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Biologie, épistémologie – entrevue avec Guillaume Lecointre

Vous connaissez déjà Guillaume Lecointre, ses bottes pointues et ce monceau de connaissances qu’il diffuse dans divers ouvrages (cf. Bibliotex – Pour approfondir). Vous avez probablement écouté dans le matériel vidéo de Joël Peerboom le triple extrait de « Darwin aujourd’hui« , du magazine Effervesciences (CINAPS TV & CNRS Image) où Guillaume explique le créationnisme, la différence entre savoir et croire, et le contour des sciences. Mais au CorteX, nous voulions un truc à nous, avec nos questions naïves à nous. Alors Nicolas Gaillard et Richard Monvoisin ont réquisitionné une pente de montagne, une paire de lunettes noires et un hamac. Voici donc une interview aux dehors dilettantes, avec de bons gros morceaux de biologie, d’épistémologie et de philosophie des sciences dedans.

  • Question de Madame Lebongrain, de Livray – Peux-tu nous dire ce que tu veux dire quand tu te déclares « matérialiste » ? Est-ce que ça veut dire que tu aimes l’argent, acheter et revendre des appartements, placer en bourse et spéculer ?

  • Question de Monsieur Inbontien, de Tuloras – En biologie, peut-on être autre chose de matérialiste ?

  • Question de Madame Saurin-Lapin, de la Manche – Comment peut-on expliquer à quelqu’un qui n’y connait rien ce qu’est le spiritualisme en science, et les conséquences que cela peut avoir ?

  • Question de Monsieur Lumindécentil, du Gibon – L’intelligent Design, ou conception intelligente, qu’est-ce que c’est ? Cela rentre-t-il dans le spiritualisme ?

Guillaume en profite pour expliquer la métaphore de l’horloger, coeur de la théologie naturelle de William Paley, revient sur le contrat moral en science, et sur l’adéquation fonction-forme

  •  Question de Madame Tonnerre, de Brest – Quels outils simples peux-tu donner aux enseignants du secondaire ou du primaire qui se font taquiner sur des questions de créationnisme et d’ID ? 

  • Question de Monsieur Alexandre, du Mas – Quels ouvrages simples recommandes-tu pour les enseignants qui aimeraient se former à l’épistémologie des sciences ? Et quelles sont les ouvrages qui t’ont personnellement le plus marqué ?

Réponse dans Ouvrages d’épistémologie simple conseillés par G. Lecointre, Bibliotex.

  • Question de Mademoiselle Reviron, du CorteX L’humain est-il une espèce comme les autres ? Y a-t-il une « nature » humaine ? Est-ce que cette nature est si particulière qu’il faille changer de méthode d’investigation scientifique avec l’Humain ? Est-ce que ranger l’Humain au même rang que les autres animaux ne le déresponsabilise pas politiquement ?

 
  • Tu as écrit un jour dans un courriel adressé à un membre du CorteX :

« J’aurais tendance à faire la conjecture que, parmi les cinq ou six modalités sélectives existantes, la rationalité est le fruit d’une sélection naturelle où l’échelle de la sélection est l’individu, mais l’irrationnel est un effet de sélection de groupe. En faisant du sens à bas prix, il soude le groupe face aux aléas du milieu. C’est une hypothèse de travail qui ressemble fort à du Brassens : à plus de deux on est une bande de cons.»

Peux-tu développer ? Est-ce que le conformisme peut être le fruit d’un sélection de groupe ?

  • Question de Monsieur Jacques, du Tron – Que répondre à la question : « Mais on n’a jamais vu une espèce apparaître ?« 

Guillaume Lecointre passe par les souris de l’ile de Madère, les moustiques du métro de Londres., les fruits de mer et les lapins comme « volaille ». Il en profite pour discuter de la notion d’espèce. Nous tentons un taquinement qui échoue lamentablement :

« Est-ce que le caractère conventionnel de la notion d’espèce ne revient pas à faire du relativisme, à l’image de Bruno Latour (La Recherche, Mars 1998) qui a écrit que Ramsès II n’a pas pu mourir de la tuberculose parce que le bacille de Koch (retrouvé en 1998 dans ses poumons) n’était pas connu des Égyptiens ? »

  • Question de Madame Mas, de l’Aine – Est-ce que nos conventions de langage sont une forme de relativisme ?

Guillaume tranche le problème, et fait un détour sur la catégorie des poissons, abandonnée récemment.

 
(Navré, la batterie du micro lâche, donc le son est moins bon)

Phrase d’anthologie : « Le gibier est un cahier des charges qui fait plaisir aux chasseurs, pas au biologiste (…) le lapin est mammifère pour un zoolologiste, mais pour un chasseur c’est un gibier et pour un restaurateur, c’est de la volaille« .

  • Question de Monsieur Hubert, du Bedout –A quel cahier des charges scientifique correspondent les catégorisations Femme et Homme ? Questions sociopolitiques sous-jacentes.

Richard Monvoisin & Nicolas Gaillard

Remerciements spéciaux à Guillaume Lecointre, Neil Young, Jack Owens, Imam Baildi et à Emilie Mosnier.

Question de Madame Lesinjdécentil, de Larbre
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Psychologie – TP analyse d’affirmations d’E. Roudinesco, par Jacques Van Rillaer

Voici un matériel pédagogique tout à fait intéressant dans le cadre de l’analyse critique de la psychanalyse. Cet article de Jacques Van Rillaer, que j’ai publié pour la première fois en 2010 (ici), met le doigt sur un certain nombre de sophismes employés par les défenseurs du freudisme.
Il s’impose à la publication, dans un contexte où sur la question du freudisme, la distribution de pelletées de fange et de qualificatifs haineux n’est pas vraiment réglementée dans les médias. Jacques Van Rillaer a toujours été disponible pour fournir un certain nombre d’éléments intellectuels chaque fois qu’on en a eu besoin, dans mes cours à l’université de Grenoble (comme en 2007) ou pour l’Observatoire Zététique. On pourra voir par exemple le film de la conférence de Jacques Bénéfices et préjudices de la psychanalyse, que nous avions eu, Jean-Louis Racca et moi, le plaisir d’introduire.

Analyse d’affirmations d’Élisabeth Roudinesco dans Mais pourquoi tant de haine ? »

par Jacques Van Rillaer (1), professeur de psychologie à l’Université de Louvain (Louvain-la-Neuve) et aux Facultés universitaires St-Louis (Bruxelles).

« Comme il est naturel de croire beaucoup de choses sans démonstration,
il ne l’est pas moins de douter de quelques autres malgré leurs preuves.
»
Vauvenargues (2)

Suite à la sortie du Livre noir de la psychanalyse, E. Roudinesco avait publié en 2005 le libelle Pourquoi tant de haine ? (nous le citerons Haine n°1). Elle y écrivait :
 
« Je partage l’opinion exprimée par Jacques-Alain Miller dans Le Point quand il souligne avec humour : “Un livre comme ça, j’en voudrais un tous les ans ! Ça fait le plus grand bien aux psychanalystes d’être étrillés, passés au crin ou à la paille de fer.” Souhaitons donc que ce livre favorise un réveil de la communauté freudienne ! » (p. 31)

CorteX_Elizabeth_RoudinescoE. Roudinesco était-elle sincère ? A le supposer, Le Crépuscule d’une idole de Michel Onfray devrait la réjouir : cinq ans après Le Livre noir, Freud y est étrillé, passé au crin et à la paille de fer.
Mais si E. Roudinesco se réjouit, c’est sans doute moins parce que cette publication « favorise un réveil de la communauté freudienne » que parce que c’est, pour elle, l’occasion rêvée de redevenir pendant quelques jours une vedette courtisée des médias et de faire du profit grâce à ses petits livres destinés à rassurer les croyants. « Psychanalyste »(3) et fille de psychanalyste, E. Roudinesco fait corps avec le freudisme. Grâce à ses relations mondaines, elle est devenue Madame Freudisme français. C’est sa source de gloire et d’enrichissement.

En fait, l’ouvrage d’Onfray a manifestement mis E. Roudinesco hors d’elle. Avant même sa parution, elle a utilisé, comme elle l’écrit, « la puissance des réseaux d’internautes pour combattre » ce qu’elle appelle « une littérature de caniveau » (sic, p. 8).

Les réseaux d’internautes réservent des surprises. C’est ainsi que, par amabilité ou par erreur, j’ai reçu d’un ami d’E. Roudinesco, Émile Jalley, leurs échanges en vue de préparer la venue d’E. Roudinesco à Caen, pour défier Onfray sur son territoire. On y lit notamment, à la date du 10 mai 2010, qu’elle houspille Jalley pour qu’il envoie sans tarder, à ses 152 correspondants, l’annonce de sa présentation de Haine n°2 à Caen, dans l’espoir de rameuter un maximum de monde. Elle qui a les faveurs du Monde, du Nouvel Obs, de L’Express et de quantité de chaînes de TV (où elle passe toujours sans contradicteur (4)), elle écrit dans ce mail : « moi je suis insultée de partout ». Un freudien dirait illico : sentiment de persécution, paranoïa, donc inflation du Moi et homosexualité refoulée. Le psychologue scientifique que je suis s’abstient d’un tel diagnostic, faute d’autres témoignages.

A suivre.
§ 1. Contenu de Mais pourquoi tant de haine ?
§ 2. La stratégie des travestissements roudinesciens
§ 3. Onfray a-t-il inventé que Freud a inventé 18 cas ?
§ 4. Onfray a-t-il inventé que Freud avait un père pédophile ?
§ 5. Onfray se trompe-t-il dans la date de publication de l’édition intégrale des lettres à Fliess ?
§ 6. A cause d’Onfray, les rumeurs les plus extravagantes se développent-elles ?
§ 7. La « haine » de Freud
§ 8. L’utilisation de l’argument ad hominem par E. Roudinesco
§ 9. La judéité de Freud
§ 10. La « jonction inconsciente » entre l’antifreudisme et l’antisémitisme
§ 11. Pourquoi la guerre, « écrit en collaboration avec Einstein » : une apologie du crime ?
§ 12. La France : le pays des névrosés ?
§ 13. La doctrine freudienne de la masturbation
§ 14. La relation extraconjugale de Freud
§ 15. La cure freudienne soigne-t-elle mieux que les TCC ?
§ 16. La préface du livre d’Ellenberger
§ 17. L’ignorance de l’œuvre d’Ola Andersson
§ 18. Le livre d’Onfray est-il dénué de sources et de bibliographie ?
§ 19. Dans l’index, ni noms, ni concepts ?
§ 20. Onfray a-t-il utilisé la moins bonne des traductions de Freud ?
§ 21. E. Roudinesco plus histrionique que jamais
§ 22. Le texte de Guillaume Mazeau, historien
§ 23. Le texte de Christian Godin, philosophe
§ 24. Le texte de Franck Lelièvre, philosophe
§ 25.Le texte de Pierre Delion, psychanalyste « packingeur »
§ 26. Le texte de Roland Gori, psychanalyste
§ 27. Les limites de l’analyse de Michel Onfray

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(1) Je remercie Mikkel Borch-Jacobsen, Catherine Meyer et Jean-Louis Racca pour leur lecture et leurs commentaires. J’assume seul la responsabilité du présent texte.
(2) Réflexions et maximes (1746), § 588, rééd., Ed. Garnier, 1954, p. 396.
(3) Le plus souvent E. Roudinesco se présente comme historienne. Il lui arrive parfois de se présenter comme « psychanalyste ». Dans Haine n°1, elle écrit qu’elle « ne fait partie d’aucune association psychanalytique » (p. 30). Il est vrai qu’il n’est pas nécessaire de faire partie d’une association de psychanalystes pour se dire « psychanalyste ». Du point de vue légal, le titre de psychanalyste n’a pas plus de valeur que ceux de « graphologue » ou « astrologue ». Tout le monde a le droit de faire de l’« analyse psychologique » — freudienne, jungienne, comportementale ou autre — et de se présenter comme psychanalyste, analyste ou comportementaliste.

