CorteX_osteop

Médecine, ostéopathie, traitement de l'info – l'art de plier sous la pression

CorteX_osteopDidier Sicard est un ponte de la médecine française, et entre autres ancien président du Comité consultatif national d’éthique. Invité dans la Tête au Carré sur France Inter pour une émission sur les origines de la médecine, l’émission commence plutôt bien. Didier Sicard prend pour illustrer son propos l’ostéopathie (dont les fondements magico-théologiques par Still sont connus et critiqués [1]).

 

Quelques minutes plus tard, pluie de messages, entre autres d’ostéopathes ou de patients mécontents. Il va alors se passer un phénomène tout à fait sidérant : Monsieur Sicard va revenir sur ce qu’il a dit, s’emberlificoter les pinceaux, et finir par dire l’inverse de ce qu’il défendait au départ.

Complaisance ? Craquement sous la pression (certes forte des milieux ostéopathes – voir l’ouvrage de J-M. Lardry chroniqué là) ? Nous ne savons pas. Ce que nous savons par contre, c’est que tout et son contraire peuvent être dits à quelques minutes d’intervalles sur une émission de science en France.

Le mieux étant de juger sur pièces, j’ai coupé le premier passage, assez pertinent, puis le second, liés par un jingle [2]. J’ai retranscrit les propos qui se contredisent ci-dessous.

Passons sur les lieux communs du présentateur sur la « médecine officielle ».

D. Sicard :

(…) Coexistent dans notre pays par exemple des rhumatologues et les ostéopathes. Les ostéopathes n’ont pas de prétention à avoir une science médicale rationnelle et pourtant, le citoyen qui a mal dans le genou va aller voir son rhumatologue puis en même temps va aller voir quelques fois son ostéopathe, avec des résultats variables. Mais… ce n’est pas parce qu’il y a le recours à une irrationalité que ce n’est pas une médecine. (…)

(Quelques minutes passent)

M.Vidard :

(…) Didier Sicard, vous avez beaucoup chatouillé les ostéopathes tout à l’heure, on recoit pas mal de courriels, celui de Christian par exemple qui nous dit :

« Dire que l’ostéopathie est irrationnelle, de même que dire que la médecine occidentale est attentive et humble, c’est tout aussi fort. Si les médecins connaissaient l’anatomie aussi bien que les ostéopathes, ça serait déjà pas mal ».

Et puis un autre auditeur :

« Le docteur Sicard a-til eu la curiosité de consulter les programmes de formation des ostéopathes, et même d’expérimenter lui-même une séance ? Si l’ostéopathie relève de l’irrationnel, dans ce cas que dire de la kinésithérapie ? »

D. Sicard :

Je n’ai pas dit que c’était irrationnel… ce n’est pas forcément (?) la même rationnalité. Et les concepts de vertèbre déplacée ne correspondent pas aux concepts de médecine. Je ne dis pas que c’est une irrationnalité, c’est une autre forme de rationalité extremement efficace.

M.Vidard :

Ah ben c’est pas pareil alors.

D. Sicard :

…Oui mais j’ai jamais dit que c’était irrationnel, je dis simplement que… c’est une autre approche, et que… la médecine […] a fini par abandonner le corps, l’examen, or les ostéopathes connaissent parfaitement le corps, ont une plus grande conscience – et c’est le paradoxe – que les médecins dans l’approche du corps. Mais on peut pas tenir l’ostéopathie et la médecine sur la même unité de raisonnement sur ce qu’on appelle la causalité des douleurs, la physiopathologie, c’est une approche différente, mais comme depuis 5000 ans il y a toujours eu des multiples approches du corps et que la médecine n’a pas le monopole d’une approche rationnelle. Mais les ostéopathes ne sont pas du tout des charlatans, c’est une vraie médecine.

Extraordinaire explosion en vol, assez incompréhensible, piquée d’affirmations toutes plus étranges les unes que les autres et qui rappellent le café du commerce. Que signifie « la médecine ait fini par abandonner le corps, l’examen » ? Sur quelles données peut-on dire que « les ostéopathes connaissent parfaitement le corps, ont une plus grande conscience » [que les médecins] ? Pour dire « les ostéopathes ne sont pas du tout des charlatans« , fallait-il qu’il se pense suspecté de penser cela ? Je reste également perplexe devant cette affirmation : « la médecine n’a pas le monopole d’une approche rationnelle« . Pourtant, rares sont les « médecines » alternatives qui revendiquent une approche rationnelle, bien au contraire ! Il s’agit généralement de retourner vers l' »intuitif », la sensation.

Enfin, l’ostéopathie, c’est une « vraie médecine » ? Y aurait-il de fausses médecines ? Certes, tout dépend du mot médecine. Et paradoxalement, c’est le livre de D. Sicard qui est censé nous éclairer sur la définition du mot.

Deux choses me fascinent : d’une part, qu’il y ait un enjeu tel autour de la désignation de l’ostéopathie que ça fasse craquer un médecin renommé. D’autre part, que le présentateur, faussement subversif, laisse dire tout et son contraire à son micro pourtant financé par l’argent public.

Le débat serait plus simple posé ainsi : l’ostéopathie est-elle une science, qui se valide, se réfute, progresse, se corrige, etc. ? A l’école de Kinésithérapie de Grenoble, le débat scientifique commence.

Richard Monvoisin

[1] L’ostéopathie à la radio a déjà fait l’objet d’un TP ici. [2] Merci à Prince Rogers Nelson.

https://cortecs.org/exercices/a-decortiquer-l-pourquoi-losteopathie-peut-faire-du-bien-a-votre-bebe-r-france-info-janvier-2
CorteX_sentiers_utopie

Sociologie, sciences politiques – critique de "Les sentiers de l'utopie" par Franck Poupeau

CorteX_sentiers_utopieEn novembre 2011, le journal Monde Diplomatique a présenté un article signé Franck Poupeau, qui chroniquait le livre Les sentiers de l’utopie, d’Isabelle Fremeaux et John Jordan, un ouvrage sur la reconstitution de communautés destinées à faire émerger « un autre monde ». 

Franck Poupeau fait dans le mensuel une analyse politique de cet ouvrage (accompagné d’un film documentaire, cf. plus bas) dont il pointe les paradoxes et les limites : gens « exceptionnels », individualisme, élitisme, autant de raisons qui font de ces utopies fort sympathiques des modèles peu subversifs, et assez peu transposables à l’échelle mondiale.

 

Lundi 21 novembre, dans Là-bas si j’y suis sur France Inter, Franck Poupeau détaillait un peu son article, et faisait une analyse critique dont le début est reporté ci-dessous.

Voici l’extrait audio (environ 7mn) :

Richard Monvoisin


 

Le Monde Diplomatique, novembre 2011, p. 20

Peut-on changer le monde ?

Des gens formidables…

Lassés du simulacre démocratique et des organisations contestataires, des individus se regroupent et raniment la tradition communautaire. Avec quel horizon ?

