, et 3 sont morts pour une autre raison ». Notons néanmoins que pour arriver à cette conclusion, il faudrait intégrer au raisonnement une analyse des causes réelles du décès, ce qui est très difficile (impossible ?). Cette ambiguïté du slogan est due à son caractère elliptique et à l’emploi des deux points : ils peuvent exprimer soit la concomitance des deux événements « ne pas avoir sa ceinture » et « être mort », soit un rapport de cause à effet. Et de fait, on peut tout à fait être mort et n’avoir pas mis sa ceinture, et imaginer que, d’après les circonstances de l’accident, on serait mort même si l’on avait mis sa ceinture… Pour la suite, nous considérons que le slogan indique bien uniquement une concomitance : « sur 5 morts d’un accident, 2 n’avaient pas mis leur ceinture ».
[8] On peut d’ailleurs lire ce raisonnement tenu par certains sur le net (certainement de façon humoristique…).
[9] Sauf si l’on suit le raisonnement erroné décrit ci-dessus.
[10] En toute rigueur, comme pour les sondages, on devrait indiquer des intervalles de confiance… mais ce n’est pas de cela que je voudrais parler ici.
[11] Au sens large, car rien n’indique dans le message que seuls les conducteurs sont concernés.
[12] C’est une forme du théorème de Bayes.
[13] Voir la note 7.
[14] Nous disposons d’une masse d’informations via une branche de recherche nommée « accidentologie » qui étudie les accidents et leurs causes. On peut consulter par exemple la section correspondante sur le site de la Sécurité routière.
On y trouve notamment un document intitulé « Les grandes données de l’accidentologie 2006 » qui nous donne cette information sur le port de la ceinture : « Si le port de la ceinture à l’avant était inférieur à 93 % sur les routes de rase campagne il y a dix ans, il atteint aujourd’hui plus de 98 %. En milieu urbain, la progression est spectaculaire, passant de 69,4 % en 1994 à 92,5 % aujourd’hui. Le taux de port de la ceinture aux places arrière est par contre beaucoup plus faible (74,2 % en milieu urbain) ».
Ce document rassemble par ailleurs un grand nombre de données présentant un effet de « probabilité inversée ». En voici quelques unes à titre d’exemple : « 79 % des motocyclistes tués ont entre 15 et 44 ans, et 52 % entre 20 et 34 ans » ; « 51,4 % des personnes tuées à cyclomoteur sont âgées de 15 à 19 ans » ; « 70 % des piétons tués le sont en ville » ; « 74 % des victimes sont des victimes locales : des piétons ou des occupants d’un véhicule immatriculé dans le département » ; « 11,8 % des accidents se sont produits par temps de pluie »… Telles quelles, ces données ne permettent pas de se faire une idée des différents facteurs de risque (mais il y a d’autres informations qui montrent de façon claire que certaines situations correspondent à un risque accru d’accident, comme par exemple « La nuit représente moins de 10 % du trafic mais 35 % des blessés hospitalisés et 44 % des personnes tuées »).
[15] Avec P(B) encore plus faible, le facteur multiplicatif serait encore plus grand.
[16] En fait, comme rappelé dans la note 14, nous disposons d’un grand nombre d’informations…
[17] Peut-être qu’il y a eu des études là-dessus…
[18] C’est le nom donné par Henri Broch à l’erreur qui consiste à confondre causalité et corrélation (voir p. 197 du livre « Le paranormal » d’Henri Broch, Éd. du Seuil).

 

 

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Effet Puits

Les vertus de l’imprécision : plus un discours est vague et creux, plus on sera tenté de le trouver profond et persuasif.


« L’interprétation doit être preste pour satisfaire à l’entreprêt. De ce qui perdure de perte pure à ce qui ne parle que du père au pire » (J. Lacan, Télévision, 1974, p. 77)

 
Pour H.Broch, l’effet puits offre une succession de phrases creuses qui peuvent être acceptées comme foncièrement vraies par toute personne car celle-ci y ajoutera elle-même les circonstances qui, seules, en font des phrases ayant un sens.

L’effet puits (ou phrase puits) est cette sensation vertigineuse que l’individu non averti ressentira devant un texte ou un discours constellé de mots chargés affectivement (effet Impact) parfois pris dans des sens très différents de leur sens scientifique (effet paillasson), mais dont l’accumulation donne au texte ou au propos une facture soit totalement nébuleuse mais séduisante, soit ayant l’air très documentée, très « calée » (argument d’autorité) alors que, prise tronçon par tronçon, chaque partie n’a pas forcément de sens.

L’effet puits désigne ainsi la vacuité, souhaitée ou non, derrière un discours pompeux saupoudré de mots à effet impact ou de termes abscons.

On le trouve par exemple fréquemment dans les discours politiques, à tel point que des générateurs de langue de bois proposent d’en créer en ligne : « Considérant la conjoncture actuelle, il est nécessaire de prendre en compte chacune des problématiques déjà en notre possession, afin de pouvoir prendre les mesures indispensables pour y répondre pertinemment. »

Autre exemple tiré du site du CorteX« La place des femmes dans l’économie est un sujet au cœur du débat public ». Le Monde 7/03/11.

L’effet puits favorise également l’appropriation personnelle de ce discours par l’auditeur, qui aura tendance à s’y reconnaître (c’est par exemple le cas des prédictions astrologiques). Nous faisons cependant un distinctif entre le caractère creux de l’effet puits et le caractère appropriable par tous, un mécanisme psychologique appelé effet Barnum ou effet Forer.

 Des doctorants-moniteurs ont réalisé un Zétéclip sur l’effet Puits.

[dailymotion id=xkpol8]

Voir aussi cet exemple pour réaliser un test mettant en évidence l’effet puits et/ou Forer.

Ci-dessous, quelques exemples glanés de-ci de-là.

  • Du sociologue Dominique Cardon, auteur d’une tribune dans « M le magazine du Monde » sur la domination des chats, bien plus nombreux que les chiens sur Internet.

« C’est en bordure du trop proche que s’est ouvert l’espace de théâtralisation de soi dans lequel les internautes se montrent, se moquent, partagent, rigolent et s’indignent. Sans doute le chat est-il pour cela l’emblème du désir expressif qu’ils projettent sur le Web : courir sur les toits, mais toujours retomber sur ses pattes ».  (Merci au Canard enchaîné du 10 août 2016)

Du philosophe Bernard Stiegler, dans l’émission La tête au carré, sur France Inter – diffusée le 7 juin 2011 et rediffusée le 27 octobre 2011.

