Critique de la psychanalyse sur les ondes publiques

cortex_freud-fraude_francoisbFait suffisamment rare pour être souligné, une émission de science du service public, que nous avons souvent critiquée et qui fait souvent la part belle aux approches psychodynamiques, relaye un discours critique radical sur la psychanalyse et l’héritage freudien. Nous souscrivons à beaucoup de choses défendues par Didier Pleux, et si le débit rapide un peu cassant de Sophie Robert ne sert pas son propos, rappelons le combat qu’elle mène depuis des années – et que nous soutenons, ici, – en dénonçant la mainmise de l’approche psychanalytique sur les enfants développant un spectre autistique.

C’était dans La tête au carré, sur France Inter, le 14 octobre 2015. Vous goûterez peut être les grands classiques rhétoriques sur la question, servis par les courriels des auditeurs pendant l’émission mais aussi par Matthieu Vidard lui-même.

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Sophie Robert

Télécharger l’émission

Et pour aller plus loin, on pourra regarder, en famille ou non, le documentaire de Sophie Robert sur les déconvertis de la psychanalyse, où l’on reconnaîtra avec plaisir notre ami et soutien Jacques Van Rillaer, qui est venu bien souvent faire des cours critiques avec nous sur le campus de Grenoble et a produit des ressources(voir entre autres ici, , et ).

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Didier Pleux

Autres films de Sophie Robert sur le site Dragon Bleu TV.

Vidéo – Disputatio n°1 – L'art du débat rationnel

Vous qui aimez la réflexion critique, et en avez marre des débats stériles boursouflés d’arguments fallacieux, découvrez la DISPUTATIO. L’art de la dispute mêlant humour, rationalité et enjeux de société ! Pensée par Richard Monvoisin et Raul Magni Berton, cette dispute scolastique a pris corps avec la contribution de Nicolas Vivant, François Blaire, Clara Egger et Ismaël Benslimane.

Le prototype de la disputatio a été pensé il y a un an maintenant, entre Richard, Clara et Ismaël : comment traiter rationnellement, sans sophisme un raisonnement contradictoire bipartite, tout en permettant au public de se former un peu aux entourloupes rhétoriques ? Le format dit « à l’américaine » de 20 minutes d’exposé chacun, puis 10 minutes de réponses pour chaque partie, nous paraissait adéquat, ayant pu voir des Dawkins, des Shermer ou d’autres ferrailler dans ce format avec des théologiens.

Nous avions dans l’idée de traiter des sujets relativement intemporels, comme pénalisation ou libéralisation de la prostitution, afin de fouiller où ça fait mal, mais sans urgence sociale. C’était sans compter sur notre collègue Raul, expert des questions de référendums d’initiative populaire, et sur le contexte grenoblois assez particulier – la Mairie actuelle mêlant un rassemblement citoyen Front de Gauche / Verts unique en France pour une ville dépassant les 100 000 habitants, et ayant justement promis dans sa campagne des processus référendaires. Or le calendrier présentait justement une votation populaire, en ce début d’octobre 2016 : le CLUQ (comité de liaison des unions de quartier) contestait et demandait l’abrogation de la loi régissant le stationnement à Grenoble, laquelle avait été récemment votée, mais sans, dixit le CLUQ, la concertation avec les citoyens pourtant promise.

Alors voici ce que nous avons fait.

Nous avons « dégigogné » les questions imbriquées, afin d’éviter des plurium, ce qui nous a donné un canevas de trois niveaux de discussion auxquels devaient se référer les confériencier.es. Nous avons remis à jour notre légendaire liste d’arguments moisis (voir ici), et nous l’avons photocopiée pour le public, puis avons réservé l’amphithéâtre Weil du campus de l’Université Grenoble-Alpes, gracieusement prêté par la présidence. Nous avons invité le CLUQ, qui a dépêché deux personnes, et la Ville, qui fit de même. Nous avons calé cet événement à la suite du cours zététique & autodéfense intellectuelle, afin de permettre aux étudiants d’y assister facilement malgré l’heure, et la municipalité de Grenoble nous a aimablement dépêché un petit buffet pour que les étudiants ne meurent pas de faim en enchaînant les deux temps.

Le plan du soir fut celui-ci :

  • présentation du dispositif d’initiative populaire
  • introduction sur les sophismes et argumentaires fallacieux classiques
  • puis 20/20/10/10 : tirage au sort de la partie qui commence, puis 20 mn de présentation pour chaque partie, puis 10mn de réponses aux arguments de la partie adverse
  • système d’arbitrage : deux juges de touche ont la possibilité d’arrêter le débat si une entourloupe argumentative est déployée.
  • vérification par les faits (fact checking) : en cas d’utilisation d’une donnée chiffrée, possibilité de vérifier en direct la valeur de la donnée
  • puis le public pourra transmettre ses propres questions.

Voici le résultat.

Vidéo en haute qualité disponible en téléchargement ici.

Le prototype a eu quelques défauts sur lesquels nous reviendrons, mais un certain nombre de qualités, dont l’une non des moindres de permettre le débat le plus assaini sur le sujet depuis la campagne de protestation du CLUQ. C’est déjà ça. Jugez sur pièces.

Parution des mémoires de Mario Bunge – Entre deux mondes, mémoires d’un philosophe-scientifique

cortex_mario_bungeMario Bunge (pronconcez à l’espagnole [ˈbuŋxe], si vous voulez avoir l’air initié) est né en 1919. Philosophe et physicien argentin, installé au Canada, il est professeur émérite de logique et de métaphysique à l’université McGill de Montréal. Principal théoricien du matérialisme actuel, il est l’auteur de près d’une centaine d’ouvrages et de plusieurs centaines d’articles. Une légende pour les membres du CorteX. Nos copains des éditions Matériologiques publient ses mémoires à l’instant, traduites par le camarade Pierre Deleporte. Pénétrons entre deux mondes.

Le physicien et philosophe Mario Bunge a attendu 2015 et sa quatre vingt seizième année pour rédiger ses mémoires. C’est dire si la fresque qu’il nous propose ici est riche en idées, en événements (emprisonnement, exil, échecs et succès, honneurs et adversité), en prises de position, en troubles de l’Histoire, en jaillissements de savoirs, en ferments pour un matérialisme du XXIe siècle. 

L’« entre deux mondes » que le titre évoque se comprend de multiples façons. Bien sûr, d’abord par la position singulière de Mario Bunge, autant scientifique que philosophe, véritablement à l’interface de ces deux mondes savants. Savoirs scientifiques
et culture humaniste sont liés et Bunge voyage d’un monde à l’autre, sans se soucier d’une dichotomie courante qui contribue à un inutile conflits des savoirs.

C’est aussi un entre-deux-mondes géographique et social : une première vie en Amérique du Sud, puis le départ définitif pour l’Amérique du Nord. Une telle autobiographie se doit de revenir sur les aspérités de la vie comme sur ses bonheurs, tout comme elle doit tracer les trajectoires des rencontres avec des centaines d’éminents savants, amis ou adversaires. Avec une franchise inhabituelle dans ces milieux feutrés, au détour des pages fusent les concepts, les théories, les leçons pour les temps présents, les appels à la raison, les mises en garde contre les obscurantismes et les vaines promesses. Encore des entre-deux-mondes…

L’auteur nous convie à l’exposé d’une vie de travaux incessants dans presque tous les grands domaines savants, permettant ainsi aux lecteurs francophones d’aborder les rives d’un vaste continent de connaissances, alors qu’il existe très peu de livres de Bunge en français, moins encore de biographie… Et si l’on adhère à ses idées, à sa démarche, à sa méthode, à son humour parfois cinglant, c’est avec un plaisir rare que l’on peut se sentir appartenir à une sorte de confrérie, celle des amoureux de la pensée rationaliste et humaniste, et de son partage.

Merci aux éditions Matériologiques pour ce cadeau.

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Sommaire (table des matières détaillée ici)
Avertissements de l’éditeur, par Marc Silberstein (page 3)
Avant-propos de Mario Bunge (page 11)
Chapitre 1 : Enfance (page 13)
Chapitre 2 : Adolescence (page 43)
Chapitre 3 : Université (page 75)
Chapitre 4 : Apprentissage scientifique (page 107)
Chapitre 5 : Apprentissage philosophique (page 147)
Chapitre 6 : Premiers emplois (page 181)
Chapitre 7 : Professeur itinérant (page 227)
Chapitre 8 : Le Canada et le réalisme scientifique (page 261)
Chapitre 9 : Philosophie exacte (page 301)
Chapitre 10 : Matérialisme systémique (page 351)
Chapitre 11 : Biophilosophie (page 399)
Chapitre 12 : Monisme psychoneural (page 433)
Chapitre 13 : Philosophie sociale (page 475)
Chapitre 14 : Idées bizarres, lieux étranges,
événements extraordinaires (page 505)
Chapitre 15 : Philosophie pratique (page 543)
En guise d’épilogue (page 581)
Postface : Ma vie avec Mario, par Martha Bunge (page 587)
Index des noms (page 609)
Bibliographie complète de Mario Bunge (page 621)

CorteX Masaru Emoto

Chimie & New Age – expérimentation de l'eau cristal de Masaru Emoto

Masaru Emoto était un chercheur autodidacte japonais, diplômé en « médecine alternative » par l’Open International University for Alternative Medicined’Inde, qui affirmait l’existence d’effets de la pensée et des émotions sur l’eau. Au moyen d’études pour le moins étranges, qu’il n’a ni reproduit sous contrôle, ni publié dans une revue scientifique à comité de lecture, il avançait (car il est décédé en 2014) e qu’on peut changer la structure de l’eau, et créer des cristaux particuliers, simplement en écrivant sur la bouteille des émotions, comme amour, haine, etc. Hélas, la notoriété de ses travaux dépasse largement leur qualité. Il aura été jusqu’au bout président de l’institut de recherche d’IHM Corporation, ainsi que président du Project of Love and Thanks to Water, et son mouvement prend des contours de plus en plus nébuleux.
Au printemps 2012, à l’Université de Grenoble, nous avons tenté avec un groupe d’étudiantes de reproduire avec rigueur ses affirmations.


