Dossier étudiant 2016 – Y a-t-il un effet propre des tisanes qui font dormir ?

Ce travail sympathique, frais, et bien emmené a été réalisé par un groupe d’étudiant-es de licence de l’Université Grenoble-Alpes, dans le cours de Zététique & autodéfense intellectuelle en mai 2016. Il prenait appui sur un article de la revue indépendante (des industries) Prescrire, qui indiquait que de toutes les plantes suspectées d’agir sur le sommeil (mélisse, oranger, tilleul, verveine odorante, etc. ) aucune n’avait une efficacité démontrée, hormis éventuellement la valériane (voir ci-dessous). En attendant, c’est là que la pensée critique libère : au fond, peu importe ce que vous mettez dedans, il semble que ce soit le bol d’eau chaude qui aide à dormir. Ça signifie que vous ne serez plus en panique si vous tombez en rade de tisane somnifère. Merci les étudiants !

Du latin tisana (orge mondé puis décoction d’orge qui, dans l’Antiquité, était utilisée contre la fièvre)1, la tisane désigne une « boisson aqueuse contenant une faible proportion d’une substance végétale peu chargée en principes médicamenteux »2.

La tisane est vendue en grande surface, dans les petits commerces, en pharmacies. C’est la vente en pharmacie qui semble des plus intéressantes au delà de son commerce, c’est une spécialité médicale et une science « ayant pour objet la recherche, la fabrication, le contrôle, le conditionnement et la distribution des médicaments »3, le médicament étant une substance employée à des fins thérapeutiques pour rétablir l’équilibre dans un organisme perturbé. Il semble donc convenable, dans ce contexte, de qualifier la tisane de produit pharmaceutique : elle est considérée comme ayant un effet, a priori thérapeutique sur la santé du consommateur. Nous traiterons brièvement, dans notre développement, des intérêts financiers des vendeurs de tisanes, notamment à travers le marketing qui mise sur l’aspect naturel de ces produits. Cependant, la fabrication et l’usage de la tisane peuvent se faire de manière domestique ; sur l’île de la Réunion, les plantes sont très usitées pour leurs vertus médicinales et consommées en tisanes. Autour d’elles est organisé tout un système de croyances et de rites que décrit Jean Benoist (médecin et anthropologue), dans son article « À la Réunion, la plante entre tisane et prière »4

Étudier la tisane suppose donc de commencer par faire intervenir le sens commun : pour la plupart des consommateurs de tisane, cette dernière serait l’une des alternatives aux médications dites « dures », la recherche d’un retour vers le naturel, le « bio ».
Quelles sont les vertus hypothétiques, et prouvées, de la tisane sur le sommeil ? En premier lieu, nous traiterons des différents enjeux que soulèvent le business de la phytothérapie et ses acteurs tout en distinguant santé du corps (bien-être) et santé au sens médical. Ensuite, nous aborderons les différentes plantes utilisées dans la composition des tisanes « qui font dormir » et l’état des recherches sur ces dernières. Pour continuer, nous nous attarderons sur la description de notre entretien avec un pharmacien dans la pharmacie grenobloise de La Mandragore, pour enfin proposer un plan expérimental de recherche susceptible de pouvoir tester l’efficacité propre des différentes composantes communément associées dans la fabrication des tisanes pour le sommeil.

Pour commencer notre analyse, il nous a paru intéressant d’ébaucher une analyse sociologique de l’engouement suscité par la multitude des produits prétendument facilitateurs du sommeil et qui garantiraient le « bien-être » : un concept flou aujourd’hui très en vogue.
Les troubles du sommeil affecteraient un tiers de la population générale (selon Maurice M. Ohayon5) et leur manifestation est traditionnellement divisée en deux classes : les dyssomnies (anomalie au niveau de la qualité et la quantité du sommeil) et les parasomnies, caractérisées par la survenue d’événements physiologiques ou comportementaux qui perturbent le sommeil (e.g. apnée du sommeil). À la vue des chiffres très élevés de prescriptions de médicaments hypnotiques, pour lesquels la durée de traitement doit être limitée et dont la prise entraîne souvent beaucoup d’effets secondaires pénibles (e.g. amnésie antérograde dans le cas de la Zopiclone)6 on comprend mieux l’envie des patients de vouloir améliorer leur sommeil en utilisant des méthodes moins invasives, mais dont l’efficacité n’a bien souvent pas été démontrée scientifiquement. L’industrie pharmaceutique a quant à elle bien saisi les enjeux financiers que soulève ce nouveau marché.

Si, dans la même veine, le marché des compléments alimentaires a lui aussi largement pris son essor et engendré des recettes colossales, alors que l’absence d’efficacité voire la toxicité de bon nombre de ces produits est reconnue (avec un certain cynisme ?) par les industries qui les produisent (Journal Télévisé de 20h du 23 avril 2016 sur France 2)7, cette industrie du bien-être s’est assurément développée dans les sociétés occidentales récemment, en parallèle avec les chiffres des prescriptions d’anxiolytiques. Car si l’efficacité de ces traitements n’est pas toujours prouvée, on peut s’attendre à ce qu’elle soit fluctuante voire inexistante et que certains patients souffrant de troubles du sommeil, en privilégiant ces remèdes, ne passent à côté d’une prise en charge qui serait susceptible de les soulager de leurs troubles.

Un autre aspect de la croissance de cette consommation pourrait être d’ordre conjoncturel et spirituel, puisque le marché estampillé « Bio », et la médecine traditionnelle holiste font l’objet d’un véritable engouement dans le contexte actuel, caractérisé par une défiance à l’égard des grands groupes pharmaceutiques dont la réputation est maintenant entachée par de nombreux scandales très médiatisés (e.g. Mediator, vaccins contre l’hépatite et, plus récemment, la Dépakine). Lors de notre enquête dans différentes pharmacies grenobloises, il nous est apparu que toutes les tisanes, infusions et autres huiles essentielles détenaient toutes le label Agriculture Biologique (AB), l’assurance pour le patient-client d’acheter un produit naturel, exempt de tous les traitements chimiques, également connus et craints pour leurs conséquences néfastes sur la santé8. Après avoir questionné 50 personnes à la sortie des quatre pharmacies visitées sur leur statut perçu (client ou patient) dans une pharmacie, 72 % d’entre eux se considèrent comme des patients et non comme des clients. Toutefois, 78 % d’entre eux estiment que l’achat des adjuvants au sommeil comme les tisanes qui nous intéressent ici ne relevaient pas du domaine du soin mais plutôt de celui du commerce ; ce qui renvoie donc à un modèle « vendeur-client » et non plus à celui du« soignant-soigné ». Cette distinction est importante dans la mesure où elle aide à clarifier la démarche commerciale sur laquelle la vente de ces produits repose ; les industriels cherchent à dépasser le paradoxe ici révélé par le sondage : la vente en pharmacie, le label AB permettent à la tisane sommeil de passer du côté du médicament en quittant l’univers de l’alimentaire alors même que son efficacité reste incertaine.

La vente de ces tisanes et plus généralement de tout facilitateur de sommeil à base de plantes est dopée par un marketing assez agressif : affiches publicitaires, publicités dans les magazines à très grand tirage comme le TV Magazine, etc. Il est cependant difficile de donner une estimation des recettes attenantes à ce commerce, les industries pharmaceutiques faisant preuve d’une relative opacité quand il s’agit de rendre public leurs bénéfices. La vente de ce type de produits en pharmacie repose sur d’autres aspects : le contact avec le client est direct, certaines pharmacies ou herboristeries réalisent elles-même leurs tisanes (cf. partie 3), la proximité et la persuasion sont dans ce contexte des éléments déterminants pour la vente.
Nous avons passé en revue les différentes plantes utilisées dans les tisanes pour améliorer le sommeil, tout en cherchant à cerner leur utilité et leur efficacité.

Dans sa thèse, « Les troubles du sommeil chez la personne âgée : état des lieux sur les thérapeutiques et rôle du pharmacien à l’officine »9

Thibaud Lamotte présente la phytothérapie comme une des thérapeutiques « alternatives » en cas de plainte de troubles du sommeil exprimés par une personne âgée. Dans cette partie, nous traiterons exclusivement des plantes que l’on retrouve dans la composition des tisanes pour le sommeil. D’abord, Thibaud Lamotte assure que les plantes vendues en pharmacie à des fins thérapeutiques sont soumises à des allégations santé délivrées par l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé, une allégation santé étant « une indication ou une présentation qui suggère un lien entre le produit et la santé ». Il ajoute que les allégations santé « sont fondées sur une efficacité prouvée ou reconnue par un usage traditionnel ». Autrement dit, l’usage traditionnel (qui « doit être démontré sur une durée de 30 ans »), n’est pas un critère scientifique objectif pour établir l’efficacité des propriétés d’une plante ; il n’est donc pas nécessaire de prouver l’efficacité d’une plante pour la lancer sur le marché pharmaceutique.

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Il est à souligner que 222 allégations santé sont reconnues et autorisées en Europe. Toutefois, il paraît important de passer en revue les principales plantes utilisées dans les compositions de tisanes pour le sommeil.
La valériane, qu’on retrouve dans les compositions de tisane, est la seule plante dont on puisse penser que son efficacité soit prouvée. Elle sert à « soulager le stress et ses symptômes et faciliter le sommeil » 10 et Thibaud Lamotte va même jusqu’à affirmer qu’elle « comporterait une activité proche de certains hypnotiques prescris à faible dose ». La valériane est donc l’une des rares plantes dont les propriétés soient démontrées, selon cette étude. Cependant, une autre étude, plus ancienne (Taibi et col. 2007)11, nuance ce propos : ces chercheurs pointaient à l’époque le manque de preuves cliniques de cette efficacité tout en mettant en garde contre certains biais. « La concentration de certains constituant de la valériane varie selon que la plante soit fraîche ou sèche et les études sur les extraits de racine sèche ne peuvent être généralisées aux préparations réalisées à base de racine fraîche. »

La passiflore n’interviendrait que dans les troubles légers du sommeil mais l’état des études sur celle-ci reste insuffisant pour se prononcer sur une quelconque efficacité propre. De plus, l’anxiété et le stress étant fortement liés aux troubles du sommeil, l’aubépine et la mélisse sont deux plantes dont les bienfaits supposés aideraient à réduire les « faibles troubles du sommeil ». Dans les deux cas, il n’est pas possible de se positionner scientifiquement quant aux réels bienfaits de ces plantes. Enfin, certaines plantes peuvent avoir une fonction de complément dans la composition des tisanes, notamment le tilleul, dont l’efficacité n’est pas prouvée scientifiquement et dont le qualificatif de « complément » laisse supposer que son action seule serait nulle ou infime.
Deux points méritent d’être soulignés sur les plantes qui viennent d’être listées. Premièrement, la plupart ne sont reconnues que par l’usage traditionnel : cela ne veut pas dire qu’elles ne sont pas efficaces pour réduire les troubles du sommeil, simplement que l’état de recherche sur celles-ci est insuffisant pour présumer de leur inefficacité, autant que de leur efficacité. Deuxièmement, ces plantes sont souvent associées entre elles dans les compositions de tisane : la tisane « Herbesan bio sommeil » associe la mélisse, la passiflore et l’aubépine ; la tisane « Médiflor », elle, associe la valériane, la passiflore, l’aubépine, la mélisse et le tilleul ; quant à la « Tisane provençale N°4 » trouvée en pharmacie, elle est un mélange de tilleul, de passiflore, et d’aubépine. Il est donc impossible de tester l’efficacité de ces tisanes, puisqu’il est impossible, dans le cas des tisanes comportant de la valériane, de vérifier que les autres plantes présentes ont elles aussi des propriétés améliorant le sommeil sans les tester séparément. Pour les tisanes sans valériane, la tache pourrait sembler plus aisée, seulement, on ne connaît pas les potentiels d’association de ces plantes, lesquels seraient susceptibles d’inhiber l’effet de certaines plantes composant le mélange. Il serait donc intéressant de tester les effets associés des différentes substances, mais uniquement après avoir validé leur efficacité individuelle.