« Je pense que nous sommes rentrés dans la société addictogène. Il n’a échappé à personne qu’il y a des parfums qui s’appellent « addict », qu’il y a des jus de fruits qui s’appellent « addict ». Moi-même, j’ai recensé 51 marques « addict » sur Paris uniquement. Qu’est-ce que la société addictive ? Qu’est-ce que l’addiction dans ce contexte là ? Je soutiens personnellement, mais tout le monde n’a pas ce point de vue, la société addictive c’est une société dominée par la pulsion. Évidemment, l’addiction est une dépendance, mais toutes les dépendances ne sont pas des addictions, par exemple, quand on aime quelqu’un, on est dépendant de la personne qu’on aime, et cette dépendance est une bonne chose. Mais ce que je crois, c’est qu’il y a addiction lorsqu’il y a une dépendance qui produit ce que j’appelle après Gilbert Simondon, un philosophe français, de la « désindividuation ». C’est à dire qu’au lieu de m’enrichir de cette dépendance – parce qu’on peut être dépendant, moi, je suis dépendant de la philosophie, c’est mon métier mais j’en ai besoin, je ne peux pas m’en passer – il y a des dépendances qui stérilisent. Et aujourd’hui, les dépendances stérilisantes, se sont généralisées, parce que le marketing en a fait son principal objet de création de marché.(…)

Question auditeur : « Est-ce qu’il y a un lien entre l’addiction et le rituel, et dans ce sens, l’augmentation des addictions n’est-elle pas liée à la baisse des pratiques religieuses ? »

Bernard Stiegler : « Ce qu’il y a derrière cette question des religions ou du rituel d’une façon générale, c’est l’éducation. La religion, c’est une forme d’éducation, une forme absolument respectable d’ailleurs à mes yeux, et je pense que c’est une éducation dans l’investissement précisément. C’est-à-dire que ce soit une religion, que ce soit un rituel, que ce soit l’éducation tout court, ceux qui éduquent et ceux qui sont éduqués sont les acteurs de leurs investissements. C’est-à-dire que ce sont eux… Par exemple, la mère qui s’occupe de son enfant, Donald Winnicott qui a beaucoup parlé de cette relation parle d’ailleurs d’une relation addictive, il emploie le mot « addicted », cette relation, c’est une relation où la mère, en élevant son enfant, s’élève elle-même si je puis dire, où elle s’élève, elle se développe, elle s’enrichit. Toutes les mères et tous les pères aussi bien entendu savent ça. C’est à dire que le bonheur d’éduquer un enfant, c’est de s’apprendre quelque chose à soi-même. Le problème se pose dans notre société là où l’éducation a été remplacée par une ingénierie du marketing qui nous prescrit des modes comportementaux que nous ne produisons pas nous-mêmes et qui donc, ne sont pas des investissements de notre part. Nous sommes dans une société absolument grégaire ».

(nous en avons fait un TP avec mon camarade Julien Lévy ici : Les addictions selon Bernard Stiegler : de la philosophie au rayon promo).

CorteX_Asud

Education spécialisée – Un ni-ni sur la consommation de drogue

CorteX_Asud46Vous connaissez probablement par coeur la technique du faux dilemme et la rhétorique du « ni-ni  » (si non, allez voir ici). En voici une illustration dans le domaine politique de la légifération en matière de drogue, dénoncée avec brio par Fabrice Olivet de l’association ASUD (Auto-support et réduction des Risques parmi les Usagers de Drogues).CorteX_Asud

Il s’agit du « ni répression, ni dépénalisation », discours facile et non-engageant, sorte d’effet bof pour un sujet pourtant fortement documenté scientifiquement où deux consensus sont acquis à peu près chez tous les spécialistes, sauf chez les législateurs :
1) la répression ne réduit pas la consommation de drogues, et
2) la Réduction des Risques (RdR) notamment par les salles de shoot dont les médias ont beaucoup parlé est un bienfait social net.
Fabrice Olivet a fait du texte ci-dessous l’Edito de l’excellente et trop rare revue ASUD journal N°47 de juin 2011, ainsi que l’Edito du journal Libération du 3 juin 2011.

 


CorteX_Asud_Fabrice_Olivet« Qu’est-il arrivé à ce pays ? », se demandait Jack Nicholson juste avant d’être massacré à coup de barre de fer par une bande de « Red Necks » dans Easy Rider. Le film culte de Dennis Hopper sorti en 1971 est à la fois prophétique et réaliste. « Ils n’ont pas peur de toi, ils ont peur de ce que tu représentes… Ils vont te parler tout le temps de liberté individuelle. Mais, s’ils voient un individu libre, ils prennent peur, ça les rend dangereux… »

 

La même année, le 17 juin 1971, Richard Nixon déclare l’usage de drogue « ennemi public n° 1 » des États-Unis lors d’une conférence de presse à la Maison Blanche, et conclut logiquement qu’une « guerre » doit être menée pour éradiquer ce phénomène. Depuis, le monde s’est habitué. La guerre s’est installée comme une réponse normale aux questions posées par l’usage et la production de substances psychoactives, en Afghanistan, en Amérique centrale, dans le gettho de South Central L.A., mais aussi dans nos banlieues françaises.
Mais le consensus est en train d’exploser. Lors d’une séance qualifiée « d’historique » le 2 juin dernier, la Global Commission on Drug Policy a en effet proposé de mettre fin à la guerre à la drogue à la tribune des Nations unies. Composée de dix-neuf personnalités reconnues pour leurs compétences internationales, tels Kofi Annan, l’ex-secrétaire général de l’ONU, ou Henrique Cardoso, l’ancien président du Brésil, la Commission recommande la fin de la pénalisation des usages de drogues, des expérimentations de légalisation du cannabis dans les États qui le souhaitent et plus généralement, la poursuite et l’amélioration de toutes les initiatives de réduction des risques.
Cette véritable bombe diplomatique va-t-elle enfin servir à débloquer le débat français ? On peut en douter. Non seulement parce que notre politique reste l’une des plus répressive de l’UE, mais aussi parce qu’en face, la gauche bon teint continue de se cramponner à un discours « ni-ni » qui prétend dépasser l’opposition « simpliste entre répression et dépénalisation ». Une fausse subtilité qui cache en réalité une vraie lâcheté politique. On ne le dira jamais assez : en matière de drogues, Simone Veil et Michèle Barzach, ministres de centre-droit, ont été mille fois plus courageuses que leurs homologues de gauche.

La politique du « ni-ni » est l’allié objectif du maintien du statu quo, de la prohibition. Le refrain qui consiste à verser quelques larmes de sauriens sur les pauvres toxicomanes tout en martelant la doxa de l’inaltérabilité de la loi est une imposture intellectuelle dont l’absurdité en rappelle bien d’autres. Car l’autre particularité du discours « ni-ni » est le sort fait aux opinions des usagers : si vous voulez exprimer une opinion sur les drogues, dites surtout que vous n’en consommez pas.

L’analogie avec d’autres débats de société est source de perplexité. Un antiracisme dont seraient exclus les non-Blancs, au prétexte que l’expérience de la discrimination empêche une analyse « objective » du phénomène, un féminisme qui craindrait d’être discrédité par l’opinion des femmes, une pétition contre l’antisémitisme qui prendrait soin de n’avoir aucun signataire juif… À bien y réfléchir, tous ces groupes ont eux aussi été, à un moment ou l’autre, taraudés par le même syndrome.