Rappel

CorteX 30 Emoto Peace projectCela faisait un certain temps que cette « théorie » revenait comme un refrain, à plus forte raison lors de l’écriture de Quantox. J’avais en mémoire l’extrait de What the [bleep] do we know, ce documentaire New Age retentissant, où l’on voit présentés Emoto et ses messages d’amour, au travers d’une exposition de photographies de cristaux d’eau et un commentaire déclamant en substance :

« Si une telle action est possible sur l’eau (sachant que notre corps est composé de 95% d’eau) imaginez l’action possible que cela pourrait représenter sur nous-mêmes. »

Avec des si, on peut dire beaucoup de choses. Et c’est le physicien mystique Amit Goswami, connu pour ses tentatives de réconciliation de la science avec l’Advaita Vedanta1 et la Théosophie2, qui vient conclure ainsi :

« Mais si la réalité est constituée par les possibilités de ma conscience (…) je peux créer moi-même la réalité. Cela peut sembler une théorie nébuleuse d’un adepte du New Age qui ne comprend rien à la physique. Mais c’est ce que nous enseigne la mécanique quantique ».

Avec des si, on mettrait l’eau d’Emoto en bouteille.

Dans mon unité d’enseignement Zététique & autodéfense intellectuelle de l’Université de Grenoble (ici), les étudiants ont pour tâche d’étudier les théories controversées. En mai 2012, quatre étudiantes, Emmanuelle Baffert, Samantha El Hamaoui, Manon Frances et Coline Verluise ont retroussé leurs manches et se sont attelées à la besogne : retrouver les détails de protocole de Masaru Emoto, et tester son affirmation centrale avec tout le soin requis.

La première phase fut éminemment complexe, puisque M. Emoto n’a donné aucun détail précis, et n’a pas publié ses recherches ailleurs que dans ses livres grand public, en particulier Le message de l’eau (1999). La seconde a nécessité patience et circonspection. Le tout fait l’objet d’un article en cours de publication. En attendant, un document vidéo a été réalisé qui donne quelques détails pertinents.

Voici leur remarquable dossier, ainsi qu’un film de leur protocole.
Vidéo

Gardons bien à l’esprit que les affirmations d’Emoto sont reprises partout, tant dans la gamme des médecines « quantiques » que dans certaines théories pour le moins problématiques, comme la galvanoplastie spirituelle de la Fraternité Blanche Universelle : selon certains, les images mentales se transmettraient au fœtus par l’eau selon la théorie de l’eau-cristal, justement de Masaru Emoto3.

Gageons qu’ils sauront revenir sur leurs propos si la théorie se révèle fausse.

Richard Monvoisin

PS : Masaru Emoto est décédé, en octobre 2014, après ce travail.

1C’est l’une des six écoles de la philosophie hindoue orthodoxe.

2La théosophie est une branche métaphysique relancée vers 1875, basée sur la communication avec les Esprits Invisibles et fondée sur un syncrétisme à base de traditions de l’hindouisme et du bouddhisme. Pour en savoir plus, on lira R. Mahric & E. Besnier, Le New Age, son histoire, ses pratiques, ses arnaques, Castor Astral (1999).

3Dans Bertin M-A., La prévention la plus fondamentale, l’éducation prénatale créatrice, journée  » Pédiatrie  » du Centre d’Études Homéopathiques de France, Paris, 12 janvier 2002. Pour en savoir plus, j’avais écrit ici Petite histoire fraternelle, blanche et universelle, Publication de l’Observatoire Zététique (POZ) N°36.

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Barreaux en fer et verrous mentaux – Tribune

Ce texte a été écrit à six mains en janvier 2016, puis, malgré notre réticence médiatique, a été proposé comme tribune au Monde afin de donner un écho à la cause qui y est défendue. Las ! Le journal a demandé à ce qu’on formate le texte en 5000 signes, puis, une fois le travail effectué, a refusé, invoquant l’actualité débordante. Quant à nous, nous invoquons Charles-Guillaume Étienne, dramaturge français oublié, qui par sa pièce Bruis et Palaprat (1807), a rendu proverbiale cette expression : « on n’est jamais mieux servi que par soi-même ». Voici la version de notre tribune, non raccourcie. Rappelons qu’en tant que tel, une tribune est une expression plus qu’un article de fond, avec sources, références, etc. Alors ce texte est dédié à tous.tes cell.eux qui se plaignent qu’il y a trop de notes de bas de page dans nos articles. Cette fois, zéro.

C’est un secret de polichinelle que de révéler l’inefficacité du système carcéral en terme de réinsertion sociale. En voici un autre bien plus volontiers gardé : les quelques stratégies pédagogiques plébiscitées par les détenus vont probablement être sacrifiées à l’urgence d’État.

Donnons de la chair à notre inquiétude.

Depuis 2011, le collectif CORTECS déroule avec succès à Montpellier et à Grenoble, des enseignements de critique des médias au sein de quelques maisons d’arrêt.
Le pari effectué par les enseignants est celui-ci : partir du matériel accessible, en l’occurrence les médias, pour en faire l’analyse, la dissection et la déconstruction éventuelle. Sous forme de cours formels et d’ateliers, la méthode consiste à illustrer quelques aspects essentiels de la pensée critique, aussi bien sur des falsifications d’images, que sur des mésusages de chiffres, ou des discours publicitaires, propagandistes, racistes, sexistes, complotistes, sectaires, etc. Cet outillage est exactement le même que celui délivré dans des cours spécifiques de pensée critique et d’autodéfense intellectuelle sur certains campus. L’ambition des enseignants est simple : détourner leurs étudiants des manières de douter stériles, souvent conspirationnistes, parfois sectaires très en vogue – à plus forte raison dans un contexte aussi confiné que la prison – pour élaborer un art du doute méthodique, rationnel et se donnant les moyens de ses critiques. À moyen terme, ce matériel intellectuel tend à former des citoyens qui ont une meilleure prise sur leur environnement, donc en sont moins des victimes passives. Il n’a jamais eu prétention à remettre les personnes détenues dans la « moralité », dans le rang, sur la route des braves gens qui n’aiment pas que l’on suive une autre route qu’eux. Il s’agit de transmettre l’outillage critique nécessaire pour faire des choix en connaissance de cause – autant que faire se peut.

Avant les attentats ayant ensanglanté la France métropolitaine en 2015, l’action de nos enseignements était lente, mais pérenne, mobilisant des énergies individuelles au sein du Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) ou chez d’autres enseignants, générant parfois quelques soubresauts de l’institution, mais sur un fond d’indifférence courtoise : la pensée critique était logée à l’enseigne par exemple du théâtre d’impro, ou du macramé. Les détenus étaient contents, il n’y avait pas de problème majeur. Pour enseigner heureux, enseignons cachés.

Dès le 7 janvier, le regard a changé, et s’est mis à doublement loucher. D’une part, en tant que spécialistes des dérives sectaires, nous avons vu pleuvoir sur nous des sollicitations sur le thème « djihadisme, la nouvelle forme de secte ».

D’autre part, nous avons vu les institutions carcérales lorgner sur nos formations, laissant entendre qu’il fallait « rééduquer » le moudjahidin en devenir, l’ayatollah en chemise de bure, le salafiste larvé.

Alors profitons-en pour éventer quelques idées reçues car, si l’on veut réellement éviter des drames comme ceux que nous avons vécus, il faut regarder la réalité, et non une réalité fantasmée.

D’abord, si mécanique sectaire il peut y avoir dans certains cas, elle ne se met en branle que dans un deuxième temps. Le moteur principal du ralliement à des méthodes combatives type djihad valorisant la lutte armée est principalement politique : oui, ces jeunes sont fâchés.

Cela n’excuse pas leurs actes, comprenons-nous : ça les explique, ça donne les racines du problème. Et le problème est sous nos yeux : le sort réservé aux différentes vagues d’immigration, l’urbanisme post-colonial, le racisme ordinaire est l’un des aspects ; la France en conflit armé par ingérence, bien plus au nom d’enjeux économiques que de causes humanistes, en est un second. Il suffit, lorsque le système scolaire signe sa faillite, de saupoudrer sur ces jeunes têtes des grilles de lectures religieuses au lieu de grilles politico-économiques, et le tour est joué : un peu comme voir des banquiers juifs partout au lieu de décortiquer les inégalités économiques qui ne cessent de s’accroître.

Au lieu de critiquer la politique coloniale d’Israël, ou la violence du régime syrien, et forger une solidarité humaniste avec les peuples désespérés, fabriquons une solidarité religieuse. Renonçons à la lecture profane des conflits , la lecture binaire est si facile, la tripe religieuse si simple à activer. Troquons Lumumba contre Ben Laden, Franz Fanon contre Abd al-Aziz Ibn Baz, Kwame Nkrumah le pacifiste panafricaniste contre Abo Bakr al-Baghdadi. Que le recrutement « djihadiste » soit ensuite à l’image des structures sectaires, soit : mais que ce soit chez Aum vérité suprême, l’Ordre du temple solaire ou chez les Raëliens, la source de recrutement n’était pas un mécontentement généralisé par une classe opprimée.

La question qu’il faut accepter de se poser est : de quoi les attentats signent-ils la faillite ? Assurément la nôtre, collective : sinon comment comprendre que des individus, sains d’esprit, ni brillants ni fous, qui grandissent adossés à nos institutions trouvent enthousiasmant, plus enthousiasmant que tout, de tuer des personnes inconnues ?

Notre travail est d’enseigner, de forger une pensée, d’encourager, comme disait Montaigne à « frotter et limer nostre cervelle contre celle d’autruy« . Or nous voyons les gros sabots carcéraux arriver : même si nos interlocuteurs directs ont bien tenté de nous rassurer sur ces points, le discours ambiant nous laisse craindre fortement qu’il s’agisse, dans le cadre du plan de lutte anti-terroriste (PLAT), non plus de former, mais de détecter des détenus dangereux, de collaborer avec l’institution, de les faire rentrer dans le droit chemin.

