CorteX_banania

Sociologie, anthropologie – Atelier sur le racisme ordinaire et la discrimination

Voici du matériel simple pour animer un atelier sur le « racisme ordinaire » avec des étudiants, des élèves ou du grand public. Il est possible de passer les documents, puis de débattre, ou bien d’ajuster chaque document à un savoir-être bien précis.

Introduction au préjugé

Ci-dessous, quelques documents permettant d’introduire la question du préjugé raciste, même avec un public jeune.

  • Le Noir et le ballon (vous avez la référence de cette vidéo ? Nous la cherchons. Édit du 27 septembre 2017 : merci à Anaïs De Winter qui a trouvé la source : il s’agit d’une pub Thaï de 1980 pour du dentifrice à pâte noire aux herbes du groupe Twin Lotus Company)

Télécharger là

  • Le nageur Moussambani, aux Jeux Olympiques de Sydney (1996)

Ou ici en meilleure qualité :

https://sport.francetvinfo.fr/les-jeux-olympiques/video-natation-un-athlete-ethiopien-fait-le-buzz

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Dans le cas présent, il s’agit de Stéphane Caron & Eric Besnard, riant de la mauvaise technique d’un nageur équato-guinéen, en gommant la génèse du problème.

Il est conseillé de regarder cette vidéo avant, et après avoir appris qu’Eric Moussambani n’avait appris à nager que depuis huit mois, n’avait jamais nagé 100 m d’affilée de sa vie, n’avait jamais vu de piscine de 50 m, car son entraînement ayant eu lieu dans une piscine d’hôtel de 20 m, seule piscine dans son pays. Sa fédération disposant de moyens inexistants, son maillot et ses lunettes lui ont été prêtés une heure avant l’épreuve par deux athlètes.

Note : il arrive parfois que cette seule vidéo amène le public à « essentialiser » le problème, en arguant du fait que « bien sûr, les Noirs ne flottent pas très bien, paraît que c’est à cause de leur mélanine », occultant du revers de la main avec un argument non-sourcé tout ce qui fait la génèse du fait que les Noirs Africains ont peu accès aux piscines. 

  • Nina Simone, la chanteuse noire

Dans son autobiographie Ne me quittez pas, Nina Simone raconte :

« A cause de Porgy, on me comparait souvent à Billy Holliday, ce que je détestais. Ce n’était qu’un morceau parmi tant d’autres à mon répertoire, et il suffisait de m’entendre l’interpréter pour comprendre qu’il n’y avait aucun rapport. Ce qui me rendait furieuse, c’est que visiblement les gens s’appuyaient sur la simple constatation que nous étions toutes les deux noires : si j’avais eu la peau blanche, personne n’aurait fait le rapprochement. (…) Me qualifier de chanteuse de jazz était une manière de dédaigner mon bagage classique, parce que je ne répondais pas à l’image de l’artiste noir que se faisaient les Blancs. Une forme de racisme : « puisqu’elle est noire, c’est forcément une chanteuse de jazz ». Un point de vue qui me rabaissait, tout comme Langston Hughes quand on le qualifiait de « grand poète noir ». Langston était un grand poète, un point c’est tout ; à lui, et à lui seul, revenait le droit de dire en quoi jouait la couleur de sa peau ». (Ne me quittez pas, Presses de la renaissance, 1992, p. 107).

Discrimination raciale dans les institutions

Le racisme ordinaire naissant sur du terreau « ordinaire », il est nécessaire de passer par des témoignages réels et actuels pour montrer la discrimination non seulement dans la vie, mais dans les institutions. Voici quelques exemples :

  • Injure raciale, France 3 Grenoble, 16 mars 2010

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  • Discrimination raciale de Jean-Marie, français d’origine béninoise à la Caisse Régionale d’Île-de-France, France Culture, Les pieds sur Terre 9 février 2011

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  • Discrimination d’un français d’origine maghrébine à la Brigade des Sapeurs-Pompiers de Paris, France Culture, Les pieds sur Terre 9 février 2011

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Matériel plus poussé

Il est possible ensuite d’incrémenter un peu le sujet, avec le matériel suivant, dans un ordre de complexité croissant.

  • Racisme ordinaire et début d’analyse socio-économique – Daniel Balavoine chez P. Gildas, Canal + (1985)

Comment le chanteur Daniel Balavoine et le présentateur Philippe Gildas ramènent sur le plan socio-économique la question du racisme ordinaire et bousculent des effets cigogne (confusions corrélation/causalité). Date présumée du document : 6 novembre1985.

https://www.youtube.com/watch?v=Dd4qNh4STgU

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  • Moustafa Kessous, journaliste du Monde, balaye quelques cas de racisme ordinaire dans la vie de tous les jours France Inter, Zapping, 26 septembre 2009)

  • Bi-standard pour le Rwanda – Clip de campagne I hate you, de Hands for hope

Attention ! Cette vidéo peut choquer un jeune public !

Ce clip introduit la différence de traitement médiatique selon la proximité du public avec le sujet qui souffre, en vertu de cette « loi » journalistique qui veut qu’un demi-mort local vaut mille morts lointains*. Il balaye aussi une représentation souvent primitiviste des « noirs qui s’entre-tuent »**, en transposant de manière plausible une scène dans un monde blanc (merci à Eric Bévillard, de l’Observatoire Zététique, de nous l’avoir transmis).

Note : ne sachant pas exactement ce qu’est l’objet social de l’association australienne Hands for hopes, j’utilise en public une version de la vidéo sans la mention de cet organisme.

  • Les propos de Nicolas Sarkozy, prélevés par Désentubages cathodiques (2007)

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Discours prélevés chez N. Sarkozy, avec les amalgames essentialistes suivants.

– Jeune des banlieues = pas de formation qualifiante = oisiveté = trafic

– Jeune des banlieues = non-blanc

– Musulman = faciès particulier (« ça n’a rien à voir avec la religion, quand on est musulman ça se lit sur sa figure »)

Passage incontournable : « Zinedine c’est formidable ! Mais les musulmans de France, ils sont capables aussi d’avoir des hauts fonctionnaires, des chercheurs, des médecins, des professeurs et si on ne donne pas à tous ces jeunes de banlieues des exemples positifs de réussir, comment ils vont croire en la République ? »

Racines de la discrimination

Le moment est tout indiqué pour réfléchir aux racines de la discrimination, sa genèse et la manière dont elle s’installe dans un groupe.

La leçon de discrimination, est un documentaire de 43 minutes tiré de l’émission Enjeux (Société Radio-Canada production) de Pasquale Turbide et Lucie Payeur (2006).

C’est une remarquable expérience lors de laquelle Annie Leblanc, enseignante dans une école primaire de Saint-Valérien-de-Milton, en Montérégie fait vivre à ses élèves du primaire la réalité des personnes qui subissent la discrimination en divisant sa classe en deux groupes sur un critère arbitraire – la taille -, un groupe étant valorisé et l’autre dévalorisé par l’enseignante. Ainsi la discrimination est subie par les grands la première journée, puis par les petits le jour suivant…

Le documentaire La leçon de discrimination est vendu en DVD aux professionnels de l’éducation. Pour plus deAnnie Leblanc indiquant la limite de taille renseignements, communiquez avec les Services éducatifs de Radio-Canada.

Notons que ce type d’expérience, aussi bouleversante soit-elle, n’est pas une première : il y eut entre autres celle de Jane Elliott (1968), discriminant à l’époque sa classe sur la base de la couleur des yeux.

Pour voir A class divided, (Frontline, PBS1), c’est ici (en version originale). Madame Elliott remit d’ailleurs une « dose » en 2010 avec une expérience intitulée How racist are you ? (Combien êtes-vous raciste?) que l’on peut regarder (version originale également).

Il est loisible ensuite de donner une sorte de recul historique, et de cadre théorique pour « penser » les origines de ce racisme ordinaire.

  • Nénuphar, chanson officielle de l’Exposition coloniale de 1931 à Paris (extrait INA prélevé dans 2000 ans d’Histoire, de Patrice Gélinet sur France Inter, 19 août 2010).

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  • Fabrication de l’éthnicité chez les mineurs d’Afrique du Sud – Extrait d’interview du géographe Philippe Gervais-altLambony dans l’Afrique enchantée, France Inter, 17 juillet 2011 (émission « le chant des mineurs »).
 
On comprend ainsi qu’un critère prétendument scientifique prend sa source directement dans une oppresion socio-économique mâtinée de préjugés moraux.
Pour en savoir plus : Philippe Gervais-Lambony, L’Afrique du Sud, Le Cavalier Bleu, collection Idées Reçues (2009).
  • Fabrication de l’ethnicité chez les Rwandais. Le cas fut pratiquement similaire ans le Rwanda belge, dont l’ethnicité Hutu/Tutsi est une construction coloniale réinterprétant en terme raciste/ethniciste ce qui relève d’anciens clivages socio-économiques. Les cartes d’identité « ethniques », instituées par le colonisateur belge en 1931, décrètent des critères biométriques qui n’ont pas de pertinence scientifique.
On pourra alors utiliser l’excellent documentaire Rwanda, l’histoire qui mène au génocide, de R. Genoud (1995), en particulier les passage de Claudine Vidal. 
  
