CorteX_guetteur

Biologie, évolution – Attention à la mauvaise vulgarisation

L’art de malmener la théorie de l’évolution dans les médias – et d’offrir des travaux pratiques pour vos élèves et étudant-es !

Premier exemple : l’évolution future de l’être humain

Dans l’émission Révolutions médicales du 7 juin 2016 sur France Culture, intitulée Croquer la vie à pleine dent : oui mais !, le professeur Philippe Bouchard, parodontologue, nous offre un lieu commun classique, nous faisant revenir près de 200 ans en arrière en une phrase. Extrait :

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Il m’arrive dans mon cours de biologie de l’évolution d’introduire la question suivante : selon vous, quelles évolutions du corps humain sont à attendre dans les siècles prochains ? Immanquablement défilent les lobes d’oreilles disparaissant, tout comme les petits orteils, tandis que les doigts s’allongeraient et le dos se voûterait. Cette idée très répandue a fait l’objet d’un dessin saisissant du tabloïd The Sun en 2012, donnant ainsi un excellent support pédagogique.

Extrait :

« L’homme du futur sera peut-être plus grand qu’aujourd’hui CorteX_Evolution_Human_The_Sun_6.10.2012mais il aura moins de dents (alimentation plus molle, voire pilules) et un petit cerveau (devenu moins utile avec les ordinateurs), un quadruple menton et moins de poils (vie dans des habitats bien chauffés), des grands yeux (communication davantage visuelle qu’orale) et des petits testicules (baisse de la fertilité masculine). Les intestins seront plus courts, pour éviter de devenir obèse en absorbant trop de sucre et de gras. Pour finir, notre Homo sapiens de l’an 3000 aura les bras et les doigts plus longs, «pour saisir des objets plus loin» probablement sans bouger. »

Or cette projection, transformiste, réalisée à partir des projections d’un dentiste, d’un ostéopathe et un chirurgien esthétique (aucun n’étant spécifiquement formé en évolution) est désormais dépassée depuis 1859.

Pour un transformiste (comme Jean-Baptiste de Lamarck, au début du XIXe siècle) l’usage intensif ou délaissé d’un organe chez un animal en développement modifierait cet organe, modification qui pourrait selon les circonstances être transmise à la descendance. Ainsi, les girafes allongeraient leurs cous en « tirant dessus » systématiquement pour aller chercher  les branchages hauts, procréeraient ainsi progressivement des descendants aux cous de plus en plus longs, ce qui au fil des générations aurait fait apparaître le caractère actuel. Or ceci est faux : une espèce n’évolue que si une pression de sélection dans le milieu l’affecte et qu’une innovation ou une caractéristique quelconque confère à un individu porteur un avantage qui se traduira par un avantage reproductif, augurant ainsi d’une transmission accrue de ses caractéristiques (les caractéristiques génétiques ou comportementales étant, elles, transmissibles à la descendance). Par conséquent, à moins que toutes celles et ceux qui veulent se reproduire se mettent à trouver attirant un partenaire sans petit orteil ou sans lobe, il n’y a pas de raison que ce caractère se répande. Idem pour la petite mâchoire et le grand crâne de Philippe Bouchard.

Second exemple : l’utilité de l’attention

Dans l’émission la Tête au carré du 8 mars 2013 de France Inter portant sur l’attention (déjà abordée ici) est abordée l’utilité de l’attention. La réponse du psychiatre Christophe André prête à confusion.

Christophe André :

(…) Quand un guetteur surveille l’horizon, faut pas qu’il s’endorme, faut qu’il fasse attention à tout ce qui va y avoir comme changementCorteX_guetteur dans l’environnement, pour voir arriver les dangers, ou si c’est un animal qui cherche de la nourriture, pour voir les sources de nourriture, donc ses capacités attentionnelles ont été façonnées par des centaines de milliers d’années chez la plupart des espèces animales (…)

Monsieur André est psychiatre (et féru de méditation, c’est l’objet de son livre) et non paléoanthropologue ni biologiste. Pour un expert, il est tout à fait indiqué de ne parler que de son champ d’expertise, sinon il arrive de dire des bêtises qui peuvent avoir des conséquences.

Il faut être particulièrement précis en biologie, dans un contexte où il y a des polémiques entretenues autour de l’évolution. Dans les propos cités, on entend que l’attention est un caractère acquis de génération en génération (« façonnées par des centaines de milliers d’années »). Or l’hérédité des caractères acquis (l’affaire de la girafe dont le cou a grandi de génération en génération) est désormais abandonnée. Quitte à être rigoureux, on sait désormais que se sont plus volontiers reproduits (en mangeant plus, en mourant moins, etc.) dans un milieu donné les individus les plus attentifs. Donc s’est transmis préférentiellement ce caractère au cours des générations.

Pour se convaincre que le contexte est propice aux mauvaises interprétations, il suffit d’écouter la fin de l’extrait et l’intervention du journaliste Mathieu Vidard :

C. André : « le processus attentionnel est nécessaire à toute forme de vie évoluée ».

M. Vidard : « Donc là on l’inscrit dans l’évolution… on peut l’interpréter comme ça ».

On sent bien que le présentateur pense que l’évolution est une interprétation parmi d’autres, et c’est assez grave pour un journaliste scientifique. Car à moins d’adhérer au Dessein intelligent ou aux avatars de créationnismes, il n’y a pas d’autre interprétation disponible. Que le processus attentionnel soit inscrit dans une évolution des être vivants est une chose qui, à ce jour, ne peut s’interpréter scientifiquement qu’avec l’évolution. Dire que « on peut l’interpréter comme ça » laisse croire que d’autres alternatives rationnelles existent, ce qui n’est actuellement pas le cas.

Alors potassons vraiment nos sujets pour anticiper ce genre de piège, et faisons attention à nos manières de parler qui entretiennent bien souvent des contre-vérités, voire des formes de vitalismes (« un organe sert à ça », « la fleur mime l’insecte », …)

Richard Monvoisin

Pour aller plus loin

  • Sur les risques dans le jargon biologique, voir dir. Lecointre, Guide critique de l’évolution, ou alors regarder les vidéos de G. Lecointre ici.