Oublieux de la substantifique moelle de nos cours, des élus et des administratifs pensent que nous pouvons « déradicaliser » : or, non seulement nous n’avons aucune compétence pour mesurer un quelconque degré de radicalisation, mais le simple fait de nous associer à une telle démarche rendrait tout simplement impossible la poursuite de nos enseignements : comment, en effet, passer au crible de l’analyse critique une idée ou une représentation du monde dite radicale qui, exprimée par un détenu, conduirait à son signalement ?

D’ailleurs, nos enseignements sont radicaux : d’une analyse lucide, et la plus objective possible, nous faisons en sorte que la colère sourde des détenus s’oriente dans le maelström de notre monde complexe plutôt que prétendre éteindre les flammes de cette colère politique. On entend sans cesse le discours alarmiste : « la jeunesse n’est plus politisée ». Mais si, justement. Or, pour critiquer ce programme théocratique totalisant, il faut d’abord reconnaître la nature fondamentalement politique des revendications portées par ces jeunes.

Tout pompier dira d’ailleurs qu’à part poser pour la photo et donner l’illusion de faire quelque chose, il n’y a guère de sens à arroser le haut des flammes d’un incendie. Donc non, contrairement à ce que nous demandent les DCRI, nous ne simplifierons pas artificiellement le problème. Voir un mécanisme sectaire dans le djihadisme revient à voir une folie collective ou un empoisonnement à l’ergot de seigle dans la montée du national-socialisme allemand. C’est pathologiser le problème artificiellement, en faire un furoncle à extraire à la pince. Envisager de réquisitionner nos cours à succès pour en faire un appareil de redressement mental ? Sans façon merci.

Ils se disent radicaux ? Soyons nous-mêmes radicaux, étymologiquement parlant, allons intellectuellement à la recherche des racines. Nous verrons que la menace qui rôde se repaît de notre politique extérieure plus que de l’âme de gens sous emprise. Et nous aurons enfin de vrais leviers pour l’affamer.

Guillemette Reviron, Clara Egger, Richard Monvoisin.

Dossier étudiant 2016 – Y a-t-il un effet propre des tisanes qui font dormir ?

Ce travail sympathique, frais, et bien emmené a été réalisé par un groupe d’étudiant-es de licence de l’Université Grenoble-Alpes, dans le cours de Zététique & autodéfense intellectuelle en mai 2016. Il prenait appui sur un article de la revue indépendante (des industries) Prescrire, qui indiquait que de toutes les plantes suspectées d’agir sur le sommeil (mélisse, oranger, tilleul, verveine odorante, etc. ) aucune n’avait une efficacité démontrée, hormis éventuellement la valériane (voir ci-dessous). En attendant, c’est là que la pensée critique libère : au fond, peu importe ce que vous mettez dedans, il semble que ce soit le bol d’eau chaude qui aide à dormir. Ça signifie que vous ne serez plus en panique si vous tombez en rade de tisane somnifère. Merci les étudiants !

Du latin tisana (orge mondé puis décoction d’orge qui, dans l’Antiquité, était utilisée contre la fièvre)1, la tisane désigne une « boisson aqueuse contenant une faible proportion d’une substance végétale peu chargée en principes médicamenteux »2.

La tisane est vendue en grande surface, dans les petits commerces, en pharmacies. C’est la vente en pharmacie qui semble des plus intéressantes au delà de son commerce, c’est une spécialité médicale et une science « ayant pour objet la recherche, la fabrication, le contrôle, le conditionnement et la distribution des médicaments »3, le médicament étant une substance employée à des fins thérapeutiques pour rétablir l’équilibre dans un organisme perturbé. Il semble donc convenable, dans ce contexte, de qualifier la tisane de produit pharmaceutique : elle est considérée comme ayant un effet, a priori thérapeutique sur la santé du consommateur. Nous traiterons brièvement, dans notre développement, des intérêts financiers des vendeurs de tisanes, notamment à travers le marketing qui mise sur l’aspect naturel de ces produits. Cependant, la fabrication et l’usage de la tisane peuvent se faire de manière domestique ; sur l’île de la Réunion, les plantes sont très usitées pour leurs vertus médicinales et consommées en tisanes. Autour d’elles est organisé tout un système de croyances et de rites que décrit Jean Benoist (médecin et anthropologue), dans son article « À la Réunion, la plante entre tisane et prière »4

Étudier la tisane suppose donc de commencer par faire intervenir le sens commun : pour la plupart des consommateurs de tisane, cette dernière serait l’une des alternatives aux médications dites « dures », la recherche d’un retour vers le naturel, le « bio ».
Quelles sont les vertus hypothétiques, et prouvées, de la tisane sur le sommeil ? En premier lieu, nous traiterons des différents enjeux que soulèvent le business de la phytothérapie et ses acteurs tout en distinguant santé du corps (bien-être) et santé au sens médical. Ensuite, nous aborderons les différentes plantes utilisées dans la composition des tisanes « qui font dormir » et l’état des recherches sur ces dernières. Pour continuer, nous nous attarderons sur la description de notre entretien avec un pharmacien dans la pharmacie grenobloise de La Mandragore, pour enfin proposer un plan expérimental de recherche susceptible de pouvoir tester l’efficacité propre des différentes composantes communément associées dans la fabrication des tisanes pour le sommeil.

Pour commencer notre analyse, il nous a paru intéressant d’ébaucher une analyse sociologique de l’engouement suscité par la multitude des produits prétendument facilitateurs du sommeil et qui garantiraient le « bien-être » : un concept flou aujourd’hui très en vogue.
Les troubles du sommeil affecteraient un tiers de la population générale (selon Maurice M. Ohayon5) et leur manifestation est traditionnellement divisée en deux classes : les dyssomnies (anomalie au niveau de la qualité et la quantité du sommeil) et les parasomnies, caractérisées par la survenue d’événements physiologiques ou comportementaux qui perturbent le sommeil (e.g. apnée du sommeil). À la vue des chiffres très élevés de prescriptions de médicaments hypnotiques, pour lesquels la durée de traitement doit être limitée et dont la prise entraîne souvent beaucoup d’effets secondaires pénibles (e.g. amnésie antérograde dans le cas de la Zopiclone)6 on comprend mieux l’envie des patients de vouloir améliorer leur sommeil en utilisant des méthodes moins invasives, mais dont l’efficacité n’a bien souvent pas été démontrée scientifiquement. L’industrie pharmaceutique a quant à elle bien saisi les enjeux financiers que soulève ce nouveau marché.

Si, dans la même veine, le marché des compléments alimentaires a lui aussi largement pris son essor et engendré des recettes colossales, alors que l’absence d’efficacité voire la toxicité de bon nombre de ces produits est reconnue (avec un certain cynisme ?) par les industries qui les produisent (Journal Télévisé de 20h du 23 avril 2016 sur France 2)7, cette industrie du bien-être s’est assurément développée dans les sociétés occidentales récemment, en parallèle avec les chiffres des prescriptions d’anxiolytiques. Car si l’efficacité de ces traitements n’est pas toujours prouvée, on peut s’attendre à ce qu’elle soit fluctuante voire inexistante et que certains patients souffrant de troubles du sommeil, en privilégiant ces remèdes, ne passent à côté d’une prise en charge qui serait susceptible de les soulager de leurs troubles.

Un autre aspect de la croissance de cette consommation pourrait être d’ordre conjoncturel et spirituel, puisque le marché estampillé « Bio », et la médecine traditionnelle holiste font l’objet d’un véritable engouement dans le contexte actuel, caractérisé par une défiance à l’égard des grands groupes pharmaceutiques dont la réputation est maintenant entachée par de nombreux scandales très médiatisés (e.g. Mediator, vaccins contre l’hépatite et, plus récemment, la Dépakine). Lors de notre enquête dans différentes pharmacies grenobloises, il nous est apparu que toutes les tisanes, infusions et autres huiles essentielles détenaient toutes le label Agriculture Biologique (AB), l’assurance pour le patient-client d’acheter un produit naturel, exempt de tous les traitements chimiques, également connus et craints pour leurs conséquences néfastes sur la santé8. Après avoir questionné 50 personnes à la sortie des quatre pharmacies visitées sur leur statut perçu (client ou patient) dans une pharmacie, 72 % d’entre eux se considèrent comme des patients et non comme des clients. Toutefois, 78 % d’entre eux estiment que l’achat des adjuvants au sommeil comme les tisanes qui nous intéressent ici ne relevaient pas du domaine du soin mais plutôt de celui du commerce ; ce qui renvoie donc à un modèle « vendeur-client » et non plus à celui du« soignant-soigné ». Cette distinction est importante dans la mesure où elle aide à clarifier la démarche commerciale sur laquelle la vente de ces produits repose ; les industriels cherchent à dépasser le paradoxe ici révélé par le sondage : la vente en pharmacie, le label AB permettent à la tisane sommeil de passer du côté du médicament en quittant l’univers de l’alimentaire alors même que son efficacité reste incertaine.

La vente de ces tisanes et plus généralement de tout facilitateur de sommeil à base de plantes est dopée par un marketing assez agressif : affiches publicitaires, publicités dans les magazines à très grand tirage comme le TV Magazine, etc. Il est cependant difficile de donner une estimation des recettes attenantes à ce commerce, les industries pharmaceutiques faisant preuve d’une relative opacité quand il s’agit de rendre public leurs bénéfices. La vente de ce type de produits en pharmacie repose sur d’autres aspects : le contact avec le client est direct, certaines pharmacies ou herboristeries réalisent elles-même leurs tisanes (cf. partie 3), la proximité et la persuasion sont dans ce contexte des éléments déterminants pour la vente.
Nous avons passé en revue les différentes plantes utilisées dans les tisanes pour améliorer le sommeil, tout en cherchant à cerner leur utilité et leur efficacité.