L’élaboration de contre-modèles globaux au système capitaliste fait l’objet d’une intense réflexion dans les cercles de la gauche radicale, souvent accusée, bien injustement, de « ne rien proposer ». Mais une autre tendance se fait jour depuis quelques années : la reconstitution de communautés décidées à rompre avec la société de consommation et la politique institutionnelle. On en trouve une bonne illustration dans l’ouvrage publié par deux militants de l’altermondialisme, Isabelle Fremeaux et John Jordan — ce dernier étant un artiste connu pour son rôle dans le collectif Reclaim the Streets, étendard des « nouvelles formes » de protestation au tournant des années 1990-2000 .

Ce livre-film (un documentaire-fiction accompagne le texte papier) se présente comme un itinéraire initiatique et exploratoire au sein de diverses communautés susceptibles de faire émerger un autre monde. Le « Camp Climat » installé illégalement aux abords de l’aéroport de Heathrow en banlieue de Londres, un hameau des Cévennes devenu une « commune libre » gérée par des punks, des usines occupées en Serbie, ou le Zentrum für Experimentelle Gesellschaftsgestaltung (ZEGG), un camp de l’« amour libre » sis sur une ancienne base de la Stasi, sont quelques-unes des étapes marquantes de ce récit politique et poétique dont l’écriture parvient à restituer les émotions suscitées par les rencontres successives avec des êtres, des mots et des choses.

Si le choix des sites, diversifié et exemplaire, livre un panorama européen des utopies communautaires contemporaines, il est cependant difficile d’échapper à un sentiment ambivalent de frustration et d’irritation mêlées — un peu comme face à ces acteurs lisses des séries américaines qui collent si bien à leur rôle qu’on attendrait presque avec impatience la première fausse note dans leur interprétation. La description des expériences alternatives suit la plupart du temps le même schème narratif : les deux explorateurs, à la fois voyageurs, écrivains, analystes politiques, artistes, bohèmes, bref sans identité assignable si (…) La suite .

 

Les sentiers de l’utopie – documentaire 2010

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Sophisme écologique

Nous avons rencontré le sophisme écologique pour la première fois chez Skrabanek et McCormick, dans « Idées folles et idées fausses en médecine » (Odile Jacob, 1993, p. 36).


Le cas typique est celui de la recommandation à un individu d’un trait de régime particulier propre à un peuple réputé vivre vieux (Sardes, Japonais, etc.). Ces auteurs insistent sur l’importance que prend ce sophisme dans des domaines comme la prévention des cardiopathies ischémiques. La mortalité due à cette affection a été corrélée à de très nombreuses variables, parfois différentes d’un pays à l’autre. De nombreux médecins ont ainsi été conditionnés à recommander des modifications de régime et de style de vie sans l’appui démonstratif de données expérimentales. « Fait étonnant, ajoutent-ils, le taux de mortalité infantile et le nombre de médecins sont parallèles dans dix-huit pays développés (référence : éditorial, « The anomaly that wouldn’t go away », Lancet, nov. 1978, 4;2(8097)). Ce serait cependant pousser le bouchon un peu loin que de recommander, sur la foi de cette observation, de limiter le nombre de médecins. » On retrouvera ce sophisme agrémenté de l’argument d’exotisme dans les thérapies Nouvel-Âge : parce que nos anciens/les Bushmen du Kalahari/les Aborigènes/Les Indiens d’Amazonie/les Tibétains ont telle ou telle aptitude, il est conseillé d’emprunter un élément de leur régime qui corrobore la pseudo-théorie médicale. De tels argumentaires sont vantés dans les thérapies ayurvédiques et dans le mouvement du crudivorisme et de l’instinctothérapie en France.
D’autres exemples simples :
  • tirer de la moyenne des tailles du pénis humain d’un pays un « pénis » moyen (cf. Monvoisin, Baudruche médiatique : Linux et les pénis)
  • tirer d’une suite de commentaires ou de témoignages un avis « moyen » (cf. Décortiqué – Argumentaires sur Le Mur – II)
  • tirer d’une moyenne des Quotients Intellectuels d’un pays un QI moyen du pays.

Pour une approche plus poussée de ce sophisme, voir S. Greenland et J. Robins, « Invited commentary: ecological studies-biases, misconceptions, and counterexamples », Am. J. Epidemiol., 1994, 139:747-60.

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Psychologie – L’argument « des résistances » contre la psychanalyse par Jacques Van Rillaer

Vous critiquez la psychanalyse ? C’est inconscient, un mécanisme de défense de votre part : vous devriez suivre une psychanalyse !La critique de la psychanalyse étant contenue et prévue dans la théorie, celle-ci devient irréfutable. Que faire face à un tel argument ?


Notre collègue Jacques Van Rillaer met aimablement à disposition le chapitre L’argument des résistances à propos de la critique de la psychanalyse, publié dans son ouvrage Les illusions de la psychanalyse (éd. Mardaga, 4e éd., 1996).

CorteX_VanRillaer_Illusions_psychanalyseC’est un très bon matériel pour creuser le problème de l’irréfutabilité des théories psychanalytiques [1].

 « Freud et ses disciples qualifient de « résistance » toute remise en question de la psychanalyse et voient là une confirmation supplémentaire de leur credo. Un examen de ce mode de réfutation apparaît dès lors comme une question préalable à toute analyse critique de la doctrine freudienne. Nous verrons d’abord comment le concept de résistance s’est développé et a servi à désamorcer toute polémique. Ensuite nous examinerons la valeur épistémologique de cette défense, qui rend le système analytique invulnérable, du moins en apparence. »

Lire la suite

[1] déjà abordée par l’épistémologue Karl Popper, dans La Logique de la Découverte Scientifique et Conjectures et Réfutations.

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Décortiqué – Argumentaires sur Le Mur II

Vous venez du  TP « A décortiquer – Argumentaire sur Le Mur II » ?
Voici l’analyse des arguments du message de Thomas Legrand, proposé par Nicolas Gauvrit*, et montrant des arguments fallacieux, ici principalement à l’encontre des mères d’enfants autistes. C’est un bon entraînement au décorticage de sophismes, post hoc ergo propter hoc, attaque ad hominem, pétition de principe, etc.


Nicolas Gauvrit :

Il y a quelques semaines, Thomas Legrand  a envoyé un mail mécontent à l’association Autisme Sans Frontières, mail qui semble s’adresser plus spécifiquement aux mères d’enfants autistes afin de leur rappeler que malgré leur « hystérie collective » suite à la sortie du film Le Mur, la mère reste la seule cause d’autisme chez l’enfant. D’ailleurs, l’agressivité de ces « furies » vis-à-vis de ceux qui dévoilent les responsabilités prouve bien qu’elles ont un problème – c’est le genre de tourbillon sophistique qui mériterait peut-être le nom de « sophisme psychanalytique » : si vous pensez que j’ai tort, c’est bien la preuve que j’ai raison !

Je propose ici un petit décryptage de ce courriel, qui pourrait bien être une parodie, d’ailleurs.
Mes réactions en noir sont inscrites au fil du texte. En rose, des compléments sont donnés par Richard Monvoisin
ATTENTION : Le texte en bleu n’est pas de moi, mais de Thomas Legrand [TL]. Il s’agit de citations de son mail.

