Les Tsiganes ne sont pas des nomades

Dans la longue série des idées reçues en science politique, il en est une qui est d’autant plus pressante à dissiper qu’elle a des conséquences directes et actuelles sur l’une des populations les plus malmenées de France métropolitaine : le nomadisme des Rroms.


Démantèlement de campements Rroms en France, discriminations en Hongrie ou en Roumanie… Partout, les Tsiganes sont montrés du doigt. Et l’image d’une ethnie sans attaches nationales, valorisée par les institutions européennes, a paradoxalement conduit à les priver de certains de leurs droits. Toutes représentations qui méconnaissent l’histoire, la culture et les réalités romanis.

Pour creuser cette question, nous pouvons prêter l’oreille à Henriette Asséo (ci-contre), historienne, professeure à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS).

On pourra :

  • lire l’ouvrage Les Tsiganes. Une destinée européenne, Gallimard, coll. « Découvertes », Paris, 2010 ;
  • voir le film documentaire « Mémoires tsiganes, l’autre génocide« , Kuiv Productions – Mémoire magnétique, 2011 (co-réalisé avec Idit Bloch et Juliette Jourdan, primé aux Rendez-vous de l’histoire (Blois) (couverture ci-dessous) ;
  • écouter l’extrait de Là-bas si j’y suis, France Inter 5 octobre 2012:

    Télécharger ici.

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Sociologie des parasciences : la preuve par l’absurde ? Lecture critique de la thèse de Pierre Lagrange

Voici un compte rendu de lecture critique de la thèse du sociologue Pierre Lagrange, figure de l’ufologie et de sa sociologie. L’analyse de « Une ethnographie de l’Ufologie : la question du partage entre science et croyance », soutenue en 2009, est effectuée par David Rossoni, co-auteur avec Erik Maillot et Eric Déguillaume de « Les OVNI du CNES – 30 ans d’études officielles« , aux éditions Book-e-Book, et par Jean-Michel Abrassart, bien connu par son podcast balado Scepticisme scientifique [1]. Gageons qu’elle ouvrira des réflexions épistémologiques fécondes.
L’équipe du CorteX

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Sociologie des parasciences : la preuve par l’absurde ?

À propos de Pierre LAGRANGE (2009) – Une ethnographie de l’ufologie : la question du partage entre science et croyance. Thèse de doctorat en sociologie, École des hautes études en sciences sociales.

Dans sa thèse de doctorat consacrée à Une ethnographie de l’ufologie (Lagrange, 2009), Pierre Lagrange ambitionne de réaliser une vraie sociologie des parasciences. Ce que sociologues, anthropologues et historiens auraient jusqu’ici quasiment tous échoués à faire, en raison selon l’auteur de leur incapacité à se séparer de l’idéologie du Grand Partage, c’est-à-dire de « l’idée qu’il existerait une différence intellectuelle entre les façons scientifique et magique de penser » (p. 10), et de leur besoin de la réalité définie par la science, puisqu’ils postuleraient, à tort, « que la science parvient parfois à saisir ce qu’est la réalité, tout simplement, alors que les autres processus, religion, croyance, parasciences, etc., croient juste saisir la réalité mais en fait construisent quelque chose qui n’est pas la réalité » (p. 35).

Lagrange se propose concrètement de mener une étude symétrique, d’une part, des sceptiques critiquant l’hypothèse extraterrestre et, d’autre part, des ufologues qui pensent que les ovnis témoignent de visites extraterrestres (ou du moins ne sont pas réductibles à des phénomènes connus). Nonobstant les idées reçues, le comportement des premiers n’aurait rien de scientifique, car ils ne construiraient point de réseaux pour produire des faits, ne chercheraient pas à s’allier avec des sociologues professionnels et ne feraient qu’envenimer la controverse sur l’existence des ovnis, alors que les seconds auraient mis en place des réseaux visant à produire des faits indiscernables du type de fait que produisent les scientifiques « normaux ». Les ufologues se comporteraient en scientifiques nomades (un concept original de l’auteur), contrairement aux sceptiques qui en définitive seraient les seuls authentiques parascientifiques (p. 378).

À l’inverse d’autres sociologues ayant étudié le soucoupisme, c’est-à-dire l’adhésion à l’explication extraterrestre du phénomène ovni (Renard, 1988 ; François et Kreis, 2010), l’auteur prétend que son analyse de l’ufologie invaliderait cet argument du Grand Partage et toutes les explications en termes de croyances. Pour lui, « le discours opposant science et parascience, savoir et croyance, ne tient pas devant les faits » (p. 11). Son travail présente malheureusement nombre de biais et faiblesses argumentatives, caractéristiques d’une certaine dérive de la mouvance postmoderne (Sokal et Bricmont, 1997 ; Raynaud, 2003 ; Boudon, 2008).

I. Double contrainte pour le lecteur

On retrouve chez Lagrange la thèse d’une science d’origine occidentale ne se distinguant pas fondamentalement des autres formes de connaissances alléguées, sans séparation claire entre ce qui relève de la prémisse méthodologique (étudier les savoirs comme s’ils ne différaient pas) et ce qui relève de la conclusion (déduire des résultats des travaux menés qu’ils ne diffèrent pas foncièrement).

Tout au long de l’étude, le lecteur se trouve confronté à cet étrange paradoxe : d’un côté, le sociologue le prévient qu’il ne faut pas « sombrer dans un relativisme où toute forme de connaissance est considérée comme également vraie » (p. 26) mais, de l’autre, lui affirme qu’existent seulement « différentes façons de construire la réalité », différents « régimes d’existence » (p. 339).

Lu attentivement, l’auteur se révèle adhérer à la forme la plus extrême de relativisme cognitif, celle de la simultanéité d’existence de réalités multiples. Il assure par exemple que « les sciences ne sont pas moins construites que les revenants. […] Le résultat est différent non parce qu’il y aurait d’un côté la réalité et de l’autre la fiction ou les mentalités, mais parce qu’il y a des deux côtés des réalités différentes, construites différemment. » (p. 37) L’approche symétrique de Claverie (2004) entre les apparitions de la Vierge et les faits scientifiques montrerait que les « faits construits dans le cadre de ces apparitions […] sont vrais, tout simplement vrais […]. Certes la Vierge n’est pas construite comme un fait scientifique de laboratoire, c’est le moins que l’on puisse dire, mais elle n’en est pas moins réelle et présente. » (p. 89)

Il n’explique cependant pas comment promouvoir un « monde à choix de réalité multiple » (p. 108) sans pour autant « sombrer dans une utopie où tout le monde a également raison » (p. 26). Or il s’agit là d’une question clé. En effet, si les savoirs ne sont pas équivalents, cela implique d’une façon ou d’une autre de les hiérarchiser. Mais sur quel fondement ? Le relativisme cognitif nie de facto l’existence de la fausseté. Or, si le faux n’existe pas, le vrai non plus. Dès lors, il n’est plus possible de légitimement critiquer quoi que ce soit. Dans ce contexte, il est inéluctable, comme l’a justement remarqué Sokal (2005), que le postmodernisme devienne le compagnon de route des pseudosciences.

Le principal effet pervers de ce relativisme cognitif est en effet de conduire à substituer aux critères cognitifs pour l’évaluation des théories des considérations personnelles. En pratique, le chercheur tend à considérer avec bienveillance les théories qui semblent soutenir ses buts idéologiques, ou dont les partisans, d’une manière ou d’une autre, lui sont sympathiques et à réserver les arguments postmodernes, pourtant universels d’un point de vue logique, pour les théories antipathiques.

Ce travail laisse de fait ressortir un pan ufologique (prendre parti pour ou contre un modèle explicatif du phénomène ovni), qui tend d’emblée à invalider le programme sociologique annoncé (étudier symétriquement ufologie sceptique et ufologie croyante).

L’auteur y entretient en filigrane un débat proprement ufologique (ce qu’il affirme pourtant refuser) en stigmatisant sans cesse l’un des acteurs de la controverse. Dans ses travaux antérieurs, en plus d’inciter les sociologues à adopter une approche dite irréductionniste (Lagrange, 2000), c’est-à-dire s’interdisant de réduire le phénomène ovni à du connu, il était allé jusqu’à prétendre avoir réfuté le modèle explicatif sceptique (Lagrange, 2007). Dans la présente thèse, il continue de dénoncer ce modèle, et lui seul, comme étant irréfutable (sous-entendant par-là sa nature pseudoscientifique) et la remise en question par ses partisans de l’existence de cas inexpliqués.