Pour en savoir plus :
CorteX_Gouteux_nuit_rwandaisecouvJean-Paul Gouteux, La nuit rwandaise, Esprit frappeur (2002) CorteX_Franche_Rwanda
Dominique Franche, Généalogie du génocide rwandais, Tribord (2004)

  

 
 
  • Race, chaînon manquant : la science au service de la politique – extrait du documentaire Zoos Humains, de Pascal Blanchard et Éric Deroo (2002).
 

Analyse de la construction de la différenciation des races. Dévoiement des concepts darwiniens, et entreprise de hiérarchisation. Le biologiste André Langaney explique comment placer le « nègre » comme chaînon manquant au XIXe, permet « d’expliquer » à rebours du même coup le rabaissement de l’esclavage et la théorie de l’évolution.

Et le narrateur explique comment en essentialisant ainsi une infériorité, on justifie ainsi une politique coloniale sans merci.

Des éléments de cette compilation ont été déroulé par Richard Monvoisin :

Vous voulez aller plus loin ? Nous vous enjoignons à lire ce monument de la littérature scientifique qu’est « La malmesure de l’Homme », de Stephen Jay Gould (1983) qui compile toutes les (pseudo-)théories ayant tenté d’accréditer scientifiquement le racisme, le sexisme et le criminalisme.

Vous voulez aller…. encore plus loin ? Vous pouvez lire une analyse critique de La malmesure de l’Homme  écrite par Serge Larivée, de l’université de Montréal, dans Vices et vertus de S. J. Gould, Revue québécoise de psychologie, vol. 23, n°3, 2002, pp 7 – 23).

* Lire à ce propos Aubenas & Benasayag, La fabrication de l’information, les journalistes et l’idéologie de la communication, la Découverte (2007).

** Représentation battue en brêche entre autres dans B.Diop, O.Tobner-Biyidi, F-X. Verschave, Négrophobie, éditions Les Arènes (2005).

Richard Monvoisin

Le racisme au quotidien 3/3 : Racisme au quotidien

corteX acupuncture

Faire un atelier-débat – médecines « douces », « alternatives »…

J’ai en face de moi une quarantaine d’étudiants, quelques doctorants et quelques chercheurs, donc d’un niveau relativement élevé, ce qui facilite un peu la tâche : je n’aurai pas à déconstruire l’idée que notre propre témoignage lors d’une guérison ne fait pas office de preuve, ce qui est déjà un saut de franchi.

 Je mise sur deux idées-force :

  • Amener le groupe à se poser la question suivante : qu’est-ce qui amène les patients vers des pratiques « alternatives », « alternatives » à quoi ? Bribes de réponses : les alternatives recherchées ont de fortes chances d’être des alternatives à

– la prise en charge froide et mécanique du médecin

– le manque de considération de la personne et à l’arrogance médicale

– la mainmise des industries pharmaceutiques sur les formations médicales

– le manque de « sens » à donner à la maladie (1).

  • Amener la réflexion sur ce qui est acceptable de ce qui ne l’est pas, et quel curseur prend-on ? Est-ce le fait d’être payé pour une thérapie fantaisiste qui est choquant ? La gratuité l’est-elle moins ? Est-il utile de parler de bonne foi / mauvaise foi ? En sous-jacence, je souhaite amener le groupe à appréhender que sans la notion d’efficacité de la technique proposée, il ne peut y avoir de choix éclairé.

Pour lancer le sujet, j’ai comme de coutume préparé deux fois trop de documents, et n’en ai passé que 4, bien répartis.

1) J’ai d’abord passé un extrait d’Envoyé Spécial consacré à des techniques telles que massage par les couleurs, hydrothérapie du colon et sauna à l’infra-rouge, assez facilement critiquables,car je voulais un spectre assez large pour démarrer la discussion (2).

Télécharger ici

2) Un extrait du Droit de savoir consacré à la kinésiologie et à l’emploi du fameux TM, ou Test Musculaire, que l’on retrouve également dans les variantes d’arts martiaux ou dans le fameux bracelet d’équilibre tel PowerBalance.

Télécharger ici.

3) Puis j’ai passé les deux documents suivants d’affilée, en demandant quels sont les points communs entre les deux « prétentions scientifiques » assénées.  Le premier est un témoignage de Jean Roulet, bouilleur de cru savoyard, vantant les mérites de la gnôle.

Télécharger ici.

Le second est un incident advenu pendant les Victoires de la musique 2007 : un homme vient perturber une chanson pour délivrer un message sur le fait que la cure Breuss guérit tous les cancers, ainsi que la vitamine C à fortes doses (3)  Télécharger ici.

Les discussions allant bon train, je n’ai pas eu le temps de placer d’autres films- et c’est plutôt bon signe, ces vidéos ne venant qu’amorcer les débats.

Savoir si j’ai rempli mon objectif ce jour-là (ou lors d’un midi critique très voisin, en novembre 2009, qui s’intitulait « Les médecines douces sont-elles des « alternatives » ?« , il faut le demander au public. Bien sûr, je me méfie du fait que toutes celles et ceux qui viennent me voir sont contents (biais de validation subjectif + tri des données du fait que les mécontents ne viendront pas me voir).

Richard Monvoisin

(1) Sachant que hélas, la maladie n’a pas de sens en soi. La science peut dire « comment », mais ne peut pas dire « pourquoi » quelque chose arrive. C’est assez insatisfaisant quand la maladie nous tombe dessus, d’où cette soif de « réponse » du type : « qu’ai-je fait au bon dieu pour avoir ça ? »

(2) Je dois ce document à Franck Villard, de Chambéry, trésorier de l’Observatoire zététique. Mille mercis à lui.

(3) Pour en savoir un peu plus sur cette Cure Breuss, cliquez ici. Sur vitamine C et cancer, on ira voir notre excellent partenaire Hoaxbuster et cet article Médecine, santé – La Vitamine C stimule… les idées reçues

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Ateliers-débats Midis critiques – les 4 saisons

Depuis 2008, d’abord dans les locaux du Département des Licences Sciences et Techniques, puis dans les locaux de l’Espace Vie Etudiante, nous avons décidé de « pirater » du temps de cerveau disponible chez les étudiants, enseignants et tout bulbe rachidien passant à notre portée dans l’espace de temps 11h45 – 13h30, sandwich à la main.

Le principe :  avoir au préalable une bonne carte mentale des sujets abordés, et de leurs impasses, puis venir avec du matériel vidéo incrémentant progressivement les questions, tout en stimulant le débat entre spectateurs.

Ces midis critiques ont réuni entre 40 et 80 personnes à chaque fois, avec une large majorité d’étudiants venus de tous horizons, mais aussi des travailleurs venus faire la pause déjeuner. L’objectif secondaire était d’offrir le matériel pédagogique pour toute personne souhaitant « refaire » un débat du même type dans son groupe, dans son amphi, sur son lieu de travail.

Voici les thèmes abordés. Pour chacun, je tenterai de progressivement  détailler les supports que j’utilise.

Tout d’abord, pour 2011

2011 – Saison 4

MC N°1 : (merc. 16 février 2011) pourquoi choisir les médecines « douces » ?

MC N°2 : (merc. 9 mars 2011) psycho-pop, les psychologies de comptoir et leurs dérives. Avec deux invités, Nicolas Gaillard du CorteX, et Brigitte Axelrad, de l’Observatoire zététique.

MC N°3 : (merc. 23 mars 2011) Sexe & genre : comment se fabrique l’oppression féminine ? Avec Guillemette Reviron, du CorteX

MC N°4 : (merc. 13 avril 2011) La démocratie participative, une arnaque ? Avec Amélie Audibert, de Sciences Po – Grenoble

Télécharger l’affiche ici.

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Sont déjà passés :

2008 – saison 1

MC N°1 (30 janvier 2008) : diffusion de Death of a president (de Gabriel Range, 2006) puis débat sur la construction de l’information. CorteX_death-of-president

MC N°2 (6 février 2008) : arnaques à la science et à la spiritualité.

MC N°3 (13 février 2008) : petites et grandes manipulations de l’information.

MC N°4 (27 février 2008) : Pouvoir et terreur, sur Noam Chomsky.

MC N°5 (12 mars 2008) : derrière les mots, manipulations au coeur des discours politiques

MC N°6 (19 mars 2008) : que peut-on excuser au nom du progrès et du confort quotidien ? Cas du Coltan, du Congo, du sang et des téléphones portables

MC N°7 (26 mars 2008) : humain, animal, antispécisme, y-a-t-il des questions que nous n’osons pas nous poser ? CorteX_racisme_specisme_sexisme

MC N°8 (2 avril 2008) : peine de mort, talion, meurtre, vendetta, réflexions sur le permis de tuer

MC N°9 (30 avril 2008) : statistiques, mythes et débat social à travers quelques exemples.  Invité : Bernard Ycart (Université Joseph Fourier, Grenoble)

2009 – saison 2

MC N°1 (7 oct 2009)  : liberté d’expression : Chomsky, Faurrisson, Dieudonné, Le Pen, la Rumeur, etc.

MC N°2 (14 octobre 2009) Racisme ordinaire

MC N°3 (21 octobre 2009) Voile, hijab, niqab, burqa

MC N°4 (4 novembre 2009) Les médecines douces sont-elles des « alternatives » ?

MC N°5 (17 novembre 2009) (Dé)-fête de la science :
Quelle science fête-t-on ?(spécial Fête de la science)

MC N°6 (25 novembre 2009) : « Afrique 50« , René Vautier et les « bienfaits » colonisation alt

2010 – saison 3

MC N°1 (3 février 2010) Pourrions-nous tous être tortionnaires ?

