Sortie de Merci Patron ! Contre la censure : les David picards face au Goliath du luxe

CorteX_Merci-patronIl y a une chose en sciences politiques qui est assez peu répétée, mais qui est solide sur le plan rationnel : un certain nombre des problèmes majeurs de ce bas-monde seraient réglés si simplement la répartition des richesses disponibles ou produites étaient plus équitablement réparties. Le problème, c’est que les pôles de captation de ces richesses (les « riches » si l’on peut dire) se laissent difficilement convaincre rationnellement. Alors il faut aller parfois… leur tirer l’oreille ! C’est ce que fait avec truculence François Ruffin dans le documentaire Merci Patron ! sortant en salle le 24 février 2016.

Si Merci patron sort officiellement en salle le 24 février, le film est projeté en avant-CorteX_affiche_patronpremière depuis plusieurs semaines déjà dans une petite trentaine de salles en France. L’histoire ? Celle d’un couple – Jocelyne et Serge Klur – qui vit avec 400 euros par mois depuis la fermeture de l’usine ECCE, sous-traitant de LVMH, qui fabriquait des costumes Kenzo dans le Nord. Ruffin décide de les aider en essayant – dit-il – de « toucher le cœur » d’Arnault connu pour ses nombreux rachats et ses démantèlements de sociétés, dans le but de garder uniquement les activités liées au luxe. Le journaliste de Fakir François Ruffin élabore alors un piège qui se resserre sur Arnault via le numéro 2 de la sécurité du groupe et son secrétaire général – accessoirement ancien élu socialiste – Marc-Antoine Jamet. Quelques membres du CORTECS ont soutenu financièrement le film, et sont particulièrement ravis de cette sortie nationale.

En voici la bande-annonce.

Par contre c’est la bataille médiatique ! Les grands groupes possédant les grands médias, de grandes voix journalistiques reçoivent des directives pour éviter d’avoir du Ruffin à l’antenne. Un exemple : l’invitation sur Europe 1 de F. Ruffin à l’émission de Frédéric Taddeï, Social Club fut annulée en fin de semaine dernière. Europe 1, propriété d’un autre grand patron, Arnaud Lagardère, a décommandé, sans réellement motiver sa décision.  « Europe 1 m’interdit de recevoir François Ruffin », a ainsi déclaré la collaboratrice de Frédéric Taddeï au site Fakir, dont François Ruffin est le rédacteur en chef. Opacité également du côté de Frédéric Taddeï, interrogé par Arrêt sur Images :  « L’animateur assure ignorer les raisons de cette annulation. Il précise qu’il ne connaissait pas le sujet du film – qu’il n’a donc pas vu, laissant le soin à sa sœur Sandrine Taddéï, chargée de la programmation, de trouver ses invités. Europe 1 aurait-elle annulé la venue de Ruffin parce que son film ridiculise Bernard Arnault, patron du groupe LVHM et par ailleurs gros annonceur français ? Peut-être, répond Taddéï, qui se dit solidaire de sa station ».

Aux dernières nouvelles, François Ruffin sera audible mercredi prochain 24 février sur Europe 1, mais chez Jean-Michel Apathie, pour quelques minutes seulement.

Bref, au lieu d’attendre que les grands médias inféodés nous disent quoi voir, fouillons nos poches, grattons nos pièces jaunes, et allons nous payer une bonne tranche de révolte pratique. Le cinéma aura alors ce rôle d’éducateur politique qui lui manque souvent.

(À Grenoble, par exemple, c’est au cinéma Le Club).

RM

Parution de "Le biogaz – Manuel pratique", par J-P. Valla

CorteX_Biogaz_Valla Comment développer sa pensée critique en se questionnant sur notre rapport au monde, notamment sur la question énergétique et la notion d’autonomie ? Notre collaborateur, Jean-Philippe Valla, apportait des éléments de réponses dans son article  « L’art de rouler rationnellement avec du caca » dont vous vous rappelez peut-être.  Bonne nouvelle en ce début de printemps, Jean-Philippe Valla vient de faire éditer son ouvrage Le biogaz – Manuel pratique, aux éditions Terran.

On peut le commander ici. N’hésitez pas à nous  demander l’adresse directe de l’auteur à contact (arobase) cortecs.org

CorteX_Jean-Philippe_VallaDescription de l’éditeur :

Produit à partir de déchets, le biogaz est une énergie qui peut être utilisée pour cuisiner, se chauffer, faire fonctionner un groupe électrogène ou faire rouler un véhicule. Avec ce manuel pratique, accessible à tous, apprenez comment mettre en place une installation biogaz à moindre coût. Il suffit pour cela de trouver de la matière organique et de posséder un minimum de surface pour l’installation. L’auteur partage ses expériences et donne les clefs nécessaires pour autoconstruire une installation produisant du biogaz et les techniques pour l’utiliser avec en particulier un épurateur de biogaz fonctionnel permettant son utilisation dans un véhicule équipé GNV. Un nouveau pas vers l’autonomie énergétique !

R. Monvoisin, G. Bronner, éléments de pensée critique utiles à la prévention des dérives sectaires

Voici l’exposé « éléments de pensée critique utiles à la prévention des dérives sectaires » effectué par Richard Monvoisin, en octobre 2015, lors des 40 ans de l’ADFI (Association de défense de la famille et de l’individu) Île de France, qui fait de la prévention vis-à-vis des dérives sectaires. S’ensuit également la présentation du collègue sociologue Gérald Bronner. 

Précision : le Tshirt de Richard est une création de francois-B.

Matériel – The science myths that will not die (en anglais)

CorteX_mainmyth_Wbleed_snook

Paru le mois dernier, cet article revisite quelques mythes scientifiques :  le dépistage systématique des cancers diminue la mortalité, on apprend mieux dans notre style d’apprentissage préféré, les antioxydants sont bons pour la santé, contrairement aux radicaux libres, etc. Petite promenade par la journaliste Megan Scudellari.

The science myths that will not die

False beliefs and wishful thinking about the human experience are common. They are hurting people — and holding back science. By Megan Scudellari,

L’article est ici -> lien.

Le Pdf est là -> Télécharger

Retour sur l’Histoire – Robespierre sans masque

En novembre 2015, Maxime Carvin (pseudo) a publié dans le Monde Diplomatique (novembre 2015, page 3) un article revisitant un lieu commun historique sur Robespierre. Nous en faisons notre beurre, chaque idée fausse éventée sur l’histoire venant ossifier nos arguments. Ainsi, il est des mythes tenaces, des stéréotypes collants, des images d’Épinal, qui par leur déconstruction nous apprennent des choses sur la façon dont parfois notre opinion est manufacturée.
Merci à Maxime et au Monde Diplomatique de nous permettre de reproduire cet article.

La première phase de la Révolution française, visant le renversement du pouvoir absolutiste, fait l’unanimité, ou presque : ne vient-elle pas donner corps à l’esprit des Lumières ? Mais la suite divise violemment. Notamment au sujet de Robespierre, qui, selon certains, conjuguerait tous les vices antidémocratiques : le populisme et l’extrémisme. De quoi se méfier de tout projet radical…

 

En décembre 2013, un laboratoire annonce avoir reconstitué, à partir d’un moulage mortuaire, le « vrai visage » de Maximilien de Robespierre. Les historiens s’étonnent que le résultat ressemble si peu aux portraits d’époque et émettent de sérieux doutes. Il n’empêche : le portrait aura les honneurs des médias. C’est que, authentique ou non, ce Robespierre retrouvé a le physique de l’emploi. Mâchoire carrée, front bas, regard fixe : l’air patibulaire d’un boucher de la Villette, vérolé de surcroît. Tout le monde comprend : voilà une tête de coupeur de têtes.

Quelques mois plus tard, nouvel accès d’antirobespierrisme. La bande-annonce du jeu vidéo Assassin’s Creed Unity, situé dans le Paris de la Révolution, est mise en ligne. Dans un chaos d’images grand-guignolesques surgit un orateur écumant. C’est Robespierre. La voix off, caverneuse, explique : cet homme « aspirait à contrôler le pays. Il prétendait représenter le peuple contre la monarchie. Mais il était bien plus dangereux que n’importe quel roi ». Les scènes d’égorgement succèdent aux scènes de fusillade et les décapitations aux noyades. Bref, le « règne de Robespierre » n’est qu’une litanie de massacres, qui a « rempli des rues entières de sang ».

Ces deux épisodes ne sont pas des cas isolés. Tantôt c’est un magazine à grand tirage qui dépeint l’Incorruptible en « psychopathe légaliste », en « forcené de la guillotine » (Historia, septembre 2011), tantôt un documentaire qui, sur France 3, le présente comme le « bourreau de la Vendée » (3 et 7 mars 2012). Le comédien Lorànt Deutsch, reconverti dans l’histoire bas de gamme, imagine, dans son best-seller Métronome (Michel Lafon, 2009), un Robespierre profanateur de tombeaux. L’essayiste Michel Onfray, bizarrement entiché de Charlotte Corday, pourfend, sur son site, l’« engeance » robespierriste. Pedro J. Ramirez, vedette du journalisme espagnol, consacre un lourd pavé au « coup d’Etat » ourdi par Robespierre « contre la démocratie » (1). Michel Wieviorka, sociologue multicarte, n’hésite pas à comparer l’Organisation de l’Etat islamique à « la France de Robespierre » (2). Quant à l’éditorialiste Franz-Olivier Giesbert, il s’alarme à intervalles réguliers du retour du personnage, en qui il voit l’incarnation du « ressentiment social », voire un « précurseur du lepénisme ». Pour d’autres, il ne suffit pas de noircir la mémoire de Robespierre : il faut l’effacer. À Marseille, à Belfort, des maires ont entrepris de débaptiser les places qui portent son nom. Entre approximations, calomnies et escamotages, la damnatio memoriae s’accomplit.

Un ennemi du genre humain ?

Rien de bien neuf, à vrai dire, dans cette démonologie grand public. Les historiens Marc Bélissa et Yannick Bosc (3) montrent que la légende noire a débuté du vivant de l’homme. Quand le député d’Arras commence sa carrière, les gazettes se plaisent à écorcher son nom et moquent son obstination à « parler en faveur des pauvres ». Mirabeau, retors pour deux, ricane de ce jeune orateur qui « croit tout ce qu’il dit ». Puis ce sont les Girondins qui l’accablent. Jean-Marie Roland, ministre de l’intérieur, subventionne la presse qui lui est hostile, et le député Jean-Baptiste Louvet l’accuse d’aspirer à la dictature.