L’ensemble des commentaires de mères d’autistes ne montre pas une grande capacité à la remise en cause… Certes, le discours des psychanalystes ne doit pas être facile à entendre pour vous. Mais quand la seule réponse que vous leur faites est qu’ils sont fous, archaïques, dépassés par la science moderne, quand vous affirmez qu’ils accusent les pauvres mères de tout et de son contraire, vous ne faites que confirmer ce qu’ils affirment : au début de l’histoire d’un enfant autiste, on trouve en général une mère rigide (incapable de la moindre remise en cause), utilisant son enfant pour réaliser ses propres fantasmes de toute-puissance.

Il y a ici deux arguments, qui se résument ainsi : (1) ce n’est pas parce que ce que disent les psychanalystes est déplaisant pour les mères qu’ils ont torts. Dire qu’ils sont fous, archaïques, etc. n’est pas un argument, et même (2) en les attaquant vous montrez que vous êtes agressives, ce qui confirme ce qu’ils disent.

L’argument (1) est correct. Je suis régulièrement choqué d’entendre présenter la culpabilisation des mères comme contre-argument aux psychanalystes. Ce n’est pas parce que les mères sont blessées que les psychanalystes ont tort, certaines réalités sont hélas vexantes. [Sophisme justement dénoncé par TL : confusion entre le vrai et le bon]

L’argument (2) est en revanche fallacieux : en réagissant de la sorte, les mères n’ont pas un discours rationnel , mais elles ne se montrent pas « rigides », et même si elles se montraient rigides, cela ne prouverait rien de l’hypothèse psychanalytique, qui dit qu’elles étaient rigides avant et que c’est pour cela que leur enfant est autiste. Il y a là une triple arnaque (sans compter le fait de laisser supposer que toutes les mères d’autistes ont le même discours) :

(A) Contester les critiques (surtout quand on a raison) n’est pas faire preuve de rigidité. Exemple : Thomas Legrand n’a pas changé d’avis, si ça se trouve. [Sophisme lié à l’affirmation du conséquent](B) Même si les mères d’autistes sont rigides, cela ne signifie pas qu’elles l’étaient avant. [Sophisme temporel](C) Même si elles l’étaient avant, cela ne prouve pas que c’est cela qui a causé l’autisme. [Sophisme post hoc ergo propter hoc]Je (RM) ferai une analyse un tout petit peu différente.

L’ensemble des commentaires de mères d’autistes (1)(2) ne montre pas une grande capacité à la remise en cause…(3) Certes, le discours des psychanalystes ne doit pas être facile à entendre (4) pour vous (5). Mais quand la seule réponse que vous leur faites (6) est qu’ils sont fous (7), archaïques, dépassés par la science moderne (8), quand vous affirmez qu’ils accusent les pauvres mères de tout et de son contraire (9), vous ne faites que confirmer ce qu’ils affirment (10) : au début de l’histoire d’un enfant autiste, on trouve en général une mère rigide (11) (incapable de la moindre remise en cause) (12), utilisant son enfant pour réaliser ses propres fantasmes de toute-puissance (13).

  1. Sophisme écologique : on regroupe des données globales d’une population pour en tirer une opinion

  2. Tri des données : on sait que les témoignages/commentaires ne sont produits que si les gens ont accès au dit média, s’ils ont les moyens ou le courage de s’exprimer, etc. En clair, cette collection n’est peut-être pas représentative des mères d’autistes.

  3. Suite du sophisme écologique – désormais les commentaires épars deviennent une personne morale, qui n’a pas « une grande capacité à.. »

  4. Inversion de la responsabilité : ce n’est pas moi qui me trompe, mais vous qui ne comprenez pas.

  5. Suite du sophisme écologique. Les mères d’autistes deviennent un corps homogène.

  6. Suite du sophisme écologique. La collection de commentaires devient une seule « voix, une seule réponse.

  7. Technique de l’épouvantail : grimer les critiques en une seule, ridicule et pathologisante.

  8. Amalgame de décrédibilisation : en associant « fous » et « archaïques, dépassés par la science moderne », cela affaiblit notablement la force des deux autres critiques.

  9. Suite de l’amalgame de décrédibilisation : « tout et son contraire », c’est un peu comme une cacophonie, à tort et à travers.

  10. Irréfutabilité de la théorie (cf. Argument des « résistances », de J. Van Rillaer)

  11. Utilisation de la pseudo-théorie de Bettelheim

  12. Bricolage : l’auteur tente de faire concorder « mère rigide » et « incapable de la moindre remise en cause » pour assoir son argumentation.

  13. Utilisation de la pseudo-théorie freudienne (fantasme, toute-puissance)

Ce documentaire montre que le discours des psychanalystes est posé et construit.

Ici, on suggère de manière implicite que si un discours est cohérent, il doit être vrai. Mais le discours des astrologues, des homéopathes, etc. est également très construit. Cela ne dit rien de leur validité. [Sophisme : la cohérence interne comme preuve d’une théorie]

La documentariste avait préparé des questions dans le but de les déstabiliser.

Ça n’est pas ce que dit la réalisatrice. TL suppose que la réalisatrice était animée de buts négatifs – ce qui d’ailleurs ne changerait absolument rien à la question de savoir si les psychanalystes ont raison ou tort. [Sophismes : affirmation péremptoire + attaque ad hominem].

J’y vois pour ma part un procès d’intention tout simple.

Il aurait été intéressant de voir le propre visage de la documentariste (qui reste caché…) quand elle s’aperçoit qu’aucune de ses questions n’a l’effet qu’elle espérait : tourner les psychanalystes en ridicule.

 La parenthèse fait aussi partie sinon des sophismes, au moins de la rhétorique (et non de la démonstration). Curieuse manière de procéder pour quelqu’un qui vient de dénoncer la moquerie… [Stratagème : Insinuation moqueuse]

Mères d’enfants autistes, répondez une par une aux affirmations des psychanalystes, avec si possible, un discours aussi posé et construit que le leur.

Injonction si fréquente et tellement sophistique ! Que Thomas Legrand démontre donc qu’il n’y a pas de licorne rose invisible s’il pense que ma théorie est délirante ! C’est à celui qui formule une hypothèse de la démontrer. [Sophisme : Inversion de la charge de la preuve].

Quand vous ne faites que répondre par la moquerie, et la foi aveugle dans ce que vous appelez un « consensus » de la « science moderne » (consensus qui n’a jamais existé, ce documentaire ne fait que le prouver (à moins d’exclure par définition les psychanalystes du certificat de « scientifique moderne »)), vous ne faites que confirmer ce qu’ils affirment.

Il y a ici une série d’affirmations et plusieurs arguments mêlés.

Il est vrai que la moquerie n’est pas une preuve.

Il s’agit toujours de cette technique de l’épouvantail : l’auteur transforme une contestation clinique en une stratégie de moquerie et de foi aveugle.

