Une séance de reiki

Décortiqué – "Guérisseurs, magnétiseurs, coupeurs de feu… que dit la médecine ?", France Inter, janvier 2015

Après avoir écouté l’émission de La tête au carré intitulée « Guérisseurs, magnétiseurs, coupeurs de feu… que dit la médecine ? » (ici), nous en proposons une brève analyse. N’hésitez pas à nous suggérer du contenu pour compléter cette page.

Une séance de reiki
Reiki

 C’est le titre qui m’a donné envie d’écouter l’émission : « Guérisseurs, magnétiseurs, coupeurs de feu… que dit la médecine ?« . Qu’entend-on par « médecine » ? Est-ce le point de vue des médecins, du corps médical que l’on interroge ? Mais cet avis est-il unanime ?  S’agit-il plutôt de l’expertise scientifique sur ces pratiques ? L’émission durant 37 minutes, une retranscription suivie d’analyses phrase par phrase me semblait trop coûteuse. Voilà comment j’ai préféré m’y prendre.

Après une première écoute attentive, j’ai essayé de me remémorer à chaud ce qui m’avait titillé : arguments fallacieux, faiblesses épistémologiques, etc. Lors d’une deuxième écoute, j’ai retranscris textuellement chaque phrase qui méritait selon moi d’être décortiquée. Une troisième écoute m’a permis de corriger des erreurs de retranscription.

J’ai ensuite essayé de réunir les failles argumentatives et les erreurs de raisonnement les plus redondantes. J’ai fait une sélection parmi les phrases ou passages les plus représentatifs des biais présentés. Voila donc un échantillon de ce que l’on peut relever dans cette émission.

Avec Christophe Limayrac (guérisseur, rebouteux , magnétiseur et réflexologue), Isabelle Nègre (médecin anesthésiste réanimateur, spécialiste de la douleur), Isabelle Célestin-Lhopiteau (directrice de l’IFPPC, Institut français des pratiques psycho-corporelles, présidente de l’Association Thérapies d’Ici et d’Ailleurs, psychologue, psychothérapeute au Centre d’évaluation et de traitement de la douleur du Centre hospitalier universitaire Bicêtre). 

  • Des appels au témoignage en guise de preuve d’efficacité spécifique des pratiques présentées

« Combien faudra-t-il de témoignages de patients pour pouvoir simplement donner notre numéro de téléphone dans le service d’un hôpital ? »

 « Comment expliquer que ce que je fais agit très bien, mieux sur les enfants et encore plus sur les nourrissons et les animaux ? »

« L’efficacité parait indémontrée dans ses mécanismes mais suffisamment puissante comme peuvent en témoigner beaucoup de personnes ».

Sur le placebo chez les animaux, nous recommandons la lecture de Francklin D. McMillian.

  • Des prétentions thérapeutiques aussi démesurées que peu précises

« dans l’essentiel des cas on arrive à compenser le manque de résultat qu’il y eu précédemment ».

 « mes mains guérissent ou du moins aident à guérir »

« le magnétiseur est capable de dégager un fluide et ce fluide est capable soit de couper le feu, c’est à dire de dissiper les symptômes de la brûlure, ou au moins aider le corps à se régénérer et faire passer certains troubles »

« le guérisseur c’est quelqu’un qui est capable de guérir tout être vivant » (…) « ça peut être les animaux, ça peut être aussi les plantes »

« avec un minimum d’enseignement ils arriveront à guérir les gens »

 

 

  • Appel à des entités immatérielles

« Mes mains guérissent. »

« Le flux est capable d’aider les gens à se régénérer. »

« Il y en a qui ont un certain potentiel, ce que certains appellent le don, et donc avec un minimum d’enseignement ils arriveront à guérir les gens. »

 

  • Non-utilisation du rasoir d’Occam

En l’occurrence, la croyance en un don des guérisseurs, que nos connaissances actuelles en médecine ne permettraient pas d’expliquer sans faire appel à des capacités extraordinaires :

« Comment vous avez compris que vous aviez ces capacités particulières ? »

« Le magnétisme tout le monde en a. »

« Là il s’agit d’une capacité individuelle d’une personne qui va avoir un don particulier pour une certaine pathologie. »

 

  • Phrases puits

où l’auditeur est noyé dans des concepts peu définis et flous :

« Chez le guérisseur il y a vraiment un travail très intuitif, qui emmène a une relation, une observation globale, très fine, et c’est certainement dans la discussion entre la science la plus rigoureuse et cette réflexion sur l’intuition qui a des choses à créer. »

 

  • Rhétorique de repoussoir

– cet effet puits se trouve aussi dans l’opposition qui est dressée entre une médecine « officielle », et une médecine « traditionnelle », « ancienne », la première ayant une « vision organiciste », insuffisante, la seconde une vision « globale » (mais « très fine »), faisant appel à l’intuition :

« Au niveau de la médecine conventionnelle l’homme a été divisé à l’infiniment petit et on traite l’infiniment petit sans prendre en considération ce qu’il y a autour, et nous guérisseurs on prend l’ensemble, on prend la globalité, et oui effectivement, l’endroit qui est lésé nous intéresse mais on va traiter l’ensemble de la personne, et je pense que ces deux attitudes peuvent être très complémentaires, nous traiter le patient dans sa globalité, et la médecine conventionnelle faire sa spécialité que je ne connais pas, mais l’ensemble pourrait emmener de supers résultats. »

 

  • Faux dilemmes

Dans ces faux dilemmes, peuvent être intriquées plusieurs affirmations (voir Plurium).

« On peut se demander ce qu’il faut préférer, est-ce qu’on peut préférer une thérapeutique dont l’efficacité est démontrée mais faible, ou une thérapeutique dont l’efficacité est indémontrée mais forte. »

Une séance de shiatsu
Shiatsu

Ce faux dilemme incorpore des affirmations qui peuvent passer inaperçues mais qui demandent pourtant à être étayées ; la personne affirme au passage que les thérapeutiques dont elle parle on une efficacité démontrée mais faible, ou une efficacité non démontrée mais forte.  

  • Effet paillasson sur « efficacité »

Je crois qu’une des confusions centrales de cette émission réside dans la confusion  » efficacité non spécifique » et « efficacité spécifique » d’un traitement. Lorsqu’un des intervenants parle d' »efficacité indémontrée mais forte« , je pense qu’il sous-entend que beaucoup de personnes vont mieux après avoir suivi tel ou tel traitement, d’ou l’efficacité qualifiée de forte, mais que l’on n’a pas recueilli ces améliorations lors d’une ou plusieurs études, d’où l’efficacité indémontrée. Le problème est le suivant : on ne peut pas savoir si l’amélioration de l’état de santé des patients constatée (si elle est bien avérée) est liée au traitement ou à d’autres facteurs : effets dits « placebo » (ou effets contextuels, voir par exemple l’excellent article de J. Brissonnet sur le sujet), évolution naturelle de la maladie, et tant d’autres etc. Le traitement peut être efficace sans avoir d’efficacité spécifique (liée uniquement aux modalités du traitement en lui-même). A ce sujet, voir « Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles ».

