Le biais de financement

On appelle biais de financement le fait qu’une étude financée par une industrie, ou dont les investigatrices ou investigateurs sont financé·es par une industrie, a plus de chance d’avoir des résultats favorables à l’industrie concernée toutes choses égales par ailleurs.

On peut introduire ce biais avec cet extrait de Cash investigation « Industrie agroalimentaire : business contre santé » de septembre 2016.

La journaliste interroge un chercheur ayant écrit un rapport pour lequel celui-ci a été rémunéré par l’American Meat Institute (association qui représentait les industries de la viande et des volailles aux États-Unis)1. Ce rapport critique les travaux sur les effets délétères pour la santé de la consommation de viande d’une scientifique, S. Preston-Martin. À la question « Vous ne pensez pas que votre point de vue serait plus fort si je n’avais pas découvert que aviez été payé ?« , le chercheur répond « Non, je ne pense pas que ça changerait mon point de vue« .

L’étude de 2013 Bes-Rastrollo et al. 2 recense toutes les études portant sur le lien entre consommation de boissons sucrées et prise de poids et obésité. Les chercheuses et chercheurs les ont classées en deux catégories : celles dont les résultats montraient un lien entre ces deux variables, et celles dont les résultats ne montraient pas de lien. On peut schématiser ainsi ces résultats (figure A).

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Figure A

Un autre chercheur de manière indépendante a ensuite classé les études en fonction des déclarations de liens d’intérêt des chercheuses et chercheurs avec les industries fabricants des boissons sucrées. Si on prend en compte cette variable là, les résultats sont les suivants (figure B).

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Figure B

On s’aperçoit alors que la plupart des études montrant un lien entre consommation de produits sucrés et prise de poids n’ont pas déclaré de liens d’intérêt alors que la plupart des études ne montrant pas de lien entre ces deux variables déclarent des liens d’intérêts avec des industries.

Ces résultats convergent avec d’autres au sujet desquels les industries agro-alimentaires 3, pharmaceutiques 4, du tabac 5, des organismes génétiquement modifié 6, des télécommunications 7, des nanotechnologies 8 ou encore du nucléaire 9 sont impliquées.

Une des hypothèses explicatives possible du biais de financement est le biais de publication, le fait que les chercheuses et chercheurs ont bien plus tendance à soumettre,  et les revues scientifiques à publier des expériences ayant obtenu un résultat positif que des expériences ayant obtenu un résultat négatif. Cela soulève le problème de l’inféodation des recherches aux intérêts commerciaux des grands groupes d’éditeurs privés (voir à ce sujet ici et ).

Histoire – Idées reçues sur les Gaulois

Depuis 2008, je fais un cours dans mon enseignement Zététique & autodéfense intellectuelle centré sur les sciences historiques. Parmi les lieux communs que je revisite, le Moyen-âge, la préhistoire et le mythe fondateur français métropolitain, les Gaulois. Sur ce dernier sujet exclusivement, je vous renvoie à cette audio/vidéographie qui m’a documenté au cours du temps.

En guise d’introduction, voici un hommage à Ricet Barrier (1932-2011), grand troubadour moderne, qui écrivit en 1975 La java des Gaulois, qui est l’une des chansons préférées de notre ami et bienfaiteur Stanislas Antczak.

{Refrain:}
Poilus, barbus, vêtus de peaux de bêtes
Ils bravaient la tempête Tue-le, tue-la
C’était la loi des Gaulois !

Ils prenaient la route
Pour chasser l’mammouth
Et courir le guilledou
Ils coupaient le gui
Mais à propos où
Où coupaient-ils donc le houx
La chasse finie
Les homm’s réunis
Plongeaient sur la nourriture
Au p’tit Chilpéric
Qu’était rachitique
On jetait les épluchures

{Refrain:}
Poilu, barbu, le druide à noble tête
Arrivait pour la quête
Paie pas, planque-toi
C’était la loi des Gaulois

Quand ils guerroyaient
Mêm’ les feuill’s tremblaient
Les femm’s se jetaient à leurs pieds
Mais un beau matin
Un sombre devin
Leur a prédit : ça va barder !
Tout près des menhirs
La troupe en délire
Astiqua les fers de lance
Vércingétorix, un dur, un caïd,
Etudia la carte de France

{Refrain:}
Bardé, casqué, un Jul’s nommé César
Arriva sur son char
Il leur a dit :
« Veni, veni, vidi, vici »

On s’tira les tifs
On s’tapa sur l’pif
Mais on vit bientôt les légions
Des Romains pompett’s
Qu’aimaient la piquette
S’coller dans la Vas’ de Soissons
La Gaule manqu’ de bras
Dit un chef gaulois,
Il faut retrousser nos manches
Ils fir’nt des maisons
Ils fir’nt même les ponts
Sauf le sam’di et l’dimanche

{Refrain:}
Poilus, barbus, ils guinchaient le sam’di
Au bal sur pilotis
Flânant, crânant
On causait entre poteaux
En r’gardant les Gauloi(ses)
Jouer les pompadour
Et la Gaule endimanchée
Chantait à plein gosier
En trinquant à l’amour
L’amour !


En prolongement, voici un petit travail modeste contenant quelques coquilles, mais très intéressant de jeunes étudiant.es de mon enseignement, saison 21 (janvier 2016), intitulé « La civilisation gauloise, entre idées reçues et réalité historique », signé Nicolas Ivol, Flavien André, Marine André, Genevois Clément et Justine Praly.

L’archéologie contribue-t-elle à fonder nos mythes nationaux ?

Le salon Noir, France Culture, 5 juin 2013

Jean-Paul Demoule (que vous avez déjà rencontré au sujet des hypothétiques Indo-européens ici) et Jean-Jacques Beneix parlent des Gaulois ici.

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Anecdote : le fameux musée de Glozel, célèbre dans le milieu zététique pour son vrai-faux-vrai site ambigu, que j’ai eu la chance de visiter en 2008 avec mes camarades Antczak, Fabre, Vivant, Martin et Déguillaume, a fait un commentaire publié sur le site de France Culture.

Suite à l’émission de ce jour, l’association « Musée de Glozel », par la voix de son président Jean-Claude Fradin, tient à faire savoir qu’elle défend une autre vision de l’histoire des fouilles du site archéologique de Glozel et du rôle important joué par le docteur Antonin Morlet dans cette découverte.

 

Que doit le français à la langue gauloise ?

Le salon Noir, France Culture, 20 mars 2013, avec le linguiste Xavier Delamarre.

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Les Gaulois

La tête au carré, France Inter, 21 novembre 2011

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Les représentations du Gaulois, forgées à partir du XVIIIe siècle, constituent un bric-à-brac de clichés et de préjugés, relevant d’un cabinet de curiosités historiques et préhistoriques. Cette figure fut relayée dans les manuels d’histoire et exploitée par le pouvoir politique à des fins de propagande. Pourtant, le visage des Gaulois est tout autre… Les dernières découvertes archéologiques ont démenti les images d’Épinal. Les Gaulois ne mangeaient pas de sangliers. Leurs construction fortifiées et leurs habitats aux matériaux biodégradables témoignent de leur savoir-faire de bâtisseurs. Derrière le barbare impétueux porté par son courage se dessinent des combattants disciplinés et entraînés, bénéficiant d’un armement renommé pour sa qualité. Avec François Malrain, archéologue, ingénieur d’étude et de recherche à l’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives) et commissaire scientifique de l’exposition Gaulois, une expo renversante.

Le gaulois en 30 minutes

Le salon Noir, France Culture, 8 octobre 2016

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« La Gaule unie, formant une seule nation, animée d’un même esprit, peut défier l’univers »

Vercingétorix devant ses troupes à Avaricum, de Bello Gallico, VII, 29.

Archéologie et idéologie ont toujours fait bon ménage. Ainsi, l’archéologie est fille de la nation, mais aussi bonne fille ! Dans une période de régression identitaire, à l’image des Mésopotamiens, ou des Polynésiens, les Français, l’avenir dans le dos, font désormais face au passé…leur passé ? Cro-Magnon, gallo-romain, Francs, Clovis ou Jeanne, le débat se focalise aujourd’hui sur le gaulois, les origines gauloises de la nation, en un mot « nos ancêtres les gaulois » ? Dans le cadre de notre roman national, de cette recherche de parenté historique, depuis 150 ans, l’archéologie fait figure, de très bonne fille… Avec Jean-Louis Brunaux, directeur de recherche au CNRS

Ces Gaulois vendus à Rome

Le Salon NoirFrance Culture 4 juin 2016

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Depuis peu, les archéologues entrevoient ces soldats vendus à Rome, et montrent que la trahison était omniprésente pendant la guerre des Gaules. Face à l’ancienne fureur guerrière, le sac de Rome en 390, la prise de Delphes en 279, la société gauloise se serait-elle ramollie dans les années 60 avant notre ère ? Vercingétorix devant ses troupes l’aurait dit « la Gaule unie, formant une seule nation, animée d’un même esprit, peut défier l’univers »… Certes, mais l’esprit n’y était déjà plus ! Le discours savant évoque souvent une Gaule prête à rentrer dans l’histoire; peut-on, tout au contraire, envisager des élites gauloises livrant leur pays à César ? Omniprésente, la trahison se pratique de toute part dans la Guerre des Gaules, à l’image de Litaviccos, parjure frère de Rome. Triomphe de l’impérialisme romain, Alésia peut-elle être vue comme la victoire des élites « collaborationnistes » gauloises ? Depuis peu, les archéologues entrevoient ces soldats vendus à Rome, un cavalier gaulois à Paris, la solde de soldats auxiliaires de Rome à Basing en Moselle… Avec Laurent Olivier, Conservateur en chef du musée d’Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye.

Vins, bière ou hydromel : la Gaule était-elle ivrogne ?

Le salon Noir, France Culture, 24 octobre 2015, avec Fanette Laubenheimer, archéologue, directrice de recherche émérite au CNRS.

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Les Gaulois sont-ils des celtes ?

Le salon Noir, France Culture, 25 novembre 2014, avec Jean-Louis Brunaux, directeur de recherche au CNRS. Et si les archéologues qui découvrent des sites archéologiques qu’ils attribuent aux Celtes étaient tout simplement victimes d’une idéologie historique ?

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Cycle Histoire des Gaulois, en 4 épisodes

dans La Fabrique de l’Histoire, France Culture, octobre 2009

N’ayant pas retrouvé toutes les émissions en mp3, nous vous proposons une merveilleuse retranscription du fait du site fabriquedesens.net

Histoire des Gaulois (1) : état des savoirs sur la Gaule et les Gaulois

Émission La Fabrique de l’Histoire, par Emmanuel Laurentin, du lundi 26 octobre 2009, « Histoire des Gaulois », avec Christian Goudineau.

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Ci-dessous, voici la retranscription offerte par le site fabriquedesens.net, que nous remercions !

Lire la retranscription
Édito sur le site de France Culture :

À l’occasion du cinquantième anniversaire du personnage Astérix, la « Fabrique de l’Histoire » a décidé toute cette semaine de faire le point sur ce que nous savons des Gaulois, mais aussi sur leurs représentations. Ce matin, le titulaire de la chaire des Antiquités Nationales du Collège de France, Christian Goudineau est notre invité et il nous explique comment il a été difficile, dans les années 1970, de briser les idées reçues nées des textes romains sur la Gaule et de rénover ce secteur de recherches. Pour ce faire, sa génération de chercheurs a bénéficié des nombreux apports de l’archéologie de sauvetage et de l’archéozoologie. Christian Goudineau a ainsi remis à sa juste place le personnage de Vercingétorix, montré combien les Gaulois étaient depuis longtemps en relation avec le monde méditerranéen, et il a rénové l’analyse des structures sociales de la Gaule d’avant Rome. Avec Christian Goudineau, professeur au Collège de France, titulaire de la chaire d’Antiquités nationales.

Un point d’interrogation, entre parenthèse indique un doute sur un mot ou un groupe de mots.

Introduction par Emmanuel Laurentin : Premier temps de la nouvelle semaine de la « Fabrique de l’Histoire » construite sur un autre modèle que nos séries habituelles. Nous allons en effet de temps en temps tenter de montrer comment un personnage, un événement, un phénomène historique ont été perçus et compris sur la très longue durée. Cette semaine, nous allons évoquer les Gaulois, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’invention du personnage d’Astérix le Gaulois et de ses camarades. Jeudi, vous pourrez écouter un documentaire d’Anaïs Kien et de Véronique Samouiloff qui ont suivi la journée d’étude, organisée il y a une quinzaine de jours, par l’université de Paris13 à Bobigny, la même où Uderzo dessina ses premières planches. Demain, nous nous poserons la question de l’émergence de la figure du Gaulois, dans la France du XVIe siècle. Et mercredi, nous nous attacherons à la façon dont les historiens du XIXe siècle ont réinventé nos ancêtres. Ce matin, nous avons choisi de discuter avec Christian Goudineau, titulaire, depuis vingt cinq ans, de la chaire d’Antiquités nationales. Il nous dira comment la recherche historique et archéologique, des 30 dernières années, a profondément bouleversé notre connaissance de ce monde gaulois et débarrassé celui-ci de bien des idées fausses.

« Saisis de peur au milieu de ce désert et craignant, en se dispersant, de tomber dans quelques pièges, ils se rassemblent au forum et dans les rues environnantes. Là, ils trouvent les maisons des Plébéiens fermées, celles des nobles ouvertes. Ils eurent plus d’hésitations à pénétrer dans celles-ci que dans celles-là car ils se sentaient pris de respect en voyant assis sur le seuil de leur demeure des personnages que leur attitude, leur costume, leur air grave et solennel rendaient pareils à des Dieux. Immobiles, ils les contemplaient tels des statues. D’après ce que l’on raconte, c’est Marcus Papirius, dont un Gaulois s’était permis de toucher la barbe, qu’il laissait pousser selon la mode du temps, qui, en frappant celui-ci sur la tête avec son bâton d’ivoire, déchaîna la fureur des Gaulois. Il fût le premier massacré. Après lui, tous les autres patriciens, trouvés dans leurs maisons. L’extermination des nobles une fois achevée, personne ne fût épargné, ensuite, on pilla les maisons et on y mit le feu. »

Voilà comment Tite-Live, dans le livre V, raconte le siège de Rome par les Gaulois, cette apparition brusque, dans l’histoire de Rome, des Gaulois, en 390 avant J.-C., c’est cela Christian Goudineau ? Bonjour.

Christian Goudineau : Bonjour et merci de m’avoir invité à « La Fabrique de l’Histoire ».

Emmanuel Laurentin : Merci à vous d’avoir accepté de venir.

Christian Goudineau : Parce que là, on voit l’histoire fabriquée.

Emmanuel Laurentin : Cela sera en plus le thème de cette semaine, justement de travailler sur les différentes visions des Gaulois. Là, on voit la vision des Gaulois par un historien tardif, qui raconte évidemment des événements qui se sont passés bien auparavant. Et ces événements ont profondément marqué Rome. Ce sont aussi ces événements, cette arrivée brusque des Gaulois dans Rome, qui d’un seul coup font émerger ce thème des Gaulois dans l’histoire.

Christian Goudineau : Ce qu’il faut bien voir, c’est que l’on peut mettre en doute beaucoup de traits par rapport à la véracité historique. C’est-à-dire que s’est constituée très rapidement, à partir d’événements qui ont été effectivement des migrations de Gaulois, enfin de Celtes – on reviendra peut-être sur la distinction – vers l’Italie, des récits terrifiants. Et ces récits terrifiants, c’est le topo habituel dans l’Antiquité : le civilisé, le Grec ou le Romain, par rapport aux Barbares. Donc, il faut se mettre dans la peau d’un petit Romain, disons du 1er siècle avant J.-C., celui qui sera peut-être un soldat avec César, auquel on apprend qu’il y a des gens absolument féroces, qui sont très grands, très différents, qui poussent des cris inarticulés, qui sont capables de vous trancher la gorge, qui ne se contrôlent pas, qui sont souvent sous l’empire de l’alcool, etc., etc. Il faut partir de là, je pense, pour comprendre les récits, et même certaines descriptions de type, on dira ethnographiques, que l’Antiquité nous a transmis des Gaulois

Emmanuel Laurentin : Il faut savoir – on le racontera toute semaine avec nos autres invités- qu’évidement le savoir sur les Gaulois est un savoir extrêmement limité. Limité par le nombre de textes qui en parlent, quelques poignées de textes pourrait-on dire, hormis celui de Jules César bien entendu, au moment de la guerre des Gaules, qui évoque ces Gaulois avant justement la conquête romaine. Très peu de textes, donc cela veut dire que depuis des siècles et des siècles c’est sur ces textes-là que jusqu’à maintenant on s’appuyait pour pouvoir comprendre ce qu’était la Gaule et les Gaulois ?

Christian Goudineau : Oui, c’est tout à fait cela. Si l’on va rechercher les textes les plus anciens, cela serait, grosso modo, à l’époque de Platon que l’on commence véritablement à dire qu’il y a des Celtes qui ont tel ou tel trait, même si l’on avait parlé un petit peu avant. Le grand récit, sur lequel en partie d’ailleurs s’appuiera César – cela peut nous paraître bizarre mais dans ses propres commentaires il reprend des traditions qui sont les topoï littéraires – est écrit par un personnage absolument étonnant, qui s’appelle Poseidonios. Poseidonios, un Grec d’Asie Mineure, qui a des curiosités de toutes sortes, qui est un grand philosophe. Il va être à la tête de l’école stoïcienne, il va voyager, écrire des livres sur l’océan, sur les climats et il a écrit un livre sur les Celtes, nous savons qu’il est venu dans ce que nous nous appelons la Gaule -on le sait, par un de ses imitateurs ou de ses épigones – qu’il avait, par exemple séjourné chez un Massaliote, qui s’appelle Charmolaos, on a même le nom. Donc, il y a un récit, qui est un récit ethnographique, d’une certaine manière, qui décrit une situation, qui serait une situation aux alentours de 100 avant J.-C. Mais là encore elle décrit relativement rapidement et, comme nous faisons tous aujourd’hui encore, on retient un certain nombre de traits et l’on a du mal à s’en détacher. Je ne dirais pas que l’on voit toujours les Écossais avec un kilt ou un Brésilien avec un borsalino ou en train de danser la samba, mais il y a quelque chose qui traîne. Les clichés dont on a parlé tout à l’heure, avec Tite-Live et « le sac de Rome », d’autres clichés sur le fait que « les Gaulois étant mal civilisés, se livrent plutôt à la guerre alors qu’ils feraient mieux de cultiver la terre », tout cela s’est constitué au fil des consciences…

Emmanuel Laurentin : Ça se sédimente ?

Christian Goudineau : Cela se sédimente et on l’apprend aux enfants.

Emmanuel Laurentin : Et c’est difficile de s’en détacher. C’est d’autant plus difficile de s’en détacher qu’effectivement ce corpus de textes, étant donné la fascination qu’a pu avoir ensuite, à partir de la Renaissance au moins, l’Europe de l’humanisme pour Rome, sert d’appui, de base, pendant très longtemps, pour l’apprentissage de ce qu’étaient véritablement les Gaulois. Il n’est pas vraiment mis en discussion ou en débat. Il y a bien des travaux d’historiographes qui décident que peut-être ici ou peut-être là César ou les autres ont été un peu rapides en jugement, mais néanmoins il n’est pas remis en débat. Il faut attendre – et c’est pour cela que c’est très intéressant de vous avoir à notre micro – mettons, la fin du XXe siècle pour qu’en particulier grâce aux travaux archéologiques, aux grandes missions archéologiques, qui sont liées à tous ces travaux sur le territoire national, qui sont faits grâce aux fouilles de sauvetages, en particulier à partir des années 80, on redécouvre la Gaule et les Gaulois. Redécouvre-t-on d’ailleurs la Gaule, Christian Goudineau, on n’en est pas sûr, parce que cette Gaule évidemment c’est une construction ?

Christian Goudineau : Oh là là ! Cela fait beaucoup de question à la fois.

Emmanuel Laurentin : Allez-y, je vous laisse le temps ?

Christian Goudineau : Je commencerais par dire que ce n’est pas seulement grâce à l’archéologie que l’on redécouvre la Gaule, les Gaulois – on va revenir sur la notion – c’est parce que l’on s’est débarrassé la tête d’un certain nombre de choses qui polluaient notre vision et qui nous mettaient au fond en complicité avec les historiens antiques. C’était quoi ? C’était l’opposition entre Français et Allemands, et c’était aussi notre rôle de colonisateurs.

Emmanuel Laurentin : On en parlera dans nos émissions futures de la semaine.

Christian Goudineau : Vous en parlerez. Moi, je dirais que le déclic, quand même, est parti de là. C’est parce que nous avons compris que nous vivions sur ces clichés qu’on était prêt finalement à accueillir, avec les yeux ouverts, des réalités qui autrement auraient peut-être été escamotées ou auraient dérangé.

Emmanuel Laurentin : Cela veut dire qu’il n’y a pas simplement ces découvertes archéologiques, dont on va parler avec vous, Christian Goudineau, il y a la numismatique, la relecture des textes antiques, et à nouveau frais, là vraiment, en se lavant les yeux de cette accumulation de clichés qui ont pu être mis en place, après la période romaine et jusqu’entre la période romaine et aujourd’hui.

Christian Goudineau : Bien sûr mais il faut bien voir, par exemple, qu’après la guerre 1870, un petit peu avant, un petit peu après, les Français et les Allemands se balançaient César à la tête. César avait dit que : les Gaulois étaient, selon son sens à lui, assimilables alors que les Germains ne l’étaient pas… Donc, vous, vous êtes des sauvages et nous, nous sommes déjà des gens civilisés. En revanche, les Allemands disaient : Mais non, pas du tout, vous, vous êtes des collabos alors que nous les Germains sommes des purs. On n’imagine pas la violence y compris entre gens sérieux, très cultivés, érudits,…

Emmanuel Laurentin : Entre Camille Jullian d’un côté, par exemple, et Mommsen de l’autre, les grands historiens de l’Antiquité…

Christian Goudineau : Et bien d’autres…

Emmanuel Laurentin : D’un côté les Allemands et de l’autre les Français…

Christian Goudineau : Voilà. L’autre message, puisque vous parlerez inévitablement de la conquête de la Gaule, c’était, heureusement d’une certaine manière que l’on a perdu. C’est-à-dire que les Gaulois, on a besoin qu’ils soient civilisés sinon nous-mêmes nous ne serions pas passés dans un monde où règne l’ordre, la paix, les lois. Donc, ils étaient courageux, ils avaient toutes sortes de qualités, mais quand même c’est bien que Rome ait gagné. Et qu’est-ce que nous faisons d’autre ?

Emmanuel Laurentin : Bien sûr…

Christian Goudineau : Aux petits Africains, aux petits Asiatiques etc. ? On apporte le progrès, on apporte la civilisation.

Emmanuel Laurentin : Donc, tout cela c’est dans une sorte de logique dont il est difficile de se détacher.

Christian Goudineau : Extrêmement difficile.

Emmanuel Laurentin : Vous ferez partie de ceux qui, dans les années 60, en décidant ouvertement, après votre passage à l’École de Rome, d’avoir une chaire consacrée aux Antiquités nationales, à l’université de Provence d’abord puis ensuite au Collège de France – Chaire que vous occuperez au Collège de France à partir de 1984 – de reprendre toute cette question-là, de vous dire d’abord que la chaire d’Antiquités nationales, c’est la chaire de Camille Jullian, c’est la chaire de celui qui d’une certaine façon nous a aussi donné des images à voir, qui ont été ensuite reprises par Lavisse et par d’autres dans nos manuels autour de cette histoire de la Gaule et des Romains. Il faut la reprendre et décider qu’à partir de là faire un travail scientifique, un véritable travail de décapage pourrait-on dire de ces couches qui empêchent de voir vraiment ce qu’étaient les Gaulois.

Christian Goudineau : Oui, c’est tout à fait cela mais j’ajouterais quand même une chose, cela a paru un peu ringard, à mon époque, reprendre…

Emmanuel Laurentin : En 68, reprendre ces Antiquités nationales à l’université de Provence, par exemple…

Christian Goudineau : C’était après 68, peu importe, surtout au Collège de France. Pourquoi ? Parce que Camille Jullian s’était battu pour qu’il y ait enfin une chaire consacrée à l’histoire de la Gaule quelque part, il n’y en avait dans aucune université.

Emmanuel Laurentin : Parce qu’il faut imaginer le monde à la fin du XIXème siècle…

Christian Goudineau : Ce qui comptait, c’est Rome, c’est la Grèce, c’est l’Afrique…

Emmanuel Laurentin : Tellement pris dans l’idée de…

Christian Goudineau : Mais la Gaule c’était méprisable. Camille Jullian obtient, et c’est intéressant de voir qui était son concurrent, c’était Durkheim, de 8 voix près. …

Emmanuel Laurentin : L’inventeur de la sociologie à la française.

Christian Goudineau : Il obtient cette chaire d’Antiquités nationales, qui après va évoluer, et qui lorsque Paul-Marie Duval, que l’on peut considérer comme l’un des successeurs de Jullian, l’occupait s’appelait l’histoire de la Gaule, tout simplement. Moi, je reprends Antiquités nationales, pourquoi ? Eh bien pour taper une deuxième fois sur la table, un peu comme Camille Jullian, en disant qu’on est en train de foutre en l’air tout notre patrimoine, notre patrimoine national. On n’a pas de loi prévoyant que les grands travaux seront précédés de fouilles archéologiques. C’était une espèce de pétition de principe. Grâce à des gens comme Jack Lang, on a essayé de monter une mécanique. Mais les oppositions ont été telles qu’il a fallu attendre 2001 pour que l’on ait enfin une loi sur l’archéologie préventive…

Emmanuel Laurentin : Et un institut…

Christian Goudineau : Et des instruments, comme l’Inrap,

Emmanuel Laurentin : [L’Institut national de recherches archéologiques préventives…

Christian Goudineau : Enfin, Antiquités nationales, c’était…

Emmanuel Laurentin : Un acte politique…

Christian Goudineau : Oui, c’était un acte politique.

Emmanuel Laurentin : C’est un acte politique qui tient compte aussi du profond renouvellement de la problématique autour de cette question du passé national sur le territoire de ce que l’on a appelé la Gaule. Alors, venons-en justement à ce renouvellement avec vous, Christian Goudineau. D’abord, vous dites, dès ce moment-là, dès le début des années 80, que la Gaule, ce n’est pas la Gaule. On ne peut pas parler de Gaule, il faut là aussi commencer à nous laver le regard. Il n’y a pas de différence majeure, de différence notable entre ce territoire que l’on appelle la Gaule et les territoires voisins en allant vers le centre de l’Europe en particulier jusqu’à la Hongrie.

Christian Goudineau : C’est une discussion extrêmement compliquée, que je suis obligé de simplifier. Disons que depuis l’Atlantique jusqu’à Budapest, à peu près, il y avait des peuples, une centaine, peut-être 120, que l’on ne sait pas toujours nommer. À certaines époques, c’étaient de toutes petites entités, et il y en avait infiniment plus et puis à l’époque où nous commençons à bien connaître ces choses, grâce à Poseidonios et à César…

Emmanuel Laurentin : Donc, Ier-IIe siècle avant J.-C.

Christian Goudineau : Ier-IIe siècle avant J.-C., il y a ce que l’on peu appeler des espèces d’États, dont les plus grands couvrent trois à quatre de nos département, quelque chose comme ça, les plus petits, la moitié d’un. Donc, c’est une mosaïque. Chaque État étant indépendant mais bien sûr toutes sortes de réseaux secrets, ce sont des réseaux d’alliances, ce sont aussi le fait que le plus puissant contrôle l’un peu plus faible, ce sont des mariages, ce sont des contrats économiques… Donc, une mosaïque mais une mosaïque qui a tissé un certain nombre de liens. C’est le premier point. Là-dedans, pourquoi identifier un ensemble qui s’appelle Gaule ? Qui va le faire ? C’est Jules César. Jules César va se conduire comme beaucoup de conquérants…

Emmanuel Laurentin : En nommant sa conquête.

Christian Goudineau : Une fois une conquête achevée, quand il considère que c’est à peu près homogène, il dit voilà, ça, cela s’appelle la Gaule. D’ailleurs les géographes antiques, après César, vont être dans un embarras constant parce qu’ils ne savent plus entre la Gaule, la Celtique, ils vont faire des contorsions absolument épouvantables, parce que le Dieu César a forcément raison, il a dit que cela s’arrêtait au Rhin, cela s’arrête au Rhin. Alors, comment nommer ceux qui sont de l’autre côté du Rhin ? On ne sait pas trop. On va dire les Germains, un géographe comme Strabon dit : on les appelle Germains mais ils sont vraiment exactement, exactement comme ceux qui sont de l’autre côté. Enfin, vous voyez, cette espèce, comment dire, de révolution comme Lyautey a dit, associer au Maroc, savoir lire le ( ?), voilà, je ne sais pas quoi, le Congo, ou comment on a fait les frontières, totalement artificielles, qui ont causé tant de malheur aussi bien d’ailleurs en Europe qu’à l’extérieur. Alors, il y a ça, puis il y a un deuxième phénomène, sur lequel on ne saurait trop insister, c’est qu’on a eu la conception que la Gaule était une espèce d’entité farouchement repliée sur elle-même, sans contact pratiquement avec l’extérieur, alors qu’à l’époque qui nous intéresse rien n’est plus faux.

Emmanuel Laurentin : C’est la mobilité.

Christian Goudineau : Il suffit de lire César lui-même. Il y avait outre les problèmes de migrations qui se sont produites jusqu’en Asie mineure, notamment sur le nord de l’Italie, il y a le fait que les peuples aux IIe et Ier siècle avant J.-C. ont une politique extérieure.

Emmanuel Laurentin : Les Éduens ont par exemple un ambassadeur à Rome.

Christian Goudineau : Sûrement. Ce sont des alliances qui se sont faites, pour les Éduens, on peut imaginer au début du IIe siècle avant J.-C., en tout cas c’était fait au milieu. Cela veut dire quoi ? Ils sont déclarés même frères du même sang.

Emmanuel Laurentin : Avec les Romains, ce qui est rare.

Christian Goudineau : Avec les Romains. Cela veut dire – vous y reviendrez je suppose en parlant du XVIe siècle – qu’il y a une légende troyenne qui les réunit et que le Sénat de Rome a accepté et puis le Sénat éduen à sans doute imaginé peut-être lui-même des liens remontant au siège de Troie, ou en tout cas à l’époque ( ?). Ce sont des choses absolument fantastiques. Alors, cela veut dire quoi ça ? Cela veut dire évidemment…

Emmanuel Laurentin : Cela veut dire culture, ça veut dire connaissance mutuelle, ça veut dire échange, ça veut dire commerce, ça veut dire cadeaux, etc.

Christian Goudineau : Et tout, bien sûr. Alors, notre idée que la petite Gaule ait été en but aux horribles légions césariennes, rien de plus faux. Il faut voir que parmi les peuples, la soixantaine de peuples dont on a parlé, qui constitue la Gaule – maintenant on va dire au sens césarien –

Emmanuel Laurentin : Jusqu’au Rhin, avec la Belgique etc.

Christian Goudineau : Les plus puissants ont été six années sur sept les alliés de César.

Emmanuel Laurentin : C’est donc seulement la dernière année qu’ils se sont…

Christian Goudineau : Où il y a eu l’insurrection générale, pour des raisons sur lesquelles on pourra revenir, si vous le voulez.

Emmanuel Laurentin : Donc, il y a cette dimension géographique qui est extrêmement importante quand on parle de cette question-là. Puis, il y a une dimension qui tient à la profondeur du temps. On a l’impression, d’une certaine façon, que l’on a rabattu des siècles d’histoire, parce qu’évidemment la documentation manquait, sur, mettons, les 50 ou 100 dernières années avant la conquête romaine et que tout cela c’est la même chose, que cela a été effectivement une sorte de compression rapide dans quelques décennies d’une histoire beaucoup plus longue dont on a les premières traces, mettons, au VIIe – VIIIe siècle avant J.-C. C’est cela, Christian Goudineau ?

Christian Goudineau : Oui, si l’on fait une distinction entre l’âge du bronze, l’âge du fer, la distinction classique de l’archéologie. En réalité le vrai problème cela serait de savoir quand est-ce qu’un fond de population, que l’on appellera celtique par commodité, s’est vraiment installé au centre de l’Europe en diffusant jusqu’à l’Atlantique.

Emmanuel Laurentin : Et ça ?

Christian Goudineau : C’est très, très difficile à dire, faute de textes bien entendu et puis parce que les crises laissent rarement des vestiges qui soient concrets. On peut avoir un énorme incendie, là on le voit, mais des crises sociales, des crises économiques, des crises climatiques, on ne sait pas trop. Aujourd’hui, on dirait sans doute que ce peuplement qui va conduire aux Gaulois est en place essentiellement aux alentours 1200 ou 1000 avant J.-C., quelque chose comme ça. Alors, on peut le retracer grâce essentiellement à des coutumes funéraires, voire éventuellement à une succession d’habitat de petites fermes, enfin on ne dira pas d’agglomération encore, l’agglomération, c’est un autre problème, beaucoup plus difficile. Effectivement, quand on n’a pas les données de l’archéologie, et l’on avait très peu, on comprime tout cela. Pour faire comprendre, lorsque l’on part de textes, c’est-à-dire que l’on a une culture classique, qu’est-ce que l’on a tendance à faire ? On a tendance à illustrer les textes.

Emmanuel Laurentin : Donc, on part du texte et on essaye de retrouver soit dans l’archéologie, soit dans les données de l’épigraphie, des données tangibles, d’une certaine façon, de faire coller ce que l’on trouve avec les textes que l’on a au départ ?

Christian Goudineau : C’est un processus qui n’est pas dévoyé, c’est le processus que l’on a instinctivement dans la tête. Tout ce qui a changé avec les grands travaux, c’est que ce n’est plus l’historien ou l’archéologue qui décide. C’est-à-dire que ce qu’il serait allé chercher avec les textes roudans ( ?) au fond de sa mémoire, là, c’est tout à fait autre chose, on crée une autoroute, on crée une ligne de chemin de fer, on fait un détournement, on va creuser des parkings souterrains dans une ville et on tombe sur des choses que l’on n’aurait pas imaginées.

Emmanuel Laurentin : Et l’on remet à jour d’une certaine façon un passé que l’on n’aurait jamais imaginé autrement.

Christian Goudineau : Bien sûr.

Emmanuel Laurentin : Et à partir de là, il faut repenser de façon différente tout ce passé là.

Christian Goudineau : C’est sûr.

Emmanuel Laurentin : On lui donne une dimension chronologique bien plus longue, une dimension géographique bien plus large d’une certaine façon, on repense et le temps et l’espace.

Christian Goudineau : Le temps et l’espace tout à fait et j’ajouterais que ces grands travaux, dans la mesure où ils génèrent toute une activité, dans la mesure où ils génèrent des facilités économiques que les archéologues n’avaient jamais eues, ont permis de développer des recherches de types techniques, méthodologiques ou scientifiques que l’on n’avait jamais pu lancers auparavant, que l’on aurait souhaitées…

Emmanuel Laurentin : Lesquelles, par exemple ?

Christian Goudineau : Par exemple, on va voir des spécialistes qui vont étudier les restes des graines.

Emmanuel Laurentin : La palynologie

Christian Goudineau : Les spectres polliniques, la dendrochronologie, bref, tout ce qui tient à l’analyse technique d’une part…

Emmanuel Laurentin : L’archéozoologie, également

Christian Goudineau : Et tout ce qui tient à l’environnement, à l’alimentation, donc à la vie quotidienne, des pans entiers que nous ignorions.

Emmanuel Laurentin : Justement, si l’on se rapproche de cette description que l’on veut faire avec vous, en ouverture de cette semaine consacrée à l’histoire aux Gaulois et leurs représentations, de cette vie quotidienne, est-ce qu’on peut pendre quelques secteurs de ce que l’on pourrait imaginer être la vie quotidienne dans cet espace qu’on nomme la Gaule, mais qui n’est pas la Gaule, on l’a compris avec vous, Christian Goudineau, entre le Ier et le IIe siècle avant J.-C. ?

Christian Goudineau : Je vais d’abord vous dire les deux choses qui ont véritablement compté avant même l’archéologie de sauvetage.

Emmanuel Laurentin : Allez-y.

Christian Goudineau : La première, c’est l’archéologie aérienne.

Emmanuel Laurentin : Le survol des territoires, et on comprend assez vite, en particulier au moment de la maturité des cultures, qu’il y a des différences, au printemps par exemple, entre telle ou telle colories de terre et l’on comprend à ce moment-là qu’il y a soit des trous de poteaux soit des restes d’habitation souterrains, sous tel ou tel champ de culture…

Christian Goudineau : Des habitations, des sanctuaires, c’est-à-dire que pour la première fois, et il faut reconnaître le génie de deux ou trois personnages, notamment Roger Lagache, qui avec de tous petits avions a fait ces observations.

Emmanuel Laurentin : Et ça, c’est les années soixante ?

Christian Goudineau : Oui, les années 60. Il faut bien comprendre que beaucoup de gens n’y croyaient pas. On lui disait : mais qu’est-ce que ces photos, ce n’est pas possible, vous les avez truquées ! Hallucinant ! Hallucinant, alors qu’aujourd’hui c’est devenu évidemment une pratique courante et à partir de là on pouvait déjà commencer à faire des atlas et on s’est aperçu que l’occupation rurale, aussi bien à l’époque romaine mais on l’a vu aussi à l’époque gauloise puisqu’il y a souvent ( ?), était infiniment plus dense qu’on ne l’imaginait.