Le falsificationnisme naïf a déjà été largement critiqué en épistémologie. Kuhn (1962), par exemple, a introduit le concept de paradigme pour cette raison. Plus aucun épistémologue aujourd’hui ne défend l’idée que le critère de réfutabilité permette à lui seul de distinguer sciences et pseudosciences. La démarche sceptique ne se résume cependant pas à « imaginer tel ou tel facteur psychologique pour rendre compte d’observations » (p. 155), mais repose bien sur des hypothèses testables, confirmées ou exclues au fil de vérifications successives, au cas par cas. Elle permet même parfois de faire des prédictions ensuite corroborées. L’existence d’un résidu de cas restés sans explication n’y est aucunement niée, mais il est en revanche montré que ceux-ci ne se distinguent pas de la masse des cas déjà élucidés. Remarquablement, les positions sceptiques sont présentées de façon plus exacte, fine et nuancée par l’un des anciens informateurs de Lagrange (Scornaux, 2012).

Bien que défendant en réalité un parti-pris fort dans le débat ufologique (Maugé, 2001), qui relève plus du dédoublement statutaire (Olivier de Sardan, 2008) que de l’observation participante classique, l’auteur tient néanmoins à se présenter comme rigoureusement symétrique. Ce qui ne l’empêche pas d’indiquer toujours aussi paradoxalement ne pas être parvenu à conserver une position neutre face aux ufologues et à leurs contradicteurs rationalistes (p. 123, p. 156), avoir sa propre vision ufologique (p. 129) ou avoir eu du mal à concilier sa position d’ethnographe et celle d’ufologue occupée « par la force des choses » [sic] (p. 128).

Son hostilité vis-à-vis de certains acteurs de la controverse tranche avec l’affinité manifestée envers d’autres. Il cite ainsi régulièrement de façon positive voire élogieuse Aimé Michel ou Bertrand Méheust, tous deux promoteurs d’hypothèses ufologiques exotiques. Héritier intellectuel en ce domaine de Jung (1958), Méheust (1978) considère par exemple le phénomène ovni comme étant une réalité mythico-physique, qui comprendrait un aspect physique inédit et une composante paranormale. Nous sommes ici effectivement loin du modèle sociopsychologique, qui propose de l’expliquer de manière prosaïque.

Sceptiques et rationalistes seraient d’ailleurs responsables de l’existence même de l’ufologie, en tant que discipline autonome marginalisée, en refusant aux gens le droit de tenter de se comporter de façon scientifique, en leur imposant des séries d’épreuves (non précisées) destinées à les décourager (p. 334). Ils seraient aussi seuls coupables de la persistance de la controverse sur les ovnis en n’acceptant pas la solution trouvée par les ufologues pour prouver l’existence des ovnis (p. 345). Néanmoins, juge Lagrange, « malgré la critique rationaliste qui trouve cela inacceptable, ce travail finit par porter ses fruits puisque ce qui était au départ une croyance marginale et irrationnelle [sic] a fini par convaincre de plus en plus de gens de son efficacité. L’ovni est devenu un fait pour de plus en plus de personnes. » (p. 346)

S’il ne visait qu’à renforcer l’approche symétrique en sociologie, l’auteur ne multiplierait pas les attaques contradictoires envers une partie de ses informateurs, qu’il perçoit manifestement comme faisant obstacle à ce « que l’ovni devienne un sujet de recherche normal » (p. 178).

II. Pas de « régime d’existence » pour les rationalistes

Lagrange reprend également la critique radicale postmoderne du rationalisme hérité de la modernité occidentale. Le partage instauré entre vraies et fausses sciences ne serait selon lui nullement lié à l’invention des sciences modernes mais seulement à l’idée d’être moderne et à la volonté de séparer les sciences du reste de la société, et notamment du populaire.

Les chercheurs « asymétriques » ne sont que des « chiens de garde du rationalisme » (p. 14) se livrant à de primaires discours de dénonciation des croyances :« irrémédiablement rationalistes », « les sociologues partent du principe que les ovnis et autres phénomènes paranormaux sont des croyances. Or comme on le sait depuis longtemps, « si c’est une croyance ça n’est pas vrai ». » (p. 113). A contrario, lui-même soutient que « le problème de l’ufologie n’a […] rien à voir avec l’incapacité de se comporter de façon scientifique mais avec la nécessité de se comporter autrement en raison (c’est notre hypothèse) de la nature des faits, des caractéristiques de l’objet construit par l’ufologie » (p. 203).

Lagrange retourne contre les rationalistes (constamment présentés comme un bloc indifférencié) les arguments dont ils sont censés se servir, les accusant de crédulité et superstition. Croyant au Grand Partage, à la science en tant que discours vrai sur la réalité extérieure, à l’existence d’une seule réalité possible, ils imposeraient l’idée fallacieuse que « la connaissance scientifique serait le seul savoir qui s’imposerait à tous, quel que soit son origine culturelle ou ethnique » (p. 18). Ils s’arrogeraient ensuite le droit de séparer sciences et parasciences et, partant de là, d’exclure des disciplines comme l’hypnose ou la psychanalyse, de résister à des médecines parallèles, voire d’aller jusqu’à se méfier de certaines sciences sociales… Ils auraient ainsi déclenché une guerre des sciences en se permettant de critiquer des travaux issus des science studies ou de demander des comptes au jury de la thèse d’Élizabeth Teissier, célèbre astrologue française promue à cette occasion docteur en sociologie (Lahire, Cibois, Desjeux et al., 2001). Inacceptable pour l’auteur qui préconise que « ces résistances du rationalisme » deviennent désormais l’« objet d’interrogation pour le sociologue » (p. 338).

Pourtant, les rationalistes actuels ne prétendent en général pas qu’il soit possible d’établir une ligne de démarcation nette entre sciences et pseudosciences, et moins encore une démarcation fondée sur l’unique critère de réfutabilité de Popper. Sokal (2005) parle ainsi d’un continuum avec des stades successifs, partant de la science solidement établie, passant par la science d’avant-garde, la science spéculative et la science controuvée, puis atteignant la pseudoscience, sans que l’on puisse fixer de démarcation à un endroit précis.Les méthodes employées et les confirmations empiriques demeurent pour lui les plus pertinents critères de classification. Pigliucci (2010) utilise plutôt la métaphore d’un paysage avec ses pics et ses vallées. L’épistémologie bayésienne a par ailleurs fait l’objet ces dernières années de nombreuses études dans les milieux rationalistes (Wagenmakers, Wetzels, Borsboom & van der Maas, 2011 ;Carrier, 2012). Leurs réflexions épistémologiques apparaissent plus élaborées et nuancées que la présentation qu’en fait Lagrange. Les lecteurs intéressés par l’état actuel des débats sur la question de la démarcation entre sciences et pseudosciences pourront utilement se reporter à Philosophy of pseudoscience: Reconsidering the Demarcation Problem (Pigliucci & Boudry, 2013).

III. Une démarche axiomatique

Pour Lagrange, la réalité ne s’étudie pas, elle se construit socialement et la science n’est qu’une façon parmi d’autres de le faire. Il entend donc d’abord faire partager une autre vision du monde, héritée d’Ernesto De Martino, dans laquelle « il n’y a pas le monde social et le monde naturel, mais une nature « culturellement conditionnée ». La réalité est indissociable du contexte dans lequel elle est discutée et elle varie donc en fonction de ces contextes. Ce n’est pas juste notre perception qui varie, mais bien la réalité elle-même. » (p. 76) Appliqué aux ovnis, cet axiome lui fait déduire que « ce n’est pas à la base qu’il y a des hallucinations ou des erreurs de perception puis des croyances qui rendraient artificiellement le tout matériel [?], c’est bien plutôt à la suite du travail des rationalistes que les soucoupes disparaissent et c’est à la suite du travail des ufologues qu’elles prennent forme, rentrent dans des catégories, etc. » (p. 94) Il suffit en effet pour lui que des gens se mettent à discuter ou à écrire sur le sujet d’une façon ou d’une autre pour rendre les soucoupes volantes soit réelles, soit irréelles.

Force est de constater ici que l’adhésion de l’auteur au relativisme n’est pas simplement méthodologique, mais constitue bien une affirmation de nature ontologique. Ce ne sont pas nos savoirs sur la réalité qui fluctuent, mais la réalité elle-même. On peut naturellement se demander si le projet scientifique même reste alors possible. Une réalité foncièrement instable rend caduque la répétabilité, qui est au cœur de la démarche scientifique : en toute logique, l’expérimentateur obtiendra en effet systématiquement des résultats consistants avec la réalité qu’il s’est choisie…

IV. Une approche parcellaire

Loin d’intégrer l’ensemble des acteurs de l’ufologie francophone, et alors même qu’il estime impossible de traiter ce sujet si tous ne sont pas inclus dans l’analyse (p. 116), l’auteur les trie sélectivement pour ne retenir que ceux susceptibles de conforter ce qu’il entend démontrer dès le départ. L’ufologie n’est présentée qu’à travers les quelques groupes de recherche et d’enquête amateurs en apparence à peu près sérieux (Hill, 2012), en particulier la Société belge pour l’étude des phénomènes spatiaux (Sobeps). En quoi la défunte Sobeps est-elle plus représentative de cette ufologie « croyante » que, par exemple, ce qui est surnommé la frange lunatique dans la littérature ? L’auteur ne dit rien non plus de la « web-ufologie » née avec internet, pourtant depuis le tournant du siècle siège essentiel des controverses ufologiques.