Il suffit de regarder l’autre documentaire de Sophie Robert, où Monica Zilbovicius expose les connaissances scientifiques sur l’autisme pour voir qu’il n’y a certes pas consensus dans le monde scientifique pour savoir quelle serait la cause ultime de l’autisme, mais qu’il y a bien consensus sur certains points, comme l’efficacité de la méthode ABA pour n’en donner qu’un. Il y a ici un jeu sur les sens de « consensus » : le consensus sur toute la théorie n’existe pas, mais cela ne veut pas dire qu’il n’a pas un domaine consensuel, qui à lui seul réfute la psychanalyse.

Jouer sur le double sens, commun et scientifique, d’un mot s’appelle en zététique un effet paillasson.

Le morceau de phrase « à moins d’exclure par définition les psychanalystes du certificat de « scientifique moderne » » peut être compris comme un deuxième exemple de jeu de polysémie. On exclut effectivement les psychanalystes de la science (pas seulement moderne)… par définition de la science. Mais on peut parier que « par définition » sonnera chez beaucoup comme « par principe » – et même « par principe arbitraire ». Or il n’y a là rien d’arbitraire : la psychanalyse n’est pas scientifique, parce que ses méthodes ne sont pas celles de la science, tout simplement. De nombreux psychanalystes revendiquent d’ailleurs ce statut hors-la-science.

La fin de la phrase « vous ne faites que confirmer ce qu’ils affirment » est une répétition d’un sophisme déjà vu plus haut.

Certes, le discours des psychanalystes est parfois intransigeant. Demandez-vous pourquoi. A quoi est conduit un psychologue, un observateur neutre, quand il se retrouve face à des mères montrant tant de hargne ?

Bel exemple d’inversion temporelle. La « hargne » dont il est question est une conséquence de la théorie des psychanalystes… elle n’était pas là avant.
L’inversion de causalité est classée dans les effets cigogne
En outre, le problème n’est pas la manière intransigeante que des psychanalystes peuvent avoir de présenter leur théorie (ils sont d’ailleurs en pratique souvent prudents, au contraire), mais la théorie elle-même.

On ne peut pas sauver un enfant autiste en demandant gentiment à sa mère si elle veut bien accepter qu’on l’éloigne un peu de son enfant en souffrance, en lui demandant gentiment si elle veut bien se remettre un peu  en cause. Si on n’est pas ferme avec ces mères hargneuses, l’enfant autiste n’a aucune chance de s’en sortir.

Ce paragraphe suppose sans le dire que les psychanalystes ont raison [Sophisme lié à la pétition de principe]. S’ils avaient raison, le paragraphe serait valide.

Or rien ne vient à l’appui de cette théorie.

Dernière chose : s’il y a bien un discours ridicule, c’est celui de prétendre prouver que le discours adverse est faux avec un seul contre-exemple (la famille en forêt avec la mère gentille et dynamique sous fond de  musique douce et gentille). A ce petit jeu on peut opposer beaucoup d’autres exemples. Il y a moins de deux semaines par exemple, à Martigues, une mère dépressive tue son fils autiste et se suicide.

Encore un magnifique triple sophisme.

(1) Ce n’est pas aux opposants de montrer que la psychanalyse a tort, mais à la psychanalyse de montrer qu’elle a raison [Sophisme : inversion de la charge de la preuve].

(2) Contrairement à ce qui est écrit en toutes lettres, on peut montrer qu’un discours adverse est faux avec un seul contrexemple quand le discours adverse est universel. Si je dis « tous les nombres entiers sont pairs », un contre-exemple comme 1 suffit. Or, la psychanalyse fait régulièrement ce genre d’affirmations universelles. « On ne peut pas sortir de l’autisme » est réfutable en un contrexemple.

(3) Je ne pense pas que le contrexemple ait été pensé par la documentariste comme une démonstration, mais comme une illustration. Caricaturer la position de l’autre (ici faire croire que l’exemple est pensé comme une preuve) pour mieux la descendre, c’est encore un sophisme [L’épouvantail]. La preuve que les méthodes ABA ou autres fonctionnent ne se fait pas sur un exemple, mais sur des dizaines d’études contrôlées, du type de celles que les psychanalystes refusent de faire et dont ils refusent les conclusions si elles ne leurs sont pas favorables [1].

Tout cela est peut-être un canular, mais le texte permet en tout état de cause une bonne introduction à la pratique des sophismes.

Nicolas Gauvrit


Pour tout commentaire éclairant ou contribution, écrivez-nous !

* Nicolas Gauvrit est un collaborateur du CorteX, docteur en psychologie cognitive et maître de conférence en mathématiques à l’Université d’Artois.
[1] On peut faire référence au rapport de l’INSERM consacré à l’évaluation des psychothérapies, enterré en 2005 par Philippe Douste-Blazy alors ministre de la santé. Une revue de presse sur ce sujet. (note de N Gaillard)

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A décortiquer – Argumentaires sur Le Mur II

Vous avez probablement suivi la polémique autour du documentaire Le Mur – la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme. Non ? Alors cliquez là.
Les retours ne se sont pas fait attendre, et comme lors de chaque contestation de l’institution psychanalytique un festival d’argumentaires très discutables affleurent et pourraient remplir les pages web du corteX.


Nous avons proposé un il y a quelques semaines un premier travail pratique (TP) sur les argumentaires lacaniens [1].

Voici un second TP du même genre.
Le message que nous soumettons à l’analyse est rédigé par un « certain » Thomas Legrand [2], traitant encore du film « Le Mur« , et reproduit plus bas (ainsi que sur le site d’Autisme sans frontières).
Mode d’emploi proposé par le CorteX :
  1. Dans un premier temps, lisons attentivement le message ci-dessous en essayant de repérer les arguments fallacieux. 
  2. Dans un second temps, étudions l’argument des résistances de Jacques Van Rillaer.
  3. Enfin, suivons le décorticage de ses propos par notre compère Nicolas Gauvrit [3].

[1] Il s’agissait du décorticage de l’analyse du film « Le mur – la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme« , par Pierre-Yves Gosset, psychanalyste lacanien. Nous avions mis à décortiquer son article-pamphlet « Comment se servir de l’autisme pour « casser du psychanalyste » » puis décortiqué ces propos avec l’aide de notre collègue psychologue Jacques Van Rillaer.

[2] On pense, sans être sûrs, qu’il s’agit de Thomas Legrand, de France Inter. Nous allons lui poser directement la question, mais son identité présente moins d’intérêt que ses propos, assez caractéristiques de la défense des positions psychanalytiques concernant l’autisme.

[3] Nicolas Gauvrit a déjà contribué à nos ressources ici. 


Message adressé par Thomas Legrand à Autistes sans frontières,
au sujet du film « Le mur ; la psychanalyse à l’épreuve de l’autisme« 
 
L’ensemble des commentaires de mères d’autistes ne montre pas une grande capacité à la remise en cause… Certes, le discours des psychanalystes ne doit pas être facile à entendre pour vous. Mais quand la seule réponse que vous leur faites est qu’ils sont fous, archaïques, dépassés par la science moderne, quand vous affirmez qu’ils accusent les pauvres mères de tout et de son contraire, vous ne faites que confirmer ce qu’ils affirment : au début de l’histoire d’un enfant autiste, on trouve en général une mère rigide (incapable de la moindre remise en cause), utilisant son enfant pour réaliser ses propres fantasmes de toute-puissance.
 