Emmanuel Laurentin : Ce n’était pas une Gaule couverte de forêt.

Christian Goudineau : Et la palynologie ensuite le démontrera. Donc, ça, c’était un premier point.

Emmanuel Laurentin : Très important.

Christian Goudineau : Très important. Le Gaulois qui passe son temps à faire la guerre, non !

Emmanuel Laurentin : Chasser les sangliers, non.

Christian Goudineau : On peut ajouter, puisque vous parlez des sangliers, que l’étude des ossements d’animaux que l’on retrouve dans les fouilles montre que les Gaulois mangeaient du cochon et que le sanglier c’était une part absolument minuscule. Passons là-dessus. Le deuxième point, qui a beaucoup compté, peut-être un tout petit plus tard mais on est encore dans les années 60-70, c’est l’archéologie sous-marine. C’est-à-dire les fouilles méthodiques d’épaves…

Emmanuel Laurentin : En particulier d’épaves romaines qui sont aux alentours du territoire gaulois.

Christian Goudineau : Qui se trouvent sous les rives de Méditerranée et du Languedoc. Quand on trouve une cargaison ce n’est pas parce qu’elle avait du bois, etc. c’est parce qu’elle avait une cargaison d’amphores, sinon la plus-part du temps tout disparaît. Donc, ce sont des tas d’amphores qui font découvrir les épaves. Et on s’est aperçu que depuis le VIIIe siècle avant J.-C., ce sont à peu près les premières épaves, jusqu’à l’époque moderne, il y a un pic dans le nombre des naufrages qui est représentatif du nombre des transports, et ce pic est à peu près entre les années 150 et 50 ou 30 avant J.-C. À partir de là, on s’est rendu compte qu’il s’agissait de vins italiens, qui inondaient littéralement la Gaule, le marché gaulois, à ce point que certains collègues faisant des calculs, évidemment pour donner un ordre d’idée, ont montré qu’il y avait chaque année entre 500 000 et un million d’amphores, contenant chacun à peu près 25 litres de vin, qui arrivaient. Alors, là encore la petite Gaule repliée sur elle-même prenait un sacré coup. Parce que…

Emmanuel Laurentin : C’est un lieu d’échange, de transport, d’économie, bien sûr.

Christian Goudineau : Et contre quoi ? Contre quoi ces amphores ? Il fallait se poser la question. Il y a quelques textes.

Emmanuel Laurentin : La vieille route de l’étain ?

Christian Goudineau : La vieille route de l’étain, sans doute, des métaux, peut-être quelques produits agricoles, des peaux, des voiles, des trucs comme ça. Mais l’essentiel, on le voit bien chez César et d’autres, les esclaves, ce qui amène à réfléchir sur la société en question. C’est-à-dire qu’un certain grand peuple sans doute devait faire des razzias parce que les criminels de guerre c’est vite épongé, si j’ose dire. Alors razzias, où ? Chez qui ? C’est des milliers chaque année.

Emmanuel Laurentin : Un esclavage Nord-Sud et non plus Sud-Nord, comme beaucoup plus tard on l’imagine. On transporte ces esclaves à Rome en particulier parce que l’on a besoin de main-d’œuvre et cette main-d’œuvre on vient la chercher justement du côté de ces territoires dits gaulois.

Christian Goudineau : Bien sûr. Et n’oublions pas que César avait à côté de lui, lors de ses expéditions en Gaule, les représentants d’énormes firmes. Certains sont capables d’acheter 53 000 Aduatuques qu’ils décident de faire prisonniers et de réduire à l’esclavage. Ils les faisaient convoyer vers Rome, ce qui n’est pas rien.

Emmanuel Laurentin : Effectivement.

Christian Goudineau : Alors, donc, là aussi, il y avait ce cheminement la Gaule, agricole en grande partie, puis aussi…

Emmanuel Laurentin : Les échanges.

Christian Goudineau : La Gaule échangeant avec le monde méditerranéen, ce qui accentuait, disons, les réflexions de type politiques, dont on a parlé précédemment.

Emmanuel Laurentin : Cela veut dire que lorsqu’on réfléchit au territoire, on n’y réfléchit pas du tout de la même façon, Christian Goudineau, dans les années 1970-1980. Quand avec d’autres vous lancez tout un tas d’études sur ce territoire gaulois, on n’y réfléchit pas de la même façon, on cherche à la fois des lieux de centralité, des lieux d’échanges, des lieux de marché et on va commencer à réfléchir aux routes qui permettent d’aller de cité en cité et non plus à un vaste territoire vierge dans lequel il n’y aurait que deux ou trois grandes villes qui seraient perdues au milieu de nulle-part.

Christian Goudineau : Oui, c’est tout à fait ça. C’est-à-dire que l’on va se pencher sur des questions, en gros, d’organisation du territoire.

Emmanuel Laurentin : Et organisation du territoire veut dire organisation sociale, organisation culturelle, organisation politique.

Christian Goudineau : Bien sûr. Religieuse également. Et l’archéologie de sauvetage, finalement qu’est-ce qu’elle nous montre ? Elle nous montre un certain nombre de parcelles, elle nous indique comment peuvent être réparties les exploitations agricoles et elle nous montre aussi une hiérarchie, depuis la toute petite ferme jusqu’à une résidence beaucoup plus imposante, cossue, qui représente vraisemblablement, la résidence d’un aristocrate, d’un chef. C’est toujours difficile d’employer des mots précis. Un ( ?) dirait peut-être César. Puis, au niveau supérieur de la hiérarchie, on découvre, pour cette époque-là, ce que dans notre jargon on appelle les oppida, parce que César emploie ce terme qui est un terme neutre qui veut dire les établissements, les agglomérations, les grandes agglomérations. Et là aussi, on s’aperçoit qu’il y en a beaucoup plus qu’on ne le pensait et surtout qu’ils témoignent d’une organisation politique et sociale tout à fait différente des schémas que l’on avait dans la tête.

Emmanuel Laurentin : C’était ?

Christian Goudineau : C’était un grand ouvrage de défense avec pour la Gaule centrale, disons, 100 à 150 hectares, quelques petits artisanats, en cas de coup dur, les gens se réfugiaient, une place publique pour peut-être que l’on puisse tenir des assemblées,…

Emmanuel Laurentin : Et un marché ?

Christian Goudineau : Des marchés périodiques, des choses comme ça, mais relativement vides, clairsemés. Or, par exemple, les fouilles qui ont été menées au Mont Beuvray, à Bibracte, grande capitale des Éduens, témoignent d’une urbanisation…

Emmanuel Laurentin : Complexe.

Christian Goudineau : Complexe. On n’imaginait pas que ces espèces de Barbares puissent avoir quelque chose qui ressemblerait à des villes. Pourquoi ? Parce que les bâtiments en bois ne laissaient pas de traces, ou plus exactement on n’avait pas à les connaître. Moi, quand j’étais jeune, on ne connaissait que la pierre, éventuellement la brique, la brique crue, mais c’est tout. Et dans les découvertes les plus récentes de ces dernières années, à Bibracte même, qu’est-ce que l’on trouve à l’époque césarienne ? Un forum. Un forum de type italien comme on en trouverait en Italie centrale, avec une basilique etc. Puis tout autour des maisons tout à fait différentes de celles que l’on trouverait à Pompéi ou à Rome. Donc, des processus, comment dire, de mélange, d’acculturation mais aussi d’urbanisation très complexes que l’on commence à entrevoir.

Emmanuel Laurentin : Cela veut dire que l’historiographie de l’Antiquité et de la Gaule en particulier n’est pas étrangère aux grandes évolutions, pourrait-on dire, du reste de l’historiographie. C’est-à-dire qu’au moment même où des contemporanéistes ou des modernistes travailler sur la notion de transfert culturel, c’est-à-dire de ces échanges culturels qui ne sont pas simplement l’imposition d’un modèle sur un peuple qui reçoit ce modèle et qui ne discute pas ou qui peut résister mais disons qui ne résiste pas longtemps, vous, vous adaptez cette idée même de transfert culturel, d’acculturation en disant : il y a des échanges, cela va dans un sens mais ça va aussi dans l’autre…

Christian Goudineau : Bien sûr.

Emmanuel Laurentin : Et ça montre bien qu’effectivement cette Gaule de 150 -200 avant Jésus-Christ est beaucoup plus ouverte au monde qu’on ne l’a jamais imaginée et cela grâce aux archives que vous trouvez dans le sol, ces nouvelles façons de questionner le passé ?

Christian Goudineau : Bien sûr. On va donner un exemple extrêmement précis. L’archéozoologie nous a montré que depuis la domestication, au Néolithique, les espèces animales courantes, celles qui faisaient l’objet d’élevage, n’ont cessé de rapetisser, je ne sais pas si c’est pour une question de gestion cheptel etc., mais par rapport à l’animal sauvage, l’animal domestique devient de plus en plus petit, et les chevaux que l’on retrouve normalement dans les fouilles sont des chevaux relativement petits, à l’époque gauloise, ce que l’on appellerait nous des double-poneys, vous voyez, ce n’est pas très grand. On sait d’ailleurs, par les textes, que les grands guerriers essayaient de se procurer des chevaux qui venaient de l’étranger, parce que combattre avec des cuirasses sur un double-poney ce n’est pas terrible, terrible. Mais voilà que des fouilles nous ont montré, parmi les restes alimentaires, des chevaux de grande taille, de type romain, et pas seulement ça. À côté, on peut avoir des amphores, du matériel métallique et même, on a trouvé dans une fouille, à Besançon, un étalon en bronze qui représente un pied romain, cela veut dire l’équivalent de 30 centimètres, avec toutes ses graduations.

Emmanuel Laurentin : Et cela date de quelle époque à peu près ?

Christian Goudineau : 70 avant Jésus-Christ, c’est-à-dire avant la conquête. Et les indices s’accumulant, on peut même se demander s’il n’y avait pas eu avant la conquête une présence romaine qui n’aurait pas été seulement celle de commerçants mais celle de fermiers, d’agriculteurs, ce qui, là encore, changerait considérablement notre vision des choses.

Emmanuel Laurentin : Par exemple, dans cette Gaule transalpine du sud de la…

Christian Goudineau : Là, c’est déjà fait de toute façon…

Emmanuel Laurentin : Même déjà très tôt…

Christian Goudineau : Depuis là…

Emmanuel Laurentin : C’est-à-dire qu’à partir du moment où Rome conquière l’Espagne il faut bien un lieu de passage et ce lieu de passage déjà va être tout ce sud de la France, Languedoc…

Christian Goudineau : Absolument…

Emmanuel Laurentin : Et la région marseillaise qui était déjà alliée de Rome depuis très longtemps, tout cela va déjà être sous influence et dès va remonter plus haut, c’est cela que l’on peut dire ?

Christian Goudineau : Bien sûr, c’est cela. Imaginez par rapport à ce que l’on pensait, il y a simplement trente ans, qu’il puisse y avoir des espèces de colons, entre guillemets, italiens qui viennent en Gaule indépendante, c’est une petite révolution ! Je vais vous citer un deuxième ou troisième phénomène. Les numismates ce sont aperçus, qu’aux alentours de 120-80 avant Jésus-Christ, il s’est produit, à certains endroits, une véritable révolution. Alors que la Gaule fonctionnait avec des monnayages d’or et de petites divisions qui allait jusqu’au bronze, certains peuples passent à l’argent. Et l’argent ils le traduisent en pièces qui font exactement la moitié d’un denier romain et qui correspondent à peu près à une monnaie massaliote. Alors, nous qui avons vécu les difficultés du passage à l’Euro, qui avons vu combien il faut d’accords diplomatiques pour changer les monnaies, qui avons vu aussi tous les problèmes techniques que cela pouvait causer, imaginons ces peuples qui, en suivant à peu près la vallée du Rhône, de la Saône puis toute la périphérie en débordant largement vers l’ouest, changent totalement leur système. Ils le font pourquoi ? Ils ne le font pas forcément pour que les monnaies soient échangeables – il faut imaginer au-delà – mais parce que l’on peut compter. On compte avec le même langage.

Emmanuel Laurentin : On peut compter et l’on peut écrire aussi. Parce que tout compte fait, on a toujours pensé, depuis César, que les Gaulois n’écrivaient pas. Or, la trouvaille ou les trouvailles récentes de l’archéologie nous montrent que si, ils écrivaient sûrement.

Christian Goudineau : Bien sûr.

Emmanuel Laurentin : Ils écrivaient mais sur quoi ? Comment ? En tout cas on a quelques témoignages de ces écritures-là et d’un seul coup cela change complètement, là aussi, la vision d’une tradition simplement orale, qui se serait transmise par l’oralité et pas par l’écriture.

Christian Goudineau : Comment voulez-vous qu’une organisation, y compris commerciale, aussi complexe puisse marcher sans qu’il y ait des contrats ? Ce n’est pas possible. Ce qui reste c’est sur des tablettes de plomb par exemple, mais bien que l’essentiel devait être en cire, des tablettes de bois avec la couche de cire, comme César nous dit en avoir trouvé, lorsqu’il prend le camp des Helvètes. Il a trouvé le décompte complet de tous les microns ( ?), avec leur nom, leur âge, leur nombre, leur tribu, etc. César nous parle bien des testaments. Donc, ça fonctionnait. La seule question, c’est que les textes sacrés, comme il est courant d’ailleurs dans certaines civilisations, ne devaient pas être couchés par écrits et étaient l’objet d’une transmission orale. Mais il s’agit de textes sacrés.

Emmanuel Laurentin : Alors, justement ces textes sacrés, parce qu’évidemment quand on pense Gaule, on pense druidisme. Christian Goudineau, vous dites vous-même, dans un de vos ouvrages, que vous n’êtes pas très à l’aise avec ce milieu de la religion, cette compréhension de la religion et que néanmoins il faut bien s’y coller, quand on est historien de la Gaulle, et donc on tente de s’y coller. Comment ? Justement pour pouvoir là aussi renouveler la vision que l’on a de cette religion, de ses pratiques, pratiques funéraires qui accompagnent peut-être cette religion etc.

Christian Goudineau : Et bien, c’est difficile. C’est très difficile pour plusieurs raisons. D’abord l’archéologie de sauvetage ne nous a pas donné de renseignements tellement là-dessus. Il faut avoir le pot de tomber sur…

Emmanuel Laurentin : Un temple.

Christian Goudineau : Un temple, un sanctuaire. On en a. On a vu le rôle prédominant sans doute des offrandes guerrières. On a vu aussi le rôle politique que pouvait tenir des sanctuaires. Certains sanctuaires manifestement sont des émetteurs de monnaies. Maintenant quel était le fond de cette religion ? C’était un fond certainement savant, comme toute religion. Les Druides étaient considérés, dans l’Antiquité, comme de très hauts personnages, comme d’excellents connaisseurs notamment de l’astronomie et peut-être de l’astrologie.

Emmanuel Laurentin : Théologie fondée peut-être sur les astres, en tout cas on le pensait.

Christian Goudineau : Comme la plupart des religions de l’Antiquité.

Emmanuel Laurentin : Ce qui prouve là aussi les échanges, la capacité justement à faire migrer les savoirs liés à l’astronomie en particulier.

Christian Goudineau : Bien sûr. Ce n’est pas un hasard si l’on pense qu’il y a eu des relations entre les mouvements druidiques et les mouvements pythagoriciens, par exemple. Mais cela se traduit comment dans la vie de tous les jours ? C’est beaucoup plus difficile à savoir. Quel est le type de dévotion une fois que l’on a quitté les grandes sphères politiques ? Quel est le type de dévotion populaire ? On a bien de petits ex-votos, on a des choses comme ça, mais il est très difficile à dire sauf à pense que ce fond là à subsister durant l’époque Gallo-Romaine, auquel cas notre documentation…

Emmanuel Laurentin : Est particulièrement…

Christian Goudineau : S’accroît notablement, là on peut avoir les traces d’une religion populaire. Ce qui a été trouvé quand même, c’est un certain nombre de sanctuaires. Des sanctuaires qui nous étonneraient parce qu’ils sont essentiellement fait avec des matériaux périssables, parce qu’on y accroche des crânes humains, parce qu’on y accroche des dépouilles de bêtes, etc., etc.

Emmanuel Laurentin : Là, la rêverie reprend d’une certaine manière…

Christian Goudineau : La rêverie reprend, non, mais non.

Emmanuel Laurentin : Parce que l’on pourrait se dire…

Christian Goudineau : On se met dans l’idée que le sanctuaire antique c’est le Parthénon avec des colonnes blanches, ce qui est aussi une déformation totale de la réalité. Il suffisait d’aller n’importe où en Grèce ou en Italie pour voir sans doute des arbres avec des tissus, des dépouilles, etc.

Emmanuel Laurentin : Là, la rêverie reprend dans le sens où effectivement cette question des crânes, le funéraire, une vision peut-être de massacre, dont on ne sait s’ils se font sur des vivants ou sur des morts, tout cela commence à faire imaginer ou ré-imaginer un peuple barbare, sauvage, sanglant, qui n’hésite pas effectivement à sacrifier des humains dans sa religion.

Christian Goudineau : D’une part cela s’est fait dans toutes les religions antiques à certains moments…

Emmanuel Laurentin : Y compris à Rome…

Christian Goudineau : Y compris à Rome où l’on a enterré vivants des Gaulois encore au IVe siècle avant Jésus-Christ. D’autre part il faut bien distinguer entre des rituels qui sont des rituels de types guerriers, c’est des ennemis que l’on a battus dont on s’occupe, que l’on sacrifie éventuellement à Dieu, voire des criminels, et puis la notion de sacrifice humain qui est tout à fait autre chose et que l’on ne saurait véritablement attester.

Emmanuel Laurentin : Alors, çà, c’est l’aspect religieux, pourrait-on dire, et puis on va peut-être terminer dans les quelques minutes qui nous restent sur ce qui reste de plus flagrant dans l’imagerie autour des Gaulois, c’est leur aspect. Leur aspect extérieur, leur grandeur, leur pâleur, leur blancheur leur caractéristique hirsute et leur pilosité en particulier, tout cela à nouveau freine là aussi encore l’archéologie, le travail long et patient des historiens, comme vous, Christian Goudineau, tout cela revient de façon différente sur le devant de la scène parce que vous vous dites : attention ! On a peut-être des façons de mieux comprendre à la fois ces textes et puis qui ils étaient véritablement.

Christian Goudineau : Écoutez, la première constatation c’est qu’une nouvelle fois on se trouve en face de clichés traditionnels. On a toujours un voisin, généralement vers le Nord, qui est plus grand, plus blond, etc. Pensez aux fantasmes que provoquent encore, je ne sais pas…

Emmanuel Laurentin : Les Suédois.

Christian Goudineau : Je vois votre œil s’allumer, les Suédoise !

Emmanuel Laurentin : Suédois et Suédoises, selon son inclinaison sexuelle.

Christian Goudineau : Oui. Ce que les Italiens disaient des Gaulois, les Gaulois le disaient des Germains et les Germains devaient le dire des Nordiques. En réalité, lorsqu’on fait, c’est un peu difficile parce qu’on incinère beaucoup à cette époque-là, un peu de paléodémographie, comme on dit, on s’aperçoit que la population entre l’Italie et la Gaule n’était guère différente. Ils devaient être à peu près comme vous et moi, peut-être un peu plus petits. Là encore c’est l’imaginaire qui s’est emparé de tout cela. Alors, hirsutes, là aussi, c’est le cliché du barbare. Ils pouvaient très bien effectivement avoir des cheveux long, pourquoi pas, et des moustaches, du moins pour certains, mais, on a des statues d’aristocrates, on a…

Emmanuel Laurentin : Des statues récemment trouvées, pour certaines.

Christian Goudineau : Oui, bien sûr. On a aussi les monnaies, dont j’ai parlées tout à l’heure. Sur ce monnayage d’argent, pour la première fois, il y a des magistrats, certains d’ailleurs donnant leur nom. Eh bien, on voit que non seulement ils ne sont pas moustachus et barbus mais qu’ils ont une chevelure extrêmement élaborée. Il semblerait que cela ne soit pas seulement la mode…

Emmanuel Laurentin : Soignés.

Christian Goudineau : Non. Ce n’est pas seulement une question de mode, c’est sans doute des signes distinctifs qui pouvaient marquer un rang social ou peut-être l’appartenance à une famille, je ne sais pas. Mais vous auriez rencontré un grand aristocrate gaulois dans la rue, il est probable qu’il vous aurait frappé par un caractère très convenu, je dirais, et vous n’auriez pas dit : Mon Dieu, quel pouilleux !

Emmanuel Laurentin : Est-ce que ce n’est pas difficile, Christian Goudineau, après vous être intéressé avec autant d’acharnement, de volonté, de volontarisme pourrait-on dire même, en tant qu’historien à cette histoire de la Gaule, de voir que malgré le travail, de vous-même et des gens qui sont autour de vous, ceux que vous conviez d’ailleurs dans votre cour au Collège de France, séminaire au Collège de France que vous continuez à faire encore cette année, la vingt-cinquième année, que malgré cela, c’est vraiment difficile d’en finir avec le clichés, les idées reçues ? C’est quand même ça qui est assez frappant ?

Christian Goudineau : Oui, oui, c’est une des grandes peines de ma vie, je dois dire.

Emmanuel Laurentin : La difficulté de transmettre le savoir savant sur des questions aussi ancrés dans les mémoires.

Christian Goudineau : Bien sûr. D’où vient le problème ? Le premier problème, à mon avis, c’est la difficulté d’opérer le passage vers les manuels scolaires. Pour toutes sortes de raisons, à la fois de programme, la Gaule n’est pas enseignée pratiquement. On ne parle de la Gaule que lorsque César a la bonté de venir la conquérir et toutes les découvertes de l’âge du bronze, de l’âge du fer, qui sont parmi les plus fantastiques, généralement elles n’ont aucun écho dans les manuels scolaires.

Emmanuel Laurentin : Alors qu’elle raconte des histoires formidables.

Christian Goudineau : Bien sûr. Mais, ce n’est pas moi qui fais les programmes, malheureusement ! C’est un premier point. La formation des enfants, c’est vitale. Le deuxième point, c’est un trait plus général de civilisation, il faut sans doute que la profession apprenne à mieux s’adresser, à mieux utiliser les médias. C’est ce que l’on essaye de faire, mais ce n’est pas simple parce que ce n’est pas un sujet qui intéresse forcément les médias. Je suis très content de voir que maintenant, cette année en tout cas, il est plutôt à l’ordre du jour…

Emmanuel Laurentin : Grâce à Astérix, qui va encore faire perdurer les idées reçues.

Christian Goudineau : Bien sûr, mais Astérix, c’était, de la part de Goscinny, une volonté de se moquer des contemporains en utilisant des clichés qu’il savait être des clichés alors que ses successeurs apparemment n’ont pas forcément la même acuité historique et intellectuelle.

Emmanuel Laurentin : Merci Christian Goudineau. On enjoint nos auditeurs à vous rejoindre au Collège de France. Les cours ont commencé ?

Christian Goudineau : Oui, Oui.

Emmanuel Laurentin : Cela sera votre dernière année ?

Christian Goudineau : Ah oui. Bien sûr, il faut bien s’arrêter un jour.

Emmanuel Laurentin : On les enjoint également à vous lire. « Le dossier Vercingétorix », c’est vrai que c’est ce caractère d’enquête qui est si formidable que vous mettez en œuvre à propos des personnages historiques : « César et la Gaule », « Regard sur la Gaule », plus récemment encore qu’est-ce qu’on peut conseiller ?

Christian Goudineau : « Regard sur la Gaule », qui va paraître également chez Acte Sud, dans la collection Babel. La plupart de mes livres, disons de vulgarisation, sont chez Babel.

Emmanuel Laurentin : Merci encore, Christian Goudineau, d’avoir accepté d’ouvrir cette semaine de la « Fabrique de l’Histoire », consacrée aux Gaulois et à leurs représentations…

Christian Goudineau : Merci à vous.

Emmanuel Laurentin : On a tenté, avec vous, de dépoussiérer ces représentations et d’être au plus près de ce que l’on sait aujourd’hui, de ce qu’on peut savoir de ce qu’étaient ces Gaulois. Merci encore. Demain, nous continuons cette semaine sur l’histoire des Gaulois en évoquant les Gaulois et leur renaissance, pourrait-on dire, dans l’imaginaire collectif, au XVIe et XVIIe siècle.

Bibliographie indiquée sur le site de l’émission :

Christian Goudineau, « Le dossier Vercingétorix », Ed. Actes Sud, 8 février 2001.
Christian Goudineau, « Regard sur la Gaule », Ed. Errance, 2007.
Christian Goudineau, « Par Toutatis ! : que reste-t-il de la Gaule ? », Ed. Seuil, coll. L’avenir du passé, 2002.

Histoire des gaulois 2

Je n’ai pas retrouvé cette émission, alors en voici la retranscription de l’émission La Fabrique de l’Histoire, par Emmanuel Laurentin, du mardi 27 octobre 2009.

Lire la retranscription

Un point d’interrogation, entre parenthèse indique un doute sur un mot ou un groupe de mots. Un grand merci aux lecteurs qui signaleront à l’auteur (tinhinane[ate]gmail[point]com) les imperfections (y compris coquilles et fautes) afin que cette transcription soit de meilleure qualité pour les lecteurs.

Édito sur le site de France Culture : Après l’état des savoirs sur la Gaule et les Gaulois exposé hier par Christian Goudineau, nous nous imaginons ce matin comment la figure du Gaulois, oubliée tout au long du Moyen-âge, a resurgi dans la France du XVIème siècle.

Les historiens humanistes, soucieux de vanter une France où les contre-pouvoirs juridiques borneraient le pouvoir du souverain, inventent en effet une Gaule à leur image, délibérative et quasi républicaine, pour faire pendant à la Rome impériale et à la Troie que les rois se donnaient jusque-là pour origine. Ainsi, à leur instigation, le Roi se pare des atours de l’Hercule gaulois, tandis que les guerres entre catholiques et protestants déchirent le pays. Mais cette tentative de substituer la généalogie celte à la filiation troyenne tournera court au début du XVIIème siècle avec l’affirmation renouvelée d’un pouvoir monarchique qui ne veut plus s’identifier aux vaincus gaulois… Au cours de cette émission, Martin Amic lit pour nous des textes d’auteurs du XVIème (Ronsard, François Hotman, Étienne Pasquier, Du Bellay), tous commentés et complétés par trois historiens de cet imaginaire gaulois.

Avec Laurent Avezou, professeur en classes préparatoires au lycée Pierre de Fermat (Toulouse) ; Jean-Marie Le Gall, professeur d’histoire moderne à l’Université de Rennes 2 ; Claude Gilbert-Dubois (au téléphone), professeur émérite à l’Université de Bordeaux 3.

Introduction par Emmanuel Laurentin : Deuxième temps de notre semaine consacrée aux Gaulois, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’invention du personnage d’Astérix et de ses compagnons. Nous y reviendrons d’ailleurs jeudi, avec un documentaire enregistré par Anaïs Kien et réalisé Véronique Samouiloff, il y a une quinzaine de jours, à Bobigny, à l’occasion d’une journée d’étude de l’Université de Paris 13 autour de la figure du petit guerrier gaulois. Hier, le professeur au Collège de France, Christian Goudineau, nous a dit combien les recherches des trente dernières années, en histoire et en archéologie, avaient profondément bouleversé les idées reçues sur les Gaulois. Une fois les bases modernes sur les Gaulois fixées, nous allons aujourd’hui nous demander comment la Gaule et les Gaulois ont ressurgi dans l’histoire de notre pays, au XVIe siècle, et non au XIXe siècle, comme on le pense. Souvent sur fond de guerres de religions, les juristes du Royaume ont ainsi momentanément mis fin aux origines troyenne de la France. Nous allons le voir avec Anaïs Kien, de « La Fabrique de l’Histoire », avec Jean-Marie Le Gall, professeur d’histoire moderne à l’Université de Rennes 2, auteur de « Le mythe de Saint Denis, entre Renaissance et Révolution », chez Champ Vallon ; Laurent Avezou, archiviste paléographe, docteur ès-lettres, est professeur de classes préparatoires au lycée Pierre de Fermat à Toulouse, auteur de « Raconter la France : Histoire d’une Histoire », chez Armand Colin et Claude-Gilbert Dubois, professeur honoraire de l’Université Michel de Montaigne et auteur de « Récit et mythe de fondation dans l’imaginaire culturel occidental », c’est publié aux Presses universitaires de Bordeaux. Et en compagnie également de Martin Amic, que je salue, qui va nous lire les textes que nous avons choisis pour pouvoir illustrer cette émission qui part d’une sorte de fiction. Nous allons nous poser comme étant, mettons, au milieu du XVIe siècle, ou au début du XVIe siècle et nous demander quel est l’univers de ceux qui écrivent l’histoire de la France de cette époque-là. Une histoire de la France qui plonge ses racines normalement, quand on se trouve au début du XVIe siècle, plutôt du côté de Troie que du côté de la Gaule ?

Laurent Avezou : Tout à fait, puisque se réclamer de Troie, c’est se réclamer d’une filiation aussi noble que celle des Romains. Les Romains qui prétendent descendre d’Hélénus, fils de Priam ayant fui Troie après sa fuite. On constate qu’à partir du VIIe siècle, dans les sources médiévales, s’est mise en place la fiction selon laquelle les Francs seraient eux-mêmes des Francions, autre fils de Priam qui, lui, aurait choisit la voie du Danube et de l’Europe centrale pour faire gagner progressivement à son peuple les rivages de la France.

Emmanuel Laurentin : C’est assez étrange parce qu’effectivement quand on se replace dans notre époque aujourd’hui on peut considérer cela comme totalement étrange et bizarre mais d’une certaine façon, c’est une sorte de vulgate, tout le monde croit, depuis le VIIe siècle, à cette fiction d’une origine troyenne de la France.

Laurent Avezou : Tout le monde, c’est-à-dire ceux qui s’intéressent à…

Emmanuel Laurentin : Ceux qui écrivent, évidemment.

Laurent Avezou : Voilà, c’est ça, ceux – ceux qui écrivent et ceux qui se lisent en écrivant – qui voient une utilité doctrinale également à constituer cette fiction qui légitime la France en la rapprochant de toutes les monarchies d’Europe, ce qui est censé être sa matrice, c’est-à-dire l’Empire romain. En effet, au début du XVIe siècle, gare à ceux qui remettent en cause cette reconstitution des choses parce qu’elle est constitutive du discours de la monarchie de France. En fait, c’est un mythe politique.

Emmanuel Laurentin : C’est un mythe politique qui va être un peu mis à mal pendant ce XVIe siècle, on va en parler avec vous ainsi qu’avec Claude-Gilbert Dubois. Bonjour, Claude Gilbert-Dubois.

Claude Gilbert-Dubois : Bonjour.

Emmanuel Laurentin : Vous avez travaillé, depuis longtemps, sur la question de l’imaginaire culturel occidental, à l’université de Bordeaux puisque vous avez créé, en 1976, un laboratoire consacré à l’imaginaire appliqué à la littérature. Cet imaginaire, quel est-il à ce moment-là chez ceux qui ne sont plus tout à fait des clercs et qui vont devenir des laïques, progressivement tout au long du XVe et XVIème siècle, et qui commencent à réfléchir au passé de ce pays ?

Claude Gilbert-Dubois : Eh bien oui, ils ont beaucoup réfléchi au passé de ce pays et le présent. Le présent pour être présent emprunte plusieurs voies. La voie principale, elle vient d’être dite, c’est Troie. On vient de Troie. Il y a eu une immigration vers l’Ouest, toutes les migrations d’ailleurs en Europe, sauf quelques exceptions près, se font vers l’Ouest. Et ces héros troyens, je rappelle Francus aux Francions, Brutus pour les Anglais, sont venus de cette lointaine cité asiatique en passant par l’Europe centrale. Alors, lorsque Francus est arrivé, il a été accueilli, en Gaule, par le roi des Rèmes, tribu gauloise, Rème dont la capitale est l’ancêtre de Reims, capitale qui sera également célèbre pour un évêque qui s’appelle Remi, et vous voyez que les Rèmes, Reimes, Remi, tout cela renvoi à Remus, le frère de Romulus, qui n’est jamais nommé, in extenso mais qui est sous-dit dans tous ces noms homonymes et qui font que l’histoire des origines de la France se trouve parallèle, c’est l’histoire jumelle, de l’histoire d’Énée qui lui est allé dans le Latium.

Emmanuel Laurentin : Ce qui est extraordinaire c’est qu’effectivement il y a une mise en cohérence de tous ces clercs qui ont écrit tout au long du Moyen-Age sur cette question des origines de la France. Mise en cohérence qui d’ailleurs sera poursuivie par les laïques, qui vont faire la même chose au XVIe siècle en trouvant dans la toponymie, dans les débuts d’une sorte d’archéologie, des raisons de penser ce qu’ils pensent, d’une certaine façon. C’est-à-dire qu’ils mettent tout cela dans une cohérence telle que l’on ne peut pas remettre en cause cette idée des origines troyennes de la Gaule, de la France.

Claude Gilbert-Dubois : Je crois que cela tient à quelque chose qui est de l’ordre de la structure imaginative européenne, puisque l’Occident pour l’instant, c’est surtout l’Europe, c’est que tout mythe de fondation se fait en deux temps. Le modèle archétypal, c’est l’histoire d’Abraham, qui d’abord reçoit la promesse d’un territoire, puis plus tard arrive un descendant qui, lui, donne une législation à la nation, c’est Moïse. Dans l’histoire d’Énée, c’est exactement la même chose. Vous avez au départ un héros, qui est Énée, qui va aller vers l’Ouest, qui comme Abraham s’est arrêté à Harran en Syrie avant de rejoindre Canaon, lui-même fait un arrêt sur le mont Ida où il a fondé une seconde Troie, et ensuite est allé vers l’Ouest et après, je dirais, diverses péripéties a reçu ce territoire, qui lui a été promis. Après quoi, quelqu’un de la même lignée, qui s’appelle Romulus et puis la ligné des rois, Numa Pompilius également, vont être les législateurs de cette terre, qui a été donnée à Énée par un fatum, c’est-à-dire un destin, fatum cela vient du verbe latin fari qui veut dire énoncer solennellement et qui est l’équivalent du mektoub, c’est dit, cela a été dit, il y a un destin, comme il y a un don des Dieux du côté des Hébreux, il y a un destin du côté des Romains, qui fait que ce qui est arrivé ne pouvait pas être autrement.

Emmanuel Laurentin : Évidemment.

Claude Gilbert-Dubois : Je pense que là aussi on essaye de faire la même chose.

Emmanuel Laurentin : Évidemment, on comprend bien. Jean-Marie Le Gall, Bonjour.

Jean-Marie Le Gall : Bonjour.

Emmanuel Laurentin : Vous avez publié récemment, « Le mythe de Saint Denis, entre Renaissance et Révolution », chez Champ Vallon, dans la très bonne collection dirigée par Joël Cornette. Comment la figure de Saint-Denis rentre-t-elle dans ce paysage qui est en train d’être tissée par vos deux collègues ?

Jean-Marie Le Gall : À partir du moment où le mythe troyen s’effondre un petit peu quand même, au début du XVIe siècle, il faut quand même se prévaloir d’une origine avec la Grèce, d’autant que l’on est en guerre avec l’Italie, que les rapports avec Rome ne sont pas simples dans la première moitié du XVIe siècle. Donc, il y a cette volonté d’inscrire la translatitius todi ( ?) entre la Grèce et la Gaule autour de la figure de Saint-Denis. Alors, qui est Saint-Denis, quand même ? Rapidement parce qu’en fait…

Emmanuel Laurentin : Oui, il faut tout de même préciser.

Jean-Marie Le Gall : Aujourd’hui, on distingue trois personnages qui à l’époque sont confondus. Il y a tout d’abord le discipline de Saint-Paul, qui est un magistrat de l’Aréopage, à Athènes, et qui aurait été converti directement au Ier Siècle…

Emmanuel Laurentin : Saint-Denis de l’Aréopagite.

Jean-Marie Le Gall : Voilà, Aréopagite converti au Ier siècle. Puis ensuite, apparaissent, vers le Ve-VIe siècle, des textes important écrits par un pseudépigraphe, qui va se dire être Saint-Denis de l’Aréopagite, mais qui inscrivent ces textes dans le Ier siècle. Et enfin, la légende sera forgée au VIIIe siècle. Mais tout cela on y croit au début du XVIe siècle, ce Saint-Denis, qui aurait écrit des textes qui font figure presque de cinquième Évangile, qui est le disciple de Saint-Paul, serait venu évangéliser les Gaulois, serait donc l’apôtre des Gaules. Il mourait à Paris, à Montmartre, dont il est le premier évêque. Il meurt à Montmartre, mont des martyres. Cette figure-là est d’abord le protecteur de la monarchie, et les rois de France qui à la fin du Moyen-âge, pendant la guerre de Cent Ans, Colette Beaune l’avait montré, ont eu de la suspicion à l’égard d’un Saint-Denis qui était en quelque sorte accusé de collaborer avec l’occupant anglais, eh bien les souverains de France ont retrouvé, au XVIe siècle, en quelque sorte le chemin de Saint-Denis, qui est véritablement le protecteur de la couronne. Puis la France du début du XVIe siècle de François 1er, c’est aussi la France de l’humanisme en France, de la Renaissance, et la figure de Saint-Denis, cet auteur prestigieux, qui écrit justement en grec, permet d’illustrer l’idée, d’incarner même l’idée que la translation des études se fait de la Grèce directement vers la Gaule en enjambant en quelque sorte Rome.