(4) Voir l’enquête parue dans Les Cahiers de Psychologie politique.

 

Cette conscience de la relativité des interprétations contraste avec les affirmations péremptoires de Freud et de la plupart de ses disciples. Nous terminons par quelques échantillons à l’adresse de ceux qui ne lisent pas le neurologue viennois dans le texte (italiques de J.V.R.)
« Tous ceux qui ont l’occasion de prendre de la morphine, de la cocaïne, du chloral et d’autres substances du même genre ne deviennent pas pour autant des toxicomanes. Un examen plus poussé montre, de façon générale, que ces narcotiques servent – directement ou indirectement – de substituts à un manque de satisfaction sexuelle » (1898, Gesammelte Werke, voI. I, p. 506).
« Le complexe de castration est la plus profonde racine inconsciente de l’antisémitisme car, dans la nursery déjà, le petit garçon entend dire que l’on coupe au juif quelque chose au pénis — il pense un morceau du pénis — ce qui lui donne le droit de mépriser le Juif. Et il n’est pas de racine plus profonde au sentiment de supériorité sur les femmes » (1909, tr., Cinq psychanalystes, PUF, 1970, p. 116).
« L’infériorité intellectuelle de tant de femmes, qui est une réalité indiscutable, doit être attribuée à l’inhibition de la pensée, inhibition requise pour la répression sexuelle » (1908, tr., La Vie sexuelle, PUF, p. 42).
« L’acte de téter le sein maternel devient le point de départ de toute la vie sexuelle, le prototype jamais atteint de toute satisfaction sexuelle ultérieure » (1917, tr., OEuvres complètes, PUF, XIV, p. 324).
« On peut dire que les symptômes névrotiques sont dans tous les cas soit la satisfaction substitutive d’une tendance sexuelle, soit des mesures pour l’entraver ou encore, cas les plus fréquents, un compromis entre les deux » (1938/1940, Gesammelte Werke, vol. XVII, p. 112).
« L’ultime fondement de toutes les inhibitions intellectuelles et des inhibitions au travail semble être l’inhibition de l’onanisme
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SVT 6ème – Concevoir un protocole expérimental avec une fève et un épluche-patates.

Comment de manière simple, élégante, avec un épluche-patate Williwaller et une fève de galette des rois, Alain Le Métayer nous explique une séquence de niveau 6ème en Sciences de la Vie et de la Terre qu’il a élaborée et testée.

Pour résoudre le problème « des conditions favorables à la germination », les élèves de 6ème doivent apprendre à formuler des hypothèses, à concevoir des protocoles destinés à tester les hypothèses puis enfin, à valider (ou pas) les hypothèses.

Il se trouve que pour ce travail, une fève et un épluche-patates (attention, pas n’importe lequel : le Willywaller 2006) peuvent se révéler très utiles !

Ce document vous présente brièvement la démarche que j’ai utilisée en classe.

Quant au Beautiful épluche-pôtates Willywaller 2006…

 

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Alain Le Métayer

Note : n’est pas introduit dans ce TP la discussion sur l’argument 100% Naturel – consulter le cours Naturel, chimique de Denis Caroti ainsi que le cours Nature, écologisme, sexisme, racisme, spécisme et les conférences de Guillemette Reviron sur ce sujet.

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Le double sens du mot croyance

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Voici de mon point de vue le point central sur lequel il faut insister lors de n’importe quel cours portant sur l’esprit critique     : le double sens du mot croyance.  Je cherchais dans mes cours à m’affranchir d’emblée du champ des non-théories, des points de vue, des goûts, et des arguments pseudo-démocratiques du type « il faut respecter toutes les croyances » car il est, hélas, des croyances qui ne sont pas très respectables – prenons par exemple les « vertus prétendues de l’excision », ou la croyance en l’ordonnancement des « races » humaines.
J’ai consacré un bref passage de ma thèse de doctorat sur ce point (pp. 61-63), passage reproduit ici. Je me suis rendu compte que si prendre cette précaution de distinction fait l’objet de débats chez les philosophes (cf. Bouveresse, à propos de la controverse Wittgenstein – Russel), pédagogiquement parlant,  je la trouve incontournable. Je ne connais aucun intérêt à ne pas la faire. Cela permet de se centrer sur les énoncés de type scientifique, juste ou faux, et de ranger Dieu dans les actes de foi, qui ne se discutent pas scientifiquement, donc ne peuvent s’imposer aux autres selon des moyens logiques et par conséquent se cantonnent dans la sphère privée. Un objet de foi n’est analysable que dans la mesure où il énonce une affirmation de type scientifique, vérifiable ou réfutable. Chaque fois que j’ai testé de ne pas commencer mon cours par ce point, j’ai eu une avalanche de questions du type respect des religions. Alors qu’en le faisant, je pose mon respect de la foi en tant qu’acte de foi, de même que je respecte les goûts des autres sauf s’ils portent atteinte à l’intégrité du voisin (quelqu’un qui aimerait la chair fraîche par exemple).

Mes collègues Nicolas Gaillard, Guillemette Reviron et Denis Caroti ont eux aussi repris ce point de départ.
Essayez, et donnez-nous  vos impressions.
Richard Monvoisin

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Croyance : entre  acte de foi et « remport d’adhésion »

Dans notre démarche zététique, nous devons nous consacrer au monde des croyances, à la manière de les appréhender et à quelques moyens de s’en servir à des fins pédagogiques. Pour cela, employer une lexicologie précise s’avère incontournable. Pourtant, première constatation : la langue française ne permet pas de faire la distinction entre la croyance comme acte de foi (faith) et la croyance de type adhésion (belief). Le recouvrement des deux acceptions du même terme crée ce que les zététiciens appellent un effet paillasson. Pour sortir de ce glissement sémantique, nous avons proposé la notion de remport d’adhésion, qui se rapproche de la définition anglo-saxonne de rationnal belief, c’est-à-dire d’une croyance produite par une démarche d’énonciation de vérité susceptible d’être infléchie par le raisonnement ou l’expérience.

Alors que la croyance en tant qu’acte de foi relève du choix personnel, ne cherche pas les caractéristiques d’une construction scientifique, et n’a pas vertu à s’imposer factuellement, nous appelons remport d’adhésion le mécanisme complexe et multifactoriel qui amène un individu à penser que son adhésion à une thèse, une hypothèse ou à une théorie est mue par une chaîne de raisonnements rationnels étayés par des faits.

Toutefois une adhésion peut être remportée à tort, par exemple lorsqu’elle est de type simili-rationnelle, lorsqu’elle repose sur des critères non suffisants ou non réfutables, lorsque le raisonnement est entaché de biais, soutenu par des idées reçues ou motivée par des options idéologiques ou métaphysiques, etc.

Lorsque cette croyance persiste chez un individu, malgré la démonstration des défauts théoriques de ladite croyance, alors on a tendance à parler de croyance pseudoscientifique (de pseudês, en grec : mensonger).  Ainsi, croire en une théorie fausse est une croyance non-scientifique. Persister à croire malgré une démonstration en règle peut être qualifiée de pseudo-scientifique (même si la personne est sincère dans sa persistance).

Résumons : la croyance comme adhésion remportée relève des théories de la connaissance, de la psychologie cognitive, de l’ethnologie,  des sciences de l’Humain ; la croyance comme acte de foi, elle, fait intervenir une transcendance et de ce fait se situe sur un magistère totalement disjoint des sciences – et de ce fait ne peut prétendre à une quelconque validité hors de la sphère personnelle.

Chose pratique, cette distinction est également revendiquée par un bon nombre d’experts de la foi (par exemple Erny 1995).

Si ces deux types de croyance peuvent potentiellement être objets d’analyse critique, la méthode scientifique, redoutablement efficace pour les secondes, ne l’est que dans certaines conséquences ou interprétations corollaires de la première. En effet, l’acte de foi ne nécessitant ni raisonnement, ni preuve — puisque basé sur des concepts transcendantaux —, son objet sort du matérialisme et la science prise au sens méthodologique n’a aucune prise sur lui : un regard scientifique critique pourra éventuellement s’exercer sur l’historicité et les fondements des dogmes forgeant l’acte de foi (l’existence historique de Jésus, par exemple, ou le caractère sacré des textes scripturaires), ou sur certaines prescriptions scientifiques ou médicales effectués au nom de cet acte de foi (la maladie comme punition divine, par exemple, ou la négation de l’existence du SIDA). Mais l’analyse de l’acte de foi en lui-même ne peut se faire pratiquement qu’aux plans moral et politique. À l’opposé, étayer un acte de foi sur des faits — stigmates, traces, signes, suaires, miracles — devient un non-sens. Nous simplifions à outrance un des plus vastes champs de réflexion de la philosophie classique en écrivant :

 
Une différence fondamentale [entre les deux acceptions du terme croyance] est à opérer pour un zététicien : là où la première est un remport d’adhésion souvent hâtif, la seconde acception, elle, de facture religieuse, repose sur un acte de foi. En d’autres termes, si l’adhésion à une théorie peut être critiquée zététiquement, un acte de foi n’est pas discutable puisqu’il ne se base sur rien de tangible. Les deux acceptions buttent sur ce que Bricmont appelle un irréductible antagonisme. La zététique ne peut traiter la question de dieu ; celle du suaire de son fils, si !

Nous avons pris le parti pédagogique de toujours commencer les enseignements  zététique/esprit critique/rapports sciences et pseudosciences par ce distinguo, ceci non seulement pour épargner (momentanément ? À eux de voir) les choix moraux personnels des interlocuteurs/étudiants — et ne pas soulever de réactions « épidermiques » pouvant interférer avec notre enseignement -, mais aussi pour conserver à la science son assise. C’est loin de n’être qu’une précaution oratoire lorsque, comme nous l’entreverrons, les sollicitations « spiritualistes » sont nombreuses.

Dans un contexte médiatique où le mélange des genres est récurrent, nous donnons préférentiellement trois exemples aux étudiants.
 

  • Le créationnisme

La revendication de l’enseignement conjoint de la théorie de l’évolution et du créationnisme dans un certain nombre d’états américains et océaniens. Manifestement, la série d’arguments apportés en guise de « preuve » d’un dessein cosmique a suffit, dans une certaine mesure (1), pour faire valoir une équivalence factice entre l’enseignement de la théorie de l’évolution, scientifique, et celui du créationnisme, ou de son avatar pseudoscientifique, l’ID — cela sur un fond démagogique de libéralisme intellectuel propre à la laïcité au sens états-unien (voir 4.4.5 Le mode politique).