L’abolition de l’esclavage fut longtemps une affaire d’aristocrates blancs membres de la « Société des amis des Noirs ». En définitive, le « ni-ni » est toujours un conservatisme qui ne dit pas son nom. Une posture commode, une tartufferie qui explique la détermination des membres de la Global Commission des Nations unies à préciser d’emblée les termes du débat : la guerre à la drogue est une impasse, en sortir suppose de dénoncer clairement les lois qui organisent la répression.
Fabrice Olivet
CorteX_EVE

Menaces sur EVE, lieu d'esprit critique – Soutien et pétition

 CorteX_EVELa situation de EVE a empiré : une nouvelle pétition est en ligne ici http://soutenir-eve.org
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Depuis plusieurs années, EVE (Espace Vie Etudiante) accueille un paquet d’événements musicaux, culturels, artistiques ou intellectuels. En 2009, Olivier Royer, le directeur, a mis la salle centrale à disposition du CorteX pour les Midis Critiques Grenoblois qui se déroulèrent dès lors dans ce lieu croisement des trois universités grenobloises. Un accueil tout à fait charmant, modulable, pratique, accueillant, à tel point que les discussions des notes de l’UE Zététique & autodéfense intellectuelle ont lieu à la terrasse d’EVE.
 
Seulement, EVE est menacé !

… Menacé entre autres parce que peu rentable ! Effectivement, la structure est finacièrement déficitaire. Mais est-ce l’objet d’une association culturelle d’être bénéficiaire ? Et si l’on incorpore dans la balance financière le bien public créé, la promotion du travail associatif, la promotion de l’esprit critique et le lien bâti entre les étudiants, alors la balance penche largement vers le positif. ll s’agit, comme bien trop souvent, d’une logique marchande contre une logique de bien public. Le plus ennuyeux est probablement que ce combat du pot de terre contre le pot de fer est orchestré par les plus hauts représentants d’une université – dont l’objet est, rappelons-le, « la production, la conservation et la transmission de différents domaines de la connaissance« .

Alors ? Deux postes salariés sont arrivés à échéance. Mi-juillet, on apprend que l’université proroge de six mois la mise à mort de la structure. « Au lieu de deux moix, on va être dans la merde pendant six« , dit David Rouquet, trésorier d’Eponyme.

A moins de marchandiser les prestations ? D’ouvrir une cafétaria, d’augmenter le prix du café, de vendre des produits dérivés ? De rendre payants les Midis Critiques ? Sur ce dernier point, jamais de la vie.

C’est un vrai débat de société qui s’ouvre sur ce lieu. Et comme l’écrivirent les 68ards, puis les anti-CPE de 2006 sur les palissades de la Sorbonne, nous n’aurons que ce que nous saurons prendre ». Et ce que nous saurons garder.

CorteX_saurons_prendre

 
Ci-dessous

  • la lettre ouverte d’EVE et de l’association Eponyme
Lettre ouverte aux Universités de Grenoble, à la Communauté d’agglomération Grenobloise, à la mairie de Grenoble, au Conseil Général de l’Isère, au Conseil Régional de Rhône-Alpes, au Ministère de l’éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative
 


Mesdames, Messieurs,

 

Par une lettre d’information datant du 15 juin, sur la Délégation de Service Public du bâtiment EVE (Espace Vie Étudiante) liant l’Université Pierre Mendès-France et l’association Éponyme, nous avons pris acte de l’incertitude d’Éponyme concernant la reprise d’activités à EVE pour la rentrée universitaire.
Pour nous, associations des campus universitaires et de la ville de Grenoble, Éponyme est devenue en 7 ans un acteur majeur de la vie étudiante, culturelle et citoyenne sur l’agglomération grenobloise. L’Association a su s’insérer dans un maillage territorial d’acteurs de la vie associative et obtenir la confiance de multiples partenaires, qui légitiment la pertinence de son action envers les étudiants des différents établissements d’enseignements supérieurs, et plus largement envers la jeunesse de l’agglomération. Éponyme a su développer ses services par le biais d’une gestion collégiale et participative. De l’animation à la programmation du lieu, en passant par la définition du projet et son administration, les étudiants bénévoles et les associations sont pleinement intégrés aux processus de décision.  
 
En proposant à la fois un lieu pour réaliser nos projets (concerts, spectacles, conférences, débats, projections, rencontres, repas, animations, jeux, expositions etc.), une mise à disposition de matériel et de salariés pour nous soutenir et nous épauler dans l’organisation et la logistique, l’Espace Vie Étudiante géré par l’association étudiante Éponyme est depuis plusieurs années un soutien indéfectible pour nos projets. Sans cet accompagnement, de nombreux projets aujourd’hui féconds n’auraient pu voir le jour, bien peu de classements citeraient le Campus grenoblois comme étant le plus attractif de France, et bien peu d’étudiants auraient pu s’investir autant dans la vie culturelle, citoyenne et sportive de Grenoble.  
 
A moins de trois mois de la fin de l’actuelle DSP (délégation de service publique, note du CorteX), prévue le 31 aout 2011, la proposition des Universités est de repousser le renouvellement de la DSP au mois de novembre. Or, la mise en place d’un nouveau délégataire impliquera un arrêt total des activités au sein de EVE pendant le premier semestre universitaire, période où les associations ont particulièrement besoin des services mis à disposition par Éponyme (Forum associatif « Fête la rentrée », formations associatives, accompagnements, etc.).  
 
Nous exprimons donc de sérieuses inquiétudes quant à la possibilité, pour nous tous, comme pour Éponyme, de mener à bien nos activités à la prochaine rentrée universitaire. Les atermoiements répétés des Universités risquent bel et bien de mener nos projets dans une impasse.  
 
Nous appelons donc toute personne, physique ou morale (association, institution, étudiant, politique, salarié, partenaire d’Éponyme, usager du lieu ou simple citoyen) à soutenir Éponyme à l’heure où ses activités sont remises en cause.
Nous appelons les Universités de Grenoble à trouver, dans les plus brefs délais, une solution viable pour le maintien des activités dans le bâtiment EVE dès la rentrée prochaine.

 

Le CorteX soutient EVE !

la production (recherche), la conservation (publications et bibliothèques) et la transmission (études supérieures) de différents domaines de la connaissance
CorteX_Tapette-Souris

Dialogue sur l'effet Pangloss

Ce dialogue a été réalisé par le groupe de doctorants-minoteurs de l’atelier CIES Zétéclips 2010 pour illustrer l’effet Pangloss (pour plus de détail sur le raisonnement panglossien, voir Outillage Critique). Il fait l’objet d’un vidéoclip visionnable ici (version longue, version courte) réalisé par Nicolas Berthier, Axelle Davidas, Cyrille Martin et Marion Sevajol. Direction Richard Monvoisin.
Ci-dessous, le dialogue qui orne la voix off de la version longue.


Personnages
– p pour panglossien-ne
– z pour zététicien-ne 

Pangloss nous accroche

Point d’effet sans cause (dans le meilleur des mondes possibles) 

Les girafes introduisent l’effet pangloss

p Plus d’1.5 million d’espèces ont été répertoriées, et on estime qu’il en existe au moins  cinq millions différentes ! Cette diversité est vraiment incroyable lorsqu’on pense à toutes les spécificités qu’ont dû développer ces espèces…

z C’est-à-dire ?

p Et bien par exemple, le cou de la girafe a été allongé pour lui permettre de manger les feuilles les plus hautes des arbres. Cela lui a permis de survivre dans la savane, alors que si son cou n’avait pas été allongé, il n’y en aurait plus de nos jours.

z Non, le cou de la girafe n’a pas été agrandi dans un objectif précis. C’est simplement que les girafes aux cous les plus longs étaient avantagées pour se nourrir, et se reproduisaient donc plus facilement que les autres. De génération en génération, seules les girafes les plus adaptées à la savane, c’est-à-dire celles qui avaient un grand cou, ont transmis efficacement ce caractère à leurs descendants. On peut penser que les girafes ont été sélectionnées naturellement selon le critère héréditaire qu’est la taille du cou.