Dans cet autre extrait,

« il y a une efficacité qu’on ne peut pas expliquer scientifiquement actuellement, mais il y a une efficacité »

il est plus raisonnable de supposer que l’efficacité « inexpliquée » peut en fait s’expliquer par nos connaissances concernant les effets non spécifiques associés à tout traitement.

Ce qui est assez étonnant, c’est qu’un auditeur prénommé Jean-Paul, envoie durant l’émission un courriel contenant une explication pertinente du phénomène d’évolution naturelle des maladies : 

 « La plupart des affections qui nous affligent tout au cours de notre existence ont tendance à se résoudre d’elles-mêmes, ce phénomène de guérisseurs donne prise à toute pratique rebouteuse ou autre qui prend appui sur ce phénomène de guérison spontanée pour se vendre comme efficace. »

À cela, lui est répondu :

« C’est un argument qui tient la route puisqu’il y a souvent ce phénomène de régression liée à l’histoire naturelle de toute affection ».

Puis :

« C’est pour ça qu’il faut des études pour qu’on essaie de mieux appréhender l’efficacité »

ce qui est en pleine contradiction avec ce qui a été dit précédemment, la même personne ayant affirmé à plusieurs reprises l’efficacité démontrée des pratiques dont il est question ici. 

À plusieurs reprises les intervenants soulignent les difficultés méthodologiques qu’ils pensent rencontrer pour étayer l’efficacité spécifique de leur pratique : 

« Il y a une difficulté extrême d’évaluer ces pratiques qui vont à l’encontre de nos méthodes d’évaluation qui ne doivent pas dépendre du thérapeute » 

 « L’intervention d’un coupeur de feu va avoir une conséquence sur la cicatrisation et sur la consommation de morphine qui est objectivable mais il n’y a pas d’étude qui soit méthodologiquement valable, c’est pas publié, on observe des choses, on peut constater que ces patients vont mieux, consomment moins d’antalgiques, mais encore une fois il manque une vraie évaluation qui soit scientifiquement valable, ce qui est une vraie difficulté, alors peut-être que ces méthodes d’évaluation ne sont pas adaptées, alors peut-être que d’une manière générale elles ne sont pas adaptées à des notions de bien-être et de vision globale du corps »

Pourtant, de nombreux guérisseurs, magnétiseurs, voyants et autres personnes pensant avoir un don, une capacité particulière, ont déjà été testés de manière rigoureuse, au sein par exemple du laboratoire zététique de Nice, ou même à Grenoble (voir La Kinésiologie Appliquée à l’épreuve du CORTECS, ou le protocole magnétiseur de l’Observatoire zététique). Une autre intervenante est pour sa part plus optimiste quant aux possibilités de tester les capacités de ces praticiens : 

« Pour nous tester il suffirait de nous mettre en présence de pathologies et de tester nos capacités ».

C’est pourtant très facile de montrer l’efficacité propre de ces soins ? Au sein du CORTECS, nous serions ravi.e.s de pouvoir collaborer et élaborer des protocoles avec des personnes qui souhaiteraient tester leurs capacités.  

ND 

Best of – Les meilleurs dossiers Z du semestre 20, mai 2015

Comme chaque année depuis exactement 10 ans, les étudiant-es qui suivent le cours Zététique & autodéfense intellectuelle à l’Université Grenoble-Alpes rendent des dossiers. Certains sont vraiment très bons, et méritent d’être diffusés. Cândido Godoi la « ville » des jumeaux, la route de Bimini, la table oui-jà, les capacités de reconnaissance d’ossement par les éléphants, l’influence de la musique sur les chèvres et le lait qu’elles produisent et le terrifiant mystère de la tartine beurrée.

Notez bien que pour des étudiant-es de 1ère et 2ème année, ce type de travail d’enquête est souvent une première pour elles-eux, aussi la forme est-elle parfois décousue, et les fautes pléthoriques. Peu importe : ce qui compte est la qualité de la recherche.

Le CORTECS sur les ondes – Albin Guillaud, sur l’ostéopathie

Le 4 mai 2015, Albin Guillaud du CORTECS était invité par la Radio Télévision Suisse, dans une émission scientifique appelée CQFD. Bastien Confino avait demandé au collectif un contrepoint sur la question ostéopathique. Voici un peu plus de 20 minutes sur le sujet, en espérant que cela contribue au libre choix de chacun, mais avec une connaissance de cause plus appuyée – c’est le cas de le dire.

Le site de l’émission est ici. Pour écouter l’extrait portant sur le sujet ostéopathique, c’est ci-dessous.

Albin Guillaud
Notre Albin à nous

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Affiche des conférences gesticulées de Jérémy

Un kiné qui gesticule : Jérémy Muccio et l'entreprise médicale

Le mois dernier, nous relayions le travail de Nicolas Gaillard réalisé au sein de la SCOP l’Orage. C’est en farfouillant parmi d’autres conférences gesticulées – un des outils des SCOP – que je suis tombée sur celle de Jérémy Muccio, kinésithérapeute en Poitou-Charentes, intitulée L’entreprise médicale nuit gravement à la santé, filmée en 2013. Depuis lors, nous échangeons régulièrement avec Jérémy. Il a bien voulu se prêter au jeu de l’interview pour nous présenter son parcours, et a accepté de mettre à disposition pour toute lectrice et lecteur du CORTECS un extrait audio de sa dernière présentation, où il distille quelques outils d’esprit critique et contribue à diffuser un pan de l’histoire des luttes sociales, avec humour, entrain, et maîtrise.

– Tout d’abord, pourquoi t’être lancé dans la création d’une conférence gesticulée pour traiter le sujet de la pratique libérale dans le milieu de la santé ?

Affiche des conférences gesticulées de JérémyEn fait, j’ai le sentiment que tout a commencé comme un cri, une envie de dénoncer et de raconter toutes les choses que je trouvais choquantes, incohérentes et injustes auxquelles j’étais confronté dans le milieu dans lequel j’exerçais, celui de la santé. Et qui plus est par le prisme du monde libéral, que je connais bien, l’ayant pratiqué pendant 10 ans environ. 