Dans sa thèse, « Les troubles du sommeil chez la personne âgée : état des lieux sur les thérapeutiques et rôle du pharmacien à l’officine »9

Thibaud Lamotte présente la phytothérapie comme une des thérapeutiques « alternatives » en cas de plainte de troubles du sommeil exprimés par une personne âgée. Dans cette partie, nous traiterons exclusivement des plantes que l’on retrouve dans la composition des tisanes pour le sommeil. D’abord, Thibaud Lamotte assure que les plantes vendues en pharmacie à des fins thérapeutiques sont soumises à des allégations santé délivrées par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé, une allégation santé étant « une indication ou une présentation qui suggère un lien entre le produit et la santé ». Il ajoute que les allégations santé « sont fondées sur une efficacité prouvée ou reconnue par un usage traditionnel ». Autrement dit, l’usage traditionnel (qui « doit être démontré sur une durée de 30 ans »), n’est pas un critère scientifique objectif pour établir l’efficacité des propriétés d’une plante ; il n’est donc pas nécessaire de prouver l’efficacité d’une plante pour la lancer sur le marché pharmaceutique.

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Il est à souligner que 222 allégations santé sont reconnues et autorisées en Europe. Toutefois, il paraît important de passer en revue les principales plantes utilisées dans les compositions de tisanes pour le sommeil.
La valériane, qu’on retrouve dans les compositions de tisane, est la seule plante dont on puisse penser que son efficacité soit prouvée. Elle sert à « soulager le stress et ses symptômes et faciliter le sommeil » 10 et Thibaud Lamotte va même jusqu’à affirmer qu’elle « comporterait une activité proche de certains hypnotiques prescris à faible dose ». La valériane est donc l’une des rares plantes dont les propriétés soient démontrées, selon cette étude. Cependant, une autre étude, plus ancienne (Taibi et col. 2007)11, nuance ce propos : ces chercheurs pointaient à l’époque le manque de preuves cliniques de cette efficacité tout en mettant en garde contre certains biais. « La concentration de certains constituant de la valériane varie selon que la plante soit fraîche ou sèche et les études sur les extraits de racine sèche ne peuvent être généralisées aux préparations réalisées à base de racine fraîche. »

La passiflore n’interviendrait que dans les troubles légers du sommeil mais l’état des études sur celle-ci reste insuffisant pour se prononcer sur une quelconque efficacité propre. De plus, l’anxiété et le stress étant fortement liés aux troubles du sommeil, l’aubépine et la mélisse sont deux plantes dont les bienfaits supposés aideraient à réduire les « faibles troubles du sommeil ». Dans les deux cas, il n’est pas possible de se positionner scientifiquement quant aux réels bienfaits de ces plantes. Enfin, certaines plantes peuvent avoir une fonction de complément dans la composition des tisanes, notamment le tilleul, dont l’efficacité n’est pas prouvée scientifiquement et dont le qualificatif de « complément » laisse supposer que son action seule serait nulle ou infime.
Deux points méritent d’être soulignés sur les plantes qui viennent d’être listées. Premièrement, la plupart ne sont reconnues que par l’usage traditionnel : cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas efficaces pour réduire les troubles du sommeil, simplement que l’état de recherche sur celles-ci est insuffisant pour présumer de leur inefficacité, autant que de leur efficacité. Deuxièmement, ces plantes sont souvent associées entre elles dans les compositions de tisane : la tisane « Herbesan bio sommeil » associe la mélisse, la passiflore et l’aubépine ; la tisane « Médiflor », elle, associe la valériane, la passiflore, l’aubépine, la mélisse et le tilleul ; quant à la « Tisane provençale N°4 » trouvée en pharmacie, elle est un mélange de tilleul, de passiflore, et d’aubépine. Il est donc impossible de tester l’efficacité de ces tisanes, puisqu’il est impossible, dans le cas des tisanes comportant de la valériane, de vérifier que les autres plantes présentes ont elles aussi des propriétés améliorant le sommeil sans les tester séparément. Pour les tisanes sans valériane, la tache pourrait sembler plus aisée, seulement, on ne connaît pas les potentiels d’association de ces plantes, lesquels seraient susceptibles d’inhiber l’effet de certaines plantes composant le mélange. Il serait donc intéressant de tester les effets associés des différentes substances, mais uniquement après avoir validé leur efficacité individuelle.

Pour compléter ce dossier, nous avons décidé d’interroger des pharmaciens sur les gammes de produits qu’ils proposent dans leurs rayons « Phytothérapie » ; nous en avons visité quatre, mais aucun pharmacien n’a su nous orienter vers une étude démontrant par l’expérimentation les propriétés myorelaxantes/ d’apaisement/ anti-réveils nocturnes etc. des plantes, propriétés que ces mêmes pharmaciens n’ont aucun mal à nous vanter de prime abord.
Nous allons donc, à titre d’exemple, décrire notre visite de la pharmacie de la Mandragore, située en plein centre de Grenoble près de la place Victor Hugo, spécialisée dans la phytothérapie.
Arrivés à la susdite pharmacie, nous constatons la présence d’une imposante étagère en bois sur le côté droit, contenant tout une gamme de produits issus de la phytothérapie et de surcroît faits « maison », allant de l’hydrolat (reste de la distillation lors de la fabrication d’huiles essentielles) aux gélules en passant également par ce qui nous intéresse ici : les tisanes. Nous interpellons donc une des deux personnes présentes dans la pharmacie pour recueillir des informations sur ces dernières ; celle-ci consent à nous expliquer le choix des plantes qui a été fait mais ne peut nous en dire plus sur les fondements scientifiques qui appuient ces choix, n’étant pas pharmacienne titulaire. Cela ne l’a pas pour autant empêché de nous vanter les effets du basilic sur la détente musculaire et de la lavande « apaisante », deux des quatre plantes utilisées dans la composition de leur Tisane Sommeil, les deux autres n’ayant qu’un intérêt visuel (rose pâle) et gustatif (menthe douce), pour une tisane tout de même vendue à un prix avoisinant la dizaine d’euros.

Plus tard, pour un autre produit, on en vint à parler de la valériane (précédemment citée) qui est, selon ses dires, elle aussi utilisée pour la détente musculaire mais plus puissante à cet usage que le basilic, pourtant présent dans leur Tisane Sommeil.
Après avoir passé en revue tous les produits en vente relatifs au sommeil et avoir listé les effets prétendus de chaque plante utilisée, nous avons demandé s’il était possible de parler au titulaire présent dans la pharmacie pour discuter des méthodes mises en places pour le recueil et l’analyse des données sur ces végétaux ; malheureusement, il nous fut impossible de nous entretenir avec le pharmacien titulaire, celui-ci nous évitait délibérément après qu’il fut informé de notre requête, retranché dans son arrière-boutique…
Nous sommes revenus le lendemain matin, et cette fois nous avons pu parler à un autre pharmacien titulaire ; il nous a expliqué d’abord qu’il recevait des bulletins d’analyse pour chaque lot de plantes utilisé pour la confection de ses tisanes, qui lui confirment que la plante est bien celle qu’il cherche à avoir, lui indique si l’échantillon est conforme sur le plan bactériologique et également que les principes actifs sont présents à plus de 20 ml par kilogramme. Nous avons ensuite cherché à savoir d’où provenaient les informations relatives aux effets des plantes, ce à quoi il répondit que des travaux de thèses avaient été effectués et avaient montré l’efficacité et la non-toxicité de certaines plantes, mais que les plantes ne pouvant être brevetées comme les molécules, les laboratoires pharmaceutiques ne cherchaient pas à effectuer de réelles expérimentations sur les plantes médicinales.

Nos autres entrevues en pharmacie se sont déroulées à peu près de la même façon ; on pouvait nous décrire avec beaucoup de détails comment telle ou telle plante pouvait soulager le stress, détendre les muscles ou encore réduire la température corporelle pour favoriser le sommeil, mais les sources restaient floues. Certains citent des travaux de thèses que l’on ne retrouve pas (à l’exception d’une), d’autres encore, qui ne vendaient que des tisanes pour le sommeil provenant de groupes pharmaceutiques (Tisane Herbesan, Picot, Médiflor, Nutrisanté, etc.), s’en référaient à l’éthique et à la bonne foi de ces groupes, déclarant que les produits vendus en pharmacie étaient testés d’une manière ou d’une autre. Cette série d’entretiens en pharmacie a constitué le premier pas de notre enquête, puisqu’à son terme, nous ne savions toujours pas d’où provenaient les informations…

Nous nous rendons compte qu’il existe un manque d’expérimentation et donc de validation des effets thérapeutiques et parfois même de la toxicité12 des plantes utilisées en phytothérapie ; dans le cadre des tisanes censées favoriser le sommeil qualitativement, un grand nombre de plantes sont utilisées et nous en avons fait un inventaire, non exhaustif, néanmoins représentatif de ce que l’on peut trouver dans le commerce. Le problème de la validation des effets thérapeutiques de ces plantes pourrait être résolu par une expérimentation dans laquelle on écarterait les variables parasites tout en effectuant, sur un échantillon assez conséquent pour permettre une validation statistique de la réplicabilité des effets observés, des tests, plante par plante. Ce qui va suivre est une ébauche de ce qui pourrait permettre la validation ou la réfutation des effets hypothétiques de nombreuses plantes précédemment citées.

Parmi les variables parasites à contrôler, l’hétérogénéité des temps de sommeil dans la population pourrait être contrôlée par identité, c’est à dire que nous ne prendrions, par exemple, que des personnes dormant entre 7 h et 8 h par 24 h (moyenne des 25-35 ans [12]).

Autre variable parasite, le type et la gravité des problèmes de sommeil ; comme nous l’avons vu précédemment, la parasomnie est à différencier de la dyssomnie et les effets supposés des plantes vont également dans ce sens, certaines sont censées favoriser l’endormissement et la qualité du sommeil, d’autres empêcher les réveils nocturnes. La méthode de contrôle par identité semble ici aussi adéquate : selon les effets hypothétiques de la plante testée, nous ne prendrions que des individus souffrant de parasomnie ou de dyssomnie, en privilégiant des personnes qui souffrent gravement de ces troubles pour des résultats plus visibles (insomnies sévères : problèmes de réveils nocturnes ou d’endormissement plusieurs nuits par semaines et pendant plusieurs mois13.
Le sexe est classiquement contrôlé par croisement (50% hommes /50% femmes), et l’âge le serait par identité pour correspondre à la première variable contrôlée (25-35 ans).