Pour compléter ce dossier, nous avons décidé d’interroger des pharmaciens sur les gammes de produits qu’ils proposent dans leurs rayons « Phytothérapie » ; nous en avons visité quatre, mais aucun pharmacien n’a su nous orienter vers une étude démontrant par l’expérimentation les propriétés myorelaxantes/ d’apaisement/ anti-réveils nocturnes etc. des plantes, propriétés que ces mêmes pharmaciens n’ont aucun mal à nous vanter de prime abord.
Nous allons donc, à titre d’exemple, décrire notre visite de la pharmacie de la Mandragore, située en plein centre de Grenoble près de la place Victor Hugo, spécialisée dans la phytothérapie.
Arrivés à la susdite pharmacie, nous constatons la présence d’une imposante étagère en bois sur le côté droit, contenant tout une gamme de produits issus de la phytothérapie et de surcroît faits « maison », allant de l’hydrolat (reste de la distillation lors de la fabrication d’huiles essentielles) aux gélules en passant également par ce qui nous intéresse ici : les tisanes. Nous interpellons donc une des deux personnes présentes dans la pharmacie pour recueillir des informations sur ces dernières ; celle-ci consent à nous expliquer le choix des plantes qui a été fait mais ne peut nous en dire plus sur les fondements scientifiques qui appuient ces choix, n’étant pas pharmacienne titulaire. Cela ne l’a pas pour autant empêché de nous vanter les effets du basilic sur la détente musculaire et de la lavande « apaisante », deux des quatre plantes utilisées dans la composition de leur Tisane Sommeil, les deux autres n’ayant qu’un intérêt visuel (rose pâle) et gustatif (menthe douce), pour une tisane tout de même vendue à un prix avoisinant la dizaine d’euros.

Plus tard, pour un autre produit, on en vint à parler de la valériane (précédemment citée) qui est, selon ses dires, elle aussi utilisée pour la détente musculaire mais plus puissante à cet usage que le basilic, pourtant présent dans leur Tisane Sommeil.
Après avoir passé en revue tous les produits en vente relatifs au sommeil et avoir listé les effets prétendus de chaque plante utilisée, nous avons demandé s’il était possible de parler au titulaire présent dans la pharmacie pour discuter des méthodes mises en places pour le recueil et l’analyse des données sur ces végétaux ; malheureusement, il nous fut impossible de nous entretenir avec le pharmacien titulaire, celui-ci nous évitait délibérément après qu’il fut informé de notre requête, retranché dans son arrière-boutique…
Nous sommes revenus le lendemain matin, et cette fois nous avons pu parler à un autre pharmacien titulaire ; il nous a expliqué d’abord qu’il recevait des bulletins d’analyse pour chaque lot de plantes utilisé pour la confection de ses tisanes, qui lui confirment que la plante est bien celle qu’il cherche à avoir, lui indique si l’échantillon est conforme sur le plan bactériologique et également que les principes actifs sont présents à plus de 20 ml par kilogramme. Nous avons ensuite cherché à savoir d’où provenaient les informations relatives aux effets des plantes, ce à quoi il répondit que des travaux de thèses avaient été effectués et avaient montré l’efficacité et la non-toxicité de certaines plantes, mais que les plantes ne pouvant être brevetées comme les molécules, les laboratoires pharmaceutiques ne cherchaient pas à effectuer de réelles expérimentations sur les plantes médicinales.

Nos autres entrevues en pharmacie se sont déroulées à peu près de la même façon ; on pouvait nous décrire avec beaucoup de détails comment telle ou telle plante pouvait soulager le stress, détendre les muscles ou encore réduire la température corporelle pour favoriser le sommeil, mais les sources restaient floues. Certains citent des travaux de thèses que l’on ne retrouve pas (à l’exception d’une), d’autres encore, qui ne vendaient que des tisanes pour le sommeil provenant de groupes pharmaceutiques (Tisane Herbesan, Picot, Médiflor, Nutrisanté, etc.), s’en référaient à l’éthique et à la bonne foi de ces groupes, déclarant que les produits vendus en pharmacie étaient testés d’une manière ou d’une autre. Cette série d’entretiens en pharmacie a constitué le premier pas de notre enquête, puisqu’à son terme, nous ne savions toujours pas d’où provenaient les informations…

Nous nous rendons compte qu’il existe un manque d’expérimentation et donc de validation des effets thérapeutiques et parfois même de la toxicité12 des plantes utilisées en phytothérapie ; dans le cadre des tisanes censées favoriser le sommeil qualitativement, un grand nombre de plantes sont utilisées et nous en avons fait un inventaire, non exhaustif, néanmoins représentatif de ce que l’on peut trouver dans le commerce. Le problème de la validation des effets thérapeutiques de ces plantes pourrait être résolu par une expérimentation dans laquelle on écarterait les variables parasites tout en effectuant, sur un échantillon assez conséquent pour permettre une validation statistique de la réplicabilité des effets observés, des tests, plante par plante. Ce qui va suivre est une ébauche de ce qui pourrait permettre la validation ou la réfutation des effets hypothétiques de nombreuses plantes précédemment citées.

Parmi les variables parasites à contrôler, l’hétérogénéité des temps de sommeil dans la population pourrait être contrôlée par identité, c’est à dire que nous ne prendrions, par exemple, que des personnes dormant entre 7 h et 8 h par 24 h (moyenne des 25-35 ans [12]).

Autre variable parasite, le type et la gravité des problèmes de sommeil ; comme nous l’avons vu précédemment, la parasomnie est à différencier de la dyssomnie et les effets supposés des plantes vont également dans ce sens, certaines sont censées favoriser l’endormissement et la qualité du sommeil, d’autres empêcher les réveils nocturnes. La méthode de contrôle par identité semble ici aussi adéquate : selon les effets hypothétiques de la plante testée, nous ne prendrions que des individus souffrant de parasomnie ou de dyssomnie, en privilégiant des personnes qui souffrent gravement de ces troubles pour des résultats plus visibles (insomnies sévères : problèmes de réveils nocturnes ou d’endormissement plusieurs nuits par semaines et pendant plusieurs mois13.
Le sexe est classiquement contrôlé par croisement (50% hommes /50% femmes), et l’âge le serait par identité pour correspondre à la première variable contrôlée (25-35 ans).

Avec un échantillon conséquent et répondant aux modalités précitées, nous pourrions suivre un protocole expérimental tel que le suivant pour valider ou réfuter les hypothèses émises sur chaque plante.
Nous débuterions avec la répartition aléatoire des individus dans les deux modalités de la variable indépendante, que l’on pourrait appeler « régime », avec pour les uns la plante à tester et pour les autres une plante sans effet. Chaque soir pendant deux semaines, les individus prendraient en infusion et suivant la posologie indiquée (pour permettre une homogénéité de la quantité prise) les plantes données, et au réveil répondraient à un court questionnaire pour évaluer la qualité de leur sommeil (questionnaire type Vis-Morgen). En complément, chaque individu pourrait, avant les deux semaines de traitement et après, passer une polysomnographie (examen des différents paramètres respiratoires, des mouvements de l’activité électrique du cerveau pendant une nuit de sommeil)14.

La comparaison entre l’avant et l’après traitement chez les individus ayant testé une plante comparativement à ceux n’ayant eu qu’une plante de type placebo pourrait permettre de savoir si oui ou non ces plantes ont un réel effet sur la qualité du sommeil.
Cette proposition d’expérience, pourrait permettre d’évaluer l’efficacité propre des plantes utilisées classiquement dans les compositions des tisanes pour le sommeil. Une fois réalisée, d’autres expériences pourraient être faites de la même manière pour mesurer cette fois les degrés de synergies entre les plantes ayant montré une efficacité suffisante.

L’efficacité propre de la « tisane qui fait dormir » n’a jamais été prouvée, simplement car l’efficacité propre de ses diverses composantes ne l’a jamais été non plus. Dans le cas de la valériane, les études se contredisent : impossible alors de dire que les tisanes prétendument facilitatrices de sommeil qui en contiennent ont un effet qui ne soit pas dû au hasard. Il est toutefois intéressant, d’un point de vue sociologique, d’analyser les raisons de ce réel engouement à l’égard des produits naturels et bio qu’ont su utiliser les laboratoires pharmaceutiques, qui profitent de leur position hégémonique sur ce marché pour vendre et « marketer » des produits dont l’efficacité propre n’est en tout cas pas avérée. La question de l’efficacité mériterait d’être posée pour d’autres types de tisanes censées pallier d’autres problèmes physiologiques, en prenant garde de tester chaque plante indépendamment et sous leurs différentes formes (sèche, fraîche…) avant de tester leurs éventuelles propriétés conjointes.

Axelle VITALIS
Teddy MERLE
Raphaël MESTRE
Karine BOUHDID

Dossier étudiant 2016 – Protocole expérimental du Reiki, et un peu d'histoire

Voici un très intéressant travail sur le Reiki réalisé par les étudiant-es de Licence de l’Université Grenoble-Alpes en mai 2016. Les tests se sont déroulés dans les bureaux du CorteX. Toute la rédaction est de leur fait (quand c’était nécessaire, j’ai fait des notes, en italiques, notées NdRM, notes de Richard Monvoisin). A la fin, j’ai indiqué l’extrait de notre ouvrage Tout ce… qui concerne le Reiki.

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Très brièvement, qu’appelle-t-on le « Reiki » ?

Le Reiki est une technique de soin visant à soigner des zones pathologiques par « apposition des mains ». Cette dernière vient du Japon.
Elle date du début du 20eme siècle. Le Reiki se définit comme étant une « énergie universelle de vie » qui se transmettrait par les mains dans un but de guérison. Pour en devenir praticien, il suffirait de 6 à 7 jours de formations aux côtés d’un thérapeute « confirmé » (qui maîtrise cette pratique).
Il existe des écoles de Reiki, mais le Reiki ne fait l’objet d’aucunes reconnaissances légales, c’est donc une pratique non conventionnée.  Chacun peut donc se déclarer « maître Reiki ».

Notre dossier ci dessous, a pour simple but de vérifier l’existence de cette « énergie universelle », et ainsi de pouvoir répondre à la question suivante : quelle est la validité scientifique du Reiki ?
Pour ce faire, nous avons choisi de tester scientifiquement cette pratique, à l’aide d’une expérience, dont voici le protocole expérimental.

Protocole expérimental : Reiki

Introduction

Dans le cadre du cours autodéfense intellectuelle de notre professeur Richard MONVOISIN (2016) (NdRM : je ne suis pas Professeur, c’est un titre universitaire bien précis que je n’ai pas), notre équipe s’est intéressée au Reiki, sa pratique mais surtout sa validité scientifique.
Alexandre GAÏD-BONNET, membre de celle-ci en est un praticien, nous allons donc avec celui-ci mettre en place un protocole expérimental visant à tester scientifiquement cette pratique.
Alexandre ressent lors de ses consultations, de la chaleur au niveau de ses mains, qui s’avère être plus ou moins intense en fonction des personnes et des zones perçues. Il ressent une « énergie » chez chacun.
Dans le cadre de sa pratique de soin, ce phénomène présente un « trou », un « creux » lorsque ses mains approchent une zone pathologique.

Élaboration du protocole

Le professionnel dit être capable de ressentir la présence de quelqu’un grâce à son énergie.
Alexandre nous affirme percevoir un signal les yeux fermés à travers les vêtements, lorsqu’il est placé à 40 cm d’un sujet en position debout.
L’équipe convient donc de le laisser choisir la personne qu’il ressent le mieux (sujet C défini plus bas).
L’énergie ressentie ne laisse pas de traces à l’endroit où se trouvait le sujet, une fois celui-ci parti.

Nous posons alors les hypothèses suivantes.
Hypothèse théorique : le professionnel est capable de déceler la présence ou l’absence d’un individu grâce à son énergie uniquement.
Hypothèse opérationnelle : le professionnel est capable de déceler la présence ou l’absence d’un individu face à lui sans aucunes conditions restrictives et derrière un paravent, muni d’un casque antibruit.

Protocole expérimental

Matériel :
– 2 casques antibruit ;
– une toile opaque ;
– du gros scotch ;
– une lampe de chevet ;
– 4 paires de bouchons d’oreilles ;
– un masque de nuit ;
– un dé.

Le nombre de passages est de 100.
Nous prenons un seuil α=0.01. (NdRM : nos jeunes collègues ont mis le calcul plus bas – ici, ils indiquent le risque de première espèce). Le nombre de réussites doit être supérieur à 65 pour être une réussite.                                 

Variable indépendante : présence réelle vs. absence de l’individu
Variable dépendante : détection de la présence du sujet vs. absence

Alexandre est d’accord pour rendre l’expérience accessible au public.

Test en « ‘blanc »

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Le praticien de Reiki faisant le test

Début avril (2016), les membres du groupe se sont réunis chez Sylvain pour se familiariser avec le protocole et le finaliser.
Premièrement Alexandre a testé chacun des membres et choisi celui dont l’énergie est la plus perceptible. Il choisit le sujet C.
S’en est suivi un tirage au sort qui détermina le rôle de chacun dans l’expérience (Alexandre étant indifférent concernant la personne qui sera à ses côtés lors de l’expérience).
Sylvain et Yoann sont quant à eux chargés de la randomisation des passages (présence vs. absence du sujet).

