Ressources pour une laïcité active

La posture d’un-e enseignant-e critique est la même que celle d’un-e scientifique : elle procède d’un contrat laïc, c’est-à-dire qu’elle passe par une lecture non-surnaturaliste du monde, une lecture matérialiste au plan méthodologique (voir ici). Au fond, peu importe les croyances qui l’habitent : elles peuvent lui servir de moteur, d’inspiration, mais doivent rester cantonnées dans sa sphère privée. C’est lorsque les croyances, religieuses ou non, débordent dans la sphère publique qu’il y a danger de passer d’une rationalité partagée à un affect centré sur soi. Si notre critique des croyances pseudoscientifiques est déjà bien étoffée, celle des croyances religieuses est bien plus discrète, probablement à cause du tour de passe-passe syllogistique suivant : celui qui défend la laïcité est contre les religions, or être contre les religions est insensé/immoral/irrespectueux (cochez la bonne réponse) donc… Nous pensons que les intrusions religieuses ou spiritualistes dans la sphère publique sont à chaque fois un recul. Voici un petit recueil d’événements et de ressources laïques, pour étoffer des ateliers à venir. D’aucuns y verront-ils du matériel athée ? Alors il faudra prendre « athée » au sens que lui donnait Bertrand Russell vis-à-vis sa théière cosmique : qui souscrit, à une lecture bright, héritière des Lumières.

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Brèves

Les brèves présentées ici sont mises dans un ordre chronologique.

  • Septembre 2015

Notre-Dame du Laus, Laudun, Sommières, ont comme Peyres-Tortes procédé à une bénédiction des cartables le dimanche 6 septembre. Voici le texte exact de la prière :

Prière dite par le prêtre.

« Dieu qui sanctifies tout par Ta parole, répands ta bénédiction sur ces cartables et fais que tous ceux qui s’en serviront avec amour et courage, selon Ta volonté, reçoivent de Toi l’intelligence et la force de travailler pour Ta gloire. Par le Christ Notre Seigneur. »

  • août 2015

La petite comune de Peyres-Tortes, près de Perpignan, a organisé une « bénédiction des cartables » dans la chapelle, le 30 août, pour les enfants de tous âges, mais aussi pour les parents et les enseignants (source : L’indépendant de Perpignan)

  • 12 mai 2015

CorteX_Ananta_Bijoy_DashUn troisième blogueur « libre-penseur » assassiné au Bangladesh

Un commando armé de machettes a tué un blogueur, mardi 12 mai 2015, à Sylhet, dans le nord-est du Bangladesh. Ananta Bijoy Das écrivait pour Mukto-Mona (« libre pensée »), un site Internet connu pour son engagement contre l’extrémisme religieux, autrefois animé par le blogueur américain d’origine bangladaise Avijit Roy lui-même assassiné au début de l’année à Dacca. Selon des djihadistes du groupe Ansar Al-Islam Bangladesh, repris par le centre américain de surveillance des sites islamistes SITE, le meurtre aurait été revendiqué par l’organisation Al-Qaida dans le sous-continent indien (AQSI) basée au Pakistan, dirigée par Assim Oumar et s’étendant à l’Inde, au Bangladesh et jusqu’à la Birmanie.

C’est le troisième meurtre de « libre-penseur » depuis le début de l’année, a annoncé la police. Un autre blogueur, Washiqur Rahman, a également été tué à coups de couteau en mars à Dacca. Ananta Bijoy Das « avait reçu des menaces d’extrémistes pour ses écrits au cours des derniers mois. Il était sur leur liste de cibles », a confié Debasish Debu, un de ses ami à l’AFP, faisant référence à une liste supposée de blogueurs athées, menacés par des activistes islamistes. En février, l’assassinat d’Avijit Roy, fervent promoteur de la sécularisation de l’islam dans ce pays où 90 % des 160 millions d’habitants sont musulmans, avait suscité l’indignation à la fois dans son pays et à l’étranger. Son meurtre a été revendiqué il y a une semaine par Al-Qaida sur le sous-continent indien, entité d’Al-Qaida dont la création avait été annoncée en septembre. Farabi Shafiur Rahman, un islamiste, considéré comme le principal suspect, a été arrêté au début du mois de mars. (d’après Le Monde, 12 mai 2015).

  • 29 avril 2015

« Les autorités de l’état de l’Indiana, après avoir voté une loi restaurant une liberté religieuse jamais remise en question, se voient dans l’obligation de l’amender peu de temps après, tant les fondamentalistes en ont fait un instrument de discrimination envers autrui, plus que de liberté personnelle. Les républicains, qui ont adopté ce texte, ont inspiré leurs homologues de l’Arkansas, qui se sont dotés du même arsenal juridique, permettant aux individus et aux entreprises de se défendre contre les entraves « substantielles » à leurs convictions religieuses. Du coup, deux états ont vu fleurir les pizzerias et autres lieux de restauration qui ne veulent pas servir les couples homosexuels ou les personnes appartenant à d’autres communautés religieuses. Face  au tollé soulevé dans l’ensemble du pays à cause de la multiplication des cas d’homophobie, une clause interdisant toute discrimination a été ajoutée au texte de loi ». Extrait du Canard enchaîné.

  • 30 mars 2015

CorteX_Washiqur_RahmanWashiqur Rahman, 27 ans, blogueur athée, vient d’être CorteX_Washiqur_Rahman_tuémassacré dans la rue, dans la longue lignée d’assassinats d’athées ou de progressistes dont le dernier point d’orgue était Avijit Roy, fin février, achevé à la machette. D’autres menaces du même type sont proférées à l’enconte d’autres militants, notamment Imran H. Sarker. Ces menaces viennent semble-t-il de l’équipe d’Ansarullah Bangla, groupe intégriste ultraviolent inspiré de Anwar Al-Awlaki, un activiste d’Al Qaida basé au Yémen. Pétition ici.

  • 29 mars 2015

CorteX_Demon_Test_Bob_LarsonNous apprenons (dans le magazine Skeptic vol. 20. N°1) que le Révérend Bob Larson a mis en vente un test d’évaluation d’envoûtement par des démons, appelé Demon Test (9,95$). Il avait déjà fondé l’École Internationale d’Exorcisme, qui vous forme à l’exorcisme pour 2000$.

  • 14 mars 2015

Zakieya Latrice Avery, de Gremantown près de Washington (EU), et Monifa Sanford son amie, viennent d’être condamnées pour le meurtre des deux enfants de Zakieya : celle-ci, qui se disait « commandeur » d’un culte appelé « Demon assassin » a poignardé ses enfants de 1 et 2 ans, les pensant envoûtés par des démons. Si personne n’avait appelé le 911, a déclaré le juge, ses deux autres enfants de 5 et 8 ans, poignardés eux aussi, y seraient également passés.

  • 13 mars 2015

CORTECS_women_footbalDans l’Est du Bangladesh, une fatwa a été lancée contre un match de football féminin. Le match est désormais annulé par les autorités : « L’Islam ne permet pas de regarder des femmes jouer sur un terrain avec des tenues courtes« , déclarèrent les fondamentalistes. Merci à Taslima Nasreen pour cette information.