L’approche sceptique du phénomène est quant à elle circonscrite à quatre de ses amis (cinq autres individus sont simplement mentionnés ou très brièvement décrits). De surcroît, l’un des quatre, Méheust ne peut, nous l’avons vu, que difficilement en être considéré un représentant . Comment tirer des conclusions aussi définitives à partir d’un échantillon si réduit ? Lagrange ignore délibérément l’approche sceptique lorsqu’elle teste la pertinence de ses hypothèses avec la méthodologie expérimentale (voir notamment la thèse de doctorat en psychologie de la perception de Jimenez, 1994) ou quasi-expérimentale, à travers par exemple la reproduction d’observations en tirant parti du saros (Cnegu, 1994). Sans cela, il ne pourrait affirmer que « l’ufologue qui réalise une enquête ne peut pas profiter des résultats obtenus sur cette enquête pour l’enquête suivante [et] doit recommencer à zéro la fois suivante » (p. 273), constat sur lequel repose le concept de « scientifique nomade ». Or, pour les observations de masse de rentrées atmosphériques ou de bolides, qui représentent somme toute une fraction significative des rapports d’ovnis allégués, les données d’enquêtes antérieures (répartition géographique des témoins, évaluations angulaires, enregistrements photographiques ou vidéos, etc.) permettent justement de définir des caractéristiques communes, nécessaires pour comprendre des méprises ou clore des pistes, et parvenir à la connaissance des faits réels.

Le plus étonnant reste que l’auteur ne discute pas de la façon dont le Centre national d’études spatiales (Cnes), à travers le Groupe d’étude des phénomènes aérospatiaux non-identifiés (Gepan) et ses avatars ultérieurs (Sepra, Geipan), étudie le phénomène ovni continûment depuis 1977. Il ne dit rien des protocoles mis en place, des enquêtes de terrain réalisées, de ce qui les distinguerait le cas échéant de celles menées par les groupes amateurs, ni des controverses qu’elles ont déclenchées (pour une critique sceptique des travaux du Cnes en ce domaine, voir Rossoni, Maillot & Déguillaume, 2007). On ne sait donc où cet organisme officiel se place dans le cadre de son analyse. Les parcours des membres du Geipan et de son comité d’experts le Copeipan, dont il a pourtant lui-même fait partie, ne présenteraient-ils curieusement aucun intérêt dans une étude centrée sur « la question du partage entre science et croyance » ?

V. Ethnographie de l’ufologie ou étude d’un cas singulier ?

Une bonne partie de la thèse est de nature autobiographique. Lagrange explique l’ensemble de ses activités ufologiques (écrire des articles et entrer dans le comité de rédaction de revues ufologiques, participer à des congrès d’ufologie, contribuer aux recherches de ses amis/informateurs ufologues) uniquement par son intérêt pour l’étude ethnographique de ce micromilieu. Rien pourtant dans son travail n’indique au cours de ces années quelque préparation d’enquête que ce soit, de stratégie(s) définie(s), pas même d’objet d’étude clairement circonscrit. Ce n’est que rétroactivement qu’il revêtira l’habit du sociologue en situation d’observation participante (« à cette époque l’idée d’étudier en ethnographe ce milieu ne me vient pas à l’esprit », p. 156). Avant que le sociologue des sciences relativiste Bruno Latour ne l’accueille et le forme, il n’avait simplement « aucun sujet de recherche précis » (p. 2).

De fait, l’auteur ne s’embarrasse point d’études statistiques, d’enquêtes par entretiens ou de questionnaires afin d’étayer la compréhension sociologique de son objet d’étude. Il se focalise en pratique sur un unique sujet, Thierry Pinvidic, dont il dit pourtant que « l’attitude qu’il défendait n’était pas liée à ses idées sceptiques » (p. 196). Le mouvement sceptique apparaît en réalité assez divers et ne peut certainement pas être appréhendé à partir d’un seul cas, aussi intéressant soit-il. Après un livre de jeunesse où il soutenait encore l’hypothèse extraterrestre (Pinvidic, 1979), Pinvidic a été l’éditeur scientifique d’un ouvrage collectif, OVNI, vers une anthropologie d’un mythe contemporain (Pinvidic, 1993). Seul parmi ses informateurs à avoir privilégié l’approche sociologique du phénomène, il se trouve par ailleurs en désaccord théorique avec son ami ethnographe : « Pour [Pinvidic] qui tente de sortir l’ufologie de la croyance aux extraterrestres il est impensable d’en faire une sociologie qui ne soit pas l’étude d’une erreur. Pour moi au contraire l’erreur est précisément de vouloir entreprendre une sociologie de l’erreur. » (p. 197)

Les sceptiques se réfèrent généralement davantage à des travaux relevant de la psychologie que de la sociologie (voir par exemple Spanos, Cross, Dickson et Dubreuil, 1993 ; Jimenez, 1994). La psychologie anomalistique, domaine en plein développement à l’heure actuelle, se penche pour sa part plus particulièrement sur les récits d’enlèvements par des extraterrestres (Clancy, 2005 ; Holt, Simmonds-Moore, Luke, & French, 2012 ; Cardena, Lynn & Krippner, 2013 ; French & Stone, 2013). Par principe, Lagrange ne veut pas entendre parler de psychologie en matière de rapports d’ovni, et encore moins tenir compte des résultats expérimentaux obtenus par cette discipline.

L’auteur fait donc reposer l’essentiel de sa double démonstration sur l’observation approfondie d’un même sujet. Pinvidic est ainsi convoqué à la fois pour montrer le caractère pseudoscientifique du sceptique (car rechignant à s’associer à des sociologues, tels que l’auteur), puis, en compagnie de Monnerie (1977, 1979), pour démontrer cette fois le caractère scientifique du défenseur de l’hypothèse extraterrestre (car apte à monter des réseaux sociotechniques, comme par exemple un réseau de surveillance photographique du ciel). En fait, les quelques ufologues à s’être comportés « dignement en tant qu’amateurs » (p. 218) dans les années 1970 sont « les mêmes que l’on retrouve sceptiques au début des années 1980 » (p. 220).

Seulement, bien qu’ayant eu la possibilité de nouer des alliances avec des réseaux de sociologues, ses anciens amis continuent de s’intéresser plus à l’ufologie qu’à la sociologie des sciences relativiste. Du coup, Lagrange leur reproche d’avoir opté pour la sociologie qui dénonce les illusions et les croyances (« un mélange entre la sociologie critique et le statut d’ancien stalinien », p. 178), de se prendre pour des sociologues en discutant le sujet (p. 126), d’avoir la volonté de ne surtout pas transformer les ovnis en objet de science (p. 146), de prolonger les disputes sur leur existence de telle façon qu’aucun fait ne serait jamais produit (p. 331) et ne donne pas tort aux ufologues défendant l’hypothèse extraterrestre qui explique être les véritables sceptiques (p. 132).L’auteur semble au bout du compte, et d’une façon hautement subjective, simplement inverser ce discours de dénonciation dont il affirmait pourtant vouloir se démarquer.

VI. Des démonstrations problématiques

Lagrange use couramment dans ses démonstrations de sophismes ou de paralogismes (comme cela a déjà été souligné dans Maugé, 2001), enchaînant analogies boiteuses (cf. p. 34), faux dilemmes (cf. p. 37), implications infondées (non sequitur) (cf. p. 307-308), raisonnements circulaires (cf. p. 308) et autres principes d’explosion (ex contradictione sequitur quodlibet) (cf. p. 346). Pour lui, par exemple, soit on croit soi-même naïvement à la pensée magique, soit on doit renoncer illico au concept de croyance. Or, différents chercheurs ont depuis longtemps proposé des définitions élargies de la notion de rationalité ou distingué plusieurs types ou niveaux de rationalité, sans par conséquent faire appel pour expliquer des idées non fondées objectivement ni à des théories explicatives irrationnelles (au sens cognitif) du type pensée magique, mentalité prélogique, besoins psychologiques inconscients, etc. ni à la théorie exotique des réalités multiples chère à l’auteur. En fait, ce dernier prétend souvent avoir démontré ce qu’il s’est en réalité contenté d’affirmer.

De plus, nombre de ses affirmations successives paraissent logiquement incompatibles. Le discours qu’il déploie lui permet, au coup par coup, d’affirmer une chose puis son contraire, en fonction de ses besoins argumentatifs immédiats :

– L’ufologie est une science normale : « nous allons voir, comme Collins et Pinch l’ont montré à propos de la parapsychologie, qu’ »en ufologie, rien ne se passe qui ne soit scientifique » » (p. 203) ; « l’ufologie […] est une « science » qui produit un nouveau type d’objet et sa normalité est démontrée par le fait que le programme Seti se retrouve exactement dans la même situation » (p. 335). Remarquons que le programme de recherche d’intelligence extraterrestre Seti ne relève lui-même pas de la science normale pour un épistémologue comme Pigliucci (2010), ce qui invaliderait l’argument.