La théorie de l’évolution introduit le finalisme

p Humm, comment peux tu en être sûr ?

z C’est la seule explication scientifique validée : la théorie de l’évolution, introduite par Darwin, est le résultat d’une démarche scientifique, alors que ton raisonnement se base sur une hypothèse finaliste.

p Une hypothèse finaliste ? Je ne comprends pas.

L’archer explique le finalisme

z Imagine un archer les yeux bandés qui décoche une flèche. Elle va se planter dans le mur en face. Une personne découvrant cette flèche pourrait faire l’hypothèse qu’un archer l’a décochée en visant cet endroit précis, comme si il y avait une cible. Cet objectif d’atteindre un endroit précis est une hypothèse finaliste, et en plus erronée puisque l’archer avait les yeux bandés.La cible n’existe pas forcément, l’archer non plus, et, encore plus important, la volonté de viser n’est pas une bonne hypothèse pour expliquer la position de la flèche.

z Quand tu considères que l’objectif à atteindre, pour la girafe, c’est d’avoir un long cou, et qu’on aurait dirigé l’évolution de la girafe dans cette direction, tu fais le même raisonnement que la personne qui découvre la flèche…

Behe introduit la complexité irréductible

p D’accord, l’état actuel de la girafe ne permet pas d’en déduire une volonté quelconque d’atteindre cet état, et en plus tu me dis qu’un processus de sélection naturelle explique très bien son long cou. En revanche, j’ai entendu parler un biologiste, Michael Behe, qui dit que cette sélection naturelle n’explique pas tout, en prenant pour argument la complexité irréductible de certains systèmes biologiques.
 
z Je ne connais pas…
 
p Ce biologiste explique qu’il existe des systèmes irréductiblement complexes : ils sont composés de plusieurs parties ajustées et interagissantes qui contribuent chacune à sa fonction, alors que l’absence d’une quelconque de ces parties empêche le fonctionnement du système complet.

La tapette à souris explique la complexité irréductible

p Pour l’illustrer, on peut prendre une tapette à souris. Chaque élément du piège a un rôle précis
dans son fonctionnement :

– Le fromage attire la souris et fait office de détente : il permet donc de déclencher le mécanisme quand la souris est sur le piège ;
– La tige est comme une gâchette qui libère l’abattant ;
– Qui lui, sert bien sûr à attraper la souris ;
– Le ressort actionne l’abattant ;
– Et finalement, le socle maintient le tout en place grâce à des fixations, et permet de placer le piège n’importe où.

Si l’un des éléments constitutifs du piège est enlevé, alors le piège ne fonctionne pas : c’est ce qui définit la complexité irréductible d’un système.

z Ok, mais en quoi ce principe contredit-il la théorie de l’évolution ?

L’argument de complexité irréductible soutient l’hypothèse finaliste

p Pour être le résultat d’une évolution, tout système doit pré-exister sous une forme plus simple, alors qu’il n’existe pas de systèmes précurseurs plus simple pour un système de complexité irréductible.

z Et pourquoi pas ?

p Michael Behe explique qu’un tel système ne peut pas être fonctionnel, puisque chacun de ses éléments est indispensable. Autrement dit, il ne peut pas exister de tapette à souris ne possédant qu’une partie des éléments initiaux qui permette tout de même d’attraper des souris.

p Un système précurseur non fonctionnel ne présente aucun avantage sélectif et ne serait donc pas forcement conservé. C’est-à-dire que la personne qui détient une tapette à souris qui ne fonctionne pas, aura autant de souris chez elle que son voisin qui n’a pas de tapette du tout. De cette façon, les personnes possédant une tapette à souris qui n’attrape rien auront plutôt tendance à s’en débarrasser, et plus personne ne posséderait de tapette.

p Cela prouve que le premier système apparu était un système fonctionnel complexe et donc que chaque élément a été façonné pour contribuer au bon fonctionnement du système complet. Il n’y a pas d’évolution possible de cette tapette à souris puisqu’il n’y en a pas de fonctionnelle pouvant évoluer en une tapette actuelle.

p Il y a donc obligatoirement un concepteur qui est derrière l’invention du système. Et ce piège a
effectivement été inventé pour attraper des souris.

p Pour revenir aux systèmes biologiques, on peut prendre l’exemple de l’oeil : il est tellement complexe qu’il a forcement été conçu tel quel dans l’objectif de permettre la vue, ce qui contredit la théorie de l’évolution.

z A mon avis tu te trompes : il peut exister un système précurseur fonctionnel à un tel système.
Je peux par exemple te proposer une évolution de la tapette à souris qui contredit cette hypothèse.

L’argument de complexité irréductible dans la tapette à souris

z On peut partir d’un morceau de fil métallique courbé et maintenu ouvert. La plupart des souris font tomber le piège ou arrivent à s’en défaire. Pourtant, il vaut mieux avoir celui ci que pas du tout.

z Ajouter un ressort à ce piège donne plus de force à la fermeture.

z Avec un appât, le piège est rendu encore plus efficace en attirant les souris. 

z Les pièges précédents doivent être soigneusement calés contre un mur ou un autre objet. La fixation au sol du ressort permet de l’utiliser partout où le sol le permet, et les souris ne pourront plus le renverser.

z La fixation du ressort à un morceau de bois est encore mieux, car on peut déplacer le piège et
l’utiliser n’importe où dans la maison.

z Modifier la forme de l’abattant augmente ses chances de toucher la souris. L’extrémité libre de
l’abattant est trop lâche pour attraper une souris, alors que s’il se referme pour passer dans les torsions du ressort, l’abattant devient efficace sur tous ses côtés.

z Le positionnement doit être fait de façon très précise dans ce piège. L’ajout d’un autre morceau de fil de fer rend plus facile sa fixation et son déclenchement. Quand une souris pousse la tige, le coin de l’abattant est libéré et la tapette actionnée. Par effet de levier, la tige nécessite moins de force pour déclencher le piège.

z La partie verticale du fil est inutile et peut même gêner la trajectoire de l’abattant. Raccourcir cette partie rend le piège moins coûteux et plus efficace. On voit dans cette étape que le système précurseur peut avoir plus d’éléments que l’actuel, autrement dit le système précurseur n’est pas forcément plus simple. Cette modification a des effets secondaires non négligeables : la tige, par exemple, était une amélioration facultative car le piège pouvait fonctionner sans, mais devient maintenant nécessaire suite à la modification des autres éléments.

z En positionnant le bout de la tige sous le fromage plutôt que sous le coin de l’abattant, une souris déclenchera plus sûrement le piège en mangeant le fromage.

z Il est plus facile et reviendra moins cher d’utiliser un fil de fer ordinaire pour l’abattant, et unautre pour le ressort. Dans le système précurseur, un seul élément tient deux rôles, celui deressort et celui d’abattant. Dans ce système, chaque élément remplit une fonction unique et nécessaire, ce qui, étape par étape, rend le système irréductiblement complexe.

z En conclusion, en proposant un modèle d’évolution de la tapette à souris, j’ai montré comment un système très simple peut évoluer pour finalement devenir d’une complexité irréductible.