MC N°2 (10 février 2010) Faux et usage de faux dans les médias

MC N°3 (03 mars 2010) Science, sexe & genre

MC N°4 (17 mars 2010) L’écotartufferie, entre écologie et opportunisme

altMCN°5 (24 mars 2010) « Les médicamenteurs« de Stéphane Horelalt

Invitée : Dr Marion Lamort-Bouché, du FORMINDEP (Pour une formation médicale indépendante au service des seuls professionnels de santé et des patients)

MC N°6 (31 mars 2010) : suis-je né pour travailler ?

MC N°7 (07 avril 2010) : spécisme, sexisme, racisme

MC N°8 (annulé) les méususages politiques de l’histoire. Invitée : Laurence de Cock, du Comité de Vigilance face aux usages publics de l’Histoire (CVUH)

 RM

CorteX evolution humaine

Biologie, idéologies, racisme, sexisme – comment monter un cours de biologie à partir des pseudosciences

Comment élaborer un cours d’épistémologie de la biologie, en partant des pseudothéories ayant servi à des thèses idéologiques ? Voici une manière de s’y prendre telle que je l’ai développée, en cours de « Zététique & Autodéfense intellectuelle » pour des licences de science, et surtout pour l’enseignement Questions d’Actualités en Biologie de ma collègue Isabelle Lebrun destiné aux Licence 3ème année de Sciences de la Vie et de la Terre (SVT).

Je souhaite pointer les principaux détournements de la science biologique dans l’histoire sont les détournements idéologiques liés au racisme / aux mélanges spiritiualistes science-religion / au sexisme / à l’ordonnancement normal-pathologique, et montrer quelques outils d’épistémologie (comme le critère de réfutabilité des théories de Popper) pouvant être utiles pour pressentir la pseudo-science.

J’ai commencé par l’analyse de l’arbre phylogénétique du vivant, qui jusqu’à il y a peu était « orienté » vers l’humain, comme si l’humain était l’aboutissement d’un dessein intelligent, ou d’un créationnisme, et comme si l’ordonnancement des espèces montrait une perfection croissante. J’ai utilisé l’extrait du documentaire « Espèces d’espèces » illustrant parfaitement ce point (voir Biologie, évolution – Métaphore de la boule buissonnante). Nous avons également analysé les représentations classiques de l’évolution humaine, présentant un schéma faux, comme dans les exemples ci-dessous.

CorteX evolution humaine

CorteX evolution humaineCorteX evolution humaine

Puis j’ai analysé, sous forme de questions / réponses, des exemples de transformisme lamarckien qui passent l’air de rien, dans un certain nombre de fictions, que ce soient des pubs (comme Guinness, voir Biologie & vulgarisation – Analyse d’une pub Guinness – raisonnement panglossien), des films (Biologie, nutrition – Arguments anti-lait et lamarckisme dans le film Snatch), des documentaires (documentaires botanistes ou des docu-fictions comme L’Odyssée de l’espèce, voir Biologie, évolution – Erreur dans L’odyssée de l’espèce), ou des dessins animés pour enfants comme Il était une fois l’Homme.

Après avoir détaillé les enjeux et les drames des interprétations Intelligent Design et créationnistes, ainsi que le procès du Singe et le tout récent procès de Dover, nous avons ensuite parlé des détournements ouvertement racialistes ou nationalistes, que ce soit l’époque de la phrénologie et de la criminologie de Lumbroso, la hiérarchisation des races ou le nationalisme sous-jacent comme dans l’affaire du crâne de Piltdown.

Pour montrer que la modernité n’est pas exempte de ce type d’inflexion idéologique, j’insisite longuement sur les cas récents d’utilisation de la pseudo-science pour stigmatiser des populations : les classements DSM de pathologie (qui classait l’homoséxualité comme une pathologie mentale jusqu’en 1973), les affaires autour du gène « gay », et tout récemment les déclarations de N. Sarkozy sur l’origine génétique de la pédophilie (ci-dessous).

Télécharger ici

J’aborde ensuite le lyssenkisme, comme exemple de « science officielle » et de manipulation théorique vers le marxisme, ou le «pseudo-darwinisme social» de Spencer comme manipulation théorique vers le capitalisme.

Je termine par ce qui est certainement la discrimination la plus insidieuse, celle des femmes, en posant la question du sexisme au travers des âges, au travers de la représentation des organes génitaux féminins qui, tout comme du rôle du plaisir chez la femme, ont toujours suivi dans les livres de science les représentations sociales du moment (orgasme clitoridien infantile chez Freud, orgasme utile ou inutile à la procréation, etc.). Je me suis servi d’un petit montage tiré du documentaire Le clitoris, ce cher inconnu de Michèle Dominici.

Nous discutons enfin des questions de genre, des représentations féminines/masculines dans la presse, puis des corps dans les livres d’éducation, ou étrangement, lorsqu’il s’agit de représenter une action musculaire, ce sont toujours des images de garçon, tandis que les mécanismes passifs (lymphatiques) sont immanquablement représentés par des filles (voir ici, et , entre autres).

Pour une séquence telle que celle-ci, au minimum deux heures sont à prévoir. Et préparez-vous à rester au moins une heure de plus pour discuter après le cours !

RM

  • Pour aller plus loin sur les questions d’évolution, on pourra aller dans la Bibliotex, ainsi que se documenter dans le matériel pédagogique du professeur Barrette.
  • Sur les questions d’idéologie raciale, on lira entre autres La malmesure de l’Homme de Stephen Jay Gould (ainsi que les critiques de ce livre envoyées par Serge Larivée, de l’université de Montréal, dans Vices et vertus de S. J. Gould, Revue québécoise de psychologie, vol. 23, n°3, 2002, pp 7 – 23).
  • Sur les questions de sexisme, une introduction simple se trouve dans le livre Contre les jouets sexistes, éditions L’échappée.CorteX jouets sexistes

Évolution, biologie et concepts psychanalytiques sur France Inter

Les émissions radio dites de vulgarisation scientifique laissent parfois une large tribune aux idées et concepts pseudo-scientifiques. L’évolution est un thème sensible dans lequel ce discours peut trouver une expression parfois difficile à déceler, notamment quand il s’adresse à un public jeune. L’argumentation est alors construite sur des sophismes que l’on peut apprendre à repérer.

Cet atelier propose une introduction à :

  • L’identification de concepts pseudo-scientifiques dans un discours;
  • Le repérage de sophismes dans l’argumentation ;

1ère phase

Séquence audio

Montage 3’46 –  Les p’tits bateaux,  France Inter, Dimanche 19 septembre 2010. (Emission de Noëlle Breham, Michel-Alain Barjou, Marjorie Devoucoux, de découverte scientifique à partir de questions d’enfants.)
Questions n°5 de l’émission : Je voudrais savoir si les êtres humains sont des animaux ? Et ; Quelle est la différence entre l’homme et l’animal ? Réponse de Charles PÉPIN, Philosophe et écrivain.

  • Proposer de repérer le propos central et l’argumentation

Aiguillage possible : retranscription de passages clefs :
01 :16 « Mais toutes ces pistes on peut les entendre par référence à une idée plus précise qui est qu’en fait on est des animaux, mais on est des animaux avec une particularité qu’aucun autre animal ne connaît c’est que nous, une partie de notre nature n’a pas le droit de s’exprimer dans notre civilisation ; ça s’appelle le refoulement, ça s’appelle la censure et cela vient constituer l’inconscient »
01 :37 « Autrement dit, on est des animaux dénaturés et on est des animaux refoulés, et cette animalité refoulée constitue notre humanité »
02 :41 « Autrement dit, on a des pulsion agressives, sexuelles, possessives, naturelles mais on a pas le droit de les satisfaire dans la civilisation humaine, ce qu’aucun autre animal ne vit »
02 :58 « On a une victoire sur la sauvagerie, un victoire sur l’animalité, qui est en même temps notre grande fragilité. Elle est notre fierté, elle est aussi notre faille. De là, effectivement, toutes les manifestations de la spiritualité, de l’art, de la religion, qui nous distinguent des bêtes, parce qu’elle sont en fait des sublimations de tout ce qui été refoulé dans la petite enfance »
  

2ème phase

  • Proposer de repérer le concept central et les arguments s’y rattachant

Aiguillage possible : repérage du champ lexical psychanalytique (angoisse, refoulement, inconscient, pulsions).

  • Discuter de la terminologie psychanalytique de ces termes

Aiguillage possible : rechercher la définition de ces termes et évaluer leurs pertinences dans ce propos : Sur quoi se base l’auteur pour étayer ses affirmations ? Sur quels arguments ? Peut-on douter de leur validité ? Le parti pris conceptuel est-il présenté clairement ?