La chute de Robespierre, le 9 thermidor (27 juillet 1794), ne suffit pas à apaiser ses ennemis. Thermidoriens et contre-révolutionnaires ont la passion de la revanche. Des pamphlets, et bientôt un rapport officiel, prêtent au député abattu d’abracadabrants projets. On évoque un complot visant à instaurer une théocratie. On parle d’un plan de « guillotine à sept fenêtres », qui devait permettre d’accélérer le « nationicide », d’un « sanguiduc » monumental destiné à évacuer le sang des victimes hors de Paris, d’une « tannerie de peaux humaines » censée fournir des souliers pour les sans-culottes. On divague sans fin sur l’enfance, les mœurs, la psychologie du chef montagnard.

À Robespierre, vrai diable, on reprochera, décennie après décennie, tout et son contraire. Il est pâle — trop pâle pour être honnête — mais se repaît du sang des autres. C’est un petit avocat de province, un médiocre — mais c’est aussi un génie du mal, plus redoutable que Néron. Pour les uns, il est intransigeant jusqu’au crime ; pour d’autres, c’est un hypocrite, un vendu. Il est décrit ici comme un pur esprit, abstinent, puceau même ; ailleurs comme un franc débauché. Orateur embarrassé ou tribun envoûtant ? Aspirant pontife ou destructeur de la religion ? Maniaque de l’ordre ou promoteur d’anarchie ? Peu importe quel Robespierre on forge : l’essentiel est qu’il soit repoussant.

Ce concours de calomnies va s’insinuer dans l’imaginaire collectif et nourrir, au fil du temps, une abondante littérature. On en retrouve l’écho, plus ou moins atténué, chez certains romantiques ; chez les historiens bourgeois des années 1830, qui ne pardonnent pas à Robespierre sa radicalité ; chez Jules Michelet, écrivain inspiré mais historien parfois approximatif ; et jusque chez Alphonse Aulard, pionnier des études révolutionnaires en Sorbonne, qui voyait Robespierre comme un cagot et lui préférait la vigueur canaille d’un Danton.

On pouvait penser que le développement, au XXe siècle, d’une histoire de la Révolution moins littéraire balayerait définitivement ces poncifs. Mais François Furet allait, à partir des années 1960, leur donner une nouvelle jeunesse — et un tour plus élégant. Communiste repenti devenu un essayiste libéral influent, il s’attaqua à ce qu’il appelait le « catéchisme révolutionnaire » et proposa une nouvelle lecture de la Révolution : d’un côté 1789, la bonne révolution, celle des élites éclairées ; de l’autre 1793, le « dérapage », l’irruption brutale des masses dans la politique.

Dans ce nouveau dispositif narratif, Robespierre devient le symbole d’une Révolution qui, après une parenthèse enchantée, s’emballe et se fourvoie. Furet le présente comme un « manœuvrier », qui sait s’appuyer sur « l’opinion populaire » et sur la redoutable « machine » politique que constituent les clubs jacobins. Mais il y a aussi, derrière les habiletés du politicien, une dimension pathologique : le Robespierre de Furet est emporté par son obsession du complot, sa surenchère démocratique, sa logorrhée utopique, qui mènent inévitablement à la Terreur et au totalitarisme. Ce portrait amalgamait des idées et des images empruntées à diverses traditions de l’anti-robespierrisme. Mais Furet, en écrivain subtil, sut donner à cet alliage les allures de la nouveauté.

Son interprétation, lourde d’arrière-pensées politiques, rencontra un écho favorable dans le contexte des années 1970 et 1980, entre mobilisations antitotalitaires et conversion libérale des socialistes français. Elle trouva sa traduction cinématographique avec le Danton d’Andrzej Wajda (1983), qui jouait lourdement de l’analogie entre le Paris de la Convention et la Pologne de Jaruzelski, et utilisait la figure de Robespierre pour évoquer les logiques du stalinisme. Elle triompha dans les célébrations ambiguës du bicentenaire et, relayée par des disciples moins inspirés, s’enracina dans le public semi-savant.

Mais cette offensive n’a pas suffi à éteindre tout intérêt pour Robespierre. La recherche s’est poursuivie. La Société des études robespierristes (SER), fondée en 1908 par l’historien Albert Mathiez, pilote une édition des Œuvres complètes qui comptera bientôt douze volumes. En dehors même des cercles savants, l’intérêt est sensible. La souscription lancée en mai 2011 par la SER pour racheter des manuscrits vendus par Sotheby’s a suscité la mobilisation de plus d’un millier de souscripteurs. Sur Internet, les conférences qu’Henri Guillemin, historien non conformiste et grand défenseur de l’Incorruptible, consacra à la Révolution connaissent un franc succès. Dans les librairies, même tendance. Robespierre, reviens ! (4), petit plaidoyer dense et vigoureux, s’est écoulé à plus de 3 000 exemplaires et se vend encore. Le livre Robespierre. Portraits croisés (5), un ouvrage collectif de facture plutôt universitaire, connaît — à la surprise des auteurs — un nouveau tirage. Hasard ou signe des temps, les éditeurs republient aussi plusieurs classiques de la tradition robespierriste, comme le récit par Philippe Buonarroti de la Conjuration des Egaux (6) ou la prodigieuse Histoire socialiste de la Révolution française de Jean Jaurès (7).

Surtout, les lecteurs disposent depuis peu d’une nouvelle biographie de référence, due à l’universitaire Hervé Leuwers (8). Le personnage qu’on y découvre est assez éloigné du dictateur féroce de la légende. Un ambitieux, Robespierre ? Il n’a jamais accepté qu’avec réticence les charges qui lui étaient offertes et a même choisi, lorsqu’il était député de la Constituante, de ne pas se représenter à la Législative, incitant ses collègues à faire de même pour « laisser la carrière à des successeurs frais et vigoureux ». Un ennemi du genre humain ? Il s’est prononcé pour la pleine citoyenneté des Juifs et contre le système colonial. Un tyran ? Il a défendu, très tôt et très seul, le suffrage universel, s’est battu pour le droit de pétition et la liberté de la presse, et n’a pas cessé de mettre en garde les citoyens contre la force militaire et les hommes providentiels. Un centralisateur totalitaire ? Il a théorisé la division du pouvoir et condamné « la manie ancienne des gouvernements de vouloir trop gouverner ». Un fanatique sanguinaire ? Il a longtemps réclamé la suppression de la peine de mort et un adoucissement des sanctions. Résolu à frapper les ennemis de la Révolution, il a néanmoins appelé à ne pas « multiplier les coupables », à épargner les « égarés », à « être avare de sang ». Et si, face aux périls qui menaçaient la République, il s’est rallié à la politique de Terreur, il n’en a jamais été le seul responsable, ni même le plus ardent.

Pourquoi, alors, cet acharnement ? Sans doute parce qu’il y a, derrière son nom et son action, quelques principes irréductibles et qui dérangent. Comme le rappelait le philosophe Georges Labica (9), il a toujours prétendu parler pour le peuple et n’a jamais voulu reconnaître aux possédants la moindre prééminence. Sa crainte, c’est qu’à la vieille « aristocratie féodale » renversée par la Révolution ne vienne se substituer une « aristocratie de l’argent ». Toute son action procède de ce tropisme fondamental. Dans l’ordre politique, il s’élève contre le suffrage censitaire et défend une conception extensive de la souveraineté populaire. Dans le domaine social, il veut borner le droit de propriété et limiter la liberté du commerce quand ceux-ci vont contre le droit naturel du peuple à l’existence. En défendant ainsi « la cause du peuple », Robespierre est devenu le symbole de la Révolution dans sa phase haute, radicale et populaire. Par métonymie, son nom désigne un moment de politisation massive, d’intervention populaire et d’invention sociale sans précédent ; un moment dont les régimes ultérieurs s’efforceront de conjurer le souvenir. Se réclamer de Robespierre, c’est d’abord rappeler que la Révolution n’est pas terminée et reprendre le programme ébauché au cours des débats sur la Constitution de 1793 : celui d’une république exigeante, démocratique et sociale.

C’est pourquoi, comme l’indique l’historien Jean-Numa Ducange (10), la figure tutélaire de Robespierre accompagne les luttes politiques du XIXe et du premier XXe siècle. Après Thermidor, Gracchus Babeuf juge qu’il faut, pour raviver la démocratie, « relever le robespierrisme ». Albert Laponneraye, insurgé des Trois Glorieuses, s’efforce de réhabiliter celui qu’il appelle l’« homme-principe ». Louis Blanc, quarante-huitard de choc, rédige une vaste Histoire de la Révolution qui lui rend hommage. Et, deux générations plus tard, le grand Jaurès se prononce clairement : « Ici, sous ce soleil de juin 1793 (…), je suis avec Robespierre, et c’est à côté de lui que je vais m’asseoir aux Jacobins. Oui, je suis avec lui parce qu’il a à ce moment toute l’ampleur de la Révolution. »

Robespierre répétait qu’il n’y a ni démocratie ni liberté sans égalité. Il affirmait que la politique n’est pas une carrière, demandait qu’on limite le cumul des magistratures et qu’on renforce le contrôle des représentants. Il niait que « le droit de propriété puisse jamais être en opposition avec la subsistance des hommes », et refusait que les intérêts privés l’emportent sur l’intérêt public. À ceux qui voulaient répondre aux émeutes par la loi martiale, il rétorquait qu’il fallait « remonter à la racine du mal » et « découvrir pourquoi le peuple meurt de faim ». Aux Girondins qui brûlaient de déclarer la guerre aux princes d’Europe, il rappelait que la liberté ne s’exporte pas avec des « missionnaires armés ».

Il n’est pas question, bien sûr — Mathiez le rappelait déjà il y a un siècle — de « brûler des cierges en l’honneur » de l’idole Robespierre, ni de « lui donner toujours et en tout raison ». Mais qui peut prétendre qu’un tel homme n’a plus rien à nous dire ?

Maxime Carvin

Pseudonyme d’un doctorant en sciences sociales.

Best of – les meilleurs dossiers Z du semestre 21, décembre 2015

Dans l’édition de décembre du Monde Diplomatique est paru un article co-écrit par Richard Monvoisin et Nicolas Pinsault. Ils y soulèvent une nouvelle fois l’importance de l’enseignement et de la mise en place de la démarche scientifique chez les professionnel.le.s de santé et notamment chez les kinésithérapeutes. Le titre initial, dont les auteurs étaient très fiers, était « La kinésithérapie : entre la poire et le faux mage », mais le journal a changé le titre, perdant en route, à notre grand dam, l’essence du jeu de mot. Qu’importe ! Voici l’article. Les lignes introductives sont rédigées par le journal. En bas, une réaction parue dans le Monde diplomatique de mars 2016, et notre réponse.

L’objectif à terme serait de mettre tous les dossiers réussis depuis dix ans. J’ai réussi à le faire le semestre passé (ici). En attendant, en décembre 2015 m’ont été rendu 65 travaux, dont voici à mon avis les plus stimulants. Bien sûr il y a des coquilles, des fautes d’orthographes, des maladresses, mais pour des étudiant-es commençant leur parcours universitaire, on aura vu bien pire. Bravo à elles/eux.