  • Le « Suaire » de Turin

Le prétendu « suaire » de Turin, présenté comme une preuve de la qualité divine de Jésus dont la toile de lin aurait  enseveli le corps. Le non-sens est manifeste puisque si la qualité divine se prouvait — et avait attendu les études sur la toile de lin pour l’être — alors la croyance au divin serait une question scientifique.

  • La physique quantique et son utilisation pour étayer la possible existence d’une autre réalité

Les exemples sont pléthore (voir à ce propos le cours de Denis Caroti « La vie serait quantique ? »). Le dernier en date au moment de rédiger date du 1er juin 2007, dans le Figaro :

(…) la physique quantique ne prouve en rien l’existence de Dieu. Elle élargit le « champ des possibles ». La physique démontre l’existence d’un niveau de réalité dont on ne peut rien préjuger. Rien de cet autre niveau de réalité ne nous amène à l’idée qu’il existe un Dieu plein d’amour pour nous. Mais l’existence de cet autre niveau de réalité, avec lequel l’homme peut sans doute être en contact, rappelle les intuitions majeures de toutes les grandes religions — y compris les religions sans dieu comme le bouddhisme ou le taoïsme — fondées sur deux principes : l’existence, précisément, d’un autre niveau de réalité et la possibilité d’un lien entre l’esprit humain et cette autre instance. Ces principes deviennent beaucoup plus crédibles qu’ils ne l’étaient avant les découvertes de la mécanique quantique (…) (Staune & Comte-Sponville, 2 juin 2007).
 

Même s’il ne s’agit pas de « prouver Dieu » comme les titres le résument régulièrement, postuler qu’il existe une autre réalité corroborant une intuition religieuse précipite derechef dans l’acte de foi. Relevons au passage le non-sens d’une telle assertion, aussi stimulante que paradoxalement non testable : si on montre scientifiquement (avec la mécanique quantique ou autre) que quelque-chose existe, alors ce quelque-chose fait partie de la réalité, puisqu’il existe. Prouver réellement qu’il existe une autre réalité participe de l’oxymore.

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(1) Fin 2005, fort heureusement, le juge Jones a tranché en défaveur de l’Intelligent Design. Goodstein L., Judge Rejects Teaching Intelligent Design, New York Times, 21 déc. 2005. (Mais est-ce à la justice de trancher sur la  pseudoscientificité (🙂) d’une théorie ?).

 

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Radios moisies à éplucher

Voici des émissions de radios à « éplucher », comme on dit au CorteX. Nous pensons qu’elles recèlent soit des passages pertinents, soit au contraire des éléments pseudoscientifiques à prélever. En voilà une rafale. Si vous avez le temps, l’envie, d’en faire vous-même la critique, l’analyse, et de mettre en mot ce qui « cloche », écrivez-nous ! contact@cortecs.org

Sciences politiques

  • Michel Serres, sur la démocratie. Il y a quelque-chose qui cloche dans cette chronique (Le sens de l’info, France Info, 8 mai 2011).
  • Michel Serres, toujours, sur les prisons. Cette fois-ci, un vrai écheveau à démêler dans une pensée qui parait profonde.(Le sens de l’info, France Info, 8 mai 2011)

Psychologie

  • Daniel Sibony le psychanalyste, dont les propos ont déjà été décortiqués ailleurs et qui parle ici du rire (Tête au carré, France Inter, 9 mars 2010)
  • Boris Cyrulnik, éthologue et psychanalyste, qui théorise de manière étrange « la honte » (Tête au carré, France Inter, 6 septembre 2010)
  • La méthode Coué, scientifiquement ancrée ? (Tête au carré, France Inter, 16 février 2010)
  • Une manière d’aborder les « normes » morales en psychologie sur la question du transexualisme

Histoire

  • La fabrication du mythe historique, avec le cas Juliette Dodu de Pithiviers

Médecine

  • La question de l’hypnose, de l’hypno-sédation, et du mélange des genres
  • Débat d’Elie Arié sur l’homéopathie (France culture, Science publique, 30 avril 2010)
  • Patrick Lemoine et son concept de « médecine écologique » (Tête au carré, France Inter, 26 mai 2008)
  • Le Feng-shui (France Culture, Sur les docks, 27 février 2009)

Sciences & religions

  • Trinh Xuan Thuan et ses positions métaphysiques : un cas d’intrusion spiritualiste ? (Tête au carré, France Inter, 17 septembre 2009)
  • Les frères Bogdanoff, très peu rudoyés par Etienne Klein et Michel Cassé sur France Culture (France Culture, Du grain à moudre, 20 octobre 2010)

Épistémologie

  • La notion brumeuse de sérendipité, sur France Culture (Continent sciences, 23 novembre 2009)
  • L’écrivain mystique Didier Van Cauwelaert (Tête au carré, France Inter, 7 mars 2009)

 

La démocratie participative, par Amélie Audibert

Amélie Audibert, animatrice socioculturelle depuis plusieurs années, fait un Master 2 professionnel « Politiques publiques et changement social » à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble. Son mémoire porte sur la question : « comment l’offre publique de participation permet d’éviter le débordement démocratique en orientant les débats vers des objets prédéfinis ?« . De ce fait, elle s’imposa comme l’intervenante-phare du Midi critique N°4 saison 4 sur la démocratie participative, en avril 2011.
Nous avions déjà détaillé notre manière de faire et donné nos outils ici, mais un complément de l’intervention d’Amélie nous semblait salutaire.
Le voici.

Avant de parler de démocratie participative, commençons par définir ce qu’est le concept central de démocratie.

 

La démocratie : un effet paillasson

La définition courante de la démocratie est « le pouvoir du peuple ». C’est une définition vague revendiquée par des gouvernements dont les valeurs et les institutions sont différentes, voire contradictoires comme par exemple la République Algérienne Démocratique et Populaire, la République fédérale d’Allemagne, la Principauté d’Andorre, le Royaume de Belgique, la République Populaire Démocratique de Corée, la République Française, etc.

Il est difficile de trouver une définition précise et consensuelle de la démocratie. Les divergences autour de cette notion ne viennent pas de l’idéal démocratique de « gouvernement du peuple », mais des moyens mis en œuvre pour le réaliser. En observant les instruments qui servent sa mise en oeuvre, des définitions presque opposées peuvent être données, faisant l’impasse sur le suffrage universel, les droits individuels ou au contraire ne considérant que la question des élections.

En tout état de cause, aucune définition claire et universelle n’est à ce jour partagée par l’ensemble des acteurs y faisant référence (voir effet paillasson).

 

En France : éléction = démocratie

En France, l’article 2 de la Constitution de 1958 tente de clarifier les choses en superposant l’idée de gouvernement du peuple à celle de gouvernement par et pour le peuple.

Cependant, cette définition ne donne pas un éclairage fin de la notion de démocratie. Il est donc indispensable de refaire un petit détour vers les idées philosophiques qui ont fondé la légitimité démocratique au moment de la Révolution française : les théories de Rousseau et de Montesquieu.

 

Les fondements idéologiques de la démocratie

Lors de la Révolution de 1789, des débats ont conduit à élaborer la démocratie française. Ils ont mis en lumière deux manières d’appréhender la représentation et la souveraineté, qui ont pour socle commun de reconnaître le peuple comme source légitime du pouvoir : celle de Montesquieu, et celle de Rousseau.

Pour Montesquieu, le peuple est apte à choisir des représentants capables de définir l’intérêt général mais il n’est pas capable de gouverner.

« le grand avantage des représentants c’est qu’ils sont capables de discuter les affaires. Le peuple lui n’y est pas du tout préparé […] il n’est pas nécessaire que les représentants, qui ont reçu de ceux qui les ont choisis une instruction générale, en reçoivent une particulière sur chaque affaire […] il y avait un grand vice dans la plupart des anciennes républiques : c’est que le peuple avait le droit d’y prendre des résolutions actives, chose dont il est entièrement incapable. Il ne doit entrer dans le gouvernement que pour choisir ses représentants, ce qui est très à sa portée ». Charles de Secondat de Montesquieu, L’esprit des lois, livre XI, chap. 6.

Des représentants sont élus et ils sont reconnus légitimes pour définir l’intérêt général et prendre des décisions au nom de l’ensemble de la population. La compétence reconnue aux citoyens est celle de choisir les personnes les plus à même d’occuper ces fonctions.

Rousseau développe quant à lui l’idée d’une démocratie directe dans laquelle le peuple doit être responsable .

« Je dis donc que la souveraineté n’étant que l’exercice de la volonté générale ne peut jamais s’aliéner et que le souverain qui n’est qu’un être collectif ne peut être représenté que par lui-même […] par la même raison que la souveraineté est inaliénable, elle est indivisible. Car la volonté est celle du corps du peuple ou seulement d’une partie. Dans le premier cas cette volonté déclarée est un acte de souveraineté, dans le second ce n’est qu’une volonté particulière». Jean-Jacques Rousseau, Le Contrat social, livre II, chap. 1 et 2.

Il est donc nécessaire d’élire des députés car il est impossible que le peuple dans son ensemble siège en assemblée, mais ces députés ne sont pas des représentants, ils sont des commissaires. Ils doivent se conformer aux instructions des électeurs sous peine d’être sanctionnés ou révoqués. Ils ne peuvent rien conclure sans le consulter. Le peuple dans son ensemble est reconnu légitime pour définir l’intérêt général. Les députés sont ici appréhendés comme des instruments permettant le lien entre l’ensemble de la population et la prise de décision.

Ces théories opposent deux conceptions de la légitimité démocratique. Si elle émane toujours du peuple dans son ensemble , la capacité à définir l’intérêt général et à prendre des décisions est la compétence soit d’une minorité de la population, soit de l’ensemble de la population. Ce sont les thèses de Montesquieu qui ont fortement influencé l’instrumentation démocratique.

Note : la définition de « peuple » prête également à débat, notamment autour de la place des femmes et plus récemment des étrangers et des jeunes. Le peuple dans son ensemble représente à la fin du XVIIIème siècle uniquement les hommes majeurs de nationalité française. Aujourd’hui, le peuple est parfois entendu comme les citoyens français hommes et femmes (élections nationales), les citoyens européens (élections locales), les habitants d’un territoire sans notion de nationalité ou d’âge (certains dispositifs participatifs).

 

Pierre Rosanvallon (2008) fait émerger trois principes qui ont été le socle du système démocratique français :

  • la nature d’un régime s’identifie à ses conditions d’établissement
  • l’unanimité est la meilleure expression de la généralité sociale, de la volonté générale
  • l’autorité se légitime par la volonté librement exprimée de tous.

Le suffrage universel est utilisé comme instrument démocratique dans le but d’élire des représentants capables de s’extraire de leurs intérêts particuliers pour définir l’intérêt général. Le Parlement est vu comme l’enceinte de la raison publique où est débattue à haute voie la définition de l’intérêt général. Il est généralement admis    que le vote de la majorité permet d’établir la légitimité d’un pouvoir, et cette procédure est identifiée comme l’essence même de la démocratie :

« La loi de majorité est une de ces idées simples qui se font accepter d’emblée ; elle présente ce caractère que d’avance elle ne favorise personne et met tous les votants sur le même rang ». (Louis Blanc, Réforme électorale, Revue du Progrès, t. II, 15 octobre 1839, p. 308).