  • 9 mars 2015

Le Vatican justifie l’excommunication d’une mère brésilienne et de médecins, pour l’avortement d’une fillette de 9 ans. L’enfant avait été violée par son beau-père qui, lui, n’est pas excommunié.

Le cardinal Giovanni Battista Re, préfet de la congrégation pour les évêques au Vatican, a justifié l’excommunication de la mère d’une Brésilienne de 9 ans ayant avorté après avoir été violée par son beau-père, car les jumeaux qu’elle portait « avaient le droit de vivre », apprend-on ce lundi 9 mars.
L’archevêque de Recife dans le nord-est du Brésil a excommunié jeudi la mère de l’enfant, qui a avorté de jumeaux alors qu’elle était enceinte de quinze semaines.
L’excommunication a été étendue à toute l’équipe médicale qui a pratiqué l’opération, mais pas au beau-père de l’enfant car « le viol est moins grave que l’avortement » a expliqué Giovanni Battista Re (Extrait du Nouvel Observateur).

  • 26 février 2015

CORTECS_Avijit_RoyLa longue série de militants athées, rationalistes ou libres penseurs se faisant dessouderCORTECS_Avijit_Roy se prolonge. C’est cette fois Avijit Roy, bengali naturalisé étasunien, bloggeur et grand militant rationaliste qui a été assassiné. Défenseur des droits humains, anti-censure, sceptique, féministe et humaniste séculier, il animait le site libre-penseur Mukto-Mona. Il a été abattu à coups de machette à Dhaka, et sa femme sévèrement blessée. 

https://youtu.be/es6Sob_DmWQ 

  • 20 février 2015

CORTECS_Govind_PansareGovind Pansare, militant progressiste athée, et sa femme Uma, ont été abattus par des motards près de chez eux le 16 février. Govind est décédé à Mumbaï 4 jours plus tard. Il faisait l’objet des mêmes menaces que Narendra Dabolkar, tué en août 2013 (cf. plus bas).CORTECS_Govind_Pansare_Hopital

  • 18 février 2015

Le cheikh Bandar Al-Khaibari, prédicateur saoudien, a fait une « démonstration » d’astronomie à l’université et diffusée à la télévision Al-Arabiya, « prouvant » que le Soleil tourne autour de la Terre. « C’est pour cela que les avions arrivent à destination (…) Si vous dites que ça tourne, si nous quittons l’aéroport Sharjah pour un vol international vers la Chine, la Terre tourne, n’est-ce pas ? Donc si l’avion s’arrête toujours en vol, la Chine ne devrait-elle pas venir vers lui ? » Un grand moment de sciences physiques.

https://youtu.be/-9Jp_XCvVto

  • 17 février 2015

CORTECS_Kirschenaustritt« Français d’Allemagne, il est urgent de vous faire rayer des listes de baptême« , article de Thomas Bores sur rue89 qui montre comment être simplement baptisé vous vaut de payer le denier du culte, même lorsque vous êtes athée. Le comble de l’histoire est qu’un système digne d‘Interpol a mené l’Église allemande à demander à l’Église française le certificat de baptême du plaignant. Une solution à cela est la désinscription du registre des baptêmes. Pour les ressortissants allemands, autrichiens ou suisses, on consultera le site Kirschenastritt. Pour les Français, la marche à suivre d’apostasie (très efficace) est donnée par la Libre Pensée ici.

  • 26 janvier 2015

Lors du changement de gouvernement grec, quelques journaux se demandent si l’équipe d’Aléxis Tsípras abrogera le délit de blasphème en Grèce. L’article 198 du code pénal grec punit en effet (de deux ans de prison) celui qui, en public et avec malveillance, offense Dieu de quelque manière que ce soit, et celui qui manifeste en public, en blasphémant, un manque de respect envers le sentiment religieux. L’article 199 prévoit la même peine en cas de blasphème contre la religion orthodoxe et les autres religions reconnues (reste à savoir ce qui est reconnu et selon quels critères). Cette loi a été utilisée pour faire condamner à 6 mois de prison in abtentia en janvier 2005 l’illustrateur autrichien Gerhard Haderer pour une BD jugée blasphématoire (La vie de Jésus) après en avoir interdit la parution en 2003 (condamnation heureusement levée en cour d’appel ensuite).

  • 15 janvier 2015

CORTECS_bonhommes-de-neige-sacrilege-en-arabie-saouditeLors des chutes de neige de l’hiver, Muhammad Saalih Al-Munajjid (محمد صالح المنجد), cheikh du nord de l’Arabie saoudite a émis une fatwa pour interdire les bonhommes de neige car ces passe-temps reviendraient à édifier des « idoles impies ».

Ce monsieur a par ailleurs d’autres sources de courroux :

– Les femmes qui conduisent (cf. plus bas).CORTECS_muhammad-salih-al-munajjid

– Selon lui, les souris sont des créatures du diable (par conséquent le dessin Tom & Jerry est corrupteur, tout comme Mickey).

– Hacker un site n’est pas bien, sauf si c’est un site juif (Saudi Cleric Muhammad Al-Munajjid Issues Fatwa Permitting Hacking into « Jewish Websites », MEMRITV, Clip No. 3687 January 21, 2011).

– Le tsunami de 2004 aurait pour cause Allah, qui se venge des vacanciers chrétiens pétris d' »immoralité, abomination, adultère, alcool, danse en état d’ébriété, festivités« .

At the height of immorality, Allah took vengeance on these criminals. « Those celebrating spent what they call ‘New Year’s Eve’ in vacation resorts, pubs, and hotels. Allah struck them with an earthquake. He finished off the Richter scale. All nine levels gone. Tens of thousands dead. « It was said that they were tourists on New Year’s vacation who went to the crowded coral islands for the holiday period, and then they were struck by this earthquake, caused by the Almighty Lord of the worlds. He showed them His wrath and His strength. He showed them His vengeance. Is there anyone learning the lesson? Is it impossible that we will be struck like them? Why do we go their way? Why do we want to be like them, with their holidays, their forbidden things, and their heresy?

  • 11 janvier 2015

Le ministre des affaires étrangères algérien Ramtane Lamamara a défilé à Paris dans la manifestation Je suis Charlie, tandis qu’à Alger toute manifestation de soutien à « Charlie » était strictement interdite.

  •  9 janvier 2015

CORTECS_raif-badawiLe blogueur Raif Badawi a reçu ses 50 premiers coups de fouet en place publique. Condamné à 10 ans de prison et 1000 coups de fouet pour avoir osé critiquer la police religieuse. Chaque vendredi, coups de fouet par série de 50. Pourtant, le 11 janvier, l’Arabie Saoudite dépêchait à Paris le N°2 de sa diplomatie, Nizar al-Madani, pour représenter le pays lors du défilé de soutien à « Charlie ».

  • 30 décembre 2014

CORTECS_BuddhaHeadphonesPhilip Blackwood, néo-zélandais, Htut Ko ko Lwin et Tun Thurein, deux Myanmarais, croupissent en prison en attendant d’être jugés par le tribunal de Yagoon pour « insulte à la religion ». Ils ont été poursuivis par le département des affaires religieuses du Myanmar pour avoir posCORTECS_Htut_ko_ko_Lwinté sur Facebook une publicité de leur bar, où l’on voit un Bouddha portant des écouteurs. Ce sont les radicaux du Mabhata, comité pour la protection de la race et de la religion, qui poussent à la condamnation de ces trois hommes – de même qu’ils poussent au départ les 10 % de la minorité musulmane pour « épurer la race ». En mars 2015, ils écopent d’un an de travaux forcés.