– L’ufologie n’est pas une science normale : « nous proposerons de rendre compte de l’ufologie en opposant le travail de la science, décrit comme un effort pour domestiquer et sédentariser les faits, et le travail de l’ufologie, décrit comme une science nomade, qui oblige sans cesse à recommencer l’analyse. […] Alors que la science « normale » (ou sédentaire) consiste à toujours plus étendre le réseau scientifique pour englober et produire toujours plus de faits scientifiques, la science « nomade » consiste à construire les dispositifs de production de faits les plus légers possibles et au lieu d’enrôler toujours plus de faits, se déplacer de faits en faits en remettant en place le dispositif ufologique. » (p. 205)

– L’ufologie n’est pas une science : « je n’ai pas dit ni voulu montrer que l’ufologie est une science comme Seti » (p. 327) ; « l’ufologie […] n’est sans doute pas non plus une science » (p. 333).

– L’ufologie redéfinit la notion même de science : « cette ufologie, loin de chercher à être une science, redéfinit en fait la notion de science dans sa façon de produire des faits » (p. 238).

L’auteur a encore besoin en vérité de redéfinir lui-même, ou à défaut de rendre plurivoque, des notions fondamentales pour atteindre son objectif. Il retient de son ancien maître Bruno Latour que la science consiste en la production de faits pouvant devenir des acteurs sociaux : « le plus important n’est pas la « découverte de la vérité », mais la capacité à transformer les faits en acteurs sociaux », « de participer à la construction de la société en sociabilisant les non humains » (p. 327). La démarche scientifique se caractérise alors pour lui uniquement en termes sociaux : appartenance à un certain milieu social, intégration au monde académique, souci de calmer les controverses et volonté de les limiter aux acteurs compétents (ce qui ne l’empêche pas de se prononcer parallèlement, faisant fi de toute logique argumentative, pour la négociation des contenus scientifiques par l’opinion). Le rôle des contenus cognitifs, des méthodologies et confirmations empiriques dans la fabrication des connaissances scientifiques est sciemment négligé.

Il devient dès lors possible de conclure que l’approche des sceptiques n’a rien de scientifique (« leur pratique n’avait rien à voir avec la pratique scientifique, non pas du point de vue du contenu qui aurait pu paraître dans des revues académiques, mais du point de vue de leur fonctionnement, de leur trajectoire »), de les désigner comme « ceux qui avaient définitivement ruiné la possibilité de domestiquer les soucoupes, d’en faire des êtres sociaux » et de trouver in fine « plus de science » chez les apologistes des hypothèses extraordinaires (p. 142).

Le mot « fait » revêt quant à lui une signification variable. Concernant l’existence possible d’extraterrestres proches, « Seti se retrouve devant des faits qui présentent le même type de caractéristique que l’ovni » (p. 205). Mais l’ufologue « ne produit pas de fait puisque rien de ce qu’il recueille ne tient, n’est capable de résister à la critique » (p. 274). Il n’en conclut pas moins que « Seti a un réseau et pas de faits, alors que l’ufologie a des faits mais pas de réseau » (p. 327-328)… Cependant, « la distinction entre les faits et les non-faits, cela revient à réintroduire le jugement de notre époque, cette doctrine des choses actuelles dont parlait Bergson ». Impossible par conséquent de « distinguer entre des non-faits alchimiques ou astrologiques et des faits expérimentaux chimiques ou astronomiques » (p. 29).

Enfin, pour présenter un dernier exemple d’incohérences, si l’auteur plaide abstraitement pour une négociation et une cohabitation entre les savoirs (p. 108), il n’admet pas en pratique que diverses manières d’envisager sa discipline puissent coexister : « On ne peut pas avoir en même temps une sociologie des sciences […] et de l’autre une sociologie de la croyance […]. Impossible d’avoir ces deux sociologies en même temps. C’est comme d’imaginer que le système de Ptolémée et celui de Copernic soient vrais en même temps. » (p. 102) Étrangement, il ne semble alors plus considérer que plusieurs façons de construire le réel ou que des pratiques scientifiques diversifiées (p. 18) soient possibles.

Conclusion

« Le vrai débat, ce n’est pas : « est-ce que c’est des fumistes ou pas ? ». Le vrai débat, c’est que longtemps on a pensé qu’il y avait véritablement l’opinion, le public, les non-experts et puis le domaine de l’expertise qui nécessitait des outils très précis, très particuliers. Et qu’est-ce que nous apprend l’affaire Bogdanoff ? Si on regarde l’histoire, ils n’ont pas triché – je veux dire ils n’ont pas recopié la thèse de quelqu’un d’autre –, ils ont fait chacun une thèse et ils l’ont obtenu devant un jury. Cela nous enseigne une leçon : ce n’est peut-être pas si compliqué d’être expert. » Pierre Lagrange, « Le changement climatique : science ou pseudoscience ? », Université de Lausanne, 5 mars 2012.

La distinction opérée entre une ufologie « croyante » qui posséderait un caractère scientifique et une ufologie « sceptique » qui ne le serait pas du tout demeure à l’issue de cette étude très problématique. Si les ufologues ont inventé « un type de science différent », que l’auteur appelle donc science nomade, grâce aux enquêtes de terrain (p. 205), pour quel motif refuse-t-il ce statut de scientifiques nomades aux sceptiques qui réalisent également des (contre-)enquêtes ? Si une telle activité permet d’engranger des faits, pourquoi les enquêtes menées par ces derniers ne le permettraient-elles pas ? Quid, par exemple, des méprises avérées avec des objets au final bien identifiés (astres, rentrées atmosphériques, etc.) ? Ne peut-on les considérer comme des faits scientifiquement établis ? Leurs pratiques ne se rapprocheraient-elles alors pas davantage d’activités scientifiques normales, contrairement à ce que tente de soutenir l’auteur ?

Au final, on ne peut qu’être déçu à la lecture de cette étude au long cours de Pierre Lagrange, qui nous semble plus obscurcir qu’éclairer le débat sur la nature du phénomène. Les sciences humaines et sociales peuvent, et doivent à nos yeux, étudier aussi bien le phénomène ovni stricto sensu que les croyances censées l’expliquer. Elles sont aptes à engager le débat ontologique sur la nature des expériences inhabituelles que sont les observations d’ovnis ou les « abductions » extraterrestres (voir sur ce sujet Abrassart, 2013).

Certains auteurs aux penchants relativistes nous objecteront vraisemblablement que les incohérences, paradoxes et contradictions décelés ne sont qu’apparents et que nous avons échoué à appréhender la profondeur des arguments exposés. Pour notre part, nous ne considérons pas être tenus de faire une herméneutique de textes présentés comme étant de nature scientifique, c’est-à-dire en l’occurrence de spéculer sur ce que le sociologue des sciences a peut-être réellement voulu exprimer sous son discours de surface. La pratique scientifique exige une écriture claire et non pas volontairement ambiguë. Dans ce cadre, ce n’est certainement pas aux lecteurs d’y projeter le sens que leur auteur a potentiellement cherché à y mettre, mais à ce dernier d’expliciter son argumentation de la manière la plus limpide et la plus logique possibles.

David Rossoni et Jean-Michel Abrassart

[1] Jean-Michel Abrassart réalise actuellement un doctorat en psychologie à l’Université Catholique de Louvain (Louvain-la-Neuve, Belgique) sur le soucoupisme, c’est-à-dire la croyance dans l’hypothèse extraterrestre pour expliquer le phénomène ovni. David Rossoni, historien de formation, a publié sur le même sujet un livre (Les OVNI du CNES : 30 ans d’études officielles (1977-2007), pour la collection zététique dirigée par Henri Broch) et plusieurs articles (Pour la science, Skeptical Inquirer…).

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES

  • Abrassart J-M., 2013, “Paranormal Phenomena: Should Psychology Really Go Beyond the Ontological Debate?” Journal of Exceptional Experiences and Psychology, n°1(1), pp. 18-23.
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  • Monnerie M., 1979, Le Naufrage des Extraterrestres, Paris, Nouvelles Éditions Rationalistes.
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Atelier Cinéma & stéréotypes : les Arabes, souffre-douleur du cinéma

Dans le cadre d’un atelier doctoral sur l’interaction entre sciences politiques et fictions réalisé à l’Université de Grenoble, Djamel Hadbi, doctorant en génie électrique nous propose une séquence éducative recoupant trois idées-force : la manufacture du consentement, la fabrication de la discrimination, et le rôle des médias, tout cela sous  la forme d’un débat entrecoupé d’un documentaire fractionné, Hollywood et les Arabes (Reel Bad Arabs: How Hollywood Vilifies a People) réalisé par Sut Jhally.