Petit à petit, mon propos s’est étoffé, et s’est ouvert sur des horizons bien plus larges, politiquement et philosophiquement parlant. Comme sur la santé elle-même, sur ce qu’elle est et représente dans notre société. Sur notre système de santé (Sécurité Sociale) aussi, son histoire populaire, ainsi que les conséquences sociales et politiques des choix gouvernementaux le concernant depuis plus de 30 ans. Le tout en évoquant en parallèle mon parcours personnel. Histoire aussi d’expliquer pourquoi aujourd’hui je pense comme je pense. Donner aux gens les clés de ma propre analyse et ma compréhension du système dans lequel je travaille. Reprendre en quelque sorte la parole aux soi-disant experts ayant voix au chapitre, qui nous ont confisquée cette parole et qui nous disent comment et quoi penser. En somme, faire de l’éducation populaire.

– Quel est le public touché ?

Au départ je destinais ma conférence gesticulée aux étudiants et futurs diplômés en masso-kinésithérapie. Leur raconter mon expérience, mon vécu, pour qu’ils puissent se rendre compte dans quel milieu ils s’apprêtaient à évoluer. Et puis, finalement, je me suis dit que ma conférence pouvait et devait sensibiliser une audience plus large, à savoir non seulement tout type de professionnels de santé, patients et futurs patients, mais aussi et surtout les citoyens que nous sommes.

– Qu’est ce que tu attends de tes conférences ?

Jérémy Muccio avec sa guitare lors d'une présentation de sa conférenceQuand on se forme à l’outil d’éducation populaire qu’est la conférence gesticulée, on comprend qu’elle est un savant mélange entre savoirs chauds (les savoirs acquis de l’expérience, … dits illégitimes) et savoirs froids (les savoirs universitaires, qu’on trouve dans les livres, … dits légitimes). Et que, comme dans l’air, où l’air chaud et l’air froid ne peuvent se mélanger mais provoquent des orages, j’attends, comme toutes celles et ceux qui portent une conférence gesticulée, que cela provoque des orages dans les têtes. Que ça fasse réagir et réfléchir. Que ça puisse créer du temps de cerveau disponible pour la révolution. Rien que ça !

– Comment as-tu découvert la zététique, l’esprit critique ?

Fin 2014, une collègue kinésithérapeute et membre du Cortecs, Nelly Darbois, m’a contacté après avoir vu sur internet une vidéo de ma conférence. Après avoir échangé sur son contenu, commun avec l’un des objectifs du Cortecs à savoir la démarche critique politique, et présenté le travail du Cortecs, elle a aussi pointé, avec justesse et bienveillance, les approximations et autres erreurs en terme de rigueur et de méthode scientifique de ma propre conférence.
Du coup, après avoir longuement parcouru le site du Cortecs, ses articles et ses travaux, et après avoir lu (voire dévoré) l’ouvrage de N. Pinsault et R. Monvoisin, Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles j’ai décidé de me pencher plus sérieusement, non seulement dans ma conférence, mais aussi dans ma pratique professionnelle, sur le travail de démarche scientifique et d’esprit critique et d’en utiliser ses outils.

– Et depuis, en quoi ces outils t’aident dans ta conférence ou dans ta pratique quotidienne ?

Tout d’abord ces outils m’ont permis de revoir ma conférence dans son ensemble. Pas forcément sur le fond, mais sur sa forme. La rendre toujours plus juste, moins approximative. Je ne dis pas que j’y suis complètement arrivé, le chemin est long, mais petit à petit je pense y parvenir. Puis, j’ai ouvert un chapitre sur la démarche critique en elle-même, et comment elle peut nous permettre de nous faire une idée critique sur les choses qu’on nous propose. Je prends notamment l’exemple du jeune kinésithérapeute diplômé, à qui on va faire miroiter monts et merveilles tant dans les spécialités post-diplômes ou les machines de physiothérapie qui soignent tout ou presque. 

Extrait de la conférence gesticulée de Jérémy présentée au Festival des Ressorts le 14 mars 2015 à Lamothe-Landerron (33), où il présente la charge de la preuve, la réfutabilité et la commensurabilité des théories. Dans cet extrait, Jérémy emploie le terme de « charlatan ». Il lui préfère en fait celui de « praticien.ne.s », moins connoté, ces praticien.ne.s étant le plus souvent de bonne foi et convaincu.e.s d’œuvrer pour le bien-être de leurs patient.e.s.

Mais il va sans dire que tous ces outils peuvent être utilisés par tout le monde, pas que les professionnels de santé, et en toute occasion.

Pour ce qui me concerne, dans ma pratique quotidienne, j’essaye depuis de rendre accessible et compréhensible auprès de mes patients mes choix de traitement les concernant, et les impliquer dans ceux-ci. Leur expliquer comment se fonde mon analyse de leur pathologie, afin qu’ils comprennent au mieux leur condition et comment y remédier.

– Après ta conférence, y a-t-il des débats ou des échanges ? Si oui, sur quoi portent-ils, et comment cela se passe ?

Pour tout dire, la conférence gesticulée n’est que la première partie de l’outil d’éducation populaire que je propose. Il doit être complété par un atelier où les personnes présentes lors de la conférence peuvent mettre à profit leur réflexion, travailler différents sujets, et pourquoi pas par la suite se regrouper et agir localement (volonté de création de maison de santé communautaire par exemple).

Et là encore, les outils de démarche critique sont d’une grande utilité pour mener à bien ce type d’atelier, couplés bien sûr avec des méthodes de travail issues de l’éducation populaire.

Il est possible d’assister à la conférence de Jérémy :

– le 30 avril 2015, à l’IFMK (Institut de Formation des Masseurs-Kinésithérapeutes) de Poitiers ;

– le 14 juin 2015, à Nantes ;

– le 26 juin 2015, à La Chapelle sur Erdre.

Le site des conférenciers gesticulants : ici.

ND

Vidéo – Nicolas Pinsault, tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles

La conférence de notre Nicolas Pinsault à nous, « Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles », tirée de l’ouvrage éponyme, s’est déroulée à Versailles le 14 mars 2015, sur invitation des Amis du Monde Diplomatique. Elle a été enregistrée par l’association Rosa Luxemburg.