  • 7 décembre 2014

« Epargnez-nous la guerre des crèches ! » écrit le Parisien. « Cette année, la Sainte Vierge et Jésus ne seront pas jetés dehors comme il y a 2000 ans. Ils resteront bien au chaud dans notre mairie« , déclare Robert Ménard, maire de Béziers… en pleine opposition avec la loi de 1905 qui interdit les emblèmes religieux « sur les monuments publics (…) à l’exception des édifices servant au culte« . Une autre crèche, installée dans la Préfecture de la Roche-sur-Yon, a été retirée, sur décision du tribunal administratif.

  • 1er décembre 2014

CORTECS_Loujain_HathloulLoujain Hathloul (لجين هذلول الهذلول) saoudienne de 25 ans, a été arrêtée par la police saoudienne au volant d’une voiture, ce qui est interdit car selon les autorités de Riyad, « cela enfreint la cohésion sociale« . La contrevenante risque dix coups de fouets. Une campagne est lancée, libérez Loujain, sur Facebook. Mais il s’agirait plutôt de « libérez-nous des systèmes politiques non laïcs ».

  • 31 octobre 2014

Le premier ministre roumain, Liviu Dragnea a déclaré en pleine campagne électorale :CORTECS_dragnea_liviu « Nous devons aider l’Église. Elle est le seul repère qui procure un soutien moral et assure notre tranquillité. » (Note : l’Église orthodoxe roumaine ne paie pratiquement pas d’impôts).

  • 25 octobre 2014

Brishna, une fillette âgée de 10 ans de la province afghane de Kunduz, a été violée par un mollah local en mai 2014. Même si le mollah en question a été condamné (25 ans de prison), elle risque d’être victime d’un meurtre pour des questions d’« honneur » aux mains de sa famille et des membres de sa communauté. La militante des droits des femmes qui la soutient est en butte à des menaces de mort. Une pétition d’Amnesty International est disponible ici.

  • 17 octobre 2014

CORTECS_Asia-BibiAsia Bibi, une chrétienne pakistanaise condamnée à mort pour blasphème en 2010, a été déboutée en appel par la haute cour de Lahore. Le 16 octobre, la haute cour de Lahore a débouté de son appel. Âgée de 45 ans et mère de cinq enfants, cette femme a été déclarée coupable de blasphème le 8 novembre 2010 et condamnée à la peine capitale en vertu de la section 295C du Code pénal pakistanais car elle aurait outragé le prophète Mahomet lors d’une altercation avec une musulmane. L’équité de son procès est fortement mise en doute. Asia Bibi affirme que les éléments attestant prétendument le blasphème, qui ont été jugés recevables par différents tribunaux, ont été forgés de toutes pièces et qu’elle n’a pas pu consulter d’avocat pendant sa détention ni le dernier jour de son procès, en 2010. L’avocat d’Asia Bibi estime que l’affaire est fondée sur des ouï-dire. Des défenseurs des droits humains ont dénoncé, quant à eux, le fait que les juges de la haute cour de Lahore avaient peut-être débouté Asia Bibi de son appel par crainte pour leur sécurité. Des groupes religieux réclamant l’exécution de cette femme étaient présents au tribunal. Rappelons que le 4 janvier 2011, le gouverneur du Pendjab Salman Taseer, qui avait publiquement défendu Asia Bibi, est assassiné. Le 2 mars, le ministre fédéral des Minorités religieuses, Shahbaz Bhatti, de confession catholique, qui l’avait lui aussi publiquement soutenue, et avait appelé à un amendement de la loi sur le blasphème, est à son tour assassiné.

  • 5 octobre 2014

A Nice, le père Gil Florini (encore) a béni dans son église Saint Pierre d’Arène les animaux (compagnie et ferme).

  • 26 septembre 2014

A Nice,  le père Gil Florini a béni dans son église Saint Pierre d’Arène les téléphones et les tablettes, au nom de l’Archange Gabriel, saint-Patron des transmissions (sic!)

CorteX_Affiche_benediction_telephones CorteX_Gil_Florini_telephones

  • 20 juin 2014

Ghoncheh GhavamiGoncheh Ghavami, Irano-britannique de 25 ans, a été arrêtée à Téhéran pour avoir voulu assister à un match de volley-ball masculin. Elle a été condamnée à un an de prison et à deux ans d’interdiction de retour dans son pays, le Royaume-Uni. Pétition ici.

  • 18 juin 2014

La saoudienne Souad al-Chammari, co-fondatrice du site « Réseau libéral saoudien » quiCORTECS_souad_al_chammari critique l’establishment religieux, a été mise en prison à Djeddah pour « insulte à l’Islam » : dans un tweet, elle avait posté la photo d’un homme faisant le baise-main à un religieux barbu, avec le commentaire : « Remarquez la vanité et l’orgueil sur son visage quand il trouve un esclave pour lui baiser la main. » . Et dans un autre tweet, elle avait interpellé les autorités à propos de l’arrestation de deux femmes par la police  religieuse au motif qu’elles avaient pris un taxi conduit par un homme.

  • 15 juin 2014

CORTECS_Manal_al-ShraifLa saoudienne Manal al-Chérif (منال الشريف‎) a été arrêtée en mai 2011 et maintenue 10 jours enCorteX-New_Saudi_Arabia's_traffic_sign_ détention après avoir diffusé sur YouTube une vidéo dans laquelle on la voyait conduire. Elle a ensuite lancé le mouvement pour le droit des femmes à conduire.

  • Juin 2014

Sheima Jastaniah, une Saoudienne, a été condamnée à dix coups de fouet pour avoir bravé l’interdiction de conduire (elle fut graciée en novembre 2011 par le roi).

  •  8 octobre 2013

Saudi preacher gets fine and short jail term for raping and killing daughterFayhan al-Ghamdi, prédicateur télévisé saoudien, a été condamné à 8 ans de prison, et à la rançon du sang (blood money) de 31 000 livres pour avoir massacré sa fille de 5 ans, en la violant plusieurs fois (concerné qu’il était par sa virginité, dit-il) en lui enfonçant la boite crânienne et en lui brisant le dos. La petite Lama al-Ghamdi succombera à ses blessures au bout de 7 mois.

  •  20 août 2013

Un des plus grands militants pour l’abolition des superstitions à caractères racistes et discriminatoires, le rationaliste Narendra Dabolkhar, a été tué à coups de poignards dans la rue. Il avait fondé et présidé la Maharashtra Andhashraddha Nirmoolan Samiti (MANS), association anti-superstition en 1989. Il se savait menacé depuis longtemps, et avait toujours refusé une garde rapprochée. Du fait de sa mort, l’ordonnance appelée Anti-Superstition and Black Magic Ordinance fut promulguée quatre jours plus tard dans l’État du Maharashtra. Le CORTECS lui a dédié plusieurs cours. Rares furent les médias à traiter cette histoire, si ce n’est la Fédération Nationale Pour la Libre pensée.