1. Pourquoi ce thème

L’objet de notre travail de recherche était le suivant : comment le cinéma est parfois utilisé à des fins politiques parfois moralement justifiables.

À ce titre, nous avons lu un certain nombre d’articles et visionné des documentaires et des séries, ainsi que bon nombre de blogs où des journalistes indépendants et des sociologues  expliquent les étapes d’une propagande pour justifier une guerre, et confèrent au cinéma un certain rôle. Pour ne citer qu’un article, voici celui de Nicolas Mettelet, Le cinéma : un outil de propagande pour faire accepter la guerre, dans Les cahiers de psychologie politique, numéro 12, Janvier 2008, ici). 

Sans revenir sur toutes ces étapes, mais je vais me concentrer sur ce qui nous intéresse : le mariage douteux du cinéma et de la politique et l’un des fruits de ce mariage : la diabolisation de l’ennemi. Le travail de diabolisation d’une population est une tâche de longue durée, qui possède différents niveaux ; au départ, ce ne sont que des stéréotypes, de type essentialiste (voir ici, ou ) qu’on relaye au cinéma de façon secondaire, puis ces stéréotypes prennent le pas sur la réalité, et figent une représentation de ce groupe social illusoire, généralement raciste. Enfin, lorsqu’on s’apprête à faire la guerre contre ladite population, on passe à la vitesse supérieure, et s’y entremêlent le mensonge, la calomnie pour affubler cette population d’une sorte de crime originel.

2. Support choisi et public

CorteX_Reel-bad-Arabs_mixChaque période et chaque région a semble-t-il sa population « souffre-douleur ». Il semble que dans les sociétés capitalisto-judéo-chrétiennes, la population Arabe soit l’un des souffre-douleur favoris des sociétés capitalisto-judéo-chrétiennes. En effet, sont mélangées dans les représentations populaires, les Arabes, les Musulmans, les Maghrébins, et les « Islamistes », dans un écheveau bien enchevêtré. Sans entrer dans le détail, rappelons d’emblée quelques faits :  

– tous les Arabes ne sont pas Musulmans

– une majorité de Musulmans ne sont pas Arabes ni Maghrébins (mais Indonésiens)

– tous les habitants du Maghreb et du Proche-Orient ne sont pas Arabes, ni locuteurs de l’arabe (Perses d’Iran, Kabyles, Touaregs, etc.)

– « Islamiste » est une notion fort imprécise. Si l’on entend par fondamentalistes du livre, ils ne sont qu’une portion ultraminoritaire, dans quelque groupe que ce soit.

Arabe est donc un mot à effet paillasson, sur lequel même les spécialistes ont du mal à s’entendre. En effet, sur le plan généalogique, serait Arabe celui ou celle qui situe certains de ses ancêtres dans l’une des tribus d’Arabie (définition médiévale, que l’on doit entre autres à Ibn Khaldûn1). Sur le plan national, serait Arabe l’habitant d’un des vingt-deux pays membres de la Ligue arabe – ce qui exclut une partie de la diaspora et phagocyte des minorités linguistiques (Coptes, Kabyles, Syriaques, Berbères, etc.). Sur le plan linguistique enfin, serait Arabe une personne dont la langue maternelle est l’arabe. Cela inclut les locuteurs des parlers locaux, appelés arabes dialectaux, qui ne se comprennent pas toujours entre eux.

Il est donc prévisible que, dans un tel flou scientifique, les stéréotypes aillent bon train, et alimentent un mélange d’Islamo-arabophobie.

Lorsque j’ai commencé à chercher des exemples de cette propagande, je me suis dirigé vers les grosses productions de films d’action d’Hollywood. En cherchant de façon plus approfondie, je me suis rendu compte que la propagande la plus insidieuse qui soit est celle qui passe pas des histoires où ce sont les sentiments et les passions qui sont manipulées. 

CorteX_Reel-bad-Arabs_Shaheen_DVDLe corps du matériel pédagogique est le documentaire Hollywood et les Arabes (Reel Bad Arabs: How Hollywood Vilifies a People) réalisé par Sut Jhally et produit par Media Education Foundation en 2006. De toutes les séquences que j’ai visionnées, c’est le support le plus synthétique et le plus éloquent que j’ai trouvé. Il reprend pratiquement tous les stéréotypes, et son auteur a fait un travail profond. Il ne s’arrête pas aux séquences mais fait un travail d’investigation sur les personnes qui sont derrières ces films et le contexte historico-critique associé, ce qui permet de bien voir les évolutions de l’image de l’Arabe selon la période.

La première partie du documentaire montre l’image stéréotypale de l’Arabe avant la Deuxième Guerre Mondiale, décrypté par le spécialiste de la question, Jack G. Shaheen, professeur émérite de communication de masse à la Southern Illinois University Edwardsville (EU).

[Dailymotion http://www.dailymotion.com/video/x8rkn2_hollywood-et-les-arabes-1-3_news]

La deuxième et troisième partie abordent l »image des Arabes après la Deuxième Guerre Mondiale.

[Dailymotion http://www.dailymotion.com/video/x84lcr_hollywood-et-les-arabes-2-3_news]

Ce documentaire fut notre source principale, et mérite pratiquement une diffusion in extenso.

3. Enchainement de la séquence

Nous encourageons à une démarche socioconstructive basée sur le débat et la construction du savoir grâce aux apports des camarades et sous forme de débat argumenté.

Nous recommandons de commencer par la diffusion d’un extrait de film hollywoodien dénigrant les Arabes de façon complètement insensée : ainsi en est-il de Retour vers le futur  (Back to the Future) de Robert Zemeckis (1985) (sous les traits de fanatiques Lybiens, et ce gratuitement, puisque cela ne concourt en rien à l’intrigue !).

Télécharger ici.

On peut faire le choix de diffuser d’abord l’extrait sans le son, puis avec, et stimuler la réflexion générale : qu’est ce qui attire votre attention, vous choque ? En amenant progressivement à la question suivante : que font des « terroristes » Libyens (Arabes sur le plan national et linguistique) dans un film de science-fiction aux Etats-Unis ?

Ensuite, élargissons la gamme stéréotypale avec Gladiator, de Ridley Scott (1999). Télécharger ici.

Par une maïeutique socratique, amenons le questionnement légitime : que fait une caravane de vendeurs d’esclaves arabes en plein territoire romain ?

Exemple qui semble plus innocent : l’image de l’Arabe barbare est fortement appuyée dans Aladdin, des studios Walt Disney (1992) – dans lequel le héros, lui, est typé eurocaucasien. Télécharger ici.

Enfin, nous vous suggérons également des extraits du film L’enfer du devoir (Rules of engagement) de William Friedkin, sorti en 2000, qui pousse la caricature loin, en faisant des Marines des victimes en situation de défense au Yémen, et tendant à justifier ainsi le  meurtre et l’agression d’enfants. Télécharger là

 

4. Public et déroulement recommandé

La séquence s’adapte bien à des élèves de lycée ou dans le supérieur,  avec une diversité socio-culturelle de préférence. L’introduction à la complexité de la définition d’Arabe sera à placer avant, pendant ou après les séquences vidéos, selon que votre public est non-arabe, mixé ou majoritairement arabe. Ainsi, si le public est complètement naïf de la question « arabe », une introduction sur ce thème éclaircira les idées. Si par contre cette séquence se déroule en France avec des Français se revendiquant Arabes, ou des Arabes en pays « arabe », il sera tout indiqué d’attendre la fin pour complexifier une question que votre public pensait être acquise (de la même façon qu’on peut questionner l’identité nationale de tout pays, depuis le Français aux racines gauloises, inventée à la fin du XIXe siècle, au Magyar descendant des Huns, thèse ouraniste construite par le parti nationaliste Hongrois Jobbik, en passant par le Juif, notion au moins aussi floue qu’Arabe et élégament décryptée par Sholomo Sand dans Comment le peuple juif fut inventé (Fayard, 2008).

  • Parler des guerres en général, comment on les justifie et comment on pCorteX_Reel-bad-Arabs_bugs_bunnyrépare l’opinion ça (voir à ce propos la séquence de C. Egger & R. Monvoisin sur la propagande de guerre).

  • Lancer les extraits pour mCorteX_Arabe_Aladinontrer des exemples et susciter le débat, éventuellement permettre à l’audience d’interrompre la projection pour commenter, vu que le degré de propagande n’est pas le même ante et post-Deuxième Guerre Mondiale. Il y aura forcément une réaction différente, selon l’ancienneté des films.

  • Projeter le dernier extrait flagrant qui montre la manipulation des esprits  en passant le message: les armées d’occupation en Irak, en Afganistan et ailleurs dans le monde sont des gentils et sont en auto défense. A ce propos, nous ne pouvons que recommander les ouvrages de décryptage majeurs que sont la manufacture du consentement, de Noam Chomsky et Edward Herman (Contre-feux, 2008), et Impérialisme humanitaire. Droit de l’Homme, droit d’ingérence, droit du plus fort ? de Jean Bricmont (Agone, 2009). 