L’instrument de l’élection comme procédure de choix a été assimilée à un principe politique instaurant la démocratie. L’instrument et le principe sont devenus indissociables, alors qu’ils sont contradictoires. Si l’on envisage l’électiorat dans une dimension sociologique, celle-ci désigne une fraction, même dominante, du peuple. Or le paradoxe démocratique vient de l’hypothèse que les urnes renvoient à l’idée d’une volonté générale. On considère alors que le plus grand nombre vaut pour la totalité.

« La partie valant pour le tout, et le moment électoral pour la durée du mandat : tels ont été les deux pré-supposés sur lesquels a été assise la légitimité démocratique » (Rosanvallon, ouv.cit., p. 11).

 

 Les limites du système représentatif poussent à développer des outils participatifs

 

Le développement de la participation fait suite à plusieurs “évènements” qui débutent à la fin des années 60 et se prolongent jusque dans les années 2000.

  • La légitimité traditionnelle des élus est mise à mal par la hausse de l’absention, la non-inscription sur les listes électorales et la proportion parfois importante d’étrangers. Par exemple, en 2008, le maire de Clichy-sous-bois est réélu dès le 1er tour avec 66% des voix. Ceci représente en réalité 2792 voix sur les 28000 habitants de la commune. De manière plus globale, on note une hausse de l’absention dans tous les scrutins entre 1965 et aujourd’hui.

  • Les fonctionnaires étaient pensés jusqu’alors comme neutres. Ils agissaient pour l’intérêt général, dégagés de toute tentation et d’intérêt partisants : ce positionnement leur donne la légitimité d’être des experts ; ils sont censés analyser sans parti pris les situations pour aider les élus à prendre des décisions, et ce dans l’intérêt de tous. Mais la catastrophe de Tcherobyl et la gestion étatique de la crise, l’affaire dite « du sang contaminé » [1]   ou encore l’affaire de « la vache folle » [2]    remettent en cause leur positionnement. Comment alors prendre de bonnes décisions sur des rapports d’experts qui ne sont plus crédibles?

  • Au niveau local, les lois de décentralisation de 1982 libèrent les communes de la tutelle administrative du préfet. Ceci donne lieu à de nouveaux rapports entre l’équipe municipale et les administrés : c’est en priorité aux citoyens que s’adressent les Maires et sur eux qu’ils s’appuient pour légitimer leur action. Les élus sont mis dans une position de face à face direct avec les citoyens. Les conseils municipaux ont tendance à vouloir rendre plus visible le lien représentatif et à présenter leurs choix comme étant ceux de la population (voir sur ce point Sous la direction de Loïc Blondiaux, La démocratie locale – Représentation, participation et espace public, PUF, 1999).  

  • En même temps, les lois de décentralisation font émerger la figure du Maire comme personnage central de la vie locale. Il concentre les pouvoirs législatifs et exécutifs : il a le monopole de l’interprétation de l’avis des habitants. En effet, l’opposition au sein d’un conseil municipal a peu de pouvoir sur les délibérations et une faible capacité de communication. De plus, entre deux élections, l’équipe municipale rencontre peu d’opposition (alors qu’au niveau national, les résultats des élections locales ont un impact sur la politique du gouvernement).   Enfin, le Maire n’est souvent pas concurencé dans son monopole d’interprétation de la volonté générale par la presse locale qui est souvent neutre ou bienveillante envers l’équipe municipale. Il n’existe souvent qu’un seul titre qui ne représente pas un contre pouvoir. Il y a donc une certaine indépendance possible de l’équipe municipale vis-à-vis des électeurs durant la durée du mandat, qui est souvent dénoncée.

  • Dans les années 1994-1995, les maires expriment dans leur revue leur difficulté à avoir l’adhésion des habitants [3]. Ils observent un engagement concrêt et limité des habitants contre certaines de leurs actions. La gouvernabilité devient un enjeu local. Les élections de 1995 sont caractérisées par le retrait des élus sortants dans 40% des cas. Le manque de reconnaissance et l’incivisme des citoyens sont évoqués comme motif de départ pour 60% des maires sortants (cf. Enquête auprès des maires sortant du département effectuée par l’association des Maires de France du Doubs – Département et communes – mai 1995).

 

Parrallèlement à ces phénomènes, la participation des habitants s’installe doucement dans le paysage politique français. Elle est toujours pensée comme complément à la démocratie représentative.

  • 22 mars 1965 : Le Monde fait sa Une sur la victoire des Groupes d’Action Municipaux (GAM) et l’élection d’Hubert Dubedout à Grenoble. La vitrine grenobloise provoque la multiplication des GAM, qui ont pour objectif d’écouter les besoins des citoyens pour trouver les meilleures solutions pour y répondre concrètement. Ils se développent dans toute la France jusque dans le début des années 80. L’objectif des GAM est de rendre plus efficace l’action publique. En même temps, se développe dans d’autres communes des mouvements pronant l’autogestion des habitants : “ la démocratie locale réelle n’a qu’un seul nom : l’autogestion ! » (Roux, 2011) . Des expériences locales émergent : à Louvier (Haute-Normandie), de 1965 à 1969 puis de 1976 à 1983, la municipalité se déclare radicalement autogestionnaire et en rupture avec le fonctionnement de “père de la cité” des GAM. L’équipe municipale tient des conseils municipaux en dehors de la mairie et associe largement des associations locales aux décisions. Il en découle des décisions audacieuses (gratuité des transports en municipaux pour les enfants et les jeunes, de la piscine, des musées, de l’école de musique, d’aides ménagères pour le troisième âge, etc.) financé par un nouveau mode calcul des impôts locaux taxant plus les résidences des quartiers aisés et détaxant les zones populaires. Cependant, ces initiatives autogestionnaires restent marginales. La vision de la participation comme outil d’aide à une bonne gestion reste celle qui s’est imposée.

  • Dans les années 80, peu d’actions signifiantes sont mises en avant. Les lois de décentralisation, pouvant être vues comme redonnant du pouvoir au local, et donc aux citoyens, transfèrent des compétences aux élus locaux mais pas aux habitants.

  • Un petit “renouveau” dans les années 90 : les lois de 1992 s’attaquent au vide législatif sur le sujet. Le droit des citoyens à être informés et à être consultés est mis en avant. Dans d’autres pays, au Brésil notamment avec l’expérience du budget participatif de Porto Allegre, les démarches participatives n’ont pas pour objectif de rendre plus efficace l’action publique mais de “démocratiser radicalement la démocratie”, de “rendre le pouvoir au peuple”.

  • A partir des années 2000, en France, la participation est institutionnalisée : chaque mairie, chaque département et chaque Région a son dispositif participatif. L’ensemble de la classe politique s’accorde pour dire que la participation, c’est bien. Tout le monde prétend en faire. Mais de quoi s’agit-il ?

 

 

La démocratie participative

 

La démocratie participative, c’est quoi ?

La démocratie participative est une notion floue aux réalités variées. Selon Rasera (2011), on peut distinguer quatre niveaux de participation.

  • L’information
  • La consultation : le résultat d’une consultation est un avis, il n’y a aucun recours possible sur la procédure, il n’a pas de portée juridique. Un avis est une aide à la décision, les conseils délibératifs restent libres de leurs choix.
  • La concertation : elle associe à la résolution d’un problème les personnes concernées. Les collectivités territoriales présentent un projet à la population qui a la possibilité de le modifier en partie après une phase de négogiation.
  • L’implication : la participation impose une implication des habitants en amont et en aval de la décision. Ils doivent être associés à l’élaboration et au suivi d’un projet. Si la décision finale reste au niveau des élus locaux, nous sommes alors dans de la concertation. On retrouve dans cette catégorie les modes dits d’auto-gestion.

Ces définitions restant bien larges, de nombreuses actions peuvent donc être considérées comme de la participation.

 

Pourquoi faire de la participation ?

Plusieurs enjeux pour une collectivité territoriale / un Etat à faire de la participation :

  • « bien gérer, c’est gérer avec ». La participation permet d’ajuster les politiques publiques pour être au plus près des besoins des habitants ;

  • profiter de l’expertise d’usage des habitant / des usagers et structurer le diagnostic en y invitant des « profanes » (c’est-à-dire des non-experts) et des experts ;

  • rendre compte de l’opinion publique. La participation permet de mesurer le taux d’acceptabilité / de confrontation auquel va se frotter une décision publique ;

  • créer un consensus minimum / fabriquer   l’acceptabilité. La décision n’est plus le seul fait des élus, elle est partagée et discutée avec les citoyens. Ceci permet de la faire accepter plus facilement

  • gérer la contestation en amont et légitimer les décisions prises.

 

Trois exemples d’instruments participatifs mis en place pour légitimer des décisions publiques

  • La commission nationale du débat public
  • Le référendum local
  • Les conseils de quartiers

 

La commission nationale du débat public

Dans les années 80, la SNCF développe le projet du TGV Méditerranée reliant Paris à Marseille. Le premier tronçon Paris/Lyon avait été construit dans les années 70 sans fortes contestations. En 1989, la SNCF rend public les premiers tracés du tronçon Lyon/Marseille : le trajet retenu est le plus court possible. La SNCF ne souhaite engager la discussion qu’avec quelques grands élus. Les critiques sont vives et nombreuses, les contestataires se fédèrent et se regroupent en plusieurs coordinations. Celles-ci rassemblent les contestataires jugés comme oublieux de l’intérêt général (Argument Nimby Not in my backyard, pas dans mon jardin) mais également des agriculteurs inquiets de l’évolution du foncier, des élus ruraux et des grands élus qui jugent les gares trop éloignées des centres villes. En 1991, nous sommes à la veille d’élections nationales. La contestation est forte et prend de l’ampleur. Le projet est bloqué pendant un an. La SNCF engage alors une procédure de conciliation officielle. Un « collège des experts » est créé. Il regroupe huit personnes : des hauts fonctionnaires du ministère de l’équipement, des élus et des universitaires. Leurs conclusions prônent la mise en place d’un nouveau couloir spécifique à cette ligne et une meilleure inscription dans les territoires traversés. C’est la première fois que l’expertise d’un grand projet de transport est ouverte à différents points de vue. On passe d’un diagnostic technique et financier fait par des économistes sur un calcul de rentabilité à un diagnostic intégrant une évaluation socio-économique.

L’important conflit suscité par le projet du TGV Méditerranée montre les limites de l’enquête publique telle qu’elle a été pensée en 1983 [4]. Une nouvelle institution est créée en 1995 : la Commission Nationale du Débat Public (CNPD) [5], qui deviendra une autorité administrative indépendante en 2002. Le monopole et le contrôle des experts ne sont plus alloués au seul porteur de projet, un débat public est imposé pour tout projet susceptible de porter atteinte à l’environnement. La quarantaine de débats publics menés par le CNPD entre 1997 et 2007 ont porté essentiellement sur des projets autoroutiers, de transports d’électricité, de lignes à grande vitesse et dans le domaine du nucléaire. Chaque débat est organisé par cinq à six membres du CNPD sur une période de  quatre mois. Chaque citoyen, association ou collectif peut faire entendre son opinion à travers différents moyens : réunions publiques, expositions, Internet… etc. Les points de vue ne sont pas hiérarchisés et tous sont considérés comme bons à entendre. Le CNPD rend ensuite un rapport qui rend compte du déroulement des débats. Ce n’est pas un avis favorable ou défavorable au projet, le rapport illustre l’ensemble des points de vue exprimés. Le maître d’ouvrage a ensuite deux mois pour rendre sa décision publique.