Ressources audio

L’affaire Calas, par Robert Badinter

CorteX_affaire_CalasÉmission du 5 mars 2015 des nouveaux chemins de la connaissance, sur France Culture.

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Voltaire et la religion

Au long de sa vie passablement agitée, Monsieur le Multiforme n’a évidemment pas toujours tenu le même discours en matière de religion mais il s’est toujours inscrit entre deux bornes : ni fanatisme ni athéisme. « L’athéisme et le fanatisme sont deux monstres qui peuvent dévorer et déchirer la société », dit-il et il ajoute : « L »athée dans son erreur conserve sa raison, qui lui coupe les griffes alors que le fanatisme est atteint d’une folie continuelle. » Ceci est écrit en 1771.

C’est dans ses dernières années qu’on peut en effet le mieux saisir le langage de Voltaire en la matière. Auparavant, il a pu varier selon le moment, l’opportunité, le genre littéraire qu’il pratiquait. Mais, après 1762 et l’affaire Calas, il habite pleinement sa vérité.

Sa célébrité et sa fortune le protègent, l’âge le libère. Depuis son château de Ferney, à la frontière helvétique, il expérimente la fonction du guetteur d’idées : chaque fois qu’il le peut, il sonne l’alarme contre les dévots de tous poils. Depuis, le rôle a été repris des milliers de fois. Mais le dernier Voltaire, le Voltaire septuagénaire l’emporte souvent sur ses successeurs par la grâce de son style : le goût du trait et de la pointe, la légèreté de l’écriture… C’est, peut-être, le premier intellectuel au sens que donnera au mot l’affaire Dreyfus mais aussi, loin de tout dieu qui l’aurait culpabilisé, le dernier intellectuel qui donne l’impression d’être heureux…

Avec André Versaille. Cette émission de La marche de l’Histoire a été diffusée sur France Inter le 31 octobre 2013.

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Loi de séparation de l’Église et de l’État en France

CorteX_la-separation_eglise_EtatLe texte est d’importance, il rompt avec le Concordat de 1802 : le catholicisme, « religion de la grande majorité des citoyens », y était conçu en rempart de l’ordre, ses évêques et ses prêtres salariés, logés, tels des fonctionnaires.

La séparation telle que la choisissent ses inspirateurs, partisans de l’apaisement, ne met pas pour autant fin aux relations des Églises et de l’État. La République ne reconnaît plus  les cultes. Cependant, elle a encore à les connaître puisqu’elle se préoccupe de la liberté de leur exercice. A cet effet, sont considérées toutes les questions de biens et d’argent qui pourraient se poser pour les édifices.

La loi  imagine des interlocuteurs pour chacun d’entre eux, qui seraient des associations cultuelles. Mais la catholicité refuse de se laisser atomiser. Au début de 1906, l’inventaire des églises, qui aurait dû n’être qu’un épisode technique, vire au tragique dans certaines régions. Clémenceau, ministre de l’Intérieur et farouche anticlérical pourtant, en conclura qu’on ne doit pas mettre en jeu des vies humaines pour compter des chandeliers… Ce sont les diocèses qui, de fait, deviennent affectataires des églises. Et, quinze ans plus tard, la République trouvera plus commode de rétablir les relations diplomatiques avec le Vatican !

La loi  du 9 décembre 1905 avait tout prévu par le menu. Sauf, tout de même, l’avantage qu’en tira l’Église, assurée désormais d’une assise matérielle stable.

La loi avait tout prévu mais l’islam, pourtant si présent dans les colonies, n’était pas sur la photo. Et, si plastique soit-elle, la loi de 1905 ne peut guère lui faire de place sauf à être modifiée.

Cette émission de La marche de l’Histoire a été diffusée sur France Inter le 5 février 2015.

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Coluche faisant un bras... long comme ça

Susan Haack : La métaphore des mots croisés et le bras long du sens commun…

Susan HaackL’œuvre de l’épistémologue Susan Haack est plutôt inconnue en France. Voici un moyen d’y remédier, en reproduisant ici avec l’aimable autorisation de la Société du Québec de Philosophie un texte stimulant, qui introduit une métaphore dont nous nous servons souvent : celle des mots croisés. L’illustration, il faut l’avouer, est de notre fait.

Le bras long de ColucheLe bras long du sens commun en guise de théorie de la méthode scientifique

Susan Haack, University of Miami s.haack@miami.edu

Ce texte a été publié dans Philosophiques, Volume 30, numéro 2, automne 2003, p. 295-320. Il représente le chapitre 4 du livre Defending science – within reason between Scientism and Cynicism (publié chez Prometheus Books en 2007, réédité en 2013 avec une nouvelle préface).


« La méthode scientifique, dans la mesure où c’est une méthode, bouscule sans ménagement notre esprit, et tous les coups sont permis ». Percy Bridgman, « The Prospect for Intelligence », Yale Review. 1955

Représentez-vous un scientifique comme quelqu’un qui travaille sur sa section dans une énorme grille de mots croisés : s’appuyant sur l’information dont il dispose, il devine la réponse, vérifiant encore et encore si celle-ci concorde avec l’indice et les entrées déjà complétées qui la croisent et si ces dernières concordent aussi avec leurs indices de même que les autres entrées, soupesant la probabilité que certaines de celles-ci soient erronées, puis essayant de nouvelles entrées à la lumière de celle-là, et ainsi de suite. La grille est en grande partie vide, mais beaucoup d’entrées sont déjà complétées, certaines à l’encre quasi indélébile, d’autres à l’encre ordinaire, d’autres encore au crayon plus ou moins appuyé, au point parfois de s’effacer. Certaines sont en anglais, d’autres en swahili, en flamand, en espéranto, etc., etc. Dans certaines sections, plusieurs longues entrées ont été écrites à l’encre d’une main ferme ; ailleurs, il y en a peu ou pas. Certaines entrées ont été complétées des centaines d’années auparavant par des scientifiques morts depuis longtemps, d’autres la semaine dernière. À certaines époques, en certains lieux, sous peine de renvoi ou pire encore, seuls les mots du novlangue peuvent être utilisés ; ailleurs, des pressions s’exercent pour que telles entrées soient remplies d’une certaine façon à l’exclusion d’une autre, ou pour qu’on se penche sur une section complètement vide plutôt que de travailler sur une partie plus facile et déjà partiellement remplie — ou pour qu’on ne travaille pas du tout sur certaines sections. Des équipes rivales se querellent au sujet de certaines entrées, les repassant au crayon ou même à l’encre puis gommant tout, peut-être dans une douzaine de langues et dans un délai déterminé. D’autres équipes coopèrent en vue de mettre au point une procédure pour débiter toutes les anagrammes d’un indice long comme un chapitre ou un appareil capable d’agrandir un indice si minuscule qu’il en est illisible, ou elles veulent lancer un appel aux équipes travaillant sur d’autres parties de la grille afin de voir si elles n’auraient pas quelque chose qui puisse être adapté ou pour demander si elles sont bien sûres qu’il faut mettre un « s » ici. Quelqu’un prétend avoir remarqué un détail dans tel ou tel indice que personne n’a jamais vu ; d’autres conçoivent des tests pour vérifier si celui-ci est un observateur particulièrement talentueux ou s’il imagine des choses ; d’autres encore travaillent pour mettre au point des instruments afin d’y voir de plus près. De temps en temps, des accusations sont portées au sujet d’indices qu’on aurait altérés ou de cases qu’on aurait noircies. Parfois, on entend ceux qui travaillent sur une partie de la grille se plaindre que leur point de vue sur ce qui se fait ailleurs n’est pas pris en compte. Ici et là, une longue entrée, qui en croise de nombreuses autres, est effacée par un groupe de jeunes Turcs qui affirment avec insistance que cette partie de la grille doit être refaite, et en turc cette fois, naturellement ; d’autres encore tentent, lettre à lettre, de voir si le gallois original ne pourrait pas être préservé… Je ne cherche pas ici à vous refiler une métaphore en guise d’argument. Mais je cherche à suggérer, par cette histoire de mots croisés, que la quête scientifique est plus brouillonne, moins méthodique que les vieux déférencialistes ne l’imaginent, et pourtant davantage contrainte par les éléments de preuve que ne le pensent les nouveaux cyniques. [Note de I.B. : comme le précise Jean Bricmont dans son Cours sur les sciences, Susan Haack distingue dans son livre d’un côté se qu’elle nomme « les vieux déférencialistes », c’est-à-dire selon elle les partisans du cercle de Vienne et les épistémologues comme Karl Popper qui essayaient d’expliciter et de formaliser la méthode scientifique, et d’un autre côté les « nouveaux cyniques », c’est-à-dire le courant à partir de Kuhn, Quine, Feyerabend et une grande partie des sociologues des sciences de la seconde moitié du XXème siècle.]