Individu A : le professionnel (Alexandre)
Individu B : indique quand le professionnel peut commencer sa tache et note les indications de celui-ci (absence vs. présence du sujet)

Sylvain et Yoann procèdent à la randomisation des passages à l’aide d’un dé. Ils repartissent sur deux exemplaires une série de 0 (absence du sujet) et de 1 (présence du sujet ). Le tout constituant 20 passages.

L’individu se place en face du sujet qui lui-même se trouve devant le professionnel.
Ce dernier a mis une écharpe autour de ses yeux, des bouchons d’oreilles et un casque de musique.
Sylvain et Yoann donnent un exemplaire de la randomisation à l’individu D puis s’isolent.
Ce dernier indique au sujet quand se placer devant le professionnel. Une fois le sujet en place l’individu D tape un coup sur un mur pour indiquer à l’individu B que le sujet est prêt. L’individu B place le professionnel dans l’axe du sujet, celui-ci lève son pouce s’il sent la présence du sujet et forme un zéro avec son pouce s’il n’en sent pas, puis se retire. Le professionnel dispose d’un temps illimité. L’individu B note les indications du professionnel.

L’individu D prend connaissance du signal émis par le professionnel, lance un chronomètre de 10 s, puis fait signe au sujet de se placer ou non (pouce levé : placement vs. zéro avec la main: ne se place pas).
Après les 10 s, il retape un coup sur le mur.
L’expérience est réitérée 19 fois.
Puis, on vérifie que les comptages des deux parties congruent.

Résultats du test en « blanc »

(NdRM : est appelé ici test en blanc le test de réglage, en quelque sorte la répétition générale).

(Suivi à la lettre de la procédure présente dans le protocole expérimental sur le magnétisme de l’Observatoire zététique, cf. bibliographie)

Le nombre de passages valides est de 19/20 : N=19
Le professionnel avoua avoir effleuré les cheveux du sujet lors d’un passage.
Nous calculons alors le nombre d’essais minimum réussis  pour pouvoir valider l’hypothèse.

La probabilité de succès pour chaque essai est de 0.5. « La fourchette dans laquelle se trouve plus de 99% des essais sont centrées autour de M=Np (nombre de résultats attendus en moyenne) plus ou moins un intervalle I donné par la formule suivante :   I=3√[N*p*(1-p)]  On obtient alors : M=9.5 et I=6.54

La nouvelle fourchette est donc :
M-I<M<M+I soit 2,96<9.5≤16.04

Le résultat doit alors être supérieur ou égal à 16 pour être statistiquement recevable.                           

Lors du dépouillement des résultats, nous avons obtenu :

  • essais valides : 19
  • essais réussis : 11
  • essais échoués : 8

Le résultat du test-blanc n’est pas bon : c’est un échec. (NdRM : on ne peut cependant rien en tirer en soi, puisque c’est un test en blanc, émaillé de détails rédhibitoires).

La personne émettrice et sa randomisatrice
La personne émettrice et sa randomisatrice

Expérience finale

Dans les locaux du CorteX, nous prenons les mêmes dispositions que lors du test blanc, et répartissons les rôles de la même manière. Cependant, nous contrôlons certaines variables supplémentaires.

Variables contrôles :
– on dépose une toile opaque au niveau de l’encadrement de la porte, le sujet et le professionnel et leurs assistants s’y placent de part et d’autre de celle-ci.
– L’individu D et le sujet sont séparés de Sylvain et Yoann qui sont dans la pièce à côté, porte fermée.          
Après la randomisation, ils font passer le tirage par la fente de celle-ci a l’individu D.
– Le professionnel porte un masque de nuit (à la place de l’écharpe)
– Les individus B et D, le sujet et le professionnel portent des bouchons d’oreilles.
– L’individu B et le professionnel portent des casques antibruit par dessus.
– L’individu B indique au sujet et à l’individu D que le professionnel est prêt en levant son pouce par dessus la toile.
– Le signal qui indique que le sujet est en place est ici une lampe de chevet se trouvant dans la pièce dans laquelle sont le professionnel et son associé. Le fil de celle-ci passant sous la toile permettant à l’interrupteur de se trouver du côté de l’individu D et de son sujet.
– Les membres de l’équipe n’ont aucun moyen de communication virtuelle (téléphones, ordinateurs…)

Trois pauses sont faites à 25, 50 ; et 75 passages.
A la pause qui suivit le 50eme tirage, le professionnel et l’individu D sortirent de leur pièce, nous conduisant à une nouvelle randomisation pour les 50 derniers passages.

Résultats du test final

Indication d'un signal non ambigu : une lampe (qu'elle soit "à sel" est contingent, c'est la seule lampe de chevet du bureau)
Indication d’un signal non ambigu : une lampe (qu’elle soit « à sel » est contingent, c’est la seule lampe de chevet du bureau)

(Suivi à la lettre de la procédure présente dans le protocole expérimental sur le magnétisme de l’Observatoire zététique, cf. bibliographie)

Le nombre de passages valides est de 100/100 : N=100
Nous calculons alors le nombre d’essais minimum réussis  pour pouvoir valider l’hypothèse.

La probabilité de succès pour chaque essai est de 0.5.

« La fourchette dans laquelle se trouve plus de 99% des essais sont centrées autour de M=Np (nombre de résultats attendus en moyenne) plus ou moins un intervalle I donné par la formule suivante :   I=3√[N*p*(1-p)] »

On obtient alors : M=50 et I=15

La nouvelle fourchette est donc :
M-I<M<M+I soit : 35<50≤65

Le résultat doit alors être supérieur ou égal à 65 pour être statistiquement recevable.

Après dépouillement nous avons :

  • essais valides : 100 ;
  • essais réussis : 51 ;
  • essais échoués : 49.

Le résultat de l’expérience conclue à un échec.                                           

Conclusion

Au terme de cette expérience, le résultat est décevant.
Nous sommes de tout cœur avec Alexandre pour qui l’expérience se solde d’une double déception : en plus de l’échec de l’expérience il doit faire face au fait que ses soins ne présentent pas plus d’effet qu’un placebo (NdRM : ce point est inexact : les étudiant-es n’ont montré que le fait que le sujet ne pouvait distinguer par Reiki la présence ou l’absence de l’émetteur, pas que ses soins étaient placebo. En outre, contrairement à ce que nous avons bien étudié en cours, l’effet placebo est une notion complexe qu’il vaut mieux subdiviser en différents effets contextuels).  Il fait cependant preuve d’un grand fair-play.
Avant l’expérience il nous affirmait qu’il saurait accepter le résultat quel qu’il soit, et ce fut le cas. Nous admirons tous son attitude.

Limites de l’expérience

  • Il n’a pas été possible pour nous d’expérimenter le Reiki sur des patients faute de moyens et de temps. Nous incitons donc vivement d’autres chercheurs à le faire.
  • Bien que l’expérience ait été effectuée en suivant un rigoureux protocole expérimental, elle n’a été faite qu’une fois. Peut-être avons nous omis certaines variables/détails/biais expérimentaux. Nous incitons donc d’autres chercheurs à la reproduire avec de nouveaux locaux, de nouveaux sujets, professionnels.. et même dans d’autres contextes socioculturels.
  • Nous avons tenté de contacter mercredi 4 mai 2016 un professionnel du domaine, le chercheur et kinésithérapeute Nicolas PINSAULT, afin de prendre connaissance de son point de vue sur cette pratique. Ce dernier, sûrement très pris par son travail, (NdRM : il faut dire que vous l’avez contacté à la dernière minute !) nous a affirmé « avoir trop peu travaillé la question pour nous donner un avis éclairé ». Nous le remercions tout de même d’avoir pris le temps de nous répondre.

Bibliographie (NdRM : assez maigrelette, il faut le dire – mais devant un si joli protocole, on ne leur en tiendra pas rigueur) :

Une partie de l'équipe, avec quelques victuailles
Une partie de l’équipe, avec quelques victuailles

DO Thi-My-Phuong : L1 biologie
SASSE Sylvain : L1 Science de la Vie et de la Terre
BOUAÏCHA Sonia : L2 psychologie
BOUCARD Yoann : L1 biologie
BOUVIER Marie : L1 biologie
GAÏD-BONNET Alexandre : L1 chimie-biologie

Extrait de Pinsault N., Monvoisin R., « Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles« , Presses Universitaires de Grenoble,pp. 98-99

Reiki (1922)
[Fondateur] Mikao Usui (Japon) (1865-1926), moine bouddhiste.

L’histoire du fondateur est fortement controversée. Il est dit que, fréquentant un temple bouddhiste Tendaï (tradition du Grand Véhicule) au nord de Kyõto, Mikao Usui étudia d’abord le Kiko, version japonaise du Qi Gong (« exercice de Qi », en mandarin), gymnastique traditionnelle chinoise proposant une méthode de respiration fondée sur la maîtrise du Qi, l’énergie vitale alléguée. Sous l’influence d’un « maître », Watanabe Kioshi Itami, il aurait changé d’école bouddhiste en 1894, passant de Tendaï à Shingon (un des bouddhismes tantriques, la grande différence tenant dans la possibilité d’atteindre l’état du bouddha dans cette vie-ci, et non dans une autre).
On a prêté à Usui des études de psychologie (ce qui est peu probable pour l’époque), de médecine (ce que nous n’avons pu vérifier) et un doctorat en théologie de l’université de Chicago, mais l’unique source, The Reiki handbook (Arnold & Nevius, 1992), est pour le moins douteuse (son coauteur étant Larry E. Arnold, bien connu entre autres pour avoir développé des thèses paranormales fantaisistes sur les auto-combustions humaines « spontanées »).
Après vérification, comme l’indique le site ihReiki.com dans son article Historical Reiki inconsistencies, personne de ce nom n’étudia à ladite université dans cette période. Bref, Usui, en proie à des difficultés financières, aurait décidé d’embrasser la carrière monastique et c’est en 1922 qu’il fit une expérience de mort imminente (« visions » ou « sensations » consécutives à une mort clinique ou à un coma avancé), ainsi qu’un satori (une illumination) pendant une retraite jeûnée sur le Mont Kuruma-yama. Il y « reçut » le Reiki. Il ouvrit alors un, puis deux centres, et créa son enseignement.

Mais cette histoire est douteuse et remaniée plusieurs fois. Des héritiers spirituels, en particulier la maître Reiki Hawayo Takata (1900-1980), créèrent de toutes pièces des détails, comme une prétendue inspiration de Usui par le personnage de Jésus, afin de
mieux exporter la méthode en « Occident ». Pire encore, des faux documents prêtés à Usui lui-même étaient en fait l’œuvre d’un faussaire, par ailleurs faux psychologue et faux enseignant de Reiki, le Lama Yeshé, qui s’avéra être… un faux Lama, Richard Blackwell.
Les fraudes et inventions de Blackwell ont dupé et dupent encore un certain nombre de praticiens Reiki, ce qui lui a valu les foudres d’une grande part de la communauté. Blackwell rebondit et fit une résolution de dissonance cognitive spectaculaire en se déclarant en ‘‘channeling’’ avec Usui lui-même. Puis il affirma être poursuivi par la CIA, avant de disparaître vers la fin des années 2000.

Mode de découverte : une épiphanie.
Scientificité de la découverte : aucune publication scientifique publiée du fondateur.
Principe théorique non étayé : l’imposition des mains apporterait des soins dits « énergétiques ».

L'effet Will Rogers, ou effet de migration des stades

L’effet de migration des stades (stage migration en anglais), ou effet Will Rogers, en hommage à l’acteur du même nom qui aurait déclaré « quand les Okies 1 quittèrent l’Oklahoma et vinrent en Californie, ils élevèrent l’intelligence moyenne des deux côtés ».

En déplaçant un élément d’un groupe à l’autre, on peut paradoxalement faire monter la moyenne dans… les deux groupes ! Représentons-nous par exemple un ensemble de patients qui indiquent sur une échelle de 1 à 10 la douleur moyenne qu’ils
ressentent. On crée un groupe A à douleur faible, A = {1, 2, 3, 4} et
un groupe B de douleur forte, à partir de 5, soit B = {5, 6, 7, 8, 9}

Si l’on fait la moyenne de chaque groupe, on obtiendra 2,5 pour A,
et 7 pour B.

Mais imaginons que les normes d’inclusion changent, et que par exemple, après une recommandation de l’Organisation mondiale de la Santé, 5 est finalement considéré comme faible. Les groupes deviennent alors A = {1, 2, 3, 4, 5} et B = {6, 7, 8, 9}. Or
de ce fait, la moyenne (notée ci-dessous μ) de A est montée à 3, et celle de B, à 7,5. Les deux groupes ont vu leur moyenne augmenter.