Très peu de gens connaissent la différence entre kinésithérapeute, ostéopathe, kinésiologue, chiropracteur et rebouteux. Et vous ? À qui allez-vous confier votre corps ? L’offre est immense : d’un côté, le monde du bien-être, où se mêlent massages et coaching thérapeutique ; de l’autre, des techniques manuelles douteuses, parfois dangereuses, toujours séduisantes. Au milieu, si le patient est perplexe, le kinésithérapeute l’est aussi. Secoué par les modes, submergé par le marketing et tiraillé par des enjeux commerciaux, il assiste au boom des thérapies alternatives et subit le refus croissant des parcours classiques de soin. Parviendra-t-il à faire de son domaine une vraie discipline, aux outils fiables, à l’éthique solide ?
Ce livre posera des questions à tous les professionnels de santé, mais il s’adresse d’abord aux patients confiant leurs ossements à des mains pétrisseuses, et surtout aux étudiants kinésithérapeutes qui rêvent de forger une réelle épistémologie de leur profession. Il fournit une panoplie d’outils méthodologiques pour identifier les pièges rhétoriques, de raisonnements et d’interprétation, afin de distinguer science et pseudoscience, soin et pseudo-soin, loin du prêt-à-penser.

https://www.youtube.com/watch?v=ZXxBczVuqmc
https://www.youtube.com/watch?v=n8sxeOXSZb0
https://www.youtube.com/watch?v=SUYmtCPryoM
https://www.youtube.com/watch?v=9A4FkQI4IwA
https://www.youtube.com/watch?v=oijrebMnsBI
https://www.youtube.com/watch?v=7BKwSRgKSJ4

 

Un guérisseur, rebouteux, magnétiseur et réflexologue

A décortiquer – "Guérisseurs, magnétiseurs, coupeurs de feu… que dit la médecine ?", France Inter, janvier 2015

Logo de l'émission La tête au carréLa Tête au carré est l’émission quotidienne de France Inter qualifiée de scientifique. Hélas, la rigueur scientifique est loin d’être toujours au rendez-vous, les thèmes et invités sont très inégaux. Mais ces émissions nous permettent de ne jamais être à court de ressources propices à l’application des outils critiques. 

Le résumé donne le ton : 

Rebouteux, magnétiseurs ou coupeurs de feu…. Les guérisseurs en tout genre suscitent de plus en plus d’intérêt. Grâce à leurs mains, ils soulagent les patients. Certains services d’urgence font appel à eux, notamment pour des grands brûlés, et des hôpitaux à la pointe de la technologie, comme en Suisse ou aux États-Unis, les intègrent dans les traitements afin d’optimiser les résultats. Pourtant leurs pratiques restent un mystère pour la science, qui ne parvient pas expliquer les mécanismes de ces médecines traditionnelles. Quels sont les recours des patients à ces thérapies alternatives ? Comment sont-elles perçues par le corps médical ? Comment favoriser le dialogue entre les guérisseurs et les médecins ?  

Avec Christophe Limayrac (guérisseur, rebouteux , magnétiseur et réflexologue), Isabelle Nègre (médecin anesthésiste réanimateur, spécialiste de la douleur), Isabelle Célestin-Lhopiteau (directrice de l’IFPPC, Institut français des pratiques psycho-corporelles, présidente de l’Association Thérapies d’Ici et d’Ailleurs, psychologue, psychothérapeute au Centre d’évaluation et de traitement de la douleur du Centre hospitalier universitaire Bicêtre).

Voici l’émission audio (durée avec coupure des musiques : 31 min) :

 Télécharger : Guérisseurs : que dit la science ?. Ou la page de l’émission.

Aidez-nous à repérer les biais de raisonnement, les erreurs épistémologiques et à les analyser !

ND

Un canard de bain, jaune

L'insubmersible canard de bain* : la fasciathérapie "méthode Danis Bois"

Suite à sa mise en ligne sur le CORTECS, le mémoire « La fasciathérapie « Méthode Danis Bois » : niveau de preuve d’une pratique de soin non conventionnelle » a été envoyé à une fasciathérapeute enseignante à l’Ecole Supérieure de Fasciathérapie. Cette dernière nous a cordialement répondu et a transmis le mémoire à Danis Bois. Nous proposons ici dans son intégralité l’analyse de Danis Bois qu’il nous a transmis le 22 juin 2012. Nous avons cependant reçu l’autorisation pour sa diffusion seulement en Septembre 2013. Nous publions également la réponse que nous lui avons communiquée en juin 2012, restée sans réponse à ce jour. Nous y avons apporté quelques modifications, signalées, prenant en compte certains travaux survenus entre-temps. En début d’article, nous ajoutons les résultats d’une recherche dans la littérature scientifique des travaux parus depuis.
* Le titre, l’insubmersible canard de bain, est emprunté entre autres au magicien James Randi, qui l’emploie pour désigner des assertions ou théories qui ont tendance à perdurer, à remonter à la surface, quels que soient les coups (ou réfutations) qui leurs sont portés.

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Le Cortecs dans Le Monde Diplomatique, décembre 2015

Dans l’édition de décembre du Monde Diplomatique est paru un article co-écrit par Richard Monvoisin et Nicolas Pinsault. Ils y soulèvent une nouvelle fois l’importance de l’enseignement et de la mise en place de la démarche scientifique chez les professionnel.le.s de santé et notamment chez les kinésithérapeutes. Le titre initial, dont les auteurs étaient très fiers, était « La kinésithérapie : entre la poire et le faux mage », mais le journal a changé le titre, perdant en route, à notre grand dam, l’essence du jeu de mot. Qu’importe ! Voici l’article. Les lignes introductives sont rédigées par le journal. En bas, une réaction parue dans le Monde diplomatique de mars 2016, et notre réponse.

 

La kinésithérapie piégée par les mages

En septembre dernier, la Cour des comptes dénonçait la progression des dépenses en kinésithérapie. Ostéopathie, chiropractie, haptonomie : l’engouement pour les thérapies manuelles conduit à s’interroger plus largement sur l’information des patients et sur l’efficacité de certaines pratiques. Ne faudrait-il pas replacer la démarche scientifique au cœur de ce type de soins ?

Illustration du Monde Diplomatique : Valentine Hugo. – « Objet », assemblage d’objets divers, issu de la collection André Breton, 1931
Illustration du Monde Diplomatique : Valentine Hugo. – « Objet », assemblage d’objets divers, issu de la collection André Breton, 1931

La demande de soins du corps ne cesse de croître et entraîne un engouement pour les traitements manuels. Mais l’émiettement de l’offre laisse perplexe : kinésithérapie, ostéopathie, chiropractie, biokinergie, kinésiologie appliquée ou microkinésithérapie ; même les professionnels en perdent leur latin

! Pour la personne en attente de soins, faire un choix revient à jouer à la loterie.

Les raisons de ce flou sont multiples. Sur le plan pratique, la technique la plus saugrenue peut donner l’illusion d’être efficace : l’écoute, le toucher et l’empathie contribuent à produire certains bénéfices de l’effet placebo 1. Sans bienfaits spécifiques démontrés scientifiquement, beaucoup de gestes semblent « marcher » et satisfont les patients… à court terme. Dans ce domaine comme pour les autres pratiques médicales, seules les preuves acquises par l’expérience clinique permettent de déterminer les thérapies efficaces. Or, très peu de thérapeutes manuels s’y réfèrent : bon nombre préfèrent suivre leur ressenti, bien moins chronophage et qui semble leur conférer une sorte de don.

Quand bien même certains praticiens souhaiteraient tester leurs hypothèses, il n’existe pas, en France, de cursus de troisième cycle propre à la kinésithérapie et encore moins de conseil national des universités chargé de cette discipline. Une majorité de médecins la considèrent avec condescendance, lui laissant peu d’autonomie dans les services de soins et si peu de place dans leurs laboratoires que cela empêche la production d’études.