L’analogie de la grille de mots croisés s’est révélée un guide utile pour les questions d’éléments de preuve, mais d’aucuns pourraient avoir le sentiment qu’eu égard aux questions de méthode, elle est manifestement inutile. Après tout, que dire de la « méthode » de résolution des grilles de mots croisés, sinon que vous devez faire un pari sur certaines entrées à la lumière de l’indice qui lui est associé, essayer de voir les autres entrées à la lumière de leurs indices et des entrées déjà complétées puis, lorsqu’une entrée qui semble par ailleurs plausible s’avère incompatible avec les autres, que vous ne devez pas y renoncer trop facilement ni vous y accrocher de façon trop obstinée ? Et qu’est-ce que tout cela nous dit de la méthode « scientifique », sinon que vous devez faire une conjecture informée au sujet de l’explication d’un phénomène qui vous intéresse, puis voir comment elle résiste aux éléments de preuve dont vous disposez et à ceux sur lesquels vous pourriez mettre la main, puis, lorsque votre conjecture qui apparaît autrement plausible s’avère incompatible avec certains éléments de preuve, que vous ne devez pas y renoncer trop facilement ni vous y accrocher trop obstinément ?

CorteX_Mots-CroisesEn effet, mais selon moi, l’analogie est utile. Elle nous guide vers la bonne conclusion : la « méthode scientifique » est quelque chose de moins formidable qu’il n’y paraît. La recherche scientifique appartient-elle à une autre catégorie que les autres types de recherches ? Non. La recherche scientifique est en continuité avec la recherche empirique de tous les jours — c’est la même chose, mais à un degré supérieur. Y a-t-il un mode d’inférence ou une procédure de recherche auxquels tous les scientifiques et seulement eux ont recours ? Non. Il y a seulement, d’une part, des modes d’inférence et des procédures utilisés par quiconque s’enquiert de ce qui est et, d’autre part, des techniques mathématiques, statistiques ou inférentielles spéciales, des instruments, des modèles spéciaux, etc., que l’on retrouve localement dans tel ou tel secteur de la science. Cela ébranle-t-il les prétentions épistémologiques de la science ? Non ! Les sciences naturelles sont épistémologiquement distinctes, elles ont remporté des succès remarquables, entre autres, précisément, grâce aux appareils et techniques au moyen desquels elles ont élargi la portée des méthodes dont use la recherche de tous les jours.

Nonobstant cet usage honorifique mais agaçant de « science » et autres termes apparentés, ce ne sont pas tous les scientifiques et seulement eux qui sont de bons chercheurs. Et il n’y a pas de procédure distincte ou de mode d’inférence utilisé par tous les praticiens de la science et seulement eux qui garantisse des résultats sinon vrais, au moins approximativement ou probablement vrais, ou plus proches de la vérité, ou empiriquement plus adéquats — pas de « méthode scientifique », au sens où l’expression a souvent été comprise. La recherche en science est en continuité avec les autres types de recherches empiriques, mais les scientifiques ont conçu de nombreuses et diverses façons d’étendre et de raffiner les ressources auxquelles nous avons recours dans nos recherches empiriques de tous les jours.

Déjà dans Evidence and Inquiry, j’ai suggéré que les sciences, bien qu’épistémologiquement distinctes, ne sont pas privilégiées et « qu’il n’y a pas de raison de penser que [la science] soit en possession d’une méthode de recherche spéciale qui ne soit pas à la disposition des historiens, ou des détectives, ou du commun des mortels1 » ; mais ces premiers et brefs efforts pour décrire la place des sciences naturelles au sein de la recherche empirique en général ont été poliment ignorés par la communauté des théoriciens de la science. Plus tard, je me suis souvenue de l’aphorisme de John Dewey selon lequel « la matière de et les procédures de la science sont issues des problèmes et des méthodes du sens commun2 », ainsi que de l’ouvrage de James B. Conant, Science and Common Sense3. Puis, à ma surprise et à ma joie, j’ai trouvé cette remarque de Thomas Huxley disant que « l’homme de science [NdRM : la femme de science aussi] utilise avec une exactitude scrupuleuse les méthodes que nous tous, par habitude et à chaque minute, utilisons sans y faire attention4 ». Dans le même esprit, Albert Einstein a dit que « toute la science n’est rien de plus qu’un raffinement de la pensée de tous les jours5 », Percy Bridgman qu’« il n’y a pas de méthode scientifique comme telle, […] l’aspect le plus vital de la procédure scientifique consiste simplement à tirer le meilleur parti des ressources de son esprit6 ». Quant à Gustav Bergman, il a décrit les sciences, en une formule qui sonne merveilleusement bien, comme le « bras long du sens commun7 ». C’est dans cet esprit que je propose ici non pas une nouvelle théorie de la méthode scientifique, mais une exploration des contraintes pesant sur la recherche empirique quotidienne et des ressources qu’elle requiert, de la gamme étonnamment variée des voies et moyens que les sciences ont trouvés pour faire ce que fait la recherche de tous les jours « à un degré supérieur ».

1. « Rien d’autre qu’un raffinement de la pensée de tous les jours »

Il y a « beaucoup de chichis autour de la méthode scientifique », écrit Bridgman, mais, poursuit-il, on fait beaucoup de bruit pour rien8. L’affaire des scientifiques est de chercher des réponses vraies à leurs questions ; ainsi, comme pour toutes les recherches empiriques sérieuses, il leur faut vérifier les éléments de preuve aussi exhaustivement que possible et tenter de refréner toute inclination à prendre leurs désirs pour la réalité. En outre, ils doivent avoir recours à toutes les méthodes spécifiques ou techniques concevables en rapport avec l’objet d’étude et ce qui en est connu, méthodes et techniques susceptibles de les aider à trouver une réponse aux questions qui les préoccupent9. Jusqu’ici, tout va bien. Mais de manière générale, quels sont les standards et les ressources de la recherche empirique bien conduite ? Qu’est-ce que la recherche empirique bien conduite exige de ceux qui s’y livrent ? Et en quoi, exactement, la recherche scientifique est-elle une recherche empirique, mais « à un degré supérieur » ?