Avec un échantillon conséquent et répondant aux modalités précitées, nous pourrions suivre un protocole expérimental tel que le suivant pour valider ou réfuter les hypothèses émises sur chaque plante.
Nous débuterions avec la répartition aléatoire des individus dans les deux modalités de la variable indépendante, que l’on pourrait appeler « régime », avec pour les uns la plante à tester et pour les autres une plante sans effet. Chaque soir pendant deux semaines, les individus prendraient en infusion et suivant la posologie indiquée (pour permettre une homogénéité de la quantité prise) les plantes données, et au réveil répondraient à un court questionnaire pour évaluer la qualité de leur sommeil (questionnaire type Vis-Morgen). En complément, chaque individu pourrait, avant les deux semaines de traitement et après, passer une polysomnographie (examen des différents paramètres respiratoires, des mouvements de l’activité électrique du cerveau pendant une nuit de sommeil)14.

La comparaison entre l’avant et l’après traitement chez les individus ayant testé une plante comparativement à ceux n’ayant eu qu’une plante de type placebo pourrait permettre de savoir si oui ou non ces plantes ont un réel effet sur la qualité du sommeil.
Cette proposition d’expérience, pourrait permettre d’évaluer l’efficacité propre des plantes utilisées classiquement dans les compositions des tisanes pour le sommeil. Une fois réalisée, d’autres expériences pourraient être faites de la même manière pour mesurer cette fois les degrés de synergies entre les plantes ayant montré une efficacité suffisante.

L’efficacité propre de la « tisane qui fait dormir » n’a jamais été prouvée, simplement car l’efficacité propre de ses diverses composantes ne l’a jamais été non plus. Dans le cas de la valériane, les études se contredisent : impossible alors de dire que les tisanes prétendument facilitatrices de sommeil qui en contiennent ont un effet qui ne soit pas dû au hasard. Il est toutefois intéressant, d’un point de vue sociologique, d’analyser les raisons de ce réel engouement à l’égard des produits naturels et bio qu’ont su utiliser les laboratoires pharmaceutiques, qui profitent de leur position hégémonique sur ce marché pour vendre et « marketer » des produits dont l’efficacité propre n’est en tout cas pas avérée. La question de l’efficacité mériterait d’être posée pour d’autres types de tisanes censées pallier d’autres problèmes physiologiques, en prenant garde de tester chaque plante indépendamment et sous leurs différentes formes (sèche, fraîche…) avant de tester leurs éventuelles propriétés conjointes.

Axelle VITALIS
Teddy MERLE
Raphaël MESTRE
Karine BOUHDID

Best of – Les meilleurs dossiers Z du semestre 22, mai 2016

Chaque semestre depuis 2005, les étudiants de l’UE transversale « Zététique & autodéfense intellectuelle » produisent des dossiers d’enquête sur des sujets « critiques ». SI certains dossiers sont vraiment peu exploitables, d’autres sont vraiment de très beaux travaux, qui contiennent certes parfois des erreurs ou des fautes, mais témoignent d’une démarche intellectuelle exigeante, d’une vérification des sources et des informations présentées, et allant pour quelque-uns jusqu’à l’élaboration de protocoles expérimentaux. Cette fois, cartes mystérieuses, psychologie de la santé, protocole Reiki et PNL, de la musique, du lait, des cartes étranges….

L’objectif à terme serait de mettre tous les dossiers réussis depuis dix ans. J’ai réussi à le faire le semestres 20 (ici) et 21 (). En attendant, en mai 2016 m’ont été rendu 74 travaux (hors rattrapages), dont voici à mon avis (subjectif) les plus stimulants. Bien sûr il y a des coquilles, des fautes d’orthographes, des maladresses, mais pour des étudiant-es commençant leur parcours universitaire, on aura vu bien pire, et difficilement mieux. Bravo à elles/eux.

RM

Sur les questions de santé :

Cancer et rôle de l’état psychologique – Camille CHAULAIC, Tristan DIENY, Mathieu KLEIN, Alexandre LEUILLET. Télécharger ici. En annexe, deux audios à écouter :

Homéopathie, le savoir des pharmaciens – Thibaud AYMOZ-BRESSOT, William BLANC, Anaëlle BRION, Lise BRUN, Yoann JULLIARD, Wivina MARCELLINI, Thomas MERCIER, Cheyenne PILLOUD, Marina PONS, Noémie RIEDINGE. Le résultat de cette enquête est proprement stupéfiant. Télécharger là.

La pratique du Reiki – Sonia BOUAÏCHA, Yoann BOUCARD, Marie BOUVIER, Thi-My-Phuong DO, Alexandre GAÏD-BONNET, Sylvain SASSE. Voir l’article ici.

Vertus curatives de la forêt de Vallin, où en est-on ? – Daniel CHARBONNEL, Cyril CHARDON, Kevin BIBET. Télécharger là. Retour sur cette vieille affaire qui a vu plusieurs groupes d’étudiants travailler.

Deux dossiers furent réalisés sur les arguments de Thierry Souccar sur le lait, chacun apportant son lot d’arguments :

  • Thierry Souccar et le lait – Matthieu BATTIER, Elda BAUDA, Vincent CHAUVEAU, Blandine LYONNARD, Justine PAGNIER, Baptiste SERRE. Télécharger là.
  • Les arguments scientifiques avancés par Monsieur Thierry Souccar sur le lait de vache permettent-ils de sérieusement nous alerter sur sa consommation de masse ? – Fanny LA MANNA, Mehdi DJEGHDIR, Julien NOIRAT, Millian DE MAGALHAES. Télécharger ici.

La tisane qui fait dormir – Karine BOUHID, Teddy MERLE, Raphaël MESTRE, Axelle VITALIS. Voir l’article ici.

Le statut ambigu du baume du Tigre – Mathilde ARGAUD, Camille COUTAZ, Fracy DAMOUNE, Ilona DOS ANJOS, Robin DURAND (la version au point arrive sous peu).

Barreurs de feu – critères de sélection à l’hôpital de Grenoble – Solène JOUANNY, Sébastien JOUSLIN, Benoît JOUSSEAUME, Maryse NAPOLEONI, Charlotte PASCAULT, Trygve PRESTGARD. Télécharger là.

Deux bons dossiers sur des cartes mystérieuses :

La carte de Piri Reis – Théo BAUDRY-SHERRY, Elisa BUT, Mouctar Mamadou DIALLO, Lounis MILOUD. Télécharger là.

La carte du Vinland est-elle un faux ? – Julien DEBARD, Félicien GIRAUD.Télécharger ici.

Un peu d’archéologie :

Les sépultures « déviantes » de Kilteasheen – Solenne BARRY, Matthieu BEAL, Iliana GHAZALI, Heniek KATGELY, Bastien TERRIER. Télécharger là.

Archéologie et nazisme – Léo FRANCKE, Maël MOREL, Dorianne SANTO, Meriam ZORGATI. Télécharger là.

De la psychologie :

La vague – The third wave – Ronan CLEREC, Andréine ULIANA, Johanna VATTIER, Laëtitia MASSO, Juliette CONJARD. Télécharger là.

Série Lie to me : la théorie des lapsus faciaux de Ekman est-elle valide ? – Océane BEQUIE, Mégane GELLENS, Clémence PECARELLA, Clément PLANTADE, Héloïse POIROT, Noémie ZEBY. Télécharger ici.

Test de l’affirmation PNL : quelqu’un qui ment regarde vers la gauche, quelqu’un qui dit vrai vers la droite ? – Adrien ALEXANDRE, Perrine BREYTON, Kimberley BRUN, Julie MALIGE. Télécharger ici.

Les expériences de sortie de corps – Paul CANGE, Guillaume ENSENLAZ, Marine REBOULLET, Chloé SUDRE. Télécharger là.

Du complotisme :

MK Ultra et L’affaire du Pain Maudit de Pont-Saint-Esprit – Cléa BOIRON, Sarah DUCREUX, Ingrid EYROLLES, Léa HOUBRE 1

. Télécharger ici.

Et pour les musicologues :

Le LA 432Hz ou « Le Diapason Verdi » : est-il légitime de mettre le LA à 432Hz comme hauteur de référence ? – Didier FLORENT et Baptiste MESSINA. Télécharger ici.

Mention originalité pour ce dossier bringuebalant, mais dont les auteurs se sont creusé la cervelle :

Étude du prix d’une vie – Lucie Rizzo, Hugo Vincent.Télécharger là.

Dossier étudiant 2016 – Protocole expérimental du Reiki, et un peu d'histoire

Voici un très intéressant travail sur le Reiki réalisé par les étudiant-es de Licence de l’Université Grenoble-Alpes en mai 2016. Les tests se sont déroulés dans les bureaux du CorteX. Toute la rédaction est de leur fait (quand c’était nécessaire, j’ai fait des notes, en italiques, notées NdRM, notes de Richard Monvoisin). A la fin, j’ai indiqué l’extrait de notre ouvrage Tout ce… qui concerne le Reiki.

[Toc]

Très brièvement, qu’appelle-t-on le « Reiki » ?

Le Reiki est une technique de soin visant à soigner des zones pathologiques par « apposition des mains ». Cette dernière vient du Japon.
Elle date du début du 20eme siècle. Le Reiki se définit comme étant une « énergie universelle de vie » qui se transmettrait par les mains dans un but de guérison. Pour en devenir praticien, il suffirait de 6 à 7 jours de formations aux côtés d’un thérapeute « confirmé » (qui maîtrise cette pratique).
Il existe des écoles de Reiki, mais le Reiki ne fait l’objet d’aucunes reconnaissances légales, c’est donc une pratique non conventionnée.  Chacun peut donc se déclarer « maître Reiki ».

Notre dossier ci dessous, a pour simple but de vérifier l’existence de cette « énergie universelle », et ainsi de pouvoir répondre à la question suivante : quelle est la validité scientifique du Reiki ?
Pour ce faire, nous avons choisi de tester scientifiquement cette pratique, à l’aide d’une expérience, dont voici le protocole expérimental.