Situation 1
A = {1, 2, 3, 4} ->  μ = 2,5
B = {5, 6, 7, 8, 9} ->  μ = 7

Situation 2
A = {1, 2, 3, 4, 5} -> μ = 3
B = {6, 7, 8, 9} ->  μ = 7,5

Quelles en sont les conséquences ? Si le système de détection d’une maladie par exemple s’améliore et permet du dépistage précoce, certains individus passeront du groupe des sujets en bonne santé vers le groupe des sujets malades. À travers ce changement, la moyenne de la durée de vie augmentera paradoxalement dans les deux groupes, et cela quel que soit le traitement que l’on fera. On aura ainsi tendance à conclure à l’efficacité du traitement, alors que c’est un problème d’un critère d’inclusion dans les groupes qui a changé 2.

Nicolas Pinsault, Richard Monvoisin

(tiré de Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles, aux éditions PUG).

On trouvera un autre exemple dans « Le dépistage organisé du cancer du sein : outils d’autodéfense intellectuelle » de N. Darbois et G. Reviron.

Le dépistage organisé du cancer du sein : outils d'autodéfense intellectuelle

L’augmentation de la participation au dépistage organisé (DO) du cancer du sein fait partie en France des objectifs de santé publique. Toutes les femmes de 50 à 74 ans sont invitées (parfois même incitées) à recourir à une mammographie tous les 2 ans afin de potentiellement détecter un cancer du sein. Des organismes départementaux comme nationaux sont chargés de veiller au bon déroulement de ce dépistage, mais doivent aussi s’assurer que le taux de participation corresponde à celui recommandé au niveau national et européen. Cette thématique fait l’objet d’interventions du CorteX en 2016 (à l’UIAD et lors des stages de formation doctorale Science sans conscience et Auto-défense mathématique pour non mathématicien) car elle permet d’aborder de nombreuses facettes de l’autodéfense intellectuelle. Alors que l’efficacité propre de cette pratique est aujourd’hui au cœur du débat scientifique, toutes sortes d’arguments plus fallacieux les uns que les autres sont utilisés pour convaincre les femmes de participer à ce dépistage, leur ôtant par là même la possibilité de faire un choix éclairé. Voici un aperçu des arguments trompeurs que nous avons relevés suivi de ressources bibliographiques pour explorer à sa guise le sujet. Précisons que tout ce qui suit ne concerne que le DO (dépistage généralisé,  systématique) par mammographie et non le suivi individualisé réalisé par les gynécologues, conduisant parfois à la réalisation de mammographies selon les symptômes et les facteurs de risque des patientes. Enfin, prenons encore une fois la précaution de préciser qu’il ne s’agit pas pour nous de dicter ou d’imposer une bonne conduite individuelle ou collective, mais bien de poser des bases rationnelles d’un débat. Ajout d’octobre 2016 : le rapport final d’une concertation citoyenne initiée par l’INCa recommande deux scénarios : un où le dépistage organisé est totalement supprimé, l’autre où son organisation est profondément modifiée 1.   

Décryptage de quelques arguments

Toutes les résidentes françaises âgées de 50 à 74 ans reçoivent tous les deux ans à leur domicile une lettre d’invitation les enjoignant à réaliser une mammographie. Cette lettre est parfois accompagnée de brochures informatives. Des documents du même type sont également diffusés massivement dans de nombreux établissements publics (mairies, hôpitaux etc.) et privés (centres d’imagerie médicale, cabinets de médecins généralistes, magasins, pharmacies etc.) ainsi que dans les médias (chaînes télévisuelles, radio, journaux, sites internet etc.). Afin d’avoir une idée du contenu de ces documents, nous avons visité en janvier 2016 le site de l’Institut national du cancer (INCa) et ses pages dédiées au sujet et nous avons mené des recherches à partir de Google avec les mots clés « dépistage organisé du cancer du sein » et « mammographie cancer du sein ». Dans les paragraphes suivants, nous faisons une sélection non exhaustive des arguments rhétoriques fallacieux détectés les plus redondants.

Appel au témoignage

CorteX_inca_roman_photo

En 2009, l’INCa a conçu un roman-photo pour « sensibiliser au dépistage ». Il relate l’histoire d’une esthéticienne d’une cinquantaine d’année, Véronique, qui prend conscience de l’importance du dépistage suite au témoignage d’une de ses clientes, traitée pour un cancer, qui témoigne « heureusement, mon médecin traitant m’a rappelé de faire ma mammographie de dépistage et, du coup, on a détecté mon cancer très tôt« . 

CorteX_inca_roman_photo2

Relevons au passage que le livret entretient des clichés1 très genrés2

Nous avons déjà évoqué les limites liées à l’appel au témoignage notamment pour orienter ses choix de santé (voir ici ou ). L’appel au témoignage est un procédé courant dans les campagnes publiques ou privées de sensibilisation au dépistage (voir par exemple ci-dessous la campagne 2009 de l’association Le cancer du sein, parlons-en ! ) :

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Pire, on fait parfois appel au témoignage de patientes de moins de 50 ans pour inciter les femmes plus jeunes à effectuer également des mammographies. C’est le cas par exemple dans ce reportage de la chaîne BFM TV en 2010, qui interroge une patiente de 48 ans qui a contracté un cancer alors que rien ne le laissait présager, ainsi qu’un radiologue encourageant cette pratique (s’étoffant au passage d’un argument d’autorité).

Dans le court-métrage ci-dessous réalisé à l’initiative de l’Institut Curie et l’association NRB Vaincre le cancer, diffusé à la télévision et dans les cinémas en 2010, c’est une femme dont le physique ne laisse en rien présager un âge de plus de 50 ans qui nous suggère « d’aller montrer nos seins ».

CorteX_brochure2015_cancer-du-sein-parlons-en

Dans la brochure 2015 de l’association Le cancer du sein, parlons-en, la quasi-totalité des photos illustratives présentent des femmes d’apparence jeunes au regard de l’âge ciblé par le DO. Voici par exemple une photo d’une femme réalisant une mammographie. Relevons au passage la posture décontractée, le sourire bienheureux qui ne laisse pas imaginer que le passage d’une mammographie est un acte douloureux et non anodin. Cette photo est un effet impact.

Or, les études de bonne facture menées les dernières décennies convergent toutes vers une absence d’efficacité sur la diminution de la mortalité par cancer du sein du dépistage par mammographie chez les femmes de moins de 50 ans non à risque3.

Appel aux célébrités

L’impact du récit des expériences individuelles des patientes atteintes de cancer du sein sur le choix pour des femmes de recourir au dépistage est non négligeable, qui plus est si la patiente est une célébrité. En mai 2005, les médias annoncèrent le diagnostic de cancer du sein de la chanteuse australienne Kylie Minogue. Dans les dix jours qui suivirent, les médias nationaux reprirent l’information et parlèrent vingt fois plus que de coutume du cancer du sein. En parallèle, les réservations pour des mammographies de dépistage augmentèrent de 40% en Australie durant ces deux semaines par rapport aux semaines précédents l’annonce, particulièrement pour la tranche d’âge des 40-49 ans alors que le dépistage n’est pas recommandé à ces âges4.

En France en 2011, France Télévisions en partenariat avec l’INCa mobilise certains de ses animateurs « célèbres » (Nagui, Sophie Davant, Élise Lucet etc.) pour promouvoir le dépistage dans des campagnes télévisuelles.

CorteX_mammo_sophie_davant

La marque de café Carte Noire a elle aussi fait appel à des femmes médiatisées (styliste, chanteuses, mannequin, actrice, animatrice, blogueuse… ) pour promouvoir le dépistage dans un clip qui rappelle les stéréotypes de genre du roman-photo de l’INCa.

https://www.youtube.com/watch?v=XLLDNikq2gg

Le message final du clip est « au nom de vos seins, faites-vous dépister » ; ainsi, les femmes ne devraient pas recourir au dépistage au nom de leur santé, mais au nom de leurs « seins », ce qui fait leur essence si on en croit ce film. La femme ne se conçoit pas autrement qu’à travers ses seins durant toute la durée de la vidéo, ce qui donne à penser que les seins sont le siège de la féminité – ce qui non seulement entretient les poncifs genrés classiques, mais est normatif pour les femmes, surtout pour celles qui n’ont pas de poitrine5. Le même glissement a lieu lorsque par exemple on avance que la féminité réside dans la maternité (ce qui exclut derechef les nullipares, les stériles, les intersexes, etc).

Ad populum

CorteX_mammo_roman_photo_ad_populum
Roman-photo de l’INCa, 2009

Parfois, le fait qu’un nombre X de femmes ait déjà eu recours au dépistage est apporté pour suggérer à celles qui ne font pas partie de ce groupe de le rejoindre. C’est le cas par exemple sur cette affiche réalisée par l’INCa en 20076. Le texte de l’affiche laisse penser qu’un nombre important de femmes s’étant déjà fait dépister (bien que le chiffre manque de précision ; s’agit-il de 3 millions de femmes en France ? Sur l’année encourue ou depuis que le DO est en place ? ), celles qui n’ont pas encore saisi l’occasion devraient s’empresser de le faire. C’est un argument ad populum. L’affiche est d’ailleurs de nouveau utilisée et mise à jour dans le roman-photo de l’INCa évoqué précédemment.

Affiche de l'INCA de 2007
Affiche de l’INCa de 2007

 

Une version un peu différente proposée par l’Agence sanitaire et sociale de Nouvelle-Calédonie qui s’appuie sur le fait qu’aujourd’hui, plus de la moitié des femmes concernées l’ont fait [le dépistage] »7.

Effet paillasson

C’est le fait de qualifier un objet, une chose (ici un acte) par un mot qui renvoie à autre chose (cf. article). Le dépistage est souvent associé à la prévention ou à la protection de la santé.  Or, passer une mammographie est un acte de prévention secondaire : cela ne permet pas d’éviter d’être atteint d’un cancer (prévention primaire) mais de potentiellement diminuer le risque de mourir de ce cancer, une fois qu’on est déjà atteint (prévention secondaire).

Affiche de la campagneOctobre rose 2012 de l'organisme de Dépistage organisé du cancer (DO) de Haute-Garonne
Affiche de la campagne Octobre rose 2012 de l’organisme de Dépistage organisé du cancer (DO) de Haute-Garonne ; la prévention est associée au dépistage.

« Dans le cadre de la prévention du cancer du sein, il est conseillé de faire cet examen [une mammographie](…) »8

« pour vous protéger (…) il faut se faire dépister » 9

« La meilleure protection : la mammographie de dépistage » 10

 Sur site de l’Assurance maladie (Ameli), le dépistage est classé dans la rubrique « Prévention santé : protection, prévention« .

Ce type de message peut conduire les femmes à penser que le dépistage réduit le risque d’avoir un cancer du sein. Une étude11 réalisée à partir d’interrogatoires de femmes à la fin des années 1990 constate que sur un échantillon de plus de 6000 femmes de plus de 15 ans habitant dans cinq pays dont la Suisse et l’Italie, 68 % pensent que le dépistage réduit ce risque. Cela revient à croire que le port de la ceinture de sécurité diminue le risque d’accident de la route !12

Effets impact et appel à la peur

L’usage de mots (ou images) à effet impact est un procédé récurrent : on emploie des mots fortement connotés, générant un impact affectif, pour qualifier le cancer du sein ou « l’urgence » nécessaire du dépistage. La vidéo ci-dessous, proposée par la chaîne TEVA et réalisée par l’association Le cancer du sein, parlons-en ! en 2015 en déploie une belle brochette centrée sur l’appel à la peur :  elle nous parle du cancer du sein, « le plus meurtrier », qui « frappe à toutes les portes », pour lequel « chaque jour compte », en concluant « faites-vous dépister ». Notons également la typographie utilisée qui fait ressortir ces expressions.

Spot 2015 de la chaîne TEVA et de l'association Le cancer du sein parlons-en
CorteX_cancer_sein_teva_2015

On peut penser que ce type d’arrangements syntaxiques et typographiques participe à la surestimation du risque de développer un cancer du sein constatée chez les femmes. Dans une étude réalisée à partir d’interrogatoires de femmes en 2001 et 2002, on constate que sur un échantillon de 500 femmes états-uniennes entre 40 et 50 ans n’ayant jamais contracté de cancer, 15 % pensent que le risque d’avoir un cancer du sein au cours de la vie est de plus de 50 % (surestimation de 5 fois par rapport aux données de l’époque)13.