  • Un exemple d’anthropomorphisme et de finalisme dans un documentaire sur les insectes.
  • Leçon serinée par Julien Peccoud : quand on parle évolution, il faut essayer de ne pas mettre le mot « pour » – permettant ainsi d’éviter des formes de finalisme, de volonté immanente, de téléologie. Julien dit parfois : « quand j’entends en biologie le mot « pour », je sors mon Colt ».
  • Pour un autre exemple du même type au sein d’un film (Snatch !), on pourra aller .
  • Sur les aspects philosophiques, on lira (attention, lecture pointue !) le premier chapitre du Matérialisme scientifique de Mario Bunge.
CorteX_Michel_Desmurget

Psychologie & Traitement de l'information – Hypertexte & limites de l'attention

Tiré de cette émission bien inégale* de France Inter, la Tête au carré du 26 septembre 2011, voici un extrait utile de l’émission consacrée à l’attention.

 

Michel Desmurget nous met en garde sur le nombre d’informations que le cerveau reçoit, deCorteX_Michel_Desmurget manière consciente ou non, et relativise un point intéressant : les liens hypertextes tendent à diluer l’attention des lecteurs, et il est désormais acquis qu’un texte hypertextuel en ligne est moins bien retenu que s’il est lu sur papier.

Promis, nous allons faire attention à ne pas abuser des liens dans nos articles !

*Pour un autre extrait de cette émission moins pertinent, voir ici.

Richard Monvoisin

CorteX_TV_Cerveau

Psychologie sociale, dérives sectaires – utilisation de célèbres expériences de psychologie sociale

Pour l’UE Zététique & autodéfense intellectuelle de l’Université Joseph Fourier, ainsi que pour mes ateliers Esprit Critique pour collège-lycée, j’ai monté un cours consacré aux dérives sectaires et aux techniques d’engagement. Mon objectif est de montrer que les techniques d’embrigadement sectaires et les aliénations en temps de guerre n’ont rien de très différent des techniques de manipulation classiques dans la vie de tous les jours. Aussi j’utilise des exemples tirés du quotidien, du marketing en particulier, pour les illustrer (j’en donnerai dans un prochaine article). 
Je me concentrerai ici sur les trois expériences majeures de psychologie sociale auxquelles je fais référence presqu’à chaque fois.

1/ L’expérience de Solomon Asch (1951) sur le conformisme et la soumission au groupe.

2/ L‘expérience dite de Milgram (1967), menée par Stanley Milgram et son équipe sur la soumission à l’autorité.

Je ne vais donner que quelques lignes de description pour ces deux expériences.

L’expérience de l’influence majoritaire d’Asch 

Cette expérience simple est tout à fait adéquate pour questionner les étudiants sur les cas où ils ressentent une soumission au groupe, notamment dans les cas d’injustice : de l’injustice d’évaluation dans les notes au harcèlement sexuel, les exemples fleurissent dans les discussions où les étudiants s’accordent à dire que seuls, ils dénonceraient probablement plus volontiers l’injustice auprès de leurs représentants étudiants, élus syndicaux, ou auprès des enseignants, que lorsqu’ils sont noyés dans la masse.

CorteX_Solomon_AschSolomon E. Asch (1907 – 1996) amena un groupe d’étudiants de 17 à 25 ans à participer à un prétendu test de vision. Tous les participants étaient complices avec l’expérimentateur, sauf un, dont on observait l’indépendance vis-à-vis du comportement des autres. On demandait aux participants de juger la longueur de plusieurs lignes tracées sur une série d’affiches.  

À gauche, une ligne modèle, et à droite, 3 autres lignes.

CorteX_Segments_Asch

Alors que la réponse est évidente, les complices donnent à l’unanimité la même fausse réponse : le sujet testé allait-il être capable de dire sa vraie observation malgré la pression des réponses différentes du groupe ?

Beaucoup vécurent assez mal la chose et furent perturbés, et plus d’un tiers (37%) préférèrent se conformer aux mauvaises réponses soutenues à l’unanimité par les complices, alors que dans les groupes contrôles (lorsque le sujet n’avait pas la pression d’un groupe) les réponses étaient toujours bonnes.

Chose cocasse pour nous, moins pour les sujets : après l’annonce des résultats, les sujets tendaient à attribuer leur mauvaise performance à leur « mauvaise vue » (ce qu’on appelle résoudre sa dissonance cognitive à peu de frais !).

On peut :

– lire avec plaisir Asch S., « Studies on independance and conformity : a minority of one against an unanimous majority », Psychological Monographs, 1956, 70, p. 416 (en anglais).

– voir un film de cette expérience (en anglais, sous-titrée) :

Anecdote : Asch fut le directeur de thèse de Milgram, dont je parle ensuite.

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=7AyM2PH3_Qk]

L’expérience de soumission à l’autorité de Milgram

CorteX_expe_milgramTrès connue mais souvent mal racontée, elle crée un double choc : d’abord sur le fait de se rendre compte qu’une bonne proportion de gens « normaux » placés dans une situation agentique peuvent se soumettre à une autorité qui les intime à faire des choses révoltantes, comme faire souffrir un parfait inconnu. Ensuite sur la question éthique que soulève ce genre d’expérience, heureusement non reproductible aujourd’hui au vu des souffrances morales qu’elle engendre. Je donne quelques détails sur les différentes variantes de l’expérience (vue ou non du sujet soumis aux chocs électriques, toucher pour raccrocher l’électrode, présence ou non des représentants de l’autorité dans la salle, etc.) et je m’outille pour cela du livre de Milgram lui-même, Soumission à l’autorité. Il est également intéressant de rappeler le contexte de cette expérience, post-2ème guerre mondiale où la soumission à l’autorité aux fascistes italiens, et surtout au IIIe Reich donna les résultats que l’on sait. La question du procès d’Adolf Eichmann se posait alors crument, et les débats allaient bon train chez les psychologues US : des états-uniens auraient-ils pu eux aussi faire des choses aussi atroces ? Fallait-il faire de ce type d’individu des monstres de cruauté, ou au contraire, des humains somme toute assez ordinaires placés dans un contexte qui ne l’était pas ?CorteX_Stanley_Milgram

Je ne rentre pas dans le détail des variantes de cette expérience menée par Milgram (1933-1984) – mais il est bon de les connaître, ou de venir avec le livre. Il suffit de savoir qu’en 1961, date de l’expérience standard, 62,5% des sujets testés furent capables de mettre des décharges mortelles à une personne qui ne leur avait rien fait.