Ce documentaire montre que le discours des psychanalystes est posé et construit. La documentariste avait préparé des questions dans le but de les déstabiliser. Il aurait été intéressant de voir le propre visage de la documentariste (qui reste caché…) quand elle s’aperçoit qu’aucune de ses questions n’a l’effet qu’elle espérait : tourner les psychanalystes en ridicule.
 
Mères d’enfants autistes, répondez une par une aux affirmations des psychanalystes, avec si possible, un discours aussi posé et construit que le leur. Quand vous ne faites que répondre par la moquerie, et la foi aveugle dans ce que vous appelez un « consensus » de la « science moderne » (consensus qui n’a jamais existé, ce documentaire ne fait que le prouver (à moins d’exclure par définition les psychanalystes du certificat de « scientifique moderne »)), vous ne faite que confirmer ce qu’ils affirment.
 
Certes, le discours des psychanalystes est parfois intransigeant.
Demandez-vous pourquoi. A quoi est conduit un psychologue, un observateur neutre, quand il se retrouve face à des mères montrant tant de hargne? On ne peut pas sauver un enfant autiste en demandant gentiment à sa mère si elle veut bien accepter qu’on l’éloigne un peu de son enfant en souffrance, en lui demandant gentiment si elle veut bien se remettre un peu en cause. Si on n’est pas ferme avec ces mères hargneuses, l’enfant autiste n’a aucune chance de s’en sortir.
 
Dernière chose : s’il y a bien un discours ridicule, c’est celui de prétendre prouver que le discours adverse est faux avec un seul contre-exemple (la famille en forêt avec la mère gentille et dynamique sous fond de musique douce et gentille). A ce petit jeu on peut opposer beaucoup d’autres exemples. Il y a moins de deux semaines par exemple, à Martigues, une mère dépressive tue son fils autiste et se suicide.

Lire l’analyse de Nicolas Gauvrit

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Cycle de conférences à l'Alcazar

CorteX_AlcazarEn partenariat avec la bibliothèque municipale de Marseille L’Alcazar, le CorteX organise un cycle de conférences autour du thème Esprit critique et Sciences.

De septembre à décembre 2011 et de février à juin 2012, les mercredis de 17h à 19h, la bibliothèque municipale de Marseille l’Alcazar accueille le CorteX et ses collaborateurs pour un cycle conférences. C’est autour du thème Esprit critique et Sciences que nous avons voulu concentrer nos efforts avec un seul objectif : présenter une information critique rigoureuse et accessible pour faire nos choix en connaissance de cause.

L’entrée est libre, venez nombreux(ses) !

Le programme :

– Mercredi 28 septembre 2011 : L’astrologie est-elle scientifique ? par Denis Caroti
– Mercredi 26 octobre 2011 : Le concept de Nature et ses dérives par Guillemette Reviron
– Mercredi 16 novembre 2011 : La conscience laïque dans les sciences par Guillaume Lecointre
– Mercredi 23 novembre 2011 : Médecines et pratiques non conventionnelles : comment s’y retrouver ? par Richard Monvoisin
– Mercredi 14 décembre 2011 : Zététique : l’Art du doute par Henri Broch
Mercredi 1er février 2012 : Sciences et esprit critique par Denis Caroti
Mercredi 7 mars 2012 : Psycho-pop, psychologies de comptoir et leurs dérives, par Nicolas Gaillard
Mercredi 4 avril 2012 : Thérapeutiques manuelles, comment s’y retrouver ?, par Nicoals Pinsault
– Mercredi 2 mai : Comment (se) tromper avec les statistiques, par Nicolas Gauvrit
– Mercredi 6 juin : Journalisme, science et probité intellectuelle, par Richard Monvoisin
 




 
Lieu : Bibliothèque de L’Alcazar, 58 Cours Belsunce, 13001 Marseille
Contact : accueil-bmvr@mairie-marseille.fr

 

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Dans la secte – BD sur la mécanique sectaire

Les mécaniques d’emprise sectaire sont assez peu intuitifs, et lorsque nous abordons ces sujets, qui viennent vite dans nos enseignements, il nous faut d’abord balayer quelques idées reçues, puis détailler les techniques classiques utilisées consciemment ou non par les mouvements pour capter un individu, et progressivement le soumettre à un système aliénant. Nous utilisons pour cela de très bons travaux pour sourcer et illustrer, comme ceux de Prevensectes, parfois ceux du GEMPPI, ainsi que les travaux ministériels de la MIVILUDES (même s’ils sont parfois un tantinet moralistes et bien-pensants). Nous utilisons aussi des témoignages directs, comme celui de Roger Gonnet, ancien membre de l’Eglise de la Scientologie, qui nous a accordé des entrevues pour le corteX (et dont le site s’appelle Antisectes). Cette fois, c’est une bande dessinée qui permet de facilement introduire la discussion sur ces questions.
Cette BD s’appelle Dans la secte.

 


 

CorteX_Dans_La_secte_boite_a_bullesL’histoire…

« Dans la nuit, une jeune fille court pour attraper son train. Elle désire partir au plus vite. Mettre des kilomètres entre elle et cette secte où elle vient de passer plusieurs mois, éprouvants, éreintants. Dans la tranquillité du train qui file vers Paris, Marion se souvient de l’itinéraire qui l’a amenée jusqu’ici : publicitaire aux soirées aussi remplies que les jours, en rupture amoureuse et familiale, elle suit les conseils d’un ami qui lui propose de venir se ressourcer, s’épanouir grâce à des techniques scientifiques parfaitement éprouvées. Marion met, avec espoir, le doigt dans un engrenage dont il lui faudra des années pour s’extirper entièrement. L’itinéraire de Marion n’a rien d’extra-ordinaire. Il est malheureusement banal et ne pourrait faire la Une des journaux. C’est ce qui le rend exemplaire : Marion ressemble à n’importe quel adepte de sectes, son endoctrinement a été progressif, sans violence. Mais il l’a laissée durablement meurtrie. Et elle a dû prendre sur elle pour confier dans le détail son histoire à Louis Alloing, son ami dessinateur de BD, et à Pierre Henri, le scénariste de cet album. Un témoignage poignant réalisé en coopération avec l’union des Associations de Défense de la Famille et de l’Individu, une des plus importantes associations de lutte contre les sectes. ».

Ce n’est pas une « immense » BD à mes yeux, mais elle est très pédagogique sans être simpliste.

Pour voir quelques planches, c’est ici, chez La boîte à bulles

Dessin : L. Alloing Scénario : P. Guillon (alias Pierre Henri) Coloriste : P. Guillon (alias Pierre Henri) Préface : C. Picard
88 pages brochée Prix : 13.9 € Collection : Contre-coeur

Richard Monvoisin

www.antisectes.net/

Entraînez-vous ! Réactions à l'entrée du genre dans les programmes de 1ère

Voici un petit échantillon de réactions médiatiques à l’entrée du genre dans les programmes de première (sections L et ES) en septembre 2011. Les hommes et femmes politiques et les journalistes se sont questionnés, indignés, énervés, disputés autour de la notion du genre, réactivant par là-même de nombreuses idées reçues et confusions sur les différences Homme/Femme, mais aussi sur la distinction sciences dures/sciences humaines et sur les notions nature/culture. Une occasion rêvée de mettre en pratique nos ressources sur le genre (ici et ), mais aussi sur la science ou sur la notion de nature, ainsi que notre outillage critique.