Emmanuel Laurentin : En enjambant l’Empire romain. Une question d’Anaïs Kien

Anaïs Kien : Laurent Avezou, d’où vient le premier coup porté à ce mythe troyen ? Est-ce que l’on peut voir cette première griffure faite à ce mythe, qui jusque là tenait très bien la route ?

Laurent Avezou : C’est assez difficile de répondre parce que le mythe troyen n’a pas été, dans un premier temps, directement pris à partie par les humanistes ou les pré-humanistes mais…

Anaïs Kien : Il y a un moment de recherche ?

Laurent Avezou : De manière détournée en quelque sorte, c’est la résurgence des origines gauloises qui indirectement portent un coup au mythe troyen, que l’on peut situer très précisément, si on veut donner une date, en 1485, avec la publication par Paul-Émile d’un ouvrage qui s’intitule de l’« Antiquité de la Gaule », qui est le premier, à peu choses près, à être consacré en propre aux Gaulois.

Emmanuel Laurentin : Paul Émile étant un humaniste italien,…

Laurent Avezou : Voilà.

Emmanuel Laurentin : Venu à la cour chez Charles VIII…

Jean-Marie Le Gall : C’est cela, qui a été débauché par les rois de France à la fin du XVème siècle. Ce qui va se passer, c’est que la recouverte des Gaulois, à partir de cette époque, va servir à retourner le mythe troyen contre lui-même, dans une perspective qui va en même temps lui rendre hommage. J’entends par là que des auteurs qui, comme Guillaume Postel ou Jean Bodin, mais ceux-ci au milieu du XVIème siècle, vont essayer de mettre en place la fiction selon laquelle Troie aurait été créée par les Gaulois.

Emmanuel Laurentin : Attendez, là, il faut s’arrêter parce que c’est quand même très compliqué cette histoire, et c’est très intéressant parce qu’effectivement on voit bien comment on manipule du symbole dans ce début de XVIème siècle. Donc, il y a cette histoire ancienne, selon laquelle les Troyens fondent ce qui va devenir le royaume de France, mais après on va torturer, disons, cette histoire en inventant une translation dans l’autre sens.

Jean-Marie Le Gall : C’est ça, exactement. C’est une manière de ménager la chèvre et le chou parce que la monarchie tient à ces origines troyenne, on ne peut pas lui retirer Troie parce que Troie c’est la romanité. Mais, se développe parmi les représentants de l’humanisme un courant qui tente de rechercher des ancêtres, dans laquelle les humanistes, qui sont des gens d’Europe, des hommes de loi le plus souvent, cherchent à se reconnaître parce que les Troyens c’est la noblesse dans une large mesure. Les Troyens c’est la monarchie mais derrière elle l’aristocratie. Les humanistes ne peuvent pas alléguer cette filiation pour eux et les Gaulois vont servir à la contourner.

Emmanuel Laurentin : Surtout que dans certains milieux des humanistes on cherche une sorte de République idéale…

Jean-Marie Le Gall : C’est ça.

Emmanuel Laurentin : Et que l’on va inventer une sorte de République gauloise. On a un texte par exemple de Joachim du Bellay, dans Défense et illustration de la langue française, je crois qu’il est daté de 1549, qui va nous être lu par Martin Amic.

Lecteur, Martin Amic : « L’antique sainteté et gravité de meurs de nos Gaulois qui en leur jeu n’ont voulu suivre la vanité grecque des comédies et tragédies mais ont élu ce divin genre de poème pour proposer aux yeux du peuple l’institution de la bonne vie. Il n’y a pas de point de faute que nos Gaulois ont toujours plus que les autres peuples voulu démontrer les choses occultes et intelligibles par les choses sensibles et manifestes. »

Emmanuel Laurentin : Un esprit gaulois, tel qu’il nous est décrit par Joachim du Bellay, dans une lecture de Martin Amic, Laurent Avezou ?

Laurent Avezou : Ce que l’on peut commenter à ce sujet, c’est la perspective des humanistes qui ont un regard législatif en quelque sorte sur le passé gaulois. Les Gaulois sont des professeurs d’institution qui suggèrent que la constitution idéale propre à la France est une sorte de confédération, d’association librement consentie par des peuples qui dans le principe sont opposées à la monarchie absolue.

Emmanuel Laurentin : Alors ça, c’est quand même extraordinaire parce qu’effectivement ce sont des juristes, dites vous, qui ont été forgés du côté de Bourges, pour certains d’entre eux, dans une école de juristes particulière, qui ont travaillé autour de cet héritage du droit romain qu’il faudrait appliquer à l’Europe du XVIème siècle et qui, ces juristes, réfléchissent à l’idée qu’il faudrait, au moment même où se met en place le processus qui va peut-être conduire à la monarchie absolue, tempérer cette monarchie absolue en imaginant des modèles plus, entre guillemet, démocratiques, en tous les cas avec une contestation possible de la personne du souverain, contestation limitée certes…

Laurent Avezou : Confrontation, plutôt, monarchie participative parce que démocratie c’est trop fort mais…

Emmanuel Laurentin : Ça, c’est quand même assez extraordinaire. Voilà des gens qui pensent à l’encontre de ce que veut faire d’une certaine façon la monarchie dans une sorte de tropisme qui lui est propre.

Laurent Avezou : Oui, c’est exact. Mais vraisemblablement, quand cela se met en place, dans les années 1520-1530, je ne pense pas qu’ils soient conscients de forger une bombe à retardement contre l’absolutisme.

Emmanuel Laurentin : Oui, ce ne sont pas des terroristes avant l’heure.

Laurent Avezou : C’est le moins qu’on puisse dire.

Emmanuel Laurentin : Jean-Marie Le Gall, puis Claude Gilbert-Dubois ensuite.

Jean-Marie Le Gall : Sur ?

Emmanuel Laurentin : Sur ce thème.

Jean-Marie Le Gall : Sur ce thème justement de professeur d’institution, c’est vrai que naît au milieu du XVIème siècle le thème de l’autochtonie parce que les Gaulois c’est ça, c’est-à-dire que la France procède d’elle-même en quelque sorte, elle n’a pas besoin d’apports étrangers. Et c’est vrai qu’au XVIème siècle, le mythe gaulois en quelque sorte permet de contrebalancer le poids parfois de familles étrangères dans la vie du royaume de France, comme l’Église qui sont réputés étrangers, et le poids de ces Italiens qui sont envahissants…

Emmanuel Laurentin : Qui sont autour de la cour.

Jean-Marie Le Gall : En même temps à côté du thème de l’autochtonie en quelque sorte gauloise cohabite toujours cette idée qu’une partie de l’histoire de France procède aussi de l’étranger. Finalement, ce Saint-Denis l’Aréopagite qui vient de Grèce, qui fonde l’Église de France, est un moyen, si voulez, aussi de rejouer au XVIème siècle. Les Jésuites, par exemple, qui vont se fonder à Montmartre, vont se prévaloir de la mémoire en quelque sorte de Saint-Denis pour montrer que la France peut être en quelque sorte fécondée par des pensées et par des hommes qui viennent de l’étranger, c’est intéressant. Des ordres nouveaux, les Carmélites, par exemple, vont essayer de réemployer des lieux de mémoire de Saint-Denis.

Anaïs Kien : Jean-Marie Le Gall, comment se diffuse ce motif gaulois dans la représentation des familles aristocratiques et de la royauté française ?

Jean-Marie Le Gall : L’une des grandes familles du XVIème siècle c’est les Montmorency, famille rivale évidemment de l’Église et qui vont inventer, au début du XVIème siècle, une justification à leur devise familiale. Ils sont les premiers barons chrétiens de la chrétienté. Ils vont mettre en avant, au début du XVIème siècle, qu’ils descendent d’un certain Lisbius, sui serait un notable de Lutèce qui aurait été converti en personne par Denis Aréopagite.

Anaïs Kien : Donc là, on est dans l’invention généalogique ?

Jean-Marie Le Gall : On est dans l’invention généalogique.

Emmanuel Laurentin : Au 1er siècle !

Jean-Marie Le Gall : Au 1er siècle.

Emmanuel Laurentin : Converti au 1er siècle, donc c’est une famille aristocratique qui se dit plus ancienne que la famille royale elle-même et de la conversion de Clovis au christianisme. Des chrétiens avant le roi, avant la famille royale, cela pose un petit problème de concurrence entre les deux.

Jean-Marie Le Gall : Ça pose problème. Avant de répondre à la question de pourquoi cela pose problème, il faut bien voir que les Montmorency ont d’autant plus insisté sur cette fondation ancienne qu’ils étaient contestés sur le plan religieux parce que si le connétable mort dans la bataille de Saint-Denis est resté catholique, ses neveux c’étaient quand même le cardinal Odét de Chatillon, passé au protestantisme, c’était l’Amiral de Coligny, donc, c’était une famille qui sentait le fagot et c’était un moyen, pour eux, de montrer que « bon sang » ne saurait être de mauvaise foi.

Emmanuel Laurentin : On publie même, en 1571, un Montmorency gaulois.

Jean-Marie Le Gall : Oui, c’est Forcadel qui publie cela, au moment justement où les Montmorency vont être engagés dans des polémiques.

Emmanuel Laurentin : Claude Gilbert-Dubois, sur ce qui vient d’être avancé, puisque l’on avance tout au long du XVIème siècle sur cet imaginaire gaulois ?

Claude Gilbert-Dubois : En ce qui concerne le renforcement de la fondation du mythe gaulois en France, je crois que l’on peut tenir compte de deux éléments dont il a été fait mention. Le premier est que face à l’humanisme qui se réfère à l’Antiquité gréco-latine, il y a un humanisme moins important, qui est hébraïsant. L’hébreu est moins connu évidemment que le grec et le latin, au XVIème siècle, mais il y a néanmoins un humanisme hébraïsant dont le principal représentant a été cité, est Guillaume Postel, un savant qui connaît la plupart des langues orientales, outre l’hébreu, l’arabe, l’araméen. Alors, on va essayer d’utiliser la voie hébraïque, c’est-à-dire la voie sainte par excellence,…

Emmanuel Laurentin : Bien sûr.

Claude Gilbert-Dubois : Par les écritures, pour essayer de fonder en ancienneté, et en ancienneté encore plus considérable que celle de Rome et de la Grèce, l’antiquité des Gaulois. Alors, cela sera le rôle de Guillaume Postel qui fait descendre les Gaulois du fils aîné du fils de Noé, – Noé et sa famille est le dernier des hommes anciens et le premier des hommes nouveaux. Et de cet ancêtre qui s’appel, Gomère, Guillaume Postel fait naître les Gaulois mais également les Cimbres, par affinité phonétique et les Ambriens, vous voyez…

Emmanuel Laurentin : C’est extraordinaire ! C’est une période…

Claude Gilbert-Dubois : Vous voyez les mélanges sémantiques que l’on est en train de faire. C’est une voie qui permet de dire : vous voyez, les Grecs et les Latins ce ne sont pas eux qui sont à l’origine de notre civilisation, remontons…

Emmanuel Laurentin : Encore plus haut…

Claude Gilbert-Dubois : En suivant le livre de Dieu, à la vérité même qui est la descendance de Noé. Le deuxième élément dont vous venez également de parler, c’est le problème du rapport entre monarchie et tyrannie, ou monarchie absolue. C’est vrai qu’il y a au XVIème siècle un courant qui est d’ordre juridique et qui s’efforce de tempérer les pouvoirs de la monarchie. Mais il y a également, de manière critique, et uniquement par moment, un courant très violemment antimonarchique, notamment dans les milieux protestants, on les comprend, après la Saint-Barthélémy. Après la Saint-Barthélémy, vous avez un livre qui s’appelle « Franco-Gallia », d’un protestant, de François Hotman, qui l’a publié à l’étranger d’ailleurs, qui développe l’idée que chez les Gaulois, il existait un régime qui était, disons, une monarchie accompagnée de contrepouvoirs, pourquoi pas même de république analogue à ce que fût la République romaine. La notion d’indiscipline qui est dénoncée par les auteurs Grecs et Latins, lorsqu’ils parlent des Gaulois, devient une valeur positive est qui le sens de la liberté.

Emmanuel Laurentin : Puisque vous évoquez, Claude Gilbert-Dubois, cette figure de François Hotman et que les choses sont bien faites, eh bien Martin Amic va nous lire deux extraits de cet ouvrage « Franco-Gallia », qui je crois a été publié en 1573. Premier extrait.

Lecteur, Martin Amic : « Quant aux autres, qui pour le goût qu’ils ont pris à des fables et des contes faits à plaisir, ont rapporté les origines des Français aux Troyens et on ne sait quel Francion fils de Priamus, je ne veux dire autre chose sinon qu’ils ont fourni de la matière à écrire aux poètes plutôt qu’aux historiens véritables. »

Emmanuel Laurentin : Deuxième extrait de ce « Franco-Gallia » François Hotman, lu par Martin Amic.

Lecteur, Martin Amic : « Il faut donc entendre que pour l’heure, la Gaule n’était point toute entièrement sujette à la domination et autorité d’un seul, qui la gouvernant en titre de roi, ni ne mettait le gouvernement entre les mains d’un petit nombre des plus notables et des plus ce genre de bien, mais toute la Gaule était départie en cité ou république. C’est que tous les ans, en certains temps de l’année, elle tenait une diète et assemblée générale de tout le pays où ils délibéraient les affaires d’État et concernant le bien universel et la chose publique. »

Emmanuel Laurentin : Deux extrait de cet ouvrage, de la deuxième moitié du XVIème siècle, de François Hotman. Évidemment Laurent Avezou, on ne peut pas faire abstraction de ce que porte cette époque, c’est-à-dire du conflit entre catholique et protestants et des guerres de religions, quand on évoque cette personne de François Hotman et son ouvrage ce « Franco-Gallia », qui sert effectivement de base de réflexion à cette idée que les Gaulois avaient une sorte de démocratie, première, démocratie délibérative qui ne serait plus à l’œuvre dans la France du XVIème siècle.

Laurent Avezou : Oui, tout à fait, c’est vraiment inscrit dans le conflit de religion. On peut d’ailleurs rappeler que la publication de « Franco-Gallia » est postérieure d’un an à la Saint-Barthélémy, à laquelle Claude Gilbert-Dubois faisait allusion. Mais au-delà, il y a un ancrage politique plus concret, c’est la constitution à cette même époque de provinces-unies protestantes du midi, une sorte de confédération informelle, qui s’érige en contrepouvoir de la monarchie septentrionale et qui se choisit d’ailleurs comme protecteur un membre de la famille de Montmorency, le fils du connétable de Montmorency d’Anvil qui bien que resté catholique accepte de servir de caution politique pour cette confédération. Donc, à ce moment-là, la contestation virtuelle qui était inscrite dans les écrits de Guillaume Postel, des années 1530, se transforme en prise à partie effective de la version absolue fondamentaliste, d’une certaine manière, que la monarchie est en train de mettre en place.

Emmanuel Laurentin : Une question d’Anaïs Kien.

Anaïs Kien : Une question pour Claude Gilbert-Dubois. Je voulais rebondir sur ce que vous disiez tout à l’heure. Les Gaulois ont plutôt mauvaise réputation, dans une certaine littérature ancienne, on les décrit comme buveurs, sales et indisciplinés ; par quelle gymnastique intellectuelle arrive-t-on à les réhabiliter pour les faire rentrer dans cette mythologie, dans ce discours des origines de la France ?

Claude Gilbert-Dubois : La réhabilitation peut s’opérer par un renversement, comme je vous l’indiquais à propos de l’indiscipline. César et les historiens grecs disent qu’il n’y a pas moyen de trouver une cohérence dans leur manière de vivre et de gouverner, eh bien c’est pris comme le sens de la liberté, le sens de l’individu qui est une valeur, pour eux, et permet cette organisation sociétale par la base qui se construit en sens inverse de la doctrine du droit divin. Il y a ce mode de renversement, il y a également la critique des critiques. C’est-à-dire que ces auteurs grecs et romains font à leur tour l’objet d’attaques concernant leur partialité. Et cette réhabilitation des Gaulois peut s’opérer par exemple autour de l’ignorance. Ce sont des peuples ignorants, barbares qui n’ont pas de civilisation écrite, pas de culture, pas du tout, répond-on, c’est un des peuples les plus religieux, il y a tout un clergé et l’histoire des Druides – qui va être énormément développée jusqu’à Noél Taillepied, à la fin du XVIème siècle – qui va être là pour montrer que ce fut le peuple le plus religieux de la terre et que même ils vont inventer, avant les Hébreux, ce qui est vrai d’ailleurs, l’idée de l’immortalité de l’âme. Religieux mais aussi un peuple littéraire et artiste, et c’est la fameuse translatio studii, le transfert de la civilisation de la culture où les Gaulois jouent un rôle tout à fait important. Alors, on met l’accent sur le fait qu’ils avaient une langue qui a servi à former la langue grecque. On inverse là encore, ce ne sont pas les Grecs qui ont apporté leur langue à l’Europe ancienne mais ce sont les Gaulois qui ont apporté, parce qu’ils parlaient grec, ils parlaient gaulois mais un gaulois qui était l’ancêtre du grec, et qui ont initié les Grecs à leur propre langue. C’est encore un renversement.

Emmanuel Laurentin : Décidément, ils sont trop forts ces Gaulois, Laurent Avezou ?

Laurent Avezou : Ils sont partout. On peut même ajouter à ce que Claude Gilbert-Dubois vient de dire, qu’ils sont censés avoir anticipé sur le christianisme.

Emmanuel Laurentin : Ce qui est quand même extraordinaire, c’est qu’on est dans une période de critiques. Vous développez dans votre livre, vous racontez la France, comment justement tout au long de ce XVIème siècle, on va se débarrasser des mythes, en particulier des mythes religieux qui ont été rassemblés par les historiens du Moyen-Age, on va essayer, disons, de faire de la critique textuelle…

Laurent Avezou : Voilà, et en même temps on met en place d’autres mythes.

Anaïs Kien : On crée des textes même.

Emmanuel Laurentin : On en est même effectivement à créer des origines là où il n’y en a absolument pas.

Laurent Avezou : Oui parce que ces humanistes juristes qui tout de même très sérieusement inventent une première amorce de critique historique, qui se veut scientifique, si tant est qu’elle le soit vraiment, sont en même temps de fervents patriotes. Ils veulent peut-être réduire la charge doctrinale, représentée par la monarchie, sur l’histoire de France mais ils ne veulent pas pour autant que l’on jette le bébé France avec l’eau du bain monarchique. Donc, il faut se défendre sur un autre plan aussi, auquel on n’a peut-être pas fait allusion directement je crois, eh bien c’est face à l’Allemagne.

Emmanuel Laurentin : Parce qu’effectivement à la fin du XVème siècle on redécouvre La Germanie de Tacite, je crois à ce moment-là…

Laurent Avezou : Voilà.

Emmanuel Laurentin : Donc, à partir de ce moment-là, se forge de l’autre côté du Rhin, une identité particulière, et effectivement il va falloir faire une sorte de ping-pong entre les deux nations, enfin les deux civilisations, disons, face à face avec justement cet héritage romain. Jean-Marie Le Gall.

Jean-Marie Le Gall : Oui, dans tous les pays de toute façon à l’époque, aussi bien en Angleterre, avec La Germanie de Tacite, mais également en Espagne, avec toute la question des origines ibères ou visigo-gothiques de l’Espagne, on débat de la question des origines. Sur la question justement des Gaulois comme civilisation matricielle de l’ensemble de l’Occident, ça ne démonétise pas forcément Saint-Denis. Par exemple, dans la Gallia de Rodrigues, qui était un disciple de Postel, il y a cette idée que Saint-Denis serait un Gaulois, en quelque sorte, d’origine, mais qui serait quand même venu de Grèce. Donc, il y a évidemment…

Emmanuel Laurentin : Pendant que vous êtes en train de raconter ça, de l’autre côté, Jean Frédérix, qui est un de nos techniciens qui s’amuse à ces rebondissements multiples des origines gauloises en France…

Jean-Marie La Gall : Absolument ! On joue avec les étymologies. Par exemple les Galates, on allègue de Saint-Paul aux Galates, on considère que les Galates ce sont des Gaulois, par simple en quelque sorte, homonymie. Donc le thème de l’autochtonie peut avoir un usage politique mais le mythe de Saint-Denis Aréopagite lui aussi a un usage politique parce que, comme vous l’avez dit tout à l’heure, il va entrer en concurrence avec un autre mythe, celui de Clovis. Parce que, comme vous l’avez dit, à partir du moment où les Montmorency, par exemple, se prévalent d’être chrétiens avant même que la monarchie le soit devenue, cela pose un problème à une monarchie qui à la fin du siècle a quand même un problème de positionnement confessionnel, notamment avec la figure d’Henri de Navarre. Les généalogistes royaux forceront en quelque sorte les Montmorenciens à interpréter autrement leur devise. Ils ne sont pas les premiers barons chrétiens parce qu’ils ont été convertis par Saint-Denis mais ils sont les premiers barons chrétiens à avoir été convertis après que Clovis l’eut été par Saint-Rémi. Il va y avoir une valorisation…

Emmanuel Laurentin : On fait un saut de quatre – cinq siècles rapidement…

Jean-Marie La Gall : Sans problème ! D’ailleurs les monarques à partir de 1571-72 n’honorent plus Saint-Denis, ils ne vont plus à l’abbaye de Saint-Denis et même le mythe va, pendant la Ligue, être retourné, en quelque sorte, contre le roi qui valorisera du coup les Bourbons, en plus montant sur le trône, plutôt la figure de Saint-Louis.

Emmanuel Laurentin : C’est quand même très étonnant parce qu’effectivement en lisant votre livre qui s’appelle « Le mythe de saint Denis, entre Renaissance et Révolution », chez Château, chez Champ Vallon – décidément aujourd’hui je fais pas mal de lapsus – Jean-Marie Le Gall, en l’occurrence on découvre ça. C’est-à-dire Saint-Denis n’est plus à la fin du XVIème siècle, l’endroit, disons, où la royauté vient se ressourcer, se recréer. Justement cela pose un problème à la royauté…

Jean-Marie La Gall : Elle est gênée parce que tout d’abord la Ligue s’est emparé de Saint-Denis, donc Henri III ne va pouvoir y être enterré, Catherine de Médicis non plus, ce qui est une manière d’introduire une discontinuité dynastique. En même temps, les monarques sont obligés quand même de se référer à Saint-Denis parce que c’est le lieu de la continuité dynastique, comme Saint-Denis incarne la continuité apostolique et c’est la raison pour laquelle Henri IV se convertira à abbaye de Saint-Denis, et même envisagera un temps de se faire sacrer avant d’aller à Chartres.

Emmanuel Laurentin : On va écouter maintenant, lu par Martin Amic, dans cette longue geste des rois de France, un extrait de La Franciade de Pierre Ronsard.

Lecteur, Martin Amic : « Sois courageux, tout heureux d’aventure par trait de temps et douce sont l’endure. Pour endure, Hercule se fit Dieu. Tu planteras ta muraille au milieu des bras de Seine, où la Gaule fertile te doit donner une île pour ta ville. Gaule abondante en peuples redoutés, peuples guerriers, aux armes indomptés, que telle terre et plantureuse et belle, Riche, nourrit d’une grasse mamelle. »

Emmanuel Laurentin : Extrait de Pierre Ronsard, La Franciade, 1580.

Anaïs Kien : Je reviens à ma question de début d’émission sur la représentation. Comment on nous voit ? Quelles sont les images que l’on voit de cette réémergence du motif gaulois, Jean-Marie Le Gall, et là on fait allusion à Hercule et progressivement on voit les rois de France être représentés en Hercule gaulois, barbu et en armes.

Jean-Marie Le Gall : Oui, je ne sais pas si je suis le plus à même de répondre à cette question. Peut-être que Claude Gilbert-Dubois pourrait démêler l’écheveau de la figure de l’Hercule gaulois qui est en effet très barbu, symbole de l’éloquence.

Anaïs Kien : On change d’interlocuteur.

Emmanuel Laurentin : Il faut préciser que cet Hercule gaulois est présent, par exemple, dans toutes les entrées de villes. Lorsque l’on crée des arc-de-triomphes pour les entrées royales dans les villes, surplombant cet arc il y a généralement cet Hercule gaulois. Claude Gilbert-Dubois puis Laurent Avezou.

Claude Gilbert-Dubois : Ce personnage d’Hercule, plus exactement d’Hercule gaulois va jouer un rôle considérable dans les représentations plastiques et dans la littérature de la deuxième moitié du XVIème siècle. Qu’est-ce que c’est cet Hercule gaulois ? En fait il y a deux figures. Il y a l’Hercule libyen, qui entre d’ailleurs dans une espèce de vaste mélange où le mythe de Troie se trouverait intégré dans le mythe général de l’immigration vers l’Ouest des gens de la Bible, et il y a d’autre part un Hercule gaulois qui représente l’intellectuel par excellence, sa principale représentation c’est qu’il conduit un groupe de personnes qu’il tient liées par une chaîne qui va de sa bouche aux oreilles de ceux qui le suivent. Cet Hercule gaulois, qui est le type même de l’orator, l’orateur, c’est-à-dire de l’intellectuel dans la société tripartite, va se combiner avec l’image, disons, plus traditionnelle de l’Hercule athlète qui est en même temps un athlète qui fait de sa performance un chemin vers la perfection.

Emmanuel Laurentin : Donc, à la fois la massue d’un côté et de l’autre côté la parole, la tête et les jambes d’une certaine façon.

Claude Gilbert-Dubois : Tout à fait cela en effet. En plus, on va avoir un Hercule chrétien. Et Ronsard, dont vous citiez La Franciade, est également l’auteur d’un hymne qui s’appelle Hercule chrétien. Alors, c’est tout à fait étonnant, par une méthode de concordance, on va lire la vie d’Hercule à la lumière de la vie de Jésus. Quelques fois cela nous fait un peu sourire : Jésus avait douze apôtres, Hercule a dû accomplir douze travaux ; Jésus est celui qui a fait, à un moment donné, que ont abandonné la synagogue pour entrer dans l’église, de la même manière Hercule a eu deux femmes, la première Mégara, il l’a tuée, c’est un symbole qui signifie son abandon de la synagogue pour avoir une deuxième épouse qui représente l’église. Vous voyez le genre ! Mais cet Hercule chrétien joue un rôle très important y compris dans l’art religieux puisque la cathédrale de Saint-Étienne, à Limoges, comporte un jubé, placé à l’intérieur, sur lequel se trouve sculpté les douze travaux d’Hercule.

Emmanuel Laurentin : Ce qui est intéressant, Jean-Marie Le Gall, c’est de se poser la question pour savoir comment ces inventions d’intellectuels, pourrait-on dire, ces créations intellectuelles que sont justement ces renouveaux de mythologies finissent par rentrer dans la société de l’époque. Par où cela passe ?

Jean-Marie La Gall : D’abord, il y a un intérêt politique à les diffuser. Le mythe de l’Hercule gaulois va quand même entrer en concurrence avec la figure de Charles Quint. Charles Quint qui avait décidé que sa devise serait « Plus Oultre », allusion explicite à Hercule qui justement, après avoir fondé les colonnes du même nom, avait dit : « nec plus ultra ». Alors, on comprend pourquoi Charles Quint a pu épouser cette devise parce que désormais au-delà des colonnes d’Hercule, il y a l’Amérique qui lui appartient. Et on comprend pourquoi les rois de France ont eu en quelque sorte besoin de développer, eux aussi, une image d’un Hercule de l’éloquence, cette fois-ci, mais qui entre en concurrence avec l’Hercule de Charles Quint. Donc, les cérémonies, les entrées de villes, les entrées de prince dans les villes sont un moyen en quelque sorte de faire savoir cela. Toute la question est de savoir évidemment qu’est-ce que les spectateurs pouvaient comprendre…

Emmanuel Laurentin : Et comment on traduisait cet ensemble de symbole justement…

Jean-Marie La Gall : Il y a des livrets qui sont édités, mais que pouvait penser par exemple le Parisien de base, en quelque sorte, lors de ces entrées ?

Anaïs Kien : On est étonné quand même devant la complexité de cette fabrication de cet alliage mythologique. Finalement la plupart des personnes qui voyaient ces entrées n’avaient pas accès à la multiplicité de ces signes condensés en un seul être, en un seul symbole pour créer l’homme parfait.

Jean-Marie La Gall : Peut-être que ce que la population de Paris ou des autres villes voyaient avant tout, dans ces grandes cérémonies, c’était la mise en représentation du corps social et d’une société hiérarchisée. Puis à côté de ça on faisait passer un message politique qui quand même étaient déchiffré. Il y a des livrets qui sont publiés, des dessins qui sont faits. Donc, il y a pour un lecteur cultivé un petit peu la possibilité quand même d’essayer de comprendre.

Anaïs Kien : D’avoir quelques repères.

Jean-Marie La Gall : Il a été montré par d’autres études, par exemple sur Versailles, que ce n’est pas parce qu’un programme iconographique a sa cohérence qu’il est forcément compris et même que sa lisibilité continue d’être perçue.

Laurent Avezou : On peut rajouter à ce qui vient d’être dit, je préciserais que je suis d’accord avec le caractère relativement confidentiel de toute cette mythographie, il n’en reste pas moins qu’elle a connue quelques sommets qui justifient l’idée d’une celtomanie pendant la deuxième moitié du XVIème et le début du XVIIème siècle. On peut faire allusion à ce qui est un petit peu le chant du cygne de cette redécouverte des Gaulois, c’est la publication du roman du poète soldat, Honoré d’Urfé, l’Astrée, qui s’achève en 1628 et qu’Éric Rohmer, il y a quelques années, avait fort courageusement porté à l’écran, parce que ce n’était pas évident à faire passer comme message. L’Astrée qui a été perçu à l’époque, autant qu’on le sache, comme un véritable livre historique par ces lecteurs, relate sur le mode précieux, dans une Gaule de fantaisie, les amours du berger Céladon et de la bergère Astrée. En fait une sorte de fantaisie bucolique mais qui met les Gaulois sur le même plan de légitimité littéraire que Rome avec, je ne sais pas, les Géorgiques de Virgile.

Emmanuel Laurentin : Quel complexe ! Tout de même que l’on essaye de surmonter justement par tous ces textes qu’ils soient juridiques ou littéraires. Denier texte lu par Martin Amic, celui d’Étienne Pasquier, dans « Les recherches de la France », un ouvrage qui s’étale entre 1560 et la mort d’Étienne Pasquier en 1615, extrait.

Lecteur, Martin Amic : « Qui considéra de près leur ancienne police trouvera un pays merveilleusement bien ordonné car combien la Gaule fut bigarrée en factions et puissances, comme nous voyions maintenant l’Italie, qui fut véritablement le premier défaut de leur République et pour lequel finalement ils le ruinèrent, toutefois en cette variété d’opinions fondée pour leur grandeur, avaient-ils un justice générale, par laquelle était rendu le droit à un chacun particulier, vu qu’entre leurs communes d’union, justice avait toutefois cours, et qu’ils avaient gens choisis sous la puissance desquels, nonobstant les débats de leur primauté, ils soumettaient les négoces des particuliers »

Emmanuel Laurentin : Voilà donc un extrait de ces « Les recherches de la France », Étienne Pasquier, un ouvrage extrêmement important, dans lequel Étienne Pasquier cite ses sources. C’est un élève de François Hotman, dont on a parlé tout à l’heure. D’une certaine façon, il est mal compris à son époque parce que justement la lecture en est difficile. Il a l’intention de faire un vrai travail critique sur les textes, il est mal compris à son époque et sera mal compris postérieurement, pourra–t-on dire, parce qu’à partir du début du XVIIème siècle, ces analyses sur « Les recherches de la France » d’Étienne Pasquier seront contrebalancées par un retour, Laurent Avezou, de cette mythologie troyenne que les juristes avaient tentée de mettre par la porte.

Laurent Avezou : Eh oui, le drame d’Étienne Pasquier qui est extrêmement consciencieux c’est qu’il a remis son ouvrage sur l’établi. En 1560 il arrive trop tôt, quand il propose une méthodologie de l’histoire de France, qui n’est pas une histoire de France directement. En 1615, quand il apporte la dernière touche à la énième réédition de son livre, la monarchie fait un retour. La monarchie fait un grand retour sur la scène historiographique, qui va vraiment se confirmer dans les années qui suivent…

Emmanuel Laurentin : Il faut rappeler, Louis XIII puis Louis XIV ensuite, évidement.

Laurent Avezou : Louis XIII et Louis XIV ensuite qui contrastent avec les derniers Valois et même Henri IV, qui ne sont pas intéressés par la manipulation de l’histoire, la constitution d’une histoire officielle. Ce n’est plus le cas de Louis XIII, surtout de Richelieu derrière Louis XIII, lesquels veulent revenir à la vulgate originelle, c’est-à-dire celle d’une monarchie immémoriale…

Emmanuel Laurentin : Inscrite dans la lignée troyenne.

Laurent Avezou : De nouveau inscrite dans la lignée troyenne et qui surtout n’a que faire de ces Gaulois dont il faut rappeler qu’ils entrent dans l’histoire comme des vaincus. C’est tout de même un gros problème. On connaît les Gaulois par le récit du vainqueur, par la Guerre des Gaules de César, c’est tout à fait autre chose que La Germanie de Tacite, qui présente les Germains de manière ethnographique, en quelque sorte, comme libres…

Emmanuel Laurentin : Qui a sa singularité.

Laurent Avezou : Qui garde son indépendance, sa singularité au-delà du Rhin. Donc, ces Gaulois qui ne peuvent pas produire la figure d’un grand roi, si ce n’est Vercingétorix, on ne peut pas dire que cela finisse bien pour lui au bout de ses quelques mois d’existence politique, ces Gaulois qui n’ont pas l’aura d’un peuple vainqueur, il va falloir essayer de les mettre de côté momentanément et de revenir au Francs.

Emmanuel Laurentin : Ils vont disparaitre de la sphère sociale et surtout intellectuelle jusqu’au XIXème siècle.

Anaïs Kien : Peut-être que l’on peut continuer sur ce thème de la critique des mythes, justement parce que l’on s’est plutôt positionné, au cours de cette émission, du côté de ceux qui les érigent, qui les justifient, les argumentent. Jean-Marie Le Gall ?

Jean-Marie Le Gall : Le critique est en même temps le meilleur faussaire puisque c’est lui qui connaît le mieux comment faire, entre guillemets, un faux. La critique s’est développée en même temps que la construction de ces légendes au XVIème siècle. Le problème qui se pose à Pasquier arrive à tenir en quelque sorte un récit, si vous voulez, des origines avec une démarche critique. J’ai l’impression que dans la première moitié du XVIIème siècle, il y a une critique historique qui va se développer. Elle ravage complètement par exemple le mythe de Saint-Denis et la monarchie va laisser parfois faire cette critique.

Emmanuel Laurentin : Est-ce que c’est une critique ou comme le dit Laurent Avezou dans son livre « Raconter la France », ce n’est pas une sorte de bipartition ? D’un côté un récit et de l’autre côté l’érudition qui va mettre à mal le récit.

Jean-Marie Le Gall : Oui, c’est ça. Le mot historien, c’est une catégorie et les critiques c’est une autre catégorie des gens de savoir et des gens de lettres. Mais la monarchie laissent travailler ces critiques parce qu’ils contribuent aussi à la gloire du royaume de France. Parce que ce qui fait quand même le rayonnement de la France, la France moderne qui commence avec Louis XIV, c’est cette idée que la critique va pouvoir se développer en France, évidemment au Pays-Bas aussi et en Angleterre mais c’est le règne de la critique.

Laurent Avezou : Oui d’accord avec cette bipartition. Quitte à ce que la monarchie soit saisie de temps à autre d’un mouvement d’humeur, par lequel elle rappelle qu’elle garde la haute main sur l’interprétation de l’histoire. Et là aussi à titre d’épilogue, on peut rappeler la mésaventure qui arrive au malheureux Nicolas Fréret en 1714. Un jeune académicien, de l’Académie des écritures et belles lettres, promis à un brillant avenir d’érudit, qui dans une de ses études présentée à l’Académie, en toute innocence balaye du plat de la main la fiction des origines troyennes de la monarchie. Qu’est-ce qui lui arrive ? Il est embastillé pour plusieurs mois parce qu’on ne badine pas avec le discours officiel.

Jean-Marie Le Gall : La critique ne désenchante pas forcément le récit national.

Laurent Avezou : Oui.

Jean-Marie Le Gall : Elle le reconfigure, permet elle-même de créer un autre récit national, qui est que la critique serait française en quelque sorte, mais elle n’est pas forcément quelque chose qui désenchante totalement la nation.

Emmanuel Laurentin : Un dernier mot, Claude Gilbert-Dubois ?

Claude Gilbert-Dubois : On a parlé de beaucoup de choses et on a parlé en particulier de cette tache indélébile de l’histoire de la Gaule, c’est qu’en définitif on appartient à un peuple vaincu. Mais justement les Français aiment beaucoup les vaincus glorieux parce que si vous réfléchissez à tous nos grands hommes, leur fin n’a pas été terrible. Vercingétorix est le premier mais Jeanne d’Arc c’est pareil…

Emmanuel Laurentin : D’ailleurs quand il s’agit de se choisir un emblème, c’est plutôt un coq que le lion, le léopard ou d’autres animaux célèbres choisis généralement par d’autres monarchies européennes.