Mésusage des chiffres

Détecté tôt, le cancer du sein peut être guéri dans 9 cas sur 1014

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Brochure de l’INCa, 2015

C’est sans doute l’affirmation la plus fréquemment retrouvée dans tous les documents d’information et de promotion du dépistage que nous avons eu sous les yeux. Elle se décline sous différentes formes, par exemple : « Détectés à temps, 90% des cancers du sein se soignent. »15, « Un traitement précoce permet une rémission dans 95% des cas »16, « Parce que dans 9 cas sur 10, s’il est détecté à temps, un cancer du sein peut être guéri »17. Ces phrases sont trop imprécises pour délivrer un message véritablement informatif :

  • il n’y a pas d’élément de comparaison avec le nombre de cancers détectés « tard » mais guéris. Si le nombre de cancers guéris considérés comme détectés tard est aussi de 9/10, alors il n’y a pas d’intérêt à détecter « tôt » ;
  • lorsqu’une détection précoce ou un traitement précoce sont mentionnés, aucune précision n’est donnée sur ce qui permet cette détection ou ce traitement précoce. Comme la phrase apparaît sur un document encourageant à la réalisation d’une mammographie dans le cadre du DO, il peut être cohérent de croire que c’est le passage d’une mammographie tous les deux ans qui permet cela. Or, la mammographie dans le cadre du DO est loin d’être le seul outil diagnostique, y compris en première intention. Les 9 femmes sur 10 qui guérissent d’un cancer n’ont pas forcément eu recours à une mammographie dans le cadre du DO ;
  • on nous délivre une valeur relative sans la raccrocher à une valeur absolue, ce qui peut influencer notre perception de la situation. En effet, on oublie parfois que 90% d’une petite quantité reste une petite quantité. Il serait donc préférable de préciser systématiquement le nombre de femmes atteintes du cancer du sein18 si l’on souhaite décrire la situation au plus près ; contrairement à ce qui est suggéré, « 90% de femmes sauvées » n’est pas pas, en soi, un argument indiscutable pour justifier l’intérêt collectif du DO.
  • cette affirmation masque deux biais potentiels : un biais statistique appelé Phénomène de Rogers19 ainsi que le surdiagnostic20 Plus précisément, le principe du DO est de détecter des cellules pathologiques par mammographie. Une première difficulté réside dans le fait qu’il s’avère parfois très difficile de distinguer, à partir des images produites, des cellules pathologiques de cellules saines,  ce qui peut conduire à un mauvais diagnostic dans un sens ou dans l’autre. Le deuxième problème est que, contrairement à une idée très répandue, chez certaines patientes, les cellules dites pathologiques détectées n’évolueront pas en cancer invasif et se « résorberont » spontanément ; il n’y a par ailleurs, à l’heure actuelle, aucun moyen de savoir si les cellules dites pathologiques vont évoluer en une tumeur ou non : le DO diagnostique donc comme porteuses de cancer des femmes qui, même sans traitement, n’auraient pas été malades. Si le DO tend ainsi à diminuer le taux de létalité des patientes dépistées21, encore faut-il s’assurer que cette baisse n’est pas seulement due à une augmentation du nombre de diagnostics : il est alors nécessaire de connaître la mortalité par cancer du sein22 pour se faire une idée de la pertinence du DO. Dans les brochures à destination du grand public, ce chiffre n’est jamais (rarement ?) avancé.

Diminution de la mortalité de 15% à 21%, voire 30%

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Philips (quatrième marque de mammographe la plus utilisée en France en 2012 et 2013 (INCa, 2015)) participe à la « sensibilisation au cancer du sein » et au dépistage en évoquant une diminution de la mortalité par cancer du sein de 25% à 30% chez les femmes ayant recours régulièrement à des mammographies. Un autre aspect qui mériterait attention est l’acoquinement entre certaines de ces campagnes et les industries qui en tirent bénéfice, comme Philips ou General Electric. Puissent des spécialistes du lien d’intérêt s’y pencher

Le dépistage permettrait de réduire la mortalité liée au cancer du sein de 15% à 21% pour les femmes de 50 à 74 ans selon la plupart des documents informatifs officiels français23. D’où proviennent ces chiffres ? Que signifient-t-ils concrètement ? Sont-ils fiables ?

  • Remonter à la source (primaire)

L‘Institut Curie renvoie et s’appuie sur un article réalisé en 2015 par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). En lisant l’article, on réalise qu’il n’y est pas fait mention d’une diminution de 15% à 21% comme rapportée par l’Institut : « Les femmes de 50 à 69 ans invitées à se rendre à un dépistage par mammographie avaient, en moyenne, une réduction de 23 % du risque de décès par cancer du sein ; les femmes ayant participé à un dépistage par mammographie présentaient une réduction plus importante du risque, estimée à environ 40 % »24.

  • Analyser le chiffre

Petit test 1 : lorsqu’on parle de réduction de mortalité de 25% grâce au dépistage, sur 100 femmes participant au DO, combien de femmes, selon vous, seront sauvées ?

Il est fort à parier que beaucoup répondront 25 femmes. Cette réponse, bien que fausse, est tout-à-fait compréhensible puisque c’est la présentation habituelle des chiffres de la mortalité qui l’induit. Ce chiffre de 25% ne signifie pourtant pas cela. Avant d’expliquer pourquoi, voici une autre question :

Petit test 2 : entre un test de dépistage qui réduit la mortalité de 25% et un test de dépistage qui réduit la mortalité de 0,1%, lequel choisissez-vous ?

Il est tentant de répondre que le premier est « évidemment » « bien plus » efficace que l’autre, mais les évidences sont parfois trompeuses, et le test du DO réduit le risque de mortalité de 25%, mais réduit aussi le risque de mortalité de 0,1%. Vous avez bien lu, ces deux affirmations très différentes sont possibles en même temps. Comment cela est-il possible ?
Dans les deux questions, on joue sur l’ambiguïté entre risque absolu et risque relatif. Il faudrait en fait formuler les choses comme cela : le test du DO réduit le risque de mortalité relatif de 25% (régulièrement présenté dans les brochures informatives), mais réduit le risque de mortalité absolu de 0,1% (jamais évoqué)25. Comment est-il possible d’obtenir des chiffres apparemment si différents pour décrire une même situation ? Explicitons ces chiffres en nous appuyant sur les données d’une étude réalisée en Suède en 199326 :

 

Nombre de décès (sur 1000 femmes) au bout de 10 ans

Sans mammographie

4

Avec mammographie (tous les 1 à 2 ans)

3

La réduction du risque relatif consiste à faire 1 – le quotient (taux de mortalité avec DO)/(taux de mortalité sans DO), c’est-à-dire 1-(0,003/0,004) = 0,25 = 25%.
La réduction du risque absolu consiste à faire le quotient (nombre de personnes sauvées)/(population totale) = 1/1000 = 0,001 = 0,1%. Et le tour est joué.

En pratique, un chiffre indiquant la diminution du risque de mortalité, pour être véritablement exploité, devrait être accompagné de précisions concernant :

  • le type de mortalité (mortalité toute cause confondue ? mortalité par cancer ? par cancer du sein ?) ;
  • les groupes comparés (ensemble des femmes se faisant dépister tous les deux ans comparé à l’ensemble des femmes qui ne se font jamais dépisté) ;
  • la durée cumulée (la réduction est-elle calculée au bout de deux ans ? cinq ans ? dix ans ?) ;
  • le nombre de femmes décédées dans chaque groupe comparé ;
  • idéalement, le nombre nécessaire à traiter (NNT), c’est-à-dire le nombre de femmes qu’il faut traiter pour qu’une seule soit sauvée (1 sur 1000, 1 sur 2000 etc.).

Notons à propos de ce dernier point que l’hypothèse la plus optimiste actuellement concernant le dépistage est qu’il permet de sauver du cancer du sein 1 femme sur 2000 (pour 2000 femmes invitées à participer au dépistage pendant 10 ans).27

Éthique, choix individuels et choix collectifs

Aujourd’hui, le débat sur nos choix individuels et collectifs est complètement enseveli sous la culpabilisation des femmes et de leur entourage et sous les appels à la peur. Pourtant, les enjeux sont de taille et mériteraient vraiment qu’on regarde la situation en face, sans faux semblants. Discuter et soupeser les chiffres en matière de santé est parfois difficile : on est vite soupçonné de vouloir faire des économies sur la santé des individus. Pourtant, refuser de questionner nos choix moraux, refuser de se demander où et comment il est le plus utile de dépenser l’argent public a justement pour conséquence de laisser d’autres personnes faire ces choix à notre place, qui plus est sans avoir à les expliciter. Par exemple, on peut se demander qui a décidé, et sur quels critères, que les hommes ne seraient pas invités à participer au DO, alors qu’ils peuvent être touchés – même si c’est très rare – par le cancer du sein ? Qu’en est-il pour les personnes intersexes ? En ce qui concerne le DO, on met les projecteurs (souvent grossissants) sur les guérisons gagnées grâce à cette pratique (de l’ordre de 1 sur 2000), mais on ne met jamais en balance les conséquences du surdiagnostic, c’est-à-dire toutes les conséquences subies par les femmes qui ont un test positif malgré le fait qu’elles ne sont pas et ne seront pas atteintes d’un cancer : stress, biopsie, voire chimiothérapie ou mastectomie, interruption professionnelle etc. Sur 2000 femmes mammographiées tous les 2 ans pendant 10 ans, 10 femmes en bonne santé recevront un diagnostic de cancer qu’elles n’auraient pas eu si elles n’avaient pas été dépistées et seront traitées inutilement tandis que 200 femmes en bonne santé seront victimes d’une fausse alerte.28. Une technique n’est jamais « bonne » en soi : au mieux présente-t-elle un excellent rapport bénéfice-risque et s’avère-t-elle préférable à une autre technique à une époque donnée. L’enjeu est donc de commencer par expliciter et clarifier les critères choisis pour évaluer ce rapport bénéfice/risque puis de comparer les différentes techniques suivant ces critères. La question n’est alors plus de savoir s’il faut promouvoir le DO, mais bien de savoir s’il faut promouvoir le DO plutôt qu’autre chose : ces moyens financiers pourraient-ils être investis pour développer des traitements plus efficaces ? Ou pour traiter éventuellement d’autres pathologies ? Ou encore pour améliorer les conditions d’accueil de nos systèmes de soins ? Ou choisissons-nous, avec toutes ce informations, de continuer à financer de dépistage ? Que préférons-nous ?
Nous sommes conscients que ces choix collectifs doivent également tenir compte du choix individuel des patientes et des patients qui, en connaissance de cause, choisiront ou non de participer au dépistage organisé. Nous déplorons cependant que les informations nécessaires à ce choix soient confisquées.

Ressources documentaires

Ouvrages

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Rachel Campergue, No mammo ? – enquête sur le dépistage du cancer du sein, Max Milo, 2011.

Rachel Campergue a également publié plus récemment Octobre rose – mot à maux, qui s’attache plus à décortiquer les messages délivrés par les différentes campagnes visant à promouvoir le dépistage. Nous regrettons beaucoup que ce livre ne soit disponible que par l’intermédiaire d’Amazon et au format Kindle qui oblige les potentiel.le.s lecteurs et lectrices à recourir à une liseuse commercialisée uniquement par cette enseigne aux pratiques moralement condamnables (lire par exemple En Amazonie : infiltré dans le « meilleur des mondes » de Jean-Baptiste Malet, Fayard, 2013 ).

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H. Gilbert Welch, Dois-je me faire tester pour le cancer ? Peut-être pas et voici pourquoi, PUL, 2005

Ce livre délivre des outils et connaissances en épidémiologie et en physiopathologie pour faciliter un choix éclairé concernant le recours ou non à titre individuel au dépistage des différents cancers.

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Gerd Gigerenzer, Penser le risque – apprendre à vivre dans l’incertitude, Markus Haller, 2009

L’auteur réalise une synthèse et une analyse de la façon dont les médecins, les instituts sanitaires et les médias comprennent et présentent les chiffres et statistiques, en s’appuyant particulièrement sur le cas du DO du cancer du sein. Il montre qu’une présentation plus compréhensible pour tou.te.s, avec ou sans connaissance en mathématiques, est possible.

Films

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Le film L’industrie du ruban rose, 2012 développe particulièrement le pinkwashing29 autour du cancer du sein (l’utilisation de la cause du cancer du sein par des grandes entreprises pour améliorer leur image ou leurs bénéfices), est téléchargeable en ligne ou achetable en DVD à cette adresse.

Arte a diffusé pour la première fois en 2011 le reportage ci-dessous consacré aux différents dépistages organisés (ou non) des cancers. La partie consacrée au cas du cancer du sein s’étend des minutes 0 à 22 et concerne la situation allemande.