Je profite par contre d’avoir eu une réalisation filmique par Henri Verneuil mettant en scène l’essentiel des aspects de cette expérience dans I comme Icare, dont un extrait reproduit ici (et validé par Milgram lui-même) évite de nombreuses explications.

En 2010 eu lieu une reproduction télévisuelle très controversée appelée Zône extrême, réalisée par Christophe Nick. Elle ne remplit pas les standards méthodologiques mais met en scène une « expérience » du même genre. La participation de notre collègue Jean-Léon Beauvois (qui est déjà intervenu dans mon cours le 28 mars 2007 – conférence filmée ici) à ce coup médiatique nous a quelque peu laissés perplexe. Une critique (à télécharger ici) a été faite par notre autre collègue Laurent Bègue, du Laboratoire Interdisciplinaire de Psychologie de Grenoble.

Pour débattre avec des élèves, j’essaye de mener le débat en le rapportant à une perspective de non-reproduction des horreurs nazi, et en comparant démarche essentialisante et démarche psychologique. Diaboliser une catégorie d’individus, en l’essentialisant ne résout rien en soi, et permet de traiter les choses à court terme (comme condamner les auteurs des crimes) ; en revanche regarder les mécaniques de soumission de face, « l’ordinarité du mal », oblige à regarder la part de soumission à l’autorité qu’il y a en nous, et à réfléchir à la meilleure prévention pour les générations à avenir. (l’esprit critique faisant pour moi partie de cette prévention)

Pour aller plus loin, on pourra :

  • lire cet article gracieusement transmis par L. Bègue : Beauvois, Bègue, Courbet & Oberlé, Psychologie de la soumission à l’autorité
  • Voir les vraies images de cette expérience (en anglais, sur BBC4 – avec l’un des rares survivants de l’expérience)
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=XpIzju84v24]
  • Regarder un Zapping de Zone Extrême.
[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=CobaPLs9H10]

Merci à mon collègue Nicolas Gaillard, qui vient parfois faire ce cours avec moi, ainsi qu’à Franck Villlard de l’Observatoire zététique, ancien président de l’Association de Défense de la Famille et de l’Individu 2 Savoie Isère, qui est souvent venu compléter mes propos d’exemples sur les dérives sectaires qu’il connait bien.

Merci également à Laurent Bègue, ainsi qu’à notre amie psychologue Virginie Bagneux.

Vous aussi, vous utilisez ces ressources ? Racontez-nous, partagez votre expérience et prodiguez vos conseils.

Richard Monvoisin

CorteX_Bernard_Stiegler

Décortiqué – Les addictions selon Bernard Stiegler : de la philosophie au rayon promo

CorteX_Bernard_StieglerVous venez certainement de cliquer depuis la page A décortiquer – Les addictions selon Bernard Stiegler : de la philosophie au rayon promo.
Voici le décorticage par nos soins (Julien Lévy et Richard Monvoisin) de des deux extraits audio tirés de l’émission La tête au carré, sur France Inter – diffusée le 7 juin 2011 et rediffusée le 27 octobre 2011. Bernard Stiegler, philosophe ayant pignon sur rue, y aborde la questions des addictions.

Les extraits :
En voici la retranscription :

Extrait 1 :

Bernard Stiegler :

« Je pense que nous sommes rentrés dans la société addictogène. Il n’a échappé à personne qu’il y a des parfums qui s’appellent « addict », qu’il y a des jus de fruits qui s’appellent « addict ». Moi-même, j’ai recensé 51 marques « addict » sur Paris uniquement. Qu’est-ce que la société addictive ? Qu’est-ce que l’addiction dans ce contexte là ? Je soutiens personnellement, mais tout le monde n’a pas ce point de vue, la société addictive c’est une société dominée par la pulsion. Évidemment, l’addiction est une dépendance, mais toutes les dépendances ne sont pas des addictions, par exemple, quand on aime quelqu’un, on est dépendant de la personne qu’on aime, et cette dépendance est une bonne chose. Mais ce que je crois, c’est qu’il y a addiction lorsqu’il y a une dépendance qui produit ce que j’appelle après Gilbert Simondon, un philosophe français, de la « désindividuation ». C’est à dire qu’au lieu de m’enrichir de cette dépendance – parce qu’on peut être dépendant, moi, je suis dépendant de la philosophie, c’est mon métier mais j’en ai besoin, je ne peux pas m’en passer – il y a des dépendances qui stérilisent. Et aujourd’hui, les dépendances stérilisantes, se sont généralisées, parce que le marketing en a fait son principal objet de création de marché.

Analyse (JL & RM)

Le raisonnement de B Stiegler est tout à fait étrange. Peut-être que sa pensée est plus complexe, mais de deux choses l’une :

  • soit son discours est grand public, donc à prendre au mot, et à décortiquer comme tel.

  • Soit il est très spécialisé, et s’adresse à des spécialistes – donc n’a pas grand chose à faire à cette antenne.

Que ce soit (1) ou (2) mène à la même analyse. Ecoutons-le attentivement.

Il dit ceci :

Je pense que nous sommes rentrés dans la société addictogène.