Pour creuser encore le sujet, nous recommandons le livre Reel BadCorteX_Reel-bad-Arabs_Shaheen CorteX_jack-shaheen Arabs de Jack Shaheen (Olive Branch Press, 2010) et indiquons la page du site Sens Critique, qui recense certains des films propagandistes listés par J. Shahenn.

Et pour faire le lien avec d’autres discriminations en public jeune, nous recommandons, voir  ici.

 Djamel Hadbi

Réalisé dans le cadre des ateliers du DFI, service Doctoral pour la Formation, l’Initiation et l’insertion professionnelle de l’Université de Grenoble. Encadrement R. Monvoisin, C. Egger

Synergologie, lapsus fasciaux et toutes ces sortes de choses

CorteX_sourires_DuchenneVous avez aimé la série Lie to me ? Vous êtes inquiet-e qu’on décrypte vos mimiques  et vos « lapsus » gestuels ? Cette réference vous permettra de passer l’été tranquille.

Fin mai 2014, Le Monde titrait DÉCRYPTAGE – L’analyse du langage corporel, une « pseudo-science » ?, avec le sacro-saint point d’interrogation qui permet de ne rien dire tout en laissant tout penser. L’article faisait écho à l’analyse de la gestuelle de Jean-François Copé après son intervention télévisée sur TF1 par Stephen Bunard, analyste du langage corporel, publiée sur le site du Figaro. Selon l' »expert », Monsieur Copé ne montrait « pas de signe flagrant de dissimulation ».

Le Monde :

La discipline, nommée « synergologie », consiste à savoir si les gestes trahissent la parole. Positionnement du sourcil, mouvement de la main gauche, lèvres pincées ou œil plissé… Les gestes sont analysés précautionneusement en fonction des phrases prononcées, afin de démontrer la discordance qui peut exister entre les deux.
Ainsi lorsque Jean-François Copé déclare : « J’ai pris la décision de démissionner de mon propre chef », Stephen Bunard analyse ses sourcils, qui « se lèvent un peu trop longtemps et témoignent “d’appels de phares” pour nous le faire croire. » Le synergologue dénonce la façon de Jean-François Copé « d’en rajouter des caisses pour nous faire adhérer, car il craint de ne pas être assez convaincant là-dessus ».
Stephen Bunard s’appuie sur un lexique corporel, créé par Philippe Turchet, le fondateur de la discipline en 1996, lexique qui classifie tous les mouvements et attitudes humaines standardisées. (…)

Ce sujet des gestuelles révélatrices est épineux. D’une part parce que la théorie la plus connue, celle de Paul Ekman Facial Action Coding System (FACS) qui a servi pour Lie to me, ne fournit pas ses données expérimentales et est, de fait, difficilement vérifiable – nous nous sommes cassés les dents dessus avec un groupe d’étudiants de l’Université de Grenoble en 2013 ; d’autre part, du fait de leur notoriété grandissante et d’un nombre d’utilisateurs plus nombreux, ces méthodes deviennent auto-réalisatrices : si vous pensez que votre employeur pense, par exemple que croiser vos jambes est un mauvais signe, vous avez tout intérêt à ne pas le faire. Et si les policiers de la préfecture de police de Montréal retiennent la leçon de la conférence “items non verbaux lors de l’interrogatoire” que leur fit Bruno Blouin, sergent détective enquêteur et synergologue, il ne fera pas bon se gratter le nez pendant un interrogatoire1.

Le Monde cite toutefois au passage un papier que nous connaissions et qu’il nous semble utile de ramener à la surface du flot d’information, à intervalles réguliers. Il s’agit de « Pour en finir avec la synergologie », de Pascal Lardellier. Professeur des universités en sciences de l’information et de la communication à l’université de Bourgogne, P. Lardellier fournit ici une analyse profonde et sans concession de ce qui ressemble fortement à une pseudoscience, qui sera éventuellement complétée par ce démenti aux travaux de Paul Ekman publié dans Nature en 2010, sous le titre Airport security: Intent to deceive?

Références

  • Sharon Weinberger, Airport security: Intent to deceive? Nature, 26 mai 2010, 465, pp. 412-415. Télécharger en pdf

Pour des articles courts et introductifs et efficaces, nous vous recommandons :

Richard Monvoisin

Saurez-vous décrypter le message codé dans ces lapsus fasciaux incontrôlables ?CorteX_homme_fou_non_superstitieux CorteX_Femme_qui_cache_qqchose CorteX_homme_loucheCorteX_Hamlet_GaillardCorteX_Eli_Wallach(La dernière image est celle d’Eli Wallach, alias « Tuco », dans « Le bon, la brute et le truand », de Sergio Leone, décédé le 24 juin 2014, pendant la mise en ligne de cet article)

Un nouveau bureau pour le CorteX à Montpellier !

CorteX_1_bureau_MtpComme la « mauvaise » herbe, le liseron ou le chiendent, le Collectif se répand. Pour preuve, après le bureau de la bibliothèque des sciences de l’Université de Grenoble (à St Martin d’Hères), puis le bureau de l’Institut de Formation des masseurs-Kinésithérapeutes de Grenoble (à Echirolles), un bureau montpelliérain s’est ouvert, investi et animé par Guillemette Reviron. 

Certes, ce n’est pas un bureau de ministre, puisqu’il s’agit de l’ancienne régie de la Maison des Etudiants (MDE) de l’Université de Montpellier II, aimablement prêtée par cette même Maison des Etudiants. La décoration est encore minimaliste, si l’on excepte certains éléments de décor au plafond gracieusement offerts par la Nasa. Mais qu’importe la déco, pourvu qu’on ait l’ivresse : ressources critiques, travaux étudiants, et permanences régulières permettront à tout flâneur, toute promeneuse, de venir farfouiller les recoins de son cortex.
Merci à Stéphane Raïola, gestionnaire de la MDE, et Agnès Fichard-Caroll, vice-présidente déléguée à la vie sociale et culturelle des campus, d’avoir accueilli le Cortecs dans leurs murs.

A notre grand regret, notre bureau n’est pas accessible en fauteuil, mais nous pouvons nous rencontrer au rez- de-chaussée.
 

  • Pour vous y rendre :
    La Maison des Etudiants (MDE) se trouve au bâtiment 34, à l’entrée principale de l’UM2, en face du « Donuts ». Les escaliers qui mènent au bureau donnent sur la salle principale de la MDE.Arrêt de tramway Ligne 1 : « Université des Sciences et Lettres »
  • Adresse postale :
    Cortecs
    Université Montpellier 2
    MDE
    Case courrier 07006
    Place Eugène Bataillon
    34095 Montpellier Cedex 5
  • Ouverture des permanences le mercredi de 13h30 à 17h, de septembre à juin.
  • Début de l’UE de culture générale Sciences et autodéfense intellectuelle – saison 5, ouverte aux étudiants de L2 de l’UM2 : début octobre 2014
  • Contact : reviron at cortecs.org

Ci-dessous, la vue de la Maison des Etudiants, depuis le CorteX. Un ectoplasme est apparu pile au moment de la prise de la photo. Saurez-vous le reconnaître ?

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A lire : La République des censeurs, et Noam Chomsky activiste, de Jean Bricmont

Albert Londres avait écrit en 1929 dans Terre d’ébène, reportage sur les méfaits du colonialisme : « Notre métier n’est pas de faire plaisir, non plus de faire du tort, il est de porter la plume dans la plaie ». C’est ce que fait Jean Bricmont, avec talent1.

 

Voici deux ouvrages tout frais : La République des censeurs, et Noam Chomsky activiste.

CorteX_Bricmont_Republique_censeurs

Le premier, La république des censeurs, édité récemment à l’Herne (15 euros), porte sur la pauvreté des arguments qui justifient la censure en France, en particulier celle liée aux grosses affaires sensibles (Loi Gayssot, Dieudonné, Faurrisson, Gollnisch, etc.). Bricmont a l’intelligence et le courage, en anarchiste de gauche, de s’opposer tout particulièrement à son propre bord politique : intelligence car ses arguments nous paraissent implacables. Courage car il sait que le déshonneur par association ira bon train – qui défend le droit d’un imbécile à parler est souvent taxé de soutenir les idées de l’imbécile. Pour écouter l’auteur, voir ci-dessous.

CorteX_Bricmont_Chomsky_activiste

Le second livre est un essai intitulé Noam Chomsky activiste. Nous ne l’avons pas encore lu – même si les opinions de Bricmont sur Chomsky sont bien détaillées ailleurs (cf. plus bas). Il semble que l’auteur y synthétise méthodiquement la démarche intellectuelle de Noam Chomsky, abordant des sujets tels que la responsabilité de l’intellectuel ou encore le contrôle de l’opinion par l’idéologie politique. L’ouvrage publié par les Forges de Vulcain (10 euros) sera disponible en librairie dès le 26 juin 2014, mais il peut d’ores et déjà être commandé ici (ce que nous avons fait).