L’argument de complexité irréductible dans l’oeil

p Ok, ton exemple est pas mal pour ce qui concerne la tapette à souris, mais est ce que tu penses pouvoir appliquer le même raisonnement pour un système biologique aussi complexe que l’oeil ?

z Je suis d’accord avec toi, l’oeil est un organe complexe et extrêmement spécialisé… Comment une telle structure a-t-elle pu résulter de la sélection naturelle ? Et bien, l’oeil primitif (ou « eye spot »), était retrouvé chez les organismes unicellulaires comme par exemple le stigmate chez Euglena. Le point rouge que l’on peut apercevoir permet de détecter la présence ou l’absence de lumière. Il est composé de protéines appelées photorécepteurs. Ces molécules sont de la même famille que des protéines déjà présentes chez nos ancêtres les bactéries. Cet « eye spot » représente un avantage sélectif, car il permet chez les organismes utilisant l’énergie solaire de rester dans des zones lumineuses, ou à l’inverse être protégé dans un endroit obscur.

z Une amélioration de cet « eye spot » chez les organismes pluricellulaires aboutit à la formation d’un « proto eye » permettant de détecter la direction de la lumière. En effet, une cavité contenant des cellules photo-réceptrices se forme : les rayons lumineux n’atteignent plus la totalité des cellules. Ce stade d’évolution de l’oeil est visible chez les vers plats comme le planarian.

z Au fur et à mesure que l’incurvation se fait plus forte, détecter la direction de la lumière devient
plus précis, jusqu’au stade « chambre noire » où les images peuvent être perçues. L’oeil du Nautile en est une illustration.

z La prolifération de cellules transparentes recouvrant la partie ouverte de l’oeil est un avantage sélectif qui permet à celui-ci d’éviter toute contamination.

z Cette couche de cellules transparentes protectrices va se diviser en deux membranes puis se
remplir d’un liquide ce qui facilite le transport d’oxygène et de nourriture jusqu’à ces cellules. La simple introduction de liquide entre ces deux membranes va avoir pour conséquence la formation d’une lentille bi-convexe. Ainsi les rayons lumineux seront focalisés, et donc la « quantité de lumière » perçue sera augmentée. Les lobopodes, des vers à pattes vivant il y a 500 millions d’années, possédaient ce type de lentille primitive. Pouvoir focaliser la lumière permet d’avoir une meilleure perception dans l’obscurité, l’acquisition de ce trait de caractère leur a permis de se réfugier plus profondément.

z À partir de cette ébauche primitive, l’évolution de l’oeil continue. On aboutit à la formation de la cornée, qui est une couche protectrice, et de l’iris qui permet de régler l’orifice d’entrée de la lumière. Cela rend avantageux un agrandissement de l’oeil et lui permet de s’adapter aux variations de luminosité.

z Chaque élément composant l’oeil a évolué en fonction des espèces et de l’environnement dans lequel elle se trouve, pour aboutir à la formation d’une grande diversité d’yeux spécialisés.Ainsi, on retrouve plusieurs types de photo-récepteurs très spécialisés permettant la détectionde différentes couleurs, ce qui explique que les insectes peuvent détecter les UV alors que leshumains non. Selon le même principe, les différentes formes de rétines et d’iris reflètent la spécialisation d’un oeil, que ce soit son adaptation à un milieux aquatique ou non, ou à un milieux plus ou moins lumineux.
Il a été prouvé que ces évolutions sont le résultat d’une succession de mutations aléatoires qui ont permis aux différentes espèces de mieux survivre dans leur milieu, où d’en coloniser de nouveaux. Il est important de comprendre que la majeure partie des mutations aléatoires apparaissant ne représentent pas un avantage sélectif. La complexité et la diversité des différents types d’yeux existants appuient la théorie de la sélection naturelle. Une multitude d’yeux différents pour des environnements, des utilisations et des adaptations à des milieux différents.

Conclusion sur les hypothèses finalistes

z Tes arguments sont faux, mais en plus, ils soutiennent que l’évolution est un processus dirigé, et donc soutiennent une hypothèse finaliste. Ça revient à essayer de prouver qu’un archer aurait visé l’endroit atteint par la flèche alors qu’en fait elle a été tiré au hasard, ou que l’oeil a été conçu pour voir.

Et faire une hypothèse finaliste sous prétexte que l’on ne sait pas expliquer quelque chose ne découle pas d’une démarche scientifique mais d’une croyance, et ne peut donc pas contrer la théorie scientifique de l’évolution.

z L’utilisation d’arguments finalistes pour soutenir des thèses pseudo-scientifiques contre la théorie de l’évolution est répandue. Par exemple aux États Unis, des personnes ont voulu orienter les programmes scolaires en faveur de ces croyances, appelées le dessein intelligent. Heureusement, la justice américaine a conclu, durant le procès de Dover, que le dessein intelligent ne doit pas être enseigné en tant que théorie scientifique.

L’effet Pangloss

z Certains zététiciens appellent ce biais de raisonnement l’effet Pangloss, du nom d’un personnage dans Candide. Il déclare qu’il n’y a point d’effet sans cause et que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes. Cela sous entend qu’une volonté ayant pour finalité le meilleur des mondes l’a amené à son état actuel…

Générique

  • Nous entendons parfois…
  • C’est la fatalité.
  • J’ai découvert les numéros du loto grâce à mon intuition.
  • Les Africains ont le rythme dans la peau.
  • Sommes-nous fait pour travailler ?
  • La nature est bien faite : pour preuve, le nombre d’or se retrouve un peu partout.

Ils ont affirmé…
J. Gautheret, Le Monde, 14/01/2010
« Haiti, la malédiction.
« C’est un pays […] qui semble depuis plus de deux siècles condamné au malheur. »
R. Chauvin, Nos pouvoirs inconnus, 1997

« Les forces en action dans l’univers sont très précisément calculées pour permettre l’apparition de l’homme […]. »

N. Sarkozy, Discours de Dakar, 26/07/2007

« Dans cet univers où la nature commande tout, […] l’homme reste immobile au milieu d’un ordre immuable où tout semble être écrit d’avance. »

Retrouvez le rapport complet des doctorants, ainsi que la description de cet atelier.

RM

CorteX_vieille_camera

Ateliers zétéclips – Clips critiques à l'usage des enseignants

En 2008 fut créé l’atelier Zétéclips au Centre d’Initiation à l’Enseignement Supérieur (CIES) de Grenoble. L’objectif était de faire plancher des doctorants-moniteurs de toutes disciplines sur la réalisation de clips vidéo illustrant des sophismes, effets, facettes zététiques, erreurs de raisonnement ou misreprésentations en science. Format libre, peu importe les compétences techniques audiovisuelles, le tout est de créer de la ressource pédagogique solide sur le plan scientifique, outillant les enseignants, et en passant un bon moment.
 La saison 2011-2012 démarre, aussi est-ce le temps d’une petite rétrospective, et d’une mise en lumière des travaux réalisés.

 


Les zétéclips : qu’est-ce que c’est ?