3ème phase

  • Repérer parmi les arguments utilisés, ceux appartenant au registre du sophisme

Aiguillage nécessaire : définition de quelques figures sophistiques et leur présence dans l’argumentaire de l’émission. Par exemple:
Sophisme de l’homme de paille (travestir d’abord la position de son interlocuteur de façon volontairement erronée et facile à réfuter puis détruire l’épouvantail en prétendant avoir réfuté la position de l’interlocuteur. Détails)
00:27 « la plupart des philosophes qu’on appelle des sceptiques qui ont voulu faire douter les hommes de leur prétendues certitudes parlent de ça, de cette frontière introuvable. Sachez que tout ce qui a été présenté dans l’histoire de la philosophie a toujours été critiqué par l’éthologie : la raison, le rire, l’angoisse, l’altruisme, la morale, les éthologues ont toujours trouvé une espèce animale, incarnant le prétendu propre de l’Homme. »
01 :06 «[…] Donc difficile frontière, évidemment il y a des pistes qui résistent mieux comme : la représentation, la religion, l’art, l’angoisse, des choses comme ça. »
Sophisme de la pétition de principe (faire une démonstration qui contient déjà l’acceptation de la conclusion, ou qui n’a de sens que lorsque l’on croit déjà en cette conclusion. Détails)
01 :16 « […] toutes ces pistes on peut les entendre par référence à une idée plus précise qui est qu’en fait on est des animaux, mais on est des animaux avec une particularité qu’aucun autre animal ne connaît c’est que nous, une partie de notre nature n’a pas le droit de s’exprimer dans notre civilisation ; ça s’appelle le refoulement, ça s’appelle la censure et cela vient constituer l’inconscient. Autrement dit, on est des animaux dénaturés et on est des animaux refoulés, et cette animalité refoulée constitue notre humanité. Pour le die plus simplement, ce qui nous distingue des animaux c’est la petite enfance, une petite enfance tellement plus dur que celle des animaux. » 
Raisonnement panglossien (raisonner à rebours, vers une cause possible parmi d’autres, vers un scénario préconçu ou vers la position que l’on souhaite prouver. Exemple)
02 :14 « On est des animaux prématurés : il faudrait 12 mois pour que les cellules du fétus arrivent à maturation et on naît au bout de 9 mois et c’est de là que tout vient : l’angoisse mais aussi le rattrapage par l’intelligence, la représentation. Et on peut tout interpréter : les religions, l’art, le rapport à l’autre, le rapport au temps, comme venant de cette petite enfance, de cette naissance prématurée et de cet interdit qui est porté à notre nature par la civilisation sur certaines pulsions. Autrement dit, on a des pulsions agressives, sexuelles, possessives, naturelles mais on n’a pas le droit de les satisfaire dans la civilisation humaine, ce qu’aucun autre animal ne vit »
Sophisme de la pente savonneuse (infirmer un argument en montrant que si on accepte cet argument, alors quelque chose de néfaste, de catastrophique, de nauséabond risque d’en découler. Détails)
02 :58 « On a une victoire sur la sauvagerie, une victoire sur l’animalité, qui est en même temps notre grande fragilité. Elle est notre fierté, elle est aussi notre faille. De là, effectivement, toutes les manifestations de la spiritualité, de l’art, de la religion, qui nous distinguent des bêtes, parce qu’elles sont en fait des sublimations de tout ce qui a été refoulé dans la petite enfance.» 

A décortiquer : Le professeur Montagnier et la “mémoire de l’eau”

Voici un article du blog Le Monde, envoyé mi-décembre 2010 par notre talentueux ami François B. et qui soulève à nouveau la question de ladite mémoire de l’eau. Nous n’avons pas eu le temps de la décortiquer. Le ferez-vous pour nous ?

07 décembre 2010


Le professeur Montagnier et la “mémoire de l’eau”

Le codécouvreur du virus du sida et Prix Nobel de médecine 2008 a été recruté par une université chinoise. Luc Montagnier va diriger une équipe de chercheurs au sein du département des sciences de l’université Jiaotong de Shanghaï. A 78 ans, c’est la deuxième fois que le chercheur s’exile. La première fois, c’était à ses 65 ans, quand il a dû prendre sa retraite de l’université française. En lisant les commentaires postés ça et là sur le Web, beaucoup de gens rappellent cet épisode, mais peu de souviennent de son peu glorieux soutien à une théorie jamais prouvée : la mémoire de l’eau.

Le principe de l’homéopathie. Le professeur Montagnier, à de nombreuses reprises, pris la défense de cette théorie et de celui qui en fut à l’origine, Jacques Benveniste. La théorie de la mémoire de l’eau, si elle avait été avérée, aurait expliqué le principe de l’homéopathie. Rappelons-le brièvement : un remède homéopathique s’obtient en diluant maintes fois ce que la discipline considère comme le principe actif du remède. Par exemple, la fiche technique du Diaralia des laboratoires Boiron indique que ce remède, censé soigner les diarrhées, contient de l’“arsenicum album, 9 CH“.

9 CH ? CH signifie centésimale hahnemannienne, du nom du père de l’homéopathie, Samuel Hahnemann. Cette valeur indique la dilution du principe actif, en l’occurrence un dérivé de l’arsenic. La quantité d’arsenic utilisée a subi 9 dilutions successives. En clair, il reste un milliardième de milliardième (10-18) de la quantité de départ, ce qui correspond, peu ou prou, à un mètre cube d’eau dilué dans l’ensemble des océans de la planète. Dans le médicament final, il ne reste pas grand chose du “principe actif”, voire rien du tout si la dilution est supérieure à 12 CH. Comment explique-t-on alors le principe de l’homéopathie ? Vaste question.

La mémoire de l’eau. Dans les années 1980, on avait cru pouvoir l’expliquer grâce à cette théorie de la “mémoire de l’eau” chère au professeur Montagnier. Ce fut l’une des plus belles controverses scientifiques de la fin du XXe siècle.

Pour faire (très) court, le Français Jacques Benveniste a publié dans Nature, en 1988, une étude expliquant que l’eau gardait une “mémoire” des composés avec lesquels elle a été en contact. Cette étude validerait donc les principes de l’homéopathie. Et Benveniste lui-même se rendait compte de la portée de ses travaux, comme il l’écrivait dans Le Monde du 30 juin 1988 :

“Les résultats de notre recherche imposent à tous, et surtout à la communauté scientifique, un considérable effort d’adaptation. Il s’agit d’entrer dans un autre monde conceptuel. Le changement de mode de pensée n’est pas moins grand que lorsqu’on est passé avec la Terre de la platitude à la rotondité. (…)

Les études que nous présentons montrent l’existence d’un effet de type moléculaire spécifique en l’absence de molécule. La procédure utilisée s’apparente à celle qui ferait agiter dans la Seine au pont Neuf la clé d’une automobile puis recueillir au Havre quelques gouttes d’eau pour faire démarrer la même automobile, et pas une autre. On comprend dès lors les réticences, voire l’agressivité, au nom de la déesse Raison, des adversaires de ce type d’expériences.”

Ces travaux ont immédiatement été très critiqués et Benveniste soupçonné de conflit d’intérêt, de légèreté, voire même d’avoir bidonné ses résultats. D’autres doutaient que ces expériences soient reproductibles, condition sine qua none de recherches dignes de ce nom. Nature a tenté de reproduire ces travaux. En vain. Dans un papier titréHigh dilution” experiments a delusion, les scientifiques concluent que cette expérience n’est pas reproductible.*

Benveniste, “un nouveau Galilée”. La page de la mémoire de l’eau est tournée depuis plusieurs années et rares sont ceux qui la défendent encore. Mais régulièrement, le Pr Montagnier prend la défense de Benveniste. Et il dit même de lui que c’est un “nouveau Galilée” ; un lieu commun quand on parle d’une personne que l’on pense être un génie incompris…

Une des dernières fois où le professeur Montagnier a tenté de réhabiliter la mémoire de Benveniste, c’était dans le 7-9 de France Inter, en mai, consacré à ceux qui ont passé leur vie à “être en contre”.

Peu bousculé par un Stéphane Paoli qui ponctuait les phrases de Montagnier par d’horripilants “bien sûr”, Montagnier a rendu hommage à ce “grand chercheur” :

“Pour moi Jacques Benveniste est un grand chercheur, comme vous avez dit, et c’est vraiment scandaleux la façon dont il a été traité. Il est mort comme vous savez en 2004, on peut dire épuisé par toutes ces luttes, et je crois qu’un jour prochain, il sera complètement réhabilité. (…) Les biologistes en sont restés encore à Descartes. Descartes, l’animal machine, les rouages, les engrenages… Or, après Descartes, il y a eu Newton, la gravité, une force qui se transmet à distance, il y a eu Maxwell, et la découverte des ondes électromagnétiques, donc tout ceci les biologistes l’ignorent totalement. Les biologistes actuels, biologistes moléculaires, imaginent les contacts entre les molécules par des contacts physiques n’est-ce pas alors que les molécules, c’est ce que disait Benveniste, peuvent correspondre également à distance. Donc c’est une révolution mentale et ça prend du temps.”

Les biologistes qui en sont “restés à Descartes” ont dû apprécier le jugement de leur pair… Montagnier tente désormais de reprendre le flambeau des recherches de Benveniste (lire le résumé du professeur Alain de Weck, qui a côtoyé les deux hommes).

On verra s’il arrive à de meilleurs résultats que Benveniste dans son nouveau laboratoire chinois.

[On peut réécouter l’émission en .ram, format bien peu commode, en suivant ce lien (après 1 h 42) ou en lire le transcript fait par… l’association Jacques Benveniste pour la recherche.]