De quelle société parle-t-il ? Est-ce de la société française ?

Que signifie addictogène ? Vraisemblablement « qui crée de l’addiction ».

Si ce que dit B. Stiegler est vrai, cela signifie

1. que notre société a pour caractéristique d’être addictogène,

2. que nous venons d’entrer dans cette société,

3. que cette caractéristique principale, la génèse d’addiction, n’était pas ou peu présente dans la/les société(s) précédente(s).

Son hypothèse est assez osée. Or à affirmation extraordinaire, preuve extraordinaire. Il faut donner des éléments de preuve en rapport avec le poids de l’affirmation. (cf. également Maxime de Hume)

Quels sont les éléments apprortés par le philosophe ?

Il n’a échappé à personne […]

C’est un détail, mais tout de même. On pourrait appeler ça de la rhétorique gluante : nous ne pouvons nous en sortir, car celui qui parle nous inclut dans une évidence largement partagée (cf. Argumentum ad populum). En gros, cela n’a a échappé à personne, on flatte donc l’auditoire en lui donnant une caresse et l’illusion qu’il a cerné un phénomène (cf. technique d’élitisme) ; et si quelqu’un dit qu’il ne l’a pas vu ou constaté, c’est lui qui passe pour un abruti qui n’a pas vu l’évidence.

 […] qu’il y a des parfums qui s’appellent « addict », qu’il y a des jus de fruits qui s’appellent « addict ». Moi-même, j’ai recensé 51 marques « addict » sur Paris uniquement.

On n’en voudra pas ici au savant de ne pas préciser sa méthode de recension (un(e) sociologue exigerait de connaitre son « terrain » d’enquête). Mais c’est cette collection de 51 marques sur Paris qui est censée étayer le fait d’être entré dans la société addictogène. A moins qu’on mesure l’entrée dans une nouvelle société à l’aune des noms de marques (qui obeissent plutôt à des modes, comme nano, super, force, etc.), et que ladite société addictogène soit cantonnée à Paris, nous n’avons pas de réel élément pouvant nous convaincre d’un vrai changement de société car rien n’est présenté pour montrer que les sociétés précédentes étaient moins encline aux addictions la « théorie » de Stiegler ressemble à une phrase puits, un concept flou dans lequel le public peu habitué est susceptible de se reconnaître (cf.  effet Barnum – lien). Nous suspectons une forme de populisme scientifique.

Avec aussi peu de preuve, on peut tout aussi bien dire :

  • Je pense que nous sommes rentrés dans la société anxiogène

  • Je pense que nous sommes rentrés dans la société violentogène.

  • Je pense que nous sommes rentrés dans la société canichogène.

  • Je pense que nous sommes rentrés dans la société n’importe-quoi-gène (si tant est que ce n’importe quoi soit peu ou prou un phénomène social plus ou moins contemporain)

 Qu’est-ce que la société addictive ?

Société addictive, ou société addictogène ?

Qu’est-ce que l’addiction dans ce contexte là ? Je soutiens personnellement, mais tout le monde n’a pas ce point de vue, la société addictive c’est une société dominée par la pulsion.

La société actuelle, addictive, serait-elle dominée par la pulsion ?

Il faudrait pour cela d’une part que la société soit percue comme une seule personne, un seul être, pour être capable de pulsion ; et d’autre part que le concept de pulsion ait un sens clair : or il n’a pas d’autre définition que psychanalytique (ce qui pose problème vu le peu de scientificité de la psychanalyse). Rappelons si nécessaire que la définition freudienne de la pulsion, sorte de poussée constante et motrice qui vise à la satisfaction d’un désir qui ne peut être obtenue qu’en supprimant l’état de d’excitation à la source.

Nous voilà bien avancés.

Evidemment, l’addiction est une dépendance, mais toutes les dépendances ne sont pas des addictions […]

Là, c’est compréhensible (et même trivial), et nous sommes d’accord.

 […] par exemple, quand on aime quelqu’un, on est dépendant de la personne qu’on aime, et cette dépendance est une bonne chose.

Nous pensons qu’il y a trois bugs dans cet exemple :

  • on peut aimer quelqu’un sans être dépendant de lui/elle

  • cela n’est donc pas un exemple pour montrer que les dépendances ne sont pas des addictions (puisque ce n’est pas forcément une dépendance)

  • il y a un glissement sur le plan moral : cette dépendance (qui n’en est pas toujours une) est une « bonne » chose. On change de registre d’analyse, de la science à la morale.

Mais ce que je crois c’est qu’il y a addiction lorsqu’il y a une dépendance qui produit ce que j’appelle après Gilbert Simondon, un philosophe français, de la « désindividuation ».

Selon B. Stiegler, Addiction = dépendance + désindividuation (selon Simondon). Quelle est la définition du mot selon Simondon ? Malgré nos connaissances respectives en sociologie, en philosophie, et en dépit de 20 minutes de recherches webographiques, nous ne parvenons pas à bien saisir le concept, même dans un texte intitulé LindividuationselonGilbertSimondon. Désindividuation est un mot complexe qui mérite explication. On s’attend à ce qu’elle vienne ensuite, mais ce ne sera pas le cas.

Prenons alors la définition des dictionnaires : « L’individuation est le processus de distinction d’un individu des autres de la même espèce ou du groupe, de la société dont il fait partie ».

Cela veut-il dire que l’addiction, par exemple à l’alcool, annihile l’individuation, c’est-à-dire « le processus de distinction des autres de la même société dont il fait partie ? » Les travailleurs sociaux du corteX, pourtant en partie spécialisés sur les addictions, n’ont jamais entendu parler de cela.

C’est à dire qu’au lieu de m’enrichir de cette dépendance (…) il y a des dépendances qui stérilisent.

Donc Addiction = dépendance + stérilisation ?

Mais stérilisation de quoi ? Est-ce que par conséquent stérilisation et désindividuation sont la même chose ? On ne le saura pas.