Claude Gilbert-Dubois : C’est tout à fait exact. Napoléon aussi cela n’a pas été une fin glorieuse et je me demande même si le Général de Gaulle, vous voyez comme le nom est prédestiné, n’a pas quitté volontairement, parce qu’il n’était pas obligé de quitter, le pouvoir justement pour entrer dans cette tradition du vaincu glorieux à la Cyrano de Bergerac, qui meurt lamentablement d’une bûche qu’il reçoit sur la tête, mais qui garde son panache jusqu’à l’entrée du paradis.

Emmanuel Laurentin : Merci Claude Gilbert-Dubois d’avoir conclu ainsi cette émission consacrée au regard que les clercs et les laïques, juristes du XVIème siècle ont porté sur l’invention de la Gaule. Je rappelle que vous êtes l’auteur de « Récit et mythe de fondation dans l’imaginaire culturel occidental », qui vient de paraitre aux Presses universitaires de Bordeaux. Jean-Marie Le Gall, on ne peut qu’enjoindre nos auditeurs de lire le « Le mythe de saint Denis, entre Renaissance et Révolution », dans la très bonne collection dirigée par Joël Cornette, chez Champ Vallon. Laurent Avezou, alors, vous, pourriez presque être invité dès demain encore puisque votre livre couvre toute l’histoire de la France et la façon dont elle a été écrite par les historiens, « Raconter la France : Histoire d’une Histoire », chez Armand Colin. Merci à tous ainsi qu’à Martin Amic, qui a lu les textes pour nous aujourd’hui. Je rappelle que demain, nous nous poserons la question de savoir comment les Gaulois reviennent au XIXème siècle, en particulier par le soin de Napoléon III et les fouilles d’Alésia. Nous remercions également Charles Bourriau ( ?) qui nous permis cette émission. À la technique Jean Frédéx, à la réalisation Véronique Samouiloff. On peut demander aussi à nos auditeurs d’aller voir sur le très bon site de la Bibliothèque nationale de France, gallica.fr sur lequel se trouve la plupart des textes que nous avons choisis pour pouvoir illustrer l’émission d’aujourd’hui.

Les livres signalés sur le site de l’émission

Laurent Avezou, « Raconter la France : histoire d’une histoire », Ed. Armand Collin, 2008.

Jean-Marie Le Gall, « Les humanistes en Europe, XVème-XVIème siècles », Ed. Ellipses, 2 juillet 2008.

Histoire des gaulois 3

Emission La Fabrique de l’Histoire, par Emmanuel Laurentin, du mercredi 28 octobre 2009. Je n’ai pas retrouvé le mp3, alors en voici la retranscription.

lire la retranscription
Il y a cinquante ans jour pour jour, un petit personnage gaulois naissait dans le journal Pilote … Astérix, fils du 9-3, ou comment Albert Uderzo entra à l’université , un documentaire d’Anaïs Kien et Véronique Samouiloff. Le 15 octobre 2009, c’est l’université qui fête Astérix le Gaulois et ses deux pères Albert Uderzo, venu pour l’occasion, et le défunt René Goscinny à Bobigny. Le célèbre duo, fleuron de la bande dessinée française, y est présenté comme un modèle d’intégration puisqu’ils ne faisaient pas partie des Français dits « de souche », une véritable success story à la française des Trente Glorieuses. Depuis cinquante ans les aventures du célèbre village d’irréductibles gaulois parcourent la planète grâce à ses nombreuses traductions et n’en finissent pas d’être déclinées en de multiples produits dérivés du stylo aux plus ambitieuses productions cinématographiques. Astérix est né en un quart d’heure dans une cité HLM de la banlieue rouge à côté d’un cimetière musulman et sans le savoir au dessus de la plus grande nécropole gauloise d’Europe découverte en 1992. Tous les ingrédients sont donc réunis pour célébrer ce petit blond casqué et moustachu comme symbole de la promotion sociale des immigrés dans un haut lieu de l’histoire qui aurait fait la France. Avec Pascal Ory , historien de la bd ; Patrick Gaumer , critique, journaliste et historien de la bd ; Nicolas Rouvière , spécialiste d’Astérix ; Albert Uderzo ; Jean-Claude Lescure , professeur d’histoire contemporaine à l’université de Paris 13 ; Jean-Loup Salzman , président de l’université de Paris 13 ; Catherine Peyge , maire de Bobigny ; Natacha Lillo , historienne, spécialiste de l’histoire de l’immigration ; Emmanuel Bellanger , historien, spécialiste du département de la Seine-Saint-Denis ; Didier Pasamonik , journaliste et historien de la bd ; les habitants de la cité du Pont de Pierre.

Introduction par Emmanuel Laurentin : Tandis qu’un menhir, un faux menhir bien entendu, trône sur la place de la Concorde, au pied de l’Obélix, pardon l’obélisque, nous allons parler d’Astérix aujourd’hui. Après avoir montré, depuis lundi, comment la Gaule était, nous disait hier, Laurent Olivier, une outre à fantasmes, au XVIème siècle, c’est ce que nous avons expliqué mardi, au XIXème siècle, c’est ce que nous avons voulu dire dans l’émission d’hier, nous allons aujourd’hui nous attacher au dernier avatar du rêve collectif sur les Gaulois, c’est-à-dire Astérix, car après avoir été un peuple délibératif, c’est ce que disaient les juristes du XVIème siècle, après avoir été ce peuple de l’origine, dont rêvèrent les historiens du XIXème, voilà que Goscinny et Uderzo inventèrent le Gaulois revêche, jamais vaincu, alors que le Général de Gaulle venait tout juste d’arriver au pouvoir.

Il y a 15 jours, une journée d’étude se tenait à Bobigny, organisée par l’Université de Paris 13, pour rendre hommage à Uderzo qui habitait à l’époque dans un immeuble de cette ville et qu’a-t-on dit ? Que le héros français par excellence, avait été conçu par deux fils d’immigrés, Goscinny et Uderzo, ou comment la Gaule, dans sa plasticité, accueille encore une fois l’air du temps. « Astérix, fils du 9 – 3 », un documentaire d’Anaïs Kien et de Véronique Samouiloff, exceptionnellement le jeudi au lieu du mardi.

Une voix d’homme 1 ( ?) : Vous allez voir comment souvent, d’une façon particulière, je commence toujours par dessiner le nez. Ça, c’est le nez, qui va donner la proportion du personnage. Les yeux, bien sûr, tout le monde voit ?

Une voix d’homme 2 ( ?) : Vous connaissez Astérix, Monsieur ?

Une voix d’homme 3 ( ?) : Oui.

Une voix d’homme 2 ( ? : Qui est-ce ?

Une voix d’homme 3 ( ?) : Je n’en sais rien.

Une voix d’homme 2 ( ?) : Tu connais Astérix ?

Une voix de femme 1 ( ?) : Oui.

Une voix d’homme 2 ( ?) : Qui est-ce ?

Une voix de femme 1 ( ?) : C’est un Gaulois.

Une voix de femme 2 ( ?) : Je pense que c’est un petit personnage Walt Disney, quelque chose comme ça.

Une voix d’homme 4 ( ?) : C’est un Gaulois.

Une voix de femme 1 ( ?) : Je le vois très, très fort, très gros, qui est tombé dans la potion magique quand il était petit. Non, c’est son copain.

Une voix d’homme 5 ( ?) : Astérix, qu’est-ce que cela veut dire, d’abord ?

Une voix d’homme 1 ( ?) : Astérix, c’est un peu tout le monde, quoi.

« Archive, une voix d’homme 6 ( ?) : René Goscinny. / René Goscinny : Présent. / voix d’homme 6 ( ?) : Albert Uderzo. / Albert Uderzo : Présent. /voix d’homme 6 ( ?) : Vous êtes l’un et l’autre, les pères spirituels du Gaulois Astérix, qui a eu, cette semaine, les honneurs de la télévision scolaire. René Goscinny, vous êtes l’auteur de quoi, vous ? / René Goscinny : Moi, je suis le scénariste, d’Astérix le Gaulois. / voix d’homme 6 ( ?) : Par conséquent, Albert Uderzo, vous êtes, le dessinateur. »

Une voix de femme 3 ( ?) : Pourquoi Bobigny organise cette journée, consacrée à Uderzo, en tout cas participe à l’organisation de cette journée ?

Une voix de femme 4 ( ?) : Parce qu’on est très fier qu’Astérix ait été crée à Bobigny. C’est une réalité qui rencontre aussi une autre réalité parce que vous savez à quelques pas de l’endroit où a été crée le petit bonhomme irréductible, et bien on a découvert un village gaulois et une nécropole unique en France. Donc, je trouve ça extraordinaire et je pense qu’il ne fallait pas passer à côté de cette occasion de faire qu’un petit héros de bande dessinée puisse rencontrer ses congénères à quelques pas de là, dans une ville aussi cosmopolite et irréductible que Bobigny.

Une voix de femme 5 ( ?) : Mesdames et messieurs, si vous voulez bien prendre place, vous asseoir, vous rapprocher.

Albert Uderzo : On m’a toujours dit qu’un petit croquis valait mieux qu’un long discours. Je vais donc être assez bref. Je suis très honoré aujourd’hui, Madame le maire. C’est vrai que c’est émouvant pour moi de revenir, cinquante après, la création de ce petit personnage qui ne se doutait pas lui-même d’ailleurs qu’on parlera de lui encore cinquante années après. Je regrette qu’une chose, c’est que mon ami René ne soit pas avec moi pour se souvenir de ce moment extraordinaire. Merci d’êtres venus.

Anaïs Kien : « Astérix, fils du 9 – 3, ou comment Albert Uderzo entra à l’université ». Le 15 décembre 2009, c’est l’université qui fête Astérix le Gaulois et ses deux pères Albert Uderzo, venu pour l’occasion, et le défunt René Goscinny, à Bobigny. Le célèbre duo, fleuron de la bande dessinée française, y est présenté comme un modèle d’intégration, puisqu’ils ne faisaient pas partie des Français dits de souche, véritable success story à la Française des trente glorieuses. Depuis cinquante ans, les aventures du célèbre village d’irréductibles Gaulois parcours la planète grâce à ses nombreuses traductions et n’en finissent pas d’être déclinés en de multiples produits dérivés du stylo aux plus ambitieuses productions cinématographiques. Astérix est né en un quart d’heure dans une cité HLM de la banlieue rouge, à côté d’un cimetière musulman et sans le savoir au-dessus de la plus grande nécropole gauloise d’Europe découverte en 1992. Tous les ingrédients sont donc réunis pour célébrer ce petit blanc casqué et moustachu, comme symbole de la promotion sociale des immigrés dans un haut de l’histoire qui aurait fait la France.

Pascal Ory, vous êtes historien, aujourd’hui Albert Uderzo reçoit les honneurs de l’université, qu’est-ce qu’on peut dire de cette légitimation ultime ?

Pascal Ory : Je crois qu’elle est tout à fait méritée. J’ai toujours pensé à propos du couple Goscinny-Uderzo que cela faisait un peu penser au couple Prévert-Carmet. Pendant longtemps, beaucoup de gens le pense, on a dit que le plus brillant c’était Prévert et que Carmet avait eu bien de la chance. C’est clair, Uderzo a le double inconvénient d’être le dessinateur par rapport à l’homme des textes, d’autre part de survivre. Certains considèrent qu’il est moins bon, j’allais dire maintenant, que du vivant de Goscinny. En fait, cela a été un couple idéal. Le succès d’Astérix, qui n’est pas la seule bande qu’ils ont faite ensemble, est tout à fait légitime et il est très bien que l’on rende aujourd’hui à Albert.

« Archive, Albert Uderzo, s’entretient avec Anne-Lise David, 1998 : Anne-Lise David : Un jour, Goscinny arrive pour prendre vos dessins. / Albert Uderzo : Pendant l’hiver 1951, je me souviens parce qu’il faisait nuit de bonheur, je travaillais sous ma lampe, j’ai vu arriver ce garçon avec ses cheveux crépus, qui était mince, comme je ne sais pas quoi, il avait 23 ans à l’époque, j’ai cru que c’était le coursier. Je ne pouvais pas me douter un seul instant que cela serait celui qui deviendra mon grand ami, mon frère même. Il venait des États-Unis et pour moi cela a pris tout de suite une aura extraordinaire parce que nous rêvions tous à l’époque d’aller travailler aux Etats-Unis. »

Université de Paris 13, bâtiment de l’illustration, Amphi 600, le 15 octobre 2009, intervenant masculin ( ?) : Merci, chers collègues. Je vais donc prendre la présidence de séance jusqu’à l’arrivée du héros, vers 12h 15. Madame le maire, j’ai compris qu’Astérix auquel on attribuait quantité de qualificatif résistant aussi bien que franchouillard avait aussi une qualité qui résume tout, il était balbynien. Ça, c’est le premier acquis de la matinée. Voilà, on procéder de la façon suivante : il va y avoir 5 interventions, je dirais quelques mots dans un instant, mais chaque intervention sera précédée, sauf erreur, d’une petite projection de document. On commencer tout de suite, puisqu’il est prévu, de trois courts séquences.

« Poilus, barbus/ Vêtus de peaux de bêtes / Ils bravaient la tempête / Tue-le, tue-la/ C’était la loi des Gaulois !/ Ils prenaient la route / Pour chasser l’mammouth/ Et courir le guilledou / Ils coupaient le gui/ Mais à propos où / Où coupaient-ils donc le houx/ La chasse finie/ Les hommes réunis… »

Voilà, je crois que nous sommes déjà dans le bain, sauf erreur le chanteur numéro un, c’est Ricet Barrier, un auteur trop oublié maintenant, mais d’une grande qualité. Alors, on aura compris que cette journée, puisqu’il s’agit d’une journée, va considérer Astérix sous trois angles. Rapidement, le rapport à l’histoire de la bande dessinée, je rappelle qu’Astérix est devenu très vite un phénomène social puisque le premier album avait eu un premier tirage de 6 000 exemplaires et six ans plus tard, l’album qui sort en trois jours, deux jours exactement, est vendu à un million deux cent mille exemplaires. Là, ce n’est plus une question de succès, cela devient un phénomène social en France et à l’étranger. Deuxième ligne, le rapport à l’antiquité. La chance extraordinaire de ces découvertes balbyniennes permet de reprendre la question du rapport d’une fiction historique à la supposée réalité historique, d’autant plus qu’il s’agit d’une fiction qui se veut comique. Donc, on est vraiment dans un troisième cercle. Puis, troisième ligne, le rapport à l’histoire de la ville puisque le Bobigny des années cinquante c’est quand même un exemple typique d’une croissance mais aussi des problèmes liés à cette croissance, en même temps Uderzo, comme Goscinny, sont des enfants de l’immigration. Je rappelle qu’Astérix que certains ont qualifié, comme je le signalais tout à l’heure de franchouillard, a quand même pour auteur deux enfants d’immigrés. Goscinny est une enfant d’immigrés, ses parents étaient nés en Russie. Et Uderzo est un enfant d’immigrés, ses parents étaient Italiens. Ça me paraît important quand on parle de la signification française d’Astérix. Je trouve ça d’ailleurs très beau.

[Suite de la chanson de Ricet Barrier – La java des Gaulois :] « Quand ils guerroyaient / Mêm’ les feuill’s tremblaient / Les femm’s se jetaient à leurs pieds / Mais un beau matin / Un sombre devin / Leur a prédit : ça va barder ! / Tout près des menhirs / La troupe en délire / Astiqua les fers de lance / Vercingétorix, un dur, un caïd, Étudia la carte de France / Bardé, casqué, un Jul’s / nommé César / Arriva sur son char / Il leur a dit : / Veni, veni, vidi, vici… ».

Patrick Gaumer, critique et biographe de René Goscinny : Il y a deux grandes influences dans le dessin d’Uderzo. Il y a la première influence qui est d’Edmond-François Calvo. Edmond-François Calvo, on l’a un peu oublié. C’est pour moi un des génies de la bande dessinée française, je dirais de l’avant-guerre et surtout à partir des années cinquante. C’est le dessinateur notamment, pendant la Seconde Guerre mondiale, puis dans les années qui suivent, d’un double album qui s’appelle « La bête est morte », qui est une sorte de Granville ( ?), la Seconde Guerre mondiale revue et corrigée à travers la bande dessinée. Un dessin flamboyant, d’une richesse, dans un style anthropomorphique, avec des personnage-animaux, avec une grande cigogne qu’on imagine que c’est de Gaulle, etc. C’est une très, très grande force. Au-delà de ça, il y a également toute l’influence américaine. C’est-à-dire cette passion du dessin américain qu’il a pu découvrir notamment dans un journal belge, qui s’appelle Bravo. C’est d’ailleurs très révélateur que quand on regarde les premiers travaux signés d’Uderzo, ils sont signés Al Uderzo, et non pas Albert Uderzo. Je crois que les deux conjonctions ont fait que les dessins d’Uderzo ont un dynamisme incomparable. Souvent copiés, mais pour moi inégalables. À tel point qu’on traitait, qu’on qualifié le dessin d’Albert Uderzo de trop américaines. On était loin des canons, je dirais, belgo-français classiques.

« Ah, ça, c’est vrai ! Les meilleures serpes viennent d’Amérique. / Ah ! Ha ! Ha !, Amérique, c’est un cousin lointain. / Ah bon ! / C’est celui qui a réussi dans la famille / Ah ! C’est ton cousin d’Amérique, ok ! Ah ! Ah ! Ah !/ Et ben alors, allons-y ! »

Nicolas Rouvière, historien des aventures d’Astérix : Pour vous situer, Astérix est crée quelques années après le traité de Rome. Donc, on est dans le cadre d’une identité européenne en construction. D’autre part il ne faut pas oublier que la série est construite à un moment charnière de l’histoire. Goscinny et Uderzo sont nés en 1926 et 1927. Ils ont connus le second conflit mondial, durant leur adolescence. Ils en ont subi les contrecoups également via leur histoire familiale. Il y a cet arrière-plan derrière. Il y a un idéal de civilisation qui est en train de se réaffirmer, à l’orée des années 60. Ce n’est pas pour rien que l’on trouve un pastiche du drapeau hitlérien dans « Astérix et les Goths » et plus généralement questionner la frontière toujours incertaine entre les barbares, la question de l’absolutisme du pouvoir et la fragilité de la démocratie. Démocratie villageoise, un petit peu anarchique et sympathique mais je dirais que le fond de violence est toujours là, pas loin. Lutter contre les volontés de toute puissance d’un empereur, prolongée par ses légions, c’est une question qui est malgré tout intéressante à aborder.

Anaïs Kien : Et qui intervient justement en permanence, qui est le barbare de l’autre ?

Nicolas Rouvière : Exactement, c’est exactement cela. On est toujours le fou de l’autre ou le barbare de l’autre. Ils sont fous ces Romains mais les Gaulois aussi sont traités de fou comme peut l’être le barde. Il y a un brouillage volontaire en fait au niveau collectif, sur la question du barbare, et au niveau individuel, sur la question de la raison. Là, on tient quelque chose qui donne vraiment un pan d’universalité à cette série, qui est d’une très grande cohérence à cette problématique.

« Un, deux, pique à droite / légionnaires / Aïe, aïe, mon pied ! / Ave, Centurion ! / Ave ! / Ces deux hommes ont tous cassé / Alors, mettez-les en prison ! / Ah, non, non ! / Silence, Gaulois, hein ! / Oh ! Je sens que je vais briser la paix romaine, moi ! / Ah ! Oui, on va briser la paix romaine ? / Ah, ah, ah ! Oui, je vais briser la paix romaine !/ Ah, ah, ah ! / Paix, messieurs, paix ! »

« René Goscinny, Albert Uderzo, 1967 : Bien sûr, nous nous sommes inspirés de Vercingétorix et de tous les noms en X, en biorix et tout ça, c’est venu très vite. Nous nous sommes amusés d’ailleurs à les inventer. Astérix, Obélix, c’est venus très rapidement, puis il y a eu bien sûr Assurance tous risques, Panoramix. Il y a eu tous ces noms en iX maintenant ça en devient pratiquement une manie. Les gens, quand ils nous téléphonent, ils demandent à parler à Monsieur, UderiX ou GoscinniX. C’est devenue, je crois, une manie nationale. / Intervieweur, voix masculine : Comment créer un personnage ? Pourquoi faire un petit et un gros ? Albert Uderzo : Justement, nous avions, nous, Goscinny et moi, une conception assez différente de la bande dessinée humoristique, de ce qui se faisait alors, même il y a huit ans. Nous avons voulu faire l’antithèse du héros qui courant de voir à cette époque-là, soit un petit jeune homme bien fait, très sympathique d’allure, de physique. Justement on a fait cette antithèse, c’est-à-dire un petit, gros nez, assez difforme mais sympathique par sa drôlerie. Et alors… Intervieweur, voix masculine : L’un plus que l’autre, tout de même. Albert Uderzo : On ne dit pas lequel. René Goscinny : On ne dit pas lequel, bien sûr ! Intervieweur, voix masculine : Vous devriez le voir en noir et blanc, c’est curieux. René Goscinny : Alors, justement nous avons pensé de faire un héros qui soit encore moins beau que nous. Il est une satisfaction. En plus, on peut le rendre comique. Parce que quand un héros est trop beau, les gens, qui sont moins beau que lui, lui en veulent un peu d’être beau. Moi, j’en veux à peut près à tout le monde d’ailleurs. Alors que là quand je le regarde, je dis,… Intervieweur, voix masculine : On est heureux d’être commandé. »

« Non, Obélix, non ! »

Nicolas Rouvière : À travers eux, c’est une profession qui se met en scène. Il ne faut pas oublier qu’avant René Goscinny, la profession de scénariste n’existe pas. C’est lui qui l’a fait reconnaître en tant que telle. Donc, avoir un porte-parole aussi médiatique que lui, qui a une verve telle que la sienne, c’était extrêmement important. Ça le dépassait également. C’était vraiment une chance pour toute une génération d’auteurs.

Anaïs Kien : C’est lui qui fait reconnaître institutionnellement le métier de scénariste ?

Nicolas Rouvière : Il y a une charte d’auteur qui s’est créée en 1956, qui rassemblait Albert Uderzo, René Goscinny, Jean-Michel Charlier, et tout un petit groupe d’auteurs, j’allais dire entre Bruxelles et Paris, c’est là qu’ils se retrouvaient pour des rendez-vous régulier. Disons que Goscinny, lui, est emblématique parce qu’il a été le bouc-émissaire, en 56, pour les éditeurs. C’est très simple. En fait, la « World Press », la petite filiale éditoriale pour laquelle il travaillait, l’a tout simplement renvoyé, parce que c’était le dernier engagé en fait. Derrière lui, deux autres auteurs ont démissionné dans a la foulée, Jean-Michel Charlier et Albert Uderzo. Et c’est ce trio qui va se retrouver à la tête du journal Pilote, dès sa fondation, mais plus largement en 1963, quand le journal est racheté par Dargaud, pour un franc symbolique.

Anaïs Kien : Il y a le succès de cette bande dessinée, les aventures d’Astérix, mais il y a aussi le succès des personnages, qu’incarnent dans l’espace médiatique, Goscinny et Uderzo, Patrick Gaumer ?

Patrick Gaumer : C’était l’avantage d’être amis avec des gens qui étaient passionnés de bandes dessinées mais qui avaient pour nom, Pierre Tchernia, par exemple, voir Umberto Eco, voire Alain Resnais, voire toute cette mouvance des auteurs qui finalement, on va dire, étaient nés à la fin des années 20, génération des années 20, début des années 30, qui ont découvert la bande dessinée à travers notamment le journal de Mickey, vers 1934, donc avant-guerre, qui après, une fois arrivés à des postes de responsabilité ou avec une cheminement intellectuel, on va dire entre guillemets, sérieux, ont décidé de se repencher sur leurs tendres années. Ce qui est vraiment intéressant c’est de voir qu’à partir des années 60, il y a tout une série de mouvements, pour légitimer quelque part la bande dessinée, dans lequel j’ai cité, Tchernia, Umberto Eco, j’aurais pu citer Évelyne Sullerot, la sociologue, Jean-Claude Forest, le dessinateur et René Goscinny. René Goscinny a été un des premiers a véritablement défendre le rôle d’auteur. N’oublions pas qu’avant René Goscinny, ce n’est pas le seul, il y a eu Greg, mais globalement avant lui, le statut de scénariste de bande dessinée n’existait pas. Un auteur dessinateur qui décidait de faire appel à un scénariste pouvait très, très bien le faire mais sur ses propres deniers.

« Désormais les adultes traitent la bande dessinée avec beaucoup de sérieux. Un exemple, la conférence de presse hebdomadaire du journal Pilote. 15 décembre 1970. Mesdames et Messieurs, nous allons vous présenter aujourd’hui, le numéro 583, du 7 janvier, il nous reste 9 pages à programmer plus 3 pages du 585 du 21 janvier. Je vous rappelle que le 583, nous avions dit, la semaine dernière, qu’éventuellement nos nous occuperions des scouts, il y a déjà deux pages de scoutisme de techniques de scoutisme de Beketch et Goussé et deux pages sur la crise du scoutisme de Claire Brétécher. C’est un numéro dans lequel nous avons également 6 pages… »

Anaïs Kien : Vous aviez, vous, aujourd’hui, Patrick Gaumer, parlé du rôle d’Astérix dans le magazine Pilote. Est-ce que cela a été un moteur pour le succès de cette revue ?

Patrick Gaumer : Oh, combien ! Puisqu’à un moment il est devenu, Pilote, le journal d’Astérix et Obélix. Mais les choses ne sont pas aussi simples, aussi claires. Au départ on a un journal qui se veut une sorte de Paris Match pour jeunes, avec un mélange d’articles journalistiques sur l’assurance, le sport, etc., un peu de l’illustré, on parlait à peine de bandes dessinées, la dernière page c’est l’emplacement pratiquement privilégié de la série Astérix, mais c’est une planche parmi d’autres. Ce n’est pas la série moteur, contrairement à ce que l’on a pu dire. Puis, au fur et à mesure, au fil des années, je dirais que le grand tournant, ça a été véritablement 1965. À cette époque-là, le lectorat a changé, à commencé à prendre quelques années de plus, premier élément. Deuxième élément, il y a une production entre Goscinny et Uderzo, qui est assez phénoménale, c’est-à-dire qu’ils doivent sortir à peu près l’équivalent de 4 épisodes de 64 à, je dirais, fin 65. Ils ne dessinent pas 4 épisodes, mais il y en a deux qui sortent en album et deux qui sont pré-publiés dans le support. Le premier satellite français s’appelle Astérix. On commence à assisté véritablement à ce que l’on a va appeler le phénomène Astérix. C’est-à-dire que l’on est dans l’air du temps. Mais je crois que c’est vraiment une sorte d’alchimie. Ils sont arrivés au bon moment.

« Extrait du film « Barbarella » d’après une bande dessinée de Jean-Claude Forest et Claude Brulé. Président de la Terre (Claude Dauphin) : Avez-vous déjà entendu parler d’un jeune nucléariste, nommé Durand Durand ? / Barbarella (Jane Fonda) : Oui. / Président de la Terre : Duran-Duran, est l’inventeur du Polyrayon 4, c’est une arme. / Barbarella : Ah, ha… Enfin, l’univers est pacifié depuis des siècles ! Non ? Cela pourrait le replonger en pleine chienlits archaïque et dans… / Président de la Terre : La Guerre. / Barbarella : Comment ? Cette sordide confrontation… / Président de la Terre : Simplement la guerre. Des mêlées sanglantes entre les tribus. / Barbarella : Je ne peux pas y croire. Il faut agir. / Président de la Terre : Oui. Et vous êtes la seule qui puissiez agir. Courage, Barbarella et lav. » (Le nom de l’extrait t des intervenants ont été rajoutés par moi au moment de la transcription.)

« Homme (1) Mais qui êtes vous Madame ? / Femme (1) Que t’importe qui nous sommes. Abandonnes-toi au plaisir. / Homme (2) Que désires-tu, pauvre guerrier ? / Homme (1) Manger. / Femme (2) Nous avons du nectar et de l’ambroisie. / Homme (1) Oh, non, pas de ces cochonneries ! Moi, je veux du sanglier. J’aime le sanglier, c’est bon. / Femme (2) Mais il n’y a pas de sanglier dans notre île. / Homme (1) Y-a pas de sanglier et vous voulez que je reste toujours dans cette île ? Ça va pas, non !/ femme (2) Dis-donc le gros, tu crois quand même pas que je vais faire la cuisine pour toi, non ! Aller, du vent ! / Homme (1) Et comment que je m’en vais par Toutatis ! Pas de sanglier et on ose appeler ça, l’ile du plaisir ! Ooooh ! Aller viens Astérix, c’est une gargote, ici. »

Patrick Gaumer : Il se trouve qu’à un moment… ça, c’est une expression que m’avait dit Jean Giraud, en disant : « à un moment on a suivi un petit peu le même chemin et à un moment il y avait une porte et Goscinny est resté à la porte. » Il y a un côté très paternaliste que l’on retrouve chez Goscinny, plus que chez Uderzo d’ailleurs. Uderzo, c’est vraiment le créateur, pas du tout de tour d’ivoire parce que c’est quelqu’un d’une humanité totale, mais il était, je dirais, sur sa table de travail. L’homme public, c’était véritablement Goscinny. C’est vrai que les auteurs le considéraient, avec beaucoup de respect, voire parfois crainte, les colères de Goscinny sont aussi légendaires, comme une sorte de papa bis, etc. Il est arrivé un moment où il faut couper le cordon, un moment où l faut se dire, c’est bien, je ne renie pas ce que j’ai fait, mais on fait autre chose. Évidemment cela a été le début de l’émancipation des auteurs, comme GB, Cabu et Reiser. Ils sont partis à Hara-kiri Hebdo, puis Charlie Hebdo, ils ont quitté Pilote. Ça, cela a été le premier départ. Ensuite, en 1972, c’est la grosse cassure avec l’Écho des Savanes. L’Écho des Savanes, c’est quoi ? C’est scato, c’est porno. Autant dire que quand Goscinny a vu ça, il a dit : « ptits cons », en gros. Excusez-moi l’expression mais c’était quand même un peu ça. Donc, c’est vraiment la fin d’une époque. Ça, c’est 72. C’est pareil, c’est la roue qui tourne.

« Pendant ce temps, dans le village gaulois,… »

Voix d’homme ( ?) : Il y a Goscinny qui est là, vous savez, hein ?… »

Anaïs Kien : Pendant ce temps-là, on prépare l’inauguration d’une plaque célébrant la naissance d’Astérix sur la façade de la cité du Pont de Pierre à quelque centaine de mètres de l’université. Didier Pasamonik, historien de la bande dessinée, est notre guide pour l’occasion

Voix d’homme ( ?) : « Je connais ce genre de colloque, ça traine, ça traine…

« Attends-moi, Obélix. Je prends un peu de potion magique, kuuuup… Hum ! Ahhh ! et j’arriiiiive ! »

Didier Pasamonik : Comme toujours, dans les cortèges officiels, il y a des retards. Il arrive par ici, paraît-il. On a du vous expliquer que l’endroit où l’on va, c’est l’endroit où au mois d’août 1959, ils ont crée Astérix, avec du Pastis. Il faisait très chaud, parait-il. Le contexte est le lancement de Pilote, qui doit sortir en octobre 1959. Le 29 octobre 1959, c’est la date officielle de la naissance d’Astérix. Ils prévoient une bande dessinée et ils prévoient de faire « Le Roman de Renart ». Ils doivent créer le « Le Roman de Renart » et au moment où ils le font ils s’aperçoivent que quelqu’un l’a déjà fait avant eux, dans Vaillant, qui est quand même le grand journal communiste de l’époque. Pour eux, c’est impossible de refaire la même chose. Donc, ils s’interrogent, se disent qu’ils vont faire un truc historique mais on commence par quoi ? Les hommes des cavernes, c’est déjà fait. Les Américains ont beaucoup d’histoires dessus, pierre à feu et tout ça, et ils s’arrêtent aux Gaulois. Au fond, Astérix, c’est quelque chose qui, au départ, est assez improvisée. Il n’y a pas de choix délibéré. L’ironie de l’histoire, c’est qu’à quelques centaines de mètres de l’endroit où ils vont créer Astérix, on découvre la plus grande nécropole d’Europe.

Anaïs Kien : C’est plutôt un coup de chance.

Didier Pasamonik : Je ne sais pas si c’est un coup de chance. Je crois que déjà, il y a une rue d’Alésia, qui était à cinquante mètres de chez eux. Donc, il y a comme ça une convergence. De là à penser que c’est les mains des Gaulois qui les ont inspirés, on peut toujours se dire ça. Comme je l’expliquais, dans ma conférence, on est dans l’après-guerre, les Français sont en plein milieu des « Trente glorieuses », il y a un mythe qui mérite d’être combattu mais qu’on ne peut pas combattre, c’est le mythe de la Résistance qui pèse vraiment sur cette après-guerre, avec des gens comme Chaban-Delmas, de Gaulle etc. Donc, la nouvelle génération doit un petit peu remettre en cause ce mythe-là et ça passe par la subversion, des éléments de subversion qui sont des relectures ironiques ou amusées de l’histoire. Astérix joue ce rôle, je crois que c’est un des éléments importants.

Didier Pasamonik : La plaque va être installée où ? Vous le savez ?

Voix d’homme ( ?) : Elle est là.

Didier Pasamonik : Ah ! elle est déjà là. Ils sont en train d’installer la tente pour les officiels. Voilà, il y a Uderzo qui arrive justement, à l’instant. Il est accompagné de sa femme Ada Uderzo. Elle a beaucoup de mérite, parce qu’elle a des difficultés pour marcher, elle est en béquilles… Bonjour Ada… On va les saluer. Bonjour Albert.

Albert Uderzo : Bonjour.

Didier Pasamonik : Ça va ?

Albert Uderzo : (manque deux mots). Quand on arrive cinquante ans après, cela fait quand même un drôle d’effet mais les bâtiments sont toujours les mêmes. La nature a changé, elle a beaucoup évolué.

Anaïs Kien : Vous viviez à quel étage ?

Albert Uderzo : Nous étions au 3 et nous étions au 3ème étage.

Anaïs Kien : Donc, au coin, un peu plus loin de cet immeuble ?

Albert Uderzo : L’avant dernier étage.

« Archive, Albert Uderzo,1998 : Et là, il a fallu trouver une idée, très, très rapidement. C’est ce que nous avons fait. C’était dans notre petite salle à manger, dans notre HLM de Bobigny, face au grand cimetière parisien de Patin. Je vous situe la cadre. C’était en plein été, donc c’était un cimetière assez gai parce que très garni d’arbres, donc on ne voyait pas grand-chose, sauf en hiver. Cela s’est fait très, très vite. Quand je dis aux gens qui me posent des questions, qui me disent : vous avez du faire des études, avant d’entreprendre un truc comme ça… Que nenni, comme disait l’autre ! Ça s’est fait en un quart d’heure. Alors, là, il y a eu cette discussion fameuse avec René, à savoir que moi je voyais évidemment le personnage différemment. Je le voyais encore une fois avec l’image d’Épinal que se font les enfants sur les Gaulois : grand, fort, blond et beau / L’interviewer : Et lui ? / Albert Uderzo : Lui, il le voyait à l’inverse : petit, affreux, par contre avec une malignité qui le sortait de l’ordinaire. / L’interviewer : Il voyait un personnage, lui ? / Albert Uderzo : Il voyait un personnage. / L’interviewer : Celui qu’il vous a obligé à inventer. / Albert Uderzo : Celui qu’il m’a obligé à inventer, précisément. »

Voix de femme ( ?) : Elle est où Ada ?

Voix d’homme ( ?) : Elle est là, elle est là.

Anaïs Kien : On va dévoiler une plaque, ici, à Pont de Pierre, en votre honneur, en honneur d’Astérix.

Albert Uderzo : Oui, parait-il, je suis très honoré de ça. J’étais loin de m’attendre qu’un jour, il puisse y avoir une plaque sur ce bâtiment pour rappeler ce moment. C’est très émouvant pour moi. C’est évident qu’il y a cinquante ans, on était loin de se douter, René Goscinny et moi, en passant cette porte, heureusement d’ailleurs que l’on se doutait pas parce qu’on aurait eu très peur. Vous savez, nous ne sommes pas retournés ici depuis quarante deux ans, depuis 67. C’est pour cela que ça m’a fait un drôle d’effet. Je n’ai plus rien reconnu. Si, j’avais du venir moi-même en voiture, je me serais perdu complètement. On est arrivé ici en janvier 1958 et on a quitté cet appartement en 1967, 9 ans exactement.

Anaïs Kien : Vous ne saviez pas à l’époque qu’il y avait une nécropole gauloise, juste à côté de votre immeuble ?

Albert Uderzo : Je viens d’apprendre ça, je ne le savais pas du tout. Alors, cela me poursuit, ça, parce que chaque fois que je m’installe, on découvre une nécropole gauloise. Décidément, ces Gaulois sont fourrés partout. Dans ma campagne, c’est pareil, dans Les Evelyne, on m’a dit un jour : on a trouvé un four gaulois, qui faisait des poteries, à deux kilomètres de chez moi. Pour vous dire que maintenant je fais attention où je mets les pieds. Et bien, dites-moi, il ne fait pas chaud… Ah, oui, c’est peut-être une bonne idée… La petite rue qui coupe là-bas, c’est la rue Alésia, voyez-vous. Vous voyez qu’on était dans le bain !

Anaïs Kien : Elle s’appelait déjà la rue Alésia à l’époque ?