Les groupes de pression des ostéopathes et des chiropraticiens sont à l’œuvre pour faire évoluer la réglementation en leur faveur 2, tandis que les structures de représentation des kinésithérapeutes peinent à renforcer les fondements de leur discipline. Avant 2014, le Conseil national de l’ordre des kinésithérapeutes était lui-même frileux à l’idée d’énoncer des avis sur les soins non conventionnels et de poser des démarcations franches avec la médecine non scientifique. Cette convergence de facteurs crée un invraisemblable flou épistémologique, plus rien n’étant testé méthodiquement. Personne ne paraît savoir ce qui fonctionne ou pas, ni ce qu’il faudrait valider scientifiquement ou faire rembourser par la Sécurité sociale.

La confusion actuelle trouve son origine dans une histoire chaotique : la masso-kinésithérapie, dénomination franco-belge pour ce que l’on appelle ailleurs « physiothérapie », est un assemblage de compétences issues de professions plus ou moins concurrentes. Au début du XXe siècle, techniques médicales et gymnastiques cohabitent avec des méthodes de rebouteux. Avec la Grande Guerre et ses cohortes d’estropiés, la demande en rééducation explose pour alimenter le front en hommes. Les médecins, submergés, s’adjoignent des auxiliaires médicaux, infirmières en tête, formés à la hâte pour remettre debout rapidement ceux qui peuvent l’être.

Science ou mysticisme ?

C’est en 1946 qu’intervient la reconnaissance des compétences communes fondées sur le massage et la gymnastique médicale, par la création d’un diplôme d’Etat de masseur-kinésithérapeute. Il faut attendre 1989 pour voir la profession encadrée par un décret, encore en vigueur pour les étudiants déjà engagés dans une formation et qui ne fait aucune mention de la recherche ou des pathologies ayant émergé depuis. Adopté en 2000, un deuxième décret, relatif cette fois aux actes professionnels et à l’exercice de la profession de kinésithérapeute, change considérablement la donne : les praticiens passent alors du statut d’exécutants à celui de décideurs, responsables de la planification thérapeutique non seulement vis-à-vis du patient, mais aussi des médecins prescripteurs et de la caisse primaire d’assurance-maladie.

Cette responsabilité accrue aurait nécessité la structuration d’une discipline dotée de frontières claires. Hélas ! la profession se voit aujourd’hui débordée, d’un côté, par les instituts de soins et de bien-être et, de l’autre, par des thérapeutes autoproclamés usant de techniques souvent sans aucun fondement, truffées de concepts révélés divinement à des maîtres qui furent fréquemment des pasteurs, évangélistes ou adventistes.

Trier ce qui relève de la démonstration scientifique de ce qui procède de ressentis ou d’illuminations mystiques demande des compétences plutôt austères, peu appréciées des professionnels. Il faut savoir lire les essais cliniques, quand ils existent, et comprendre les méta-analyses de la littérature scientifique. Or le décret de 1989 n’impose aucune formation à la méthodologie dans les cursus. La réforme engagée depuis dix ans et formalisée le 2 septembre 2015 par la publication d’un décret et d’un arrêté relatifs au diplôme d’Etat de masseur-kinésithérapeute devrait améliorer la situation pour les étudiants entrés dans les instituts à compter de la rentrée 2015-2016. Après une première année universitaire, ils suivront quatre ans de formation en institut, soit une année de plus qu’aujourd’hui. Toutefois, aucun grade universitaire ne leur sera délivré.

Pour choisir un kinésithérapeute, le patient n’a que le bouche-à-oreille, la réputation, la proximité, la possibilité d’une prise en charge financière, quand ce n’est pas simplement le hasard d’une rencontre ou d’une recherche sur Internet. Devrait-il regarder les conditions d’exercice et les compétences respectives des professions ? Pas si simple ! Certes, la kinésithérapie demeure, dans le domaine des soins manuels, la seule profession de santé au sens réglementaire3, avec un exercice conventionné et soumis à prescription médicale. Les ostéopathes et les chiropraticiens ne sont ni conventionnés ni remboursés… mais de mieux en mieux reconnus administrativement. Ils sont même enregistrés au répertoire national des certifications professionnelles avec un niveau supérieur à celui des kinés, et ce en dépit de corpus théoriques originels quasi religieux et qui s’appuient sur une maigre documentation. L’ostéopathie est ainsi née d’une « vision épiphanique » reçue le 22 juin 1874, à 10 heures précises, par Andrew Taylor Still, son fondateur… Les techniques d’ostéopathie dont l’efficacité est démontrée ne sont pas propres à cette discipline. Et toutes les méta-analyses de littérature concluent à l’existence de biais méthodologiques dans les essais cliniques des deux champs qui lui sont spécifiques (ostéopathies viscérale et crânio-sacrée). C’est à n’y rien comprendre : alors qu’il faut voir au préalable un médecin pour obtenir des séances de kinésithérapie, un patient peut consulter directement n’importe quel professionnel de la « manipulation ». D’ailleurs, certains médecins dispensent eux-mêmes des thérapies manuelles, ce qui peut rassurer, mais ne confère pas plus d’assise scientifique aux techniques employées.

Ajoutant à la confusion, les soins de kinésiologie, d’étiopathie, de microkinésithérapie ou de biokinergie — autant de pratiques sans fondements scientifiques — sont souvent dispensés par l’un des 83 000 masseurs-kinésithérapeutes répertoriés en France4. Un tiers des 20 000 ostéopathes recensés sont aussi kinés, certains n’hésitant pas à jouer sur cette polyqualification pour que leurs patients puissent se faire rembourser des techniques propres à leur école. Et que dire quand l’hôpital public propose l’haptonomie (« art du toucher affectif ») dans les maternités, le barrage de feu pour les brûlés ou la réflexologie pour les cancéreux — méthodes qui n’ont jamais montré d’efficacité au-delà de l’effet placebo ?

Pourtant, les patients semblent enchantés. Et pour cause : explications simples, unicausales ; thérapie qui peut tout avec un soupçon de magie, d’enchantement et une pincée d’orientalisme ; thérapeute qui fait appel à ses émotions ; prise en charge plus longue, personnalisée ; corpus souvent mystique, qui donne un « sens » au pourquoi des souffrances. Alors que le médecin paraît souvent pressé, le pseudothérapeute rassure par sa présence : mi-gourou, mi-chaman. Les bénéfices contextuels de l’effet placebo opèrent.