L’existence de Jésus de Nazareth est-elle plausible ? par Chedli TAÏEB, Léa LECLERCQ, Laure CHARDON et Christophe ARNOLD. Télécharger là.

L’indignité nationale, entre droit et déshonneur, par Fadila M., Jean-Loup DE SAINT-PHALLE. Télécharger ici.

Expérience sur l’effet mouton-chèvre, par Salomé VINCENT, Jérémy RASCHELLA, Chloé VELLA, Williams RANDY et Émeline MERCADIER. Télécharger ici.

Est-il raisonnable de faire partie d’une chaîne de Ponzi ? Par Cédric AUVRAY, Borana DOLLOMAJA, David-Antoine HAEUSLER et Julien SORBIER. Télécharger là.

Les attaques de la Bête du Gévaudan étaient-elle l’œuvre d’animaux sauvages, une entreprise criminelle, ou ont-elles une autre origine ? Par Nihal SATIA, Johan ARONS, Baptiste VALLET SIMOND et Marion USE. Télécharger ici.

Les médias ont-ils la capacité d’offrir une approche pragmatique du « Deep Web » ? Par Vincent AUBERT, Benjamin BESNIER, Florian MARCO et Romain THEVENON. Télécharger ici.

Pourquoi observe-t-on une phase de déclin tous les quatre ans chez les lemmings ? par Opale COUTANT, Bartholomé CLERC, Lilia DOUISSI, Kamal LAGHZIOUI et Thomas LOALENEUR. Télécharger là 

L’influence de l’autorité d’un médecin sur le comportement des individus, par Ariane ANCRENAZ, Samuel ATHANASE, Quentin FAIDIDE, Titouan GIROD et Margaux PLESSIS. Télécharger là.

Pouvons-nous légitimement penser que la création/diffusion du virus du sida serait une conséquence d’activités humaines dans la deuxièmes moitié du vingtième siècle ? Par Enzo GIOVANNITTI, Louis REYNOUARD, Sophie PAUCHON et Andréa PRUD’HOMME. Télécharger ici.

Il était une fois en Inde, un bébé qui prenait feu – La définition de la combustion « spontanée » est-elle pertinente dans le cas de Rahul ? Par Lucie DROUIN, Lucas GARNIER, Kévin GAZOUFER, Maureen GENTIL et Ophélie JOBERT. Télécharger là.

Comment le syndrome des faux souvenirs se manifeste-t-il en France ? Dans quellle mesure est-il pris en compte au niveau juridique ? Par Maëla MAGAGNIN et Perrine MOLLIEX. Télécharger là.

La théorie des chemtrails est-elle viable scientifiquement ? Par Manon GARNIER, Sarah LAROUI GAYMARD, Etienne LASSALAS et Noémie LHOTE. Télécharger ici. 

Les miroirs ardents d’Archimède ont-ils été une arme plausible lors du siège de Syracuse en -215 av JC ? Par Pierre AGNESE, Antoine FERE, Pauline MAIER, Maëva PASTOR et Frédéric PERIGNON.  Télécharger ici.

 

Richard Monvoisin

Cultes antiques, phénomènes religieux néopaïens, Margaret Murray – mémoire de sciences politiques de Jérémy Fernandes Mollien

Jérémy Fernandes Mollien est un étudiant de l’Institut d’études politiques de Grenoble, que nous avons eu en cours spécialisé, Clara Egger et moi (RM). Il a produit un travail autonome, pertinent et qui saura intéresser tout esprit curieux s’intéressant aux nouveaux cultes dits néopaïens, dont le Wicca est probablement le plus célèbre, et Starhawk la praticienne la plus connue. En voici la substance, adaptée d’un rapport de stage effectué au Centre interdisciplinaire d’études religieuses et laïques de l’Université Libre de Bruxelles.

Jérémy Fernandes Mollin
Jérémy Fernandes Mollin

La filiation historique entre les cultes antiques et les phénomènes religieux  néopaïens est-elle plausible ?

(Adapté d’un rapport de stage effectué au centre interdisciplinaire d’études religieuses et laïques de l’Université Libre de Bruxelles)

Télécharger le mémoire en PDF.

L’émergence du phénomène des « nouveaux mouvements religieux néopaïens », et particulièrement ceux ayant trait au druidisme et à la sorcellerie, soulève une problématique historique. Les adeptes de ces nouveaux mouvements revendiquent parfois une filiation directe entre leur système de croyances, leurs pratiques religieuses, leurs rituels, et des religions antiques telles que les religions romaines, grecques, égyptiennes ou certains cultes de la fertilité qui furent pratiqués en Mésopotamie, en Perse et en Phénicie. Or, de nombreux historiens, comme C. Ginzburg ou R. Hutton, lui-même païen, critiquent cette vision partiale et partielle de l’histoire, la jugeant idéalisée et adossée à une vision subjective et péjorative de la religion chrétienne et de la période inquisitoriale. Selon certains néopaïens, l’avènement du christianisme au IVème siècle et l’effort d’évangélisation et de diffusion du Nouveau Testament n’auraient dans l’immédiat rencontré de véritable succès qu’auprès d’une élite sociale, et l’immense majorité des populations qui peuplaient l’Empire Romain, de Constantinople au mur d’Hadrien n’auraient appliqué à leurs croyances qu’un « verni de Christianisme ». « L’ancienne religion » se serait perpétuée jusqu’au début du XXème siècle au travers de bardes-magiciens païens, de cultes forestiers secrets ou encore, de manière non consciente, grâce au folklore et aux croyances populaires transmises par les anciens des villages. Cette idée d’une tradition païenne ininterrompue et peu altérée par le christianisme, quand bien même celui-ci déploya de larges efforts pour l’abattre notamment grâce à l’inquisition, a été le fer de lance notamment des mouvements Wicca, créés par Gerald Garner, un ésotériste britannique et fondateur de ces branches parmi les plus importantes de la sorcellerie contemporaine. Celui-ci, dans son fameux Book of Shadows (1954) revendique cette thèse, et utilise comme base scientifique, comme de nombreux sorciers depuis lors, les livres d’une chercheuse reconnue et renommée sur le sujet, Margaret Murray1.

Courte biographie de Margaret Murray

CorteX_Margaret_Murray

Margaret Murray est née à Calcutta le 13 juin 1863, d’un père issu d’une vieille famille de marchands britanniques établis dans les Indes et d’une mère anglaise venue dans le pays pour y améliorer la condition des femmes. Jeune fille, Margaret se prédestine à devenir infirmière, mais se retrouve recalée du fait de sa taille non réglementaire (1 mètre 47) en 18832. Quatre ans plus tard, elle suit ses parents, retraités, dans le Hertfordshire et entre ensuite à l’université de Londres en 1894 pour y suivre des cours de linguistique. Elle milite les années suivantes pour l’amélioration des droits des femmes en Angleterre et devient une des premières suffragettes3. À cette même université, elle fait la connaissance de l’archéologue William Petrie et participe au sein de son équipe à des fouilles en Palestine et dans la ville sainte d’Abydos, en Égypte. Devenue une égyptologue assurée, elle tente les concours de l’enseignement supérieur et devient progressivement une personnalité importante de l’université de Londres : elle monte les échelons jusqu’à devenir en 1933 professeur d’université et membre du conseil d’administration de l’établissement. Dans le même temps, elle travaille pour le Manchester Museum et y conduit en 1908 la première opération de débandelettage de momie.

Bien que Margaret Murray ait consacré la majorité de sa carrière à l’égyptologie dont elle demeure une spécialiste reconnue, les parties de son œuvre qui nous intéressent ici sont les travaux qu’elle produit dans la seconde moitié de sa vie. En 1915, la première guerre mondiale compromet les recherches de son équipe en Égypte. Elle s’engage peu de temps après comme infirmière volontaire à Saint-Malo, mais tombe malade et regagne l’Angleterre4. Elle passe plusieurs mois de convalescence dans un établissement de soin à Glastonbury et s’intéresse au folklore local, notamment les fêtes villageoises situées aux solstices et aux équinoxes, et notamment celles dédiées au bouc « Puck »,5 qui aurait été une figure divine païenne celte. Elle pense y découvrir des reliquats de sorcellerie et se découvre un nouvel objet d’étude. En 1921, après des recherches menées à travers toute l’Europe, M. Murray publie un de ses ouvrages majeurs sur le sujet, La Sorcellerie en Europe Occidentale. Elle devient une spécialiste reconnue et est même appelée à rédiger l’article « sorcellerie » pour l’Encylopedia Britannica. Son entrée y demeure inchangée jusqu’en 1968. En 1935, elle prend sa retraite et donne de nombreuses conférences sur ses travaux portant sur la sorcellerie et parvient à la présidence de la Folklore Society. Elle s’éteint en 1963, encore très active dans les milieux académiques puisqu’elle publia cette même année deux ouvrages.

Parmi les nombreux livres que Margaret Murray a publiés sur la sorcellerie, j’ai choisi d’étudier The God of The Witches (1931). L’historien Carlo Ginzburg estime dans la préface des Batailles Nocturnes (1980), que nous étudierons plus tard dans ce travail, que ce livre, avec le premier ouvrage qu’elle publia sur le sujet en 1921, constituent les deux ouvrages dans lesquels Margaret Murray conserve un raisonnement un tant soit peu scientifique, et qu’elle ne fit ensuite que radicaliser les thèses développées dans ses travaux ultérieurs. J’aurais aimé me procurer un exemplaire de The Witch Cult in Western Europe (1921), mais aucune bibliothèque à ma connaissance ne le possède et je ne suis pas parvenu à trouver d’exemplaire en français à des prix raisonnables. Enfin, bien que je l’aie commandé en anglais, il n’a jamais passé la Manche. J’espère réussir à me le procurer pour des travaux futurs, car si on suit le raisonnement de Carlo Ginzburg, le propos de M. Murray y serait, soi-disant, plus objectif.

Ce petit travail se propose donc de dresser quelques éléments fragilisant ou en tout cas nuançant la thèse de M. Murray, selon laquelle les cultes païens pré-chrétiens auraient pu subsister à travers des cultes secrets sorciers jusqu’au XVIIIème siècle et trouveraient encore une résonance dans des fêtes folkloriques contemporaines. Nous verrons que le contexte politique et historique de l’émergence du christianisme, le succès de celui-ci, et l’action de l’inquisition qui avait plus vocation à lutter contre les hérésies chrétiennes que contre les sorcières, sont des éléments compromettant cette vision filiale entre le paganisme antique et la sorcellerie. Enfin, la lecture du livre de C. Ginzburg, Les Batailles Nocturnes, révèle que les résidus du paganisme qu’il a découverts ne prennent pas du tout la forme que leur attribuait Margaret Murray.