Trois principes sont mis en avant pour justifier cette méthode : un principe d’argumentation, un principe d’équité et un principe de transparence. Or, le déroulement des débats ne se passe pas toujours dans cet idéal démocratique. Le niveau de participation varie fortement selon l’intensité du conflit généré par le projet, les groupements les mieux organisés sont ceux qui ont le plus de chance de faire valoir leur point de vue, l’impact sur la décision est très variable. Loïc Blondiaux (Blondiaux 2008, p.57) note que rares sont les cas de renoncement au projet suite à un débat public et que dans la majorité des débats l’influence de la discussion est marginale et difficilement perceptible.

 

Le référendum local

Le référendum local est un dispositif mis en place par l’assemblée délibérante d’une collectivité territoriale. Ce dispositif a été révisé en 2003 (article 72-1 introduit dans la Constitution par la loi n° 2003-705 du 28 mars 2003) lui conférant ainsi un pouvoir décisionnel et non simplement consultatif. Il est clairement encadré par la loi et requiert des conditions de mise en oeuvre strictes et précises. Une assemblée délibérante peut organiser un référendum décisionnel local sur un sujet relevant de ses compétences. Elle en définit les modalités, le projet de délibération et la date. Seuls les électeurs de la collectivité sont conviés au vote et non l’ensemble des habitants [6]3. Le projet est adopté s’il obtient la majorité des voix et réunit au moins la moitié des inscrits.

Cet instrument est peu utilisé par les collectivités locales. Quinze référendums locaux ont été organisés entre 2005 et 2007 et 6 en 2008 et 2009. En effet, l’issue étant incertaine, les maires lui préfèrent généralement d’autres types de dispositifs à portée consultative.

Le référendum décisionnel local porte sur des thématiques dont les compétences appartiennent à ces collectivités. Entre 1995 et 2004, 37,8% ont eu pour objet l’aménagement urbain ; 20,6% l’équipement public et les services publics ; 28,9% la vie communale (changement de nom, adhésion à un EPCI…) et 12,7% étaient des consultations illégales. En effet, l’assemblée délibérante doit transmettre au préfet deux mois avant le jour du scrutin le texte sur lequel portera le vote. Les référendums décisionnels locaux sont annulés par les tribunaux administratifs lorsque les conditions fixées par la loi ne sont pas appliquées.

En cas d’annulation administrative, les maires maintiennent généralement ce dispositif, qui n’a pas alors de valeur légale. Il devient un instrument pour accompagner une mobilisation locale contre une décision de l’Etat : les référendums décisionnels locaux illégaux ont porté sur des tracés de ligne de TGV ou d’autoroute, l’enfouissement de déchets radioactifs, la circulation des poids lourds sous le tunnel du Mont-Blanc. Dans ces situations, on peut se demander si ce dispositif est un outil de démocratie participative ou une manière efficace pour un maire de communiquer sur son engagement et de le rendre participatif. Il légitime la position du maire qui se positionne comme porte-parole de la contestation des habitants.

 

Les conseils de quartiers

Ils ont été mis en place suite à la loi de 2002 sur la démocratie de proximité qui « institutionnalise à l’échelle nationale la participation locale des habitants » (Gaudin, 2007, p. 37). Dans les communes de plus de 80000 habitants, le conseil municipal fixe « la dénomination, la composition et les modalités de fonctionnement » de ces instances qui « peuvent être consulté[e]s par le maire et peuvent lui faire des propositions sur toute question concernant le quartier ou la ville » (loi n°2002-276 du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité, Journal Officiel, 28 février 2002). La convocation, l’ordre du jour et la présidence des débats appartiennent aux élus locaux, les délibérations ont une valeur consultative.

Les participants des comités de quartier sont nommés « habitants ». On peut plus globalement noter l’omniprésence de la catégorie des « habitants » dès que l’enjeu porte sur le local, sur les liens de proximité, au détriment de la catégorie des « citoyens » dont l’utilisation fait plutôt référence à des dispositifs nationaux. L’ « habitant » est valorisé dès que l’on s’intéresse à des enjeux et des concepts palpables et que l’on fait référence à l’expertise d’usage. A l’inverse, le « citoyen » est appelé sur des enjeux plus globaux, plus abstraits. Le terme habitant permet-il de mettre en place un processus de dépolitisation? Pour C. Neveu, c’est également un processus de re-politisation au sens où il y a une redéfinition des enjeux [7].

Cette idée de re-politisation doit cependant être nuancée. Les conseils de quartier inscrivent la participation à l’échelle micro-locale (non celle de la ville, mais celle du quartier). Les délibérations portent généralement sur des problèmes d’environnement immédiat (trottoirs, usages des lieux publics… etc.). La participation prend ici la forme d’un relais des plaintes, des demandes des habitants, ce qui permet aux élus de développer le lien de proximité tout en gardant la maîtrise des conditions de politisation de ces problèmes. La restriction de la participation à l’échelle du quartier borne l’horizon de la discussion aux problèmes de proximité, à une vision centrée sur des problèmes individuels, c’est l’expertise d’usage. Faute d’étendre cette participation à une échelle plus large, celle de la ville ou de l’agglomération, les habitants restent dans la défense des intérêts de leur quartier à défaut d’une vision globale leur permettant de faire un arbitrage entre différentes demandes, différents points de vue et ainsi produire une décision politique. Les élus gardent le monopole de la définition de l’intérêt général.

Par cet instrument, l’objectif est de produire un lien de proximité, des espaces d’échanges et de rencontre sont mis en place entre les habitants et les élus. Ces derniers restent maîtres du dispositif : dans la procédure, dans l’objet de la participation, dans les effets qu’auront les avis produits. La légitimité est recherchée dans la proximité : c’est parce qu’ils sont proches des habitants, qu’ils connaissent leur manière de vivre, leurs besoins que les élus locaux sont légitimes à les représenter. Ce genre d’instrument se trouve généralement sur de petites échelles (les communes).

 

Qu’observer d’un instrument participatif ?

Si la loi impose peu le recours aux instruments participatifs, de nombreux dispositifs se sont développés dans les communes et les collectivités territoriales. La participation des habitants est aujourd’hui un instrument de politique publique.

Si l’on souhaite observer/analyser ces dispositifs, il me semble important d’être vigilant à plusieurs critères pour mesurer leur “degré” de participation :

  • la possibilité de s’auto-saisir
  • la possibilité de remettre en cause la définition de la situation imposée par l’autorité de tutelle
  • la marge d’indépendance à l’égard de cette dernière
  • la possibilité ou non de produire des connaissances sous la forme de contre-expertise
  • la médiatisation de l’avis émis
  • l’impact sur la décision politique

 

Amélie Audibert

NOTES

[1] En 1991, une journaliste publie un article dans l’Evènement du Jeudi prouvant que le centre national de transfusion sanguine (CNTS) a sciemment distribué à des hémophiles des produits sanguins dont certains étaient contaminés par le virus du SIDA en 1984 et 1985. Les 4 médecins dont le directeur du CNTS sont condamnés pour tromperie et non-assistance à personnes en danger en 1992. 3 personnes politiques comparaissent en 1999 pour homicides involontaires.
[2] En 1996, l’affaire de la vache folle éclate : une possible transmission de ce virus à l’humain génère la mise en place de fortes mesures sanitaires. 
[3] Jacques Chevallier, dir., la gouvernabilité, CURAPP, Paris, PUF, 1996
[4]  La loi Bouchardeau, en 1983 sur la démocratisation de l’enquête publique fixait pour objectif « d’informer le public, de recueillir ses appréciations, sugs, contre-propositions, afin de permettre à l’autorité compétente de disposer de tous les éléments nécessaires à son information ».

[5] La loi Barnier, en 1995, va plus loin que la loi Bouchardeau. Elle énonce un « principe de participation » pour les grands projets d’aménagement ou d’équipement et crée la commission nationale du débat public : « chacun a accès aux informations relatives à l’environnement […] et le public est associé à l’élaboration des décisions ayant une incidence importante sur l’environnement ou l’aménagement du territoire ».

[6] Pour les référendums décisionnels locaux organisés par une commune, les ressortissants de l’Union Européenne peuvent prendre part au vote.

[7] Dossier réalisé par Yves Sintomer, La démocratie participative, problèmes politiques et sociaux, La Documentation française, avril 2009.

 


Pour en savoir plus

Sur la démocratie participative

  • Adrien ROUX, 50 ans de démocratie locale, Comment la participation s’est laissée endormir, pourquoi elle doit reprendre le combat, ADELS, Yves Michel, 2011.
  • Jean-Pierre GAUDIN, La démocratie participative, Armand Colin, 2007.
  • Loïc BLONDIAUX, Le nouvel esprit de la démocratie, La République des idées, Seuil, 2008.
  • Michel RASERA , La démocratie locale, Librairie générale de droit et de jurisprudence, 2002.

Sur la démocratie

  • Pierre ROSANVALLON, La légitimité démocratique, Paris, Seuil, 2008.
peut distinguer quatre niveaux de participation.
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Décortiqué – Phobie des serpents, dans la Tête au carré , sur France Inter

Si vous arrivez à cette page, c’est que vous avez écouté l’extrait radio (tiré de la minute 18 à la minute 22 de l’émission du 21 juin 2011 Serpents et venin).
Non ? Alors vous pouvez retourner ici.
Oui ? Alors ci-dessous, analyse de l’extrait point par point, par Richard Monvoisin (en bleu).

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Je reprends la transcription.

Xavier Bonnet, herpétologue, et Nicolas Vidal, biologiste herpétologue, répondent à la question du présentateur Mathieu Vidard (MV).

MV : Pourquoi les serpents suscitent autant de rejet et de phobie ? Est-ce qu’il y a des explications rationnelles à ces phénomènes ?

Le premier intervenant, Nicolas Vidal :

– « Moi j’en vois deux : il y a une explication culturelle religieuse , puisque c’est le symbole du mal, le symbole sexuel (1) dans nos religions (2), enfin, dans nos sociétés occidentales (3), par contre en Inde ils sont vénérés , symboles de fertilité, d’immortalité, donc la connotation négative elle est quand même bien occidentale (4).

(1) Comme nous le verrons plus bas, cette affirmation est fausse : le serpent n’est partiquement jamais le symbole du mal, ni un symbole sexuel, mais couramment  un symbole de protection et de connaissance.

(2) Je suis très méfiant sur ce genre d’expression inclusive ; « dans nos religions » signifie « à nous, moi, vous auditeurs et le présentateur, et je n’ai pas besoin de le préciser« , sous-entendant un judeo-christinanocentrisme. Or « nos » religions, si tant est qu’on parle de la France, comprend également l’Islam, certaines formes de bouddhisme, et bien d’autres choses diverses. Il s’agit finalement, de manière non voulue, d’un avatar des racines chértiennes de la France.