Et aujourd’hui, les dépendances stérilisantes se sont généralisées, parce que le marketing en a fait son principal objet de création de marché.

Il y a encore quatre bugs dans cette phrase :

a. Les dépendances « stérilisantes » ne sont pas un concept bien clair.

b. Se sont-elles généralisées ? (Par rapport à un « avant » où ce n’était pas le cas ?)

c. Le marketing a-t-il fait de ces dépendances « stérilisantes » son principal objet de création de marché ?

Et

d. le parce que, qui indique une relation causale. Est-ce bien la faute du marketing que les dépendances « stérilisantes » se sont généralisées ? Cela pourrait être par exemple l’inverse (cf. effet cigogne).

 […] – parce qu’on peut être dépendant, moi, je suis dépendant de la philosophie, c’est mon métier mais j’en ai besoin, je ne peux pas m’en passer […]

Etre dépendant à un substance, ou au jeu (addictions classiques) a-t-il quelque-chose à voir avec la dépendance à l’être aimé, ou avec la dépendance à son métier ? On sera il nous semble plus volontiers dépendant de son salaire que de son métier. On mélange ici torchons et serviettes.

Voici ici résumée la trame de raisonnement que nous sert le philosophe :

Je pense que nous sommes entrés (sans preuve) dans la société addictogène (sans définition), parce que j’ai fait la collection de quelques noms de marques (ce qui effectivement, est un peu léger, mais c’est séduisant). Addictogène ou addictive, peu importe : je dis que c’est une société dominée par la pulsion, concept nébuleux n’ayant pas d’autre définition que psychanalytique (ce qui pose problème, la psychanalyse n’étant pas scientifique). L’addiction est une dépendance qui est désindividuante (?), stérlisante, et qui se répand à cause du marketing.

Que peut-on faire avec ça ? Vu l’inutilité de l’analyse et le côté complexant pour le grand public, nous faisons l’hypothèse que Bernard Stiegler n’a fait ses phrases dans d’autre but que de paraître savant.

Note : j’avais (RM) déjà eu l’occasion de m’agaçer contre les saillies socio-psychanalytiques du même philosophe en 2007.

La fabrique du conformisme : c’est le titre du dernier Manière de voir de décembre 07/Janvier 08. Je me suis précipité dessus, alléché par la couverture et par le titre, et … triste surprise. (…). Si j’excepte les publications de Martin Winckler, de François Brune et de quelques autres, le freudisme est partout, presque dans chaque page. C’en est désespérant de conformisme, justement. Goûtons au passage une petite « imposture intellectuelle ». Vous savez c’est une petite friandise qui a la forme d’une phrase qui a l’air érudite et brillante, mais qui n’est que pompeuse et creuse comme un vieux mur de plâtre. Généralement, elle est dans une papillotte de concepts scientifiques empruntés à d’autres champs, et importée sans autre justification que le vernis qu’elle procure. Cette petite friandise, spécial Noël, provient de l’article « Le désir asphyxié, ou comment l’industrie culturelle détruit l’individu », de Bernard Stiegler (p. 14) :

« […] la mise sous contrôle des écrans de projection du désir d’exception induit la tendance dominante thanatologique, c’est-à-dire entropique. Thanatos, c’est la soumission de l’ordre au désordre. En tant que nirvana, Thanatos tend à l’égalisation de tout : c’est la tendance à la négation de toute exception – celle-ci étant ce que le désir désire ».

Bernard Stiegler fut directeur au Collège International de Philosophie. J’espère que ce qu’il y disait était plus clair. (POZN°30, 2007)

Extrait 2 :

Question auditeur : « Est-ce qu’il y a un lien entre l’addiction et le rituel, et dans ce sens, l’augmentation des addictions n’est-elle pas liée à la baisse des pratiques religieuses ? »

Bernard Stiegler : « Ce qu’il y a derrière cette question des religions ou du rituel d’une façon générale, c’est l’éducation. La religion, c’est une forme d’éducation, une forme absolument respectable d’ailleurs à mes yeux, et je pense que c’est une éducation dans l’investissement précisément. C’est-à-dire que ce soit une religion, que ce soit un rituel, que ce soit l’éducation tout court, ceux qui éduquent et ceux qui sont éduqués sont les acteurs de leurs investissements. C’est-à-dire que ce sont eux… Par exemple, la mère qui s’occupe de son enfant, Donald Winnicott qui a beaucoup parlé de cette relation parle d’ailleurs d’une relation addictive, il emploie le mot « addicted », cette relation, c’est une relation où la mère, en élevant son enfant, s’élève elle-même si je puis dire, où elle s’élève, elle se développe, elle s’enrichit. Toutes les mères et tous les pères aussi bien entendu savent ça. C’est à dire que le bonheur d’éduquer un enfant, c’est de s’apprendre quelque chose à soi-même. Le problème se pose dans notre société là où l’éducation a été remplacée par une ingénierie du marketing qui nous prescrit des modes comportementaux que nous ne produisons pas nous-mêmes et qui donc, ne sont pas des investissements de notre part. Nous sommes dans une société absolument grégaire ».

Analyse

Question d’un auditeur : « Est-ce qu’il y a un lien entre l’addiction et le rituel, et dans ce sens, l’augmentation des addictions n’est-elle pas liée à la baisse des pratiques religieuses ?« 

JL : En gros, la question de l’auditeur pourrait se résumer simplement ainsi : est-ce que les addictions viennent se substituer aux pratiques religieuses ? L’auditeur prend ici le rite dans une définition restreinte, sa définition religieuse, alors que le rite, dans sa définition anthropologique ou sociologue ne se limite pas au cérémonial religieux, mais peut aussi faire référence aux cérémonies civiles par exemple.

RM : on notera (sans en vouloir à l’auditeur) un plurium interrogationum (cf. Outillage) : l’augmentation des addictions n’est-elle pas liée à la baisse des pratiques religieuses ? impose « l’augmentation des addictions », ce qui ne va pas de soi. Nous acceptons contraints et forcés l’hypothèse comme prémisse.