La christianisation du monde païen

Il convient de s’interroger sur la possibilité que des congrégations d’une religion païenne si bien conservée aient pu subsister jusqu’au XVIème siècle, et peut-être encore plus tardivement. Force est de constater qu’à la mort du présumé Jésus Christ, les chrétiens ne forment alors pour les autorités romaines qu’une secte hébraïque. La religion romaine antique est alors dominante dans l’Empire, et dans ses provinces le polythéisme, même basé sur des panthéons propres à chaque peuple plus ou moins assimilés aux divinités romaines, est largement répandu. Comment dès lors expliquer que, quelques siècles plus tard, une grande partie de l’Europe du sud, de l’ouest et du Proche-Orient soit devenue chrétienne ? J’ai choisi de m’appuyer dans cette partie sur des encyclopédies trouvées dans la bibliothèque du CIERL et sur un ouvrage de l’historien Paul Veyne, Quand le monde est devenu chrétien (2007), pour tenter de comprendre comment la religion chrétienne a pu parvenir à s’imposer, quelle fut son attitude vis-à-vis des païens, et si l’hypothèse d’une persistance du paganisme jusqu’au XVIème siècle est plausible.

Tout d’abord, définissons ce qu’est le « paganisme ». L’historien Stéphane François, reprenant un livre de l’historien helléniste Pierre Chuvin, Les Derniers Païens (1991), les définit comme « les gens de l’endroit »6 et souligne que ce mot a été principalement utilisé par les auteurs chrétiens pour désigner les faits religieux qui se distinguaient du christianisme, à l’exception du judaïsme7.

La mention la plus ancienne qu’on ait trouvée du mot « païen » est une épitaphe sur une stèle sicilienne appartenant à une petite fille datant du début du IVème siècle. Il y est évoqué qu’elle est « née païenne » mais qu’elle fut baptisée peu avant son trépas8. Au VIème siècle, Marcus Victorinus, un auteur chrétien écrivant sur le voyage de Saint Paul de Tarse en Grèce, désigne les habitants de cette dernière comme « des Païens »9. Saint Augustin désigne par ce mot tous ceux qui adorent des « dieux de mensonge ». Un correspondant de Saint Augustin, Paulus Orosius, trouve une racine commune avec le mot « paysan »10. Ce mot désigne donc avant tout ceux qui restent à convertir, véritablement ceux qui n’ont pas encore reçu le Christ comme leur sauveur et n’ont pas été baptisés. Paradoxalement, c’est donc un concept chrétien qui, des siècles plus tard, constituera la pierre angulaire de l’identité et du sentiment d’appartenance des groupes néopaïens.

Du point de vue de la législation impériale, Valentinien l’utilise dans une loi de 370 interdisant les mariages entre les Romains et les Barbares sous peine de mort11. Mais c’est véritablement le code de Théodose qui introduit cette notion pour désigner les praticiens de la magie qui demeurent dans les ténèbres. C’est donc avant tout un mot chrétien que les païens n’utilisèrent pas, ou alors seulement par protestation. Pour le chrétien, le païen est dans une situation d’ignorance et constitue avant tout un « miroir en négatif ».

Seulement, alors qu’avant le IVème siècle 90% de la population de l’Empire est païen au sens chrétien du terme, trois siècles plus tard, d’après P. Veyne, les païens ne sont plus très nombreux, et sont à la marge de la société12. Comment expliquer que la religion chrétienne se soit étendue aussi vite au détriment des croyances païennes ? Veyne dénote plusieurs avantages à adhérer au christianisme plutôt qu’aux « anciennes religions »13. Premièrement, la religion chrétienne se préoccupe de ses fidèles. La recherche du salut de l’âme et l’existence d’une vie paradisiaque après la mort est une pensée réconfortante pour des hommes et des femmes évoluant dans un monde où la plupart des grands débats philosophiques contemporains avaient trait au devenir de l’âme dans la mort et à la place de l’humain dans l’univers. De plus, le dieu chrétien est présenté comme un dieu de compassion, qui porte à ses adeptes un amour inconditionnel et qui ne souhaite pas moins que le salut éternel pour eux. La pratique de la prière en est la preuve : n’importe quel chrétien peut s’agenouiller, prier Dieu et être selon la Bible entendu. Les mythes antiques montrent à l’inverse combien les dieux romains et grecs étaient imprévisibles, parfois égoïstes et cruels, jouant avec l’être humain plus que cherchant à l’élever.

Or, le dieu chrétien a fait les humains à son image, a même sacrifié son fils, et par extension s’est sacrifié lui-même, pour le salut des humains. Par ailleurs, il ne demande pas de sacrifice, et n’attend de  de ses fidèles qu’ils n’obéissent qu’à sa loi : la Bible propose un style de vie et de conduite original et moral qui séduit à une époque où les Romains ne s’interrogeaient plus sur la force de leur croyance et leur adhésion aux mythes antiques comme vérité universelle. Il propose une explication du monde, de ses origines, de la place de l’humain en ce monde, de sa destinée, qui est l’apanage de toutes les religions. Et mieux encore, il décrit une hygiène de vie et inscrit comme pièce maîtresse d’un « grand projet »14 au milieu d’un écrit, la Bible, qui laisse un choix drastique à quiconque la lit : l’Enfer, ou le Paradis. Et à une époque où l’on croit véritablement aux démons, et aux esprits, c’est une idée forte. Les païens reconnaissaient eux même que les chrétiens étaient de formidables exorcistes et adhérer à cette foi amenait à trouver une égide contre ces dangers.

Une égide qui porte le nom d’Église : car une autre grande force du christianisme est son encadrement par une institution redoutable et efficace dans son prosélytisme. Très hiérarchisée et organisée, l’Église exerça un contrôle social fort sur ses adeptes15. Là où la religion païenne n’impliquait que de rendre des hommages ponctuels et d’honorer les dieux, la religion chrétienne englobe tout : toute la vie de l’individu et de sa famille est orientée vers Dieu et vers sa loi, et un clergé dévoué et déterminé à répandre sa parole s’assurait que ce soit bien le cas. De plus, contrairement à la prêtrise païenne qui s’échinait à mettre des barrières entre son dieu tutélaire et l’adepte,16 la religion chrétienne propose un rapprochement et même une communion avec Dieu. Cette dernière n’est a fortiori pas l’apanage d’une élite sociale : Dieu considère siens autant les pauvres et les nécessiteux que l’aristocratie, qu’il appelle à exercer la charité. On ne s’étonne donc pas que pour la plèbe de l’Empire, cette notion était plutôt convaincante. Pourtant, Veyne et Murray tombent d’accord là-dessus, le christianisme rencontrera d’abord un vif succès auprès des strates sociales les plus élevés, et la plupart des habitants de l’Empire n’aura que dédain ou mépris pour cette nouvelle religion. Comment dès lors expliquer sa très large diffusion, même au sein du peuple ?

Paul Veyne écrit que le christianisme doit son hégémonie à un homme politique romain, Constantin, sans qui la diffusion du dogme chrétien eût été bien plus compliquée. En 312, alors que les légions de l’Auguste Constantin font face aux forces supérieures en nombre du païen Maximilien, les faubourgs de Rome vont être le théâtre d’une bataille cruciale pour l’expansion du christianisme. En songe, l’Auguste aurait reçu un ordre du Dieu unique, celui d’apposer sur ses boucliers et ses étendards « le chrisme », symbole de la foi chrétienne. Si certains avancent que c’est par opportunisme, afin de séduire les élites chrétiennes, que Constantin s’est converti, d’autres le disent manipulé par l’Église. Paul Veyne pense lui que Constantin croyait réellement à l’authenticité de son songe : il émet l’hypothèse que Constantin était peut-être déjà chrétien depuis plusieurs mois, et que le fameux rêve n’aurait été qu’une projection de sa propre foi. De plus, l’historien souligne qu’il n’était pas rare pour les dirigeants romains de penser que les dieux leur transmettaient des messages oniriques. Les raisons de la conversion sont floues, mais Veyne s’éloigne volontairement de la thèse du calcul politique et tend plus à la percevoir comme un « impérial caprice », à la manière dont Hadrien créa un culte à son amant Antinoüs, à une époque où le christianisme fascinait.

Toujours est-il qu’en octobre 312, l’Auguste et ses soldats défont Maximilien, lequel trouve la mort dans les combats. La situation politique dans l’Empire romain semble retrouver un semblant de stabilité. Fort de quatre grands chefs au début du IVème siècle, la victoire à Andrinople de Licinus sur Maximin II Daia en 313 laisse un Empire bicéphale. C’est conjointement que les deux co-empereurs vont approuver en avril 313 l’édit de Milan, instaurant une période de paix entre les cultes païens et chrétiens. Bien que la tolérance religieuse existe dans l’Empire romain d’Occident depuis 306, l’historiographie retient généralement cette date comme la fin des persécutions vis-à-vis des chrétiens, qui ne reprendront pas même sous Julien, qui rétablira le paganisme comme religion de l’empereur. S’ouvre alors sur l’Empire une grande période d’expansion du christianisme, largement favorisée par le pouvoir impérial. Le païen Lucinus est à son tour passé au fil de l’épée en 324. Pas encore religion officielle de l’Empire, il n’empêche que le christianisme, religion personnelle de l’empereur, bénéficiera largement des faveurs de celui-ci et de ses successeurs. Par exemple, il fait du dimanche un jour férié obligatoire en 321, et finance la construction de lieux de cultes chrétiens partout dans l’Empire, développe l’Église d’Afrique et restitue les biens dérobés aux chrétiens pendant les persécutions. Il ne persécuta pas le paganisme, soucieux de l’unité d’un Empire qui demeurait largement païen. Veyne voit dans le développement de sa religion personnelle un véritable grand projet d’Empire chrétien, voué au Dieu unique. « Je prends sur mes épaules la tâche de restaurer ta très sainte demeure » déclare-t-il dans un mandement à ses sujets en 325. Bien qu’il ne se baptisa qu’à l’approche de sa mort, il éleva ses fils dans le respect de la religion chrétienne, lesquels continueront son œuvre de christianisation de l’Empire, au détriment du paganisme.