* Cette explication est issue d’un précédent billet sur l’homéopathie. Billet qui avait suscité de vifs échanges dans les commentaires. L’un de ces commentaires, de notre camarade du C@fé des sciences, le Dr Goulu, liait vers un de ses propres billets où il rappelait qu’il est “absolument certain que chaque fois que vous buvez un verre d’eau, vous ingérez des milliers de molécules d’eau bues en de grandes occasions par des gens célèbres, car le nombre de molécules dans un verre d’eau est incroyablement grand”. Une autre version de cette réflexion, par Paul-Emile Victor : “L’eau que vous buvez a été pissée six fois par un diplodocus.” Je vous laisse imaginer les implications si la théorie de la mémoire de l’eau était vraie…

Photo : AFP/THOMAS COEX

http://sciences.blog.lemonde.fr/2010/12/07/le-professeur-montagnier-et-la-memoire-de-leau/

Physique – Parler d’énergie en cours de physique-chimie

Dans ce TP/Exercice nous décrirons comment parler d’énergie en cours de physique-chimie. Nous évoquerons également les risques liés à son utilisation parfois abusive, notamment au niveau de ses interprétations pseudo-scientifiques.

Le concept d’énergie est introduit dès la classe de 3e de façon qualitative et quantitative (calcul de l’énergie cinétique et électrique), étude qui sera prolongée et approfondie au lycée. Comme beaucoup de termes, l’énergie est un mot polysémique car utilisé dans deux cadres distincts : les sciences et la vie de tous les jours. D’où un certain nombre de confusions et d’interprétations, la plupart du temps sans conséquences, mais pouvant donner lieu parfois à des abus et autres dérives pseudo-scientifiques (à des fins fallacieuses ou mercantiles donc).

Il est alors primordial de bien clarifier les choses lorsque l’on introduit ce concept, notamment en collège mais également au lycée lorsqu’il s’agit de remettre les élèves à jour. Pour cela, on peut par exemple faire un cours spécifique de présentation du concept, sachant qu’il va guider toute l’année de troisième. Lors de cette introduction, il faudra avoir en tête l’ensemble des sens que l’on peut prêter au mot « énergie ». Pour y parvenir, Stanislas Antczak et Julien Pinel proposent le document suivant (télécharger) à leurs élèves de première scientifique. Il pourra bien entendu être adapté (au niveau du vocabulaire) pour des collégiens mais l’important réside dans la différenciation faite entre les quatre acceptions données : 1/ un sens scientifique, 2/ un sens utilitaire, 3/ un sens commun, 4/ un sens pseudo-scientifique.

On peut également proposer un travail préparatoire pour faire émerger les conceptions des élèves avant de les clarifier : demander de rédiger une dizaine de lignes sur ce qu’ils entendent (d’après eux) par « énergie ». Ce moyen permettra à coup sûr de retrouver au moins trois des quatre catégories ci-dessus. En effet, l’énergie au sens n°1 sera difficilement décelable dans les réponses des élèves.

  • Pour illustrer le sens n°4, le sens pseudo-scientifique, on pourra proposer deux exemples. Le premier en visionnant le document suivant :

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=mWSxt6YoKAw]

(En cas de problème de lecture, utiliser ce lien. À télécharger ici ou . Ne pas hésiter à relancer le téléchargement pour obtenir la vidéo en entier)

La vidéo s’intitule « L’énergie en question ». Les élèves seront alors interrogés sur le sens que sous-entend ce titre. Certains propos tenus par la suite (sur les champs électromagnétiques – EM – « non naturels » et leurs dangers) ne sont pas étayés et demanderaient un temps de discussion et d’approfondissement critique important, ce qui n’est pas le but de ce visionnage. Mais la présentatrice prétend également que notre corps « consacre beaucoup d’énergie [pour lutter contre ces champs] et enchaîne « Et pour mettre en évidence ce phénomène, notre équipe de tournage s’est rendue au sein d’une famille et a soumis les membres de cette famille à plusieurs tests afin d’estimer la perte d’énergie. » Quel sens est utilisé ici ? Visiblement plusieurs : on mélange le concept scientifique (l’énergie qui se mesure) avec le sens commun (être en forme ou pas) mais également avec le sens pseudo-scientifique quand il est question d’ « estimer la perte d’énergie » due à une action néfaste des champs EM. On sent par cette phrase toute l’ambiguïté et la confusion sur laquelle joue le discours utilisé : nous aurions de l’énergie et celle-ci serait perdue (comment ?) par la supposée influence des champs EM qui nous entourent. Certes notre corps est plein d’énergie (sens scientifique) mais on ne parle jamais en science de perte d’énergie de cette façon. On pourra enchaîner avec l’exemple suivant pour faire comprendre à quoi renvoie ce genre de formulation.

Dans la suite de la vidéo, le reporter va tenter d’illustrer cette « perte d’énergie » avec un soi-disant test de résistance, soulignant une nouvelle fois la confusion entre les différents sens du mot. La suite de la vidéo est surtout un exemple admirable pour illustrer les défauts de base à ne pas reproduire lors de la mise en place d’un protocole expérimental rigoureux (sur ce point, on pourra consulter cet article).

  • Un autre exemple à la mode (2010-2011) : le bracelet power balance.

Voici un descriptif que l’on peut trouver sur certains sites (ici par exemple) vendant ce produit :

Power-Balance est une technologie qui utilise un hologramme programmé avec des fréquences qui réagissent positivement avec les champs énergétiques du corps humain.
Le corps humain, comme les roches, les minéraux, certains aliments et de nombreuses autres choses dans la nature, génèrent de l‘énergie électromagnétique. Ce sont ces fréquences électromagnétiques qui intéragissent avec le corps humain.La fréquence idéale pour un fonctionnement optimal du corps humain est la « Schuman Resonating frequence » (RSF), elle est de 7.8 hertz.  Certaines fréquences agissent positivement et d’autres, dues par exemple aux GSM, au stress, aux maladies agissent négativement.
Le but de Power Balance est de rééquilibrer le flux énergétique du corps humain et de l’optimiser grâce à l’hologramme contenu dans le bracelet qui est encodé avec des fréquences réagissant positivement avec le champ électromagnétique du corps.  Lorsque l’hologramme est en contact avec le champ énergétique du corps humain, il permet à votre corps d’interagir avec la fréquence stockée et donc d’optimiser le flux énergétique . Tout cela apporte une amélioration de votre force, de votre équilibre et votre souplesse..

De nombreux sportifs tels que le golfeur Tiger Woods, le basketteur Shaquille O’Neil, le pilote de F1 Rubens Barrichelo, le surfer Andy Irons, et bien d’autres grandes stars ont déjà adopté ces bracelets qui grâce à leur technologie, améliorent la force, l’équilibre, la précision et la souplesse…

Idéal pour une utilisation dans la vie quotidienne et la pratique sportive.
Prix unitaire 34,90€
 

En fait, tout dans ce texte serait à surligner. Mais en se concentrant uniquement sur le terme énergie, on voit qu’il est utilisé sans précaution, sans véritable signification objective (qu’est-ce que le champ énergétique du corps humain ??!), bref, dans un sens pseudo-scientifique car faisant office de verni scientifique pour justifier une soi-disant efficacité. Utilisé ainsi, c’est un mot Canada Dry : « ça ressemble à de la science, ça a le goût de la science, mais ce n’est pas de la science… »

On pourrait se poser les mêmes questions sur les mots « hologramme », « fréquence », « flux », « champ » dont la signification est très précise en science et qui sont utilisés dans ce texte sans aucune précaution, jetés à la figure du lecteur pour l’éblouir et, sans doute, le rendre aveugle…

Cet effet impact, utilisé notamment avec des termes scientifiques, est très puissant et fait souvent office de diversion quand il faudrait, avant toute tentative d’explication, vérifier si ce produit est réellement efficace, s’il a les effets qu’il annonce. Sur ce point comme pour le reste, on pourra consulter cet article de l’AFIS.

Denis Caroti
Note : ce tp a été testé plusieurs fois en 1ère S, par Stanislas Antczak et par Julien Pinel, devant une classe d’env. 30 élèves, sous forme de séquence d’introduction d’une demi-heure sur l’énergie. 
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Chimie – Naturel, chimique, artificiel, synthétique

Le but de ce cours est de clarifier des notions complexes, le plus souvent mal maîtrisées et liées à des idées reçues sur le concept de nature ou naturel.
Ce cours a été présenté en classe de 3ème (physique-chimie), dans la partie A du programme : La chimie, science de la transformation de la matière. Sous-partie A2 : Synthèse d’espèces chimiques. Pré requis : notion d’atome, ion, molécule.

1.     Quelques rappels

Définitions :

– Un ensemble d’entités moléculaires, ioniques ou atomiques identiques constitue une espèce chimique.

– L’entité de base de l’espèce chimique est elle-même constituée à partir de la centaine d’éléments chimiques décrits dans la classification périodique de Mendeleïev.

– Toute espèce chimique possède un nom et peut être représentée par une formule ou un symbole.

– Une espèce chimique possède des propriétés physiques et chimiques intrinsèques comme la température de changement d’état, la densité ou la solubilité.

– Une espèce chimique peut être reconnue en utilisant (à bon escient) les cinq sens ou en effectuant des tests de caractérisation.

  • Exemple 1 : l’eau est une espèce chimique constituée de molécules identiques appelée molécule d’eau H2O
  • Exemple 2 : le chlorure de sodium (sel de cuisine) est une espèce chimique.
    Il n’a pas une structure moléculaire mais une structure ionique. On le représente aussi par une formule chimique NaCl qui n’a pas la même signification que celle de la molécule d’eau. Le chlorure de sodium est un cristal. Il est formé d’un assemblage compact et ordonné d’ions chlorure et d’ions sodium. La formule du chlorure de sodium est une formule statistique. Elle traduit le fait que dans le cristal, il y a autant d’ions chlorure que d’ions sodium (1Na+ pour 1 Cl).
  • Exemple 3 : le fer est une espèce chimique atomique constituée d’atome de Fer de formule Fe.