Les zétéclips 2009

Zétéclip Effet boule de neige – affaire « piano-man »

Zétéclip Effet Cigogne – la lune rousse

Zétéclip Effet Impact  – le DHMO

Zétéclip Effet Probabilité inversée

Les zétéclips 2010

Zétéclip Effet Puits

Zétéclip Effet Pangloss

Les zétéclips 2011

Zétéclip Effet blouse blanche – les frères Bogdanoff et le CERN

Zétéclip Effet Cigogne – Exemple de Dr House

Les zétéclips 2012


Les zétéclips : qu’est-ce que c’est ?

Nous sommes partis de l’idée que le flux d’information que les étudiants, et particulèrement les élèves reçoivent est majoritairement audiovisuel (télévision, internet, etc…)., et notre expérience nous montre que le support vidéo est facilement captivant dans les cours de pensée critique. La zététique étant une longue suite d’outils critiques aisés à imager, créer des clips « maison » était utile non seulement pour ceux qui les confectionnent, mais aussi pour ceux qui les regarderont. D’une pierre deux coups.

Quant à la charte graphique, très franchement, peu importe ! L’objectif est que les doctorants se fassent plaisir, en produisant un outil aussi rigoureux qu’amusant à regarder.

Note historique : le directeur du CIES de Grenoble de l’époque s’appelait CorteX_Didier_Retour Didier Retour, et c’est lui qui a soutenu le projet, avec ses collègues directes Michelle Vuillet et Régine Herbelles

Didier est brutalement décédé le 10 décembre 2010.

Les zétéclips 2009

  • Zétéclip Effet boule de neige – affaire « piano-man »

réalisé par Florent Cadoux, Thibaut Capron et Fabien Gaud.
[dailymotion id=x8omgr] 

  • Zétéclip Effet Cigogne – la lune rousse

réalisé par Lydia Caro, Bénédicte Poncet et Vivien Robinet.

[dailymotion id=x8omom] 

  • Zétéclip Effet Impact  – le DHMO

réalisé par Adrien Bousseau, Aldric Degorre, Fabien Gaud et Thierry Stein.
[dailymotion id=x8oroy] 

  • Zétéclip Effet Probabilité inversée

réalisé par Yoann Gabillon, Clément Moulin-Frier et Evaggelos Kritsikis.
[dailymotion id=x8uvl5]Description de l’effet

à portée pédagogique« , 2009.

Cet atelier a été primé meilleur projet CIES par les doctorants 2009 (zététiquement parlant, être qualifié de « meilleur » ne dit rien de la qualité intrinsèque – mais ça fait plaisir quand même !).

 

Les zétéclips 2010

  • Zétéclip Effet Puits

réalisé par Cyril Courtessole, Alexandre Porcher, Aurélien Trichet et Rémi Vial.
[dailymotion id=xkpol8] 

  • Zétéclip Effet Pangloss
réalisé par Nicolas Berthier, Axelle Davidas, Cyrille Martin et Marion Sevajol (entièrement réalisée à l’aide du logiciel libre Synfig).

Version longue (12mn37)
[dailymotion id=xdgknh]Version courte (3mn49)
[dailymotion id=xizm8p]Voir l’article Dialogue sur l’effet Pangloss 

Les zétéclips 2011

  • Zétéclip Effet blouse blanche – les frères Bogdanoff et le CERN

Réalisé par Mickaël Bordonaro, Maël Bosson, Thomas Braibant et Samuel Vercraene.
Deux parties de clip à comparer :
1ère partie
[dailymotion id=xkpqw2]2ème partie
[dailymotion id=xkprrc] 

  • Zétéclip Effet Cigogne – Exemple de Dr House

réalisé par Youssef Khoali, Clélia Pech, Matthieu Simonet et Xiaolan Tang,

 Script de la voix off du zététclip effet cigogne

Les zétéclips 2012

Thèmes encore non arrêtés.

Equipe : Adeline Bouvier, Gaëlle Chastaing, Joseph Emeras, Alexander Kondratov, Yvan Rivierre, Adeline Robert, Charlie Verrier et Ariel Waserhole.

 

https://cortecs.org/administrator/index.php?option=com_content§ionid=-1&task=edit&cid[]=264
CorteX_Lardry_Osteopathie

Parution – Les professionnels de santé et l'ostéopathie, par J-Michel Lardry

CorteX_Lardry_OsteopathieBook-e-book, petite maison d’édition alternative continue son travail d’éclairage des zones sombres de nos cerveaux. Dans cette collection pas mal de petits bouquins, dont certains signés de contributeurs et contributrices du CorteX (B. Axelrad, N. Gauvrit, R. Monvoisin, J. Van Rillaer, J. Poustis, J. Brissonnet, H. Broch).
.
Ce mois-ci sort le 14e ouvrage : Les professionnels de santé et l’ostéopathie, par J-Michel Lardry, directeur de l’Institut de Formation de Masseur-Kinésithérapeute de Dijon. Il y examine tous les aspects d’une thérapeutique « parallèle » ayant obtenu une reconnaissance officielle et pose la question : complémentarité, déviance ou expédient ?

 

Voici le résumé de la maison d’édition.

La médecine s’est considérablement développée en France à partir des années 50. La qualité de la formation, les conditions d’exercice, la mise à disposition d’outils performants (médicaments, examens de laboratoire et d’imagerie, etc.) et la recherche lui ont permis de progresser et de rendre d’incontestables services à la population concernée. Fort de ce succès, les représentants du corps médical se sont sentis particulièrement puissants, ne pouvant penser qu’une autre forme de médecine pouvait les concurrencer. Mais l’évolution considérable de la médecine et les résultats obtenus par cette discipline n’ont pas fait disparaître les autres formes de prise en charge d’un malade, appelées « médecines alternatives ». Bien au contraire, puisque certaines d’entre elles, comme l’ostéopathie, ont même obtenu une reconnaissance officielle de leur pratique par le législateur. Mais, au lieu de clarifier la situation, ces dispositions règlementaires ont semé le trouble, ne donnant satisfaction, pour des problèmes d’identité et de pratiques professionnelles, à aucun des acteurs concernés : médecins, paramédicaux, ostéopathes. Dans le contexte sociétal actuel et sachant que tout individu en souffrance physique ou psychologique aura souvent tendance à chercher un réconfort – et une écoute – dans les thérapies « non officielles », pourquoi ne pas chercher, dans l’avenir, à faire cohabiter intelligemment dans notre société la médecine scientifique et les médecines alternatives ?

 

Exigeons ces bouquins qui, édités par une petite maison d’édition, sont souvent ignorés par les grandes distributions. Ou mieux encore, passons directement par leur site.

RM

 


Note de lecture : Dans Les professionnels de santé et l’ostéopathie, j’ai trouvé des informations difficiles à réunir car habituellement éparpillées entre divers sites et ouvrages. Après être revenu sur ses origines et ses principes, l’auteur aborde l’aspect historique de l’ostéopathie en France et plus précisément son itinéraire pour devenir une pratique reconnue par l’état. J-M. Lardy nous présente ainsi les différents décrets, rapports et arrêtés publiés depuis 2002 et la loi officialisant l’ostéopathie (et de la chiropraxie) en France. Il illustre également les contradictions et/ou confusions que ces décisions ont créées au sein des praticiens mais aussi des patients.