Protocole expérimental : Reiki

Introduction

Dans le cadre du cours autodéfense intellectuelle de notre professeur Richard MONVOISIN (2016) (NdRM : je ne suis pas Professeur, c’est un titre universitaire bien précis que je n’ai pas), notre équipe s’est intéressée au Reiki, sa pratique mais surtout sa validité scientifique.
Alexandre GAÏD-BONNET, membre de celle-ci en est un praticien, nous allons donc avec celui-ci mettre en place un protocole expérimental visant à tester scientifiquement cette pratique.
Alexandre ressent lors de ses consultations, de la chaleur au niveau de ses mains, qui s’avère être plus ou moins intense en fonction des personnes et des zones perçues. Il ressent une « énergie » chez chacun.
Dans le cadre de sa pratique de soin, ce phénomène présente un « trou », un « creux » lorsque ses mains approchent une zone pathologique.

Élaboration du protocole

Le professionnel dit être capable de ressentir la présence de quelqu’un grâce à son énergie.
Alexandre nous affirme percevoir un signal les yeux fermés à travers les vêtements, lorsqu’il est placé à 40 cm d’un sujet en position debout.
L’équipe convient donc de le laisser choisir la personne qu’il ressent le mieux (sujet C défini plus bas).
L’énergie ressentie ne laisse pas de traces à l’endroit où se trouvait le sujet, une fois celui-ci parti.

Nous posons alors les hypothèses suivantes.
Hypothèse théorique : le professionnel est capable de déceler la présence ou l’absence d’un individu grâce à son énergie uniquement.
Hypothèse opérationnelle : le professionnel est capable de déceler la présence ou l’absence d’un individu face à lui sans aucunes conditions restrictives et derrière un paravent, muni d’un casque antibruit.

Protocole expérimental

Matériel :
– 2 casques antibruit ;
– une toile opaque ;
– du gros scotch ;
– une lampe de chevet ;
– 4 paires de bouchons d’oreilles ;
– un masque de nuit ;
– un dé.

Le nombre de passages est de 100.
Nous prenons un seuil α=0.01. (NdRM : nos jeunes collègues ont mis le calcul plus bas – ici, ils indiquent le risque de première espèce). Le nombre de réussites doit être supérieur à 65 pour être une réussite.                                 

Variable indépendante : présence réelle vs. absence de l’individu
Variable dépendante : détection de la présence du sujet vs. absence

Alexandre est d’accord pour rendre l’expérience accessible au public.

Test en « ‘blanc »

cortex_reiki_2016_test
Le praticien de Reiki faisant le test

Début avril (2016), les membres du groupe se sont réunis chez Sylvain pour se familiariser avec le protocole et le finaliser.
Premièrement Alexandre a testé chacun des membres et choisi celui dont l’énergie est la plus perceptible. Il choisit le sujet C.
S’en est suivi un tirage au sort qui détermina le rôle de chacun dans l’expérience (Alexandre étant indifférent concernant la personne qui sera à ses côtés lors de l’expérience).
Sylvain et Yoann sont quant à eux chargés de la randomisation des passages (présence vs. absence du sujet).

Individu A : le professionnel (Alexandre)
Individu B : indique quand le professionnel peut commencer sa tache et note les indications de celui-ci (absence vs. présence du sujet)

Sylvain et Yoann procèdent à la randomisation des passages à l’aide d’un dé. Ils repartissent sur deux exemplaires une série de 0 (absence du sujet) et de 1 (présence du sujet ). Le tout constituant 20 passages.

L’individu se place en face du sujet qui lui-même se trouve devant le professionnel.
Ce dernier a mis une écharpe autour de ses yeux, des bouchons d’oreilles et un casque de musique.
Sylvain et Yoann donnent un exemplaire de la randomisation à l’individu D puis s’isolent.
Ce dernier indique au sujet quand se placer devant le professionnel. Une fois le sujet en place l’individu D tape un coup sur un mur pour indiquer à l’individu B que le sujet est prêt. L’individu B place le professionnel dans l’axe du sujet, celui-ci lève son pouce s’il sent la présence du sujet et forme un zéro avec son pouce s’il n’en sent pas, puis se retire. Le professionnel dispose d’un temps illimité. L’individu B note les indications du professionnel.

L’individu D prend connaissance du signal émis par le professionnel, lance un chronomètre de 10 s, puis fait signe au sujet de se placer ou non (pouce levé : placement vs. zéro avec la main: ne se place pas).
Après les 10 s, il retape un coup sur le mur.
L’expérience est réitérée 19 fois.
Puis, on vérifie que les comptages des deux parties congruent.

Résultats du test en « blanc »

(NdRM : est appelé ici test en blanc le test de réglage, en quelque sorte la répétition générale).

(Suivi à la lettre de la procédure présente dans le protocole expérimental sur le magnétisme de l’Observatoire zététique, cf. bibliographie)

Le nombre de passages valides est de 19/20 : N=19
Le professionnel avoua avoir effleuré les cheveux du sujet lors d’un passage.
Nous calculons alors le nombre d’essais minimum réussis  pour pouvoir valider l’hypothèse.

La probabilité de succès pour chaque essai est de 0.5. « La fourchette dans laquelle se trouve plus de 99% des essais sont centrées autour de M=Np (nombre de résultats attendus en moyenne) plus ou moins un intervalle I donné par la formule suivante :   I=3√[N*p*(1-p)]  On obtient alors : M=9.5 et I=6.54

La nouvelle fourchette est donc :
M-I<M<M+I soit 2,96<9.5≤16.04

Le résultat doit alors être supérieur ou égal à 16 pour être statistiquement recevable.                           

Lors du dépouillement des résultats, nous avons obtenu :

  • essais valides : 19
  • essais réussis : 11
  • essais échoués : 8

Le résultat du test-blanc n’est pas bon : c’est un échec. (NdRM : on ne peut cependant rien en tirer en soi, puisque c’est un test en blanc, émaillé de détails rédhibitoires).

La personne émettrice et sa randomisatrice
La personne émettrice et sa randomisatrice

Expérience finale

Dans les locaux du CorteX, nous prenons les mêmes dispositions que lors du test blanc, et répartissons les rôles de la même manière. Cependant, nous contrôlons certaines variables supplémentaires.

Variables contrôles :
– on dépose une toile opaque au niveau de l’encadrement de la porte, le sujet et le professionnel et leurs assistants s’y placent de part et d’autre de celle-ci.
– L’individu D et le sujet sont séparés de Sylvain et Yoann qui sont dans la pièce à côté, porte fermée.          
Après la randomisation, ils font passer le tirage par la fente de celle-ci a l’individu D.
– Le professionnel porte un masque de nuit (à la place de l’écharpe)
– Les individus B et D, le sujet et le professionnel portent des bouchons d’oreilles.
– L’individu B et le professionnel portent des casques antibruit par dessus.
– L’individu B indique au sujet et à l’individu D que le professionnel est prêt en levant son pouce par dessus la toile.
– Le signal qui indique que le sujet est en place est ici une lampe de chevet se trouvant dans la pièce dans laquelle sont le professionnel et son associé. Le fil de celle-ci passant sous la toile permettant à l’interrupteur de se trouver du côté de l’individu D et de son sujet.
– Les membres de l’équipe n’ont aucun moyen de communication virtuelle (téléphones, ordinateurs…)

Trois pauses sont faites à 25, 50 ; et 75 passages.
A la pause qui suivit le 50eme tirage, le professionnel et l’individu D sortirent de leur pièce, nous conduisant à une nouvelle randomisation pour les 50 derniers passages.

Résultats du test final

Indication d'un signal non ambigu : une lampe (qu'elle soit "à sel" est contingent, c'est la seule lampe de chevet du bureau)
Indication d’un signal non ambigu : une lampe (qu’elle soit « à sel » est contingent, c’est la seule lampe de chevet du bureau)

(Suivi à la lettre de la procédure présente dans le protocole expérimental sur le magnétisme de l’Observatoire zététique, cf. bibliographie)

Le nombre de passages valides est de 100/100 : N=100
Nous calculons alors le nombre d’essais minimum réussis  pour pouvoir valider l’hypothèse.

La probabilité de succès pour chaque essai est de 0.5.

« La fourchette dans laquelle se trouve plus de 99% des essais sont centrées autour de M=Np (nombre de résultats attendus en moyenne) plus ou moins un intervalle I donné par la formule suivante :   I=3√[N*p*(1-p)] »

On obtient alors : M=50 et I=15

La nouvelle fourchette est donc :
M-I<M<M+I soit : 35<50≤65

Le résultat doit alors être supérieur ou égal à 65 pour être statistiquement recevable.

Après dépouillement nous avons :

  • essais valides : 100 ;
  • essais réussis : 51 ;
  • essais échoués : 49.

Le résultat de l’expérience conclue à un échec.                                           

Conclusion

Au terme de cette expérience, le résultat est décevant.
Nous sommes de tout cœur avec Alexandre pour qui l’expérience se solde d’une double déception : en plus de l’échec de l’expérience il doit faire face au fait que ses soins ne présentent pas plus d’effet qu’un placebo (NdRM : ce point est inexact : les étudiant-es n’ont montré que le fait que le sujet ne pouvait distinguer par Reiki la présence ou l’absence de l’émetteur, pas que ses soins étaient placebo. En outre, contrairement à ce que nous avons bien étudié en cours, l’effet placebo est une notion complexe qu’il vaut mieux subdiviser en différents effets contextuels).  Il fait cependant preuve d’un grand fair-play.
Avant l’expérience il nous affirmait qu’il saurait accepter le résultat quel qu’il soit, et ce fut le cas. Nous admirons tous son attitude.