L’engouement pour les thérapies manuelles n’est pas sans poser des questions politiques. L’essentiel des thérapies « alternatives » impute les souffrances à l’individu lui-même. Chacun devient sinon la propre source de ses malheurs, du moins le porteur de la solution pour les évincer : en évitant les ondes, en harmonisant ses énergies ou en ouvrant ses chakras. Exit l’analyse socio-économique du mal-être. La déprime peut être due à un petit chef autoritaire, à un harcèlement ou à un boulot éreintant, qu’importe : injonction est faite de chercher en nous la cause de notre tourment. Cette individualisation des problèmes pulvérise toute contestation sociale.

Sur le plan économique, si la kinésithérapie a son contingent de libéraux qui savent faire du chiffre en « occupant » une demi-douzaine de patients simultanément par des « ateliers » de soins, elle reste ancrée fondamentalement dans le modèle de sécurité sociale hérité du Conseil national de la résistance. En revanche, l’ostéopathie repose, comme d’autres techniques, sur un modèle collant à la doctrine libérale et à un système de soins rendu de plus en plus concurrentiel par la lente déréglementation des professions de santé. Ce nouveau cadre contraint moins les thérapeutes à soigner le patient qu’à satisfaire une clientèle que les professionnels se revendent. Un marketing truffé de concepts usurpés soutient l’ensemble. Ainsi en est-il, par exemple, de la « vertèbre déplacée », d’autant plus facile à « remettre en place » que l’on dispose du « cracking », l’art de faire craquer les articulations, dont la seule vertu thérapeutique est de donner au patient l’illusion que quelque chose s’est produit 5. On voit prospérer des thérapies à la sauce quantique, avec une incompréhension complète de la physique ; des recherches de chocs affectifs « engrammés » dans une mémoire des tissus ; des chirurgies psychiques, avec des ustensiles invisibles appartenant à une autre réalité. Nombre d’autres concepts du même genre se propagent dans un va-et-vient curieux à l’égard de la science : quand celle-ci semble cautionner une thérapie, ses promoteurs s’en revendiquent ; lorsqu’elle paraît la récuser, la démarche scientifique devient le mal absolu.

Prendre la satisfaction du patient comme seule référence de la qualité d’un soin revient à considérer ce soin comme un produit de consommation parmi d’autres. Or ce que le patient vient acheter n’est pas qu’une denrée, la solution à son problème, mais une confiance. La relation patient-professionnel ne pourrait à la rigueur devenir commerciale que dans la mesure où le patient en saurait autant que le thérapeute. Dans la réalité, le malade est inquiet, les proches aussi, et le thérapeute, même attentif, n’a pas, lui, à faire confiance à son patient. Dans un tel déséquilibre, l’espoir peut se monnayer. Et il n’est pas moralement justifiable de proposer une libre concurrence dans un marché de la confiance, sauf à placer le médecin de clinique privée, le visiteur médical, le kiné libéral, l’ostéo, le chiro, le rebouteux, l’assureur et le pasteur évangélique charismatique sur un même pied.

Le ressenti personnel ne suffit pas

On pourrait juger anodin le flou des frontières entre thérapies et pseudo-thérapies, y voir le vestige d’une querelle de chapelles. Mais n’est-il pas dérangeant de voir les contributions de tous à l’assurance-maladie payer des actes de soin dits non conventionnels pratiqués par des professionnels conventionnés ? Faire le tri des sollicitations est donc une nécessité. Or cela impose rigueur et méthode. Il ne suffit pas qu’un patient aille mieux pour valider l’efficacité d’une technique : il faut qu’il aille mieux que s’il n’avait pas reçu le traitement, et même mieux que s’il avait reçu un placebo. Enfin, il faut que son cas ne soit pas traité seul, mais dans des groupes représentatifs. Le ressenti personnel, hélas, n’est pas bon juge, car fortement suggestible.

Pour apprendre rigueur et méthode, rien de mieux que la formation par la recherche. Et c’est là qu’un nouveau problème d’ordre politique survient, avec la dépendance croissante de la recherche vis-à-vis des financements privés dans un contexte de mise en concurrence des chercheurs et de leurs laboratoires. Or, si l’on excepte quelques gadgets à la mode, comme les plates-formes vibrantes ou les bandes adhésives colorées K-Tape, les thérapies manuelles n’intéressent pas les industries. Faute d’investisseurs ou de moyens universitaires comme il en existe en Nouvelle-Zélande et en Australie, la recherche reste faible en France.

Confier sa santé, son dos, ses articulations à quelqu’un mérite une grande prudence. Seule la compétence scientifique du praticien, couplée à une prise en charge personnalisée, peut amener les patients vers le mieux-être et, surtout, vers des choix thérapeutiques effectués en connaissance de cause. Sans réflexion approfondie sur son rôle et ses responsabilités, le kinésithérapeute d’aujourd’hui peut ressembler au soignant de 1914, courroie de transmission de l’oppression des masses laborieuses par un travail usant. Sans formation spécifique à la culture expérimentale, il aura plus de mal à éviter les modes et à ignorer les fluctuations du marché. Sans bases méthodologiques et sans système universitaire pour les transmettre, il n’aura aucun moyen de savoir si une thérapie séduit par son efficacité propre ou par l’imaginaire qu’elle véhicule. Le retour à la science et aux pratiques fondées sur les preuves ne relève pas du scientisme, mais constitue la seule planche de salut.

Richard Monvoisin & Nicolas Pinsault. Respectivement kinésithérapeute, enseignant à l’école de kinésithérapie de l’université de Grenoble, et didacticien des sciences au Collectif de recherche transdisciplinaire esprit critique & sciences (Cortecs). Auteurs de Tout ce que ce vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles, Presses universitaires de Grenoble, 2014.


En mars 2016, le conseil d’administration du Centre international de recherche et de développement de l’haptonomie a fait paraître au Courrier des lecteurs du Monde diplomatique. Bien qu’ils n’aient pas directement pris soin de nous écrire, il est de bon ton de répondre ensuite pour l’évolution du débat. Les coupes ne sont pas de nous mais du journal.

L’haptonomie est une science expérientielle. Est expérimentale une science qui expérimente avec des objets… d’expérimentation. Est expérientielle une science qui suppose que le sujet vive lui-même l’expérience pour percevoir ce dont il s’agit et ses effets. (…). Vous prônez la mesure (au sens de l’appareil), le « scientifique », donc l’objectif. Nous prônons le subjectif. Cependant, l’émergence et le soutien du sujet n’empêchent en rien la recherche et la monstration. (…) Nous avons publié des études qui remplissent les critères scientifiques habituels (…). Nous ne saurions que vous inciter à en prendre connaissance. Vous y (re)découvririez le sens de ce mot latin que vous répétez à l’envi, placebo : « je plairai », « je serai agréable ». Il est étrange de constater que le plaisir a pris, pour la science, la connotation négative que vous soulignez avec force. Pour l’haptonomie, le plaisir devrait être sus-jacent à tout acte humain, la vie comprise. Bien sûr, il ne s’agit pas de n’importe quel plaisir plus ou moins égoïste, mais d’un plaisir mâtiné d’éthique, qui tienne compte de l’autre.