La recherche, à la différence de la composition d’une symphonie, de la préparation d’un repas, de l’écriture d’un roman, d’une plaidoirie devant la Cour suprême, constitue une tentative pour découvrir une réponse vraie à une ou plusieurs questions, bien que parfois le dénouement ne soit pas une réponse, mais plutôt la prise de conscience que la question était en quelque sorte mal formulée et que, bien souvent, lorsqu’une réponse à une question a été trouvée, toute une flopée de nouvelles questions font soudain surface. Il y a la recherche empirique et (du moins en apparence, mais ce n’est pas le lieu de s’aventurer dans des questions d’épistémologie des mathématiques et de la logique10) la recherche non empirique. La recherche empirique comprend tant les sciences naturelles, les sciences sociales, l’histoire, la recherche médico-légale, et ainsi de suite, que la recherche de tous les jours, quand vous vous demandez à quelle heure part votre avion, où acheter de la farine chapati, comment imprimer en italique, ce que vous avez mangé qui vous a dérangé l’estomac, et ainsi de suite. Certaines recherches sont mieux menées que d’autres — de façon plus scrupuleuse, plus approfondie, plus imaginative, etc. — d’autres moins. Cela vaut pour tous les types de recherches, y compris la recherche scientifique.

Comme tous ceux qui font de la recherche empirique, les scientifiques veulent fournir une description qui soit vraie d’une certaine partie ou un certain aspect du monde. Toutes les descriptions vraies ne peuvent pas faire l’affaire, cependant ; ainsi : « Ou bien le Big Bang est à l’origine de l’univers, ou bien il n’en est rien. » Il faut qu’une description ait de la substance, qu’elle soit significative, fournisse une véritable explication. Ce n’est pas une tâche facile. Tout ce qu’on a pour procéder, après tout, c’est ce qu’on voit, etc., et ce qu’on en comprend, etc. Parvenir à des conjectures explicatives plausibles peut pousser l’esprit humain jusqu’à sa limite ; les éléments de preuve sont toujours incomplets et ramifiés, souvent potentiellement trompeurs et fréquemment ambigus ; en obtenir davantage est un dur labeur et peut demander une ingéniosité considérable dans l’élaboration d’un dispositif expérimental. Et le succès n’est pas garanti, de sorte que la tentation de bâcler le travail est toujours là, comme celle de croire ce qu’on espère ou craint, ou ce qu’on pense que les commanditaires souhaitent entendre.

Bien que les théories scientifiques soient parfois étonnamment en porte-à-faux avec le sens commun, la recherche scientifique est en continuité avec la recherche empirique qui nous est la plus familière. Henry Harris imagine un peuple préhistorique qui tente de savoir si le fleuve qui coule à travers (ce que nous appelons) Oxford est le même que celui qui coule à travers Henley en faisant flotter des billots colorés dans le fleuve à partir d’Oxford et en demandant ensuite à des gens de leur connaissance à Henley s’ils les ont vus. Puis il décrit les efforts déployés par les physiologistes pour découvrir ce qui arrive à un grand nombre de lymphocytes qui passent de la lymphe au sang : un jour, J. L. Gowans a découvert, en les marquant avec des isotopes radioactifs, que les lymphocytes passent du sang à la lymphe pour retourner ensuite au sang11.

Tous ceux qui font de la recherche empirique — les biologistes moléculaires et les musicologues, les entomologistes et les étymologistes, les sociologues et les théoriciens des cordes, les journalistes d’enquête et les immunologistes — font des conjectures informées sur une explication possible des phénomènes qui les intéressent, ils vérifient comment ces conjectures résistent aux éléments de preuve qu’ils ont déjà et à ceux sur lesquels ils mettent éventuellement la main ; ils se servent alors de leur jugement pour déterminer s’ils vont conserver ces conjectures, les rejeter, les modifier, etc. Il leur faut de l’imagination pour songer à des explications potentielles plausibles de phénomènes problématiques, pour concevoir des façons d’obtenir les éléments de preuve dont ils ont besoin et pour anticiper les sources d’erreurs potentielles ; du soin, de l’habileté et de la persévérance pour chercher des éléments de preuve pertinents que personne n’a encore trouvés ou identifier ceux que d’autres ont déjà trouvés ; de l’honnêteté intellectuelle et une solide fibre morale pour résister à la tentation d’ignorer des données qui pourraient affecter leurs hypothèses ou à celle de manipuler des données incontournables mais défavorables ; un raisonnement rigoureux pour discerner les conséquences de ces conjectures ; un bon jugement pour soupeser les divers éléments de preuve sans être perturbés ni par leurs désirs, leurs craintes ou leurs espoirs d’obtenir une permanence ou de résoudre rapidement un cas, de plaire à un patron ou à un mentor ou devenir riches et célèbres.

Faire une conjecture informée (« informée » étant ici le mot clé) requiert la capacité de tirer les bonnes inférences : cette conjecture implique nos connaissances d’arrière-fond, cette autre est consistante avec elles, cette autre encore ne l’est pas. La vérification de la compatibilité de notre conjecture avec les éléments de preuve exige la même capacité : ainsi, si l’hypothèse est vraie, il s’ensuit telle conséquence ; l’hypothèse est confirmée jusqu’à un certain point quand on se rend compte que telle conséquence est réalisée ; elle a de bonnes chances d’être fausse si telle autre ne l’est pas, etc. Ce que je veux souligner ici, ce n’est pas que les scientifiques ne font pas de telles inférences ni que la logique n’a rien à nous apprendre à ce propos, mais plutôt que les détectives, les journalistes d’enquête, les historiens et le commun des mortels font aussi de telles inférences ; la logique ne peut pas à elle seule expliquer comment les sciences ont connu de tels succès (encore moins pourquoi il y a autant d’échecs). La quête des vieux déférencialistes d’une méthode scientifique — logique inductive de la découverte ou de la confirmation, conjecture et réfutation-par-modus tollens du déductivisme poppérien, applications répétées du théorème de Bayes ou quoi encore — se concentrait trop étroitement sur une partie seulement d’un portrait bien plus complexe.

Parmi les raisons qui expliquent le succès des sciences naturelles, il faudrait mentionner non pas précisément le hasard, mais le fait qu’il s’est trouvé quelques individus remarquables avec le tempérament et le talent pour spéculer sur la manière dont le monde fonctionne, et suffisamment d’autres individus pour se pencher sur la grille de mots croisés et vérifier si les réponses concordaient, et ce, en des lieux et des époques où le climat social et intellectuel leur permettait de poursuivre leurs recherches et de communiquer leurs résultats. Cela suggère que c’est à partir de là que nous devrions chercher l’explication de l’apparition de la science moderne — pourquoi la science moderne est apparue au moment et à l’endroit où elle l’a fait, et non pas plus tôt ou ailleurs, l’expression qui vient à l’esprit étant celle de « masse critique ».