Plus récemment, en janvier 2016, France 5 a diffusé une nouvelle émission consacrée au sujet. La première partie consiste en un reportage présentant les parcours de dépistage de quatre femmes ainsi que les entrevues avec les chercheurs ayant mené les principales études consacrées à l’efficacité du dépistage, qui apportent des éléments en sa défaveur. La seconde partie (non disponible en ligne) est présentée comme un « débat » sur l’efficacité du dépistage. On remarque cependant que sont présentes pour ces échanges uniquement des personnes promouvant le dépistage et ayant des liens d’intérêt à le promouvoir, comme l’ont très justement relevé ici deux médecins du collectif Cancer Rose.

L’association Cancer Rose a réalisé un court métrage expliquant de manière simple les données disponibles dans la littérature concernant les bénéfices et les risques associés au dépistage organisé du cancer du sein.

Audio

Entretien avec Rachel Campergue, auteur de No mammo ?, sur Radio Enghien le 20 octobre 2014. Télécharger.

Brochure

CorteX_cancer_sein_cochrane

Brochure d’information s’appuyant sur les études scientifiques les plus récentes (en 2012) à destination des patient.e.s, réalisée par les auteurs des méta-analyses de la collaboration Cochrane (organisation internationale indépendante). Cette brochure a été traduite en français par Thierry Gourgues , membre du Formindep et est téléchargeable à cette adresse.

Sites internet

Ces différents sites rassemblent depuis plusieurs années des informations à destination des patient.e.s et des professionnels de santé sur le DO du cancer du sein, en s’appuyant sur les données scientifiques les plus récentes et en étant vigilant concernant les liens d’intérêts pouvant impacter ces dernières. Il est possible d’utiliser leur barre de recherche avec des mots-clés adaptés pour trouver la documentation correspondante.

CorteX_logo_formindep
CorteX_Prescrire
CorteX_cancer_rose

Audio – la fasciathérapie "méthode Danis Bois", par Nelly Darbois

Il y a quelques années, nous avions mis en ligne le mémoire « La fasciathérapie « Méthode Danis Bois » : niveau de preuve d’une pratique de soin non conventionnelle » de notre collègue Nelly Darbois. Cela avait provoqué de rocambolesques remouds, narrés dans L’insubmersible canard de bain* : la fasciathérapie « méthode Danis Bois ». Pour le ballado Scepticisme scientifique, Nelly revient sur cette affaire, en expliquant à son hôte Jérémy Royaux la genèse et l’évolution de ce dossier. Bonne écoute !

Télécharger ici

Blouse blanche, blouse transparente ? – Autodéfense intellectuelle et indépendance pharmaceutique dans la poche des blouses des médecins

Le CorteX a une caractéristique : n’entretenir aucun lien d’intérêt avec des entreprises privées. Nous avons souscrit à la charte très inspirée des professionnels de santé du FORMINDEP (voir ici) qui font un travail remarquable. Car si critiquer les médecines dites alternatives est une chose, critiquer le système pharmaceutique actuel est une autre gageure, probablement plus importante encore. C’est pourquoi nous soutenons le « manuel d’autodéfense intellectuelle » de la « troupe du Rire », collectif d’étudiants en santé. À mettre dans les poches de toutes les blouses blanches.

La Troupe du RIRE cherche, avec méthode, à sensibiliser les professionnels de la santé aux nombreuses techniques marketing des laboratoires pharmaceutiques, afin d’éviter d’être pris dans les mailles du filet des industries. Ce livret de 34 pages intitulé « Pourquoi garder son indépendance face aux laboratoires pharmaceutiques ? » a déjà été tiré à 2500 exemplaires en toute fin 2015. On peut consulter le livret sur le site du FORMINDEP, mais également le charger juste ici en pdf.

À offrir à tous nos médecins traitants, pharmaciens, kinés, sage-femmes, brancardiers, étudiant-es (et vous pourrez y rajouter l’article La médecine et ses alternatives, quelques éléments d’autodéfense pour militants-es).


Pour une petite introduction à ces questions d’indépendance des études de santé vis-à-vis de l’industrie, on peut écouter quelques extraits audio ici de témoignages ; de même, une vidéo courte est disponible ci-dessous, avec son script reproduit.

La couleur qui symbolise la santé ? Le blanc, comme celui des blouses de médecins !
Mais qui dit blanc ne dit pas forcément transparent. L’industrie pharmaceutique est, avec la banque, la plus profitable du monde1. Dans le budget d’un laboratoire, le marketing est désormais le premier centre de coût, devant la recherche et le développement2.
Des gros sous pour entretenir avec les professionnels de santé… un dialogue sonnant et trébuchant. Il faut dire qu’avec 18 000 visiteurs médicaux employés en France, l’industrie sait entretenir les contacts3. 333 visites par médecin en moyenne chaque année4, soit un coût de 25 000 € par professionnel5, un record en Europe !

Pas étonnant que des propos alarmistes se fassent entendre :

« L’influence de l’industrie pharmaceutique est hors de tout contrôle. Ses tentacules s’infiltrent à tous les niveaux, médecins, patients, régulateurs, chercheurs, associations caritatives, universités, médias, soignants et politiciens. Ses multinationales planifient, sponsorisent, orchestrent et contrôlent les publications sur tous les essais de médicaments. Sa réputation est aujourd’hui très mauvaise. Il faut de grands changements. »

Sauf que là, cet extrait est tiré d’un rapport du Parlement britannique repris dans The Lancet6, l’un des journaux médicaux les plus réputés au monde !
Cette situation pas terrible-terrible s’explique – entre autre – par l’absence de formation des professionnels de santé pour se prémunir de l’influence de l’industrie.
Un constat plutôt fâcheux… Heureusement, l’Organisation Mondiale de la Santé publie en 2009 un manuel d’enseignement pour remédier à la situation : « Comprendre la promotion pharmaceutique et y répondre », traduit par la Haute Autorité de Santé en 20137.
Mais quand on fait ses études de médecine, on ne prend pas forcément le temps de lire un manuel de 180 pages qui n’est malheureusement même pas au programme.

Du coup, NOUS – collectif d’étudiants en médecine de La Troupe du Rire avons résumé et adapté le fameux rapport de l’OMS. Ça donne ça : ce livret – petit mais costaud : il tient dans la poche d’une blouse blanche – analyse les principales techniques utilisées par l’industrie et cherche à déterminer leur impact :

  • Conduite de la recherche clinique,
  • financement de la formation continue des médecins à 98%8,
  • leaders d’opinion recrutés parmi les professeurs de médecine les plus influents,
  • cadeaux,
  • voyages,
  • financement et publicité dans des revues spécialisées,

et bien d’autres manières encore, de tisser des liens d’intérêts avec les professionnels de santé !
Il met aussi à disposition des ressources pour se former et s’informer de manière indépendante (eh oui c’est tout à fait possible!)

Le livret fait des propositions concrètes pour faire face aux situations où l’on est confronté directement à cette influence, à l’université, à l’hôpital ou dans son cabinet.
Nous attendons toujours qu’une véritable formation soit donnée aux futurs professionnels de la santé sur ces influences contraires à l’intérêt des patients…
Pour combler ce vide, il faut nous informer et nous former par nous-mêmes.
Si comme nous, vous souhaitez mettre à l’ordre du jour les questions de formation des professionnels de santé face à l’influence des laboratoires : aidez-nous à financer l’impression de ce livret pour le faire connaître !

Pour contacter le collectif de la Troupe du RIRE : rire.sue (at) gmail.com

Rapport CORTECS CNOMK : l'ostéopathie crânienne à l'épreuve des faits

En 2014, nous avions réalisé un rapport à la demande du Conseil national de l’ordre des kinésithérapeutes (CNOMK) portant sur le niveau scientifique de la biokinergie. Nous avons par la suite de nouveau été sollicités par le CNOMK afin d’évaluer le niveau scientifique de l’ostéopathie. Devant l’ampleur de la tâche, et  de par les ramifications souvent mal définies de cette pratique, nous nous sommes penché.e.s dans un premier temps sur l’évaluation de l’ostéopathie dite « crânienne » : Rapport CORTECS – Ostéopathie crânienne. Voici un résumé de ce  document de 286 pages pour lequel nous nous sommes efforcé.e.s de décrire le plus précisément et rigoureusement possible les méthodologies de recherche et d’analyse déployées. Pour plus de détails techniques, se rapporter directement au rapport. Des remarques, des questions ? Nous vous invitons à lire la partie QFP à la fin de cet article. 

Résumé

Dans les années qui suivirent l’ouverture des premières formations en ostéopathie par Andrew Taylor Still en 1892, certains praticiens élaborèrent à leur tour des enseignements et furent à l’origine de nouveaux concepts et courants ostéopathiques, dont on retrouve trace dans le paysage ostéopathique actuel, notamment dans les contenus des programmes de formation en France et dans le monde. L’ostéopathie crânienne est le nom d’un de ces courants, donné par son fondateur, William Garner Sutherland (1873-1954). C’est dans les années 1920 qu’il commença à élaborer les concepts et techniques crâniens à partir de l’observation minutieuse des os du crâne et de la face de son squelette Mike, de l’œuvre d’Andrew Taylor Still, et notamment l’importance que celui-ci accordait au rôle du liquide céphalo-rachidien (LCR) ; mais le choc vint de la contemplation d’un crâne de la collection de Still et de l’analogie qu’il fît entre la forme de l’os sphénoïde et celle des ouïes de poissons, « indiquant une mobilité pour un mécanisme respiratoire ».

William Garner Sutherland (1873-1954), fondateur de l'ostéopathie crânienne (Source : Wikipedia, image libre de droit)
William Garner Sutherland (1873-1954), fondateur de l’ostéopathie crânienne. ( Source : Wikipédia )

De là naquît le concept central de l’ostéopathie crânienne, repris par tous les principaux continuateurs de Sutherland (Viola Frymann, Harold Magoun, John Upledger etc.) : le mouvement respiratoire primaire. Actuellement, deux grandes approches conceptuelles des pratiques crâniennes se distinguent, tant à l’échelle française qu’internationale et s’inscrivent dans la continuité des enseignements de Sutherland :

– une approche que l’on pourrait qualifier de « biomécanique » et qui tend à valider scientifiquement ses concepts ;

– une approche qui se qualifie elle-même de « biodynamique » et qui ne tend pas ou très peu à valider scientifiquement ses concepts et fait régulièrement appel à des concepts mystiques, tels que celui de souffle de vie initialement décrit par Sutherland.

Sutures d'un crâne humain qui rendraient possible une mobilité intrinsèque, interne, inhérente à l'intérieur du crâne, qui créerait des mouvements infimes, mais détectables, entre les différents os.
Sutures d’un crâne humain qui rendraient possible une mobilité intrinsèque, interne, inhérente à l’intérieur du crâne, et qui créeraient des mouvements infimes, mais détectables, entre les différents os.

À partir de la lecture des textes des fondateurs et des continuateurs de l’ostéopathie crânienne, puis de la fréquentation des documents issus des principales institutions enseignant ou promouvant la discipline, et enfin de l’analyse de notre synthèse sur les différents concepts du champ crânien, le tout, enfin, assorti des revues de littérature antérieures portant sur ce sujet, nous avons dégagé les hypothèses relevant de l’anatomie, de la biomécanique, de la physiopathologie et de la physiologie humaine sur lesquelles reposent ces pratiques. Aucune des hypothèses qui font la spécificité des fondements physiopathologiques de l’ostéopathie crânienne n’est vérifiée. Les hypothèses dont la vérifiabilité est totalement ou partiellement avérée à l’issue de nos revues de littérature systématique sont en fait des hypothèses non spécifiquement ostéopathiques – c’est le cas par exemple de la circulation du LCR dans l’encéphale.

À l’issue de notre revue systématique de littérature sur les procédures d’évaluation issues de l’ostéopathie crânienne, nous n’avons trouvé aucune preuve en faveur des reproductibilités intra et inter-observateurs de ces procédures. La majorité des études existantes et disponibles échouent à mettre en évidence ces reproductibilités pour tous les paramètres considérés et ce malgré des risques de biais souvent favorables à l’émergence de résultats positifs.

À la clôture de notre revue de littérature sur ce thème, nos résultats montrent que les preuves méthodologiquement valables et favorables à une efficacité spécifique des  techniques et des stratégies issues de l’ostéopathie crânienne sont pratiquement inexistantes. Ces résultats convergent avec toutes les revues de littérature déjà menées sur le sujet.