(3) Nos sociétés occidentales : mot-valise que ce mot « occident », qui me perturbe à chaque fois. Occident peut tout aussi bien désigner

– l’Europe chrétienne et la culture grecquo-romaine

– l’Occident capitaliste opposé au bloc communiste

– l’Occident (scientifique, rationnel, etc.) opposé à un Orient fantasmagorique (sage, intuitif, contemplatif)  

– l’Occident comme ensemble des pays développés, opposé à l’Afrique et l’Asie, en voie de développement. C’est l’Occident « au sens large », tel que présenté sur la carte ci-contre.alt

Ce terme est si peu précis, et véhicule tant de représentations que lorsque je l’entends, ma méfiance est grande.

(4) J’imagine que c’est le format radio qui crée cela, et pourtant : le scientifique donne un contre-exemple (l’Inde) qui selon lui vient confirmer son hypothèse.

C’est un sophisme courant  qui se classe dans la catégorie des « biais de confirmation d’hypothèse » (voir Outillage Critique, à paraître ) et qui  peut s’illustrer ainsi : l’un de mes voisins a une poutre dans l’oeil, donc je n’ai pas de paille dans le mien. Ou encore : le camembert est bien de chez nous. La preuve, en Indonésie, ils n’ont pas de camembert.

 

Et l’autre explication qui est très intéressante d’un point de vue biologique, c’est qu’on s’est séparé des grands singes il y a sept millions d’années, (…) et que les serpents venimeux étaient déjà là, et évidemment il n’y avait pas d’hôpitaux, pas de sérum donc on avait un avantage sélectif énorme à ne pas se faire mordre. »(5)

 (5) Expliqué comme cela, ce n’est pas clair du tout. Bien sûr que ne pas se faire mordre est un avantage. Mais ce n’est pas un avantage « séléctif » à proprement parler. L’avantage séléctif est « la capacité à déclencher un comportement d’évitement du serpent suffisamment rapide pour ne pas se faire mordre », ce qui fait que sont moins morts (et se sont donc plus reproduits) les Humains  plus enclins à fuire les serpents. D’où une descendance plus encline à fuire les serpents.

 

MV :donc on l’aurait inscrit dans notre mémoire ? (6)

(6) Là, le journaliste induit son auditoire en erreur avec un raisonnement dit « larmarckien » (voir un exemple simple ici ). Il s’agit de cette idée de la transmission des caractères acquis du type : si mes parents apprennent quelque-chose, je naîtrai avec cette mémoire. Or l’hérédité des caractères acquis est montrée comme fausse depuis Weismann (1883). La réaction de M. Vidard, intuitive, est contre-productive dans le cadre d’une émission de popularisation des sciences, puisqu’elle appuie une idée fausse depuis plus de 130 ans, et qui est le B-A.BA de la culture scientifique moderne. Mais la (non-)réaction des deux herpétologues, probablement par politesse, est assez fâcheuse.

 

– « Donc le serpent est très bien détecté par les primates et puis on a des réactions de panique donc on a, oui, y a eu des publications là-dessus, ce qu’on appelle un module inné de la peur chez l’Homme (7)« .

(7) Nous aurions préféré Humain que Homme bien sûr, étant donné que la moitié des Hommes sont des femmes, mais là n’est pas le propos : chose surprenante, Nicolas Vidal tombe ici dans un nid d’idées reçues.

Oui, le serpent est très bien détecté par les primates. Mais ça ne fait pas de la peur des serpents une peur « instinctive ». On sait depuis vingt ans, avec les travaux de Robert A. Hinde en 1991 (A Biologist Looks at Anthropology. Man (New Series) 1991 26(4) pp. 583-608) que les primates élevés en laboratoire ne détectent plus les serpents. Depuis plus longtemps encore, contrairement à l’idée d’un module inné de la peur chez l’Humain , on sait que cette peur des serpents chez les singes est transmise par observation, comme l’a montré Susan Mineka et ses collègues Davidso, Cook et Keir en 1984 (Observational conditioning of snake fear in rhesus monkeys, Journal of Abnormal Psychology, Vol 93(4), Nov 1984, pp. 355-372) : un singe développera sa peur simplement en observant un autre singe avoir peur d’un serpent. C’est ce qui semble être le cas également pour l’Humain  (ce que confirmera d’ailleurs un peu plus loin Xavier Bonnet) : le stimulus clé semble être non pas la vue de l’ennemi, mais la vue d’un congénère ayant vu l’ennemi, ce qu’on appelle un mécanisme d’imprégnation.

Ceci dit, il a été montré récemment  (par Vanessa LoBue et de Judy S. DeLoache, en 2008) que l’Humain  possède une capacité innée à reconnaître beaucoup plus rapidement et efficacement la forme des serpents (et des araignées) que celle de tout autre objet (Detecting the Snake in the Grass: Attention to Fear-Relevant Stimuli by Adults and Young Children. Psychological Science, mars 2008, p. 284-289 – On lira aussi LoBue, Rakison & DeLoache, Threat Perception Across the Life Span : Evidence for Multiple Converging Pathways, Current Directions in Psychological, Dec 2010 ; vol. 19, 6 : pp. 375-379). Mais comme nous l’avons abordé plus haut, on trouvera une explication dans l’avantage sélectif à être flippé des serpents, d’où une descendance avec plus de chances d’être flippée elle aussi – ce qui pose le problème de l’inné : à partir de quelle fraction de population possédant un caractère avantageux peut-on considérer que ce caractère est inné ? Voir à ce propos les réflexions de G. Lecointre sur la notion d’espèce (ici, vidéo 9 ).

Et pour faire encore un pont avec entre autres les travaux de notre collègue Guillemette Reviron, ce que fait l’intervenant ici est de la même forme que l’essentialisme racial ou sexuel : on naturalise un comportement alors qu’il est social (voir pour une introduction à cette question cet article, et pour aller plus loin celui de G. Reviron – à paraître ).

MV : En tout cas il suffit de faire le tour de son entourage pour s’apercevoir que quasiment tout le monde déteste les serpents (8) (…) 

(8) Faire le tour de son entourage pour valider une hypothèse est un biais de séléction tout à fait classique, que le plus jeune des étudiants de sociologie apprend au premier cours (faire une enquète dans son entourage cible une population qui sera de manière privilégiée de la même couleur de peau, du même statut social, de la même catégorie socio-professionnelle, de la même orientation sexuelle, etc.). Mais plus ennuyeux, le journaliste n’a pas travaillé son sujet, comme la suite va le lui montrer. Car justement, tout le monde ne déteste pas les serpents, au contraire, comme dirait Simone de Beauvoir, « on ne naît  pas peureux des serpents, on le devient ».

MV : Quelle est votre explication à vous, Xavier Bonnet ?

– « Je pense effectivement qu’il y a une composante culturelle, mais (…) si l’on regarde les cultures à travers la planète, les principales symboles associés au serpent sont des symboles positifs. CorteX_Serpent_GeneseIl y en a très peu de sexuels (…) et essentiellement c’est un animal qui est le véhicule de la connaissance, et guérisseur et avec les mythes fondateurs de l’Humanité. De temps en temps c’est une sale bête, un sale monstre, mais c’est vraiment très rare . Il a été diabolisé assez récemment, et même dans la Genèse, (…) vous verrez que le serpent n’est pas le symbole du mal, il informe simplement Adam et Ève de leur condition, et ça se termine très mal, cette histoire-là, car non seulement Adam et Ève sont non seulement immortels mais en plus éclairés, évidemment il y a un conflit avec Dieu, et c’est là que ca se passe mal (9).

(9) Ici, Xavier Bonnet met une lourde charge à la première explication de Nicolas Vidal – voir la suite au point (11).

Ensuite l’étude à laquelle se réfère Nicolas, ces plusieurs études (…) ne sont pas très convaincantes, et nous on s’est amusés à faire pas mal de tests..

M.V : ….sur la théorie des primates ?

Oui, elles ne sont pas très convaincantes. Déjà il y a plusieurs erreurs dans l’étude en question, mais bon on n’a pas le temps là-dessus (10)… Il est (…) possible qu’il y ait une partie de la peur des serpents qui soit codée, en tout cas on a fait pas mal d’expériences avec des enfants, et on a eu le problème inverse, c’est qu’ils n’ont pas l’air d’avoir trop peur, les gamins. On a dû réviser nos protocoles expérimentaux parce que les enfants, la peur phobique instinctive elle (n’)est pas tellement là. On avait le problème inverse : ils n’avaient pas assez peur dans nos manips et ça devenait parfois un peu inquiétant (11)« .

(10) X. Bonnet ne donne pas les références exactes des publications en question. Je n’ai pas su de quelles études il parlait

(11) Xavier Bonnet met une autre charge à la seconde affirmation de Nicolas Vidal. On pourrait alors penser que la contradiction serait apparente, mais… – voir point (12)

 

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MV : D’accord, donc vous n’êtes pas convaincu, vous Xavier Bonnet.

– « Pas trop. Je suis tout à fait d’accord avec Nicolas sur cette dimension culturelle mais récente, elle (n’)est pas profondément ancrée, répandue sur la planète, même avec les serpents dangereux (12), parce que Bouddha a été sauvé par le cobra, et les cobras qu’on voit partout dans les temples en Asie, sont là pour protéger ; les serpents arc-en-ciel en Australie aussi, en Afrique dans pas mal de pays, les indiens Hopi c’est encore la même chose, parce qu’ils sont associés à des mythes hydrauliques, essentiels, vitaux (13). Maintenant il n’y a aucun doute, et là Nicolas a parfaitement raison, que les Hommes depuis belle lurette ont compris qu’il y avait des serpents venimeux, ils savent les reconnaître et ils font attention (14)« .

(12) XB vient de démolir les deux hypothèses de NV, et pourtant, il se déclare « tout à fait d’accord. » On a l’impression que la politesse, pour la deuxième fois, passe devant la teneur scientifique – voir suite point (14).

(13) Je ne suis pas expert des questions de construction de l’imaginaire, mais je suis circonspect : peut-être XB fait-il référence aux célèbres « structures anthropologiques de l’imaginaire », du maître  Gilbert Durand ? 

Rappel : G. Durand, fondateur du courant de la sociologie de l’imaginaire, toujours en vie, a pour haut fait d’avoir été résistant, et d’avoir tenté une définition de l’imaginaire ;  il a par contre pour faits criticables d’avoir gobé la mystique de Jung et ses archétypes, et d’avoir été un chef de file d’un courant où, de l’extérieur il semble que l’on peut à peu près tout dire, rien dire, dire n’importe quoi (M .Maffesoli, qui fut élève de Durand, incarne ce courant à mes yeux). Bilan, non seulement cette anthropologie de l’imaginaire est dure à lire, mais me semble pêcher par irréfutabilité, parce que les catégories qui sont tracées (régime diurne nocturne, métaphore hydraulique, etc.) me paraissent bien mal délimitées. Je laisse le soin aux sociologues d’analyser plus précisément ce sujet, mais quoi qu’il en soit, expliquer que les serpents sont bien vus dans le monde entier parce qu’ils relèvent  d’un mythe hydraulique-essentiel-vital (trois notions qui ne me paraissent pas bien claires) est une hypothèse qui peut être vraie, mais mériterait quelques éclaircissements.

(14) « Nicolas a parfaitement raison« . Complaisance entre collègues, ou politesse exacerbée, alors que justement, il n’a pas parfaitement raison. Quel étrange ballet, dans lequel l’auditeur non spécialiste ne peut que se perdre. Voir la suite point (15).