En 341, Constant 1er promulgue une loi prohibant les sacrifices païens et interdisant la magie, qui sera réaffirmée en 353 par son jeune frère l’empereur Constance II. En 342, Constant ferme plusieurs temples païens abandonnés, et quatre ans plus tard, Constance II en ferme un très grand nombre, certains encore occupés. En 356, tout sacrifice est puni de mort. Parallèlement, en 343, les cultes chrétiens reçoivent de nombreuses exemptions d’impôts municipaux. Julien, neveu de Constantin épargné durant le massacre de la famille impériale par les fils de ce dernier, sera appelé au trône en 361 par Constance II avec qui il était pourtant en guerre. Il semble que celui-ci ait voulu garder un descendant de sa famille aux commandes de l’Empire, quand bien même fut-il païen. Julien, appelé par la suite par les chrétiens « l’apostat », œuvre pour remettre sur un pied d’égalité toutes les religions, et redonne au paganisme et au judaïsme les mêmes avantages qu’aux chrétiens. Cependant, une vingtaine d’années plus tard, en 380, les empereurs Gratien et Théodose dans l’édit de Thessalonique, renonce au titre de Pontifex Maximus, et déclare que le catholicisme est la seule religion officielle de l’Empire romain. Théodose porte par la suite le coup de grâce au paganisme, l’interdisant en 392 et éliminant à la bataille de la rivière froide une grande force païenne menée par l’empereur Eugène et le général franc Arbogast, dont Veyne dit qu’il était un ennemi assumé du christianisme. En 394, Théodose interdit une célébration emblématique du paganisme, les jeux olympiques. Si certains des empereurs qui suivirent, tels Anthémius, réveillèrent certaines croyances païennes, la religion chrétienne était déjà bien diffusée dans l’Empire. Paul Veyne estime qu’au VIème siècle, la quasi-totalité de l’Empire est convertie au christianisme, et seule la Sicile aurait décelée quelques poches païennes vers l’an 600. Cependant, il admet également que des rites païens ont pu survivre au sein d’une « religion populaire » et d’une « culture folklorique », apanages des « semis chrétiens ».

L’hypothèse de la persistance d’un culte païen dont les sorcières seraient les prêtresses est-elle crédible ?

Le titre même de l’ouvrage de Margaret Murray est éloquent : selon elle, les sorcières et les sorciers auraient été les gardiennes et les adeptes d’un culte de la fertilité pré-chrétien. La religion chrétienne, par le biais de la Sainte Inquisition, n’aurait eu de cesse d’exterminer les traces de ce culte qu’ils confondirent avec une célébration au diable, figure corruptrice et avatar de tous les vices dont le clergé appelait à se prémunir. On observe, il est vrai, que la plupart des grands dieux des cultes pré-chrétiens ont été, par la suite, assimilés par les inquisiteurs à des démons ou à des entités au service de Satan. Par exemple, le dieu phénicien Bael devient pour les démonologues Jean Wier et Jean Bodin, Baal ou Belzébuth, ange déchu et bras droit de Satan. Lilith, probable déesse sumérienne, devient la première femme créée par Dieu voulant inciter Adam à désobéir à Dieu. Celui-ci la bannit et elle trouve refuge en enfer, où elle devient la maîtresse des succubes. La figure du diable devient, dans l’imaginaire collectif, un homme bouc, semblable à la représentation du dieu Pan ou du dieu Cernunnos. Astaroth, un autre grand démon, tient son étymologie de la déesse Astartée. Enfin, l’égyptien Amon et l’assyrienne Berith trouvent également un alter ego démoniaque. Mais ces parallèles ne furent tracés que très tardivement, et l’Inquisition ne fut pas, au prime abord, créée pour lutter contre le diable.

Elle vit le jour en avril 1233 sous le pontificat de Grégoire IX afin de lutter contre l’hérésie cathare en Languedoc. Sa mission première n’était donc pas, comme beaucoup de sorcières contemporaines le revendiquent, de détruire le culte du diable, mais bien de combattre les hérésies chrétiennes17. Ce n’est qu’en 1484 que le pape Innocent VIII, dans une bulle condamnant la sorcellerie, lui donne un nouveau cap. Afin d’aider les inquisiteurs dans leur nouvelle tâche, le pape commande à deux inquisiteurs, Henri Institoris et Joseph Sprenger, un dominicain, de rédiger un manuel de chasse à la sorcière. Deux ans plus tard, le fameux « Marteau des sorcières » ou Malleus Maleficarum voit le jour. Ils désignent la femme, coupable du péché originel, comme principale recrue du diable. Ils y décrivent les dons obscurs que le malin peut leur attribuer : métamorphoses, stérilisation des terres fertiles, invocation de tempêtes, vol à dos de balais. Ils y décrivent également la cérémonie diabolique par excellence, le sabbat, prétexte aux accouplements avec les démons, sous la présidence du diable. Ce tableau, dont Goya fera une fameuse représentation, va durablement marquer l’imaginaire du clergé.

Pour autant, peut-on juger crédible que de telles cérémonies aient existé ? Pour Murray, les sabbats seraient des cérémonies païennes ayant survécu à l’arrivée du christianisme. Nous avons montré dans une première partie combien le christianisme avait fini par s’imposer comme religion dominante, tant parce qu’il bénéficia d’un appui politique de la part des empereurs que parce qu’il possède un certain nombre d’avantages par rapport aux anciens cultes. Paul Veyne lui-même reconnaît cependant que des « semis chrétiens » aient pu perpétuer une forme dégénérée de cultes et de superstitions pré- chrétiennes, mais qu’un culte intact ait pu survivre demeure improbable. Il existe très peu de sociologues ou d’historiens ayant abordé ce sujet, mais le livre de Carlo Ginzburg que nous avons pu trouver met en lumière deux faits importants : premièrement, l’hypothèse de Paul Veyne est exacte. Ensuite, les descriptions de Menger et d’Institoris ont influencé les juges qui furent amenés à juger les sorcières.

Dans Les batailles nocturnes (1980), l’historien, en étudiant les archives ecclésiastiques des diocèses frioulans en Italie, découvre les traces d’une cérémonie découlant d’un ancien culte de la fertilité pré-chrétien. Quatre fois par an, plusieurs fermiers frioulans nés coiffés, appelés Benandantis, se réunissent dans des champs armés de baguettes de bois et affrontent pour assurer la fertilité des récoltes une armée de « mauvais sorciers ». S’ils perdent, la saison sera marquée par la disette. En cas de victoire, les « bons sorciers » descendent dans les caves des habitants et y festoient et s’enivrent. Les Frioulans accordent à ces Benandantis des pouvoirs de guérison et une aura de mystère et de respect les entoure. Au XVIIème siècle, un prêtre entend en confession une femme qui se plaint que des Benandantis ont pillé sa cave. Le prêtre rapporte cette affaire à l’Inquisition qui prend en charge l’affaire et arrête plusieurs témoins et Benandantis. Bien que la première réaction de la noblesse locale et du clergé soit un dédain assumé pour ce qu’ils croient être des superstitions de paysans, plusieurs éléments attisent la curiosité des inquisiteurs. Tous rapportent se battre sous les ordres d’un chef de compagnie lequel a reçu de Dieu le commandement de sauver les récoltes pour la gloire de Jésus Christ. À l’inverse, les « mauvais sorciers » se battent pour le malin. Pour l’Inquisition, le concept de « bons sorciers » n’est pas tolérable, quand bien même se battraient-ils au nom de Jésus. Petit à petit, après des interrogatoires suggestifs et de nombreuses nuits de cachot, les clercs parviennent à convaincre les Benandantis que leur capitaine n’est autre que le diable, qu’eux-même ne sont que des sorciers, et que leurs cérémonies sont des sabbats. La description des batailles nocturnes va peu à peu se conformer à la vision du « Marteau des Sorcières ». L’enquête aboutit à plusieurs condamnations, mais tous les prévenus échappèrent à la torture et à la question, et si l’un d’entre eux mourut en détention, aucun ne fut condamné à mort.

Même si l’historien voit dans les batailles saisonnières des Benandantis une survivance de rites païens pré-chrétiens, il admet qu’elles ne forment pas un culte indépendant et assumant vénérer autre chose que le Dieu unique. Si le « vernis de christianisme » auquel Margaret Murray attribue la dissimulation des cultes païens au dieu Cornu aux yeux des autorités chrétiennes est bien présent, la figure du dieu païen en tant que telle est absente. Cette forme de réminiscence païenne n’étaye en rien la thèse de Margaret Murray, dans sa forme originelle, c’est-à-dire dans la forme confessée au préalable par les Benandantis, et la forme qui peut être considérée comme plus fiable et intacte. En effet, là où nous ne pouvons commencer à trouver des similitudes entre les cultes décrits  tant dans The God of the Witches qu’à la fin des Batailles Nocturnes, lorsque par la suggestion et la coercition les inquisiteurs ont profondément altéré la description du culte pour le faire conformer à leurs propres pré-notions.

Cette situation nous pousse à nous interroger sur la validité de la thèse de Margaret Murray, dans la mesure où la majorité de ses sources proviennent de confessions de sorcières consignées par des clercs probablement influencés par les représentations véhiculées par le Marteau Des Sorcières, ou par les inquisiteurs qui se les sont appropriés. En effet, la plupart des suspects en matière de sorcellerie furent soumis à la question, ou subirent les effets d’une mise au ban de leur communauté et d’une incarcération dans des conditions insalubres. Leur confession première et les versions qu’ils avouèrent plus tard sont généralement très différentes et il est impossible de démêler ce qui a été induit par les inquisiteurs et les juges de la réalité, si tant est que sorcellerie il y ait eu.

Jean Michel Salmann évoque aussi dans Les Sorcières, Fiancées de Satan la difficile objectivité des juges en matière de sorcellerie. En 1679, dans un village des Ardennes, une vieille dame, Péronne Goguillon, reçoit la visite de quatre soldats venus lui soutirer de l’argent. Celle-ci n’a pas d’argent à leur donner et est obligée, après s’être déjà fait violenter, d’emprunter contre gage à un meunier voisin. Le soir, son mari rentre du champ et est informé par son épouse des méfaits des gardes. Celui-ci décide de ne pas en rester là et dépose une plainte au tribunal de la baronnie. Les soldats sont incarcérés, de même que Péronne, en attendant que l’enquête aboutisse. Le logeur d’un des soldats, ayant plus tôt suggéré à ceux-ci de rendre visite à Péronne, se présente au tribunal et accuse Péronne de sorcellerie. La machine judiciaire se met alors en marche non plus contre les soldats qui se font oublier, mais contre la paysanne qui, à une date indéterminée, commence à dénoncer plusieurs de ses proches. Confrontés à Péronne, tous nient l’accusation. Trois semaines après la visite des soldats à son domicile, Péronne est amenée par les gardes du village sur la place publique et brûlée vive. Il est également intéressant de noter que c’est un des témoins à charge qui a vendu aux autorités une partie du nécessaire indispensable pour procéder à l’exécution. Il semble que parmi les personnes dénoncées par Péronne, plusieurs connaîtront un sort similaire.

Il est néanmoins frappant que plusieurs témoins à charge aient un bénéfice à ce que Péronne périsse sur le bûcher. L’un pour délivrer son locataire et se laver de toutes suspicions d’incitation au pillage, l’autre pour vendre une partie du matériel d’exécution. Il est également intéressant de noter que cette « sorcière » n’a commencé à en être une que lorsqu’elle a dérangé plusieurs membres du village, lesquels ont proféré l’accusation. Il est impossible aujourd’hui de savoir si oui ou non Péronne Goguillon était une sorcière, mais son procès est entaché de trop d’éléments suspects pour considérer cette thèse comme crédible.