Albert Uderzo : Oui, oui. J’aurais espérer qu’ils l’appellent la rue Gergovie, cela aurait quand même mieux. Alésia, c’est une petite rue de nymphettes de Vercingétorix. Vous auriez vu ici, il n’y avait que de petits ( ?) qui s’amusaient dans cette petite rue-là, c’était formidable. C’était étonnant. Il y avait un gamin, qui était plus malin que les autres, il avait déniché de vieilles voitures d’enfants, vous savez, et tous les gosses montaient dans ces petits wagons improvisés…

Anaïs Kien : C’étaient des vieilles poussettes ?

Albert Uderzo : Des vieilles poussettes, voilà, exactement.

Une femme ( ?) : Monsieur Uderzo.

Un homme ( ?) : Je ne sais pas si vous vous souvenez de nous. Madame Sebag, le fils de Madame Sebag. Elle parlait longuement avec vous.

Albert Uderzo : Ah, oui, je me souviens…

Un homme ( ?) : Elle parlait longuement avec…

Albert Uderzo : Oui, oui…

Un homme ( ?) : Toujours quand elle venait le promenait, elle parlait de ses lampadaires…

Albert Uderzo : Quelques uns avec les bouteilles…

Un homme ( ?) : Cela me fait plaisir que vous veniez au Pont de Pierre.

Albert Uderzo : Vous voyiez, on m’a invité.

Un homme ( ?) : C’est elle qui avait fait un accident, renversée par une voiture, vous vous souvenez ?

Albert Uderzo : Eh, oui.

Un homme ( ?) : Et bien, voilà, c’est elle. Elle s’est occupée de la maman et tout…

Albert Uderzo : Je me souviens bien, je me souviens bien, je me souviens de cet accident.

Une femme ( ?) : Bonjour, vous êtes Uderzo ? L’Albert Uderzo ?

Albert Uderzo : Oui.

Une femme ( ?) : C’est madame Uderzo ?

Albert Uderzo : Oui, je suis son époux

Une femme ( ?) : Oh ! Je n’arrive pas à vous reconnaitre

Albert Uderzo : Vous avez toujours été là ?

Une femme ( ?) : Je suis très contente de vous revoir.

Anaïs Kien : Anne Goscinny, vous n’étiez jamais venue sur le lieu de naissance d’Astérix ?

Anne Goscinny : Mais, non, je dois dire que non. C’est très émouvant de penser qu’Astérix est né ici, que mon père est venu souvent ici, qu’avec Albert ils se sont bien marrés, je trouve ça c’est très émouvant.

Anaïs Kien : Il y a des rues Goscinny, des écoles Goscinny…

Anne Goscinny : Il y a beaucoup de rue. Il y en a une à Paris notamment, dans le 13ème à côté de la Bnf. Il y a des écoles, des lycées, des collèges et des médiathèques, des centres culturels, des bibliothèques et il y a surtout le lycée français de Varsovie, qui porte son nom.

Anaïs Kien : Et dans le 13ème, la rue Goscinny se trouve entre la rue Thomas Mann et Primo Lévy.

Anne Goscinny : Oui. Je trouve que c’est un voisinage chargé de sens ! En tout cas, moi, qui me fait très plaisir, la montagne magique.

Anaïs Kien : Et vous avez assisté à toute cette journée, consacrée à Uderzo ?

Anne Goscinny : Je vais assister au dévoilement de la plaque puis après je crois qu’il y a un truc à l’université et après je retournerai du côté de chez moi parce que j’ai deux enfants qui ont 6 et 8 ans et il faut assurer le judo.

Anaïs Kien : Le judo ?

Anne Goscinny : Oui, parc qu’après l’école, on a le judo. Il faut être dans la vie. C’est bien de dévoiler des plaques et c’est bien d’amener les petits au judo.

Une femme ( ?) : Bonjour Madame.

Anaïs Kien : Bonjour, madame.

Une femme ( ?) : Monsieur Uderzo, habitait là.

Anaïs Kien : Vous l’avez connu ?

Une femme ( ?) : Je l’ai connue. On est les deux. Tout le monde est parti. Tous les Français sont partis et on est resté. Après, elle a trouvé… Son mari est monté de grade et tout… elle habite évidemment dans de beaux quartiers.

Anaïs Kien : Ada Uderzo, la femme d’Albert Uderzo ?

Une femme ( ?) : Voilà. Elle est très gentille, la vérité. Elle aimait parler aux gens. Elle n’était pas retirée du monde, non. Quand on se rencontrerait, on restait des heures à parler. Dernièrement, elle m’a dit : j’ai fait un bel abat-jour pour ma table de nuit. C’étaient des gens simples, hein ! Ils ont montés de grade, Dieu est grand, ha, ha, ha… il y a des histoires de partout, hein ! Ha, ha, ha…

Anaïs Kien : Et vous, vous êtes arrivée à quel moment, ici, à Bobigny ?

Une femme ( ?) : En 58. Il n’était pas…

Anaïs Kien : Fini ?

Une femme ( ?) : Non. La pelouse, derrière, là, c’était de la boue. On nous livrait le lait avec des charrettes, tout ça… Depuis 58, je suis là. Je suis la seule, ha, ha, ha… je me trouve bien.

Anaïs Kien : Et vous veniez d’où ?

Une femme ( ?) : Je viens de Sfax, Tunisie.

Anaïs Kien : Et vous vous appelez comment ?

Une femme ( ?) : Madame Sebag Marcelle.

Catherine Peyge, maire de Bobigny : Mesdames et Messieurs, je vous invite à vous rapprocher. Mesdames, Messieurs, chers amis. Dévoiler une plaque est toujours, pour moi, un moment d’émotion particulière, car il s’agit de placer une partie de l’espace public sous le haut patronage d’une personnalité admirée. Cela sera bien sûr le cas aujourd’hui. Mais cette émotion est marquée d’un sourire tendre et complice, puisque l’esprit des lieux que nous convoquons aujourd’hui a pu s’incarner dans un petit bonhomme souriant, malicieux et fort de la force de ses amis, des amis sûrs et dévoués. C’est à deux pas d’ici que le malin Astérix, patriote et roublard a vu le jour grâce à deux pères exceptionnels, Albert Uderzo et René Goscinny. L’historique légende affirme qu’Uderzo et Goscinny, en fumant quelques cigarettes, j’espère pour l’histoire que c’étaient des Gauloises, et en sirotant un Pastis, ont conçu Astérix. J’aime à imaginer qu’accouder au balcon, ils ont été inspirés par les mannes de centaines de Gaulois, qui reposaient dans la plus grande nécropole gauloise jamais découverte juste sous la fenêtre du dit balcon. À Bobigny, une fois de plus, la réalité a dépassé la fiction. Ici est né Astérix en 1959, crée par Albert Uderzo et René Goscinny. Albert Uderzo résidait alors dans cette allée.

Albert Uderzo : Exactement au 3ème étage…. Il est marrant ce garçon là…

Anaïs Kien : Bonjour. Est-ce que tu sais ce qu’on vient de faire là ?

Un jeune ( ?) : Vous venez de mettre une pancarte en argent, je crois.

Anaïs Kien : Et c’est juste à côté de ta fenêtre.

Un jeune ( ?) : C’est bien pour moi.

Anaïs Kien : Tu savais d’Albert Uderzo avait vécu ici.

Un jeune ( ?) : Je ne savais pas qu’il avait habité ici, je croyais que c’était un bâtiment comme les autres. Mais ce n’est pas un bâtiment comme les autres.

Anaïs Kien : retour au bâtiment de l’illustration où le dessinateur Albert Uderzo s’apprête à recevoir un Doctorat d’honneur, a devenir un gradé de l’université. Nous y retrouvons Patrick Gaumer.

Patrick Gaumer : C’est vrai que cela correspondait à un changement d’époque, la bande dessinée n’était plus considérée comme un pousse au crime. Petit à petit elle était légitimée et surtout s’insérait dans un ensemble beaucoup plus large, qu’est la contre-culture, dans lequel on va effectivement après retrouver la science-fiction, le rock, etc.

Anaïs Kien : Quand on parle de bande dessinée contre culturelle on pense plutôt à Fourest et à Barbarella, qui s’inscrit vraiment dans le chromo de la conte culture de la fin des années 60. on ne pense pas forcément à Astérix et à Uderzo et Goscinny.

Patrick Gaumer : Vous avez tout à fait raison. Ce qui est d’autant plus étonnant, c’est que Forest et Goscinny c’était vraiment l’eau et le feu, deux conceptions différentes et surtout deux personnalités. Je crois qu’un des claches, parce que c’est aussi l’autre de Goscinny, qui est peut-être un peu moins glorieux, c’est quelqu’un qui ne supportait pas trop concurrence et certaines personnalités, ce qui sera notamment le cas de Forest. Forest avait une telle notoriété via Barbarella, alors là en parlait médiatique si l’on rajoute le film de Vadim, Barbarella était un moment sans doute aussi connu qu’Astérix. Forest m’a raconté que le jour où il a rencontré Goscinny, il lui a dit : Si ça ne tenait qu’à moi, je ne vous aurez jamais publié, mais vous êtes Forest, donc je pense à mes lecteurs. Il se trouve que, sans entrer dans les détails, à un moment Forest a continué à travailler pour Pilote, et à un moment Goscinny a dit : Vous me le virez.

Anaïs Kien : Parce que Barbarella correspondait d’un point de vue esthétique, au code du temps, à cette modernité venue des États-Unis, au super héros extrêmement érotisé.

Patrick Gaumer : C’était surtout le côté érotique, évidemment, qu’on retrouve. Falbala, ok, c’est bien gentil, c’est un personnage féminin mais il n’y a pas cette liberté de ton, ce côté science-fiction, donc à cheval entre les différentes contre cultures qu’a Forest. C’est vrai qu’à un moment, je dirais, la série Astérix est devenue presque un classique…

Anaïs Kien : Académique.

Patrick Gaumer : Voilà, c’est l’expression, académique, alors que les expériences se faisaient ailleurs.

Anaïs Kien : Jean-Claude Lescure, notre hôte, initiateur de cette journée d’hommage et de célébration.

Jean-Claude Lescure : Albert Uderzo, je voulais vous dire que c’est un immense honneur que vous faites à cette université, où tous les jeunes sont des petits Goscinny et de petits Uderzo, c’est-à-dire des fils d’immigrés d’aujourd’hui, des enfants de la banlieue qui cherchent leur voix. On est là pour cette ascension sociale, pour leur permettre de se réaliser, réaliser leur rêve. Votre présence ici, c’est la preuve que des fils d’immigrés peuvent réussir et c’est aujourd’hui par l’université, avec son absence de sélection, sa promotion sociale, son insertion professionnelle, qui est là et qui permet à ces gamins de banlieue de devenir les futurs cadres de la nation. C’est à cette occasion là que nous avons pris la décision de vous remettre le diplôme d’honneur de Docteur de l’université Paris 13.

Albert Uderzo : Merci, Monsieur.

Jean-Claude Lescure : C’est moi qui vous remercie.

Natacha Lillo, historienne, spécialiste de l’histoire de l’immigration : Le fais que cela soit des enfants d’immigrés qui deviennent des Gaulois résistants à l’Empire romain, des Gaulois donc des futurs Français, franchouillards, avec les banquets, les bagarres, que cela soient des enfants d’immigrés qui fassent ce personnage-là, quelque part cela rend hommage aux capacité d’intégration qu’a pu avoir la France dans les années 20-30, et même je pense jusqu’aux années 50-60. Par l’école, par toute une série de modalités de choses, qui pouvaient être l’existence d’un Parti communiste fort, par le syndicalisme, etc., qui permettaient l’intégration, et aussi parce que jusqu’aux années 70, on est dans une société, des Trente Glorieuses, où l’on va vers le progrès, c’est-à-dire qu’en général les pères sont manœuvres, cimentiers, ouvriers de base, les fils vont acquérir un véritable emploi. Donc, vous avez vraiment, là, quelque chose qui est très net, c’est le passage d’une génération à l’autre, avec une ascension sociale.

« Je crois que je vais tout de même boire un coup de la potion magique, l’avenir du village est en jeu après tout. »

Anaïs Kien : Emmanuel Boulanger, vous faites une communication, intitulée : « De l’esprit village à la ville moderne », dans cette journée consacrée au Gaulois, à Bobigny et à Uderzo. Vous avez regardé comment Uderzo justement parle de Bobigny ?

Emmanuel Boulanger : Ils en parlent relativement peu. On sent bien que cette cité du Pont de Pierre, c’est un monde à part, ce qui est une réalité, c’est une cité qui reste enclavée, il n’y a pas de centralité réellement à Bobigny…

Anaïs Kien : C’est le lieu où il habite.

Emmanuel Boulanger : Voilà, c’est le lieu il habite. Par contre, on sent qu’il ne porte pas particulièrement à cœur les communistes, c’est un lien que l’on peut également faire.

Anaïs Kien : Et les gens de gauche en général.

Emmanuel Boulanger : Et le gens de gauche en général c’est ce qu’il dit en effet dans un des ses entretiens. D’ailleurs au final il quittera Bobigny, il habitera dans une autre cité à l’entre-soi, bien prononcée, je pense à Neuilly-sur-Seine, là on n’est plus du tout dans la ville typée populaire, c’est vraiment la ville à l’entre-soi bourgeois affirmé. C’est bien sûr un autre monde. Cette cité du Pont de Pierre a semble-t-il marqué on histoire. En tout cas elle marque le début de l’histoire d’Astérix.

Anaïs Kien : Quels sont les acteurs qui organisent cette journée scientifique, intitulée « Drôles de Gaulois » ?

Emmanuel Boulanger : Les partenaires de cette initiative, de ces célébrations mémorielles, on pourrait presque dire, c’est la ville de Bobigny, le Conseil régional d’Île-de-France, le Conseil régional de la Seine-Saint-Denis, le patronage très significatif de l’Université Paris 13 et du Campus de Bobigny. C’est très surprenant de voir comment les choses évoluent, ce qui était inimaginable dans les années 60-70, même encore 80, à savoir qu’une mairie communiste s’approprie cet héritage d’Uderzo et Goscinny, d’Astérix, c’est vrai que l’on mesure à quel point, y compris le paysage et les mentalités politiques ont pu évoluer.

Anaïs Kien : Et comment on peut expliquer cette captation d’héritage justement, par cette mairie communiste, de ce petit personnage, Astérix ?

Emmanuel Boulanger : Alors là, on est certainement dans une logique de faire-valoir. De faire-valoir municipal, de « patrimonisation » également des cités, des premières cités d’habitat collectif qui sont ainsi valorisées. Aujourd’hui on a une relecture de la Seine-Saint-Denis qui est tend à falsifier, en tout cas à stigmatiser cette période des Trente glorieuses. En colle notre réalité où en effet l’intégration est difficile avec l’expérience des Trente Glorieuses où au contraire on avait un ascenseur social qui permettait à des enfants issus de l’immigration, en l’occurrence de l’immigration italienne, de faire école, de s’intégrer, de faire France, oui.

Anaïs Kien : On fait de vous aujourd’hui une success story, un modèle d’intégration puisque vous êtes fils d’immigré italien, Albert Uderzo, ce n’est pas un peu vertigineux comme place à assumer ?

Albert Uderzo : Je m’attendais à votre question. Eh bien, voyez-vous, il y a une particularité en ce qui concerne les auteurs d’Astérix, c’est que Goscinny était d’origine polonaise et moi d’origine italienne, j’ai l’air de taper sur la tête de mes ancêtres.

« Vive Astérix ! Vive Obélix ! Vive Astérix ! Et sous la lune, le traditionnel banquet réunit tous les habitants du village gaulois, tous. Ah, non ! J’en oublie un, Assurance tout risques, le barde / Les lâches, me ligoter et cacher ma, lyre ! J’avais composé une ode triomphale, La, la, la… / Eh, Assurance tout risques, le disque est fini / La, la, la / Le disque est fini »

Anaïs Kien : merci à Pascal Ory, Patrick Gaumer, Nicolas Rouvière, Albert Uderzo, Jean-Claude Lescure, Catherine Peyge, Natacha Lillo, Emmanuel Bellanger, Didier Pasamonik et aux habitants de la cité du Pont de Pierre.

Prise de son Olivier Leroux, mixage Claire Levasseur. Archive Ina, Aurélie Marsset et Marie Jarousse ( ?).

« Astérix, fils du 9 – 3 », un documentaire d’Anaïs Kien et de Véronique Samouiloff.

Emmanuel Laurentin : Et merci à Anaïs Kien et Véronique Samouiloff de terminer ainsi cette semaine gauloise, avec ce dernier avatar du Gaulois dans notre société contemporaine, ce fils de dessinateur et scénariste immigrés.

Story-tellings et représentations historiques erronées

Il m’arrive (RM) fréquemment de donner à des étudiant.es des thèmes sur les représentations scientifiques erronées dans les fictions. L’Histoire étant une science, il est évident que certaines œuvres réécrivent des pans entiers de ce qu’il s’est concrètement passé. Il arrive que ces réécritures soient du fait du caractère parcellaire des informations disponibles ; mais il arrive aussi et surtout que ces récits narratifs, ces story-tellings, soient des manières de surfer sur les fantasmes et les représentations sociales sur une période. Au gré du temps, et au fil des demandes, j’étofferai le matériel disponible.

Far West américain

CorteX_Bon_brute_truandDébat historiographique pour évoquer les représentations de l’Ouest américain en France, dans La fabrique de l’histoire, sur France Culture, le 29 septembre 2016, co-animée par Victor Macé de Lépinay : du mythe du « bon sauvage » à la conquête de l’Ouest, de Fenimore Cooper à Buffalo Bill, nous cheminons sur les pas des voyageurs, géographes, historiens, écrivains et cinéastes qui ont imaginé un Far West pour Européens. Comment ont évolué les représentation de l’Ouest américain en France ? Quelle place a-t-on donné à l’idée de « frontière » dans notre vision de l’Amérique ? Avec Tangi Villerbu, maître de conférences à l’université de La Rochelle, Jacques Portes, professeur à l’université de Paris 8 Vincennes-Saint Denis et Mathilde Schneider, conservatrice au Musée franco-américain du Château de Blérancourt.

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Bushido japonais

CorteX_SamuraiLe bushido, littéralement « voie du guerrier », est le code des principes moraux que les samouraïs japonais étaient soi-disant tenus d’observer. Le doute m’avait été mis sur le sujet par Jean-Michel Abrassart dans l’émission ci-dessous, j’ai contacté et parcouru les travaux de Benesch et j’ai donné ce sujet à des étudiant.es intéressé.es. Leur travail est là.

L’émission n°351 de Scepticisme scientifique, croisée avec le podcast Anthrostory, aborde les thèmes suivants :

  • l’origine du Bushido.
  • Le livre Bushido: the soul of Japan, une référence pour beaucoup de pratiquants d’arts martiaux.
  • Le livre Hagakure, de Yamamoto Tsunetomo, autre référence.
  • Un court résumé de l’histoire des samouraïs qui nous aide à mieux comprendre les histoires qu’on nous raconte et leur réalité historique.
  • Un petit clin d’œil au film The last samouraï, sur son historicité et l’idéal qu’il semble défendre.
  • Un micro clin d’œil à la magnifique série Shogun, là aussi pour parler de son authenticité éventuelle.
  • Un autre éclairage sur le positionnement des samouraïs et de leur idéologie, et de savoir quel serait leur positionnement politique actuel.
  • Pourquoi  avoir besoin de croire en l’efficacité d’un art martial et pourquoi lui chercher une origine lointaine ?
  • Pourquoi la question de l’efficacité (et de l’origine de l’efficacité) d’un art martial est important dans sa pratique au jour le jour ?
  • En quoi une idée fantasmée des samouraïs a pu et peut encore aujourd’hui avoir de l’influence sur le Japon ?

Quelques sources :

  • Bushido, l’âme du Japon, par Inazo Nitobe
    Hagakure : Ecrits sur la voie du samouraï, de Yamamoto Tsunetomo
    Inventing the Way of the Samurai: Nationalism, Internationalism, and Bushido in Modern Japan, de Oleg Benesch, historien le plus pointu sur le sujet
    La série Shogun, de Jerry Lyndon (1980)
    Le film Le Dernier samouraï, d’Edward Zwick (2003) à voir pour le stéréotype

Gaulois français

J’ai créé un article spécifique assez complet .

Mayas

Un excellent travail a été proposé par Jonathan, de Anthrostory à cette page-ci.

Je rêve de la recopier ici, mais je préfère vous renvoyer vers son site.

Voici l’émission de radio qui en est tirée.

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Histoire de Paris / de France

Nous avons déjà élaboré des ressources critiques des relectures fantaisistes de Loran Deutsch. Guillaume Guidon a ainsi élaboré

Histoire – peut-on critiquer Loran Deutsch ?

Le métronome de Loran Deutsch, un exemple de pseudo-histoire

Alexis Corbière a quant à lui critiqué les représentations sur la Révolution Française relayées par les jeux vidéos (ici)

Enfin, nous avons reproduit avec l’amabilité de son anonyme auteur Retour sur l’Histoire – Robespierre sans masque

Les Arabes

An American Carol images, pictures, photos and wallpapersNous avions réalisé avec des doctorant.es des travaux sur le sujet

  •  avec Djaml Hadbi sur les stéréotypes sur les Arabes dans les films : les Arabes, souffre-douleurs du cinéma. C’est ici.
  •  avec Andréa Rando-Martin sur Aladdin, de Disney et ses archétypes sexistes et racistes. C’est là.

Les pirates

(à venir)

Les bandits

(à venir)

Louis Mandrin

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Louis Mandrin blessé par l’assaut des Dragons à Guenand en décembre 1754 © Getty / Keystone-France

Retour sur Louis Mandrin le « capitaine Belle humeur », célèbre en Dauphiné, et abordé ici dans l’émission Autant en emporte l’histoire, de Stéphanie Duncan du 15 janvier 2017.

Ce 26 mai 1755, depuis tôt le matin, 6000 personnes se sont amassées sur la place des Clercs à Valence. Des curieux sont montés sur les toits, dans les arbres, ou sur des gradins de fortune, loués 12 sols pour l’occasion. Au centre de la place, se dresse un grand échafaud de bois. C’est là que, dans quelques heures, sera exécuté Louis Mandrin, le célèbre contrebandier, celui qui depuis deux ans, sur les routes du Dauphiné, de la Franche-Comté et de la Bourgogne, nargue les fermiers généraux et l’armée du roi. Personne dans la foule ne l’a jamais vu, mais l’on dit que Belle Humeur (c’est son surnom) est beau de visage, blond de cheveux, bien fait de corps, l’esprit vif et d’une hardiesse à toute épreuve… On dit aussi qu’il ne quitte pas son grand chapeau bordé de fils d’or. Deux jours auparavant, la commission de Valence, véritable tribunal d’exception, a condamné à mort Mandrin, par le supplice de la roue, la plus grave des peines infamantes. C’est donc ici, devant la foule, que ce 26 mai 1755 va prendre fin la vie tumultueuse de Mandrin. Mais sa mort marque aussi le début d’une légende, toujours tenace aujourd’hui, celle du bandit au grand cœur qui prend aux puissances de l’argent pour redonner aux pauvres.

L’invité de Stéphanie Duncan est l’historien Benoît Garnot.

La fiction

Louis Mandrin, Capitaine Belle Humeur, une fiction de Christine Spianti.

Tarzan

(à venir)

Reductio ad hitlerum – encore une !

L’émission Duel sur la Cinq d’octobre 1988 proposait un débat autour de la mise sur le marché de la pilule RU-486 dite « du lendemain ». Un des participants, Jérôme Lejeune, connu pour condamner la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse, s’opposait à la commercialisation de cette pilule. Son argumentaire était loin d’être dénué de sophismes. Nous avons extrait ici un reductio ad hitlerum. Pour en savoir plus sur ce sophisme, voir là

 

« Et je dis parce qu’il faut que les téléspectateurs le comprennent. Si ce produit est en vente, ou même qu’il soit payé ou pas ça n’a pas d’importance. S’il est employé et exploité industriellement ce sont des millions d’êtres humains qui seront détruits chaque année. Et je le dis posément parce que c’est vrai, il faut qu’on le sache, ce produit tuera plus d’êtres humains qu’Hitler, Mao Zedong et Staline réunis. »

Relevons aussi l’effet paillasson avec le terme « êtres humains » dans la phrase « S’il est employé et exploité industriellement ce sont des millions d’êtres humains qui seront détruits chaque année.« . Il aurait été plus pertinent d’employer le terme « embryon », car la pilule du lendemain est destinée à interrompre une grossesse dans ses premières heures. Or, l’organisme en cours de développement lors d’une grossesse est appelé embryon jusqu’à huit semaines d’aménorrhées. En parlant d’êtres humains, J. Lejeune aggrave la situation, transformant la contraception en un quasi-holocauste.

Ressources sur les conflits d'intérêt à l'Université

Alors que certaines universités au Canada et aux États-Unis se sont dotées de politiques vis-à-vis de la prévention et de la gestion des conflits d’intérêt (CI) depuis les années 1990, rares sont les universités françaises à adopter de tels dispositifs 10. De plus, ce sont uniquement les chercheuses et chercheurs membres de quelques institutions sanitaires en France qui sont obligés de déclarer leurs liens d’intérêt lorsqu’ils s’expriment en public ou participent à des commissions. Pourtant, les mécanismes psychologiques en jeu dans les situations de CI existent en dehors du secteur sanitaire et les conséquences de ces situations peuvent être tout aussi graves en termes de confiance et d’intérêt collectif. C’est pour cela qu’il nous a semblé pertinent d’aborder ce sujet auprès des doctorant·e·s de l’Université Grenoble-Alpes lors du stage DFI De l’éthique à l’Université que nous animons depuis plusieurs années. Voici ci-dessous une partie de notre matériel.

Définition

De nombreux collectifs et institutions se sont penché.es sur la définition du conflit d’intérêt dans différents milieux : médical, paramédical, gouvernement, tribunaux, etc. Nous trouvons celle donnée par l’Université de Montréal pertinente pour le milieu universitaire 1 .

Un CI peut survenir quand des activités ou des situations placent un individu ou une organisation en présence d’intérêts (personnels, institutionnels ou autres) qui entrent en conflit avec les intérêts inhérents aux devoirs et responsabilités liés à son statut ou à sa fonction.

Ces conflits risquent d’altérer l’intégrité des décisions prises et ainsi de causer des torts et de compromettre la confiance du public à l’endroit de l’organisation et de ses membres.

Notons qu’il est plus facile de trouver des situations de CI là où la plupart des personnes d’un groupe sont d’accord pour dire qu’il s’agit bien d’une situation de CI, que de trouver une définition exhaustive et satisfaisante en toute situation.

Terminologie

Nous utilisons à la fois les termes de :

  • lien d’intérêt, lorsqu’une personne (physique ou morale) tire un avantage ou désavantage (principalement financier, mais aussi matériel, direct ou indirect) dans sa relation avec un objet ou une personne (physique ou morale) ;
  • conflit d’intérêt, lorsqu’une personne entretient au moins deux liens d’intérêts (dont au moins un financier ou matériel) qui entrent en contradiction.

Exemples

On peut piocher :

  • dans son expérience personnelle d’enseignement ou de recherche ;
  • dans des situations théoriques classiques de CI proposées par exemple par l’Université de Montréal ici ou l’Université de Sherbrooke ici ;
  • dans des expériences vécues par les personnes constituant le public ;
  • dans les cas médiatisés plus ou moins récents, comme l’affaire des logos nutritionnels en 2016-2017 2.

Déconstruire quelques idées reçues

« Les CI, c’est en médecine et en politique. »

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Cinq premiers résultats dans Google Image lors d’une recherche « conflits d’intérêt »

Nous faisons l’hypothèse que viennent plus facilement à l’esprit les situations de CI dans les champs politique et médical, car des cas de ce type ont souvent fait la une des médias : affaires du sang contaminé, du Médiator®, Woerth-Bettencourt, François Fillon, etc. À titre d’illustration, nous montrons les cinq premiers résultats d’une recherche menée en décembre 2016 sur Google Image à parti des mots-clés « conflits d’intérêt » (voir ci-contre), où quatre des cinq illustrations mettent en scène des actrices et acteurs du champs sanitaire (professionnel·le·s de santé, laboratoires pharmaceutiques, ou membres de commissions décisionnelles en santé).

Or, de nombreuses situations de CI impliquent des individus d’autres professions , provenant d’autres champs disciplinaires, comme nous le développerons dans la suite de l’article. Rares sont les secteurs de recherche à ne pas recevoir de financements d’entreprises à but lucratif, ou d’instituts publics ayant intérêt à ce que les résultats des études aillent dans un sens plutôt que dans un autre.

« Moi, j’ai trop d’éthique pour avoir des conflits d’intérêt. »

En général, les individus reconnaissent volontiers leurs liens d’intérêt, mais affirment cependant que ces liens n’influencent pas leur action, uniquement celles de leurs pairs. Or, cette attitude n’est pas soutenue par les faits. C’est l’illusion de l’unique invulnérabilité, un biais cognitif que l’on peut illustrer avec cet extrait d’Envoyé Spécial de décembre 2013 intitulé « Conflits d’intérêt : les liaisons dangereuses ».

Dans cette vidéo, un chercheur en criminologie fait part lors de ses interventions publiques du risque toujours plus fréquent d’usurpation d’identité, et de la nécessité de détruire avec un broyeur de documents ses papiers d’identité pour prévenir ce risque. Or, le chercheur déclare toucher plus de 2000 euros par an pour un partenariat avec une entreprise commercialisant des broyeurs de documents, réaliser des études commanditées et financées par ce groupe et participer à des réunions avec la presse financées et organisées également par ce même groupe. Lorsqu’un journaliste lui demande « vous ne pensez pas qu’il y a un petit conflit d’intérêt ? », la réponse du chercheur est sans hésitation « Non. Non, sinon je ne le ferais pas. » Or, il y a tout de lieu de penser que nous sommes ici dans une situation de conflit d’intérêt où le lien financier qu’entretient le chercheur avec l’entreprise de broyeurs de documents peut biaiser son discours : il peut surestimer les cas d’usurpation d’identité, ou la pertinence des broyeurs de documents par rapport à un simple déchirement manuel.

Ce biais cognitif a été mis en évidence tout d’abord chez les médecins dans les années 1990. On peut se référer à l’une des premières études sur le sujet de Steinman et al.3 On a demandé à 105 étudiant·e·s en médecine de sixième année et plus s’ils pensaient que les représentant·e·s pharmaceutiques avaient un impact sur leur pratique de prescription et sur celles de leurs collègues. Les étudiant·e·s avaient le choix entre quatre réponses : pas d’influence, une petite influence, une influence modérée ou beaucoup d’inflCorteX_steinman2001uence. Les résultats sont représentés dans le graphique ci-contre. Sans rentrer dans le détail, on peut résumer les résultats de l’étude ainsi : alors que plus de 60% des étudiant·e·s pensent que les représentant·e·s pharmaceutiques n’ont pas d’influence sur leur propre prescription, elles et ils sont moins de 20% à penser que leurs collègues ne sont pas soumis à cette influence. À l’opposé, moins de 5% des étudiant·e·s pensent que ces représentant·e·s exercent une influence modérée à importante sur leurs prescriptions, alors qu’elles et ils sont plus de 30% à penser que leur collègues subissent une telle influence. En plus simplifié, peu d’étudiant·e·s pensent être influençables, mais un nombre beaucoup plus important pense que leurs collègues le sont.

Si nous n’avons hélas pas connaissance d’études de ce type sur des universitaires non professionnel·le·s de santé, il est assez raisonnable de penser que ce biais cognitif conduisant à sous-estimer l’impact des mécanismes d’influence sur soi-même ou à les surestimer chez les autres, existe aussi chez les enseignant·e·s et chercheuses et chercheurs. Ce ne sont pas seulement les individus « sans éthique » ou « faibles psychologiquement » qui en sont les victimes.

« Ce n’est pas parce que je suis payée par l’industrie que les résultats de mes recherches sont influencés. »

Cette idée reçue permet d’introduire le biais de financement : une étude financée par l’industrie, ou dont les investigatrices et investigateurs sont financés par l’industrie, a plus de chance d’avoir des résultats favorables à l’industrie toutes choses égales par ailleurs. On peut introduire cette problématique avec cet extrait de Cash investigation « Industrie agroalimentaire : business contre santé » de septembre 2016.

La journaliste interroge un chercheur ayant écrit un rapport pour lequel il a été rémunéré par l’American Meat Institute (association qui représentait les industries de la viande et des volailles aux États-Unis) critiquant les travaux sur les effets délétères pour la santé de la consommation de viande d’une scientifique, S. Preston-Martin. À la question « Vous ne pensez pas que votre point de vue serait plus fort si je n’avais pas découvert que aviez été payé ? », le chercheur répond « Non, je ne pense pas que ça changerait mon point de vue ».

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Figure B

On pourra alors citer par exemple l’étude de 2013 Bes-Rastrollo et al. 4, dans laquelle les chercheurs et chercheuses ont référencé toutes les études portant sur le lien entre consommation de boissons sucrées et prise de poids et obésité. Les chercheuses et chercheurs les ont classées en deux catégories : celles dont les résultats montraient un lien entre ces deux variables, et celles dont les résultats ne montraient pas de lien. On peut schématiser ainsi ces résultats (figure A).

Un autre chercheur de manière indépendante a ensuite classé les études en fonction des déclarations de liens d’intérêt des chercheuses et chercheurs avec les industries fabricants des boissons sucrées. Si on prend en compte cette variable là, les résultats sont les suivants (figure B).

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Figure B

On s’aperçoit alors que la plupart des études montrant un lien entre consommation de produits sucrés et prise de poids n’ont pas déclaré de liens d’intérêt alors que la plupart des études ne montrant pas de lien entre ces deux variables déclarent des liens d’intérêts avec des industries.

Ces résultats convergent avec d’autres au sujet desquels les industries agro-alimentaires 5, pharmaceutiques 6, du tabac 7, des organismes génétiquement modifié 8, des télécommunications 9, des nanotechnologies 10 ou encore du nucléaire 11 sont impliquées.

Arrivé à ce stade, il est possible d’introduire comme hypothèse explicative potentielle du biais de financement, le biais de publication, le fait que les chercheuses et chercheurs et les revues scientifiques ont bien plus tendance à publier des expériences ayant obtenu un résultat positif que des expériences ayant obtenu un résultat négatif.

« Moi qui ne reçois que des petits avantages, je ne suis pas ou peu sous influence. »

Le principe de réciprocité ou de contre-don a été mis en évidence expérimentalement dans les années 1970 : il s’agit d’une tendance de l’être humain à s’efforcer de rendre les avantages perçus d’autrui, même si ces avantages sont de tous petits gestes. Le simple fait, par exemple, qu’une serveuse ou un serveur donne un bonbon au moment de l’addition conduira les individus à donner en moyenne un pourboire plus élevé ; et s’il en donne un de plus à une personne qu’à ses collègues, et en douce, le pourboire sera encore plus important 12. Au quotidien, ce principe se traduit souvent par un sentiment d’obligation à rendre un service, une invitation ou un cadeau en retour.

Le principe de réciprocité est utilisé à des fins commerciales
Le principe de réciprocité est utilisé à des fins commerciales

L’acceptation par des médecins d’échantillons gratuits provenant de laboratoires pharmaceutiques peut les conduire à prescrire plus souvent ces médicaments même s’ils sont non recommandés dans la situation de soin en question ; ce qui n’est pas le cas si on interdit la distribution d’échantillons 13.

De petits cadeaux ou des petites sommes d’argent peuvent engendrer le principe de réciprocité ; une chercheuse ou un chercheur comme tout être humain en fait les frais.

Les conflits d’intérêt, est-ce moralement condamnable ?

En adoptant une démarche conséquentialiste 14 nous interrogeons les conséquences potentielles et avérées engendrées par des situations de CI. Nous évoquons :

  • les conséquences sanitaires : décès ou altération de la qualité de vie à cause de retard d’interdiction de mise sur le marché pour certains médicaments et certaines indications (affaires du Médiator®, de la Dépakine® etc.), de retard de mise en place de politiques de santé publique efficaces (cas notamment du tabac) etc. ;
  • les conséquences sur l’objectivité des recherches et la qualité des connaissances produites (voir le biais de financement) ;
  • la perte de confiance du « grand public » vis-à-vis des institutions, de la communauté scientifique, des professionnel·le·s de santé (cas entre autres des organismes génétiquement modifiés, des vaccins (affaire Wakefield) ;
  • les choix en non connaissance de cause qui sont réalisés par les patientes et patients, les consommatrices et consommateurs, les électrices et les électeurs ;
  • les accusations et attaques infondées de conflits d’intérêt pouvant décrédibiliser à tort des travaux (nous en avons d’ailleurs fait les frais, lire ici).

Imaginer des solutions

Quelles solutions mettre en place pour prévenir ou gérer les liens d’intérêt financiers à l’échelle individuelle, d’un laboratoire de recherche, d’une université, d’une revue scientifique, ou encore d’un état ? Cette question peut faire l’objet d’une réflexion collective.