Limites de l’expérience

  • Il n’a pas été possible pour nous d’expérimenter le Reiki sur des patients faute de moyens et de temps. Nous incitons donc vivement d’autres chercheurs à le faire.
  • Bien que l’expérience ait été effectuée en suivant un rigoureux protocole expérimental, elle n’a été faite qu’une fois. Peut-être avons nous omis certaines variables/détails/biais expérimentaux. Nous incitons donc d’autres chercheurs à la reproduire avec de nouveaux locaux, de nouveaux sujets, professionnels.. et même dans d’autres contextes socioculturels.
  • Nous avons tenté de contacter mercredi 4 mai 2016 un professionnel du domaine, le chercheur et kinésithérapeute Nicolas PINSAULT, afin de prendre connaissance de son point de vue sur cette pratique. Ce dernier, sûrement très pris par son travail, (NdRM : il faut dire que vous l’avez contacté à la dernière minute !) nous a affirmé « avoir trop peu travaillé la question pour nous donner un avis éclairé ». Nous le remercions tout de même d’avoir pris le temps de nous répondre.

Bibliographie (NdRM : assez maigrelette, il faut le dire – mais devant un si joli protocole, on ne leur en tiendra pas rigueur) :

Une partie de l'équipe, avec quelques victuailles
Une partie de l’équipe, avec quelques victuailles

DO Thi-My-Phuong : L1 biologie
SASSE Sylvain : L1 Science de la Vie et de la Terre
BOUAÏCHA Sonia : L2 psychologie
BOUCARD Yoann : L1 biologie
BOUVIER Marie : L1 biologie
GAÏD-BONNET Alexandre : L1 chimie-biologie

Extrait de Pinsault N., Monvoisin R., « Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles« , Presses Universitaires de Grenoble,pp. 98-99

Reiki (1922)
[Fondateur] Mikao Usui (Japon) (1865-1926), moine bouddhiste.

L’histoire du fondateur est fortement controversée. Il est dit que, fréquentant un temple bouddhiste Tendaï (tradition du Grand Véhicule) au nord de Kyõto, Mikao Usui étudia d’abord le Kiko, version japonaise du Qi Gong (« exercice de Qi », en mandarin), gymnastique traditionnelle chinoise proposant une méthode de respiration fondée sur la maîtrise du Qi, l’énergie vitale alléguée. Sous l’influence d’un « maître », Watanabe Kioshi Itami, il aurait changé d’école bouddhiste en 1894, passant de Tendaï à Shingon (un des bouddhismes tantriques, la grande différence tenant dans la possibilité d’atteindre l’état du bouddha dans cette vie-ci, et non dans une autre).
On a prêté à Usui des études de psychologie (ce qui est peu probable pour l’époque), de médecine (ce que nous n’avons pu vérifier) et un doctorat en théologie de l’université de Chicago, mais l’unique source, The Reiki handbook (Arnold & Nevius, 1992), est pour le moins douteuse (son coauteur étant Larry E. Arnold, bien connu entre autres pour avoir développé des thèses paranormales fantaisistes sur les auto-combustions humaines « spontanées »).
Après vérification, comme l’indique le site ihReiki.com dans son article Historical Reiki inconsistencies, personne de ce nom n’étudia à ladite université dans cette période. Bref, Usui, en proie à des difficultés financières, aurait décidé d’embrasser la carrière monastique et c’est en 1922 qu’il fit une expérience de mort imminente (« visions » ou « sensations » consécutives à une mort clinique ou à un coma avancé), ainsi qu’un satori (une illumination) pendant une retraite jeûnée sur le Mont Kuruma-yama. Il y « reçut » le Reiki. Il ouvrit alors un, puis deux centres, et créa son enseignement.

Mais cette histoire est douteuse et remaniée plusieurs fois. Des héritiers spirituels, en particulier la maître Reiki Hawayo Takata (1900-1980), créèrent de toutes pièces des détails, comme une prétendue inspiration de Usui par le personnage de Jésus, afin de
mieux exporter la méthode en « Occident ». Pire encore, des faux documents prêtés à Usui lui-même étaient en fait l’œuvre d’un faussaire, par ailleurs faux psychologue et faux enseignant de Reiki, le Lama Yeshé, qui s’avéra être… un faux Lama, Richard Blackwell.
Les fraudes et inventions de Blackwell ont dupé et dupent encore un certain nombre de praticiens Reiki, ce qui lui a valu les foudres d’une grande part de la communauté. Blackwell rebondit et fit une résolution de dissonance cognitive spectaculaire en se déclarant en ‘‘channeling’’ avec Usui lui-même. Puis il affirma être poursuivi par la CIA, avant de disparaître vers la fin des années 2000.

Mode de découverte : une épiphanie.
Scientificité de la découverte : aucune publication scientifique publiée du fondateur.
Principe théorique non étayé : l’imposition des mains apporterait des soins dits « énergétiques ».

L'effet Will Rogers, ou effet de migration des stades

L’effet de migration des stades (stage migration en anglais), ou effet Will Rogers, en hommage à l’acteur du même nom qui aurait déclaré « quand les Okies 1 quittèrent l’Oklahoma et vinrent en Californie, ils élevèrent l’intelligence moyenne des deux côtés ».

En déplaçant un élément d’un groupe à l’autre, on peut paradoxalement faire monter la moyenne dans… les deux groupes ! Représentons-nous par exemple un ensemble de patients qui indiquent sur une échelle de 1 à 10 la douleur moyenne qu’ils
ressentent. On crée un groupe A à douleur faible, A = {1, 2, 3, 4} et
un groupe B de douleur forte, à partir de 5, soit B = {5, 6, 7, 8, 9}

Si l’on fait la moyenne de chaque groupe, on obtiendra 2,5 pour A,
et 7 pour B.

Mais imaginons que les normes d’inclusion changent, et que par exemple, après une recommandation de l’Organisation mondiale de la Santé, 5 est finalement considéré comme faible. Les groupes deviennent alors A = {1, 2, 3, 4, 5} et B = {6, 7, 8, 9}. Or
de ce fait, la moyenne (notée ci-dessous μ) de A est montée à 3, et celle de B, à 7,5. Les deux groupes ont vu leur moyenne augmenter.

Situation 1
A = {1, 2, 3, 4} ->  μ = 2,5
B = {5, 6, 7, 8, 9} ->  μ = 7

Situation 2
A = {1, 2, 3, 4, 5} -> μ = 3
B = {6, 7, 8, 9} ->  μ = 7,5

Quelles en sont les conséquences ? Si le système de détection d’une maladie par exemple s’améliore et permet du dépistage précoce, certains individus passeront du groupe des sujets en bonne santé vers le groupe des sujets malades. À travers ce changement, la moyenne de la durée de vie augmentera paradoxalement dans les deux groupes, et cela quel que soit le traitement que l’on fera. On aura ainsi tendance à conclure à l’efficacité du traitement, alors que c’est un problème d’un critère d’inclusion dans les groupes qui a changé 2.

Nicolas Pinsault, Richard Monvoisin

(tiré de Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles, aux éditions PUG).

On trouvera un autre exemple dans « Le dépistage organisé du cancer du sein : outils d’autodéfense intellectuelle » de N. Darbois et G. Reviron.

Travaux pratiques : la théorie de l'anus du Cardinal Carrera

Vous êtes déjà bien entraîné-e à la recherche du finalisme en biologie, n’est-ce pas ?1. Cette fois, un petit exercice sur le pouce : quelles critiques peut-on faire à la « théorie de l’anus » du Cardinal Carrera ?

Norberto Rivera Carrera est un cardinal mexicain de l’Église catholique romaine, archevêque de Mexico depuis 1995. En tant que prélat, il n’est pas censé parler de science – et le fait d’avoir été professeur de théologie et d’écriture sainte ne compense malheureusement pas. Or il s’est aventuré récemment (début août 2016) dans le terrain des sciences de la vie et de la terre en dispensant dans le journal Desde la Fe une leçon pour le moins frappante. La voici dans le texte.

“La mujer tiene una cavidad especialmente preparada para la relación sexual, que se lubrica para facilitar la penetración, resiste la fricción, segrega sustancias que protegen al cuerpo femenino de posibles infecciones presentes en el semen.

En cambio, el ano del hombre no está diseñado para recibir, sólo para expeler. Su membrana es delicada, se desgarra con facilidad y carece de protección contra agentes externos que pudieran infectarlo. El miembro que penetra el ano lo lastima severamente pudiendo causar sangrados e infecciones”.

Un enseignant d’espagnol sera ravi de proposer ce texte en version. Cela donnera quelque chose comme :

« La femme dispose d’une cavité spécialement conçue pour la relation sexuelle, qui se lubrifie pour faciliter la pénétration, résiste au frottement, secrète des substances qui protègent le corps féminins de possibles infections présentes dans la semence. A l’inverse, l’anus de l’homme n’est pas conçu pour recevoir, mais seulement pour expulser. Sa membrane est délicate, se déchire avec facilité et manque d’une protection contre les agents externes qui pourraient l’infecter. Le membre qui pénètre l’anus lui fait sévèrement mal, pouvant causer saignements et infections.» (traduction personnelle)

 Première erreur : le finalisme

Mon collègue Julien Peccoud répète souvent qu’en évolution, le « pour » n’a pas sa place. Rien n’est fait pour ceci ou pour cela. L’évolution des espèces s’est faite par séries de contraintes du milieu, sans but précis, sans plan. Le labelle de la fleur d’orchidée Ophrys apifera ne « choisit » pas de prendre la forme d’un abdomen d’abeille solitaire pour attirer les autres abeilles. L’humain n’a pas des jambes pour mieux porter les pantalons, ni un nez pour sentir (sinon, il aurait dû préférer la truffe du chien ou du cochon, bien meilleure en terme de performance olfactive). Les personnes qui postulent l’existence d’un dieu, ou d’un plan préalable, ont le droit de le faire, puisque c’est un postulat, une croyance, un acte de foi, et cela les regarde. Mais s’ils prennent leur acte de foi et le présentent aux autres comme un fait, alors ils doivent apporter des éléments à l’appui.

Or pour l’instant, la théorie de l’évolution n’a jamais eu « besoin » de plan prédéfini 2, de dessein, pour reprendre le célèbre terme qui a fait le succès populaire du Dessein Intelligent3. C’est une hypothèse coûteuse en trop, comme dirait Laplace, et comme l’indique le rasoir d’Occam, il n’y a aucune raison de la privilégier (pour creuser ce point, voir Rasoir d’Occam et le Dragon dans mon garage).