Le mode d’emploi est simple : il suffit de choisir sa cible, de l’analyser ou d’en faire un TP et de nous faire part de vos trouvailles ! Notre analyse est ici.

  • Vidéos 1 et 2 Montages de réactions sur le genre réalisés par Arrêt sur Image (émission du 9 septembre 2011)
  • Vidéo 3 Trouvée sur le site Liberté Politique, dans un article intitulé L’idéologie du gender à l’école et à l’université (15 juin 2011) 
  • Document 1Article  du Figaro.fr du 01/06/2011
  • Document 2 Lettre ouverte de Christine Boutin à Luc Châtel, 3 Juin 2011
  • Document 3 Article du Nouvel Observateur du 30 août 2011 
  • Document 4 Article de France catholique du 30 Mai 2011

Vidéos 1 et 2 – Montages de réactions sur le genre réalisés par Arrêt sur Image (émission du 9 septembre 2011) :

Vidéo 2 bis – Intégralité de l’interview du député Lionel luca sur M6 Bonus.fr tronquée dans la vidéo 2 :

Vidéo 3 – Trouvée sur le site Liberté Politique, dans un article intitulé L’idéologie du gender à l’école et à l’université (15 juin 2011) :

Document 1 – Article  du Figaro.fr du 01/06/2011

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Les catholiques mobilisés contre les manuels de biologie.

La direction de l’enseignement catholique s’inquiète de l’introduction en première de la «théorie du genre», contestant les différences homme-femme.

Après que les associations familiales catholiques ont envoyé une lettre à Luc Chatel et organisé une pétition de protestation, l’enseignement catholique s’alarme à son tour des nouveaux programmes de sciences de la vie et de la terre (SVT) en classe de première, applicables à partir de septembre 2011.

Son secrétaire général adjoint, Claude Berruer, a envoyé vendredi une lettre à l’ensemble des directeurs diocésains qui vont la transmettre aux chefs d’établissement de l’enseignement catholique pour les tenir « en alerte». C’est la partie concernant la sexualité humaine dans les programmes qui les inquiète. Le chapitre intitulé «devenir homme ou femme» fait «implicitement référence à la théorie du genre, qui privilégie le “genre” considéré comme une pure construction sociale, sur la différence sexuelle», est-il affirmé dans la lettre. «L’identité masculine ou féminine, selon cette théorie, n’est donc pas une donnée anthropologique mais une orientation.» Les manuels qui commencent à arriver dans les établissements exploitent, «selon des modalités diverses», cette partie du programme, affirment-ils. Le manuel Bordas indique ainsi: «Si dans un groupe social, il existe une très forte valorisation du couple hétérosexuel et une forte homophobie, la probabilité est grande que la majorité des jeunes apprennent des scénarios hétérosexuels.»

«On est loin de l’anthropologie chrétienne», commente-t-on au sein de l’enseignement catholique. Mahin Bailly, la responsable des éditions Bordas, reconnaît «une certaine maladresse dans l’élaboration d’un passage» mais insiste sur le fait que le livre est conforme aux programmes: «on nous demande d’évoquer l’influence du contexte sur le comportement sexuel. Il n’y a là rien de choquant», estime-t-elle, s’appuyant sur une étude sociologique évoquée ensuite par le manuel. À Hambourg, en 1970, dans les années de la révolution sexuelle, 18% des adolescents avaient ainsi des activités homosexuelles alors qu’en 1990, avec le sida et les changements culturels, ils n’étaient plus que 2%.

Les programmes font le point sur des connaissances scientifiques clairement établies pour le directeur de l’enseignement scolaire, Jean-Michel Blanquer. «Il ne s’agit pas de favoriser telle ou telle théorie sociologique particulière. S’il y a une extrapolation de certains manuels, ce n’est pas de la responsabilité du ministère. Les établissements et les professeurs sont libres dans leur choix d’ouvrages. Cela dit, le fait qu’il y ait une dimension biologique et sociale du sexe est établie depuis longtemps.»

Cette analyse n’est pas partagée par tous. Selon Claude Berruer, «on naît fille ou garçon, on n’est pas un être indifférencié sexuellement à la naissance. Ce n’est pas rendre service à des jeunes de leur dire que tous les possibles sont équivalents. Le choix des manuels n’est pas anodin. Nous recommandons de faire preuve de vigilance, sans pour autant dramatiser.»

Thibaud Collin, professeur de philosophie en classe préparatoire au lycée catholique Stanislas, et auteur d’essais sur ces questions, va plus loin: «La prime à l’indifférenciation sexuelle promeut en fait l’homosexualité. Ces théories sont une tête de pont pour un changement radical de société.» Autant d’assertions qui, pour Françoise Milewski, à l’origine du programme «genre» à Sciences Po (voir encadré ci-dessous) défendent un «point de vue rétrograde qui rejette tout ce qui n’est pas dans la norme de l’hétérosexualité».

L’enseignement catholique ne refuse pas le débat pour autant. La lettre envoyée aux directeurs diocésains indique que «la théorie du genre se diffuse dans notre environnement. Il est assurément indispensable d’ouvrir un débat avec les lycéens sur cette question, qui ne concerne pas que les enseignants de SVT.»

Pour ce faire, la lettre recommande aux équipes éducatives deux ouvrages, un document de l’épiscopat et un essai du philosophe Xavier Lacroix De chair et de parole. Soucieux de faire respecter sa spécificité depuis quelques années, l’enseignement catholique n’hésite pas à prendre position sur les sujets les plus délicats. Un document de 50 pages voté par le comité national de l’enseignement catholique à l’automne 2010 sur «l’éducation affective, relationnelle et sexuelle dans les établissements catholiques d’enseignement» mettait déjà «en garde» contre les théories du «genre».

Document 2 – Lettre ouverte de Christine Boutin à Luc Châtel, 3 Juin 2011

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Paris, le 31 mai 2011

Monsieur le Ministre,

Je tiens à vous exprimer mon indignation et ma vive inquiétude face au contenu des nouveaux livres de « Sciences de la Vie et de la Terre » des classes de premières ES et L. Je constate en effet que les élèves de ces classes recevront dans cette matière un enseignement directement et explicitement inspiré de la théorie du genre.

Comment cela est-il possible ? Comment ce qui n’est qu’une théorie, qu’un courant de pensée, peut-il faire partie d’un programme de sciences ? Comment peut-on présenter dans un manuel, qui se veut scientifique, une idéologie qui consiste à nier la réalité : l’altérité sexuelle de l’homme et la femme ? Cela relève de toute évidence d’une volonté d’imposer aux consciences de jeunes adolescents une certaine vision de l’homme et de la société, et je ne peux accepter que nous les trompions en leur présentant comme une explication scientifique ce qui relève d’un parti-pris idéologique.