Surprise : XB, qui avait complexifié la discussion, retombe sur des interprétations innéistes ! « iI n’y a aucun doute que (…) les Hommes depuis belle lurette ont compris qu’il y avait des serpents venimeux, ils savent les reconnaître et ils font attention« . Justement, non : les humains  réapprennent à chaque fois par imprégnation la peur des serpents, sans savoir s’ils sont venimeux ou non, d’ailleurs. Ils ne savent pas les reconnaître, ils apprennent de leurs aînés.

 

MV : Nicolas Vidal ?

– « Je suis tout à fait d’accord avec Xavier (15), puisque je l’ai noté, moi, quand j’étais en Guyane par exemple et qu’on montrait des serpents y compris des serpents dangereux autant les adultes crient et s’éloignent autant les enfants, il faut dire aux parents attention ce sont quand même des serpents dangereux, gardez vos enfants (16). Les enfants ont moins peur que les adultes

(15) ??? NV est tout à fait d’accord avec Xavier, alors que Xavier a démoli ses deux explications. Il semble que quoi qu’il puisse être dit, tout le monde est d’accord.

(16) NV nous donne une information en contradiction avec le début de son intervention. Autre point ennuyeux : il nous livre une observation personnelle qui ne fait pas office de preuve, alors qu’il y a des preuves bien élaborées sur cette question.

MV : Donc il y a certainement un impact culturel qui fait qu’il y a un mimétisme ensuite sur la peur liée à ces petites bêtes. (17)

 

Est-ce le format radio (ça parle vite, le flux est continu et certains détails échappent donc à la vigilance du présentateur) ou bien les faiblesses épistémologiques du journaliste ? Toujours est-il que cet extrait nous a laissé perplexe tant l’absence de modération des propos (parfois faux) ainsi que les contradictions dans les arguments avancés étaient manifestes.

A vous ! Vous êtes d’accord, pas d’accord, souhaitez apporter un complément ? Ecrivez-nous : contact@cortecs.org

 
 
 
 
 

www.jstor.org/stable/2803771
CorteX_DSK_France Soir

Journalisme – Lacunes de rationalité dans le traitement de l’affaire DSK

A moins d’être ummite (voir le dossier Ummo d’Erick Maillot), impossible de n’avoir pas entendu parler de l’affaire DSK, ce scandale impliquant l’ancien président du Fonds Monétaire International.
En une dizaine de jours se sont amoncelés des procédés journalistiques tout à fait surprenants. Au Cortecs, nous nous avons pensé qu’un petit Travail Pratique sur ce sujet pourrait animer vos longues soirées d’été. C’est un TP évolutif, c’est-à-dire qu’à chaque nouvelle trouvaille, nous viendrons compléter le dossier.

Il va de soi que ce TP ne dépend pas de la culpabilité ou non de Dominique Strauss-Kahn, qui n’est pas le propos de cet article.

Exercice à faire

Reprendre une manchette / un journal TV sur DSK, et une manchette / journal TV sur un obscur « délinquant » accusé de viol (appelons-le ODAV, comme Obscur Délinquant Accusé de Viol).

Exemples d’ODAV :

[dailymotion id=xizyzy]

JT de TF1 du 8 août 2010 (le ton de ce JT est moins « à charge » que celui de la veille, on y parle même de présomption d’innocence… jusqu’à la dernière phrase)

[dailymotion id=xizyzl] 

Exemple de reportage sur DSK : TF1, JT du 22 Mai /2011

[dailymotion id=xj065x]

L’effet à mettre en évidence est l’effet bi-standard : le traitement réservé à DSK est bien plus sympathique / atténué que ne l’est celui d’un violeur présumé moyen.

Indicateurs de l’effet bi-standard :

  • présumé : généralement, le complément « présumé » saute pour ODAV, aggravant la tonalité du traitement, alors qu’il est martelé pour DSK. 
  • images choquantes : il est certes interdit de montrer en France quelqu’un menotté depuis la loi Guigou de 2000. Mais alors que les cas où ODAV fut montré menotté n’a pas choqué grand monde (exemple le plus frappant : Michaël Jackson, pourtant lui même loin d’être un Obscur Délinquant), montrer DSK menotté est considéré par de nombreuses personnalités comme « choquant », et les images présentées comme « terribles ».

On pourra se servir de la Revue de presse du Zoom de la Rédaction sur France Inter, 16 mai 2011

 

  • Occultation de la victime : pour ODAV, la gravité est accrue en parlant immanquablement de la victime. Pour DSK, la victime n’est que « présumée », et encore, quand elle est citée – ce qui vaut une levée de critiques féministes, en particulier cette chronique dans Le Monde  du 21 mai intitulée « Sexisme : ils se lâchent, les femmes trinquent » à laquelle il va de soi que nous nous associons.
  • Circonstances : on ne cherche pas de circonstances atténuantes pour ODAV, contrairement à DSK.
Sur ce point, plusieurs méthodes ont été développées
 
1. Confondre violence sexuelle et libertinage, avec des arguments fallacieux du type : 
Ce n’est pas sa faute, il est comme ça, il a une sexualité débordante
C’est un french lover (heureusement que tous les french lovers ne sont pas comme ce qu’on dit de lui)
C’est un mélange français d’amour et de politique, qui témoigne de notre tempérament national (essentialisme)
 
C’est ce que pointe Julie Clarini dans sa chronique sur France Culture du 18 mai 2011

2. Parler de méprise avec une prostituée / femme de chambre

– une prostituée – ce qui laisse présumer de ce qu’on considère comme normal dans le traitement des prostitué-es.

– avec une femme de chambre, qui plus est africaine. Notons en passant que « africaine » = racisme ordinaire. On apprendra plus tard qu’elle est guinéenne, ce qui ne nécessitait pas de grandes recherches, mais que la plupart des journalistes ne firent pas – Diallo étant un nom poular, et son prénom étant typique des filles peuls du Fouta Djallon.

Clarini encore, dans sa chronique du 17 mai, le dit bien mieux que nous.

3. Invoquer des problèmes psychanalytiques dans l’enfance (?) qui expliqueraient ses frasques sexuelles / le viol présumé, ce qui ferait de DSK une victime de ses pulsions
On pourra lire à ce sujet l’article de Brigitte Axelrad sur le site de l’Afis : Affaire Strauss-Kahn : les psychanalystes « se défoulent »

4. Invoquer des problèmes psychanalytiques qui expliqueraient son envie irrépressible de se saborder – de se suicider politiquement – alors qu’il avait course gagnée

Questions d’experts sur France inter pendant les informations du 7-9
  • le 15 mai :
  • le 19 mai :
(DSK a mangé du poisson le 19, ndr)

L’hypothèse d’un acte manqué inconscient est très ennuyeuse car

– elle nécessite un inconscient (ce qui est scientifiqement discuté)

– duquel émergerait des actes manqués contre la volonté du sujet (ce qui est scientifiquement discuté)

– l’hypothèse est irréfutable (au sens de Popper).

Cela pose également la question du recours quasi-systématique au champ psychanalytique dans les médias pour éclairer un point d’actualité. Finalement, en terme de qualité d’information, le « scénario inconscient » ne vaut gère plus que l’intérêt de savoir que DSK a mangé en prison des macaronis au fromage le 18 mai et du poisson le 19.

Allons plus loin : on peut mettre en évidence un effet Pangloss. Maintenant que l’accession à la présidence n’est plus envisageable pour DSK, on ne parle que d’une immanquable victoire s’il avait pu se présenter.

« Un destin exceptionnel », « il avait tout pour réussir », « les socialistes perdent le seul candidat qui avait, dans toutes les configurations possibles, la faveur des sondages. » , « le directeur général du Fonds monétaire international était le favori pour la présidentielle de 2012 » et « favori de la primaire socialiste en vue de la présidentielle française de 2012 », etc. (la mise en gras est de notre fait).

L’effet Pangloss consiste à raisonner à rebours. Ici l’arrestation de DSK pointe l’anéantissement du destin exceptionnel qui l’attendait, un continuum inéluctable DSK= Présidence. On parle désormais d’une vie politique brisée, comme un long couloir qui devait incontestablement conduire DSK à l’Elysée. C’est l’athlète blessé qui, s’il avait participé, aurait remporté toutes les épreuves ou le chercheur qui devait indubitablement aboutir à une découverte scientifique majeure.

Pourtant rien ne garantissait réellement cette possibilité. Rien ne permet donc de mettre en avant ce qui n’était qu’une éventualité, pas même les sondages évoqués récemment, compte tenu des expériences antérieures sur ce genre de pronostiques.

« Depuis l’élection de Nicolas Sarkozy en 2007, les commentateurs politiques les plus médiatiques jouent – jusqu’à l’excès – aux petits chevaux de la présidentielle et reproduisent les égarements du passé. Rappelons-nous qu’Édouard Balladur était en tête des sondages jusqu’en février 1995, et qu’il ne fut même pas présent au second tour en mai 1995. Souvenons-nous que Lionel Jospin était donné gagnant en 2002, puis qu’il ne fut même pas présent au second tour. Enfin, si le duel Royal-Sarkozy était dans les bouches de tous les éditorialistes plus d’un an avant le second tour de l’élection de 2007, précisons que la candidate socialiste ne l’a été que parce que des sondages l’annonçaient comme la mieux placée pour l’emporter face au candidat de l’UMP. Le choix ne s’étant pas fait sur le fond, mais simplement sur des anticipations, Ségolène Royal, et les sondologues, ont perdu. » Mathias Reymond, Affaire DSK (1) : des médias orphelins. Voir suite de l’article d’Acrimed

La probabilité de voir DSK élu président s’il avait pu se présenter, devient, par effet Pangloss, l’inévitabilité de sa victoire fictive maintenant qu’il ne pourra pas le faire.

5. La théorie du complot : c’est tellement improbable qu’un monsieur aussi respectable que lui fasse cela, donc il y a complot. Cela tend en outre à faire disparaître le fait que justement, des gens tout à fait respectables commettent des viols, et que le viol est un drame traversant les classes sociales.

6. Raisonnement en faux dilemme : « il aime les femmes, certes, mais c’est quand même mieux que d’aimer les petites filles »

 

Suite de l’exercice : rechercher des sophismes dans les extraits suivants.

  • Répondeur N°1 de D. Mermet, France Inter, 16 mai 2011
  • Répondeur N°2 de D. Mermet, France Inter, 16 mai 2011
  • Journal de midi trente, sur France Culture 15 mai 2011
  • Journal de midi trente, sur France Culture 16 mai 2011

Enfin, pour rire un peu, voici le billet de l’humoriste Sophia Aram sur le traitement médiatique engendré par « L’affaire » DSK et la légèreté de certains journalistes. France Inter – 06/06/2011

Article co-écrit par l’équipe du CorteX

 

Hypothèse de RM : j‘ai la sensation que tout est fait pour éviter de penser qu’un individu aussi « respectable » socialement, politiquement et économiquement puisse se rendre coupable – ou simplement être suspect – d’un crime de viol. Il y a une résolution de dissonance cognitive tout à fait typique : on tend à alléger la balance de l’accusé, et il est très probable qu’on tende à charger la barque de la victime. De la même façon que la reconnaissance du viol conjugal a mis très longtemps à être reconnu, il semble que ce soit difficile de reconnaître que l’abominable, même présumé, puisse être potentiellement en nous. Ça me fait penser à toutes ces fabrications médiatiques du Monstrueux, de Hitler à Ben Laden, qui nous évite, à l’instar de ce qu’écrivait Soljenitsyne, à analyser la part du diable qu’il y a en chacun de nous. Ça me fait également songer à la mauvaise réception des travaux de Milgram lorsqu’il montra qu’une fraction importante de gens normaux seraient capables, à l’état agentique sous autorité, de torturer et tuer un individu qui ne leur a rien fait.