Nous citons à titre d’exemple :

  • la politique de l’Université de Montréal qui oblige chaque étudiant·e à partir du deuxième cycle et chaque travailleuse ou travailleur à déclarer chaque année ses liens d’intérêts financiers et familiaux (le document à remplir est téléchargeable ici). Ces déclarations ne sont pas rendues publiques mais sont destinées à des cadres de l’Université chargés d’évaluer les risques de CI et de prendre des mesures en conséquence (interdire un partenariat, une présidence de jury, suspendre une fonction, etc.). On pourrait imaginer que ces déclarations soient rendues publiques, à l’image de ce qui est fait pour les professionnel·le·s de santé ;
  • le Ministère français des affaires sociales et de la santé rend accessible l’ensemble des informations déclarées par les entreprises sur les liens d’intérêts qu’elles entretiennent avec les acteurs du secteur de la santé. En pratique, chaque personne peut se rendre sur la Base transparence santé, inscrire le nom d’un ou une professionnel·l·e de santé, et connaître les liens financiers qu’il ou elle entretient avec différentes entreprises. On pourrait imaginer une base similaire pour les chercheuses et chercheurs de la fonction publique, ce qui permettrait plus de transparence pour le grand public. Cependant, ce n’est évidemment pas une solution suffisante pour combattre les conséquences négatives des situations de conflits d’intérêt. Il y a certes plus de transparence, mais l’État tolère ainsi en connaissance de cause des situations où des professionnel·le·s de santé touchent des sommes d’argent très importantes des industries pharmaco-industrielles, et l’efficacité de ces mesures en terme de santé publique est encore peu étudié ;
  • l’existence des sites tels que Prospero et ClinicalTrials.gov qui permettent d’enregistrer des revues de littérature et essais cliniques avant que leurs résultats soient connus. Une généralisation de ces initiatives permettrait de limiter le biais de publication ;
  • les travaux des associations Formindep et Mieux prescrire qui militent toutes deux pour limiter les situations de CI en santé.

Se documenter

Bibliographie

CorteX_interets_lessigLawrence Lessig est, entre autres fonctions, professeur de droit aux États-Unis. Il aborde dans Republic, lost le sujet des conflits d’intérêt principalement dans le système politique états-unien, mais les cent premières pages environ abordent également des situations de CI en recherche.

Le livre est gratuitement téléchargeable en .pdf ou .epub sur le site de l’auteur (ce qui est tout à son honneur), hélas uniquement en langue anglo-américaine : http://republic.lessig.org/.

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Martin Hirsch est un haut fonctionnaire français qui évoque dans Pour en finir avec les conflits d’intérêts certaines situations en France ayant fait la une des médias et impliquant différents fonctionnaires entretenant des liens d’intérêts d’intérêts avec des entreprises privées. Il explicite en quoi le système législatif français permet de faire perdurer ce type de situation et propose des solutions pour les prévenir.

Ce livre est disponible dans la bibliothèque grenobloise du CorteX à la Bibliothèque universitaire de sciences.

CorteX_bad_pharma_goldacreBen Goldacre est un psychiatre britannique. Il développe dans Bad Pharma la problématique des CI dans le milieu de la recherche et de la pratique biomédicale et propose des solutions à différents niveaux pour prévenir et limiter les conséquences négatives de ces situations. Ben Goldacre a participé au projet COMPare, qui démontre que dans les cinq plus grandes revues médicales, des résultats d’études prévus pour être reportés a priori ne le sont pas, alors que d’autres non prévus sont finalement reportés, dans des proportions très importantes.

Filmographie

L’Université de Montréal propose cette conférence d’une heure quinze expliquant pourquoi une politique de prévention et gestion des CI est mise en place et comment elle s’organise.

Webographie

CorteX_logo_formindepCorteX_interets_montrealTexte

Comment je suis devenu militant, texte de 1971 d’Alexandre Grothendieck, chercheur français en mathématique (merci à Richard Monvoisin pour la trouvaille.)

Vidéo – Conférence « Croyance et raison : le problème de la démarcation »

Vidéo de la conférence « Croyance et raison : le problème de la démarcation », donnée le 12 janvier 2017 par Albin Guillaud et Ismaël Benslimane pour des enseignant·es de philosophie, dans le cadre du Plan académique de formation (rectorat de Lyon). La première partie est une introduction générale au problème, la seconde partie concerne les outils pédagogiques qui nous semblent pertinents pour parler de ces sujets.

 Cette conférence avait pour but d’introduire les différents outils et méthodes utilisés par le CorteX pour parler de science, de croyance, de matérialisme, du vrai/du faux, etc. Si vous êtes amené·e·s à faire des enseignements autour de la pensée critique, ce genre d’introduction nous semble essentiel avec un public lycéen ou étudiant afin de poursuivre, sur des bases solides, une réflexion sur les mécanismes à l’œuvre derrière certaines croyances (telles que les complotismes, les intrusions spiritualistes ou les théories controversées).

Pour approfondir après la conférence, vous trouverez ici des conseils d’ouvrages sur le sujet.

Utiliser la série Black Mirror pour incrémenter la critique (et avoir une excuse pour regarder des séries)

Black Mirror, créée par Charlie Brooker est une série de (pour l’instant) deux saisons de  3 épisodes, diffusées sur Channel 4 de 2011 à 2014 – auxquels s’ajoute un épisode spécial Noël, et d’une troisième saison de 6 épisodes produite par Netflix en 2016. Plusieurs d’entre nous l’ont lorgnée à des fins didactiques. Que peut-on faire avec un tel matériel ?

Black Mirror ?

L’idée d’utiliser une série, en particulier de science-fiction (SF), dans un cadre académique pourrait en surprendre plus d’un.e (bien que nous l’ayons déjà fait ici, dans un atelier doctoral sur les neurosciences et la fiction, en 2013), l’une des principales raisons étant la mauvaise réputation dont jouit la science-fiction en France. Dernier exemple en date : l’émission du 2 décembre 2016 de France Culture consacrée à « L’héritage de Dune de Franck Herbert » lors de laquelle on a pu entendre, concernant le livre Dune de Franck Herbert : « ce n’est pas de la science-fiction, c’est un roman » (affirmation qui n’a été démentie ni par les autres intervenant.es, ni par le journaliste). Cette phrase qui peut paraître anodine est lourde de sens pour l’amateur/trice de science-fiction qui doit régulièrement justifier et défendre son intérêt pour ce (sous-)genre qui n’est pas considéré comme «  noble ». Toujours est-il qu’affirmer que Dune n’est pas de la SF est vraiment osé ! Assumons le fait d’apprécier des œuvres de SF pour ce qu’elles sont : à savoir des œuvres de SF, et laissons la notion de mauvais genre aux tristes figures.

Justifier le matériau : pourquoi la science-fiction ?

Contexte contemporain

Dans Species Technica, Gilbert Hottois écrivait que le « progrès techno-scientifique se fraye dans une atmosphère dense de phantasmes, de légendes, de fictions »1.

La sociologue Marina Maestrutti donne le constat suivant :

« dès que l’on veut rendre compte de la manière dont les faits et les discours s’entremêlent dans l’émergence de nouvelles configurations de la technoscience, on constate le rôle omniprésent de la métaphore : étudier de près les histoires ne signifie pas compromettre la réalité des faits mais plutôt montrer comment la mise en récit reflète le croisement des désir, raisons et mondes matériels qui forment la texture de la réalité même […] elle est constituée en partie de narrations littéraires, en premier lieu de la science-fiction, mais aussi dans des rapports officiels, les essais de divulgation ou les brochures publicitaires, où l’argumentation ne cesse de se faire narration, récit […] le répertoire des figures, images, personnages et symboles [est] continuellement réactualisé pour être adapté à de nouveaux contexte où émergent des concepts, des pratiques, des objets, des stratégies marketing »2.

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Le 12 mai 2014 le journal Le Monde publiait un article concernant les « robots tueurs » accompagné d’une image du célèbre Terminator, archétype du robot tueur dont le dessein est de réduire l’humanité à néant. Les récits de science-fiction constituent une trace écrite de l’imaginaire et des représentations d’une époque. En cette période de développement technoscientifique, ils constituent une ressource précieuse dans le cadre de l’analyse des débats contemporains (qui se situent souvent entre deux positions qui sont certes caricaturales, mais surtout symboliquement chargées : technophobie vs. technophilie).

Autre cas emblématique, celui d’Eric Drexler (l’auteur de Engins de Création) : de par ses travaux de prospectives, il participa à l’avènement et au développement des nanotechnologies. Son œuvre revêt encore aujourd’hui une importance cruciale dans l’imaginaire « technoscientifique »3. Il a créé une impulsion poussant les politiques et les acteurs économiques à se lancer dans une course aux nanotechnologies. Drexler a ensuite perdu le soutien (si ce n’est sa crédibilité) auprès des scientifiques. Il a par exemple été écarté de la National Science Fondation et du rapport NBIC (Nanotechnologies, biotechnologies, informatique et sciences cognitives), commandité par cette dernière, qui vise à questionner l’accroissement des performances humaines. Ce rapport, sous-titré « convergence technologique pour l’amélioration des performances humaines »,  vise à dresser un panorama du développement à venir de ses quatre technologies. Sont évoqués notamment les technologies d’amélioration physique et cognitive, les implants bioniques, l’intelligence artificielle ou encore les nano-robots.

Autre exemple concernant l’influence de la SF sur nos représentations (et notre vocabulaire) : Le mot « robot » apparaît pour la première fois en 1921 dans la pièce de théâtre R.U.R. (Rossum’s Universal Robot) de l’écrivain tchèque Karel Čapek. Le terme « robotique » est quant à lui inventé par Isaac Asimov.

La SF comme laboratoire d’expérience de pensée

Travailler à partir de la SF n’est pas seulement ludique et divertissant, c’est surtout utiliser un laboratoire d’expériences de pensée qui permet notamment de tester des hypothèses qui servent de propédeutique aux questions philosophiques, éthiques, politiques. Les champs de l’éthique et de la philosophie de l’esprit ont une grande tradition d’expériences de pensée4.

En guise d’exemple de création de concept par la SF, on trouve entre autre dans l’ouvrage de Marina Maestrutti, l’expression « paradigme Gattaca » dérivée du film d’Andrew Niccol, Gattaca (Bienvenue à Gattaca), sorti en 1998. Ce paradigme évoque le thème du film qui montre la mise en place progressive d’une humanité à deux niveaux  : d’un côté les personnes dont les caractères génétiques ont été sélectionnés avant leur naissance ; de l’autre les « enfants de la providence » qui naissent sans que les parents n’aient même effectué un diagnostic prénatal. Ces derniers sont exclus de la société, du moins des postes à responsabilité : « la discrimination est devenue une science », et elle est génétique.

Black Mirror

La série Black Mirror dans ce contexte semble tout indiqué. Série d’actualité à succès, elle anticipe une société dystopique liée à un mauvais usage des nouvelles technologies et en particulier les usages des technologies de l’information et de la communication, le « miroir noir », auquel fait référence le titre de la série, étant celui des écrans de télévisions, ordinateurs, tablettes et autres smartphones. La série explore de multiples scénarios qui sont une bonne base pour introduire certaines questions d’esprit critique.

Saison 3

Cette troisième saison de 6 épisodes s’ouvre et se ferme sur deux scénarios parallèles qui extrapolent certaines pratiques actuelles liées aux réseaux sociaux. L’épisode 3 surfe également sur cette thématique.
On peut introduire ces épisodes de diverses façons : en évoquant les différents faits d’actualités sur les suicides liés aux réseaux sociaux, sur les informations « fakes« , sur la pression sociale et l’acceptation des normes.

Épisode 1 Chute libre (Nosedive)

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L’épisode est encombrant, car à notre avis insécable, mais c’est un excellent support de départ pour un débat sur la réputation comme monnaie d’échange, et sur les curseurs utilisés pour donner plus ou moins de droits aux gens – en quoi l’argent serait-il moins stupide que le critère de réputation sur 5 ? Il est tout indiqué pour travailler sur la théorie des jeux (Axelrod, Rapoport, etc.5)et la notoriété ou réputation, valeur d’échange dans les sociétés humaines6.
Reste un cliché camionneuse – réputation basse – alcool qui laisse un peu perplexe.

Épisode 2 Playtest (Playtest)

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Cet épisode est difficile à utiliser. Il extrapole le désir de frisson des afficionados de jeux d’horreur (on trouve de nombreuses vidéos sur Youtube de tests de jeux d’horreur avec casque réalité virtuelle). Il ne s’agit pas dans cet épisode d’une société dystopique, mais d’une phase test d’un jeu vidéo qui tourne mal, avec cette question lancinante : comment trancher entre ce qui est réel et ce qui est le produit d’une substance ou d’un souvenir recréé – thème qui est par exemple traité dans Inception, de Christopher Nollan (2010) ou dans Total Recall, tiré d’une nouvelle de Philipp K. Dick (We Can Remember It for You Wholesale) et adaptée en 1990, et possédant une sorte de suite,  Total Recall : Mémoires programmées de Len Wiseman (2012).

Épisode 3 Tais-toi et danse (Shut Up and Dance)

Cet épisode parle essentiellement de sécurité informatique, de négligence vis-à-vis de la technologie, de sadisme, de jeux vidéo poussé à l’extrême en mode réaliste avec absence d’intérêt des manipulateurs autre que le plaisir sadique. L’axe de traitement de cet épisode sera sûrement l’importance de la sécurité informatique, et son existence via les communautés de logiciel libre.

Dans cet épisode, le protagoniste principal se retrouve à céder au chantage de pirates informatiques qui l’ont filmé via sa webcam alors qu’il se masturbait devant des vidéos pornographiques. Le thème de cet épisode permet assez facilement d’aborder la question du revenge porn7 et dans la foulée celles de l’humiliation publique, du chantage et de l’escalade d’engagement. 

L’épisode permet également d’aborder la problématique d’une certaine justice populaire. Il est tout à fait possible de faire le lien avec, par exemple, le piratage du site de rencontres extraconjugales « Ashley Madison ». Il est également possible d’aborder la question de la pédophilie et de problèmes éthiques tels que : est-il moralement juste de révéler publiquement que x est pédophile/infidèle.

Toutefois, le côté chantage sans aucune raison peut-être très dilatoire. Il prend, en effet, toute la place de l’histoire. Il est toujours possible de couper l’épisode; au moins après l’homme noir à mobylette.

Épisode 4 San Junipero (San Junipero)

Nous sommes partagés : trop mou, trop long, trop poussif, selon les un.es, mais thème classique en SF pourtant, que celui de la réalité virtuelle (décliné avec les Matrix, par exemple).

Avec cet épisode, on peut néanmoins aborder :

  • l’une des ambitions des transhumanistes (à savoir vaincre la mort en uploadant son esprit dans un cyber-paradis) ;
  • à la rigueur la place sociale des personnes âgées (discrimination qu’on appelle l’âgisme) et des homosexuel.les. ;
  • les différentes théories de l’esprit : dualiste, matérialiste, physicaliste, computationaliste ….

Exemple : le computationalisme est une théorie en philosophie de l’esprit qui conçoit l’esprit l’humain de manière analogue à un programme informatique. Comme le hardware (« support dur ») pour l’informatique, le cerveau humain peut être pensé comme un wetware (« support humide »), c’est-à-dire comme un système de traitement de l’information reposant sur des opérations de calcul. Bien que l’analogie entre l’informatique et le cerveau humain soit essentiellement heuristique, cette perspective conduit certains transhumanistes à envisager l’idée de télécharger l’esprit humain sur un support numérique hardware.8

Épisode 5 Tuer sans état d’âme (Men Against Fire)

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Probablement le meilleur à notre avis : l’épisode soulève la dépersonnalisation, l’état agentique en psychologie sociale, la guerre, les mécanismes racialistes. L’analogie Roaches/cafards et  Inyenzi en langue kinyarwanda pour désigner les Tutis sur la Radio des 1000 collines au Rwanda est volontaire pensons-nous. Il reste incompréhensible que roaches ait été traduit par « déchets » (au moins dans les sous-titres) – ce qui permet, à tout le moins, de discuter des biais de traduction.

Ce thème de la déshumanisation de l’ennemi permet d’ouvrir le débat sur l’utilisation de drones de combats téléguidés et la guerre à distance. Plus éloigné, peut-être, on peut également envisager d’étendre l’épisode sur la thématique des jeux vidéo de guerre. Un bon exemple se trouve dans le jeu vidéo servant d’outil de recrutement à l’armée étasunienne America’s Army. L’US Army a investi près de 30 millions de dollars pour développer ce jeu qui a été distribué gratuitement sur PC. 

Épisode 6 Haine virtuelle (Hated in the Nation)

Sommes-nous influencé.es par l’actrice Kelly Macdonald et son épais accent écossais9.

En tout cas il y a du très bon, insécable là encore. La trame de l’épisode ne rend pas aisée l’utilisation. Pis, la fin louche, et le rôle de Shaun Li invraisemblable à son niveau de la NCA affaiblissent le tout. Mais l’idée de harcèlement, de vindicte populaire digne de Koh Lanta, et le jeu des Hashtags est vraiment utilisable. Cela pose l’impunité des appels à la haine/violence sur le web. Il est intéressant que la « geek » casse les codes patriarcaux et soit une femme, comme dans Millenium de Stieg Larsson (2005). La question du remplacement de pollinisateurs par des robots est un sujet à part entière, avec les moyens de contrôle associés. Ici, la solitude de Markus devant des dizaines de milliers de ruches électroniques à 4000 individus fait un peu « peine », et ils passent vite sur leur réplication type imprimante 3D qui est bien tirée par les cheveux et violentera un peu les féru.es d’apiculture.

Une analyse des autres saisons est à venir. Bon visionnage !

Rapport ostéopathie crânienne – réponses aux réactions

Voici une compilation des réactions au rapport produit pour le Conseil national des masso-kinésithérapeutes sur l’ostéopathie crânienne. Nous mettrons l’article à jour au fur et à mesure des réceptions ; la dernière mise à jour date du 19 février 2017 (voir en toute fin de page).

Il y a différents types de questions (ou d’invectives, mais nous les prenons pour des questions) et remarques.

1. Les questions épistémologiques

(…)  Lors des commissions ministérielles dès 2002, j’avais prôné le fait que l’osteo soit reconnue à l’identique des psychologues cliniciens ; c’est-à-dire que cela ne peut être du domaine des sciences dures, et la nécessité de créer nos propres outils. En effet si les uns travaillent avec le verbe, nous en plus, c’est avec le toucher et les mains qui « parlent et écoutent ». Difficile de l’évaluer ! (…)  J.L., février 2016

Que chaque discipline ait des outils d’évaluation un tantinet différents selon les objets étudiés est évident. Si on considère la science comme une activité de production de connaissances « communisables » sur le monde (cf. notre dialogue  La science (complet) – Base d’entraînement pour les enseignants qui voudraient parler de science) alors il n’existe plus de dichotomie sciences dures / sciences molles : il n’est que des champs de connaissances plus ou moins solides. Enfin, les méthodes de gynécologie par exemple sont des méthodes éprouvées, reposant sur le toucher, et faisant partie des méthodes reposant sur les faits. Si l’on récuse l’évaluation des méthodes ostéopathiques, cela signifie que le choix de chaque thérapeute sera subjectif – auquel cas, ce n’est plus un statut de scientificité qui est recherché, mais celui d’un art. Peu probable que quelqu’un cherchant un soin souhaite avoir affaire à (seulement) un artiste.

« C’est l’éternel débat entre empirisme et positivisme ,au demeurant fort intéressant car l’un contribue à faire progresser l’autre ». J.L., février 2016

Nous allons être pointilleux sur les termes philosophiques, puisqu’il s’agit de l’un de nos violons d’Ingres. Que l’empirisme nourrisse la connaissance, certes, moyennant recoupement et reproduction de cet empirisme. On « sent » que quelque chose marche, on n’est pas très sûr, alors on le soumet à ses pairs, qui valident objectivement ou récusent la méthode. Lorsque l’empirisme est répété sans examen collectif, on appelle ça une tradition, voire une superstition.

Quant au positivisme, ce mot est ambigu dans votre phrase. Si vous faites appel au programme positiviste d’Auguste Comte, il  n’est évidemment pas le nôtre. Sur ce que ce terme sous-tend, voici une excellente lecture de J. Bricmont dans la revue DOGMA, Comment peut-on être  » positiviste  » ?

(…)  et comment s’il vous plaît, pourrions-nous reproduire un acte qui par nature est relationnel c’est-à-dire qui engage l’entièreté de deux personnes (corps, mental et être) ? (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

La description du coït est très bien décrite scientifiquement, n’est-ce pas ? 🙂 Nous prenons cet exemple à dessein : on peut souhaiter une part de mystère dans l’acte charnel si on le veut, c’est un choix subjectif. Mais si quelqu’un souhaite une efficacité à l’acte (pour ce qui est du plaisir, ou de la fécondation, ou autre) la part de mystère n’a guère sa place.

Toute la psychologie sociale, les sciences politiques, s’élaborent sur des théories basées sur les faits. Si un acte ostéopathique a une validité en soi, une « efficacité propre » (à bien dissocier pour la discussion de l’efficacité globale qui comprend les effets contextuels ; voir sur ce point la conférence de N. Pinsault) alors elle doit pouvoir être reproduite. Ce débat a déjà eu lieu en sciences biologiques, et même en sciences médicales, il y a plus de cinq siècles, pourquoi le reprendre ici ?

Mais, s’il vous plaît, retournons les choses : ce travail montre effectivement que l’ostéopathie crânienne (mais aussi je pense, l’ostéopathie en général) ne parvient pas à s’inscrire dans le cadre scientifique que l’on voudrait lui imposer. Mais il montre surtout que le cadre scientifique qu’on voudrait lui imposer ne lui convient tout simplement pas ! Et du coup, ce travail considérable (merci de l’avoir fait à notre place) montre qu’utiliser un outil inadéquat pour analyser quelque chose donne des résultats fantaisistes. (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Nous supposons, à tort peut être, que vous faites une erreur classique sur le plan épistémologique. De tout temps, lorsqu’une hypothèse n’était pas corroborée par les faits, les défenseurs de celle-ci ont toujours résolu leur dissonance cognitive en incriminant les critères de scientificité. Pourtant ces critères, qui s’agrémentent avec le temps, ne sont pas pris en défaut, tandis que le cimetière des hypothèses rejetées est lui plein à craquer. Si la science était un simple jeu, assisterions-nous stoïquement à la renégociation des règles du football par une équipe de 5ème division étrillée au dernier match ? Que nous nous fassions bien comprendre : que les ostéopathes crâniens viennent avec tout ce qu’ils ont comme prémisse de phénomène, tentent de caractériser celui-ci pour que de manière inter-subjective on en fasse l’étude, et là on verra s’il faut de nouveaux critères de scientificité. En attendant, sans plus d’éléments que ce que nous avons trouvé, il n’y a pas de raison de donner du crédit aux techniques (nous disons bien aux techniques, pas au soin global, plus complexe) ostéopathiques crâniennes. Si nous en donnions, il faudrait en donner aux magnétiseurs, aux révérends prédicateurs évangéliques, qui eux non plus n’ont pas de corpus de preuve – et eux aussi, contestent les critères de scientificité. De ce fait, votre profession deviendrait une pratique ésotérique, et vous n’auriez guère à y gagner.

« Et le grand tort des ostéopathes est d’avoir cherché (pour des raisons de reconnaissance) à s’inscrire dans un cadre ne leur convenant pas au lieu de faire le nécessaire pour se doter des outils épistémologiques adaptés à leur approche. (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Nous sommes navrés de vous contredire. Tout notre rapport montre que justement, les ostéopathes crâniens n’ont semble-t-il pas souvent souhaité s’inscrire dans le cadre de la recherche scientifique, même à prémisse empirique (sur ce point voir plus haut, courrier de J.L). La preuve en est la somme d’études indigentes sur le plan méthodologique.

C’est que même si les preuves ne sont pas apportées à la satisfaction des critères « scientifiques » exigés, l’ostéopathie crânienne a, de toute évidence, aidé et continue d’aider des millions de personnes de par le monde. Cela est un fait. (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Certes. Ne s’agit-il pas d’un sophisme du pragmatisme ?

En tous les cas la question change : que des personnes soient aidées par les soins de l’ostéopathie crânienne, c’est très probable. Il en est qui sont aidés par les religions, d’autres par la détestation d’une autre caste, race, culte, tribu, région, et tant d’autres versions de se faire du bien. La question est de savoir s’ils sont aidés :

1) parce que vous êtes très agréable humainement ?

2) parce qu’ils parlent d’eux pendant la consultation ?

3) parce que vous avez un fort argumentaire d’autorité ?

4) parce que la méthode est efficace en propre ? 

5) etc. ou la somme de tout cela ? Nous ne pouvons que vous renvoyer à la conférence de N. Pinsault sur le sujet, ou dans l’ouvrage « tout ce que… » sur la différence entre efficacité globale et efficacité propre.

Je ne vois pas pourquoi elle continuerait d’exister si elle n’était pas utile ! (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Sans vouloir vous déprimer, il est beaucoup de choses qui remplissent une fonction, sans pour autant avoir d’efficacité propre – la religiosité en est une (et on sait étude à l’appui que l’efficacité des prières d’intercession est nulle).

Le fait qu’elle ne puisse le « prouver » selon certains critères très précis ne suffit pas à prétendre qu’elle est inutile. Et je m’attriste toujours devant l’incapacité à accepter qu’une pratique puisse être efficace et utile bien qu’elle échappe aux moyens d’investigation d’un système. Et si c’étaient le moyen d’investigation et les critères retenus qui devaient être remis en cause, plutôt que la technique ? (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Une fois encore nous n’avons jamais prétendu l’inutilité de la discipline puisque l’utilité présente des caractères bien plus vaste que l’efficacité. L’utilité peut-être sociale par exemple, mais c’est un autre débat que nous n’auront pas ici.

Nous attendons toutes propositions, que ce soit sur un phénomène isolé, un « effet », une « efficacité », ou même sur de nouveaux critères d’évaluation. Nous saurons faire amende honorable le cas échéant.

L’absence de preuve scientifique concernant l’efficacité de la pratique n’est pas une nouveauté en soi. Ce fait est connu et c’est pourquoi des études sont toujours en cours pour essayer de démontrer un effet et une indication de ce type de thérapie (Raithet al, 2016, Haleret al, 2015, Elden et al, 2013) avec des protocoles plus ou moins bien bordés. Les résultats sont mitigés en fonction des études mais certains semblent montrer un effet intéressant ainsi qu’une absence d’effets secondaires gênants. Actuellement, il n’y a que 2 articles relevés par les auteurs qui montrent un résultat intéressant sur les cervicalgies et le syndrome douloureux pelvien gravidique. (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Concernant les études de Haller et al et de Elden et al, comme vous l’avez lu dans notre rapport nous ne partageons pas votre interprétation. Nous écrivions :

« Les deux preuves méthodologiquement valables que nous avons trouvées présentent de modestes résultats qui, pour diverses raisons que nous avons évoquées, peuvent raisonnablement s’interpréter en terme d’efficacité non spécifique des traitements. »

Bien sûr, cette interprétation est longuement argumentée dans notre rapport et ne tombe pas du ciel.

Pour l’étude de Raith et al nous n’avons rien exprimé et pour cause ! Cette publication est postérieure à notre revue de littérature.

Ce rapport est référencé à partir d’articles pour leur grande majorité « vieux » de 20 et 100 ans (Seulement 14,5% des ouvrages cités et 23% des articles tirés de revues scientifiques ont moins de 5 ans) Comment déduire des conclusions scientifiques crédibles avec une telle bibliographie ? C’est vraiment dommage de ne pas considérer la littérature récente qui remet en cause le MRP pour se faire un avis au sujet de l’ostéopathie crânienne ! (Ostéopathes Plus)

Pour information, l’ancienneté d’un travail expérimental ne permet en rien de juger de sa valeur. Dans l’histoire de la médecine par exemple, il existe des essais cliniques anciens qui ont fait date. C’est par exemple le cas du tout premier essai contrôlé randomisé en double aveugle sur la streptomycine dans le cadre de la tuberculose à la fin des années 1940 [Streptomycin in Tuberculosis Trials Committee, « Streptomycin treatment of pulmonary tuberculosis. A Medical Research Council investigation, Br Med J,  v.2(4582),‎ pp. 769–82 ]. On trouve aussi moult études récentes à la méthodologie défaillante. C’est malheureusement la règle en ostéopathie crânienne. Mais s’il existe des études récentes et méthodologiquement rigoureuses qui nous ont échappé, rien ne vous empêche de nous les faire parvenir, bien au contraire ! Contrairement à beaucoup d’interlocuteurs plus ou moins amènes dans ce débat, nous ne serions pas gênés de changer d’avis. Si ces études n’existent pas, alors, vous ne pouvez en tenir rigueur qu’aux acteurs/actrices du champ de l’ostéopathie crânienne de ne pas avoir réalisé plus d’expérimentations rigoureuses ces dernières années. Pas à nous.

2. Les questions de procès d’intention

(…) C’est bien que ce rapport soit fait, il a aussi ses limites dans la mesure où il fait preuve de scientisme (…) J.L., février 2016

Le scientisme ne fait pas partie de notre programme intellectuel. Nous ne souhaitons pas, comme écrivait Renan, « organiser scientifiquement l’humanité », juste évaluer la validité, la reproductibilité et l’inter-subjectivité d’un corpus scientifique. Nous pourrions faire la même chose sur une théorie sociale, une théorie politique, une théorie physique ou mathématique (dans la limite de nos compétences additionnées).

[sur la biodynamie] (…) Là, on sent que les auteurs se sont vraiment fait plaisir ! On sent qu’ils font un très gros effort pour masquer leur bienveillance vis-à-vis du concept. (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Nous avons une posture neutre sur le plan philosophique, c’est-à-dire une suspension de jugement, comme les sceptiques Grecs anciens, qui se résume ainsi : donnez-nous de bonne raison de penser ce que vous pensez, et on le pensera aussi. En attendant, les affirmations sans preuves peuvent être réfutées sans preuves (voir à ce sujet nos articles Rasoir d’Occam, etc).

Et pour conclure, la méthode ne présente finalement « aucune efficacité prouvée » (p. 244). Chapeau bas, Messieurs Dames, voilà du travail de pro ! Il a dû prendre beaucoup de temps, coûter beaucoup d’investissement personnel et sans doute financier.(…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

C’est effectivement du travail de pro. Il a pris de nombreux mois, à plusieurs (comptons entre 600 et 800 heures), il a effectivement coûté beaucoup d’investissement personnel, et sur le plan financier nous ne souhaitons pas nous substituer au CNOMK pour vous répondre : sachez seulement qu’on est bien loin d’un SMIC horaire.

« Je suppose que, sous couvert d’objectivité, le but était dès le départ de démontrer que l’ostéopathie crânienne, c’est de la foutaise. L’objectif est atteint. » (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Convenons que nous sortons là d’un débat scientifique. Il suffit juste de savoir que si l’ostéopathie crânienne avait des bribes de validité, nous l’aurions écrit de la même façon. Que le résultat vous déplaise, c’est en faire une affaire personnelle. Nous, nous faisons de ce rapport une chose publique, qu’il vous appartient de prendre en défaut.

« N’étant pas prescripteurs de recommandations, nous nous sommes limités à une analyse impartiale… » Impartiale ? Il semble que ce mot n’ai pas pour les rédacteurs le même sens que pour le dictionnaire… Ce qui est écrit ci-dessus à propos de la biodynamique est en contradiction flagrante avec une telle affirmation. (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Dire que la Terre n’est pas plate, qu’il n’y a pas d’ether et que le complot Illuminati est une vue de l’esprit serait aussi partial ? Méfions-nous de l’effet bi-standard. Nous ne voyons pas où serait la partialité dans ce paragraphe cité.

Nous ne savons pas vraiment comment et pourquoi ça fonctionne, mais ça fonctionne !

Alors montrons-le. Montrez-le, c’est votre métier, cela devrait rendre les choses plus faciles.

Refuser cette évidence revient à se moquer des millions de gens qui ont été aidés par cette technique et qui, Dieu merci, le seront encore demain.

Vous usez ici d’une technique de l’épouvantail. C’est dommage.

Elle revient à prendre tous les patients pour des « gogos extatiques » pour reprendre les mots outrageants de J-M Abgrall dans son livre Les charlatans de la santé.

Même technique. Nous n’avions aucun lien avec J-M. Abgrall – non qu’on ne le souhaite pas. Nous connaissons ses livres. Le ton n’y est effectivement pas le nôtre.

Quel manque de respect pour les patients que de les considérer comme de gogos incapables de juger ce qui est bon pour eux ! (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

C’est de votre plume. Nous n’avons pas écrit ce genre de chose.

Quelle suffisance, quel mépris d’autrui de la part de gens se prétendant thérapeutes ! Cette incapacité à observer et à accepter l’évidence, même lorsqu’on ne peut pas l’expliquer est une maladie mentale grave et hélas, incurable.  (…) (Pierre Tricot, Le crânien, ça vaut rien !)

Gagez que là, la teneur de la discussion ne permet plus le questionnement collectif. C’est dommage.

Ici, c’est Alain Andrieux sur www.enfantsdestill.com qui nous éreinte dans

Ceux qui se cachent derrière un tel acronyme, sans doute mûrement réfléchi,

Vous semblez prompt à juger nos intentions, nous ne nous risquerions pas à en faire de même pour les vôtres. Pourtant nous ne nous cachons de rien, l’ensemble du processus est transparent, nos écrits signés, nos liens d’intérêt déclarés, nos photos disponibles et nos contacts faciles d’accès.

[…]
ne pouvaient avoir qu’une seule intention : passer pour des gens
intelligents voire supérieurement intelligents. Des gens qui ne
plaisantent pas avec la science, enfin, leur façon d’envisager la
science. Des gens qui… chez ces gens-là Monsieur on ne sort pas de la
doxa même si celle-ci est extrêmement rhumatisante et en très mauvais
état pour défiler de façon convaincante au moins sur le fait qu’on sait
marcher. (Alain Andrieux)

Doxa, gens intelligents… Nous avons
fait le travail demandé, avec des canons scientifiques que nous n’avons
pas inventés, et qui ne tombent pas du ciel. Ce n’est pas parce que les
résultats qu’ils donnent ne vont pas dans le sens de ce que vous pensez
qu’il faut jeter la démarche scientifique critique.

Des gens qui ont consacré deux cent quatre-vingt-six pages
à la compilation de tous les textes possibles et imaginables pour
tenter de détruire un pan de la pratique ostéopathique auquel ils n’ont
pas accès, car vous pouvez en être certains aucun praticien digne de ce
nom n’a participé à ce travail de démolition, car chez ces gens là
Monsieur on bave, mais on ne pratique pas. (Alain Andrieux)

Heureusement que nous ne sommes pas faciles à vexer. Baver sur 286
pages, c’est long, il ne suffit à vous lire que de quelques lignes. Par
ailleurs vous faites erreur, il y a trois praticiens sur quatre qui ont
rédigé ce rapport. Ne faisons pas d’erreur d’attribution : ce n’est pas
nous qui détruisons un édifice, c’est plutôt vos collègues qui ne l’ont
pas construits. Alors construisez-le, et notre rapport sera changé. Et
comme vous semblez féru de citations de Jacques Brel, vous ne
découvrirez certainement pas celle-ci : dès qu’il y a des gens qui
bougent, les immobiles disent qu’ils fuient.

Et bien ce bref moment d’humeur ne m’entrainera pas vers
la rédaction d’une seule page pour dénoncer une telle médiocrité aussi
besogneuse soit-elle. Bon courage aux kinésithérapeutes qui vivent sous la protection
d’un tel ordre qui, comme d’autres ordres, montre à quel point la zone
des ouïes ( figurées parait-il par le sphénoïde ! ) a été terriblement
comprimée. – mais le choc vint de la contemplation d’un crâne de la
collection de Still et de l’analogie qu’il fît entre la forme de l’os
sphénoïde et celle des ouïes de poissons, «
indiquant une mobilité pour un mécanisme respiratoire- ».(cortes.org) (Alain Andrieux)

Pourriez-vous mettre la bonne adresse s’il vous plait ?

Pour ces gens-là, pour ce groupe-là, même pas capables de
reproduire une citation correctement, l’intention d’apparaître comme
une personnification de l’intelligence et de la raison est débusquée
mais pour ce qui est du but à atteindre, il est totalement raté. Nous
attendons avec impatience d’autres productions du Cortecs sûrement
toutes porteuses de cette ouverture d’esprit qui va jusqu’à créer des
courants d’air dans cette production mal cortiquée. (Alain Andrieux)

Là, nous ne savons pas quoi dire. Il n’y a rien d’autre dans l’article.

Le site Osteopathes Plus, quant à lui, tente de déverser du poison dans l’eau du puits à notre sujet :

Le rapport CORTECS n’a aucune légitimité et objectivité scientifique vu qu’il a été demandé par le CNOMK pour évaluer l’ostéopathie crânienne et réalisé sous la direction de son vice-président Mr Vaillant.
Mr Vaillant, personne très influente, est également directeur de L’IFMK
de Grenoble où il encadre une équipe pédagogique constituée entre autre
des auteurs du rapport CORTECS. Peut-on parler de conflit d’intérêts ?

Ostéopathes Plus adjoint à ces quelques lignes un schéma intitulé « Le rapport « indépendant » du CORTECS commandé par le CNOMK est-il réellement dénué de conflits d’intérêts ? ».

L’article et le schéma, malgré leur brièveté, regorgent d’erreurs que nous énumérons ci-dessous :

– le rapport n’a pas été réalisé sous la direction de M.Vaillant ;

– seul un des quatre auteur.e.s, Nicolas Pinsault, faisait partie de
l’équipe pédagogique de l’IFMK de Grenoble en tant que cadre de santé au
moment de la rédaction du rapport. Son traitement est administré par le
CHU Grenoble-Alpes et provenait d’une enveloppe du Conseil Régional
(comme pour toutes les formations sanitaires et sociales) ;

– Richard Monvoisin n’est actuellement pas chargé de cours à l’IFMK
de Grenoble (il a seulement fait quelques heures de cours entre 2009 et
2012) ;

– les deux autres auteur.e.s (Nelly Darbois et Albin Guillaud)
enseignent ponctuellement à l’IFMK de Grenoble en tant que vacataire
(moins de 10 heures par an) sur des thèmes sans lien avec l’ostéopathie ;

– les auteur.e.s n’ont reçu aucune rétribution financière à titre
individuel pour la rédaction du rapport par le CORTECS ou le CNOMK.
L’argent versé par le CNOMK au CORTECS permet à cette structure de
financer des bourses d’étudiant.e.s et du matériel pédagogique, en
l’occurrence des livres critiques, prêtés gratuitement à toute personne
qui en fait la demande.