Monsieur le Ministre, nous ne pouvons accepter que l’école devienne un lieu de propagande, où l’adolescent serait l’otage de préoccupations de groupes minoritaires en mal d’imposer une vision de la « normalité » que le peuple français ne partage pas.

Je vous appelle également à entendre l’inquiétude de nombreux parents d’élèves qui voient l’Etat tenter d’inculquer à leurs enfants une conception particulièrement contestable de l’homme, de la sexualité et de la société. L’Education nationale ne doit pas outrepasser sa mission, qui est d’instruire dans la neutralité des valeurs républicaines et le respect des croyances des élèves et de leurs familles, et non d’enseigner, en leur conférant un statut pseudo-scientifique, des théories sur l’être humain et sa sexualité.

Au nom du respect de la liberté de conscience des familles et de la responsabilité des parents en matière d’éducation affective et sexuelle de leurs enfants, je vous demande donc d’intervenir et de faire en sorte que la théorie du genre ne soit pas enseignée dans des cours de sciences.

Aujourd’hui, je demande que les nouveaux livres de SVT soient retirés et corrigés pour être en conformité avec les instructions que vous aviez vous-même données dans le Bulletin Officiel de l’Education Nationale du 30 septembre 2010 : « Dans une optique d’éducation à la santé et à la responsabilité, il s’agit de comprendre les composantes biologiques principales de l’état masculin ou féminin, du lien entre la sexualité et la procréation. »

Monsieur le Ministre, je souhaite que nous puissions nous rencontrer rapidement afin d’aborder ce sujet ensemble. Je ne manquerai pas de me faire l’écho de votre position sur ce sujet capital : vous conviendrez que celle-ci aura une influence déterminante sur les choix que les citoyens français seront amenés à poser lors des scrutins qui s’annoncent dans quelques mois.

Comptant sur votre attachement au respect de la liberté de conscience, je vous remercie pour votre réponse et vous prie d’agréer, Monsieur le Ministre, l’expression de ma haute considération.

Christine Boutin, Ancien Ministre

Document 3 – Article du Nouvel Observateur du 30 août 2011 :

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Quatre-vingt députés UMP ont demandé mardi au ministre de l’Education nationale, Luc Chatel, le retrait de manuels scolaires qui expliquent « l’identité sexuelle » des individus autant par le contexte socio-culturel que par leur sexe biologique.

Ces parlementaires, conduits par Richard Maillé, député des Bouches-du-Rhône, font ainsi écho aux critiques exprimées sur le même sujet au printemps par la direction de l’enseignement catholique.

Dans une lettre au ministre, ils estiment que ces manuels de SVT (Sciences et vie de la terre) de classe de première font référence à « la théorie du genre sexuel ».
« Selon cette théorie, les personnes ne sont plus définies comme hommes et femmes mais comme pratiquants de certaines formes de sexualités: homosexuels, hétérosexuels, bisexuels, transsexuels », écrivent-ils. Il s’agit selon eux d’une « théorie philosophique et sociologique qui n’est pas scientifique, qui affirme que l’identité sexuelle est une construction culturelle ».

Les signataires citent un passage d’un manuel publié par Hachette: « Le sexe biologique nous identifie mâle ou femelle mais ce n’est pas pour autant que nous pouvons nous qualifier de masculin ou de féminin. Cette identité sexuelle, construite tout au long de notre vie, dans une interaction constante entre le biologique et contexte socio-culturel, est pourtant décisive dans notre positionnement par rapport à l’autre ».

Jugeant « du devoir de l’Etat de mieux contrôler le contenu des manuels scolaires » et ajoutant que « la +théorie du genre sexuel+ n’apparaît pas stricto sensu dans les programmes d’enseignement de SVT » définis par le ministère, les députés concluent à l’adresse de Luc Chatel: « Nous comptons sur votre action afin de retirer des lycées les manuels qui présentent cette théorie ».
Dans une circulaire du 30 septembre 2010, le ministère indiquait que les programmes de SVT de première devaient comporter un chapitre intitulé « devenir homme ou femme ». « Si l’identité sexuelle et les rôles sexuels dans la société avec leurs stéréotypes appartiennent à la sphère publique, l’orientation sexuelle fait partie, elle, de la sphère privée », précisait la circulaire.

La lettre est notamment signée par Christian Vanneste, Lionnel Luca et Jacques Myard, fondateurs du collectif de la Droite populaire, Bernard Debré, Eric Raoult et Hervé Mariton.

Document 4 – Article de France catholique du 30 Mai 2011

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La nouvelle est tombée ces jours derniers, sans avoir été reprise encore par les grands moyens d’information. Pourtant son importance morale la situe au niveau des enjeux supérieurs de civilisation dont parlait le cardinal André Vingt-Trois à propos de la révision de la législation sur la bioéthique. Que la théorie du gender soit inscrite dans les programmes officiels de SVT (Sciences de la Vie et de la Terre) en classe de Première constitue une agression caractérisée de nos consciences de pères et mères de familles, d’éducateurs et, tout simplement, d’êtres humains. Il s’agit, en effet d’imposer une idéologie fabriquée aux États-Unis et dont le caractère philosophique, militant, voire intrusif, est patent. L’Éducation nationale veut faire avaliser, sous le biais de la science, un échafaudage intellectuel qui s’oppose aux grandes traditions de l’humanité, à l’aune d’un constructivisme généralisé qui fait de l’arbitraire la clé de notre humanité.

Il s’agit d’abord d’une arme à déconstruire l’identité sexuelle. Nous ne sommes plus définis comme hommes et femmes mais comme pratiquants de certaines formes de sexualités  : homosexuels, hétérosexuels, bisexuels, transsexuels. Les libéraux-libertaires ont fait une propagande effrénée dans le monde entier pour banaliser cette conception et délégitimer les représentations communément admises jusque-là. Ce qu’on ne sait pas encore en France, c’est que la théorie des genders se trouve actuellement en crise et provoque des remises en cause de la part de ses concepteurs, comme Judith Butler. En effet, on finit par s’apercevoir que c’est la structure morale fondatrice de notre humanité qui se trouve finalement détruite par l’arbitraire. Le refus des interdits les plus structurants débouche sur un nihilisme absolu qui permet toutes les transgressions, notamment celles qui se sont produites sous la férule totalitaire au XXe siècle.

La décision du ministre de l’Éducation nationale d’imposer cette idéologie irrationnelle et inhumaine à des adolescents est un scandale considérable. Seule la mobilisation des consciences fera reculer ce qu’il faut dénoncer sans relâche comme un crime contre l’Esprit, d’autant plus odieux qu’on prend la jeunesse en otage.

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Bilan d'un atelier Médias et esprit critique en maison d'arrêt

CorteX_Prison_MTP2011_imageVoici un petit bilan de l’atelier Médias et esprit critique monté cet automne 2011 en maison d’arrêt. Je m’attarde surtout sur la logistique et sur les difficultés rencontrées, ainsi que sur les pistes de solutions explorées.