Merci de votre retour. Même si nous sortons du cadre de l’ostéopathie crânienne ici, nous avons étudié de près l’haptonomie, à l’occasion du livre « Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles » (PUF, 2014). Nous avons lu Frans Veldman, entre autres. Nous vous indiquons le passage que nous avons rédigé sur le sujet ci-contre – et nous serions friands de pouvoir le revisiter.

Une science expérientielle subjective est une énigme pour nous. Si un épisode de vie peut l’être évidemment (une extase, une joie, etc.) une science subjective est un oxymore. Si effectivement votre science est subjective, quelles sont les raisons de penser que votre discipline aie un intérêt pour autre que vous-même ? Or dès que vous pensez que la démarche haptonomique peut être utile à d’autres personnes, vous rentrez dans l’objectivation. Alors inutile de nous grimer dans le stéréotype des « scientistes » avec appareil de mesure. Nous souhaitons juste que soient proposé aux patients des méthodes qui dépassent le plaisir expérientiel d’aller au cinéma, de se promener sur la plage, voyez-vous ?

Pour la fin du courrier, il s’agit plus de procès d’intention, ou de technique de l’épouvantail aussi n’est-il pas nécessaire de poursuivre sur ce point. Nous ne sommes pas ennemis du plaisir, bien au contraire : nous avons goûté écrire cet article, et malgré la forme de votre courrier, y répondre reste un plaisir.

Bien cordialement

RM & NP

Extrait de « Tout ce que… », pp. 110-112
1980 Haptonomie – Frans Veldman (1921 – 2010) (Pays-Bas puis France)

De haptein qui signifie le toucher, le contact, et de nomos, règle, loi, norme : définie comme « science » du toucher affectif ou «  science » du contact psychotactile, cette technique est particulièrement répandue dans le cadre périnatal français et hollandais, et largement présentée dans les hôpitaux publics en préparation à l’accouchement. À l’origine de cette technique, Frans Veldman, « thérapeute » néerlandais, posa sa « théorie » de contact psychotactile par analogie avec les trains de la mort. Selon beaucoup d’auteurs, dont la célèbre Catherine Dolto, « Frans Veldman a vécu dans un wagon où des humains étaient entassés comme des animaux des échanges d’une telle profondeur et intensité qu’après s’en être échappé il a décidé de consacrer sa vie à développer et comprendre ce que les humains pouvaient gagner à la compréhension de ces échanges non verbaux (…) » (Dolto, 2005).

L’analogie avec l’expérience des trains de la mort durant la seconde guerre mondiale ayant été utilisée plusieurs fois comme expérience décisive pour d’autres auteurs, parmi lesquels le suspecté plagiaire Bruno Bettelheim(1), nous nous sommes méfiés d’une histoire tant de blanc cousue. Beaucoup prêtent à Veldman une déportation (ainsi qu’une évasion) : à la suite d’expériences vécues lors de sa déportation (de Tychey, 2004, p. 37).
Exactement les mêmes mots chez Caroline Eliacheff et Myriam Szejer (2003).
« Frans Veldman a eu l’intuition de ce que serait l’haptonomie lors d’un moment tragique de sa vie. Il racontait comment il avait pu s’évader d’un wagon de déportés grâce à un échange de regards avec un soldat polonais, sans qu’un mot ne soit prononcé entre eux. Dans ces wagons, il disait avoir vu des gens sortir d’eux-mêmes la plus grande humanité et la plus grande beauté. Une fois sauvé – il était jeune médecin –, il éprouva le besoin d’étudier l’importance de l’affectif, de cette communication qui est en deçà et au-delà de la parole, et surtout les moyens d’éviter aux humains d’être acculés au tragique pour trouver en eux cette fraternité. » (Dolto, 2003).
Selon Max Ploquin (NdA ; médecin gynécologue de Châteauroux, haptothérapeute et psychanalyste lacanien), « Frans Veldman est un médecin hollandais, qui, déporté en 1943, se trouvait dans un wagon plombé avec 86 personnes. Beaucoup de promiscuité, impossible de s’étendre pour dormir, un petit coin dans le wagon pour les besoins humains, deux ou trois morts pendant le voyage. Frans Veldman a demandé aux gens de s’accepter, d’accepter le corps de l’autre qui vous touche de trop près, de comprendre comment on peut vivre ensemble ». (Ploquin, 2010).
Nulle trace de cette histoire ailleurs que chez Catherine Dolto et Max Ploquin (malheureusement décédé en 2012).
Catherine Dolto a été contactée, mais sans réponse.
Aucun élément biographique ne nous a permis de vérifier
– s’il a été médecin (il semble que non)
– s’il a été déporté (cela semble très peu probable).

Le centre de formation CIDRH de Veldman (qui a déposé la marque haptonomie authentique) lui-même est plus nuancé :
« Après avoir été confronté à des expériences déshumanisantes en rapport avec la déportation (…)  »
par « la réflexion de Frans Veldman face aux trains de la mort qui emportaient les déportés pendant la guerre  (…)».
À en suivre le centre de formation de Frans Veldman lui-même, c’est probablement plus sur l’intuition qui lui vint en pensant aux déportés, que sur une expérience de promiscuité qu’il n’a en tout état de cause pas eu, qu’est née la méthode. Que l’histoire soit fausse n’est pas important, sauf lorsque toute la théorie repose sur l’analogie de départ. L’absence d’autres faits empiriques étayant l’analogie nous laisse penser qu’il avait décidé en amont de sa théorie, l’orientation qu’il souhaitait lui donner et ne fit que chercher les cas la corroborant. Frans Veldman publia en 2004 haptonomie. Amour et raison, et haptonomie, Science de l’affectivité en 2007.
Catherine Dolto, fille de la psychanalyste Françoise Dolto et du kinésithérapeute Boris Dolto, est la principale promotrice de la méthode.

Scientificité de la découverte : il n’existe pas de publication scientifique par Veldman sur le sujet.

Principe théorique non étayé  : un contact dit « affectivo-psycho-tactile » aurait des effets bénéfiques sur la santé

(1) Outre ses méthodes brutales, Bettelheim a plagié certains travaux. Ainsi, Psychanalyse des contes de fées (1976) a été dénoncé par l’anthropologiste Alan Dundes (1991) comme étant un plagiat de A Psychiatric Study of Myths and Fairy Tales: their origin, meaning, and usefulness (1974) de Julius Heuscher. Pour en savoir plus, Pollak (2003).

Examen sur table de zététique : vous voulez essayer ?