On pourra regretter qu’une seule partie (p.59), très courte (2 pages), aborde l’efficacité (spécifique) de l’ostéopathie. D’après l’auteur, « Aucune étude n’a été identifiée avec ces caractéristiques [études contrôlées, randomisées, ou méta-analyses] dans le domaine de l’ostéopathie« . Il précise par la suite : « A l’heure actuelle, aucune preuve d’efficacité de l’ostéopathie n’a été apportée« .

Ce livre m’a donc permis de mieux comprendre la situation actuelle en France et les problèmes liés à celle-ci (conflit entre politiques et différents corps médicaux ou paramédicaux).

Hormis quelques passages, le ton est plutôt neutre dans l’ensemble car assez factuel, si ce n’est peut-être dans la conclusion où J-Michel Lardy écrit :

« Médecines officielles et non conventionnelles pourraient peut-être dans l’avenir être complémentaires. Aux yeux des patients, l’une pourrait avoir besoin des autres et inversement. Mais actuellement, les protagonistes des différentes médecines semblent rester, pour la plupart, sur leur pré carré, comme s’ils étaient persuadés de détenir la vérité, bien qu’il ne s’agisse que de leur vérité. Le patient ne peut trouver sa place dans un système ou la médecine officielle rejette l’empirisme et l’empirisme rejette la médecine officielle.« 

Le côté ‘avoir besoin des autres‘ est sans doute un peu flou même si l’on comprend ce que veut dire l’auteur. Cela peut néanmoins prêter à confusion en mettant sur un même pied d’égalité/efficacité la médecine basée sur les preuves et les médecines non conventionnelles. Quant à la phrase « la médecine officielle rejette l’empirisme et l’empirisme rejette la médecine officielle« , on pourra se demander en quoi la médecine officielle (terme d’ailleurs inadéquat – voir pour cela Dialogue sur la science) rejetterait l’empirisme, ce même empirisme qui fonde et accompagne toute pratique scientifique, la médecine y compris. Sans doute aurait-il pu être remplacé ou explicité afin de ne pas induire le lecteur en erreur.

En conclusion ? Un livre qui m’a apporté de nombreuses informations sur le sujet, utile donc pour savoir de quoi l’on parle…

DC


Note de lecture de Nicolas Pinsault qui a également lu cet ouvrage. Merci à lui pour ces commentaires.

Le livre de JM Lardry s’intéresse à la place de l’ostéopathie en France et traite en particulier de ses rapports avec le monde politique, médical et paramédical.

Je rejoins l’avis de DC sur le caractère informatif du chapitre « l’officialisation de la pratique de l’ostéopathie en France » où l’auteur fait un travail de synthèse et de commentaire des textes réglementaires publiés sur le sujet au cours de la dernière décennie. Cette synthèse pose clairement la question, mentionnée par l’auteur à la page 68 : comment les ostéopathes ont-ils procédé pour avoir autant d’influence auprès des pouvoirs publics ? Je regrette que l’auteur ne propose pas de piste de réflexion sur ce sujet.

Pour le reste du livre, je suis plus réservé. Je trouve lassant la confrontation médecine « officielle » / médecine alternative retrouvée tout au long du livre.

Le discours général est effectivement assez neutre comme le dit DC. Cependant au détour de paragraphes factuels on retrouve quelques éléments propices à discussions. Par exemple à la page 10 où l’auteur mentionne que « l’ostéopathie et la chiropraxie sont des sortes de médecines non officielles certes, mais peut-être efficaces puisque les patients qui font confiance à ces pseudo-thérapeutes se disent soulagés, voire guéris ». Il me semble qu’il aurait fallu détailler ici les critères d’efficacité et que cette affirmation est auto-validée.

A la page 18 l’auteur semble faire une pétition de principe à la médecine en mentionnant notamment que « la médecine ostéopathique repose sur les mêmes connaissances anatomiques et physiologiques [que la médecine officielle] mais s’en distingue par sa conception qui consiste à soigner les causes et non les symptômes des troubles et maladies ».

Cela sous-entend que la médecine ne traite que les symptômes, mais qu’est-ce qui vient étayer ce propos ? On retrouve également à plusieurs reprises dans le document la notion de « toute puissance » du corps médical, comme en 4ème de couverture où l’auteur avance que « fort de ce succès [le développement de la médecine depuis les années 50], les représentants du corps médical se sont sentis particulièrement puissants, ne pouvant penser qu’une autre forme de médecine pouvait les concurrencer ». Ces affirmations doivent être documentées comme d’autres passages dans le texte où l’on prête des idées et discours à des individus qui restent anonymes. On note par exemple le passage sur « les organisations professionnelles représentant les kinésithérapeutes [qui] ont essayé de redresser la barre ». On ne sait pas qui sont ces organisations ni même quand elles se sont exprimées. On leur prête ensuite un discours plutôt ambigu : « Comment se fait-il qu’une pratique de rebouteux, qui a été développée au milieu du XIXème siècle, parallèlement à la médecine balbutiante et qui n’a jamais fait la preuve de son efficacité, soit encore utilisée aujourd’hui ? ». La question est : qui a dit cela, quand et dans quel contexte ?

Quand l’auteur documente ses idées on peut questionner les critères de jugement. On peut par exemple souligner que l’auteur juge que l’impact de l’ostéopathie est bien plus grand que celui de la kinésithérapie dans notre société. Pour arriver à cette conclusion il argumente que le nombre de résultats fournis par Google est plus important lorsqu’on entre ostéopathie comme mot-clé que lorsqu’on entre kinésithérapie. Cela me laisse perplexe et voici au moins trois raisons à cela :

– De l’aveu même de l’auteur ostéopathie désigne tout autant « maladie de l’os » que « thérapie» donc le nombre de pages s’en trouve multiplié.

– Ostéopathie est utilisé dans toute la francophonie alors que kinésithérapie est un mot purement français (l’appellation francophone officielle étant physiothérapie).

– La majorité des pages contenant ostéopathie sont des sites privés faisant la publicité de tel ou tel cabinet alors que le code de déontologie l’interdit pour les kinés.

Je regrette également, à l’instar de DC, que l’analyse des fondements et de l’efficacité de l’ostéopathie ne soit pas plus fouillée. On ressort de la lecture avec l’impression que tout se vaut, médecine comme ostéopathie, et même au sein de l’ostéopathie l’auteur n’essaie pas de distinguer la valeur des courants de l’ostéopathie articulaire, viscérale, crânio-sacrée et énergétique.

Enfin, je ne peux pas terminer cette note sans parler du préambule ! Signé par Charles Ré, dont l’ouvrage ne nous dit rien. Son discours est flou, pour ne pas dire manipulateur, chargé de mots à fort impact émotionnel et qui mis bout à bout ne m’ont pas paru cohérents. L’ensemble est plein de jugements de valeurs, sans fondements, et pourrait même comporter quelques accents Freudiens mais je laisse le soin aux spécialistes d’analyser tout cela.


 

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Décortiqué – Relativité : Einstein contredit par des chercheurs du CNRS

Ci-dessous, une analyse de l’article du Figaro du 23 septembre 2011, Relativité : Einstein contredit par des chercheurs du CNRS.