Encore une fois, se saisir des sources inquisitoriales ou judiciaires sans prudence est délicat en matière de sorcellerie. Le livre de Margaret Murray s’appuyant majoritairement sur de telles sources, ainsi que sur des livres de folklore sans fondement historiquement vérifiable, sa thèse dans son ensemble est à considérer avec beaucoup de prudence.

Les mouvements néopaïens

Pourtant, le livre de Margaret Murray est au centre d’une lutte mémorielle. Beaucoup de mouvements néopaïens, tels les covens de Wiccans, l’utilisent comme pierre angulaire d’une vision anti-chrétienne de leur propre histoire. En effet, le fondateur de la Wicca, Gerald Gardner, clame avoir été initié à la sorcellerie par une vieille sorcière dans la campagne britannique. C’est en ce nom qu’il s’est revendiqué comme gardien d’un culte antique, et que bon nombre de Wiccans se représentent de cette manière. Le peu d’études sur le sujet rend l’évaluation du phénomène très complexe, mais les observations empiriques et les entretiens que j’ai à ce jour pu mener au sein des milieux néopaïens dessine une vision de l’histoire dans laquelle les sorcières, gardiennes de cultes antiques, ont été persécutées et en ce sens mises au bûcher. Les chrétiens auraient sciemment exécutés des sorcières pour empêcher un « retour du paganisme » et de « l’ancienne religion ».

Mouvement déjà éclectique et syncrétique en soi, la Wicca est composée de deux grandes branches. La Wicca Gardnerienne, largement majoritaire, qui suit plus ou moins les préceptes édictés par Gardner dans son « Book of Shadows », est le mouvement le plus institué. Mais il existe également un deuxième grand courant, la Dianic Wicca18, fondé par Zsusanna Budapest, une sorcière qui prétend descendre d’une lignée de sorcières vieille de presque 1000 ans. Ce courant résolument féministe a étayé la vision d’un christianisme patriarcal luttant contre les gardiennes d’un culte antique tourné vers le « féminin sacré ». La plus célèbre de ses adeptes est la sorcière féministe Starhawk née en 195119, qui marie Wicca et militantisme politique, et promeut une vision de la déesse « d’amour et de colère, refusant l’ordre social existant ». Margot Adler, journaliste et prêtresse Wicca, définit ce mythe de la filiation antique comme « le mythe fondateur de la Wicca ».

Pourtant, comme nous l’avons montré, la vision de la sorcière héritière du culte de l’ancienne religion souffre de beaucoup de failles. Premièrement, son texte fondateur, Le Dieu des Sorcières, se base sur des sources discutables sur le plan scientifique, tels que des livres de contes ou des confessions de sorcières grandement altérées par les mauvais traitements et les propres pré-notions des inquisiteurs sur leurs pratiques rituelles. Ensuite, il est très difficile d’affirmer avec certitude que des congrégations païennes aient pu survivre de manière inaltérées dans un monde où le christianisme s’affirmait tant par son attrait par rapport aux cultes antiques que par la volonté politique d’une succession d’empereurs romains puis de monarques européens de favoriser son expansion.

Cependant, il est plausible que des formes de cultes syncrétiques mêlant paganisme et références incomprises du christianisme aient existé. C’est probablement pour cela que de nombreuses sorcières ou guérisseurs de village invoquant autant d’anciennes divinités que des saints chrétiens furent inquiétés par l’Église et la société dans laquelle ils vivaient. Les cultes Benandantis ne sont que les plus célèbres de ces cultes « semi-chrétiens » mélangeant traditions populaires, rites agraires, superstitions et éléments chrétiens. Plus récemment, l’ethnologue Jeanne Favret-Sadaa20 a pu observer dans le département de la Mayenne une subsistance de pratiques sorcières de désenvoutement, d’exorcisme et de malédiction qui formaient un véritable tabou entre les communautés villageoises qui leur accordaient une grande valeur, à la limite du sacré. Ces pratiques remontent bien avant l’émergence du New Age, ou même des sociétés ésotériques de la fin du XIXème siècle, ce qui montre que des traditions païennes subsistent bien, mais elles ne forment pas, contrairement à ce que Margaret Murray voulait démontrer, un système religieux institué, et pas non plus une religion remontant à l’Antiquité.

Ainsi, le néopaganisme forme une religion encore peu étudiée. Les raisons pour lesquelles des hommes et des femmes adhèrent au druidisme ou à la Wicca demeurent encore obscures, car ces religions n’offrent pas de « bien de salut » au sens Weberien du terme. Leur relative jeunesse comparée aux monothéismes fait qu’une transmission familiale de ces croyances est également improbable. Enfin, la théorie proposée par Jacques Lagroye21 selon laquelle on adhère à une religion également pour « faire partie d’une communauté » ne suffit pas : beaucoup de nouveaux païens pratiquent seuls leur religion, on dialogue avec leurs coreligionnaires par la voie des nouvelles technologies de l’information et de la communication, comme les réseaux sociaux. Les raisons d’entrée en religion sont donc encore à explorer, et ce sera, pour le moment, le sujet du mémoire que je rédigerai pour la fin de mon cursus de premier cycle à Sciences Po Grenoble. Le stage au CIERL m’aura permis, sans aucun doute, d’ouvrir la voie vers ce nouveau travail de recherche.

Bibliographie

  • Albaret L. (1998), L’Inquisition: rempart de la foi, Paris, Gallimard.
  • Chuvin, Pierre. (2009), Chronique des Derniers Païens. Paris, Les Belles Lettres, Fayard.
  • Favret-Saada J. et Contreras J. (1993), Corps pour corps enquête sur la sorcellerie dans le Bocage, Paris, Gallimard.
  • Ferguson, E., McHugh, M.P. et Norris, F.W. (dir.) (1997), Encyclopedia of early Christianity, 2nd ed, New York, Garland Pub (Garland reference library of the humanities).
  • François S. (2012), Le néo-paganisme: une vision du monde en plein essor, Valence d’Albigeois, Éd. de la Hutte.
  • Ginzburg C. et Charuty G. (1984), Les batailles nocturnes sorcellerie et rituels agraires aux XVIe et XVIIe siècles, Paris, Flammarion.
  • Husain S., Deschamps A. et Leloup J.-Y. (1998), La Grande Déesse Mère, Paris, Albin Michel.
  • Hutton, Ronald. (1999). The Triumph of the moon. Oxford, University Press
  • Lagroye J. (2009), Appartenir à une institution, Paris, Économica.
  • Murray M.A. et Seguin A. (2011), Le dieu des sorcières, Rosières-en-Haye, Camion Noir.
  • Orosius P. et Arnaud-Lindet M.-P. (1990), Histoires. (Contre les Païens) 2 2, Paris, Les Belles Lettres.
  • Pietri C. (1995), Histoire du christianisme des origines à nos jours 2, 2, [Paris], Desclée-Fayard.
  • Poupard P. (2007), Dictionnaire des religions, Paris, Presses universitaires de France.
  • Sallmann J.-M. (1989), Les sorcières, fiancées de Satan, Paris, Gallimard.
  • Sheppard, Kathleen L. (2013). The Life of Margaret Alice Murray: A Woman’s Work in Archaeology. New York, Lexington Books.
  • Veyne P. (2010), Quand notre monde est devenu chrétien 312-394, Paris, A. Michel.
  • Victorinus Afrus – In Epistola Pauli ad Galatas [0362-0372] Texte complet at Documenta Catholica Omnia ». consulté le 07/06/2014.
  • Zeiller J. (1940), « Paganus. Sur l’origine de l’acception religieuse du mot » dans Comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 84e année, N. 6.

1 v

2 Murray Margaret (2011, first pub. 1931), The God of the witches, Camion Noir. p. 8.

3 Hutton, Ronald. (1999), The Triumph of the moon. Oxford University Press. p. 194.

4 Ibid. p. 195 ; Sheppard, Kathleen L. (2013). The Life of Margaret Alice Murray: A Woman’s Work in Archaeology. New York: Lexington Books. p. 98, p.162.

5 Op. Cit. Murray, Margaret. p. 59 ; Op. Cit. Hutton, Ronald p. 197.

6 Les premiers auteurs chrétiens créant le mot païen à partir du mot « paganus » – le paysan, l’habitant du pays – reliaient l’appartenance à la religion païenne au fait de résider en milieu rural, les villes devenant plus vite chrétiennes, et à la superstition locale, territorialisée, et à l’attachement à sa terre (attachement à la terre qui nourrira un paganisme très conservateur, parfois proche de l’extrême-droite).

7 François S. (2012), Le néo-paganisme: une vision du monde en plein essor, Valence d’Albigeois, Éd. de la Hutte.

8 Zeiller J. (1940), « Paganus. Sur l’origine de l’acception religieuse du mot » dans Comptes-rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 84e année, N. 6, pp. 540-541

9 Victorinus Afrus – In Epistola Pauli ad Galatas [0362-0372] Texte complet at Documenta Catholica Omnia ». consulté le 07/06/2014.

10 Orosius P. et Arnaud-Lindet M.-P. (1990), Histoires. (Contre les Païens) 2 2, Paris, Les Belles Lettres.

11 Ferguson, E., McHugh, M.P. et Norris, F.W. (dir.) (1997), Encyclopedia of early Christianity, 2nd ed, New York, Garland Pub (Garland reference library of the humanities), 2 p.

12 Veyne, Paul. (2009), Quand notre monde est devenu chrétien. Paris, Albin Michel. p. 169-170 ; Chuvin, Pierre. (2009), Chronique des Derniers Païens. Paris, Les Belles Lettres, Fayard.

13 Évidemment, la recherche d’avantages spirituels ou sociaux n’est pas le seul motif de l’adhésion religieuse. La recherche d’explication du monde, de ce qui se trouve après la mort, les « biens de salut » weberiens, ou encore d’un sentiment d’appartenance à une communauté en sont d’autres. Mais là où la relation avec Dieu est passionnelle, la relation avec les divinités païennes était plus contractuelle, sauf pour quelques héros. L’offrande est la manifestation rituelle courante de cette relation. SI des relations contractuelles existent dans le christianisme (pèlerinage, promesse à Lourdes ou à Notre Dame de Fatima), Dieu est supposé être concerné par le salut de ses fidèles.

14 À une époque d’incertitude politique, avec les fréquentes guerres civiles dans l’Empire, et morale, avec le déclin de la pratique du paganisme, la religion chrétienne propose un cadre de vie ascétique assurant la survie de l’âme.

15 Bien que l’Église soit encore jeune à l’époque de Constantin, celui-ci et ses fils ont permis de l’accroître considérablement, et d’en faire une institution efficace et politiquement favorisée.