Une autre raison à ce succès réside dans la matière même des sciences naturelles, dans ce profond caractère d’interconnexion des phénomènes naturels. C’est peut-être ce que E. O. Wilson a en tête lorsqu’il suggère que la méthode de la science est le « réductionnisme », soit une investigation systématique de la composition des choses en composantes de plus en plus petites. Mais une telle analyse, pour importante qu’elle soit, n’est qu’une approche scientifique parmi bien d’autres. À mon sens, la signification épistémologique de ce caractère d’interconnexion des phénomènes naturels réside plutôt dans ce que chaque avancée de la compréhension en rend d’autres possibles.

La formule qui vient à l’esprit est : « Le succès appelle le succès. » Cela nous amène à considérer les nombreuses aides à la recherche de divers types conçues par les scientifiques, aides sur lesquelles je me vais principalement me concentrer dans ce qui va suivre. Pour les fins de l’exposition, j’aurai recours à une division rudimentaire en termes d’aides à l’imagination, d’aides aux sens, d’aides au raisonnement, d’aides à la mise en commun des données et à l’honnêteté intellectuelle — bien que, puisque celles-ci sont toutes liés aux visées de la recherche et aux capacités cognitives des chercheurs humains et à leurs limitations, elles soient en réalité intimement entrelacées.

2. Les aides scientifiques à la recherche

L’expression « aides » est empruntée à Francis Bacon, qui — en dépit de tous les espoirs mal avisés qu’il a fondés sur une logique de la découverte inductive et mécanique et de ce que, comme William Harvey l’a dit sans aménité, « il écrivait sur la science comme un chancelier » — voyait parfaitement juste lorsqu’il lançait des mises en garde contre le risque de désespérer trop vite que nos investigations puissent être couronnées de succès et insistait sur la nécessité de concevoir des moyens de surmonter nos limites sensorielles et cognitives et la fragilité de notre engagement à l’égard de la découverte12. Comme Bacon l’avait bien compris, nous, êtres humains, sommes des créatures faillibles, notre imagination, nos sens et nos capacités cognitives sont limités, notre intégrité intellectuelle, fragile ; la précipitation, le travail bâclé et la propension à prendre nos désirs pour des réalités nous viennent plus facilement que la difficile et exigeante voie de la recherche consciencieuse, créative et honnête. Néanmoins, nous sommes capables de mener des recherches bien conduites et de concevoir des moyens, même imparfaits et limités, de surmonter nos limites et faiblesses naturelles, d’arriver à prédire quand nos moyens imparfaits et faillibles de surmonter ces limites et faiblesses sont le plus susceptibles de faillir, ainsi que de concevoir des façons d’éviter ces embûches.

Les exigences sous-jacentes et les ressources communes à toute recherche empirique sont constantes, mais les aides scientifiques évoluent constamment. Bien que certaines traversent tout le champ des sciences et même en débordent, beaucoup sont localisées, propres à certains secteurs de la science. Elles reposent généralement sur des travaux scientifiques antérieurs, et lorsque ceux-ci sont solides, elles permettent à la science de se bâtir, de s’édifier sur ses succès. Bien sûr, lorsque les travaux antérieurs sur lesquels les aides reposent ne sont pas solides, les scientifiques peuvent être induits en erreur — comme il arrive quand on remplit une grille de mots croisés.

Les modèles, métaphores et analogies qui aident l’imagination des scientifiques ont incité certains nouveaux cyniques à assimiler la science à la littérature et d’autres à déplorer que les métaphores et analogies se reflétant dans le contenu des théories scientifiques soient socialement rétrogrades ; les instruments d’observation qui ajoutent aux pouvoirs perceptifs des scientifiques ont nourri l’idée que l’observation dépend par trop de la théorie pour procurer une vérification des données empiriques qui soit authentiquement objective ; les conditions artificielles en laboratoire parfois nécessaires pour tester des affirmations théoriques en ont conduit certains à affirmer que les théories scientifiques décrivent non pas le monde naturel, mais seulement une « réalité » créée par les scientifiques eux-mêmes ; sur la base des aspects sociaux de la recherche scientifique, d’aucuns ont conçu la connaissance scientifique comme une construction sociale au service des intérêts des puissants. Et certains nouveaux cyniques soutiennent que le caractère local, évolutif des aides scientifiques révèle que les standards de la recherche bien conduite sont relatifs à un contexte ou à un paradigme.

Mais ce sont toutes là des réactions excessives. Il est vrai que, parce qu’il y a toujours un risque que les travaux antérieurs sur lesquels reposent tel ou tel instrument, telle ou telle technique se révèlent erronés, le risque d’erreur est toujours possible. Certes, en jugeant si le travail a été conduit de façon consciencieuse et avec soin, les scientifiques doivent se baser sur ce qu’ils croient savoir des données susceptibles d’être pertinentes, des sources potentielles d’erreurs expérimentales, et ainsi de suite. La recherche scientifique est, en d’autres mots, faillible ; les jugements sur la qualité de la recherche scientifique, comme les jugements sur la valeur des données empiriques, sont affaire de perspective et ils dépendent des connaissances d’arrière-fond. Mais il ne s’ensuit pas, contrairement à ce que Kuhn et d’autres semblent croire, qu’il faille en tirer des conclusions relativistes.

Toute recherche, recherche scientifique comprise, demande de l’imagination. Comme l’a affirmé Charles S. Peirce : « Lorsqu’un homme désire ardemment connaître la vérité, son premier effort va consister à imaginer ce que cette vérité peut être. […] il n’y a rien d’autre, après tout, que l’imagination qui puisse jamais lui donner l’idée de ce qu’est la vérité. » Mais à la différence d’un artiste ou d’un écrivain, un scientifique « rêve d’explications et de lois13 » — explications et lois qui, lorsque ses efforts sont couronnés de succès, sont non pas imaginaires, telles des entités fictives, mais réelles.