Par conséquent il est faux de dire que

  • la femme dispose d’une cavité spécialement conçue pour la relation sexuelle
  • qui se lubrifie pour faciliter la pénétration,
  • l’anus de l’homme n’est pas conçu pour recevoir,
  • mais seulement pour expulser.

Il faudrait dire en toute rigueur :

  • la femme dispose (généralement4) d’une cavité musculo-muqueuse car de génération en génération, les femmes porteuses de la variation « cavité » ont été plus en mesure de faire des enfants que celles qui en étaient dépourvues. 5. Ce caractère s’est donc davantage transmis….avec un mâle de la même espèce portant un pénis de dimension similaire ou approchant
  • Les femelles ayant une cavité de taille correspondante au pénis des mâles ont été avantagés dans la facilité de reproduction sans risque de déchirement et donc d’infections, et ont donc eu plus de descendants… et ainsi de suite.6
  • qui se lubrifie car parmi toutes les options empruntées par les diverses mutations, celle-ci s’est révélée plus efficace dans la maximisation du succès reproducteur des individus portant ce trait (ce caractère) – de même que par exemple, le peu d’innervation du vagin actuel, fruit des probables nombreux décès ou refus de coït devant la douleur qu’engendrait l’enfantement. Pour illustrer ça, pensons à des hérissonnes : toutes les hérissonnes dont les petits avaient des piquants sont probablement mortes en couche. De fait, les hérissonnes faisant des petits sans piquants se sont plus volontiers reproduites, et on les comprend.

etc.

Deuxième erreur : le raisonnement panglossien

En filigrane du finalisme de ses propos, le cardinal mexicain imprime des rôles prédéfinis aux organes. C’est l’une des spécificités des religions : imposer un ordonnancement du monde, avec des êtres bien à leur place et des organes bien à leur fonction. Ainsi a-t-on pu lire :

– que les femmes avaient été crées pour satisfaire les hommes,

– que les Noirs avaient les os et les sutures du crâne plus épais pour mieux recevoir les coups 7

– que les animaux sont mis à disposition pour le service des humains (considérés comme non-animaux)8,

– que les oiseaux ont des plumes pour voler, (ce qui est faux – on sait désormais que les plumes se développèrent car propices à la régulation de la température de certains reptiles. Le vol que certains développèrent n’est qu’une conséquence secondaire – depuis 1982, on appelle ce processus secondaire l’exaptation9),

– que les cerises sont rondes comme la bouche humaine et que les melons ont été prédécoupés par Dieu pour être mangés en famille10,

etc.

Le programme est prédéfini à l’avance, comme c’est le cas dans les raisonnements de type panglossien.

Ici, pour notre prêtre, le vagin est conçu (par Dieu) pour la relation sexuelle avec pénétration. Si vous pensiez, porteuses d’un vagin, vous en servir pour

– des relations homosexuelles, c’est péché

– des relations hétérosexuelles sans pénétration, c’est péché

– planquer des billets de banque ou une barrette de shit au parloir, c’est péché,

vous êtes hors des conditions d’usage recommandées par l’entité surnaturelle dans laquelle croit le monsieur, et qu’il vient vous imposer sans vous demander si vous souscrivez à la même.

De même pour l’anus : il serait conçu pour expulser, donc malheur à :

– la femme dans l’anus de laquelle un homme introduit un pénis / un doigt / un plug anal / un suppositoire / une sonde de dépistage…

– l’homme dans l’anus duquel une femme introduit un godemiché / un doigt / un plug anal / un suppositoire / une sonde de dépistage…

– l’homme dans l’anus duquel un homme introduit un godemiché / un doigt / un plug anal / un suppositoire / une sonde de dépistage…

Ce qui nous amène au troisième problème.

Troisième erreur : l’ordre moral immanent

Le cardinal imprime des rôles aux organes, dans la même ligne que son église a toujours imprimé des rôles aux individus : à la femme d’être bonne épouse, par exemple, et d’être soumise à son mari, comme on le lit dans la première épître de Pierre, chapitre 3, verset 111. Au vagin (de Maman) d’être bien lubrifié pour la pénétration (de Papa, pas de quelqu’un d’autre).

Soit cet ordre moral n’existe que dans la tête des croyants, auquel cas il n’a aucune raison de prendre la forme d’une leçon scientifique (qui rappelons-le a pour but de diffuser de la connaissance désubjectivée), et de ce fait le cardinal outrepasse ses droits avec un savoir obsolète.

Soit cet ordre existe (même si on ne peut pas le prouver) à la façon d’un destin. De deux choses l’une : si c’est un destin de Dieu, alors comment se fait-il que nombreux sont ceux qui ne le suivent pas ? Serait-ce un destin mou ? Et surtout, quand bien même il y aurait un rôle prédéfini, qu’est-ce qui nous empêche d’y désobéir ? Surtout si cette désobéissance, en l’occurrence sous forme de pénétrations diverses, n’entraîne aucune souffrance à personne – au contraire, bien souvent.

J’ai coutume de dire aux étudiants ceci : quand quelqu’un au nom d’une entité supérieure vous enjoint à suivre un destin (subir un dictateur, se voir cantonnée à des tâches subalternes, etc.), il n’y a rien de plus réjouissant intellectuellement que d’essayer de s’y insoumettre.

Quatrième erreur : l’argument de la douleur

Vous connaissez probablement l’effet bi-standard, qui consiste à changer de critère d’évaluation selon les circonstances. Ici Carrera précise : Le membre qui pénètre l’anus lui fait sévèrement mal et sous-entend dans sa diatribe que puisque douloureux, ce n’est pas bien. Or, bien que mes connaissances en pénétration anale ne soient pas démesurées, je sais que :

– il y a des choses que le cardinal trouvent bonnes et qui font pourtant mal : par exemple l’accouchement12 ;

– toutes les pénétrations anales par des « membres » ne font pas mal – cela dépend de la dimension du membre, de l’anus, mais surtout de la douceur et de la délicatesse du partenaire. En toute cohérence, le cardinal devrait tolérer les pénétrations anales qui ne font pas mal ;

– certaines pénétrations vaginales font mal – dans ce cas, dilemme, n’est-ce pas : le vagin est fait pour ça, mais ça fait mal, donc ça ne devrait plus être bien. Étonnant, non ?

– certaines pénétrations anales douloureuses ou désagréables sont somme toute plutôt souhaitables, depuis le toucher rectal (en cas de fécalome, de prévention du cancer de la prostate, etc.) jusqu’à la coloscopie.

Indication : le contexte est important

 Il faut replacer la saillie du cardinal dans son contexte. Depuis début août (2016) une polémique attise la ville de Monterrey, ville la plus cossue du pays, dans l’Etat du Nuevo Léon. Des élus issus de la droite catholique invitent les parents à brûler les livres, arracher les pages consacrées à la biologie et aux droits sexuels, voire à occuper les écoles. Luz María Ortiz, présidente de l’Union des parents d’élèves de l’Etat du Nuevo Léon, revendique pour certains livres distribués par l’Éducation publique une nouvelle forme de mise à l’Index (bien que l’Index librorum prohibitorum n’existe plus chez les Catholiques depuis 1966). Elle dénonce une incitation à la débauche, et comme le rapporte Libération le 25 août : «A force de marteler ces thèmes, les manuels provoquent des pulsions sexuelles précoces. En outre, on inculque aux enfants une idéologie de genre, leur faisant croire qu’ils peuvent choisir leur sexe.» Joignant le geste à la parole, la leader de la révolte parentale désigne un exercice pour élèves de CP, invitant ceux-ci à nommer les parties du corps sur des schémas. «Un éveil à la génitalité, selon elle. C’est un exercice isolé, il n’y a aucun développement, aucun encadrement. C’est comme leur lancer une bombe sans se préoccuper des dégâts

On peut parler de pseudo-controverse sur le plan scientifique. Pseudo car les questions introduites par les études sociales de genre ne sont pas aussi caricaturales que ça – il suffit de les compulser. La science a permis de comprendre que le sexe et le genre d’un individu ne sont pas toujours en accord, et qu’il est moralement loisible à une personne de changer de genre si elle le souhaite, puisqu’aucun destin, contrairement à ce que nombre de clercs ont souhaité faire croire de tout temps, ne préside aux choix de chacun. Pseudo encore car les études montrent qu’une information accrue sur la sexualité diminue fortement certaines souffrances sociales, comme les grossesses précoces 13

Pseudo enfin, par le caractère propagandiste et communautaire : rappelons-nous les réactions épidermiques de certains parents en France métropolitaine début janvier 2014, persuadés par des SMS qu’on apprenait à leurs enfants à se masturber en classe, à se travestir, que des intervenant-es gays et lesbiennes viendraient expliquer aux enfants comment on s’embrasse, que des associations juives (sic !) viendraient voir le sexe des enfants, que l’école diffuserait des films pornographiques, etc. Cette campagne, appelée JRE pour Journée de retrait de l’école, avait été portée par Farida Belghoul, et l’équipe d‘Egalité & Réconciliation d’Alain Soral.

J’avais écrit une conclusion à ce sujet, que j’ose à peine vous faire lire. Qu’au lieu de se préoccuper de la prédestination hypothétique et surnaturelle de nos organes, Monsieur Carrera devrait se consacrer à minimiser la souffrance collective ; qu’au lieu de préjuger de nos incuries, qu’il se consacre à sa propre curie, et qu’en guise de préoccupation pour nos anus, le cardinal ferait peut être mieux, entre nous, de s’occuper de ses propres fesses.

RM

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P.S. : le CorteX revendique une indépendance maximale vis-à-vis des industries. Qu’il permette pour une fois de mettre en avant une entreprise peu connue, celle de Magnus Irvin, edible anus, qui développe une gamme d’anus comestibles en chocolat, tout à fait adaptés pour des soirées de haute tenue. Cinq boites d’anus pour moins d’une quarantaine de dollars US, ici : mais à l’heure de clore ces lignes, l’entreprise est en rupture de stock.