L’atelier, mis en place en collaboration avec le SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation) et le centre scolaire de la maison d’arrêt, a été financé par le SPIP. J’étais bénévole depuis plus d’un an à la maison d’arrêt où je proposais du soutien scolaire pour les personnes qui désiraient passer le DAEU (diplôme d’accès aux études universitaires, équivalent du bac). J’avais donc déjà de bons contacts avec les enseignants du centre scolaire : ils ont soutenu le projet que j’ai présenté au SPIP. J’ai proposé dix séances de deux heures hebdomadaires dont voici le programme :

  • Séance N°1 et 2Petites et grandes manipulations de l’information – Qu’est-ce que l’objectivité médiatique ?
    Analyse de l’image, des phrases, des sous-titres
    Faux reportages, affaire Nayirah Al-Sabah, affaire du RER B
  • Séance N°3 Scénarisation de l’information
    Analyse de la construction d’un journal TV
    Analyse d’un Midi Libre
  • Séance N°4 et 5 Les chiffres dans les médias
    Graphiques
    Valeurs absolues-valeurs relatives
    Analyse d’un article sur la fraude sociale
    Analyse des données chiffrées dans des reportages (Ötzi, miracles de Lourdes)
  • Séance N°6Analyse des ressorts publicitaires
    Appel à la peur, à la pitié, à l’affect
    Pensée magique
    Diffusion de publicités + débat
  • Séance N°7 Analyse des représentations de sexe/genre dans les médias
    Revue féminine, revue masculine
    Etude de catalogues de jouets
    Analyse de la médiatisation de l’affaire DSK
  • Séance N°8 Les chiffres de la délinquance dans les médias
    Rappels simples sur les pourcentages
    Etudier les chiffres présentés dans le rapport du Ministère de l’Intérieur
    Utilisation de ces chiffres dans les médias
  • Séance N°9 Analyse d’un documentaire volontairement frauduleux : Opération lune
    Débat sur la construction d’un documentaire
  • Séance N°10 Influence et manipulation
    Expériences de Milgram, Stanford
    Quelques techniques marketing

Retour d’expérience
Depuis que l’atelier est vraiment lancé, une dizaine de personnes est très assidue. Les débats ont tout de suite été très vivants et ont mis quelques séances à bien s’articuler : il a fallu consacrer du temps à la gestion et la répartition de la parole. Dans les moments de débat intense, j’ai usé et abusé du bâton de parole : celui qui parle est celui qui a le bâton, les autres écoutent. Si cet outil peut paraître un peu enfantin, il fonctionne plutôt bien et je crois que finalement, ils l’apprécient : celui qui parle a le temps de s’exprimer et ne craint pas d’être interrompu sans arrêt. Le ton des discussions est beaucoup moins agressif.

Plusieurs participants m’ont dit que cette initiation à l’analyse des médias avait changé leur manière de regarder la télévision, assertion totalement invérifiable mais qui a tout de même le mérite de montrer l’intérêt qu’ils portent à ce rendez-vous hebdomadaire. D’autres m’ont dit que cet atelier ne faisait que confirmer ce qu’ils « savaient » déjà : « on est manipulé en permanence ». Alors nous en avons discuté : tout est-il complètement faux ? Est-il possible de se soustraire aux médias ? Comment se défendre ?

Ce que j’aurais fait autrement
Après coup, je me dis que je suis passée beaucoup trop vite sur la démarche scientifique et sur la nécessité de prouver ce qu’on avance. Le public de cet atelier n’était vraiment pas familier avec les notions de preuves, d’argumentation, de validité d’une thèse et cela pose d’autant plus problème que certains participants ont de très fortes adhésions à toutes sortes de théories complotistes. A plusieurs reprises, je me suis fait happer par des discussions stériles où certains participants usaient de la technique dite de l‘insubmersible canard de bain (voir la thèse de R. Monvoisin, p. 55) : à peine commençais-je à répondre à un argument qu’on était déjà passé à un autre. J’ai finalement réussi à recadrer le débat en rappelant la chose suivante aussi souvent que nécessaire : l’atelier ne porte pas sur les attentats du 11 septembre 2011 ni sur la théorie de l’évolution, mais sur l’analyse de l’information et des arguments avancés dans les médias. La phrase « c’est la CIA qui a organisé les attentats » n’a plus lieu d’être puisque la trame de l’atelier est constituée des questions « Quels sont les arguments avancés dans ce reportage ? Sont-ils valides ?« . Je ne désespère pas d’aborder les thèses complotistes « de front » un jour, mais cela ne peut être fait de manière douce et efficace que si quelques règles de base sont bien intégrées :
– un argument peut être discuté
– une discussion n’a lieu d’être que si chacun des protagonistes est prêt à renoncer à sa thèse dès lors que son contradicteur lui apporte un meilleur argument que le sien
– lorsqu’on déconstruit un argument, on ne s’attaque pas à la personne qui y adhère
etc.

Avoir conscience des contraintes carcérales avant de monter un atelier de ce type :
– Il faut prévoir quelques mois pour obtenir les autorisations (autorisation d’entrer en milieu carcéral, autorisation pour le matériel, etc.)
– Se renseigner impérativement sur ce qui est autorisé ou non (par exemple, il est strictement interdit de faire sortir quoi que ce soit de l’établissement, il est interdit d’offrir quoi que ce soit aux détenus, tout courrier doit passer par le circuit de distribution interne où il est relu, etc.)
– Sortir de cellule et se rendre au  centre scolaire peut prendre du temps : il est structurellement difficile pour les détenus d’être à l’heure et tout le monde n’arrive pas en même temps (j’ai pris le parti d’attendre un quart d’heure et de terminer un quart d’heure plus tard)
– L’atelier a mis un peu de temps à s’installer. Certaines personnes inscrites au début ne sont jamais venues : certaines ont eu l’autorisation de travailler entre temps et ne fréquentent plus le centre scolaire ou assistent à un autre cours qui a lieu en même temps, d’autres disent ne pas avoir reçu les premières convocations. Les informations mettent du temps à circuler. Conséquence : l’atelier était officiellement plein et des gens étaient sur liste d’attente, tandis que le jour J, il n’y avait que trois ou quatre participants. A la 4ème séance, l’atelier était plein.
– Les parloirs et les rendez-vous médicaux ou juridiques peuvent avoir lieu en même temps que les cours ; par ailleurs, certains participants arrivent ou partent en cours de route, au gré des transferts, des entrées et des sorties : il faut donc prévoir autant que possible des séances indépendantes les unes des autres.
– Petite recommandation d’un autre ordre : je crois qu’il est fondamental d’être au clair sur les raisons qui nous amènent à intervenir en milieu carcéral, car toutes les personnes que j’ai rencontrées « à l’intérieur » ont fini par me demander un jour ou l’autre ce que je venais faire là. J’ai toujours saisi l’occasion pour partager avec eux mes questions sur ce sujet. Richard Monvoisin et moi en avions d’ailleurs fait un article dans le Monde Libertaire : Esprit critique en acier pour gens en taule.

Si vous souhaitez monter un atelier de ce type en milieu carcéral ou si vous en animez un, n’hésitez pas à nous contacter !

Guillemette Reviron

PS : Je n’arrive plus à retrouver la source pour l’image. Si vous savez d’où elle vient, dites-le nous !