2.     Démarrer le cours

On peut démarrer ce chapitre par une sorte de jeu qui consiste à écrire un (ou plusieurs) mot au tableau puis à demander aux élèves, sans parler, de venir écrire le premier mot qui leur est venu à l’esprit. Les manières de procéder sont multiples mais de façon générale et simple, on fait passer le feutre entre les élèves et chacun peut écrire ce qu’il veut (pourquoi pas deux ou trois fois).

Le but de cette introduction est de mettre sur la table les idées des élèves liées aux mots introduits.

En principe, j’écris les mots naturel et chimique. Les résultats sont toujours à peu près les mêmes : il ressort bien souvent qu’on associe chimique à dangereux, artificiel, produits toxiques, etc. alors que naturel se voit gratifier de bon, bien, normal, bio, sauvage, végétal, terre, etc. On engage alors la réflexion sur la signification de ces termes, dans le langage de la vie quotidienne et dans langage scientifique.

Mais pour entrer dans le débat, il faut faire attention et bien maîtriser les concepts. En effet, il m’est arrivé, les premières fois où je proposais ce cours, de me planter assez lourdement : autant la définition de chimique est aisée, autant celle de naturel peut poser problème. Par exemple, si l’on définit naturel comme « ce qui existe dans la nature sans intervention de l’espèce humaine », on se retrouve vite devant des questionnements du type : « mais alors, si un chimpanzé construit un abri avec des morceaux de bois, c’est naturel mais pas si c’est un bûcheron canadien ? » ou « L’abeille qui fabrique du miel dans une ruche (placée là par l’apiculteur), ce n’est pas naturel alors ? »

Devant ces difficultés, il est important de préciser les expressions employées en ayant en tête quelques pistes pour discuter : il faut par exemple éviter de parler de « ce qui est naturel » ou de « la Nature » au sens large car cette notion ne signifie pas grand-chose (voir TP Nature). Je préfère alors utiliser le terme de « réalité » pour désigner tout ce qui existe, nous y compris. En effet, pour beaucoup la Nature est synonyme de ce qui est extérieur à l’être humain, non altéré. Ne revenons pas sur l’étrange chose qui ferait de l’Homme un être hors nature : nous faisons partie de la réalité et ce fait est difficilement discutable.

Mais ce concept du « naturel » renvoie à nombre de dérives, tels le racisme ou toute forme d’extrémisme idéologique, et c’est là que résident les écueils majeurs. Le problème n’est pas de vouloir définir une réalité non modifiée par l’Homme mais plutôt de vouloir lui donner des vertus particulières : il serait « normal », et donc « bon », d’être en accord avec « La Nature », donc pas de mariage ou d’enfants adoptés pour les homosexuels, pas de fécondation in vitro, pas d’avortement, pas de préservatif, pas de clonage, pas d’OGM et si l’on va plus loin, pas de substances artificielles, donc pas de plastique, pas d’ordinateur, pas vêtement synthétique, pas de papier, pas de ruches, pas d’agriculture, pas de feu, bref, retour à l’homo primitus naturalis (oui, j’invente) qui cueillait des plantes et mangeait du mammouth cru (oui, bon, j’exagère un peu). Attention, le but ici n’est pas de dire que toutes ces pratiques sont équivalentes et sont forcément à promouvoir ou à utiliser sans vigilence, réflexions, ou contrôle : ceci relève d’un autre débat. Non, le but est de mettre le doigt sur la confusion largement acceptée et qui assimile automatiquement tout produit qualifié de naturel en sacré, authentique, traditionnel, immuable, dans l’ordre des choses, etc. Tout débat sur ces thèmes devrait dès lors se détacher des idées reçues concernant cette fameuse Nature bonne et bienveillante.

Voilà pourquoi les définitions mentionnées ci-dessus deviennent primordiales pour la suite. En effet, on pourra définir que toute espèce chimique non créée/inventée par l’être humain est une espèce chimique naturelle (sans pour autant supposer qu’elle ait des qualités supérieures à d’autres, ou qu’elle soit dans un certain « ordre des choses »). Plus précisément, c’est l’entité de base de cette espèce (atome, molécule, ion) qui est naturelle si elle existe indépendamment de toute création/invention humaine. Évidemment, on peut objecter à cela le coup du chimpanzé : et si un jour un de ces primates arrive délibérément à fabriquer une espèce chimique inconnue ? Eh bien la définition changera !

Parler d’espèces chimiques permet d’éviter de confondre avec des termes comme objet, matière, substance, mélange, etc. En effet, une substance contient plusieurs espèces chimiques. Du coup, la question « Une épée en fer est-elle naturelle ? » n’a pas de sens car il faudrait alors préciser quelles sont les espèces chimiques qui la constituent. « Du jus d’oranges pressées est-il naturel ? » Oui, si les espèces chimiques le constituant sont naturelles (et pourtant il y a eu pressage par une main humaine !)

3.     Le cours

Ces précisions étant faites, il est temps de clarifier le plan du cours. Je n’ajoute pas de numérotation, chacun étant libre de procéder comme il le souhaite. Cette façon de faire est celle que j’utilise, mais n’est pas figée :

– Tout d’abord, définir le terme chimique : il est connoté péjorativement dans le langage quotidien, associé à danger, pas naturel, toxique. Mais en réalité, chimique signifie l’ensemble des éléments qui constituent la matière : les atomes, molécules, ions, etc. Comme je dis aux élèves : tout est chimique ! J’aime beaucoup ce passage car les élèves se prennent au jeu et me proposent toutes sortes d’objets, matières, substances : « Mais monsieur, donc l’air/l’eau/les fruits/etc., c’est chimique ??? » Je pose alors toujours la même question : de quoi sont-ils/elles constitué(e)s ? D’atomes ? De molécules ? D’ions ? Oui ! Donc… ils/elles sont chimiques ! C’est un moment important car il permet aux élèves de revenir sur ce qu’est la matière, et de quoi elle est constituée, conception qui a parfois du mal à être bien digérée.

– Ensuite, il faut préciser ce que l’on entend par espèce chimique : un ensemble d’entités moléculaires, ioniques ou atomiques identiques constitue une espèce chimique. Par exemple, la substance que l’on nomme « eau » désigne un ensemble de molécules identiques appelées  molécules d’eau et a pour formule H2O. C’est une espèce chimique. Parfois je rappelle aux élèves  que l’eau provenant de n’importe quel endroit sur Terre, du pôle Nord à la Méditerranée, n’est jamais pure : c’est toujours un mélange de plusieurs espèces chimiques. On peut également parler du fer qui est une espèce chimique atomique constituée d’atomes de Fer de symbole Fe.

– Puis on définit une espèce chimique naturelle : toute entité – morceau de base – (molécule, atome, ion) de l’espèce chimique ou bien l’espèce chimique elle-même non créée/inventée par l’être humain est une espèce chimique naturelle. Avec les élèves, on peut se passer de tous les détails (entité ou espèce) et se contenter de « toute espèce chimique non créée par l’être humain ». On utilisera le terme de substance naturelle dans le cas d’un mélange d’espèces chimiques naturelles. Je donne cet exemple en général : si un extraterrestre débarque avec de l’eau pure de la planète Melmac (gloire à Alf) et qu’il la pose dans un verre à côté d’une carafe d’eau pure provenant de la Terre, les deux sont identiques et naturelles. Autre exemple : si j’ajoute du jus d’oranges pressées avec du jus de citrons pressés, j’obtiens une substance naturelle, même s’il y a intervention humaine.

– On peut alors revenir sur les idées reçues évoquées dans le jeu au tableau. Par exemple, tout ce qui est naturel est-il forcément bon ? Les exemples sont fournis en pagaille grâce à toutes les substances naturelles présentent dans les poisons, venins et autres acide sulfurique, chlorhydrique, fluorhydrique que la « Nature » nous fournit. Le pétrole est typiquement un moyen de faire comprendre qu’une substance naturelle n’en est pas pour autant « bonne » à rejeter n’importe où.

– Un dernier écueil : il faut en outre éviter de définir naturel par  « présent dans la Nature », le concept de Nature étant lui-même flou : on trouve du plastique dans la « Nature ». Est-ce pour autant naturel ? (voir ci-desus)

Ces étapes franchies, on peut passer aux suivantes. Il nous reste en effet à introduire et définir les termes artificiel et synthétique.

– Des paragraphes précédents, on déduit qu’à l’opposé des espèces chimiques naturelles, il existe des espèces chimiques qui sont créées, inventées par l’être humain (à l’aide de transformations chimiques). On les nomme espèces chimiques artificielles. On peut alors les mélanger entre elles (ou avec des substances naturelles) et obtenir des substances artificielles. Eh oui, du moment qu’une substance contient des espèces chimiques artificielles, elle sera considérée comme artificielle. Des exemples peuvent être donnés : tous les polymères (plastiques, nylon) dérivés du pétrole, des arômes (éthylvanilline), des médicaments (aspirine), des atomes (einsteinium), etc. Attention là aussi aux termes utilisés : au départ, je ne faisais pas vraiment de nuances et j’employais des verbes comme « créer », « fabriquer », « inventer », « produire », « préparer » indifféremment. Or c’est très important de faire la distinction entre créer/inventer et fabriquer/produire/préparer. Les premiers s’appliquent aux espèces artificielles spécifiquement (notion de donner existence à) alors que les seconds s’appliquent aux espèces synthétiques (notion de mise en œuvre technique, voir paragraphe suivant).