Mardi 16 décembre 2014, 278 étudiant-es de l’Université de Grenoble ont eu deux heures pour en découdre avec l’examen qui suit. Vous voulez essayer ?
Tout document était autorisé. Seules les tablettes, téléphones et autres connectiques étaient refusées, dans la mesure où tout le monde n’est pas équipé de la même manière. Il y avait deux heures pour en découdre. Voici l’énoncé complet et son barème. Top chrono.

 

UET Zététique & Autodéfense intellectuelle
Richard Monvoisin

Table des matières

  • Cours (5 points)
  • Protocoles expérimentaux (5 points)
  • Thérapie (6 points)
  • Analyse de titres de presse (3 points)
  • Énigme zoologique (2 points)
    (Barème sur 21 points)

Cours

Quelles sont les différences fondamentales entre croire (en la gravitation, en l’évolution, en la tectonique des plaques…) et croire (en Dieu, en une volonté cosmique) et quels sont les risques à mélanger ces deux formes de croyance ?

Certains penseurs font l’hypothèse d’une volonté cosmique guidant l’évolution de tout l’univers depuis le début. En quoi le rasoir de Guillaume d’Occam nous est-il utile sur ce point ?

En quoi les deux affirmations suivantes posent-t-elles problème ?

« Comme tout dépend des yeux de l’expérimentateur, aucun énoncé n’est objectif. Donc les discours scientifiques ne sont pas différents des discours culturels : le Big Bang n’a pas plus de réalité que Atlas portant le monde sur ses épaules, ou le disque-monde porté par quatre éléphants, eux-mêmes portés par une tortue gigantesque navigant lentement dans le cosmos. La science n’est qu’une question de point de vue. Au fond, elle est une religion comme une autre, avec son propre clergé : les scientifiques. » Julian Peneck, You couldn’t die from tuberculosis before 1882, Oxvard, 2004.

« Franchement, Assassin’s creed Unit, le Métronome de Lórant Deutsch, Tintin au Congo, etc. ce ne sont que des œuvres d’art. Donc ce n’est pas bien grave si leurs auteurs déforment ou ont déformé la réalité historique. De toute façon, l’histoire est subjective en soi, et il y aura autant d’histoires différentes que de gens pour les raconter ». Guillermó Manillar, Epistemológicamente sin límites, Ed. el viejo topo, 3.12.2014.

 

Protocoles expérimentaux 

Un ami vous dit être capable de savoir à coup sûr si une femme enceinte attend une fille ou un garçon au moyen d’un pendule, qu’il fait tourner sur le ventre de la future maman. Lorsque son pendule tourne dans le sens des aiguilles d’une montre, c’est qu’il s’agira d’une fille, sinon, d’un garçon. Quel type de protocole expérimental zététique mettriez-vous en place pour tester la capacité de votre ami ?

Un (autre) ami vous dit être capable de savoir à coup sûr si une maison est habitée par un revenant (esprit d’un défunt mort dans cette maison) ou non, au moyen d’un pendule qu’il fait tourner sur la photographie de la maison. Lorsque son pendule tourne dans le sens des aiguilles d’une montre, c’est qu’il y a un revenant. Quel type de protocole expérimental zététique mettriez-vous en place pour tester la capacité de votre ami ?

Thérapie

Lors d’un repas, un proche de la famille vous raconte l’affaire suivante : « alors que chaque hiver, je suis sujet à des grippes, cette année j’ai suivi les conseils de mon pharmacien, et j’ai pris de l’homéopathie, en l’occurrence Oscillococcinum®. Et figure-toi que je n’ai pas été malade ! C’est fou, non ? Ma cousine, pareil. Pas un rhume, rien ! Alors on peut dire ce qu’on veut, ça marche. Et pour ceux pour qui ça ne marche pas, au moins ça ne leur fait pas de mal. De toute façon, c’est toujours mieux que de prendre des antibiotiques. »

Quelle analyse zététique faites-vous de ses propos ?

Analyse de titres de presse

Quelles critiques peut-on faire aux titres de presse suivants ?

  • Y a-t-il une malédiction africaine ? par Dov Zerah, Financial Afrik, 29 septembre 2014
  • L’Occident ne tiendra-t-il donc pas le choc des civilisations ?, par Franz-Olivier Biesgert, Le Point, 29 novembre 2014
  • Jeunes partant faire terroristes en Syrie : faut-il les punir ou les enfermer ?, par Garla Gregger, Das ArX-Lor, 2 décembre 2014

Énigme zoologique

À l’état sauvage, certains éléphanteaux sont porteurs de l’allèle d’un gène qui prévient la formation des défenses. Les scientifiques ont constaté récemment que de plus en plus d’éléphanteaux naissaient porteurs de cet allèle de gène (ils n’auront donc pas de défenses devenus adultes). Quelle explication donnez-vous à cette situation ?

Bon courage !
Richard Monvoisin

 

Le corrigé est ici.

Évaluation des pratiques utilisées par des kinésithérapeutes : la biokinergie

indexImpressionné par deux travaux de Master 1 encadrés par des membres du CORTECS, le Conseil national de l’ordre des kinésithérapeutes (CNOMK), a émis deux avis déontologiques sur les pratiques de soins non conventionnelles que sont la fasciathérapie méthode Danis Bois et la microkinésithérapie. En novembre 2013, le CNOMK a commandé un rapport au CORTECS sur le niveau scientifique de la biokinergie : Rapport CORTECS – Biokinergie. Vous en trouverez ci-dessous un résumé.

Résumé

La biokinergie est une pratique de soin inventée au début des années 80 par le kinésithérapeute et ostéopathe français Michel Lidoreau. La biokinergie s’inspire principalement de trois domaines thérapeutiques qui sont la médecine traditionnelle chinoise, l’ostéopathie et la masso-kinésithérapie. Elle dispose également d’un concept de base nommé enroulement biokinergétique.  Les formations en biokinergie proposées par le CERB (Centre d’Enseignement en Biokinergie) s’adressent essentiellement aux médecins, kinésithérapeutes, ostéopathes, éthiopathes et chirurgiens-dentistes.

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Hypothétique enroulement biokinergétique (vue d’artiste)

L’analyse de la documentation scientifique relative à la biokinergie montre qu’il n’est pas possible de conclure aujourd’hui sur son efficacité thérapeutique. En outre, son concept de base, l’enroulement biokinergétique, est à ce jour dénué de fondement scientifique.

Une évaluation scientifique rigoureuse de la biokinergie, à l’aide d’un protocole expérimental, est selon nous réalisable. Comme spécifié il y a plusieurs années lors de l’encadrement d’un mémoire étudiant, nous restons à disposition des thérapeutes biokinergistes pour les aider à évaluer scientifiquement leur pratique.

Suite à ce rapport, le CNOMK a émis un avis déontologique le 25 juin 2014 sur la biokinergie.

Le CORTECS