En définitive, les résultats de nos différentes revues et analyses de la littérature scientifique indiquent clairement que les thérapies s’y rapportant sont à ce jour dépourvues de fondement scientifique. On aurait pu le subodorer dès leur invention, puisque très rares sont les concepteurs de « théories » cranio-sacrées ayant pris le soin élémentaire d’étayer leur pratique d’un quelconque élément de preuve. Cela montre une évidente défaillance épistémologique des fondateurs, mais également des continuateurs qui ont continué d’empiler des briques plus ou moins mal façonnées sur un marécage sans point d’appui.

Souscrivant à l’Onus probandi, un thérapeute quelque peu scientifique aurait assurément pu, à l’instar de Christopher Hitchens, réfuter sans preuve ce qui était affirmé sans preuve. Avec le soutien du CNOMK, nous avons accepté de faire le travail laborieux qui revenait logiquement aux prétendants. De fait, alors que nous pensions qu’il n’y avait pas a priori de raison scientifique de défendre cette discipline, désormais nous le savons. N’étant pas prescripteurs de recommandations, nous nous sommes limités à une analyse impartiale, et c’est cette analyse qui mène à l’énoncé suivant : rien n’encourage aujourd’hui à la mise en place de ces thérapies dans le cadre d’une prise en charge raisonnée de patients.

QFP (questions fréquemment posées)

Ce rapport a été relayé sur différents sites et réseaux sociaux, certains d’entre-eux permettant l’édition de commentaires. Nous ne sommes pas en mesure de lire et répondre à tous ces commentaires mais nous répondrons bien volontiers aux remarques et questions qui :

– concernent strictement le contenu de ce rapport (l’évaluation scientifique de l’ostéopathie crânienne) ;

– nous parviennent directement ( contact@cortecs.org ) ;

– ont un ton courtois et ne font pas d’attaque à la personne ;

– sont étayées avec des références précises et accessibles ;

– ne sont pas déjà traitées dans le rapport.

R. Monvoisin, G. Bronner, éléments de pensée critique utiles à la prévention des dérives sectaires

Voici l’exposé « éléments de pensée critique utiles à la prévention des dérives sectaires » effectué par Richard Monvoisin, en octobre 2015, lors des 40 ans de l’ADFI (Association de défense de la famille et de l’individu) Île de France, qui fait de la prévention vis-à-vis des dérives sectaires. S’ensuit également la présentation du collègue sociologue Gérald Bronner. 

Précision : le Tshirt de Richard est une création de francois-B.

Vidéo – L’ostéopathie en question, Albin Guillaud

Nos collègues de l’Observatoire zététique organisent régulièrement des conférences à Fontaine (38) ouvertes à tou-te-s. Albin Guillaud a été invité à cette occasion le 20 mai 2015 pour présenter une conférence intitulée L’ostéopathie en question qui s’est poursuivie par des questions-réponses.  La prestation a été enregistrée par l’Observatoire zététique. Des problèmes techniques ont été rencontrés, nous nous excusons par avance pour la qualité de l’enregistrement ; le port d’écouteurs audio est vivement recommandé.

Résumé

La reconnaissance légale du titre d’ostéopathe est effective en France depuis 2002. Pourtant, l’approche ostéopathique dite indifféremment “non conventionnelle”, “alternative” ou “complémentaire” est encore objet de vives critiques. Dès lors, difficile pour le patient d’analyser objectivement la validité de cette pratique et de faire le tri parmi les différentes informations souvent contradictoires. Que recouvre exactement ce vocable “d’ostéopathie” ? Quels sont ses principes, ses champs d’applications ? L’ostéopathie a-t-elle une efficacité thérapeutique propre ?

Albin Guillaud, membre du CORTECS et de l’Observatoire zététique, a souhaité répondre à ces questions en apportant un éclairage scientifique et zététique sur cette pratique en vogue.

Vidéo

 Télécharger le diaporama.

Suite à la diffusion de cette vidéo sur le groupe Facebook de l’Observatoire Zététique de Grenoble, un commentaire appelant une réponse a été posté et nous a été signalé par un membre de l’Observatoire. Le commentaire brut ainsi que la réponse sont présentés ci-dessous1.

Commentaire d’un auditeur

Merci beaucoup pour pour cette conférence très bien menée. Quelques questions à l’auteur :

La conférence porte sur l’efficacité de l’ostéopathie mais la méta analyse choisie de Mencke parle des Spinal Manipulative Traitement (SMT) et non de l’Ostepathic Manipulative treatement (OMT), qui est une approche systemique différente. Pourquoi ne pas avoir parler de la Meta analyse Franke et Fryer 2014 (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25175885) qui ne prend en compte que l’OMT. Est ce une forme de cherry picking pour aller dans le bon sens voulu du conférencier ou est ce un oubli ?

A propos de la fiabilité inter examinateur du diagnostic de dysfonction somatique (somatic dysfunction qui est défini dans l’ICD10) et non lesion ostéopathique qui est un terme abandonné depuis les années 50, quelques ref qui aurait pu être lu avant de dire qu’il n’y a rien de fiable :
Degenhardt, B.F., Snider, K.T., Snider, E.J., & Johnson, J.C. Interobserver reliability of osteopathic palpatory diagnostic tests of the lumbar spine: improvements from consensus training. J Am Osteopath Assoc 2005;105:465-473.
Snider, K.T., Johnson, J.C., Snider, E.J., & Degenhardt, B.F. Increased incidence and severity of somatic dysfunction in subjects with chronic low back pain. J Am Osteopath Assoc 2008;108(8):372-8.
Snider, K.T., Johnson, J.C., Degenhardt, B.F., & Snider, E.J. Low back pain, somatic dysfunction, and segmental bone mineral density T-score variation in the lumbar spine. J Am Osteopath Assoc 2011;111(2):89-96.

Enfin à propos de l’effet tiroir, il faut souligner qu’il n’y a pas de financement (ni privé car pas d’interet de vendre un produit, ni publique car ils ne font pas parti du systeme de santé publique) pour la plupart des études et c’est souvent de leur poche que les ostéo qui font de la recherche le font sur leur temps libre, et ils sont motivés par l’analyse critique de leur pratique et il n’y a pas d’intéret financier et donc certainement l’effet tiroir est certainement moindre que dans la publi biomédicale pharmaceutique.

Enfin concernant l’impact sociétal, je ne partage pas le point de vue de l’auteur mais plutot celui de Dagenais et al (A systematic review of low back pain cost of illness studies in the United States and internationally. Spine J 2008, 8:8–20) qui montre que l’impact économique des low back pain est énorme et que l’effet sur la qualité de vie est important

Réponse d’Albin Guillaud

Les différentes portions du commentaire sont reprises.

La conférence porte sur l’efficacité de l’ostéopathie mais la méta analyse choisie de Mencke parle des Spinal Manipulative Traitement (SMT) et non de l’Ostepathic Manipulative treatement (OMT), qui est une approche systemique différente. Pourquoi ne pas avoir parler de la Meta analyse Franke et Fryer 2014 (http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/25175885) qui ne prend en compte que l’OMT. Est ce une forme de cherry picking pour aller dans le bon sens voulu du conférencier ou est ce un oubli ?

Vous avez raison. La méta-analyse de Menke2 ne traite pas de l’Osteopathic Manipulative Treatment (OMT) mais des Spinal Manipulative Treatment (SMTs) : « Objective. Determine relative effectiveness of spinal manipulation therapies (SMTs), medical management, physical therapies, and exercise for acute and chronic nonsurgical low back pain».

Je suppose que, par cette remarque, vous souhaitez indiquer que l’ostéopathie n’est pas concernée par l’étude de Menke. Si c’est le cas et bien il faut avouer que c’est faux (la mise en gras est ajoutée) : «Five SMT provider types were summarized: osteopaths (15 studies/15 arms), physical therapists (22/27), chiropractors (37/39), allopathic medical physicians (9/10), and bonesetters (3/3 for chronic pain only)».

Pour voir les résultats qu’obtiennent les ostéopathes quand ils manipulent des patients atteints d’une lombalgie chronique ou aigue, voir la figure 3 dans la publication : « Figure 3. Best SMT providers. SMT indicates spinal manipulation therapy ».

Notez que, et cela n’est pas mentionné dans la vidéo, les ostéopathes sont les professionnels qui obtiennent les moins bons résultats (qui sont déjà peu supérieurs aux effets des facteurs non-spécifiques et de l’histoire naturelle, et inférieurs à des exercices supervisés pour tous les thérapeutes quelque soit leur affiliation – médecins, physiothérapeutes, ostéopathes, chiropraticiens, bonesetters (rebouteux) ).

Concernant la méta-analyse que vous indiquez3, c’est un malheureux oubli. La raison de cet oubli est assez simple : les recherches bibliographiques menées pour cette conférence n’ont pas inclus le terme « osteopathic » mais uniquement le terme « osteopathy » et celui-ci ne figure pas ni dans le titre ni dans le résumé de cette méta-analyse. Cette meta-analyse sera incluse sans faute lors des prochaines communications. Merci pour ce partage d’information. On peut déduire de votre remarque que vous estimez cette méta-analyse comme constituant un argument en faveur de l’efficacité de l’OMT pour les lombalgies chroniques et aigues. Le CORTECS ne manquera pas de l’analyser en détail.

A propos de la fiabilité inter examinateur du diagnostic de dysfonction somatique (somatic dysfunction qui est défini dans l’ICD10) et non lesion ostéopathique qui est un terme abandonné depuis les années 50, quelques ref qui aurait pu être lu avant de dire qu’il n’y a rien de fiable :

  • Degenhardt, B.F., Snider, K.T., Snider, E.J., & Johnson, J.C. Interobserver reliability of osteopathic palpatory diagnostic tests of the lumbar spine: improvements from consensus training. J Am Osteopath Assoc 2005;105:465-473.
  • Snider, K.T., Johnson, J.C., Snider, E.J., & Degenhardt, B.F. Increased incidence and severity of somatic dysfunction in subjects with chronic low back pain. J Am Osteopath Assoc 2008;108(8):372-8.
  • Snider, K.T., Johnson, J.C., Degenhardt, B.F., & Snider, E.J. Low back pain, somatic dysfunction, and segmental bone mineral density T-score variation in the lumbar spine. J Am Osteopath Assoc 2011;111(2):89-96.

Au sujet des notions de « lésion ostéopathique » vs. « dysfonction somatique », un ostéopathe m’avait également précisé cette nouvelle dénomination à la fin de la présentation. Cependant, nous nous posons toujours la question de l’existence de ces « dysfonctions somatiques ». Nous serions ravis que vous nous indiquiez les travaux qui vous semblent attester de leur existence.

À propos des fiabilités des procédures d’examens, il me semblait avoir parlé uniquement de la fiablilité des procédures diagnostiques en ostéopathie crânienne (qui elles sont véritablement médiocres – au CORTECS, nous avons fait une revue systématique sur le sujet qui sera bientôt rendue publique). En fait, après avoir réécouté ce passage, il s’avère que j’ai bien évoqué les procédures d’examen pour le rachis juste avant de parler des procédures crâniennes. Par conséquent, on a effectivement l’impression que je me prononce pour les deux types de procédures. Je précise donc que nous ne nous sommes pas encore penchés sur les examens du rachis (et nous ne connaissons donc pas les travaux dont vous parlez) et que nous n’avons aucun avis sur la question pour l’instant.

Enfin à propos de l’effet tiroir, il faut souligner qu’il n’y a pas de financement (ni privé car pas d’interêt de vendre un produit, ni public car ils ne font pas parti du systeme de santé publique) pour la plupart des études et c’est souvent de leur poche que les ostéo qui font de la recherche le font sur leur temps libre, et ils sont motivés par l’analyse critique de leur pratique et il n’y a pas d’intéret financier et donc certainement l’effet tiroir est certainement moindre que dans la publi biomédicale pharmaceutique.

L’effet tiroir n’est pas uniquement lié à des situations de financement. Voir ici et (chapitre 6 pour ce dernier lien).

Enfin concernant l’impact sociétal, je ne partage pas le point de vue de l’auteur mais plutot celui de Dagenais et al (A systematic review of low back pain cost of illness studies in the United States and internationally. Spine J 2008, 8:8–20) qui montre que l’impact économique des low back pain est énorme et que l’effet sur la qualité de vie est important

Dans la présentation, mon propos sur la question n’est pas clair. Je vais donc clarifier ici.