– On introduit donc enfin la notion d’espèces chimiques de synthèse (ou synthétiques). Celles-ci proviennent tout simplement d’une transformation chimique opérée par l’être humain. Elles peuvent donc être artificielles ou naturelles.  Les premières sont crées/inventées, les autres copiées. J’aime bien donner l’exemple de l’eau, que l’on peut synthétiser (au sens de copier dans ce cas) de diverses manières, comme en faisant réagir du dioxygène avec du dihydrogène (2H2+O2 = 2H2O). L’eau obtenue est une espèce chimique de synthèse naturelle (= copie) mais totalement identique et indiscernable d’une molécule d’eau sortie d’une rivière au Canada. On peut multiplier les exemples en présentant quelques molécules aux propriétés diverses que l’être humain a reproduit à l’identique, notamment tous les arômes des fruits : la vanilline peut être utilisée à ce moment du cours ; c’est une molécule présente dans les gousses du vanillier mais que l’on synthétise aussi à partir du clou de girofle, de la lignine du bois ou de la pulpe de betterave.

Pour résumer, voici un schéma que je trouve intéressant et que les élèves comprennent plutôt bien. Je le construis avec les élèves (voir ci-dessous) et, à mon avis, c’est indispensable pour qu’il soit bien assimilé :
Naturel_chimique_complet
Voici les commentaires associés et l’ordre dans lequel je bâtis ce schéma :
1. Il existe des espèces chimiques (pointillés) :
chimique
2. Parmi celles-ci, certaines sont naturelles (bleu) et d’autres artificielles (rouge) :
naturel
3. Les espèces chimiques artificielles sont forcément inventées/crées par l’être humain, mais on sait également copier des espèces chimiques naturelles : elles forment l’ensemble des espèces chimiques de synthèse (vert hachuré) : toute espèce chimique fabriquée (obtenue par transformations chimiques) par l’être humain est alors nommée synthétique:
naturel_chimique_mini
On peut également résumer sous forme de phrases :

– Il existe des espèces chimiques naturelles que l’on sait copier : ce sont des espèces chimiques de synthèse.

– Il existe des espèces chimiques qui sont crées par l’être humain : ce sont des espèces chimiques de synthèse artificielles.

4.     Une vidéo à décortiquer

En fonction du temps dont vous disposez, je trouve intéressant de diffuser un document vidéo tiré de l’émission Envoyé Spécial (France 2) intitulé : Vanille, aux sources du goût (si le téléchargement s’arrête, le relancer pour obtenir la vidéo en entier). On peut y décortiquer les propos des journalistes et des personnes interrogées et les comparer aux informations données dans le cours.
La vidéo ci-dessous commence à la dix-huitième minute :

Voici un « décorticage » possible :

– Le début du documentaire présente la culture de la vanille à Madagascar.

18’ (0′) Le journaliste parle de vanilline naturelle comme principal composant de la vanille. Il ajoute ensuite qu’il existe de la vanilline synthétique fabriquée par l’industrie chimique. Les industriels feraient passer cette dernière pour de la vraie vanille. On peut s’étonner ici qu’il ne soit à aucun moment précisé que les deux molécules sont parfaitement identiques et que seul le mode de fabrication est différent. On note également l’amalgame fait entre synthétique et industrie chimique, pas que cette relation soit fausse, mais simplement parce qu’elle est connotée péjorativement dans le langage de la vie quotidienne. Enfin, dire que les industriels font passer la vanilline pour de la « vraie vanille » ne veut rien dire. Il faudrait dire que les industriels utilisent les étiquettes (images de gousses ou fleurs de vanilles et appellations) et peuvent ainsi induire le consommateur inattentif en erreur, persuadé qu’il va trouver de la vanille (inutile de dire vraie, personne de sait faire de la fausse vanille) dans son yaourt. Par contre, on peut faire réfléchir les élèves sur la suite du reportage qui pointe la législation sur les appellations (saveur vanille, goût vaille, arôme vanille = vanilline synthétique). A ce moment, je précise aux élèves que si la vanilline présente dans ces yaourts était issue de l’extraction des gousses de vanille (ce qui serait idiot car inutile : on sait faire la même chose pour beaucoup moins cher !), il n’y aurait aucune différence, ni sur le goût, ni sur la composition. C’est assez difficile à comprendre pour les élèves car pour eux, les deux ne doivent pas être identiques : elles ne sont pas obtenues de la même façon ! N’oublions pas qu’en procédant à l’extraction sur des gousses de vanilles, on obtient plusieurs centaines d’arômes ce qui ferait une grande différence dans nos yaourts ! Mais là n’est pas la question, et j’insiste vraiment sur la parfaite copie obtenue par synthèse.

19’50 (1’50) Le journaliste évoque le prix de revient de la vanilline chimique et naturelle. On peut, là aussi, faire réagir les élèves qui savent dorénavant que l’expression « vanilline chimique » ne veut rien dire puisque « tout est chimique ». Qu’aurait-on dû dire ? Vanilline synthétique et vanilline naturelle pardi !

20’15 (2’15) On entend parler « d’arôme naturel ». J’arrête alors la vidéo et je pose la question aux élèves : qu’est-ce que cela peut être ? En général, ils répondent que c’est de l’extrait de vanille. Eh bien non ! C’est une catégorie d’ingrédients aromatisants d’origine biotechnologique… ! L’explication suit : ce serait une technologie utilisant « des produits naturels qui n’ont rien à voir avec la gousse de vanille ». On peut déjà discuter des termes « produits naturels », le journaliste précisant que la vanilline est obtenue à partir de pois, betterave, riz, bref, « plus rien de chimique ». Il faut là aussi rebondir sur ce terme connoté : on sous-entend que la vanilline obtenue par les industriels « classiques » serait faite à partir de produits chimiques, donc mauvais, dangereux, polluants, etc.

21’08 (3’08) Le journaliste pose la question à l’exploitant : « c’est quoi la différence entre la vanilline d’origine biotechnologique et la vanilline de synthèse » Avant de commenter la réponse, le journaliste utilise encore des termes inadéquats car les deux vanillines sont synthétiques. Le patron répond : « la différence réside dans le mode de fabrication. » Il parle de « catalyseurs chimiques » opposés aux « catalyseurs biologiques ». Le journaliste ajoute « en clair, l’une vient de la chimie, l’autre de la biologie ». Si la différence de forme justifie ce genre de précisions, il est vraiment important de faire comprendre que dans chaque cas, ce sont des transformations chimiques qui sont responsables de la synthèse ! Sauf que dans le cas des biotechnologies, cela passe par l’intermédiaire d’enzymes. Heureusement, le journaliste précise : « au bout, aucune différence », ce qui est exact. La question est alors posée « mais alors, pourquoi payer plus cher pour la fabriquer ? » Simplement car elle bénéficie de l’étiquetage « arôme naturel », ce qui, d’après l’exploitant, est très demandé par les consommateurs qui « veulent du naturel ». On doit alors vraiment insister sur la non différence entre les deux formes de vanilline.

22’10 (4’10) Sans trop de rapport avec le débat naturel-chimique, on entend parler de l’importance de la vanille auprès des enfants prématurés pour lesquels on diffuse des effluves de vanille pour les soulager ou les aider à mieux respirer. Un chercheur au CNRS précise que les enfants présentent les signes d’un état amélioré grâce à la vanille. Le problème vient du commentaire du journaliste qui pose les questions : « Sommes-nous prédisposés à aimer ce parfum ? Possédons une attirance inscrite dans nos mémoires collectives, au plus profond de nous même ? » Si la première partie peut être comprise comme un lien avec la génétique, la seconde a des allures de pensée magique aux relents ‘newageux’ : qu’est-ce donc que la mémoire collective d’un nouveau-né ? Nous n’aurons pas de réponse du journaliste. Mais le meilleur est pour la suite : on s’attend à ce que le journaliste enquête au sein d’instituts de recherche en génétique ou apparentés. Eh bien, non. C’est auprès d’un parfumeur que les réponses sont cherchées, un certain Jean-Paul Guerlain…(voir : http://www.dailymotion.com/video/xf9uc7_jean-paul-guerlain-ses-propos-racis_news

DC

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Sciences politiques – Exercice – Fabrique de l’information, affaire Le Point Bintou

Voici un exercice idéal pour comprendre certains procédés de manufacture de l’information.

Le 30 septembre 2010 paraît dans Le Point un article sur une femme polygame intitulé « Un mari, trois femmes ».

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Voici deux manières possibles d’animer un atelier sur ce thème.

  • Distribuer les scans de la couverture et de l’article aux étudiants, puis passer le document d’Arrêt sur Images où on voit l’origine de l’information (un faux témoignage orchestré et filmé par un jeune homme du nom d’Abdel) ; chercher dans l’article les données rajoutées par le journaliste Jean-Michel Décugis.
  • Démarche inverse : passer le document vidéo, puis distribuer l’article et y pointer les rajouts.