Quant au qualificatif de « personne très influente » adossé à la
personne de M. Vaillant, nous ne comprenons pas à quoi il renvoie.

Le terme de conflit d’intérêt est utilisé à deux reprises par
Ostéopathes Plus. Il est utile de rappeler qu’une rétribution financière
pour un travail rendu n’entraîne pas nécessairement un conflit
d’intérêt, comme cela est questionné par Ostéopathes Plus. Dans le cas
qui nous intéresse, il pourrait y avoir conflit d’intérêt si les
conclusions du rapport allaient dans un sens qui servait les intérêts du
CNOMK, du CORTECS ou des auteur.e.s. Quels seraient donc ces intérêts ?
Dans l’article et d’Ostéopathes PLUS il n’est nullement expliqué en
quoi les liens d’intérêt des auteur.e.s, déclarés de manière
transparente à la fois sur le site du CORTECS et sur celui de l’ordre,
seraient sources de conflit d’intérêts.

En résumé, Ostéopathes Plus ne donne aucun argument pour justifier en
quoi le fait que le CNOMK soit le commanditaire de notre rapport
entraverait notre légitimité, et plus encore notre objectivité
scientifique à travailler sur l’ostéopathie crânienne.

Et pour la petite histoire, c’est parce que Vaillant, directeur,
connaît bien la qualité du travail du CORTECS qu’il a suggéré au CNOMK
de le contacter pour des rapports scientifiques. Il faut en outre savoir
que ce rapport a entraîné des débats au sein du CNOMK lui-même, de même
qu’au CORTECS quand le CNOMK a émis ses avis

Avec une phrase comme « Peut-on parler de conflit d’intérêts ? », il
est facile d’instiller du doute gratuit et fallacieux. Nous pourrions
répondre par « Peut-on diffamer tranquillement chez Ostéopathes
Plus ? », mais nous préférons renvoyer ses auteurs aux leçons des grands
classiques, comme Francis Bacon dansDe la dignité et de l’accroissement des sciences (1623), livre VIII, chapitre II  : « Va ! calomnie hardiment, il en reste toujours quelque chose (audacter calumniare, semper aliquid haeret).

À aucun moment les auteurs n’ont eu envie de remettre en cause leur jugement bien dommage pour des « scientifiques ». (Ostéopathes Plus)

Cette affirmation est assez gratuite. Ne serait-ce pas tout
simplement parce que la conclusion ne va pas dans le sens que vous
auriez souhaité ? Rappelez-vous : nous n’avons aucun problème à changer
d’avis preuves à l’appui. Et vous ? Changerez-vous d’avis en l’absence
de preuve ?

Le Cnomk se contente de l’avis de mk opposés à
l’ostéopathie (Richard Monvoisin, Nicolas Pinsault
« La kinésithérapie piégée par les mages »
http://www.monde-diplomatique.fr/2015/12/MONVOISIN/54379. (Ostéopathes Plus)

− Précisions d’abord que l’un des auteurs n’est pas kiné, ni même professionnel de santé ;

− il n’y est pas question de l’ostéopathie dans son ensemble ;

− s’il y a des raisons d’être rétifs à certaines de ses branches,
c’est que les professionnels de celles-ci n’ont pas fait le travail
requis ; ce n’est pas une critique a priori, et encore moins une
querelle de chapelle – même si c’est, cela se comprend, plus facile pour
vous de scénariser de cette façon.

− Vous conviendrez que l’article que vous citez est publié dans un
journal dont la portée est bien plus politique que scientifique ou
technique. Or si nous pensons qu’il n’y a pas de raisons a priori de
s’opposer à des pratiques thérapeutiques comme celles de l’ostéopathie,
nous sommes en revanche opposé à un modèle de politique de santé non
redistributif et au saccage permanent des acquis sociaux de 1946. Si
l’ostéopathie est mentionnée dans cet article, c’est parce qu’elle offre
un exemple de l’évolution des politiques que nous dénonçons.

Karine Krzeptowski est une des premières a avoir réagi à la sortie du rapport :

Ce rapport ne peut être considéré par l’Ordre et par les
pouvoirs publics car il y a faute grossière de procédure dans le choix
du profil de ses auteurs, (tous kinésithérapeutes connus pour leur
position négative à l’égard de l’ostéopathie). (Karine Krzeptowski sur
le Site de l’Ostéopathie)

Il y a là une erreur et une confusion. Tout d’abord, seulement 3 des 4
auteur.e.s sont diplômés en kinésithérapie. Il vous revient d’expliquer
en quoi la formation initiale de ces auteurs constitue un critère
douteux quant au choix de leur confier une tâche d’évaluation
scientifique de l’ostéopathie crânienne. Ensuite, vous confondez
« position négative » et scepticisme. Ce dernier est consubstantiel de
la démarche scientifique et implique un doute préalable à toute
investigation. Nous n’avions pas de position de départ morale ou
affective sur le sujet, et quand bien même, une démarche méthodique
s’abstrait des préalables subjectifs lorsqu’elle est bien menée. Ce
n’est pas parce que les conclusions ne vont pas dans le sens que vous
souhaitez qu’il faut déligitimer artificiellement les compétences des
auteurs.

Quand on est à la recherche de preuve d’efficacité ou de
justification d’un concept, il faut s’adresser aux personnes directement
concernées, ici les ostéopathes et non aux détracteurs. (Karine
Krzeptowski sur le Site de l’Ostéopathie)

L’efficacité d’une technique ou la validité scientifique d’un concept
n’est pas une affaire de personnes mais de données expérimentales. Nous
nous sommes tournés vers les auteurs, ostéopathes ou non,
« détracteurs » ou non, qui ont contribué à la connaissance sur le
sujet.

De surcroît, le mot détracteur n’est pas très heureux : s’il y a des
détracteurs, c’est qu’il y a des promoteurs. Nous ne nous inscrivons pas
dans ce débat : que nous soyons détracteurs ou promoteurs de la
gravitation, elle fonctionne, quel que soit notre avis. Que nous soyons
détracteurs ou promoteurs des humeurs d’Hippocrate, elles n’existent
pas. La connaissance scientifique s’abstrait du point de vue personnel.

Ce rapport ne peut être retenu et présenté décemment aux
pouvoirs publics car il y a conflit d’intérêt dans le choix même des
auteurs. (Karine Krzeptowski sur le Site de l’Ostéopathie)

Voir notre réponse aux rédacteurs du site Ostéopathe Plus dans la présente section, ci-dessus.

Les auteurs eux-mêmes auraient dû refuser cette mission
qui ne leur revenait pas, ils terminent la conclusion de leur rapport
CORTECS : « Avec le soutien du CNOMK, nous avons accepté de faire le
travail laborieux qui revenait logiquement aux prétendants. De fait,
alors que nous pensions qu’il n’y avait pas a priori de raison
scientifique de défendre cette discipline, désormais nous le savons. »
Cette
phrase dans les conclusions en dit long ! Ils partaient d’un a priori
négatif et ne trouvaient pas logique eux-mêmes que cette tâche leur fut
demandée à eux plutôt qu’aux ostéopathes ! (Karine Krzeptowski sur le Site de l’Ostéopathie)

Peut-être devons-nous insister sur ce qui est pourtant une évidence :
le travail scientifique est une remise en question permanente de ce
qu’on croit acquis. La posture de départ est « méfiante », sceptique. Au
fond, vous faites la même chose : si nous affirmons guérir le cancer
par massage du cou, vous serez sceptique au premier abord. La charge de
la preuve incombe d’ailleurs à celui qui prétend. Donc en tout état de
cause, c’était aux ostéopathes de démontrer leur théorie, mais ils ne
l’ont pas fait. On a demandé à des sceptiques (non détracteurs, donc) de
regarder de près, pour voir si quelque chose tenait tout de même. Si la
conclusion vous déplaît, refaites nos recherches, ou produisez de
nouvelles données. Alors seulement, s’il y a lieu, nous changerons nos
conclusions.

Je pose la question au CORTECS : Pourquoi avoir accepté
cette mission si d’emblée elle n’était pas honnête sur le plan éthique ?
Ceci est une première erreur qui fausse votre approche et vous vous
targuez d’avoir l’esprit scientifique ! (Karine Krzeptowski sur le Site de l’Ostéopathie)

Votre question est un plurium interrogationum. En nous
sollicitant pour y répondre, vous posez comme prémisse que la mission du
CORTECS concernant l’ostéopathie crânienne n’était pas « éthique » (ou
décente, comme vous l’avez glissé plus tôt) S’il vous plaît, essayez de
juger de notre esprit scientifique à la méthode que nous avons utilisée.
Ne laissez pas la colère de votre lien d’intérêt avec le sujet chercher
à s’évacuer par des vindictes gratuites.

L’Ordre finance des rapports mal ciblés dès le départ. De
manière pragmatique, Si l’Ordre des MKDE souhaite encore dans l’avenir
s’éclairer sur le thème de l’ostéopathie, ne serait-il pas plus sain
d’instauré au sein de l’Ordre un conseil représentant des MKDE-D.O. qui
pourrait dès lors œuvrer positivement lorsqu’il s’agit de faire
comprendre les spécificités et l’actualisation des compétences de leur
métier d’ostéopathe ? (Karine Krzeptowski sur le Site de l’Ostéopathie)

Il ne faut pas confondre démarche de communication (« œuvrer
positivement ») et démarche d’évaluation scientifique. Mais si vous
substituez la communication à la science, ce seront les meilleurs
lobbies qui imposeront leurs vues, et c’en sera fini de la science. Un
lobby de la Société de la Terre Plate pourrait imposer ses vues à tous les géologues. Nous pensons que ce n’est pas souhaitable.

3. Les questions méthodologiques

Malheureusement, ce ne sont pas là les seules sources sur
le concept. Il manque l’ouvrage de Nicette Sergueef , sans parler de
celui d’A Croibier sur le diagnostic général ostéopathique (qui reste un
livre important pour étudier en partie le fonctionnement du
raisonnement ostéopathique) aux éditions Masson ou un ouvrage de
référence de T Liem aux éditions Maloine. Il faut noter que certains
ouvrages apparaissent sur le site de l’ostéopathie en fouillant les
articles sur les ouvrages ou avec des termes comme « crâne », « crânienne »,
« crânien ». (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Nous vous encourageons à lire ou relire en détail la méthodologie
suivie dans cette partie du rapport pour comprendre pourquoi ces
références n’apparaissent pas. En effet, nous avons relevé uniquement
les concepts élaborés par le fondateur et les continuateurs de
l’ostéopathie crânienne, identifiés dans la partie précédente du
rapport ; Nicette Sergueeg, A Croibier et T Lien ne font pas partie de
ces personnes. Ce choix méthodologique, qui a ses limites, permet de
rendre notre méthode reproductible et incrémentale. Nous ne travaillons
plus directement sur ce sujet, mais rien n’empêche qu’une autre équipe
aille plus loin en exploitant d’éventuels points aveugles de notre
méthodologie..

Je suis étonné que, les auteurs du rapport ayant
l’occasion d’échanger avec des ostéopathes (c’est noté dans les
remerciements), ces sources n’aient pas été évoquées. (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Elles n’ont effectivement pas été suggérées par les différentes
personnes contactées – mais il est difficile de leur en tenir grief. Il
est probable qu’autant de contacts, autant de sources possibles. Cela
corrobore notre impression que si le « feuillage » de l’ostéopathie
crânienne est partout, il est assez difficile de bien distinguer un
tronc solide.

De même, puisqu’utilisant un moteur de recherche
généraliste qui est probablement google (on peut le supposer étant donné
que google scholar est cité plus tard dans le rapport), les auteurs
auraient pu utiliser google books où toutes les références citées plus
haut ressortaient.(Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Détrompez-vous : ces références ne ressortent pas si l’on suit de
manière précise la méthodologie décrite dans le rapport, qui cherchait à
identifier les sources bibliographiques du fondateur et des
continuateurs (voir supra). Maintenant, rien ne vous empêche de changer
de méthodologie et de refaire le travail.

Poussons un peu plus loin et soyons indulgents sur le
fait qu’ils ne connaissent pas les ouvrages d’ostéopathie en dehors des
éditions Sully (car n’étant pas du métier).(Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Merci de votre indulgence – au sens canonique, l’indulgence est une rémission de la peine encourue du fait d’un péché. Ouf !

Vous faites assurément un effet paillasson en mélangeant « ne connaissent pas » et « ne jugent pas majeurs selon la méthodologie employée »

Et comme vous pouvez le constater vous-même les ostéopathes avec
lesquels nous avons échangé semblent eux non plus soit ne pas connaître,
soit ne pas juger majeurs les ouvrages que vous évoquez. Pensez-vous
réellement qu’il suffit d’« être du métier » pour connaître tous les
ouvrages pertinents en rapport avec ce métier ? Appliquer cela à de
nombreux métiers, de boulanger à prêtre, de cordonnier à prostitué,
suffit à en douter.

Ils préviennent que ce sera succinct, sauf que même en
suivant leur méthode, il y a une part du concept plus récente (basée la
tenségrité) qui n’est pas prise en compte comme l’ouvrage de Gilles
Boudéhen qui fait partie du catalogue des éditions Sully. Alors comment
ont-ils vraiment fait leur recherche bibliographique?  (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Si vous lisez le rapport, vous saurez comment notre recherche
méthodologique a été faite. Il vous appartient de l’améliorer si vous le
jugez nécessaire. A toutes fins utiles, vous pouvez agglomérer toutes
les études qui vous paraissent manquer et contacter le Conseil national
de l’ordre ici
pour pousser plus loin notre rapport. Mais la question reste celle-ci :
ces « nouvelles » publications vont-elles infléchir les conclusions de
notre rapport ? Croyez bien que si nous le redoutons par pur péché
d’orgueil, nous le souhaitons à l’ostéopathie crânienne – et c’est ça
qui compte.

Celle-ci est vraiment limitée, comment juger
objectivement de l’aspect scientifique d’un concept en étudiant la
partie qui n’a pas été mise à jour au niveau des connaissances
scientifiques actuelles? (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

L’ostéopathie crânienne n’est pas un concept mais un champ (une
« sphère » disait Sutherland) recouvrant plusieurs concepts (MRP,
membrane de tension réciproque, etc.) S’il est toujours possible que
nous soyons passés à côté d’un concept particulier – encore faut-il nous
le montrer – en quoi cela remet-il en question le reste de notre
analyse ? Vous savez, la connaissance fonctionne par parcimonie des
hypothèses depuis Aristote, puis William d’Occam. Il s’agit d’essayer de
comprendre au moyen du moins grand nombre d’entités possibles une gamme
de faits. Le problème majeur de votre discipline, l’ostéopathie
crânienne, c’est qu’elle prend des concepts un peu flous, pour nimber de
mystère une gamme de faits que personne n’a réellement objectivé. Avant
de faire des châteaux de sable en Espagne, aurait dit R. Mianajbaro,
penseur du XIXe siècle, vérifions d’abord qu’il y a bien du sable. Et
Fontenelle l’a très bien décrit ici .

Au sujet de la tenségrité, non seulement ça n’est pas un concept
spécifique à l’ostéopathie crânienne mais encore moins à l’ostéopathie
tout court. C’est une notion d’abord architecturale (créée par
Buckminster Fuller), puis importée en biologie avec une définition
relativement précise puis, devenant concept nomade, a été adapté à de
nombreuses sauces (dont celles des héritiers du mystique Carlos
Castaneda, qui en firent un agglomérat de prétendus exercices
spiritualistes et magiques sinon toltèques, au moins venus des pratiques
des natives américains.). Encore une fois, si l’on suit notre méthode
scrupuleusement décrite, il est normal que ce concept n’apparaisse pas
puisqu’il n’a pas été émis par un des fondateur et continuateurs
identifiés.

D’autre part, nous nous interrogeons sur la pertinence d’évaluer a
posteriori ce concept puisque vous dites vous-même dans la conclusion de
votre article :

Le concept étudié est amputé de sa partie la plus récente
basée sur d’autres principes que le MRP. J’ai cependant quelques
réserves sur ce nouveau concept qui ne fait pas davantage preuve de sa
véracité dans le cadre de l’ostéopathie crânienne que l’ancien concept. (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

(…) Cette erreur rédactionnelle met aussi en évidence
qu’il est sans arrêt question de manipulation crânienne sans jamais que
soit défini ce terme. C’est embêtant d’évaluer l’ostéopathie dans le
champ crânien sans définir le geste que ça implique. Si on fait une
recherche dans le document avec les termes « manipulation crânienne »,
jamais le terme n’est associé à une quelconque définition. (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Le principe juridique de l’onus probandi s’applique
aussi et surtout en science : la charge de la preuve incombe à celui
qui prétend. Il est difficile de nous en vouloir de ne pas avoir défini
la « manipulation crânienne » alors que Sutherland lui-même n’a pas pris
soin de le faire de manière claire. Cela ressemble aux discussions
sceptiques vs. théologiens : des théologiens reprochent souvent aux
sceptiques de critiquer la notion de Dieu sans le définir. Mais
lorsqu’il s’agit de prendre l’avis des théologiens sur ce qu’est Dieu,
personne n’est d’accord. Finalement, de quoi parle-t-on ?
D’ailleurs,
dans les textes identifiés se rapportant à l’ostéopathie crânienne,
 « manipulation crânienne » n’est jamais présentée comme un concept
central. Il y a comme qui dirait un bug dans l’épistémologie de votre
discipline.

[Concernant la partie Fondement physiopathologique de l’ostéopathie crânienne]La
méthodologie est décrite et semble avoir essuyé quelques écueils. Il
semble que ces difficultés ne leur aient pas permis de faire une revue
de littérature dans les « règles de l’art ». (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Nous avons tenu précisément le propos suivant : « Nous avons
rencontré des difficultés pour mener, dans les « règles de l’art », une
revue de littérature systématique compte-tenu principalement : […] », et
les raisons sont listées pages 58 et 59. En fait, l’expression « règle
de l’art » est mal choisie car contrairement à d’autres disciplines, ,
il n’existe à notre connaissance pas de « règle de l’art » pour réaliser
une revue systématique de littérature sur des concepts
physiopathologiques, surtout issues d’une littérature essentiellement
non-indexée ! Ce qui montre que bien plus urgent que la critique de la
méthodologie que nous avons prise, serait de faire de la littérature
scientifique indexée ! En gros, faire de la recherche d’objectivation.
C’est ce qui aurait dû être fait depuis plus d’un siècle. Par
conséquent, vous pourriez tout aussi bien dire que ce que nous avons
réalisé est une première et ajouter « bravo au CORTECS d’avoir essayé de
démêler l’écheveau d’une discipline éparpillée et peu scrupuleuse sur
la méthode expérimentale, et d’avoir construit un bon socle
méthodologique (probablement améliorable) à quiconque souhaiterait
entreprendre un travail similaire » N’est-ce pas ?

Sachant qu’un certain nombre d’ouvrages de référence dont
nous avons parlés précédemment ne seront pas cités davantage dans cette
partie, il va donc manquer un pan entier des modèles
physiopathologiques. Néanmoins, concernant les modèles étudiés, il est
évident que leurs conclusions sont valides: (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Rappelons-nous : avant de multiplier les modèles, il faut des faits.
C’est un des critères de pseudoscientificité que de faire des modèles
sans fait caractérisé (il y a même des modèles de physiologie des
« vivants dans l’au-delà », à la suite des EVP de Konstantin Raudive).
Si malgré tout vous estimez qu’émerge ou ont émergé des concepts
spécifiques à la sphère crânienne que nous n’aurions pas traité,
n’hésitez pas à nous transmettre les références des études
expérimentales qui les soutiennent. Et si vraiment vous argumentez que
ces concepts ont leur place dans l’historique de l’ostéopathie
crânienne, vous pouvez en faire une synthèse et la rendre publique (car
un des critères scientifiques de la connaissance est la connaissance
partagée). Nous pourrions ainsi la publier dans un addendum du rapport
grâce à vous.

[Sur la fiabilité et la validité des tests ostéopathiques
employés dans le champ crânien] Cette analyse repose sur l’utilisation
d’une grille d’analyse QUAREL (qui en fait s’écrit correctement QAREL).
C’est un outil d’une bonne qualité (Lucas et al, 2013)pour évaluer la
reproductibilité de certains tests dans un contexte de revue
systématique. Il a cependant quelques limites surtout quand le test en
question n’a pas de moyen d’évaluation fiable disponible (une sorte de
gold standard). Les Items 9 et 10 sont notamment source de biais pour
cet outil où les questions sont subjectives. Ces limites sont soulevées
par les auteurs qui pointent notamment :

  • L’absence d’un gold standard,
  • Pour évaluer la constance de la mesure dans le temps, il manque la preuve du MRP et de mesures fiables.
  • L’absence d’interprétation des résultats par les évaluateurs (pour savoir si le test a été fait correctement).

En conséquence, les auteurs font un questionnaire simplifié
mélangé à celui du groupe Cochrane (risk of bias tool). Ils procèdent à
l’ajout d’un item crée pour l’occasion. Ce choix peut être discutable
dans le sens où le mélange et la modification de questionnaires valides
ne créent pas forcément un outil exempt de biais. Néanmoins, en
l’absence d’outils standardisés pour la situation en question, cet outil
permet une première approche.

Mais pour faire simple :

  • Un risque de biais est quasiment jugé élevé à chaque fois car le
    contenu d’un item est non décrit dans l’article (souvent les deux
    derniers items).
  • Les scores de corrélation ICC inter-observateurs sont en général
    assez faibles signant un manque de reproductibilité des tests
    ostéopathiques.
  • Les scores ICC intra-observateurs peuvent être parfois élevés en revanche avec un risque de biais non négligeable.

En résumé, l’analyse faite pour cette partie est intéressante
mais l’outil employé pour l’analyse des biais est discutable du fait de
ses modifications par rapport à l’outil validé et de l’attribution d’un
biais élevé systématique par manque de description du protocole. Les
scores ICC parlent d’eux-mêmes, et sans analyser le biais, la
reproductibilité est de toute façon faible. (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Permettez-nous de récapituler le premier argument de ce paragraphe
(que nous étoffons d’une prémisse glanée dans le troisième paragraphe de
cette partie « La fiabilité et la validité des tests ostéopathiques
employés dans le champ crânien » ; nous intitulerons cette dernière
« prémisse (1) »). Si nous vous comprenons bien, cela donne la chaîne
logique suivante :

Prémisse (1) – « […] le mélange et la modification de questionnaires valides ne créent pas forcément un outil exempt de biais. »

Prémisse (2) – L’outil utilisé pour l’analyse des biais des études de
reproductibilité a été modifié par rapport à l’outil validé ; 

Prémisse (3) – Il a été attribué un risque de biais élevé systématique par manque de description du protocole ; 

DONC

Conclusion – L’outil pour l’analyse des biais des études de reproductibilité est discutable.

Discutons d’abord de la prémisse (1). Nous sommes d’accord avec vous.
Comme vous le faites vous-même remarquer dans le texte à la suite de
cette prémisse : « Néanmoins, en l’absence d’outils standardisés pour la
situation en question, cet outil permet une première approche. ». C’est
ce que nous nous sommes dit lors de la création de l’outil.

Abordons maintenant la prémisse (2). Comme vous l’avez vous-même
pointé (voir prémisse (1)), notre outil compile deux outils existants
(QAREL et Cochrane risk of bias tool). Ce n’est donc pas qu’une simple
modification d’un outil particulier comme vous le dites ici. Nous
fondrons donc cette prémisse avec la prémisse (1) dans la suite de
l’analyse.

Considérons enfin la prémisse (3). Cette prémisse n’est vrai que pour
un item sur sept (l’item n°6). Pour tous les autres items, quand le
protocole était insuffisamment décrit, nous avons attribué une
incertitude sur le risque de biais. Autrement dit, la prémisse (3) de
votre propos est fausse pour 6 items sur 7. Nous avons développé
largement l’argumentaire de la création de l’outil qui s’étale pour
mémoire de la page 155 à la page 159 du rapport.

Examinons enfin la conclusion de votre argument et tentons de voir
dans quelle mesure les prémisses la justifie. Vous dites que notre choix
méthodologique est discutable. Certes, mais tout choix méthodologique
étant discutable per se, donc ce propos est trivial et il vous
appartient d’en choisir un autre. Outre la trivialité de cette critique,
il pourrait y avoir quelque chose d’intéressant à en tirer tout de
même, moyennant de par exemple (a) pointer le type de biais émergeant de
l’application de l’outil ; (b) expliquer comment tel ou tel type de
biais influence ou modifie les résultats ; (c) faire des suggestions qui
permettraient soit d’améliorer l’outil en question pour éviter ou
diminuer ces biais, soit de le remplacer par un autre outil existant
plus adapté qui ne serait pas venu à notre connaissance. Sinon, cette
phrase ne sert à rien.

Quant à la prémisse 3, elle est fausse dans 6 cas sur 7. Pour l’item
6, nous avons justifié notre choix méthodologique page 159 du
rapport que nous citons à nouveau ici :

« À propos de l’item 6 « Est-il prévu un dispositif pour empêcher les
évaluateurs d’avoir accès à des indices additionnels sur les sujets
(tatouage, taille, genre, etc.) et qui ne faisaient pas partie du test ?
» : étant donnée l’importance que prend le dispositif nécessaire à sa
réalisation (voir par exemple l’étude d’Halma et al. de 2008) nous
considérerons qu’une absence d’information au sujet de cet item équivaut
à l’absence de dispositif, c’est-à-dire à un risque de biais élevé. En
toute honnêteté, ce choix pourrait être fait pour d’autres items.
Seulement celui-ci nous apparaît très particulier car le dispositif
nécessaire, sur le plan logistique, est tellement important que nous
pressentons peu crédible le fait qu’aucun mot n’en soit dit dans la
publication à cause de contraintes éditoriales ou par simple oubli. »

N’est-ce pas suffisant ?

C’est une chose assez facile de dire qu’une méthodologie est
discutable. C’est une autre paire de manche que de la discuter de
manière circonstanciée. Mais peut être le ferez-vous, à notre grand
plaisir.

Venons-en maintenant à votre dernier énoncé de cette partie : 

« Les scores ICC parlent d’eux-mêmes, et sans analyser le biais, la reproductibilité est de toute façon faible. »

Oui, vous avez raison. La volonté de procéder à une analyse des biais
relève de plusieurs motifs. Nous n’en évoquerons ici qu’un seul en
citant un passage de notre rapport : 

« La majorité des études existantes et disponibles échouent à mettre
en évidence ces reproductibilités pour tous les paramètres considérés,
cela malgré des risques de biais souvent favorables à l’émergence de
résultats positifs. » p. 195 (nous surlignons)

Autrement dit, ce que nous apprend l’analyse des biais, c’est que
même en utilisant des méthodologies biaisées favorables à l’obtention de
résultats reproductibles, les chercheurs échouent à mettre en évidence
la reproductibilité des techniques crâniennes utilisées par les
praticiens. Ceci est selon nous un indice majeur en faveur du fait que
même en améliorant la méthodologie, il est probable que les chercheurs
continuent malheureusement à échouer. Pour quiconque souhaiterait
entreprendre une étude de reproductibilité d’une technique d’évaluation
issue de l’ostéopathie dans le champ crânien, ce fait nous parait
essentiel à considérer. Avant l’élaboration de ce rapport, nous avons
rencontré des ostéopathes motivés pour faire ce type d’étude avec nous.
Dès lors, nous leur avions proposé de nous recontacter quand nous
aurions terminé le rapport, ceci pour que d’une part nous puissions
éventuellement saisir des contraintes méthodologiques inhérentes à la
pratique que nous aurions sous-estimées, et que d’autre part les
ostéopathes intéressés puissent aisément accéder aux travaux déjà
réalisés ainsi qu’aux difficultés s’y rattachant pour mesurer l’ampleur
de la tâche.

[Concernant l’efficacité thérapeutique]

Les auteurs ont mis en évidence 4 revues de littérature sur les sujets :

Nous
observerons que ces quatre revues convergent toutes vers un défaut de
preuve de l’efficacité des techniques et stratégies thérapeutiques
issues de l’ostéopathie crânienne.
Rapport CORTECS p204

Les
auteurs, devant le fait qu’il y ait eu depuis la dernière revue d’autres
publications, vont effectuer eux-mêmes leur propre revue de
littérature.

Ils relèvent qu’un protocole en triple aveugle
(patient, praticien, analyste) n’est pas applicable en thérapie manuelle
pour le praticien, mais que les protocoles qui tentent de le faire pour
les deux autres acteurs vont dans le bon sens.

Les auteurs vont utiliser l’outil de cochrane cité précédemment, mais seul (sans le QAREL, non adapté à l’analyse).

En
résumé, il y a en général un grand risque de biais du fait de l’absence
de données sur l’aspect aveuglement des trois acteurs de la recherche,
soit sur la randomisation dans le protocole, soit sur les données
manquantes. Les articles ne sont donc pas assez détaillés pour que les
résultats puissent être correctement analysés, et quand ils le sont, il y
a des manques qui portent préjudice aux résultats.

Seuls 2 études sortent du lot avec un risque de biais raisonnable (Elden et al., 2013, Haller et al., 2015).

(…)

L’utilité
même d’un tel rapport (dont la responsabilité incombait à ceux qui
pratiquent l’ostéopathie crânienne d’après les auteurs) est discutable
du fait que des travaux de revue de littérature sur le sujet ont déjà
été faits (Jackel & Von Hauenschild, 2012, Jackel & Von
Hauenschild, 2011, Green et al, 1999), de même que la remise en question
du concept existe depuis longtemps et a toujours cours (Gabutti &
Draper-Rodi, 2014,Tricot, 2000, Roger & Witt, 1997). Enfin, parfois
les outils d’évaluation choisis et modifiés peuvent être discutables. (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Comme précédemment, il nous faut pour ne pas perdre l’éventuel lecteur, décortiquer l’argument de ce paragraphe.

Prémisse (1) – Des revues de littérature ont déjà été réalisées sur le sujet.

Prémisse (2) – « […] la remise en question du concept existe depuis longtemps et a toujours cours. »

Prémisse (3) – « […] parfois, les outils d’évaluation choisis et modifiés peuvent être discutables. »

DONC

Conclusion – L’utilité du rapport CORTECS sur l’analyse scientifique de l’ostéopathie crânienne est discutable.

Concernant la prémisse (1), nous n’y trouvons rien à redire puisque
effectivement, des revues de littérature ont déjà été réalisées sur le
sujet. Non seulement nous les mentionnons dans le rapport mais en plus
nous en faisons la synthèse.

Au sujet de la prémisse (2), nous sommes au courant qu’il existe des
divergences d’opinions chez les ostéopathes concernant les différents
concepts (voir par exemple la page 59 du rapport qui concerne le MRP).

Quant à la prémisse (3), nous en avons déjà discuté : propos trivial et sans fondement (voir ci-dessus).

Regardons maintenant la conclusion et observons dans quelle mesure les prémisses la justifie.

Prémisse (1) À propos des revues de littérature déjà réalisées sur le
sujet et sur l’intérêt d’en réaliser de nouvelles nous l’avons expliqué
dans le rapport en deux endroits. Pour la revue sur la reproductibilité
nous avons écrit ceci : 

« Nous constatons que ces trois revues convergent toutes sur le
défaut de preuve de la reproductibilité intra et inter-observateurs des
tests et procédures diagnostiques issus de l’ostéopathie crânienne.
Cependant, nous allons pousser plus loin notre enquête car :

1) de nouvelle études ont été publiées depuis les travaux de Green et al. et Hartman & Norton ;

2) nous avons recensé dans notre recherche systématique un document que le travail de Fadipe et al. n’incluait pas;

3) il n’existe pas de travail similaire au nôtre en français ;

4) enfin, il en va de notre légitimité que de réaliser sa propre analyse, la plus attentive possible. »

Pour la revue sur l’efficacité nous précisons : 

« Nous observons que ces quatre revues convergent toutes vers un
défaut de preuve de l’efficacité des techniques et stratégies
thérapeutiques issues de l’ostéopathie crânienne. En dépit de cette
convergence, nous avons tout de même fait notre propre investigation
pour des motifs similaires à ceux évoqués lors de notre revue sur la
reproductibilité des procédures diagnostiques. »

Nous constatons qu’il est nécessaire d’apporter quelques précisions supplémentaires pour la revue sur l’efficacité : 

(a) depuis la parution des revues les plus récentes en 2012 (les
revues de Jäkel et Von Hauenschild et celle de Ernst de 2012), il y a eu
5 nouvelles publications ; 

(b) ces revues n’ont pas les mêmes critères d’inclusion et de
non-inclusion que la nôtre. La conséquence est que notre revue ne
comporte en commun avec ces revues que 3, 3 et 4 publications
respectivement (sur les 8 publications que nous avons analysées hors
celles publiées après 2012).

Pour conclure sur cette articulation prémisse (1) / conclusion (B),
encore une fois ici vous faites une critique à laquelle nous avons déjà
donné des éléments de réponse . Nous faisons l’hypothèse que ces
passages vous ont échappés.

Prémisse (2) – « […] la remise en question du concept existe depuis longtemps et a toujours cours. »

D’expérience, nous savons malheureusement que même quand la critique
d’un concept est ancienne elle gagne toujours à être réactualisée et
maintenue (l’astrologie, la chiromancie pour ne prendre que des exemples
« faciles », la psychanalyse freudienne pour prendre un exemple plus
complexe, etc.).

Prémisse (3) – « […] parfois, les outils d’évaluation choisis et modifiés peuvent être discutables. »

Nous y sommes déjà venu. Dans votre commentaire, c’est un propos
trivial et sans fondement qui ne peut justifier en rien la conclusion de
votre argument.

En résumé, nous dirons encore une fois que c’est une chose de dire
que quelque chose est discutable mais que s’en est une autre de la
discuter sérieusement. L’analyse de vos arguments démontre que ceci
n’est, hélas, pas le cas.

3. Concernant la phrase « Les critères de qualité n’étant
pas mentionnés, nous ne pouvons exclure un tri sélectif, volontaire ou
non des données », nous avons écrit dans notre publication (page 166 du
JAOA) :
Descriptive statistics. Twelve subjects participated
in the study. Of these, 11 provided high-quality data for analysis. For
subject 12, the signal-to-noise ratio observed in the laser-Doppler
(time-domain) output was too low for precise quantitative measurement.
However, the Fourier transform (frequency-domain) record of subject 12
included all of the features observed for the other 11 subjects.
(Statistiques
descriptives. Douze sujets ont participé à l’étude. Parmi ceux-ci, 11
ont fourni des données exploitables pour l’analyse. Pour le douzième, le
rapport signal-bruit observé dans la production du laser-Doppler
(domaine-temps) était trop bas pour une mesure quantitative précise.
Pour autant, la transformation Fourier de l’enregistrement du sujet 12
contenait toutes les caractéristiques observées chez les autres onze
sujets
).
Les auteurs du rapport n’ont-ils pas compris cette partie ?
S’ils
ne comprennent pas le rapport signal-bruit, nous les renvoyons à notre
chapitre “Physiological Rhythms/Oscillations”, page 182, paragraphe
« additional observations » et fig 11-18. Ils y trouveront
l’interprétation du rapport signal-bruit dans nos travaux.
(“Physiological
Rhythms/Oscillations”, Glonek, Sergueef, Nelson. chapt. 11. In: Chila
A, ed., Foundations of Osteopathic Medicine. Baltimore, MD: Lippincott,
Williams & Wilkins; 2011;162-190.) (Courrier de Nicette Sergueef, Kenneth E Nelson, Thomas Glonek adressé au CNOMK et mis en ligne sur osteopathie-france.net.)

Merci de vous préoccuper de notre
compréhension du rapport signal-bruit. Cette publication devrait en tout
état de cause délivrer tous les éléments permettant de comprendre et
d’analyser la méthode suivie. Toutefois, notre remarque concernant
l’absence de mention des critères de qualité s’appliquait en cas
d’exclusion de sujets évalués, ce qui n’est pas le cas (voir infra).

Dans une seconde partie, les auteurs ont étudié les
articles parlant de la fréquence du rythme crânien et la restriction de
mobilité des os du crâne. Selon eux, on ne retrouve pas de
reproductibilité inter et intra observateur sur le plan scientifique à
ce sujet (exclusion des études ayant des résultats positifs pour un
risque de biais important). Dans une dernière partie, les scientifiques
ont évalué 12 études sur l’efficacité thérapeutique des techniques
crâniennes. Ils en ont exclu 10 présentant des résultats positifs pour
risques de biais élevé. 2 études sérieuses ont été conservés. Une
concerne les syndromes douloureux pelviens de la femme enceinte (Elden
et al 2013. Acta obstetricia et gynecologica Scandinavia). Les résultats
positifs de cette étude sont modérés par les auteurs qui encouragent la
poursuite des recherches en ce sens. (Ostéopathes Plus)

[Autre
citation] Les études référencées ayant un risque de biais élevé ont été
analysées de manière bien différentes tout au long de ce rapport. Elles
ont été qualifiées de non sérieuses et employées pour remettre en cause
l’ostéopathie crânienne (ex : concept de la mobilité suturale) Ou alors
elles ont été purement exclues des résultats lorsqu’elles étaient
favorables à l’ostéopathie crânienne. (ex: le chapitre sur l’efficacité
thérapeutique de l’ostéopathie crânienne). (Ostéopathes Plus)

Nous pensons que votre problème vient du terme « exclusion », nous
entendons « exclusion avec critères », en l’occurrence une méthodologie
bien construire. Par ailleurs, il est inexact de dire que les études
présentant un risque de biais élevé ont été exclues. Ceci n’est
méthodologiquement pas possible dans la mesure ou l’évaluation du risque
de biais des études survient après et non avant l’application des critères d’inclusion et de non-inclusion.