  

CorteX_Classens_allo_Science

Matériel pédagogique Médias & science

Ayant axé mon travail de recherche sur le sujet des interactions sciences et médias, je suis avec attention les critiques de la médiatisation, vulgarisation, publicisation. J’avoue que je suis souvent déçu, car la fonction de vulgarisation est toujours présentée comme « bonne en soi », et le vulgarisateur comme un bon apôtre qui vient évangéliser l’ignare.

La plupart du temps, il manque une analyse socio-politique de l’enjeu de cette vulgarisation : progressisme technologique larvé mercantile, fabrication du scoop, vente d’espoir thérapeutique,  communication d’entreprise et publi-reportages sur des enjeux purement politiques, Soap-science et effet Canada dry (on nous vend un article comme « tout ce qu’il faut savoir sur la mécanique quantique » en deux pages), etc.
J’ai passé du temps dans Pour une didactique de l’esprit critique à montrer que les médias dits scientifiques répondent plus volontiers à la nécessité de se vendre qu’à celle d’éduquer les citoyens intéressés qui aimeraient faire leurs choix politiques en connaissance de cause. Or j’ai remarqué qu’un certain nombre d’étudiants ou de doctorants-moniteurs ont des cours et des stages de vulgarisation où ils apprennent exactement ce que je dénonce : procédés rhétoriques séduisants, raccourcis fallacieux, mises en scène populistes, « bonté » du vulgarisateur qui fait descendre la bécquée intellectuelle au profane. En 2006 j’ai monté un stage pour doctorants-moniteurs intitulé « Médias & pseudosciences, quand la science se met en scène« , au Centre d’Initiation à l’Enseignement Supérieur de Grenoble. En 2011, avec ma collègue Guillemette Reviron, nous avons propagé ce stage à Montpellier.
Ci-dessous, nous mettrons à disposition de trop rares ressources qui peuvent contribuer à étoffer un cours d’analyse critique de la vulgarisation scientifique.

La médiascience

20 mai 2011, en écoutant Science Publique de Michel Albergonti, sur France Culture, je découvre la notion assez vague de médiascience, du professeur belge Michel Classens.

Après la vulgarisation et la médiatisation, voire la médiation, de la science, voici la médiascience. CorteX_Classens_allo_ScienceLe mot peut d’autant plus surprendre qu’il n’existait, semble-t-il, pas avant que Michel Claessens, professeur à l’université libre de Bruxelles, n’utilise ce néologisme dans son dernier livre intitulé Allo la Science , analyse critique de la médiascience.

Ces enjeux dépassent désormais largement leur contribution, pourtant essentielle, à la constitution de l’honnête « homme », cet être surgissant au 17e siècle  et que Montaigne a défini en donnant sa préférence à une tête bien faite plutôt que bien pleine. Aujourd’hui, la science se glisse dans la plupart des sujets d’actualité. Parmi les plus récents, on peut citer le séisme du Japon et la catastrophe nucléaire de Fukushima, l’exploitation des gaz de schiste ou même, les interprétations psychiatriques du comportement sexuel de Dominique Strauss Kahn… Désormais, les connaissances scientifiques sont sans cesse convoquées pour participer au débat démocratique. Mais les éclairent-elles vraiment ?

Se regroupent alors pour discuter autour de Monsieur Classens Pierre-Henri Gouyon, biologiste spécialisé en sciences de l’évolution, professeur au Muséum national d’histoire naturelle de Paris, que nous connaissons bien, Jean-Yves Nau, journaliste à Slate.fr et Benjamin Dessus, ingénieur et économiste.

L’émission est assez brouillonne, ne garde pas toujours un fil directeur clair et conclut en queue de poisson, aussi ai-je tronçonné quelques morceaux choisis. Ici se trouve l‘émission complète, pour tout écouter ou comparer mes coupes.

Morceaux choisis

P-H. Gouyon distingue science et technique, J-Y. Naud pointe le caractère consommatoire des sujets traités par Slate, et P-H.Gouyon fait plaisir à entendre : « le boson de Higgs, on s’en fout« .

Je défendais cette idée dans Pour une didactique de l’esprit critique en ces termes :

« La particule qui va révolutionner la physique » titrait La Recherche en mai 2003. Ne devrions-nous pas attendre qu’elle la révolutionne effectivement ? (En arrière-plan, une lutte politique entre deux grands laboratoires, occultées par cette quête totalement construite pour l’Opinion Publique.) (p. 302).

et je proposais une fiche pédagogique sur le sujet (Annexe – Fiche pédagogique N°17 – Scénario du Graal et de la recherche scientifique de Dieu, p. 404)

Sur les OGM. P-H. Gouyon introduit la notion de conflit d’intérêt comme moteur du traitement de l’information. Il avance un argument qui, aussi vraisemblable soit-il, peut être pris pour un procès d’intention : la répartition géologues climatosceptiques / écologues non-climatosceptiques n’est pas due par hasard et est le produit d’un conflit d’intérêt. Peut-on l’étoffer ? Je vais écrire à P-H. Gouyon pour le lui demander.

La question des sciences dans les médias. Il est question des risques de Fukushima, de la vache folle, des chiffres du nucléaire et même de l’impact sur les déclarations médiatiques dans les pages de Wikipédia.

P-H. Gouyon, sur le principe de précaution et l’évaluation des risques. Il prend l’exemple du projet Génoplante. Benjamin Dessus amène le sujet sur le manque de prospective, avec l’exemple de la voiture électrique.

P-H. Gouyon dénonce la métaphore du « décodage » ou « décryptage » du génome. C’est la première fois que j’entends ça dénoncé aussi ouvertement ! J’ai alors réouvert ma thèse page 289, au chapitre des scénarisations type « odyssée », et surtout à l’annexe 20 (Analyse pédagogique du Graal génétique qu’est l’ADN des gènes), et j’ai exhumé matière à TP pour étudiants en biologie / journalisme (à venir).

M. Albergonti se fait taquiner sur son choix de parler en introduction de l’affaire D. Strauss-Kahn, et répond de manière assez claire. Nuance est faite entre information/communication et science, et sur le flot d’informations immédiates non vérifiées, que ce soit sur l’arrestation de DSK ou sur l’accident de Fukushima.

Extrait N°7(min 49-50) 

  Téléchargez.

P-H. Gouyon lance deux appels pour améliorer cette médiascience : que la recherche sur la connaissance (et non la technologie) redevienne subventionnée par l’Etat, et qu’on arrête de maltraiter l’art du documentaire scientifique.

La fabrication du scoop et autre scénarisation de l’information scientifique

Un exemple à exploiter : le numéro 1123 de Science et Vie paru en avril 2011 et qui titrait : « La vie serait quantique ! » 

CorteX_SV_la_vie_serait_quantique

S&V n°1123, avril 2011 : « La vie serait quantique : les révélations des physiciens sur l’ADN, la photosynthèse, les enzymes… »

On retrouvera la version complète de cette analyse ici.

Création du scoop – effet impact 

Ici, un événement est proposé au lecteur. Pas à lui seulement d’ailleurs puisque le quidam qui passera devant l’affiche publicitaire du magazine sera lui aussi soumis à ce scoop : « la vie serait quantique ». On aura le temps de lire certainement le sous-titre qui parle de « révélations » et de « l’ADN », tout pour créer l’événement, événement au sens d’inattendu puisque l’on nous parle de révélations. Arrêtons-nous pour commencer sur ce terme qui figure à la une de la revue : qu’évoque-t-il exactement ? Plus précisément, comment est-il connoté ? Si sa définition (ce qu’il dénote) est aisée à trouver (porter à la connaissance une information inconnue), on s’aperçoit qu’il va également activer tout un champ lexical lié à ce qu’il connote, comme la révélation divine (Dieu communique la connaissance à l’Humain), la découverte miraculeuse d’une information dissimulée, ou bien encore une donnée nouvelle et qu’il a fallu extraire de haute lutte pour la porter aux oreilles du public.

Si en lisant ces lignes vous vous dîtes que c’est une interprétation personnelle et exagérée de ce terme, imaginez simplement dans quels contextes le mot révélation est habituellement utilisé. Affaire judiciaire : les révélations du présumé coupable. Contexte religieux : la révélation faite aux prophètes par le Tout Puissant. Ambiance Gala/Voici/Paris Match : les révélations sur les fréquentations de Johnny. Politique : la vérité sur le 11 septembre : les révélations des autorités américaines. Etc.

La connotation de ce mot est puissante et évoque sans qu’on s’en rende compte un fait caché, qui doit être porté à notre connaissance. On pourra ainsi parler d’effet impact pour ce terme avec un fort penchant pour le mystérieux et le sensationnel.

Mais l’effet impact le plus fort est sans doute celui du mot quantique. Pour exprimer ce que l’on peut ressentir en lisant ce terme – qui plus est accolé au mot « vie » – nous n’avons pas trouvé mieux que ce qu’écrivait notre ami Richard Monvoisin :

La mécanique quantique est actuellement la théorie scientifique qui crée le plus fort complexe d’infériorité intellectuelle. Il y a bien la Relativité, qui n’est pas mal non plus, tout comme la Théorie du Chaos, mais aucun autre terme ne conjugue autant science, mystère et complexité intellectuelle que le mot quantique.
Mécanique quantique. Il faut le dire dans un murmure, avec un air un peu mystérieux et les yeux plissés. En susurrant « méca-Q », comme les initiés, ou en l’écrivant MQ comme je le ferai dans la suite de cet article, on pense à Einstein, on pense aux Bogdanoff, on se dit qu’on pénètre là dans le temple de Delphes, dans la sacristie de la connaissance où tout est tellement obscur qu’il est difficile d’y distinguer un authentique prix Nobel de physique d’une paire de jumeaux russes médiatiques.
Au lycée, avant que je l’étudie pour de bon, le mot quantique était pour moi ce que le feu rouge des Humains est pour Louie, le roi des singes dans Mowgli : j’y voyais un pouvoir qu’il fallait acquérir à tout prix. J’avais envie de m’approcher, de pénétrer des connaissances interdites, mais avec cette peur de me brûler, de devenir fou, de savoir ce qu’il ne faut pas savoir, même d’approcher Dieu et de vérifier si effectivement il joue ou non aux dés.
Je n’avais pas du tout compris que je devais essentiellement cette fascination à un bon plan médiatique.

Quantoc : l’art d’accommoder le mot quantique à toutes les sauces. Richard Monvoisin, 2010

On peut toujours rétorquer que, bien entendu, si tout ceci est un peu exagéré dans la présentation, l’important est le sens de ce titre ! Eh oui, la vie serait quantique… que nous dit donc S&V sur ces « révélations » ?
La suite ici.

À plus tard pour de nouvelles aventures sur les rapports médias/science.

RM