L’histoire du chercheur Adlène Hicheur, physicien franco-algérien, condamné en 2012 à quatre ans de prison ferme pour avoir été suspecté de planifier des attentats terroristes sur la base de simples propos tenus sur le net, nous perturbe au plus haut point. D’abord parce que nous n’étions pas au courant. Ensuite parce ce que sa condamnation semble indexée à une idéologie « nationale ». Enfin, parce que cela soulève le problème classique de nos cours de philosophie morale : peut-on condamner quelqu’un pour un crime qu’il n’a pas commis mais qu’on suspecte de vouloir commettre, surtout quand cette condamnation sert surtout à des fins ouvertement démagogiques ?
Il a effectivement tenus des propos tendancieux, certes. Pourtant, ce ne sont que des propos, et pour lesquels Adlène Hicheur aura fait deux ans et demi de détention provisoire entre 2009 et 2012. Il faut dire que son procès a été très médiatisé, et qu’il s’est déroulé en pleine affaire Mérah. Le lien causal entre la dureté de son procès et le besoin de démonstration de fermeté des autorités est une hypothèse qui tient bien la route et pourrait bien esquiver le fil du rasoir d’Occam. Hicheur est-il une victime de la lutte anti-terroriste ? Tiens, comme nous ! – mais en beaucoup plus grave. Nous, nous arrêtons des enseignements. Lui, c’est sa vie qui est complètement anéantie.
Sa peine purgée, le professeur Hicheur part refaire sa vie loin d’ici, au Brésil, où il enseigne et contribue à des projets de recherches à l’Université Fédérale de Rio De Janeiro. Mais le pays plonge dans l’instabilité politique, et voilà son affaire à nouveau propulsée à la une des médias brésiliens. Expulsé du Brésil en juillet dernier, Adlène Hicheur est envoyé en France contre son gré, lui qui s’était juré de ne plus jamais y remettre les pieds. Assigné à résidence à Vienne (38), au domicile de ses parents, sans qu’aucun élément, en dehors de son ancienne condamnation, ne le justifie. Et l’histoire touche au paroxysme de l’absurde quand, à l’audience du Conseil d’État devant lequel il conteste son assignation, le ministère de l’intérieur refuse de le laisser quitter la France car il pourrait à tout moment y revenir. Le voilà donc coincé ici, assigné à résidence dans un pays où il ne voulait plus jamais retourner, avec comme seule issue pour sortir de ce guêpier, la déchéance ou le renoncement à la nationalité, qu’il vient de demander. La situation scandalise même la revue Nature, qui en a fait un édito le 14 septembre 2016. Et la geôle administrative du collègue Hicheur est à 76 kilomètres à vol d’oiseau du bureau grenoblois du CorteX. Il est légitime qu’on analyse de près ce cas, et qu’au moins, dans toute cette souffrance, on parvienne à utiliser ce cas comme matériel de réflexion critique : c’est le moindre qu’on puisse faire pour atténuer l’injustice notable.
Reportage Les pieds sur terre, France Culture, 14 septembre 2016
Reportage de Charlotte Perry dans Comme un bruit qui court, sur France Inter, 19 novembre 2016
Débat sur le plateau de Médiapart, 16 novembre 2016, à voir ici ou ci-dessous.
Adlène Hicheur, coincé en France entre Kafka et Orwell, sur Mediapart, 10 novembre 2016 – Télécharger
How Top Physicist Adlène Hicheur Has Become a Pawn in the Game of Terror, dans The Wire 3 août 2016
Le Comité international de soutien à Adlène Hicheur sur Facebook (CISAH)