  1. Je ne remets pas en cause l’impact sociétal des lombalgies : nous sommes donc en réalité d’accord.
  2. Ce que je questionne, c’est la pertinence d’investir de l’argent, du temps et de l’énergie dans des dispositifs de formation et de recherche (par exemple : thérapie manuelle en général) qui concernent des moyens d’action à l’efficacité propre minime voire douteuse. D’autant plus quand on connaît aujourd’hui le poids de certains paramètres tels que les inégalités sociales de santé4. Dans l’étude de la page 15 de : Lombalgie invalidante et situation sociale, résultats issus de l’enquête HID (Handicap-incapacité-dépendance), France,

Les résultats présentés documentent des inégalités intervenant tout au long de la vie : être enfant de cadre ou de profession intermédiaire est un facteur protecteur vis-à-vis d’une lombalgie invalidante à l’âge adulte ; exercer une profession ouvrière, particulièrement parmi les hommes , est un facteur de risque très important, ce qui est cohérent avec les connaissances sur le rôle des expositions professionnelles ; de plus, une fois que la lombalgie est établie, l’avenir professionnel est compromis, car il devient difficile de se maintenir en activité, et, pour les demandeurs d’emploi, de retrouver un emploi.

Investir pour comprendre les mécanismes de ces déterminants et pour agir dessus, par exemple, pourrait être plus important car cela impliquerait beaucoup plus que le seul problème de la lombalgie5.

Pour toutes réactions complémentaires, n’hésitez pas à écrire à : contact@cortecs.org

Albin Guillaud

Retour d'expérience : débat mouvant « pour ou contre la sectorisation des kinés » ?

Le 17 novembre 2015 Jérémy Muccio est venu présenter à l’Institut de Formation en Masso-Kinésithérapie (IFMK) de Grenoble sa conférence gesticulée devant les étudiant.e.s kinés de première et troisième année et quelques enseignant.e.s de l’IFMK. Avec Jérémy, nous avons voulu prolonger ce temps par un moment d’échanges et d’argumentation avec les étudiant.e.s. En voici un compte-rendu.

Objectifs

Nous avions initialement prévu d’organiser deux débats mouvants sur les thématiques suivantes :

– le tiers payant généralisé 1 ;

– la sectorisation des professionnels de santé2.

Nous avons finalement retenu uniquement la seconde thématique car notre temps a été plus limité que prévu. De plus un enseignant nous a pertinemment fait remarquer que le sujet du tiers payant généralisé serait peut-être trop complexe à traiter avec des étudiant.e.s de première année.

Notre objectif a été de faire prendre position les étudiant.e.s sur un sujet volontairement polémique concernant leur future activité professionnelle mais surtout de mobiliser leurs capacités argumentatives permettant d’étayer leur positionnement.

Déroulement

Nous avons disposé d’1h15 avec environ 100 étudiant.e.s.

Nous avons d’abord présenté l’affirmation polémique sur laquelle ils ont ensuite du prendre position :

Les kinésithérapeutes nouvellement diplômé.e.s doivent s’installer pour une certaine durée dans des zones sous-dotées3. S’ielles refusent, ielles doivent être déconventionné.e.s4.

Nous avons précisé que cette proposition n’était pas le pur fruit de notre invention. Elle s’inspire notamment d’une récente suggestion de la Cour des comptes dans un rapport publié le 15 septembre 2015 5 : « Afin de contribuer au rééquilibrage géographique, une affectation prioritaire [des infirmièr.e.s et kinésithérapeutes] dans des structures collectives situées dans les zones déficitaires mériterait d’être étudiée. » Ce rapport fait le constat de l’augmentation des dépenses par l’Assurance maladie de remboursement des soins pratiqués par les infirmièr.e.s et les kinésithérapeutes en exercice libéral. Il souligne entre autre que pour une même pathologie le nombre d’actes est plus important dans les zones surdotées en professionnel.le.s que dans les zones sous-dotées.

Les médias relaient dès le 15 septembre la publication du rapport de la Cour des comptes. Le parisien sous-titre "l'explosion des dépenses" et des professions "massivement employés", termes à effet impact non employés dans le rapport en question.
Les médias relaient dès le 15 septembre la publication du rapport de la Cour des comptes. Le Parisien souligne en accroche « l’explosion des dépenses » et des professions « massivement implantées« , termes à effet impact non employés dans le rapport en question.

Nous avons proposé aux étudiant.e.s de constituer  :

– un groupe dont les membres étaient a priori pour l’affirmation proposée concernant la sectorisation des kinésithérapeutes, qui devait se placer du côté droit de la salle de conférence dans laquelle avait lieu l’intervention ;

– un groupe contre, positionné à gauche.

Nous leur avons laissé 20 minutes pour discuter en petits groupes au sein de chaque camp des arguments qu’ils pouvaient avancer pour justifier leur prise de position.

Ensuite a eu lieu à proprement parlé le débat mouvant qui a duré environ 30 minutes. Chaque camp a du à tour de rôle énoncer un argument. À l’issu de l’énonciation de chaque argument, les étudiant.e.s ont pu décider de se lever et changer de camp :

– soit parce que l’argument de l’autre camp a été séduisant et a fait fléchir leur positionnement ;

– soit parce qu’il n’ont pas été d’accord avec l’argument énoncé par leur propre camp.

Quelques précautions ont été prises pour que le débat se déroule au mieux et pour faciliter la prise de parole de ceux et celles moins enclin à la saisir :

– chaque personne n’a du prendre qu’une seule fois la parole (lorsqu’il n’y a plus eu de nouvelles mains levées, nous avons redonné la parole à celles et ceux l’ayant déjà pris) ;

– il n’a pas fallu répondre directement aux arguments du camp adverse, mais relancer un nouvel argument ;

– il a été préférable de jouer le jeu et de ne pas hésiter à changer de camp, plutôt que de rester campé sur ses positions initiales.

Initialement, les « pour » étaient minoritaires (environ 1/3 des étudiant.e.s). À l’issu du débat, les groupes étaient équilibrés. Nous avons été content.e.s de la façon dont s’est déroulé le débat, des prises de parole relativement bien réparties et nombreuses, et du fait que plusieurs étudiant.e.s aient changé leur positionnement au cours du débat.

Voici un résumé des arguments énoncés ; nous espérons ne pas les avoir trop déformés en en prenant note.

Arguments proposés par les étudiant.e.s

POUR

CONTRE

Les difficultés d’accès au soin dans les zones sous-dotées font que les personnes consultent moins souvent et plus tardivement. La prise en charge de leur pathologie pourra donc coûter finalement plus cher.

La prise en charge des personnes sera de moins bonne qualité car les kinésithérapeutes ne seront pas motivé.e.s par leur travail.

Quand on sort de l’école, on est plus motivé, donc même si on travaillera dans une zone imposée, on pourra rester motivé.

Il y a un manque de kinés aussi dans les zones surdotées puisqu’il y a encore des kinés qui prennent en charge 5 patients par 30 minutes dans ces zones.

Si l’on n’est pas d’accord, on a la possibilité du déconventionnement.

Des obligations personnelles et familiales peuvent nous contraindre à devoir rester dans une territoire bien précis.

Il s’agit d’une restriction de liberté de courte durée.

Si le kiné fait le choix d’être déconventionné, alors il aura plus difficilement accès à de la formation continue, et donc ses soins seront de moins bonne qualité.

La sécurité sociale est un système de solidarité, c’est notre devoir d’être solidaire et de faire des concessions sur notre liberté.

Les étudiant.e.s kinés sont déjà parfois obligé de rester pendant 4 ans loin de leur région de naissance pour leurs études. Cette mesure rallongerait cette période d’éloignement non désirée.

Si la Cour des comptes suggère cela, c’est qu’il y a des bonnes raisons économiques à le mettre en place.

Si les kinés font le choix d’être déconventionné.e.s, ils vont sélectionner leurs patient.e.s par l’argent.

Il y a des déserts médicaux partout sur le territoire, pas forcément loin de nos régions d’origine.

Cela ne va pas réduire les dépenses en santé car les kinés voudront rester dans les zones sur-dotées.

Cela permettrait de créer une dynamique et de faire en sorte que les choses bougent, d’améliorer les intéractions ville-campagne.

Les kinés doivent naturellement tendre vers une installation dans des zones sous-dotées sans que cela soit imposé.

Les modalités pourront être plus ou moins souples, cela pourra être pour une durée courte, et on pourra tout de même aller dans différentes régions.

Il y a d’autres solutions comme l’augmentation du numerus clausus.

Cela permettra une redistribution des patient.e.s.

S’il n’y a pas de médecins dans ces zones, alors il n’y aura pas de travail pour les kinés.

Cela permettra d’apporter des soins aux gens qui n’y ont aujourd’hui pas accès alors qu’ils sont dans le besoin.

C’est aux kinésithérapeutes diplômés à l’étranger, nombreux à venir en France, de s’installer dans les zones sous-dotées.

Dans les années qui suivent le diplôme, les kinés font surtout des remplacements, il suffirait qu’il y ait des cabinets dans ces zones là pour faciliter les remplacements.

Cela touche à notre liberté individuelle.

Si l’on tient à s’installer dans un endroit bien précis, alors on sera libre de s’y installer en activité salariale plutôt que libérale.

Si on accepte l’obligation de s’installer pour une courte durée dans une zone sous-dotée, alors c’est la porte ouverte à ce qu’on nous oblige d’y rester pour une durée beaucoup plus longue.

Le redistribution des professionnels de santé sera d’autant plus facile si elle résulte d’un effort commun des professionnels.

Il ne se sera pas possible d’apprendre des choses par l’intermédiaire d’autres kinés puisqu’il n’y aura personne à la ronde.

Les zones sous-dotées ne sont pas situées qu’à la campagne.

Il y a des gens qui ne sont pas faits pour vivre à la campagne, ils risqueront de tomber en dépression.

Brève analyse des arguments

Pente glissante
Pente glissante

Nous n’avons pas pris le temps de revenir sur certain.e.s des arguments qui parfois reposent  sur des constats empiriquement non vérifiés (le fait que les zones sous-dotées soient situées uniquement à la campagne6 ; le fait d’être plus motivé lorsqu’on sort de l’école – à notre connaissance, il n’existe pas de données à ce sujet, etc.) ; sur des erreurs de raisonnement (pente glissante 7 : « Si on accepte l’obligation de s’installer pour une courte durée dans une zone sous-dotée, alors c’est la porte ouverte à ce qu’on nous oblige d’y rester pour une durée beaucoup plus longue. » ; argument d’autorité : « Si la Cour des comptes suggère cela, c’est qu’il y a des bonnes raisons économiques à le mettre en place. » ), faute de temps et d’anticipation de notre part quant à la survenue de tels arguments.

Remarques et bilan

À froid, deux remarques sont à faire selon nous.

Une première concernant la facilité avec laquelle les étudiant.e.s ont pris position, mais ont aussi changé leur positionnement (pour certain.e.s), ainsi que la diversité des arguments proposés dans un camp comme dans l’autre. Ces éléments entrent en contradiction avec le fait que les étudiant.e.s (comme la majorité de la population) soient très peu sollicité.e.s dans les processus de prise de décision concernant des mesures, législatives ou non, qui auront un impact direct avec leur activité quotidienne. Une intervention de ce type, certes de très faible taille et ampleur, nous laisse penser que l’implication d’étudiant.e.s kinés dans des processus décisionnels concernant leurs activités actuelle et future serait légitime.

Une seconde remarque au sujet de la proposition de sectorisation des kinésithérapeutes comme un des moyens de limiter l’augmentation des dépenses de remboursement par l’Assurance maladie. Cette proposition s’inscrit dans une volonté plus large de diminution du déficit de la Sécurité sociale (composé de la branche maladie, mais pas que), souvent appelé « trou de la sécu » 8. Or, un déficit est nécessairement composé d’un déséquilibre entre des recettes et des dépenses. Dans son rapport, la Cour des comptes ne propose que des mesures vis-à-vis de la réduction des dépenses et non de l’augmentation des recettes. De plus, le gain économique qui résulterait de ces mesures (comme de celle de la sectorisation des infirmièr.e.s et kinés) n’est pas quantifié. À l’inverse, nous disposons depuis plusieurs années de données concernant le gain qui pourrait résulter de mesures prises concernant l’augmentation des recettes. L’État tout comme de grandes entreprises ne versent pas au régime général l’intégralité des cotisations qu’ils devraient lui transmettre, suite notamment aux mesures d’exonération fiscale ou de cotisations pour les bas salaires 9.

Nous referions bien volontiers un débat de ce type auprès d’étudiant.e.s kinés, en anticipant peut-être mieux la survenue d’arguments non valables et en trouvant une solution pour les décortiquer sans pour autant blesser les personnes les énonçant. Nous aimerions aussi procéder à une évaluation, par les étudiant.e.s, de la pertinence de l’organisation de ce type de débat à leurs yeux.

Nelly et Jérémy