Bonne lecture sur la plage.

Et pour en savoir plus sur la pensée de Jean Bricmont, voir notre entrevue ici.

RM

Documentaire Quelque-chose en plus, de Sophie Robert, à Grenoble

CorteX_QQchose_en_plusNous étions restés comme deux ronds de flanc devant le reportage sulfureux « Le Mur », de Sophie Robert – que nous avions diffusé en amphi juste avant son interdiction (voir ici, , et ). Allons plus loin. Comment des enfants atteints d’autisme parfois sévère entrent dans la communication et dans les apprentissages à travers le jeu, apprennent à parler et gagnent ainsi en autonomie… 

QUELQUE CHOSE EN PLUS 
réalisé par Sophie Robert
Cinéma le 6 REX
(13 rue St-Jacques Grenoble)

du 4 au 10 Juin  
avec, le jeudi 5 juin à 20h15, une séance exceptionnelle suivie d’un débat en présence de la réalisatrice

7 associations isèroises se sont mobilisées pour la projection de ce film, faire ainsi évoluer le regard sur l’autisme en le sortant de l’ère sordide Bettelheim* et mieux faire connaître les pratiques éducatives permettant à ces enfants de vivre parmi nous.

L’équipe du CorteX

* A ce sujet, voir la mini-conférence de Nicolas Gaillard sur Bettelheim ici.

Présentation du documentaire QUELQUE CHOSE EN PLUS :
« Sous le haut parrainage de la Ministre déléguée chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion.
Depuis mars 2012, la Haute Autorité de Santé recommande une prise en charge éducative, comportementale et développementale précoce de l’autisme.
Cette prise en charge encore peu développée en France est appliquée partout ailleurs en Europe, et aux Etats-Unis parce qu’elle a fait ses preuves .
Elle permet aux enfants de gagner en autonomie, d’entrer dans la communication, de s’insérer à l’école et dans le monde ordinaire.
C’est l’objectif de QUELQUE CHOSE EN PLUS : témoigner en images de ce qui se passe concrètement dans deux établissements médico-sociaux.
Il s’agit de restituer l’intelligence émotionnelle qui règne dans ces équipes et l’ambiance extraordinaire qui unit les duos éducateurs-enfants.
Ces professionnels enthousiastes et inspirés ont QUELQUE CHOSE EN PLUS et cela se voit.« 

Exercice – décryptage de "Igor et Grishka Bogdanoff au CERN"

CorteX_Freres_BogdanovCet exercice faisait partie de l’examen de l’UE Zététique & autodéfense intellectuelle,  niveau Licence, posé par Richard Monvoisin en mai 2014 à l’Université de Grenoble.

Consignes

Voici un extrait du journal télévisé de France 2 du 11 juin 2010 : « Igor et Grishka Bogdanoff au CERN ». Faites l’analyse la plus approfondie possible.

  • de la mise en scène

  • de la rhétorique

  • des biais de raisonnement.

Extrait vidéo

http://www.youtube.com/watch?v=A-w-Z_PR33o

Retranscription

Dieu, le Big Bang et la science. Voilà peut être un thème qui pourrait alimenter les épreuves de philosophie aujourd’hui encore. En tout cas les astrophysiciens poursuivent toujours leurs recherches, concernant la création de l’univers, des recherches qui s’effectuent entre autres, dans les laboratoires du CERN, à Genève. Frédéric Montel, Emmanuel Morel.

« Il était une fois il y a 13 milliards 700 millions d’années, le Big Bang. Parti d’un point minuscule, une énergie folle explose, l’univers est né. Aujourd’hui des satellites comme celui-ci baptisé Planck, traque les dernières traces de cette incroyable explosion. Sur Terre aussi, les scientifiques cherchent à comprendre et à reproduire ce Big bang. En suisse, dans un tunnel souterrain des protons, un composant des atomes, sont projetés à une vitesse prodigieuse, 300 000 km à la seconde jusqu’à la collision. Toutes ces recherches passionnent les frères Bogdanoff, habitués aux discussions pointues.

« Ce qui est fascinant, Albert, c’est que ces énergies dont on parle sont extrêmement élevées, elles sont de l’ordre de 7 Téra-eV ».

Igor et Grishka l’affirment, notre monde est régi par un ensemble de lois extrêmement précises.  Exemple, la vitesse de la lumière, 299 792 km et 458 m par seconde, pas un de plus ou de moins. Autre exemple, les marguerites : vous n’en trouverez aucune qui possède 16 pétales.

 « Pour nous, l’univers n’est absolument pas né par hasard, quand on constate toutes ces constantes, quand on constate que ces grandeurs quantifiées, chiffrées, précises, complètement ajustées, qu’elles sont là, et que si elles avaient été détraquées ici et là à la 20ème décimale, ou au centième rang, un chiffre à la place d’un autre, l’univers serait resté chaotique ». 

Les frères Bogdanoff y voient la main d’un créateur, pourquoi pas Dieu. Une thèse audacieuse réfutée par une partie de la communauté scientifique L’arbitrage viendra peut être de l’espace. Le satellite Planck doit livrer de nouvelles images du Big bang. On en saura alors un peu plus sur la création du monde ».

Corrigé

Le corrigé est ici.

Corrigé d'exercice – décryptage de "Igor et Grishka Bogdanoff au CERN"

CorteX_Freres_BogdanovCorrigé de l’exercice Décryptage de « Igor et Grishka Bogdanoff au CERN »

Analyse

CorteX_Bogdanov_Visage_DieuSéquence I : introduction

(Fond : JT, Laurent Delahousse présentateur connu, ambiance sérieuse, accréditant l’idée d’une nouvelle de type scientifique là où il ne s’agit que d’un publi-reportage en lien avec la sortie à venir quinze jours plus tard du livre Le Visage de Dieu, des frères B., aux éditions Grasset, en juillet 2010).

Dieu, le Big Bang et la science.

→ Mélange des genres épistémologique. Association qui n’a pas de sens sur le plan épistémologique. Dieu entité métaphysique – Big bang modèle théorique – science, 4 sens différents (voir ici)

Voilà peut être un thème

→ Mélange des genres épistémologique : le présentateur fait un paquet, un seul « thème ». Cela crée une sorte de pont concordiste entre science et foi.

qui pourrait alimenter les épreuves de philosophie aujourd’hui encore.

→ Certes, mais certainement pas posé dans ces termes (accrocheurs et scénarisant une opposition duale entre science et Dieu), une sorte de plurium affirmatum laissant penser que cette opposition existe et est discutable sans en clarifier les contours (matérialisme méthodologique notamment, contrat laïc du chercheur).

 En tout cas les astrophysiciens poursuivent toujours leurs recherches, concernant la création de l’univers,

→ Terme téléologique. « Création » implique un créateur, et instille l’idée d’un univers créé, ce qui est exactement le discours des textes religieux.

des recherches qui s’effectuent entre autres, dans les laboratoires du CERN, à Genève.

→ Publi-reportage ? Le choix du CERN ne peut être discuté ici. Mais la communication du CERN a redoublé d’effort pour justifier les sommes pharaoniques englouties dans le projet LHC (5,2 milliards d’euros http://cdsweb.cern.ch/record/1095481/files/CERN-Brochure-2008-001-Fre.pdf)

Frédéric Monteil, Emmanuel Morel.

→ Journaliste non spécialiste.Accessoirement, Frédéric Monteil, qui signe ce reportage, a fait des études non de physique, mais d’histoire (à l’Institut Catholique d’Etude Supérieur de La Roche-sur-Yon) puis de journalisme.

Il était une fois il y a 13 milliards 700 millions d’années, le Big bang.

→ Imprécision théorique. Le Big bang est l’une des explications théoriques possibles de l’univers, parmi d’autres. Ceci dit, elle semble être la plus solide.

→ Imprécision scientifique.Il s’agit de 13,82 milliards d’années +- 0,02 (valeur connue à l’époque du reportage).

Parti d’un point minuscule, une énergie folle explose, l’univers est né.

→ Anthropomorphisme. Métaphore de la naissance, qui ne prêterait pas à confusion si tout le documentaire ne s’inscrivait pas dans l’idée d’œuvre de Dieu.

→ Deux idées fausses sur le Big bang.