Bernard Stiegler : ce qu’il y a derrière cette question des religions ou du rituel d’une façon générale, c’est l’éducation.

JL : à première vue, l’angle d’approche de B. Stiegler pour répondre à la question de l’auditeur semble s’éloigner de la question initiale des addictions pour s’attacher à celle de l’éducation. Notons aussi que B.  Stiegler reprend, tout comme l’auditeur, le rite dans sa définition religieuse, assimilant les deux termes par son « ou ». Donc, pour l’instant, la réponse à la question « Est-ce-que les addictions viennent se substituer aux pratiques religieuses ? » est « ce qu’il y a derrière tout cela, c’est l’éducation ». Le chemin semble tortueux, mais tentons de le suivre.

RM : technique de la seiche : il ne répond ni à l’existence du lien addiction/rituel, ni à l’augmentation des addictions, ni à la corrélation inversée addiction /rituel, et comme tu le dis, il accepte le glissement rituel -> pratiques religieuses, en allant jusqu’à religions.

La religion, c’est une forme d’éducation, une forme absolument respectable d’ailleurs à mes yeux,

 JL : qu’entend Stiegler par « forme » d’éducation ? Il semblerait que cela mériterait d’être précisé, d’autant plus qu’il souligne que, de son point de vue, cette « forme » est « absolument respectable ». Stiegler émet ici un jugement de valeur en expliquant qu’ « à ses yeux », la religion est une forme tout à fait respectable d’éducation.

RM : Que la liberté de culte soit respectable est un fait, un droit constitutionnnel. Que la religion soit respectable a pu, et peut se débattre. Que la religion soit une forme d’éducation, c’est encore autre chose, surtout dans un pays où les lois imposent un enseignement laïc.

[…] et je pense que c’est une éducation dans l’investissement précisément.

JL : que comprendre ? Que ce soit une religion, que ce soit un rituel, que ce soit l’éducation tout court, ceux qui éduquent et ceux qui sont éduqués sont les acteurs de leurs investissements ? Là, ça devient vraiment obscur… Le chemin était tortueux, mais là, nous passons dans un tunnel. Si on essaie de remettre la phrase de B. Stiegler à plat (parce que, telle qu’elle est formulée, je ne comprends vraiment rien), ça donne quelque chose comme ça : La religion est une forme absolument respectable d’éducation et c’est une éducation dans laquelle ceux qui éduquent sont les acteurs de leurs investissements.

1/ On comprend ici que pour le philosophe, les rites et la religion sont de l’éducation.

 2/ ceux qui éduquent et ceux qui sont éduqués sont les acteurs de leurs « investissements ». Même en essayant d’articuler plus simplement la phrase de B. Stiegler, on ne voit pas bien ce que cela peut vouloir dire « acteurs de leurs investissements ». On comprend seulement que ceux qui éduquent tout comme ceux qui sont éduqués sont concernés.

RM : on appelle ça une phrase creuse, phrase puits, ou xylolalie (langue de bois)

Par exemple, la mère qui s’occupe de son enfant, Donald Winnicott qui a beaucoup parlé de cette relation parle d’ailleurs d’une relation addictive, il emploie le mot « addicted », cette relation, c’est une relation où la mère, en élevant son enfant, s’élève elle-même si je puis dire, où elle s’élève, elle se développe, elle s’enrichit.

JL :

1/ Stiegler énonce un exemple qui s’avère largement discutable. LA relation entre LA mère et son fils. Pour asseoir son propos, il s’appuie sur Winnicott et sur son usage du terme « addicted » pour caractériser LA relation mère-enfant.

2/ Ce qu’explique Stiegler, c’est que la mère s’enrichit de l’éducation qu’elle apporte à son enfant. Cet exemple, censé servir à soutenir le propos précédent est en fait une affirmation largement discutable

3/ Je ne comprends toujours pas ce que signifie être acteur de son « investissement ».

RM : entre sexisme et trivialité. Trivialité pour le peu de portée de cette phrase, qui n’a d’autre intérêt que de citer Winnicott, pourtant représentant d’une branche psychanalytique très pauvre de la psychologie ; sexisme car héritier des concepts chers à Freud, Bettelheim et tant d’autres qui ont sans réelle preuve inscrit la relation avec l’enfant comme l’apanage de la mère (avec toutes les culpabilités que cela comporte – voir par exemple le cas de l’autisme).

Toutes les mères et tous les pères aussi bien entendu savent ça. C’est-à-dire que le bonheur d’éduquer un enfant, c’est de s’apprendre quelque chose à soi-même.

JL : cette fois-ci, ce sont les parents qui sont invités à partager la pensée de B. Stiegler : « toutes les mères et tous les pères aussi bien entendu savent ça ». Un savoir prétendument partagé par tous vient donc remplacer une démonstration claire de son propos. Encore une fois, cette affirmation relève du jugement de valeur lorsqu’il parle du prétendu « bonheur » d’éduquer un enfant.

RM : méthode gluante encore, car si l’on est un père ou une mère qui « sait » ça, on est flatté par l’appel à l’évidence ;  si par malheur on est un parent qui ne « sait » (ou ne croit) pas ça, on est exclu de facto de la discussion.

JL : 1/ Est-ce un bonheur d’éduquer un enfant ? Pas sûr du tout.

2/ Si effectivement c’est un bonheur pour les parents, est-ce-que la seule raison est le fait qu’ils s’apprennent quelque chose à eux-mêmes ?

3/ En prenant l’exemple tel quel, cela signifie qu’être acteur de son investissement dans l’éducation, c’est, pour celui qui éduque, en tirer un bénéfice. Cela est un peut différent de ce que disait plus haut Stiegler, car dans ce cas, ce sont ceux qui éduquent qui sont les « acteurs de leurs investissements » et pas ceux qui sont éduqués. B. Stiegler termine ici d’ « expliquer » ce qu’il entend par « éducation dans l’investissement ». On reste toutefois sceptique sur les éléments convoqués pour étayer cette « théorie », aucune preuve ou élément de démonstration tangible n’ayant été présenté.