Préambule : vous rappelez-vous l’arbre des possibles ? (voir ici, Illusion par validation subjective).
Faisons ici un petit arbre des possibles.

Soit ce scoop se révèle vrai – et nous assistons à un bouleversement de la physique – et donc à la confirmation que les médias avaient raison. Soit elle se révèle fausse – et nous oublierons qu’elle a existé, comme… les dizaines d’annonces du même type qui jalonnent les médias chaque anné (on relira par exemple Scénarisation de l’information : la technique de la peau de l’ours, ou bien les nombreux exemples dans Pour une didactique…)
Quel que soit le cas, personne ne pensera à venir épingler les Science & Vie, Sciences & Avenir, AFP, le Monde ou le Figaro lorsqu’ils nous alignent des effets d’annonce de ce type.
Ah si. Nous.
(et Arrêt sur Image, semble-t-il)


Complément ajouté le 16 mars 2012 – Nous attendions la suite de cette histoire avec impatience. Elle est arrivée dans ce très court article du Figaro titré Neutrinos pas plus rapides que la lumière, à lire à la fin de l’analyse de R. Monvoisin.


Analyse de RM : en noir

Je vais pointer seulement deux choses dans cet article : l’effet peau de l’ours, mais aussi l’épistémologie douteuse. Ces deux critiques sont valides que la nouvelle s’avère réelle ou non.

  • L’effet peau de l’ours

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Tout l’effet repose sur l’accroche du titre :

Des chercheurs du CNRS ont montré que des particules sont capables de voyager plus vite que la lumière.

Ton indicatif, pas de conditionnel, la nouvelle est à 100% démontrée. Pourtant, quand on entre dans l’article, la prétention de départ se dégonfle un peu.

Voici quelques exemples.
 
Si c’est vrai, c’est une véritable bombe pour la physique (…)
(…) Si les mesures de Dario Autiero et de ses collègues du CNRS à Lyon sont justes (…)
Les conséquences seraient tellement importantes que tous les spécialistes se veulent prudents et demandent que l’expérience soit reproduite ailleurs (…)

Cette technique journalistique : « je fais un titre péremptoire + un contenu où je mets des conditionnels » est une sorte de cache-misère. Comme le/la journaliste n’a pas les moyens de vérifier directement, il y a bluff sur l’annonce. Soit la nouvelle est vraie, et c’est « tout bénef ». Soit la nouvelle est fausse, et dans ce cas le journal brandira l’article pour rappeler la prudence avec laquelle ils ont traité le sujet. Il ne s’agit bien sûr pas du tout d’une spécificité du Figaro : cette technique est tellement courante qu’on se demande si elle n’est pas enseignée.

  • L’épistémologie douteuse
Si c’est vrai, c’est une véritable bombe pour la physique, c’est une découverte comme il en arrive tous les siècles», commente Thibault Damour
 
Cette phrase n’est pas bien grave en soi, même si elle laisse penser qu’une fois par siècle au moins un domaine est bouleversé. Ce n’est pas le cas : certains domaines sont plus stables que d’autres, d’autres étant même encore en pleine construction. En tous les cas, cette régularité prétendue n’a pas de sens, d’autant que le nombre de chercheurs travaillant n’a jamais été aussi important que maintenant. La probabilité de trouver de grands bouleversements est par conséquent inhomogène dans l’histoire humaine.
 
(…) Un phénomène tout simplement impossible d’après la théorie de la relativité restreinte d’Einstein
 
Inexact. L’impossibilité de quelque-chose ne se démontre pas (principe zététique). La théorie de la relativité ne prévoit pas ce phénomène, ce qui est différent. Ou plus précisément encore, que ce phénomène advienne et il faudra changer de théorie explicative. Une théorie n’a pas pour capacité à décréter des impossibilités « réelles ».
 
Si les mesures de Dario Autiero et de ses collègues du CNRS à Lyon sont justes, c’est toute la physique moderne qui est à revoir.
 
Heureusement que non. De même que la physique quantique n’a pas balayé la physique passée, mais a donné un cadre interprétatif plus vaste d’un nombre plus grand de phénomènes, cette nouveauté si elle se révèle exacte ne mettrait pas à revoir tous les acquis de la physique, mais permettrait de les revisiter.
 
Les conséquences seraient tellement importantes que tous les spécialistes se veulent prudents et demandent que l’expérience soit reproduite ailleurs, avec une autre équipe, avant de jeter d’un coup à la poubelle tout le travail d’Einstein sur la relativité.

Ils ont raison d’être prudents, car comme se le répète le sceptique, à prétention extraordinaire, preuve extraordinaire. (voir Outillage critique).  Par contre, même remarque que précédemment : le travail d’Einstein n’ira bien sûr pas à la poubelle. Nous sommes en plein scénario « déboulonnement d’idoles ».

La violation de la vitesse de la lumière a été observée sur un faisceau de neutrinos, (…)

Violation ? Le terme est impropre, car hérité du sens légaliste de Loi. Pour le problème posé par la métaphore juridique, voir Epistémologie – la loi en science et la métaphore juridique

(…) Un décalage qui paraît infime, mais qu’aucune théorie actuelle n’est capable d’expliquer.

Là, épistémologiquement, c’est bien plus juste : aucune théorie pour l’instant n’est en mesure d’intégrer ce fait nouveau. Cela n’enlève rien aux théories précédentes et à la prédictivité qu’elles offraient, mais les rend incomplètes.

RM

Complément

CorteX_Uzon_BarrauLe 3 octobre 2011, le physicien Jean-Philippe Uzon, chercheur en physique théorique et le cosmologiste Aurélien Barrau (que je connais, il est dans la même université que moi, au laboratoire de physique subatomique et de cosmologie (LPSC) de Grenoble) débattaient d’un sujet trépidant sur le plan épistémologique et sur lequel nous reviendrons au CorteX : les Multivers. Cela se passait sur France Culture, dans l’émission Contient Sciences. A la fin de l’émission, S. Deligeorges réintroduit la question de ce scoop. La réponse qu’en fait J-P. Uzon, commentée par A. Barrau, participe de notre analyse.

 

Non seulement il convient d’être précis (ce n’est pas la vitesse de la lumière qui change, mais potentiellement des particules qui la dépasseraient, en encore, ce qui n’est pas acquis) mais en outre le processus d’annonce dans les médias est très dérangeant.

Rappelons-nous que les cas où les médias se sont emparés de résultats avant même que les spécialistes puissent les regarder étaient de mauvais augure (Mémoire de l’eau, fusion froide, gène de l’homosexualité etc.).


Le 16 mars 2012, le Figaro.fr revient en catimini sur cette annonce :

Les neutrinos mesurés cet automne par l’expérience Opera n’allaient pas plus vite que la lumière, selon les calculs effectués par une autre équipe pour tenter d’élucider ce résultat qui remettait en cause la physique d’Einstein, a annoncé aujourd’hui le CERN.

Cette nouvelle mesure indique que les neutrinos n’ont pas dépassé la vitesse de la lumière, selon un communiqué du Centre européen de recherches nucléaires (CERN). « Il commence à y avoir des présomptions selon lesquelles les résultats d’Opera seraient liés à une erreur de mesure« , ajoute ce communiqué.

A suivre ! G.R.