  1. Le Big Bang ne se réfère pas à un instant « initial » de l’histoire de l’univers : il indique seulement que celui-ci a connu une période dense et chaude.
  2. Le Big Bang n’est pas une explosion, il ne s’est pas produit « quelque part », en un point d’où aurait été éjectée la matière qui forme aujourd’hui les galaxies. À l’« époque » du Big Bang les conditions qui régnaient « partout » dans la région de l’univers observable étaient identiques. Il est par contre vrai que les éléments de matière s’éloignaient alors très rapidement les uns des autres, du fait de l’expansion de l’univers. Le terme de Big Bang renvoie donc à la violence de ce mouvement d’expansion, mais pas à un « lieu » privilégié. En particulier il n’y a pas de « centre » du Big Bang ou de direction privilégiée dans laquelle il nous faudrait observer pour le voir. Voir à ce propos http://map.gsfc.nasa.gov/site/faq.html

(Fond : images de l’Univers, avec une rétractation, puis une explosion, le tout en parfaite contradiction avec ce qu’on sait du Big bang).

Aujourd’hui des satellites comme celui-ci baptisé Planck, traque les dernières traces de cette incroyable explosion. Sur Terre aussi, les scientifiques cherchent à comprendre et à reproduire ce Big bang. En Suisse, dans un tunnel souterrain des protons, un composant des atomes, sont projetés à une vitesse prodigieuse, 300000 km à la seconde, jusqu’à la collision

→ Imprécision scientifique minime : atteindre la vitesse de la lumière, 300 000 km par seconde, est impossible sans une énergie infinie ou une masse nulle – ce qui n’est pas le cas du proton.

Séquence II : les Bogdanoff au CERN

(Fond : animations d’images de type scientifique, avec musique de fond électronique)

Toutes ces recherches passionnent les frères Bogdanoff, habitués aux discussions pointues.

(Fond : images du Cern, fondues-enchainées avec les Frères Bogdanoff)

« Ce qui est fascinant, Albert, c’est que ces énergies dont on parle sont extrêmement élevées, elles sont de l’ordre de 7 Tera-électrons-Volt »

→ Effet photo de famille. Voir les frères B. au CERN leur confère un certain crédit, alors que non seulement ils n’y travaillent pas, mais qui plus est, ils sont décrédibilisés dans le monde scientifique, depuis l’affaire de leurs doctorats respectifs.

→ Stratégie de connivence. Igor B. appelle le scientifique présent par son prénom.

→ Phrase puits. La phrase d’Igor B. ne contient aucune réelle information.

→ Introduction d’un élément de vernis scientifique. En l’occurrence, un préfixe peu usité, Tera, devant une unité obscure pour le public, l’électron-volt.

→ Imprécision. Au LHC de Genève, le maximum atteint en 2014 4 TeV (http://home.web.cern.ch/fr/about/accelerators. Or le document date de 2010, donc il est improbable que les énergies mises en œuvre soient plus grandes que 4 ans plus tard. À moins qu’il ne s’agisse de l’énergie dans le centre de masse, somme des 2 faisceaux, soit 3.5+3.5.

Igor et Grishka l’affirment, notre monde est régi par un ensemble de lois extrêmement précises.

→ Phrase puits. Elle ne contient aucune information.

Séquence III : la vitesse de la lumière

(Fond : images floues vaguement scientifiques)

Exemple, la vitesse de la lumière, 299 792 km et 458 m par seconde, pas un de plus ou de moins.

→ Imprécision scientifique. Cette vitesse est valable dans le vide – mais c’est un détail.

→ Raisonnement quasi-panglossien. Quelque que fusse la vitesse de la lumière, c’eut été « pas une de plus ou de moins ». Donc cette phrase appuie le « fin réglage » présumé (cf. plus loin).

Séquence IV: La marguerite

(Fond : l’image n’est pas claire et ne permet pas de donner une échelle, donc difficile de trancher si c’est une marguerite commune Leucanthemum vulgare ou une pâquerette Bellis perennis)

Autre exemple, les marguerites : vous n’en trouverez aucune qui possède 16 pétales.

→ Raisonnement quasi-panglossien. Voir point précédent.

→ Argument d’impossibilité.

→ Imprécision scientifique. Les marguerites sont des asteracées, composées de multiples fleurs, appelées fleurons et qui sont de deux types : les tubulés et les ligulés. L’ensemble forme un capitule. Donc compter les pétales blancs d’une marguerite n’est pas rigoureux, car ce ne sont pas des pétales mais des fleurs, elles-même composées de trois pétales soudés et deux régressés.

Séquence V: fine-tuning

« Pour nous, l’univers n’est absolument pas né par hasard, quand on constate toutes ces constantes, quand on constate que ces grandeurs quantifiées, chiffrées, précises, complètement ajustées, qu’elles sont là, et que si elles avaient été détraquées ici et là à la 20ème décimale, ou au centième rang, un chiffre à la place d’un autre, l’univers serait resté chaotique ».

→ Raisonnement panglossien pur, basé sur le « fine-tuning », ou ajustement fin de l’univers, lecture téléologique prétendant prouver le principe anthropique fort, c’est-à-dire « démontrer » que l’univers est réglé pour que nous y apparaissions, avec une intentionnalité de départ. Cette critique avait déjà été pointée dans Science & religion – Cas Hawking, Bogdanoff, etc.

Séquence VI : le livre

(Fond :Grishka B. sur fond d’images de synthèse, et présenté comme co-auteur du livre).

Les frères Bogdanoff y voient la main d’un créateur, pourquoi pas Dieu.

→ Spiritualisme et rupture du contrat laïc en science. La démarche des deux frères, tout comme l’argumentaire du livre dont le JT fait la promotion, vise à nous « démontrer » que l’univers est réglé pour que nous y apparaissions, ce qu’on appelle le principe anthropique fort.

→ Concordisme « du Dieu des lacunes » (God of gaps), consistant à faire appel au divin pour expliquer les lacunes des théories scientifiques et remplir les trous.

Séquence VII : conclusion

(Fond : images des frères Bogdanoff, discutant dans le Cern).

Une thèse audacieuse

Effet paillasson sur le mot thèse : thèse, dans le langage courant, est une opinion ou une prise de décision. En science, c’est un diplôme doctoral.

→ Fabrique du sensationnel. Cette thèse n’a rien d’audacieux : elle est l’exacte réplique des arguments du Pape Pie XII dans son discours du 22 novembre 1951 : « (…) Il semble, en vérité, que la science d’aujourd’hui, remontant d’un trait des millions de siècles, ait réussi à se faire témoin de ce « Fiat Lux » initial, de cet instant où surgit du néant avec la matière, un océan de lumière et de radiations, tandis que les particules des éléments chimiques se séparaient et s’assemblaient en millions de galaxies. » S. S. Pie XII, « Les preuves de l’existence de Dieu à la lumière de la science actuelle de la nature », Discours prononcé à l’Académie pontificale des sciences, trad. La Documentation catholique, no 1110, 16 décembre 1951.

réfutée

→ Problème de réfutabilité de Popper. L’Intelligent design et son principe anthropique fort sont des scénarios irréfutables, ils ne peuvent donc pas être réfutés.

par une partie de la communauté scientifique.

→ effet paillasson + mésusage du rasoir d’Occam + rupture du contrat laïc et intrusion spiritualiste. Que la communauté scientifique soit partagée sur la question d’un créateur est possible (assez peu en France). Mais la « production de la communauté scientifique », elle, n’est pas partagée : les hypothèses sur-naturelles ne peuvent être postulées ad hoc.

L’arbitrage viendra peut être de l’espace.

→ Problème de réfutabilité de Popper. Il n’y a pas besoin d’arbitre dans ce mélange épistémologique. D’ailleurs, l’espace rapportera des éléments envers lesquels un scénario irréfutable restera hermétique.

Le satellite Planck doit livrer de nouvelles images du Big bang.

→ Imprécis. Il n’y a pas d’image du Big Bang, mais des images des traces du big Bang (Carte du fond diffus cosmique).

On en saura alors un peu plus sur la création du monde.

→ Terme téléologique + plurium affirmatum. Création : terme téléologique, impliquant un créateur, comme si le présentateur ne doutait pas qu’il y ait eu « création ».

 Ce corrigé a été élaboré par Richard Monvoisin, Denis Caroti, Julien Peccoud et Ismaël Benslimane.

Exercice – Décryptage de la colothérapie, la nouvelle thérapie qui STOPPE plus de 114 maladies en détoxifiant votre colon

Cet exercice faisait partie de l’examen de l’UE Zététique & autodéfense intellectuelle,  niveau Licence, posé par Richard Monvoisin en mai 2014 à l’Université de Grenoble.
(publicité réelle, composée de 10 pages scannées – voir plus bas)

   En vous appuyant sur votre outillage zététique, il est demandé de :

  • faire l’analyse des concepts centraux de la thérapie

  • évaluer la pertinence ou non de cette thérapie

  • rechercher s’il existe de vraies études scientifiques publiées dans des revues à referees

  • (la médecine n’étant pas votre spécialité) demander à un spécialiste de votre choix son avis.

  • pointer tous les biais argumentatifs, sophismes et effets possibles dans la plaquette ci-jointe

La démarche scientifique impose que vous donniez des références précises quand vous vous appuyez sur d’autres travaux.

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Le corrigé en pdf est téléchargeable ici

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