Pour résumer : derrière les rites et la religion, il y a l’éducation. La religion est une forme absolument respectable d’éducation car elle est une éducation dans l’investissement, c’est-à-dire que celui qui éduque en tire un bénéfice.

Naïvement, je me demande pourquoi la religion est une forme d’éducation absolument respectable si la raison principale en est qu’elle tire un bénéfice de cette éducation…

Le problème se pose dans notre société là où l’éducation a été remplacée par une ingénierie du marketing qui nous prescrit des modes comportementaux que nous ne produisons pas nous-mêmes et qui donc, ne sont pas des investissements de notre part.

JL : voici la conclusion de la réponse de B. Stiegler à l’auditeur, qui depuis s’est probablement pendu avec le câble de son combiné téléphonique.

1/ Le « problème » nous dit Siegler. Mais l’auditeur n’a jamais fait allusion à quelque problème que ce soit. Stigler avait, quant à lui, commencé sa réponse en parlant de l’ « éducation » comme ce qu’il y avait derrière la « question » des rites et de la religion, mais pas d’un « problème ». Stiegler, qui n’a toujours pas fait le lien avec la question de l’addiction, conclut son propos par un problème qu’il pose lui-même.

RM : Il nous arrive de parler de technique du Carpaccio à ce propos. Là, c’est un cas d’école, qui confine au Strawman

JL : 2/ Qu’est-ce que l’ingénierie du marketing pour Stiegler ?

3/ Quels sont les endroits dans lesquels l’ingénierie du marketing a remplacé l’éducation ?

4/ De quelle éducation parle Stiegler ? A nouveau de la religion comme « forme absolument respectable d’éducation » ?

5/ L’ingénierie du marketing nous prescrit des modes comportementaux que nous ne produisons pas nous-mêmes et qui donc ne sont pas des investissement de notre part. En ayant suivi la logique de Stiegler sur la religion puis l’éducation parents-enfants, je ne vois pas quel est le lien entre produire des comportements soi-même et les « investissements de notre part ». D’ailleurs, est-ce tout la fait la même chose qu’être « acteur de son investissement » ?

RM : avec toi Julien, nous cumulons un certain nombre d’années d’études, toi en sociologie, et moi en sciences et en philosophie. Or nous ne comprenons pas grand chose dans une émission pourtant grand public. Soit nous n’avons pas assez étudiés, soit nous nous faisons « enfler » par une petite imposture intellectuelle.

Nous sommes dans une société absolument grégaire.

JL : cette phrase est assez énigmatique. Deux définitions sont possibles à grégaire, l’une étant plus relative aux animaux : « relatif à une espèce animale qui vit en groupe ou en communauté sans être nécessairement sociale« , l’autre qui s’applique plutôt lorsque l’on parle d’esprit ou d’instinct grégaire : « qui pousse les êtres humains à former des groupes ou à adopter les mêmes comportements« . Une société grégaire renvoie donc à l’idée que les individus se regroupent et adoptent des comportements semblables.

Essayons de reprendre le fil de l’argumentaire de Stiegler :

La religion est une forme absolument respectable d’éducation (jugement de valeur) et c’est une éducation dans l’investissement, c’est-à-dire que ceux qui éduquent sont les acteurs de leurs investissements, tout comme le sont les parents avec leurs enfants (jugement de valeur), mais le problème se pose là où l’éducation a été remplacée par l’ingénierie du marketing (où ça ? qu’est-ce que c’est que l’ingénierie du marketing qui prend la place de l’éducation ?) ce qui fait que les comportements que nous adoptons ne sont produits par nous-mêmes = ce ne sont pas des investissements de notre part (je ne comprends pas le lien) ce qui permet de conclure que les êtres humains vivent en groupe et adoptent des comportements semblables.

Et rappelons-nous la question de l’auditeur : « Est ce que les addictions viennent se substituer aux pratiques religieuses ? »

1/ Où est le lien avec les addictions ?

2/ Difficile de comprendre l’articulation du propos.

3/ Je ne vois pas en quoi le propos de Stiegler répond à la question formulée par l’auditeur.

RM : moi non plus. Petit message à celles et ceux qui sont complexés par les philosophes : un-e philosophe qui parle dans une émission grand public doit être compris par le grand public. Si ce n’est pas le cas, il faut tourner son bouton de radio. Espérons que l’oeuvre de Bernard Stiegler ne soit pas à cette image.

 

 

Julien Lévy & Richard Monvoisin

CorteX_Baudruches

A décortiquer – Les addictions selon Bernard Stiegler : de la philosophie au rayon promo

CorteX_BaudruchesVoici de la matière pédagogique pour rendre visibles quelques techniques d’imposture intellectuelle chez des penseurs renommés.
Nous n’avons bien entendu rien en tant que tel contre a personne de Bernard Stiegler, le philosophe qui parle. Mais ses propos dans une émission grand public nous posent problème, au nom de tous les gens du grand public qui souhaiteraient s’initier à la sociologie, à la philosophie ou aux questions de société comme celle des addictions, et que des phrases aussi ronflantes dégoutent ou pire : complexent.
Ne soyons pas complexé-es ! Apprenons à montrer que les rois, parfois, sont nus, et que les discours pompeux sont parfois creux comme des baudruches.

Ci-dessous, le double extrait de l’émission La tête au carré, sur France Inter – diffusée le 7 juin 2011 et rediffusée le 27 octobre 2011. Bernard Stiegler, philosophe ayant pignon sur rue, y aborde de la questions des addictions.

Attention, nous n’avons gardé que deux passages. Pour vérifier que nos coupes ne sont pas « orientées », vous pouvez écouter l’émission intégrale sur franceinter.com

En cliquant ici, une analyse critique de ces passages.