Voici la vidéo en question :

Télécharger ici

Il est tout à fait possible ensuite de rentrer dans les règles de fabrique ce genre d’information : un rédacteur en chef qui fait des « commandes » précises (trouver le témoignage qui « fit« , qui va bien), un journaliste pressé par le temps et empressé de garder son travail qui va répondre à la « commande », en passant par des « fixeurs » qui ont pour tâche, moyennant finance, de trouver le bon personnage – ici, la fameuse Bintou. C’est l’occasion de montrer que si le journaliste a des responsabilités gravissimes, elles ne sont pas les seules, et que le journal, mais aussi la clientèle avide d’information rapide en flux tendu, joue un rôle dans ce genre de manufacture de toute pièce.alt

Il faut également faire saisir l’intentionnalité de cet article : depuis la couverture (jouant sur une liste d’effets impact et l’association subreptice entre elles – Immigration, Roms, Allocation, Mensonges… Ce qu’on n’ose pas dire« ) le scénario préétabli est assez simple à retrouver : corroborer l’idée que les béances des finances de l’Etat sont dues à des fraudes orchestrées par des étrangers qui profitent du système et mangent le pain des Français. C’est la vieille antienne des conservatismes de droite, que l’on voit ici fabriquée de toute pièce.

On pourra également pointer les occurrences de racisme ordinaire autour de Bintou (femme noire, peu lettrée, vaguement malienne, avec une brouette d’enfants) et l’imagerie utilisée (photographie d’une vilaine HLM, une femme noire avec poussette, accompagnée de deux enfants). Mais en poussant plus loin, on pourra même noter que personne ne relèvera vraiment qu’un accent africain a autant de sens qu’un accent « européen » et n’existe que dans notre stéréotype français du « parler petit nègre ».

Ce travail a été introduit dans l’atelier Critique des Médias de la Maison d’Arrêt de Varces le mardi 5 octobre, puis dans le cours Zététique & Autodéfense intellectuelle le 6 octobre 2010 à l’université de Grenoble.


Ressources :

  • Scans de l’article (p58, p59) et couverture.

Couverture-Le-Point-30sept2010
Faux-Point-30sept2010p58
Faux-du-Point-30sept2010p59

  • Là-bas si j’y suis, France Inter – émission du 4 octobre 2010 consacrée à cette affaire.

  • Arrêt sur Images, l’article. Télécharger la vidéo (mp4).

On lira avec profit :

  • F. Aubenas & M. Benasayag, La fabrication de l’information, les journalistes et l’idéologie de la communication, La Découverte (1999)
  • F. Ruffin, Les petits soldats du journalisme, Les Arènes (2003).

RM

Psychologie – TP Psychogénéalogie sur France Culture

Il est bien entendu que les secrets de familles existent, et peuvent avoir un impact psychologique fort lorsqu’ils sont révélés. Il est certain que, génétique ou atavisme, des choses se « transmettent » d’une génération à l’autre. Toutefois, veillons à ne pas confondre cette psychologie de la transmission et la psychogénéalogie, technique pseudoscientifique qui fleurit dans les familles et qui étudie « niches », « fantômes » et autres « syndromes » dont on hériterait inconsciemment (selon un inconscient tout à fait freudien).

S’il est évident qu’un adultère ou une adoption peuvent être un secret transmis, rien à voir avec les connivences et loyautés présentées par Mme Ancelin-Schützenberger dans son livre fondateur Aïe mes Aïeux, où il s’agit par exemple pour l’arrière-petit fils de développer un cancer des testicules par « loyauté » avec l’arrière grand-papa qui s’était pris un coup de pied de chameau dans les mêmes parties. Ne rions pas, c’est douloureux, tant le coup de pied que l’adhésion à cette théorie fausse qui crée parfois de vrais drames familiaux.

Une déconstruction complète de cette dérapie a été effectuée de longue date sur le site de l’Observatoire zététique par notre corticale Géraldine Fabre ici et .


Le documentaire de Sur les Docks sur France Culture diffusé le 12 avril manque justement de discernement, et fait exactement ce mélange des choses.

Les deux seuls experts invités sur un sujet qui se veut scientifique (du moins la psychogénéalogie se présente-elle comme tel, voire comme thérapie) sont

  • une psychogénéalogiste, Denise Allais.

  • un écrivain psychanalyste, François Vigouroux. Jean Lebrun le présente comme « cet explorateur bien connu de la puissance des latences note que s’il est dangereux de laisser se rompre brut les barrages, il peut être utile d’ouvrir les vannes. Il vaut mieux savoir ce que nos ascendants ont fait de nous pour nous faire nous-mêmes » (cf. effet puits, dans Outillage).

Or psychanalyste n’est pas un diplôme à proprement parler, sanctionnant une compétence ; et psychogénéalogiste encore moins, tant les formations fleurissent de manière « sauvage ».

Les psychologues, travailleurs sociaux ou simples membres de famille trouveront ici quelques éléments de discours-type, dont nous retranscrivons quelques extraits archétypaux, tous tirés de l’émission et accolés dans ce document sonore : 

Télécharger (18’25)

Une première partie de « pseudo-théorisation » est placée en introduction par les documentaristes.

On notera comment par une analogie douteuse, on glisse progressivement vers la construction factice d’un « objet » scientifique, le secret de famille.

« À l’image de la Russie soviétique où les compagnons de Staline disparaissent un à un des photos officielles, au rythme des disgrâces, le secret de famille est un tour de passe-passe destiné à escamoter les personnages et les épisodes inavouables.

Pour ne pas troubler les eaux calmes d’une famille apparemment heureuse et aimante, il se noue dans le tabou, le non-dit. Le mensonge se distille jusque dans les chambres d’enfant, avec une violence feutrée. Il se transmet de génération en génération, souvent à l’insu du dépositaire, qui n’en perçoit que des bribes confuses et incertaines. Une crypte peuplée de fantômes, disait Abraham Etörök, tapi dans l’inconscient, impénétrable, et pourtant déterminante dans notre rapport au monde, et de nos relations aux autres. À nous-mêmes en premier lieu, car le secret de famille se rapporte aux origines il touche même de notre même de notre identité. Filiation trouble, adultère, fortune ou faillite honteuse, le secret de famille est fascinant car il porte en lui l’espoir d’apprendre quelque chose de nous-mêmes. Espoir bien souvent déçu. Le sentiment d’étrangeté ne peut être résolu si facilement.

Écrivain, psychanalyste ou psychogénéalogiste, tous ont tenté de sonder cet abime mais les secrets restent bien gardés car même découverts ils continuent d’agir en nous, de conditionner notre place, notre façon de penser, de nous comporter.

De cette énigme originelle on peut cependant en faire le récit, avec des trous et des blancs, des souvenirs qui reviennent subitement, des indices qui ne prendront leur sens que bien plus tard quand tous les fils seront bien tissés. »

La psychogénéalogiste Denise Allais ajoute :

« (…) je pense qu’elle a été prise elle au fil des générations dans une loyauté, c’est-à-dire dans une construction où elle a été finalement prise en otage pour essayer de remettre de la parole par rapport à quelque chose qui n’a pas été dit. Mais c’est vrai que tous les enfants, on le voit bien par exemple dans une fratrie ne sont pas investis de la même manière par leurs parents et qu’est-ce qui fait qu’un enfant le sera plus je pense qu’il n’y a pas de réponse à ça parce que chaque cas est tellement particulier. C’est vrai qu’il y a des secrets de famille qui d’ailleurs finissent par s’éteindre au fil des années et qui ne génèrent pas forcément de catastrophe.

Le secret n’est pas uniquement quelque-chose de pathologique. Il y a vraiment une possibilité de transformer tout ce qui n’a pas été dit en quelque chose de lumineux. Par contre il y a plein de secrets, il y a plein de choses qu’on ne pourra jamais élucider, ni jamais connaître, et ça c’est important de pouvoir lâcher à certains moments. Il y a des tas d’événements, tas d’endroits de l’arbre généalogique dont on ne pourra jamais rien dire, rien savoir » (…)

Cette technique de discours (qu’on pourrait appeler la noyade du poisson ou la technique de la seiche) est plus ou moins consciente et rend totalement irréfutable la théorie de la dame. Le secret peut être pathologique ou non,  générer une catastrophe ou non, un enfant peut être plus ou moins « investi » sans trop savoir ce que signifie investi, il faut parfois lâcher parfois pas… Les phrases sont des phrases-puits, qui ont l’air profondes mais qui n’apportent pas d’information.

S’ensuivent dénis, masquages, et corrélation avec des catastrophes, drames ou pathologies qui ne peuvent que terroriser gratuitement les gens à la recherche d’explications. Soit la personne est mal dans sa peau, et cherchera une cause que la psychogénéalogie (ou de l’analyse transgénérationnelle) se hâtera de lui trouver, soit elle n’en a pas, et le mécanisme de la psychogénéalogie se dépêchera de lui en trouver une. Sans parler du fait que dans ces théories, les solutions au mal-être sont toujours à l’intérieur de la personne, comme si les mal-être ne pouvaient être sociétaux ou politiques (comme les avortements, les adoptions, les filiations « honteuses », dont la représentation psychologique est très dépendante de l’époque et de la morale commune).

Note : il nous semble facile de décortiquer ce genre de discours lorsqu’on a lu les deux articles de Géraldine Fabre. Mais si besoin est, le CorteX pourra sur demande compléter cette fiche.

RM