16 Op. Cit. Veyne, Paul (2007) p. 34 – Les temples païens sont en effet construits de telle sorte à mettre une barrière physique entre la partie sacrée du temple, le sanctuaire, où se trouve la statue du dieu, et le reste de l’édifice, profane. Les prêtres avaient le monopole du rôle d’intermédiaire. La religion chrétienne supprime cet intermédiaire, puisque tout le monde peut prier Dieu. Également, là où la doctrine chrétienne suppose Dieu comme un être aimant ses fidèles, les dieux païens sont des êtres ambivalents, et ne dispense leurs faveurs qu’à leurs élus où lors de relations rituelles clientélaires.

17Albaret L. (1998), L’Inquisition: rempart de la foi, Paris, Gallimard. p. 25

18 Op. Cit. Husain S., Deschamps A. et Leloup J.-Y. (1998) p. 153

19 Ibid. p. 155

20 Favret-Saada J. et Contreras J. (1993), Corps pour corps enquête sur la sorcellerie dans le Bocage, Paris, Gallimard.

21 Lagroye J. (2009), Appartenir à une institution, Paris, Économica.

Troque ceinture d’explosifs à grenaille contre boite à outils critiques

C’est avec tristesse et consternation que nous regardons le bilan des attaques ayant eu lieu à Paris dans la nuit du vendredi 13 au samedi 14 novembre 2015. Ces quelques lignes ne visent pas à analyser ces événements, puisque nous avons pour principe de ne pas céder à la pression médiatique et de prendre le temps nécessaire pour examiner rationnellement et de façon dépassionnée les causes et les implications de ces événements. Toutefois, tant les questions qui furent soulevées à l’issue de ces attaques – pourquoi nous ? Au nom de quoi ces personnes ont-elles tuées ? – que la réaction du Président François Hollande, qui le lendemain même a intensifié ses frappes contre l’État Islamique sur la ville de Rakka en Syrie, nous forcent à rappeler certains éléments de compréhension des mécanismes et des impacts des interventions militaires, qui mettent en perspective le drame parisien mais qui sont occultées. Savamment occultées.

Le désarroi d’une majorité de Français vis-à-vis de ces attentats est manifeste. Nous ne nous appesantirons pas sur les campagnes type « Pray for Paris » car, à notre connaissance, la prière d’intercession n’a jamais été un levier géopolitique efficace ; ni sur les minutes de silence qui s’écoulent de partout, et qui auraient profit à être troquées contre des minutes de réflexion critique. Nous préférons – et c’est ce que nous faisons dans nos enseignements – prôner la méthodologie suivante :

si l’on veut éviter un phénomène, il faut le regarder sans fard, le caractériser, puis en chercher les rouages, et enfin travailler sur lesdits rouages.

En qualifiant les « terroristes » de salauds, de barbares, de fous de Dieu, la réaction est affective, et on peut aisément comprendre cela des proches ou des familles des victimes. Il n’est pas censé en aller de même pour des intellectuels, des politistes, qui doivent bâtir un savoir le plus désaffectivé possible pour rationaliser leur rapport au réel qu’ils étudient. Pourtant, qualifier quelqu’un de fou, c’est faire démarrer ses actes dans un esprit malade, ce qui évite toute recherche d’autres causes. C’est ce qu’on fit à propos des résistants du maquis des Glières, des résistants du Front de libération algérien, des rebelles de divers anciennes colonies françaises, comme Madagascar, et tant d’autres.

Or il semble que les esprits en question ne soient pas pathologiquement atteints, ni particulièrement imbéciles. La question devient alors : « qu’est-ce qui pousse un individu comme vous et nous à commettre ce genre d’acte effrayant ? » et pourquoi ne nous viendrait-il pas à l’esprit de faire cela ? Quel contexte permet l’émergence de ce genre d’acte ? Là, c’est à une analyse sociétale qu’il faut passer. Reposons la question autrement : comment se fait-il que notre monde, et à plus forte raison notre pays ne soient pas en mesure de faire naître des alternatives plus séduisantes que celle de se faire sauter avec une ceinture d’explosifs au milieu de gens inconnus et assez éloignés des centres de pouvoir dénoncés ?

Un début, un maigre commencement d’analyse, démarre par la dénonciation d’un paradoxe français.

La France est un des pays qui consacre un pourcentage conséquent de son produit intérieur brut en dépenses militaires1– et ce, malgré de récentes coupes dans le budget du Ministère de la Défense2. L’armée française est engagée au maximum de ses capacités dans un grand nombre de conflits – au sol ou dans les airs. Au total, ce sont 6500 soldats français qui sont déployés dans des opérations extérieures, bien souvent avec des mandats peu clairs, non discutés démocratiquement, et parfois sans autorisation préalable du Conseil de Sécurité des Nations-Unies3. À l’Afghanistan en 2008, se sont succédés la Libye en 2011, la Centrafrique et le Mali en 2013, l’Irak début 2015 et  la Syrie depuis septembre. La France est donc en guerre. Non contre un ennemi « invisible » mais, dans la plupart des cas, aux côtés de forces gouvernementales, issues de ses anciennes colonies et dont la légitimité est contestée par des mouvements rebelles et armés.

Ces guerres sont toutefois totalement absentes du débat public, à part lorsqu’il s’agit de les vendre en les parant de vertus « humanitaires »4. Où trouve-t-on le décompte des victimes, directes et indirectes de ces conflits ? Qui informe sur les buts de ces interventions ? Pourquoi les pouvoirs du Parlement sont-ils si limités quand il s’agit d’avaliser une intervention extérieure 5? Pourquoi les citoyens français sont-ils dépourvus de tout pouvoir de décision en matière de politique étrangère ? Pourquoi faut-il attendre plusieurs années pour découvrir les véritables motifs d’une entrée en guerre de la France et le bilan, souvent désastreux, de ses interventions ? Pourquoi la stratégie de sortie de conflit n’est-elle jamais explicite avant l’entrée en guerre ?

Il faut le reconnaître, il n’y a pas à notre connaissance de cas où la situation politique fut meilleure après intervention militaire française. En effet, les récents exemples d’intervention l’attestent : ces guerres n’aboutissent jamais à améliorer la vie des civils qu’elles prétendent défendre. Pire, la diabolisation des ennemis et la rhétorique agressive et martiale qui y est employée conduit à des conséquences désastreuses sur le terrain. En Afghanistan, le refus de négocier avec les Talibans et la stratégie jusqu’au-boutiste poursuivie par l’administration Obama et le général McChrystal a fait sombrer le pays dans un guerre longue qui se solde aujourd’hui par une désillusion et une insécurité accrues pour les populations afghanes6. Les Talibans sont désormais en passe de reprendre le contrôle de Kaboul. Dix ans de guerre pour quoi, donc ? La Libye aujourd’hui est en proie à des violences qui déstabilisent toute la région7. En Centrafrique, la France est embourbée alors que les troupes de maintien de la paix au Mali subissent des pertes importantes8.

L’un des lieux communs des auteurs des actes de type attentats « djihadistes » est une combativité politique, un engagement, généralement anti-impérialiste et anti-colonialiste qui trouve dans le religieux son écrin. Si nous exécrons les modèles théologiques, et n’avons aucune forme d’admiration pour l’État Islamique, il nous faut reconnaître, à notre grande peine, qu’elle offre un idéal politique capable de drainer des jeunes. Parmi les raisons de la radicalisation, il y a la politique extérieure militaire française. Et bizarrement, nombre de médias occultent exactement ce lien causal9.

En revanche, peu de commentateurs exigent de nos décideurs politiques qu’ils clarifient leurs relations avec des régimes autoritaires dont les pratiques et les valeurs, ne sont pas si différentes de celles des combattants de l’État islamique. Car, faut-il le rappeler, le gouvernement français a réaffirmé son amitié pour l’Arabie Saoudite10 ou le Qatar11, deux pétromonarchies qui ne se caractérisent pas par leur respect des droits humains. On pourrait en appeler aux futurs prochains terroristes comme à nos décideurs politiques pour dessiner un front commun : plutôt que d’exiger, par la force militaire ou la bombe à clous, des changements politiques pourquoi ne pas investir dans la prévention de ces conflits en cessant, notamment, de soutenir des régimes autoritaires ? Il faut se rappeler que la France a invité Mouammar Khadafi en grandes pompes à l’Élysée en 2007, Bachar Al Assad au défilé du 14 juillet en 2008, autant de prestigieux invités que l’on a bombardés par la suite.

Dès lors, il est difficile de ne pas lire dans les attaques à Paris, comme dans celles qu’ont subi dernièrement le Liban, l’Égypte, la Turquie, le Danemark, la réaction violente à une action violente. Plus que de « valeurs » et d’« idéologie » c’est entre autres de dénonciation de stratégie guerrière dont il s’agit. Le fait que les États récemment touchés par des attaques soient aussi ceux qui sont en guerre dans les airs ou au sol contre l’État Islamique, ne relève pas, à notre sens, de la coïncidence.

Nous paraphrasons les mots de Noam Chomsky après les attentats du 11/9 : certes, c’est une tragédie. Mais elle n’est pas, hélas, extraordinaire. De nombreux pays vivent des massacres de masse, des morts civiles injustifiées, par des militaires ou des mercenaires financés parfois sur notre argent public. Ici, ce qui change, c’est la nationalité des morts12. Alors oui, c’est atroce, épouvantable, à l’image de ce qui se fait dans maints endroits ailleurs en notre propre nom. Faut-il en être surpris ?

Alors au lieu d’accumuler des minutes de silence, nous pourrions nous offusquer ensemble, raisonner ensemble : glaner les minutes et en faire des heures d’analyse critique de notre géopolitique.

Clara Egger, Richard Monvoisin

PS : le CORTECS invite toute personne, tout étudiant qui pense que le seul salut est l’attentat sur des innocents à prendre contact. Nous faisons le pari d’avoir à lui proposer des méthodes de transformation sociale certes plus lentes, mais infiniment moins sordides, et surtout, autrement plus efficaces. Dans le monde que nous visons, il n’y aura pas d’au-delà chatoyant. Il y aura un ici-maintenant un peu moins endeuillé.

Zetetic is beautiful – Matériel vidéo Z de la Tronche en biais

CorteX_TeB#1

L’équipe de la Tronche en Biais (Mendax et Vled) réalise depuis fin 2014 des vidéos sur un vlog de Youtube. Les deux lascars nous faisant le plaisir de venir nous voir les 17 et 18 novembre 2015, nous avons demandé à nos étudiants de regarder le matériel produit. En voici la liste.

Pour rencontrer la Tronche en biais, il faut venir :

– le mardi 17 novembre, dans le cours Zététique & autodéfense intellectuelle de Richard Monvoisin, de 17 à 19h, amphi Weil, sur le campus de Grenoble.

– le mercredi 18 novembre, lors de la permanence du CORTECS, 1er étage de la bibliothèque des sciences, de 13h30 à 16h30

– lors du test du prototype de jeu de cartes « concours de mauvaise foi », à l’élaboration duquel le CORTECS a contribué – à 17h, probablement amphi Weil également.