Objectif pédagogique : essayer d’en faire l’analyse soi-même avant de regarder l’analyse du CorteX. C’est le meilleur moyen de s’entraîner, mais surtout de trouver des points que nous n’avons pas vu.

CorteX_prison-break

Divers outils critiques dans Prison Break

En regardant la saison 1 de Prison Break, de Paul Scheuring j’ai fait 3 trouvailles exploitables à des fins critiques.


  •  1ère trouvaille, Darwin dans l’épisode 10 

Une mauvaise référence est faite à Darwin en ces termes :

« C’est Darwin qui gagne entre ces murs, pas Einstein… Darwin« . Puis « On dirait que c’est Darwin qui a gagné au finish, hein, Gueule d’ange« .

[dailymotion id=xm75mo]

Il s’agit bien entendu d’une mauvaise interprétation de la théorie darwinienne, qui ne postule pas que les plus forts gagnent, mais seulement que les plus adaptés à leur milieu engendrent une plus grande descendance. On retrouve ici la confusion avec ce qui est à tort appelé le « darwinisme social », théorisé par Spencer, et qui n’a finalement qu’un rapport très lointain avec le darwinisme.

  • 2ème trouvaille,  même épisode
C’est une anecdote journalistique : le héros utilise une méthode de recherche d’information quasi-zététique.

[dailymotion id=xm6ic2]
 
 
  • 3ème trouvaille, racisme ordinaire et moralisme politique dans l’épisode 11

Cet extrait est propice à l’analyse de ce qu’on appelle le racisme ordinaire : confusion mexicain et porto-ricain, amalgame latino, ensuivie d’une discussion moraliste sur les « fainéants de chômeurs » qui peut servir d’outil de discussion en sociopolitique :

[dailymotion id=xm6igo]
 

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Richard Monvoisin

Paul Scheuring
CorteX_le_prince_de_ce_monde

Pseudo-psychologie dans "Le prince de ce monde", de Manuel Gomez (2007)

CorteX_le_prince_de_ce_mondeEprouvant navet que le film « Le prince de ce monde« , de Manuel Gomez (2007).

 


 
Au milieu réside une pépite psychanalytique :

« L’abstinence prolongée est une aberration. Si on oblige un homme à renoncer au sexe, il va à force de sublimation développer une perversité qui pourrait le conduire à devenir dangereux« .

[dailymotion id=xm6hrz]

Pour une critique de la psychanalyse :

Richard Monvoisin

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CorteX_kyle-xy

Neurosciences – idée reçue sur le cerveau dans la série Kyle XY

CorteX_kyle-xyEn septembre 2011, un groupe d’étudiants me demandent : est-ce que c’est possible que quelqu’un soit sans nombril ?
J’ai voulu faire le savant. J’ai d’abord pensé à cette séculaire polémique judéo-chrétienne sur la présence (omphalisme) ou absence (anomphalisme) d’un nombril chez Adam et Eve. Et puis à ce bouquin de Philipp Henry Gosse, Omphalos : an attempt to untie the geological knot (1857), qui défend cette « théorie » de l’omphalisme élargie* : Dieu aurait créé les êtres non pas au début de leur vie, de leur temps qu’il appelle « diachronique »,  mais avec l’illusion d’être au milieu de leur cycle de développement, d’avoir déjà vécu un temps préalable « prochronique ». C’est ainsi qu’Adam et Eve auraient un nombril, les arbres naîtraient avec des cercles de croissance, les canines du babiroussa naîtraient longues,   prêtes à lui percer le crâne et celles de l’hippopotame déjà usées. 
« Non non..! » me rappellent à l’ordre les étudiants. « C’est dans Kyle XY« .

Kyle XY ? Je suis resté un peu penaud,et je suis vite rentré voir ce que c’était. Série US d’Eric Bress et J. Mackye Gruber, elle narre depuis 2006 l’histoire d’un ado retrouvé nu dans une forêt près de Seattle, incapable de parler et effectivement sans nombril.
Préservons les détails de l’intrigue. Voici un extrait de l’épisode 1 de la saison 1, lors d’un scanner effectué à Kyle.

{avi}fictions/CorteX_KyleXY_7%cerveau{/avi}

 

Que ce soit 7, 10 ou 20 %, cette affirmation est aussi imprécise (% de masse, de volume, de surface, du nombre de synapses ?) que fausse. Plusieurs hypothèses se disputent son origine. Notre regretté collègue Barry Beyerstein en avait une, basée sur une erreur de raisonnement des années 1930. D’autres l’imputent à des courants métapsychiques ou paranormalistes, inférant que c’est à cause de cette limite que nous ne pouvons percevoir / ressentir / créer les phénomènes parapsy. Ce qui est sûr, c’est que cette affirmation « nous n’utilisons que 10 % de notre cerveau » est un classique des mouvements à consonance sectaire qui promettent à l’adhérent et moyennant formation de dépasser cette limite qui n’existe pas.

Ressources :

Charlatans.info

Jeannerod, Nous n’utilisons que 10 % de notre cerveau (La Recherche)

Vreeman & Carroll, Medical myths, BMJ, 335 : 1288 (20 décembre 2007)

Richard Monvoisin
*Cette théorie qui n’en est pas une (c’est un scénario) est encore en vogue dans certaines branches créationnistes.
 

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http://www.dailymotion.com/video/xm6gqd_cortex-affirmation-pseudoscientifique-7-cerveau_tech

Principe de précaution ou décisions raisonnées, par Gérald Bronner

Les travaux de Gérald Bronner, Maître de Conférences à l’université de Strasbourg, sont des outils précieux pour le CorteX qui s’appuie fréquemment sur ses ouvrages pour diffuser et éveiller à l’esprit critique. Nous avons déjà publié quelques-unes de ses interventions à la radio. Voici une conférence filmée et organisée par l’AFIS en mai 2011 sur le thème Principe de précaution ou décisions raisonnées ?« 

A voir ici
[vimeo 24655127]