[…] MAIS… « en science on publie plus facilement les
résultats positifs que ceux négatifs » il s’agit d’un biais de
publication. « Il faut donc considérer la proportion des études
positives par rapport aux négatives » ils utilisent également le
principe de symétrie « si un très petit nombre d’études existe avec des
résultats positifs il existe également un petit nombre d’études avec
résultat négatif, cela doit nous encourager à ne rien conclure de
favorable à travers ces études. » (Ostéopathes Plus)

Cela fait plusieurs fois que vous faites de fausses citations de
nous. Nous vous serions reconnaissant d’utiliser des citations réelles
pour alimenter la discussion.

À aucun moment l’avis d’un organisme de formation en
ostéopathie agréé ou formateur écrivant des livres de références
actuelles en ostéopathie crânienne n’a été consulté (Tricot, Boudehen,
Gehin etc.). (Ostéopathes Plus)

La seule façon permettant à un organisme de formation ou une
quelconque personne de nous aider eut été de nous fournir des
comptes-rendus de travaux expérimentaux. Nous avons fait tout ce qui
était en notre pouvoir pour récolter un maximum de ces compte-rendus.
Pour mémoire, nous avons contacté :

  • L’Upledger Institute Belgium
  • L’Upledger Institute International
  • La Biodynamic Craniosacral Therapy Association of North America
  • La Sutherland Cranial Teaching Foundation
  • La Sutherland Cranial Academy of Belgium
  • La Société Française d’Ostéopathie
  • Association Française de Thérapie Cranio-Sacrale
  • La Société Suisse de Thérapie Cranio-sacrale
  • Le Collège d’Ostéopathie Sutherland Atlantique
  • La Société Européenne de Recherche en Ostéopathie Périnatale et Pédiatrique
  • Le Collectif de Développement de l’Ostéopathie Périnatale
  • L’Académie d’Ostéopathie de France
  • L’Académie Sutherland d’Ostéopathie du Québec
  • L’European Federation of Osteopaths
  • Le Forum for Osteopathic Regulation in Europe
  • L’Osteopathic Cranial Academy

Aucune de ces organisations ne nous a fourni de référence que nous
n’ayons pas trouvée par d’autres moyens. Il est certes toujours possible
que nous soyons passés à côté de travaux importants mais le problème
reste le même : où sont-ils ? Montrez-nous ces fameuses études
essentielles et fantomatiques à côté desquelles nous aurions pu passer.
La charge de la preuve incombant à celui qui prétend, ce n’est
théoriquement pas à nous, mais aux auteurs dont vous parler de fournir
matière à leur discipline, et cela ne devrait pas être à nous de
parcourir la Terre entière à la recherche de la potentielle publication
en wano ou en espéranto que nous aurions pu manquer.

4. Les questions sur nos sources

Ailleurs, il est fait référence à un projet de loi sur
l’ostéopathie initié par le professeur Debré, projet de loi
particulièrement contesté à l’époque et qui n’a jamais été discuté à
l’Assemblée nationale et encore moins en commission. Pourquoi les
auteurs font-ils référence à ce projet Debré, qui n’a ni queue ni tête ?
(6): « Pour un rappel historique de l’évolution du cadre législatif de
l’ostéopathie, nous renvoyons à la proposition de loi portant sur la
création d’un Haut Conseil de l’ostéopathie et de la chiropraxie
enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 septembre
2011 (dite proposition de loi Debré). Elle rappelle notamment que
jusqu’en 2002, « l’exercice de l’ostéopathie et de la chiropraxie
était réservé aux seuls médecins, toute autre personne pratiquant ces
disciplines relevait de l’exercice illégal de la médecine
» (p. 52-53 du Rapport). (Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Il vous revient d’expliquer en quoi ce projet n’a « ni queue ni
tête ». Comme nous l’avons précisé dans le texte que vous citez, nous
avons fait référence à ce projet de loi car il décrit l’historique de
l’évolution du cadre législatif de l’ostéopathie. Sur ce point précis il
s’avère tout à fait pertinent.

Mais pourquoi n’ont-ils pas noté dans leur rapport que
les manipulations dites d’ostéopathie et de chiropraxie ne sont devenues
réservées qu’aux seuls médecins par un arrêté du 6 janvier 1962 :

«
Article 2 : Ne peuvent être pratiqués que par les docteurs en médecine,
conformément à l’article L. 372 (1°) du code de la santé publique, les
actes médicaux suivants : 1° Toute mobilisation forcée des articulations
et toute réduction de déplacement osseux, ainsi que toutes
manipulations vertébrales, et, d’une façon générale, tous les
traitements dits d’ostéopathie, de spondylothérapie (ou
vertébrothérapie) et de chiropraxie. Arrêté du 6 janvier 1962 fixant
liste des actes médicaux ne pouvant être pratiqués que par des médecins
ou pouvant être pratiqués également par des auxiliaires médicaux ou par
des directeurs de laboratoires d’analyses médicales non médecins. »
(Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Nous vous remercions pour votre complément à la partie législative du
rapport. Nous n’avons effectivement pas été exhaustif sur la
législation au sujet de l’ostéopathie car cela nous éloignait de notre
sujet de départ, la validité scientifique et l’efficacité thérapeutique
de l’ostéopathie crânienne. Nous avons donc préféré renvoyer à un
document synthétique, cf. réponse ci-dessus.

5. Les (fausses) erreurs relevées

Un exemple : la critique des travaux de Jean-Claude
Herniou, du moins le résumé qui en est fait va totalement à l’encontre
de ce que j’ai lu de son article publié sur le Site de l’Ostéopathie
par mes soins : « Le mécanisme respiratoire primaire n’existe pas ».
Son étude sur le mouton cherchait : « à évaluer et à comparer la
mobilité de la suture et de l’os frontal du mouton soumis à faible
contrainte (p.99 du rapport). Or de cette étude, il en est ressorti pour
Herniou que le MRP n’existait pas ! En effet, dans l’interview qu’il
donne à la revue Æsculape (2)
Herniou précise parfaitement ceci: « Depuis 1987, j’ai la preuve que le
liquide céphalo-rachidien (LCR), très cher à mes confrères ostéopathes,
n’est pas le moteur de la mobilité crânienne. Le LCR n’est le moteur de
rien du tout. Et, plus important encore, j’ai la preuve que le
« mécanisme respiratoire primaire », tel qu’il est habituellement décrit
en Ostéopathie, n’existe pas. Quand je lis ce qui est écrit à ce niveau
je suis, pour le moins, perplexe !… Il me semble que de nombreux
auteurs, par culte de Sutherland, perpétuent une erreur grossière. Cette
idée bien explicable pour l’époque est aujourd’hui totalement obsolète.
À mon avis, elle décrédibilise l’ostéopathie. » Fallait-il donc tout
cela pour démontrer ce qui est déjà démontré ? (Jean-Louis Boutin sur le
Site de l’Ostéopathie)

Nous écrivons page 59 que « D’autres ostéopathes crâniens, certes
isolés comme l’ostéopathe français Jean Claude Herniou, contestent
l’existence-même du MRP. ». Le résumé et l’analyse de son étude sont
insérés dans la partie relative à la mobilité des os du crâne et non à
l’existence du MRP. Donc il n’y a pas de contradiction entre ce que vous
dites et ce que nous avons rédigé.

En ce qui concerne votre question : « Fallait-il donc tout cela pour
démontrer ce qui est déjà démontré ? », nous ne prétendons pas avoir
démontré que le MRP n’existait pas (On ne peut pas démontrer
l’inexistence d’un phénomène, grande injustice épistémologique), mais
démontré qu’il n’y a aucune preuve de l’existence du MRP, ce
qui est différent. Ensuite, rappelons-le, nous n’avons pas fait cela
uniquement pour le présumé phénomène « MRP » mais aussi pour la mobilité
des os du crâne, la mobilité involontaire des articulations
sacro-iliaques, le rôle des membranes de tension réciproque, le souffle
de vie et enfin la reproductibilité des procédures diagnostiques de
l’ostéopathie crânienne ainsi que l’efficacité de ses techniques
thérapeutiques. En outre, vous conviendrez que d’un point de vue
scientifique, si nous nous étions contentés au sujet du MRP de renvoyer
aux travaux de Herniou, il est assuré que certains de vos
confrères-sœurs auraient trouvé cela quelque peu insatisfaisant, et
entre nous ils ou elles auraient eu raison.

Bien que le concept d’ostéopathie crânienne soit fort
bien exposé dans ces pages, les auteurs ont du mal – il faut les
comprendre – pour bien analyser ce qu’est le MRP et ce qu’est l’IRC ou
l’impulsion rythmique crânienne (4) au point, semble-t-il, parfois de
les confondre : « Le fait de percevoir un phénomène rythmique et de
pouvoir caractériser sa fréquence ne permet pas de conclure quant à
l’existence du phénomène rythmique, encore moins quant à l’existence
d’un MRP ou IRC. » (p.73 du Rapport).(Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Effectivement, il est difficile de s’y retrouver dans ces
dénominations tant elles varient selon les auteur.e.s et les époques.
Cependant, nous avions bien précisé page 59 du rapport les liens et
confusions possibles entre MRP et IRC : « Lorsqu’il s’agit de quantifier
ce qui s’apparente au MRP, une majorité d’ostéopathes emploient le
terme d’impulsion rythmique crânienne (IRC). En fait, la nomenclature
employée est très diverse pour qualifier ce mouvement qui en théorie
parcourt le crâne et probablement le corps. Pour certains ostéopathes,
IRC et MRP sont sensiblement la même chose, l’IRC étant la manifestation
du MRP, mais il existe des voix divergentes. »

S’il existe des certitudes en ostéopathie crânienne,
c’est celle du sens que les ostéopathes donnent à l’abréviation MRP et
notamment au « M » : c’est un mécanisme et non un mouvement. Même
si cela est faux, au sens où le mécanisme n’est pas démontré
scientifiquement, le MRP est et reste un mécanisme et en tant que tel il
est impossible de soutenir que c’est un phénomène rythmique que l’on
pourrait palper… (Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Certes, nous lisons et entendons souvent « mécanisme » plutôt que
« mouvement » pour le M du MRP, mais les deux appellations co-existent.
Une recherche avec Google books l’illustre : « mouvement
respiratoire primaire » donne 90 occurrences contre 194 pour « mécanisme
respiratoire primaire ». La certitude du sens du « M » de « MRP » pour
les ostéopathes n’en est donc pas une. Comme nous l’avons rappelé plus
haut, il est très difficile de s’y retrouver dans le fouillis des
nomenclatures ostéopathiques, entretenu par les ostéopathes eux et
elles-mêmes. Quant au fait que : « il est impossible de soutenir que
c’est un phénomène rythmique que l’on pourrait palper… », c’est pourtant
ce que font de nombreux et nombreuses ostéopathes, à l’image de celles
et ceux que nous citons dans la partie relatant les études ayant essayé
de mettre en évidence ce phénomène rythmique supposé.

Et plus loin encore : « Il est important de préciser que
dans cette étude [Frymann 1971] n’est pas évoqué un mouvement des os du
crâne entre eux, mais un mouvement crânien global, de type MRP ou IRC »
(p.93 du Rapport). Le MRP pas plus que l’IRC ne sont des mouvements
globaux. Le MRP est un essai d’explication donné par Sutherland, une
sorte de formalisation explicative, d’hypothèse liée à la palpation
qu’avait Sutherland, mais n’a jamais été donné par son créateur comme
une vérité scientifique absolue. (Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Il s’agit de votre interprétation des écrits de Sutherland. D’autres
explicitent les choses autrement. Nous avons préféré ne pas qualifier le
MRP de « vérité scientifique absolue », pas plus que de « formalisation
explicative ».

Ce sont ses élèves qui en ont fait une théorie qui se
voudrait scientifique pour essayer d’expliquer ce que ressent un
ostéopathe quand il met les mains sur le crâne. Le Dr Dominique Bonneau a
essayé d’éclairer ce phénomène de palpation dans un article publié dans
la revue de Médecine Manuelle Ostéopathie (5). Mais le fait
d’avoir voulu en faire une théorie scientifique pure et dure a amené les
ostéopathes crâniens à s’enfermer dans une conception qui ne devrait
plus avoir cours, même si leur palpation pourrait avoir un sens…
(Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Là encore, il s’agit de votre interprétation et de votre
compréhension de l’histoire de l’ostéopathie. Peut-être est-ce une
discussion qu’il faudrait avoir entre ostéopathes pour fixer clairement
les terminologies employées ? Les choses en seraient grandement
facilitées.

Une autre imprécision surprenante pour des scientifiques, c’est d’associer le new âge avec la Société de théosophie :
« … Passé par la Société théosophique de Helena Blavatsky, association
ésotérico new-ageuse empruntant nombre de ses concepts à l’Hindouisme, à
l’occultisme et à l’astrologie, Steiner fonda ensuite la Société
anthroposophique… » (p.136 du Rapport). Je reste confondu devant cette
assimilation, non pas que je sois un adepte de la Société théosophique,
mais parce que je me suis posé la question de la date de création de
cette société. Si on en croit Wikipédia, la Société théosophique a été
« fondée à New York le 17 novembre 1875, par Helena Petrovna Blavatsky,
ainsi que par le Colonel Henry Steel Olcott et William Quan Judge ».
Mais qu’allait donc faire le new âge en cette affaire même si ses
adeptes ont cherché dans les écrits anciens des références et des
appuis ? (Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Nous nous faisons fort de ne pas vous laisser trop longtemps
confondu : le New Age, avec un petit R marque déposée, comme courant
étiqueté comme tel, n’existe pas vraiment : il est généralement présenté
comme le fuit des « travaux » de Ferguson, années 1970, sur l’aquarian conspiracy,
on est d’accord., mais ses racines, ainsi que le concept d’un nouvel
âge à venir, viennent du XIXe, de la convergence entre la société
anthroposophique, les courants type Lebensreform, retour à la Nature avec des gens comme Adolf Just, la Naturphilosophie
dans ses différentes formes, etc. avec des soupçons de millénarisme, de
maîtres ascensionnés pris à l’hindouisme et de retour du Christ-roi
d’Alice Bailey – on est dans les années 20 à ce moment-là. Mais le New
Age est tellement éclectique qu’on pourrait -certains auteurs le font –
remonter à Swedenborg. Donc nous sommes raccord avec un bon nombre
d’historiens en faisant naître la mouvance New Age dans le brouet
spiritualiste de la fin du XIXe. En 1864 par exemple, le très
swedenborgien Warren Felt Evans publia The New Age and its Message, ;
en 1907 Alfred Orage and Holbrook Jackson firent paraître un hebdo
mélange de socialisme et de libéralisme chrétien intitulé The New Age. Ensuite, il y aura Disciplineship in the New Age (1944) and Education in the New Age (1954), d’Alice Bailey.

Donc oui, le New age a des racines très profondes, et
l’anthroposophie n’en fut pas l’une des moindres.. Pour cette filiation,
vous pouvez lire en anglais Sarah M. Pike, New Age and Neopagan
Religions in America. Columbia University Press, ou Sutcliffe, Steven J.
Children of the New Age: A History of Spiritual Practices. London and
New York: Routledge (2003) ainsi qu’en français Marhic et Besnier, le
New age, son histoire ses pratiques ses arnaques, Castor Astral 1998.

6. Les (vraies) erreurs relevées

Concernant le côté du résumé du cadre législatif, il y a un petit problème avec ce paragraphe
C.3 Pratique

Les ostéopathes n’ont pas le droit de pratiquer un certain nombre
d’actes s’ils ne sont pas « soumis à diagnostic médical préalable de non
contre-indication ». Parmi ces actes, on note les « manipulations du
crâne ».

Rapport CORTECS, p53
Or, dans les décrets
qui auraient pu être cités en entier, il était fait mention d’un élément
supplémentaire qui change le champ d’application de la restriction de
prise en charge. Premièrement ça ne rajoutait pas beaucoup plus de
lignes et surtout, deuxièmement, ça évitait une erreur factuelle:

Article 3
(…)
Décrets du 27 mars 2007
On voit que cette restriction concerne la prise en charge des nourrissons. Il existe donc un risque de confusion. (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Vous avez raison, il aurait fallu préciser que cette
contre-indication s’appliquait uniquement pour la prise en charge des
nourrissons. Nous nous sommes nous aussi rendus compte de cette
imprécision hélas peu de temps après le rendu du rapport. Nous sommes
ravis que vous l’ayez pointé du doigt. Même si cette erreur ne change
rien aux conclusions, nous ferons un addendum au rapport en vous
remerciant.

« Cette analyse repose sur l’utilisation d’une grille
d’analyse QUAREL (qui en fait s’écrit correctement QAREL). » (nous
surlignons). (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Exact ! Coquille qui s’est subrepticement insinuée puis répliquée dans l’intégralité du document. Nous avons probablement fondu QUAREL, quarrel en anglais (la querelle ou dispute oratoire), et peut être même squirrel, l’écureuil. Merci pour cette remarque.

Suite à la lecture du rapport sur l’ostéopathie crânienne
rédigé par le Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique
et sciences (Cortecs), en date du 26 janvier 2016, à la demande du
Conseil National de l’Ordre des Masseurs-Kinésithérapeutes, nous
voudrions apporter quelques remarques.

Dans ce rapport, nous nous
sommes particulièrement intéressés à la revue des publications que nous
avons réalisées au Chicago College of Osteopathic Medicine, Midwestern
University, Downers Grove, Il, USA. (Nelson KE, Sergueef N, Glonek T).

1.
Page 69 du rapport du Cortecs, les auteurs évaluent notre étude :
« Cranial rhythmic impulse related to the Traube-Hering-Mayer
oscillation: Comparing laser-Doppler flowmetry and palpation”. Nelson,
Sergueef, Lipinski, Chapman, Glonek. JAOA March 2001:163-73.
Ils
écrivent : « Pour se faire, l’oscillation de THM était mesurée chez 20
sujets en bonne santé par le biais d’une sonde Doppler positionnée sur
le lobe de l’oreille gauche de chaque sujet ».
Page 70 : « En analysant
cette publication, on sera étonné que seulement 12 sujets sur les 20
initiaux font l’objet d’un traitement statistique, du fait de la
mauvaise qualité d’acquisition des autres enregistrements, selon les
auteurs. Les critères de qualité n’étant pas mentionnés, nous ne pouvons
exclure un tri sélectif, volontaire ou non des données ».

2. En
fait, dans cette étude, nous avons mesuré l’oscillation de THM chez 12
sujets, et non 20 comme l’auteur de ce rapport le mentionne. Il est donc
évident que nous ne pouvions traiter les données statistiques de 20
personnes. On peut lire dans notre publication (page 163 du JAOA) :
« Twelve healthy subjects over 18 years of age (6 males; 6 females, none
pregnant) were recruited from the faculty and students of the Chicago
College of Osteopathic Medicine ».
(Douze sujets en bonne santé, de
plus de 18 ans (6 hommes, 6 femmes, aucune enceinte)ont été recrutés
parmi les professeurs et les étudiants du Collège de Médecine
Ostéopathique Chicago)
(Courrier de Nicette Sergueef, Kenneth E Nelson, Thomas Glonek adressé au CNOMK et mis en ligne sur osteopathie-france.net.)

Nous vous remercions d’avoir relevé cette coquille qui s’est
subrepticement glissée dans le rapport et a ensuite échappé à notre
vigilance lors des relectures. Effectivement, il s’agit d’une erreur
factuelle importante de notre part – probablement une confusion twelve / twenty.
Nous vous remercions de nous l’indiquer, et déplorons vivement notre
erreur. Les données ont pu être recueillies de manière satisfaisante
pour 11 sujets sur les 12 inclus dans l’étude, et non 20.
Précisons
cependant que, vous en conviendrez que, cela ne remet pas en cause nos
remarques ultérieures concernant les limites intrinsèques de l’étude.
Nous écrivions :

« En outre, compte tenu du faible nombre de sujets analysés l’analyse
statistique se révèle insuffisamment détaillée pour conclure à sa
validité. Enfin, notons que quand bien même il y eut coïncidence entre
les deux ondes, il faudrait plus de contrôles dans la méthodologie
utilisée pour que l’onde palpée puisse effectivement être reliée au MRP.
»

4. Les auteurs du rapport décrivent ainsi la prise
utilisée par le praticien … »L’examinateur presse légèrement de dehors
en dedans, de manière à provoquer une rotation externe des deux os
pariétaux ». Il s’agit d’une extrapolation, car nous avons écrit : « the
examiner, at the head of the table, palpated the CRI using light touch
with the hands in a biparietal-hold position » (le praticien à la tête de la table, palpait l’IRC avec un toucher léger et une prise bipariétale). La prise bipariétale n’implique pas une induction de mouvement. (Courrier de Nicette Sergueef, Kenneth E Nelson, Thomas Glonek adressé au CNOMK et mis en ligne sur osteopathie-france.net.)

Merci d’apporter plus de précisions concernant les modalités des techniques appliquées qui ont pu nous échapper.

5. L’étude référencée en bas de la page 72, n’a rien à voir avec les remarques qui sont faites dans ce paragraphe. (Courrier de Nicette Sergueef, Kenneth E Nelson, Thomas Glonek adressé au CNOMK et mis en ligne sur osteopathie-france.net.)

Vous relevez aussi une erreur de notre part de référencement. L’étude
correspondant à l’analyse figurant en p72 est celle-ci : Sergueff N.,
Nelson K. E., Glonek T., The effect of cranial manipulation upon the Traube-Hering-Mayer oscillation as measured by Laser-Doppler flowmetry, Alternative Therapies. (2002) Nov/Dec ; 8(6) que l’on retrouve citée en page 267 et 285.

Nous sommes heureux que les auteurs aient
pris le temps d’examiner notre travail, mais déçus par la fausse
représentation qu’ils en ont faite. Les auteurs n’ont manifestement pas
lu notre étude attentivement, et leurs conclusions ne peuvent être
validées par le fait des erreurs d’interprétation qu’ils ont faites. (Courrier de Nicette Sergueef, Kenneth E Nelson, Thomas Glonek adressé au CNOMK et mis en ligne sur osteopathie-france.net.)

Nous partageons sincèrement votre déception
concernant les erreurs que nous avons commises concernant cette
publication. Cependant, nos conclusions ne nous semblent pas affectées
par ces erreurs, comme nous l’avons précisé précédemment lorsque nous
avons rappelé les autres limites intrinsèques de cette dernière.

Il reste à dire quelques mots de l’orthographe. Je
suppose que le clavier n’avait pas toujours les accents français car de
très nombreuses fois nous trouvons ou au lieu de
ce qui perturbe momentanément la lecture. Et que dire alors de cette
confusion de verbe : « Nous considérons que l’expérience minimale est le
fait d’avoir terminé une formation spécifique à la pratique. Il nous
semble en effet indispensable, en tant que patients, de ne pas devoir
attendre qu’un praticien est (sic au lieu de ait)
plusieurs années d’expérience pour pouvoir fonder ces choix
thérapeutiques sur des examens reproductibles » (p.158 du Rapport).
Finalement c’est bien peu de choses, et je me suis même posé la question
de savoir : fallait-il le signaler ? (Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Question qui ressemble à une prétérition, puisque finalement vous
avez choisi de le faire. On pourrait dire trois choses sur ce point :
primo, c’est un angle de critique assez pauvre, vous en conviendrez.
Secundo, sans relecteur professionnel à rémunérer, c’est impossible sur
un aussi long travail de relever toutes les coquilles. Enfin, dernier
point, il y a une façon plus élégante de nous aider : au lieu d’exposer
en public en les citant nos fautes d’orthographe, ce qui manque un peu
de… style… Vous auriez pu les noter, nous les envoyer, et nous permettre
de remettre en ligne une version expurgée, avec nos remerciements et
l’impression d’une collaboration, pas d’un tir au pigeon.

7. Les extrapolations

A l’aide de la littérature, ils concluent : […] – la
circulation du LCR est admise mais il n’existe aucune preuve de lien de
cause à effet entre fluctuation du LCR et mobilité du crâne ; […] (Ostéopathes Plus)

Vous nous amenez ici hors de notre sujet. La question d’un lien entre
fluctuation du LCR et mobilité du crâne n’est abordée nulle part dans
notre travail et pour cause : aucune donnée expérimentale consistante
pour soutenir l’hypothèse d’une mobilité des os du crâne entre eux n’a
été découverte.

[…] – aucune étude au sujet des membranes de tensions
réciproques et toujours ce même raisonnement « vu qu’on a montré que le
MRP n’est pas démontrable, il n’est pas soutenable de lier les membranes
de tensions réciproques à la mobilité crânienne ». (Ostéopathes Plus)

Notre citation exacte est substantiellement différente de celle que vous rapportez. La voici :

« Le concept de MRP n’étant pas lui non plus démontré, il n’est pas
soutenable de penser que les membranes de tension réciproque jouent un
rôle dans la mobilité des os du crâne et de la face (elle non plus
infondée scientifiquement) ou dans la mobilité involontaire du sacrum (idem). » (page 132)

En fait, l’imbroglio est un peu de notre faute car faire apparaître
le MRP ici était dilatoire. S’il nous appartenait de changer notre
phrase, nous mettrions : « Il n’est pas soutenable de penser que les
membranes de tension réciproque jouent un rôle dans la mobilité des os
du crâne ou dans la mobilité involontaire du sacrum dans la mesure où
ces deux types de mobilité ne sont pas démontrées. »

Le dernier article étudie les techniques crâniennes sur
les cervicalgies chroniques. Les auteurs reconnaissent l’efficacité de
l’ostéopathie crânienne dans ce cadre […] (Ostéopathes Plus)

Vous allez vite en besogne ! Nous vous encourageons à nous relire :
ce que nous reconnaissons, c’est la valeur de l’étude de Haller et al.
en tant que données expérimentales pour soutenir l’efficacité de
l’ostéopathie crânienne dans le cadre des cervicalgies chroniques. Ceci
n’est pas la même chose que de dire que nous reconnaissons l’efficacité
de l’ostéopathie crânienne dans ce cadre. Pour cela, il nous faudrait
plusieurs études épurées des biais méthodologiques présents dans l’étude
de Haller et al. En gros, ostéopathes, retroussez vos manches !

8. Les redites

Rappelons également que Sutherland s’est largement servi
des écrits de Swedenborg (1688-1772) pour inventer son MRP. Et quitte à
être iconoclaste, Sutherland a simplement rajouté le mouvement des os du
crâne et celui du sacrum entre les iliaques à la théorie de Swedenborg
exposé dans son livre « The Brain ». (Jean-Louis Boutin sur le Site de l’Ostéopathie)

Oui, nous évoquons cela page 17 du rapport : « Swedenborg est un
philosophe et théologien suédois du XVIIIe siècle. Deux travaux
d’ostéopathes ont suggéré que Sutherland connaissait les idées de
Swedenborg concernant la physiologie et l’anatomie cérébrale et
crânienne et s’en est inspiré pour élaborer son modèle du mécanisme
respiratoire primaire. Jordan T., Swedenborg’s influence on Sutherland’s
‘Primary Respiratory Mechanism’ model in cranial osteopathy,
International Journal of Osteopathic Medicine.(2009) Sept ;
12(3):100–105, et Fuller D.D., A Comparison of Swedenborg’s and
Sutherland’s Descriptions of Brain, Dural Membrane and Cranial Bone
Motion, The new philosophy. (2008) Oct–Dec ; 619-650. » Swedenborg
apparaît même dans notre tableau page 46 où nous faisons la synthèse des
principaux concepts et pratiques associées, développés par Sutherland
et ses continuateurs.

9. Les questions concernant l’intérêt du rapport

D’où ma question sur ce rapport, où est la surprise? Il
n’y a rien d’étonnant sur les résultats, il y a seulement 79
publications sur pubmed dont la majorité date d’avant 2000. Comment le
niveau de preuve aurait pu changer du tout au tout avec si peu d’études
récentes? Y avait-il vraiment besoin d’un rapport pour nous faire
l’historique incomplet du concept et nous livrer des conclusions que des
revues de littérature datant de 2012 et 1999 nous avait déjà apprises
(quasi-absence de preuves, manque de reproductibilité de tests, besoin
de recherche)? (Laurent Marc, Rapport de Cortecs sur l’ostéopathie cranienne : où est la surprise?)

Votre dernier paragraphe nécessite quelques réponses.

1) Personne (et certainement pas le CorteX) n’avait promis de
surprise ou quelque chose d’étonnant. Nous ne sommes pas des producteurs
de sensationnel.

2) Vous dites :

« […] seulement 79 publications sur pubmed dont la
majorité date d’avant 2000. Comment le niveau de preuve aurait pu
changer du tout au tout avec si peu d’études récentes? »

Cinq nouvelles publications sont parues depuis les dernières revues
de 2012. Libre à vous de juger que cela fait peu. En attendant, pour des
raisons redondantes, nous ne pouvions pas nous contenter de citer les
revues existantes en ignorant les publications récentes sous prétexte
qu’il y en avait peu. Et bien nous en a pris car les études présentant
les plus faibles risques de biais font partie des études récentes.

3) Concernant les revues de littérature, nous en avons déjà discuté.

4) Vous jugez l’historique incomplet ? Voir nos réponses précédentes.
Nous estimons qu’aucun des auteurs et concept que vous avez évoqués ne
peuvent être cités (aujourd’hui en tout cas) dans un historique
spécifique de l’ostéopathie crânienne. Et il est très probable qu’ad nauseam,
quand bien même nous aurions eu la chance de citer vos auteurs,
seraient venus d’autres professionnels nous notifiant d’avoir manqué tel
ou tel nom. Sans vouloir être cinglant : peut être n’y avait-il pas
besoin d’un rapport comme le nôtre, certes. Mais posons le problème
autrement : comment se fait-il que sans réelle avancée majeure de la
discipline en dépit des rapports précédents, les ostéopathes crâniens
dans leur majorité ont continué à professer, sans tressaillir, sans
faire des « assises » urgentes de leur discipline ? Comment se fait-il
qu’il n’y ait pas eu urgence dans votre profession, devant un « bazar »
épistémologique et scientifique pareil ? C’est cette question à laquelle
il faudrait répondre.

L’équipe du rapport

Plus d’un an après la mise en ligne de
notre rapport, des réactions nouvelles surviennent encore. Voici la
dernière en date d’Eric Goyenvalle : ici et notre réponse ici.
Cette réponse sera la dernière de notre part, notre temps étant hélas
limité. Dorénavant, nous répondrons uniquement aux critiques qui, en
apportant des éléments nouveaux (nouvelles études expérimentales ou
études que nous aurions pu manquer) mettraient en cause nos conclusions
concernant l’efficacité ou la validité de l’ostéopathie crânienne.

CorteX_couteau_suisse_critique

Février 2017 : nouveau cours Santé et autodéfense intellectuelle à Grenoble

Depuis 12 ans, l’Université Grenoble-Alpes accueille les cours de Zététique & autodéfense intellectuelle enseignés par Richard Monvoisin. Au fil des années, le public de ces cours s’est élargi et la majorité des étudiant-es universitaires du campus grenoblois peuvent aujourd’hui suivre cette unité d’Enseignement transversal à choix. Les étudiant-es filières santé se trouvent parmi les rares à ne pas pouvoir suivre cet enseignement, alors que les enjeux dans ce domaine sont majeurs. Heureusement, grâce à la ténacité et à l’immense travail de notre collègue Nicolas Pinsault, accompagné en coulisse de son fidèle afidé, Richard Monvoisin, une nouvelle Unité d’énseignement (UE) intitulée Santé & autodéfense intellectuelle a pu voir le jour en 2016. En exclusivité, voici le programme de la première session qui s’est déroulée au premier semestre 2016-2017 et qui nous l’espérons sera le précédent d’une longue série.

Public  pouvant suivre cette UE : étudiants  en  Master  1  ISM (Ingénierie pour la santé et le médicament), médecins, pharmaciens, kinésithérapeutes, sage-femmes, infirmiers, manipulateurs d’électro-radiologie médicale…

Semestre 1

Volumes horaires : 24h / étudiant – 18h de cours magistraux (CM), 6h de travaux dirigés (TD)

Programme :

Il s’agit d’amener les étudiant·es à appréhender la démarche scientifique et sa portée critique à partir des frontières de nos disciplines médicales et paramédicales : thérapies magiques ou spiritualistes, fluides curatifs, soins « alternatifs », méthodes chamaniques… Une large place sera faite à la question de l’utilisation du placebo dans les stratégies thérapeutiques et à ses implications éthiques ainsi qu’aux multiples raisons de se tromper dans l’interprétation d’un lien causal en santé. Seront également abordés les éléments de psychologie de l’engagement permettant de comprendre certaines dérives thérapeutiques graves. En abordant la question du rôle des médias et de la vulgarisation scientifique et en étudiant de près les rouages de la production et de la diffusion des connaissances, nous verrons ensuite en quoi la manière dont la science s’écrit ou se montre alimente des représentations erronées et « fabrique » l’opinion. Enfin seront abordés les impacts des interactions entre industries des produits de santé et professionnel·les de santé et les mécanismes cognitifs qui biaisent notre jugement sur ces questions.

Lieu : Amphithéâtre de l’école de kinésithérapie, Site hôpital sud.

Formats : 3 heures de CM = 3h et TD = 2h

CM 1 : Autodéfense intellectuelle : les outils de base

CM 2 : Pensée critique et médecines dites « alternatives »

CM 3 : Placebo, effet placebo, réponse au placebo : mise au point scientifique et éthique

CM 4 : Influences et manipulations : prévenir les dérives sectaires

CM 5 : Éléments de discernement des manipulations de l’information en santé

TD 1 : Décorticage critique

TD 2 : Conflits d’intérêts, une santé sous influence

TD 3 : Media et pseudosciences

TD4 : Comprendre les processus de production et de diffusion des connaissances

Intervenant-es : N. Pinsault, R. Monvoisin, N. Darbois, A. Guillaud, I. Benslimane

Détails techniques pour participer

Cette UE est dispensée dans le cadre du Master « Ingénierie de la santé », tous parcours confondus. Ce master est accessible aux étudiant-es en santé par le biais du double-cursus dont des informations sont disponibles à cette adresse. Si des étudiant-es veulent s’inscrire seulement à cette UE, c’est possible en demandant un certificat universitaire (il faut pour cela se rapprocher du responsable pédagogique de votre formation).

Vous souhaitez plus d’informations ? Contactez-nous : contact (at) cortecs.org

Mémoire de Master : intégration et évaluation des médecines alternatives et complémentaires

Albin Guillaud a réalisé en 2015-2016 le Master 2 d’Histoire, philosophie et sociologie des sciences de l’UGA (ici). Dans le cadre de son mémoire intitulé « Doit-on intégrer les « médecines alternatives » dans les systèmes de santé ? Éléments d’analyse générale, cas de la recherche clinique », il s’est intéressé à la question de l’intégration des médecines alternatives et complémentaires (MAC) au système de santé et plus précisément à la problématique de leur évaluation : doit-on évaluer toutes les médecines alternatives et complémentaires ? Aucune ? Certaines ? Le cas échéant, selon quels critères ? Quels sont les arguments avancés, notamment par l’Organisation mondiale de la santé, pour recommander l’intégration de ces médecines ? Ces arguments sont-ils rigoureux ? Autant de questions abordées dans ce travail qui permet de dépasser le débat stérile « pour » ou « contre » les MAC.

Résumé du mémoire d’Albin co-encadré par Nicolas Pinsault et Stéphanie Ruphy.

Les « médecines alternatives et complémentaires » (MAC) ont le vent en poupe à tel point que des institutions comme l’Organisation mondiale de la santé souhaiteraient que les États intègrent celles-ci à leur système de santé. On appelle un tel projet politique la « médecine intégrative ». Un tel projet est-il éthiquement justifiable ? L’identification et l’analyse d’une partie des arguments de l’OMS dans son dernier document stratégique ont permis de mettre en évidence la faiblesse et l’imprécision de son argumentaire, et l’importance de procéder à des clarifications et analyses des concepts de « médecine alternative et complémentaire », de « médecine » et de « médecine intégrative ». Ce travail a permis de dégager une multitude de sous-questions. Parmi ces dernières, nous avons choisi de traiter du problème de la justification à entreprendre des essais cliniques pour évaluer l’efficacité thérapeutique des MAC. Nous avons soutenu qu’il n’existait pas d’argument irréfutable d’un côté comme de l’autre et que la décision d’entreprendre ou non un essai clinique pour une MAC impliquait un choix politique. Dans la perspective d’un tel choix, un ensemble de treize critères a été proposé et illustré par une étude de cas de la MAC « ostéopathie crânienne ». Cette analyse de cas nous a permis d’apporter un éclairage sur les difficultés que rencontrerait un éventuel promoteur d’essai clinique portant sur l’ostéopathie crânienne pour justifier son souhait de réaliser une telle étude. D’une manière plus générale, notre travail démontre qu’un projet global de médecine intégrative qui ne précise pas les niveaux auxquels il compte opérer (pratique clinique, recherche clinique, etc.) n’est pas éthiquement justifiable.

Télécharger le mémoire