Les épisodes « canon » + Les Points dans la Tronche.

1) Intro à la zététique

1bis) Point dans la Tronche 1

2) La méthode hypercritique

2bis) Point dans la Tronche 2 : la « vérité » scientifique

3) La dissonance cognitive

3bis) Débunkage et entretien épistémique

4) La rationalisation

4bis) Retour sur la rationalisation

5) Les biais de confirmation (en préparation)

6) L’essentialisme (en préparation)

7) L’appel à la Nature (en préparation)

8) Les influences (en préparation)

9) La « théorie » des genres (en préparation)

Les Pastilles de Mendax & de Vled

1) Le mot « ovni »

2) Le « suaire » de Turin

3) Réponse à « Dieu existe-t-il ? »

4) L’effet placebo

5) L’œuf et la poule

6) L’athéisme et le langage

Les hors-séries

1) William le médium (critique d’un courrier d’escroc)

2) Génétique et homosexualité (Intervention à Podcast Science)

La Tronche en live (direct avec un-e invité-e)

1) Épisode perdu dans les limbes

2) Les mécanismes de la rumeur, avec Nichoax, de Hoaxbuster

3) Quête de sens et irrationnel, avec Jeff du Psylab

4) Ufologie, avec Patrice Seray & Francine Cordier

5) Le cerveau qui raisonne, avec Hugo Mercier

6) La vie après la mort ? avec Poisson Fécond, un vidéaste à forte audience

7) Croyances, histoire et archéologie, avec Dari de la chaîne temps mort

8) Vulgarisation sur un média horizontal, avec Léo de Dirty Biology

9) L’erreur en question, avec Pierre Kerner

10) Le théorème de Gödel et l’incomplétude des sciences, avec Nico Tupe, de Podcast Science

Le podcast audio.

11) Les idées reçues sur les surdoués, avec Nicolas Gauvrit

 Pas encore de vidéo : ceci est le podcast audio.

12) Physique quantique et charabia, avec Julien Bobroff

… le 10 novembre à 21h ici : http://www.radiocampuslorraine.com/

13) Pensée critique, avec le CORTECS, sur Radio campus Grenoble, 

14) Astrologie ?

Dans la Tronche de… (présentation d’une chaîne sceptique)

1) Psynect

2) Hygiène mentale

3) Instants sceptiques

Conférences

1) Introduction à la zététique (Néocast) 

2) Le Côté Obscur du Cerveau (Geekopolis) – extrait de la précédente

3) Créationnisme et conspirationnisme : une même logique ? (Skeptics in the pub, Bruxelles)

4) Le scepticisme au cours de l’histoire

RFI vs. Scepticisme scientifique : le CORTECS sur les ondes

Vous aurez probablement remarqué notre rareté sur les médias. Il ne s’agit pas d’un manque de sollicitation, au contraire ! Il s’agit d’une position collective qui ne fait que se confirmer avec le temps. Comparatif entre deux prestations, sur le ballado Scepticisme scientifique le 16 octobre 2015 et sur RFI le jeudi 29.

Épisode 1

Je passais à Louvain-la-Neuve en octobre pour de la didactique des sciences, et parmi quelques à-côtés absolument géniaux (dont une causerie avec Marc Silberstein, des génialissimes éditions Matériologiques, ainsi qu’avec Pascal Charbonnat, l’auteur de la somme Histoire des matérialismes). C’est là que les camarades du ballado sceptique Scepticisme scientifique m’ont mis le grappin dessus.

Avec un magnéto, la piaule de Jean-Michel Abrassart (alias JMA) encombrée de bouquins d’ufologie et d’ouvrages de H. P. Lovecraft, Jean-Michel lui-même et Jérémy Royaux le psychologue « hypnotiseur » (c’est son métier, branche non mystique bien entendu) qui a préparé l’entretien, ça donne une heure et demie de causette approfondie que vous pouvez :

– télécharger en deux parties ici et pour faire votre ménage ou votre vaisselle en bonne compagnie

– ou écouter directement ici :

Épisode 1

Épisode 2

– ou aller à la source et là-bas.

Le résultat, à vous d’en juger, mais j’ai eu en tout cas le temps de développer, d’approfondir, et j’ai pris grand plaisir.

Épisode 2

CorteX_rfi

Le camarade Antonio Fischetti, connu pour ses pages sciences dans Charlie Hebdo, et que je connais depuis quelques années, me propose de venir causer de pseudo-sciences sur Radio France International, radio sur laquelle il faut un remplacement dans l’émission Autour de la question. Format large (50mn), Antonio très au fait du sujet puisqu’ayant co-écrit en 2004 le fameux Charlie saute sur les sectes avec le regretté Tignous : j’arrive très confiant dans la tour de RFI, à Issy-les-Moulineaux. Antonio m’a demandé si je pouvais fournir des extraits audio éclairants, et vous reconnaîtrez peut-être quelques outils que j’ai utilisé dans mes cours.

Le résultat ? Vous serez seuls juges. J’en suis sorti perplexe pour ma part, non par le travail réalisé par Antonio – les questions étaient bonnes, les extraits adéquats – mais perplexe par le format. RFI demande, de part sa diffusion internationale, un minutage extrêmement précis, à la minute près. Guillaume Ploquin à la technique nous faisait les signes quand il fallait, et Antonio avait un script taillé au cordeau. Les normes de l’émission sont strictes : un journal à la moitié, et deux chansons. Au final ? Perplexe, donc. 50 minutes d’émission, mais une impression de peau de chagrin. J’ai eu l’impression de faire des séries de phrases brèves. J’ai même tellement été surpris par la fin que je n’ai pu ni rendre un hommage appuyé à mes camarades, ni surtout faire ce que je désirais : lancer un appel aux enseignants africains francophones.

Vous pouvez forger votre opinion en :

– téléchargeant ici pour faire votre repassage ou bêcher le jardin en bonne compagnie

– ou en écoutant directement ci-dessous :

– ou en allant à la source .

Alors c’est vrai, j’avais écouté d’autres émissions de Autour de la question, mais je ne me rappelais pas que c’était si « ramassé ». Alors si le format ne me convenait pas, pourquoi y suis-je allé ?

C’est que je suis pris dans l’éternel dilemme du CORTECS :

Choix A :  faut-il passer le message critique dans les médias, quoi qu’ils vous fassent ? (C’est l’option que prend dans une certaine mesure, le sociologue Gérald Bronner par exemple, Florent Martin de l’Observatoire zététique, le physicien Jean Bricmont, ou Jean-Michel Abrassart, du podcast Scepticisme scientifique).

ou choix B : refuser d’y aller quand le format n’est pas adéquat, ou lorsqu’il faut, pour être audible, devenir un fauve comme dans certaines émissions de prime-time – entendez par « fauve » quelqu’un qui doit couper la parole à ses interlocuteurs pour se faire entendre, faire des phrases courtes, percutantes, si possible avec le ton hargneux et hautain qu’on aime voir chez un sceptique (je ne plaisante pas : j’ai disparu d’une émission il y a quelques années, parce qu’un autre sceptique était plus télévisuel, ayant usé d’invectives et de moqueries envers des adhérents à des thérapies « alternatives »). Cette solution de retrait fut prise par exemple par le sociologue Pierre Bourdieu à la fin de sa vie (voir à ce sujet son petit livre Sur la télévision et la conférence attenante, ci-dessous) et c’est la position pour l’instant adoptée collectivement par notre collectif, depuis maintes mésaventures télévisuelles notamment.

Le choix A vous mène parfois jusqu’à la caricature. Mais le choix B vous fait disparaître. Au CORTECS, nous pensons que notre job consiste à enseigner, et pour cela, il faut du temps, difficilement compatible avec le format audiovisuel. Nous pensons aussi qu’il est sain que n’apparaissent pas de « figures » médiatiques , en mode sous-commandant Marcos, ou Lazarus – c’est d’ailleurs pour cela que nous faisons tourner entre nous les interventions que nous acceptons. Sur ce point, je connais des avis divergents : les amis de la Tronche en biais me rappelaient  tantôt qu’une figure médiatique entraînerait plus de sillage qu’une masse anonyme… et je pense que c’est vrai. Mais c’est du court terme, et c’est flatter les mécanismes psychologiques les plus archaïques chez nous. Faut-il aller parler d’esprit critique dans des émissions très regardées mais dont le format, coincé entre le rire d’une miss France et un grincement de chroniqueur, ne permet aucun développement ? Serions-nous cohérents, en allant dans la meute chez Taddeï couper la parole aux autres pour pouvoir en placer une ? D’un autre côté, faisons-nous notre boulot d’éducation populaire en refusant presque toujours de communiquer dans les médias ?

Le cas de RFI est une illustration de ce dilemme : des centaines de milliers d’oreilles, pour une émission un peu engoncée dans un grand nombre de contraintes. Le ratio était valable, et nous avons fait collectivement le choix de m’y envoyer. Nous avons accepté quelques fois France Inter, sous certaines conditions. Avons refusé le Point (qui a quand même fait un article !). Avons refusé Ruquier. Avons accepté Le Monde Diplomatique. Avons voulu refuser Le Monde, puis dûmes accepter, contraints par le fait que plusieurs personnes avaient contribué avant nous à un article sur nous, et cela devenait embarrassant. Bref, notre « algorithme » média tourne en permanence. A chaque fois, le dilemme. A chaque fois, la peur que le format ne sabote complètement le propos.

Notre crainte ? Que si nous adhérons au principe que « au fond, tant que des gens entendent un discours critique, même bref, c’est toujours ça« , et que « de toute façon,  ce format est moins pire que bien d’autres« , alors nous ne voyons pas ce qui freinerait notre descente progressive dans les médias de plus en plus médiocres – il y aura toujours pire ailleurs !

L’esprit critique vaut-il qu’on le brade chez Ardisson, chez Berlusconi ? Mais doit-il être « réservé » à des barbus qui fument la pipe à 3 heures du matin sur une chaîne que personne ne regarde, ou qui pérorent sur une radio grandes ondes qui n’a que trois auditeurs boursouflés ? Si l’on devait tourner la question scientifiquement, elle serait comme suit : quand est la limite entre le format fast-thinking et le junk-thinking ? Franchement, au CORTECS, ne sachant pas répondre à cette question, nous tendons à la discrétion.

Richard Monvoisin

PS : le travail collectif lancé par JMA compte plus de 300 émissions, qui vraiment méritent une forte audience. A nous de compenser la maigre diffusion de ces contenus précieux – d’où cet article ! Il faut piller Scepticisme scientifique (et son petit frère tout récent outre-atlantique Le monde merveilleux du scepticisme, de Isabelle Stephen et Christopher Hammock). De quoi égayer même des travaux de plomberie.