Notre imagination, comme toutes nos facultés, est limitée ; par conséquent, parmi les aides sur lesquelles tablent les scientifiques, il y a les modèles, analogies et métaphores. Dans son livre La Théorie physique, paru en 1914, Pierre Duhem a opposé l’esprit de géométrie, abstrait, logique, systématique, caractéristique à son avis des physiciens du continent, et la pensée visuelle, imaginative caractéristique de la pensée anglaise, qu’il considérait comme une diversion par rapport à l’abstraction mathématique au cœur même de la physique. À propos du livre sur l’électrostatique d’Oliver Lodge, Duhem déplorait : « Nous croyions pénétrer dans la demeure paisible et bien ordonnée de la raison, mais nous voilà au beau milieu d’une manufacture. » Car il n’y a rien dans le livre que des « cordes tournant autour de poulies, s’enroulant autour de tambours, passant à travers des perles [et] des roues dentées engrenées les unes aux autres et entraînant des crochets14 ». Je vois d’ici Duhem s’arracher les cheveux quand John Kendrew invite ses lecteurs à imaginer « un homme […] agrandi jusqu’à la taille […] du Royaume-Uni » et explique alors qu’« une seule cellule peut être aussi grande, peut-être, qu’une bâtisse d’usine. […] À cette échelle, une molécule d’acide nucléique […] serait plus mince qu’un seul filament d’ampoule électrique dans notre usine15 ». De nos jours, les étudiants en biologie sont parfois invités à concevoir la cellule comme une cité complexe, où les mitochondries sont des centrales électriques, les appareils de Golgi des bureaux de poste, et ainsi de suite. À la différence de Duhem, cependant, je considère qu’opposer les mathématiques à la construction de modèles, l’analyse à l’analogie, la systématisation à la simulation, c’est créer de fausses dichotomies ; les modèles, analogies et métaphores jouent un rôle important non pas seulement d’un point de vue pédagogique, mais aussi au niveau de la construction de théories, comme des aides à l’imagination. « Les modèles, analogies et métaphores » forment une catégorie hétéroclite comprenant de tout, depuis les arrangements physiques concrets de billes, de boules ou de maquettes, etc., jusqu’aux métaphores maîtresses comme la « main invisible » dans la théorie des marchés d’Adam Smith ; tous, cependant, comparent un phénomène moins familier ou accessible à un autre qui l’est davantage. L’un des rôles des modèles physiques, comme la série de maquettes de la molécule d’ADN de Watson et Crick, est d’aider visuellement l’imagination, permettant aux scientifiques d’appréhender la molécule, à l’instar du modèle, en trois dimensions. Et si certaines métaphores scientifiques sont plus décoratives que fonctionnelles, d’autres suggèrent des questions à investiguer, des directions à explorer. Bien entendu, une métaphore peut pousser différents scientifiques à regarder dans différentes directions ; parfois, elle peut tirer la recherche vers ce qui se révèle une mauvaise direction. Comme les critiques de la science se plaisent à le souligner, les métaphores et analogies que les scientifiques utilisent s’inspirent parfois de phénomènes sociaux familiers ; ainsi la métaphore de la « molécule maîtresse », qu’Evelyn Fox Keller a enrôlée dans la cause féministe (à ce que je sache, cependant, cette idée n’a jamais, contrairement à ce qu’elle a suggéré, eu une grande influence en biologie moléculaire). Les métaphores scientifiques peuvent être cognitivement importantes, et elles peuvent aussi bien induire l’imagination en erreur que la guider dans des directions fructueuses. Mais le caractère fructueux ou non d’une métaphore ne dépend pas de la désirabilité ou non du phénomène social auquel elle fait appel ; de telles considérations ne déterminent en rien si les notions de chaperons moléculaires (pour utiliser un exemple dont l’influence est réelle16), ou d’investissement parental, etc., ou quoi encore, nous conduiront vers des territoires fertiles ou pas. Toute recherche empirique dépend de l’expérience ; mais si la recherche en sciences constitue « la même chose mais à un degré supérieur », on peut mentionner que c’est entre autres parce que l’expérience dont elle dépend, loin de se passer de toute assistance, est rendue possible et médiatisée par des instruments de toutes sortes ; elle n’est pas non plus invérifiée, mais est ouverte à l’examen rigoureux des autres membres de la communauté ; et elle n’est pas laissée à la chance ou à quelques heureux hasards, mais elle est délibérée, contrainte, contrôlée.

Je commencerai par les instruments d’observation, des plus familiers, comme le microscope ou le télescope, aux plus sophistiqués et ésotériques, qui prolongent maintenant les pouvoirs sensoriels des scientifiques. Dans l’histoire de tels instruments, il n’y a sans doute pas de cas plus saisissant, qui fasse dire que « le succès appelle le succès », que celui de l’imagerie médicale. Wilhelm Röntgen a réalisé la première photographie aux rayons X en 1895 (en 1901, il recevait le tout premier prix Nobel). La première radiographie dentaire a été faite en 1896, le premier diagnostic basé sur les rayons X posé sur le champ de bataille en Abyssinie en 1897. Cette année-là, les rayons X ont été utilisés pour la première fois en cour. Dans les décennies qui ont suivi, on a assisté au développement de la théorie des rayons X — soit les très courtes ondes électromagnétiques, dont la longueur d’ondes est de 0,10 à 10 nanomètres. Entre 1919 et 1927, des milieux de contraste, d’abord l’air, puis les lipoïdes, puis l’iodure de sodium, puis le dioxyde de thorium, ont rendu les photographies aux rayons X plus informatives. Le tomographe, qui produit l’image d’une coupe interne du patient, a été introduit par Jean Keiffer dans les années 1930, la cristallographie par rayons X est apparue à la même époque. À partir des années 1970, des machines à imagerie beaucoup plus rapides ont été développées, et maintenant, avec la technologie sophistiquée des ordinateurs, nous avons le tomographe assisté par ordinateur (CAT), l’IRM, qui permet de faire disparaître les os et de révéler les tissus, le tomographe par émission de positrons, qui utilise des traceurs radioactifs, et des instruments pour détecter ces traces et créer des images, puis le tomographe EBT17. La théorie à la base d’un instrument pourrait se révéler erronée, peut-être au point d’ébranler la confiance des scientifiques dans le fonctionnement de cet instrument ; mais si la théorie est solidement justifiée, ce scénario, bien que possible, est peu probable. L’instrumentation dépend d’une théorie, mais ce qui explique le fonctionnement d’un instrument est rarement, sinon jamais, la théorie dont les conséquences sont testées par l’instrument, théorie que les observations tirées de l’instrument doit alors confirmer. Ainsi, les scientifiques se tournent vers l’optique pour rendre compte du fonctionnement du microscope grâce auquel ils étudient la constitution des cellules, ou encore celui du télescope qui leur permet d’étudier le mouvement des étoiles. Il est vrai que les théories scientifiques s’entrecroisent, telles les entrées d’une grille de mots croisés, si bien que, par conséquent, la possibilité lointaine d’une dépendance mutuelle préjudiciable ne peut pas tout à fait, en principe, être écartée. Il est vrai aussi que, particulièrement dans les premiers temps, les scientifiques ont parfois eu besoin d’entrer dans les moindres détails pour persuader les autres de la fiabilité de leurs instruments. Certes, les scientifiques prennent parfois des artifices dus à leurs instruments pour des éléments de preuve en bonne et due forme (de l’avis de certains, c’est ce qui s’est produit dans le cas des preuves de vie bactérienne sur Mars). Mais rien de ceci ne signifie que les instruments ne se sont pas, en général, des aides véritables.

Les chercheurs sérieux, dans quelque domaine que ce soit, s’engagent activement dans la quête de preuves : les historiens recherchent des documents, interrogent les survivants, et ainsi de suite ; les détectives suivent et observent les suspects, et ainsi de suite. Mais la recherche en sciences naturelles est souvent une recherche « à un degré supérieur », dans la mesure où elle implique souvent la manipulation des conditions qui vont rendre disponible tel ou tel élément de preuve. Les chercheurs scientifiques mettent toute leur ardeur à concevoir des expériences qui seront aussi informatives que possible, isolant précisément la variable qui les intéresse — comme lorsqu’on travaille sur les entrées croisant telle autre précisément là où les cases admettent des solutions différentes. Les expériences d’Oswald Avery en vue d’identifier la substance responsable de la « transformation bactérienne » fournissent un exemple frappant de la finesse et de la connaissance des faits qu’une bonne conception expérimentale requiert. Chez des souris qui avaient reçu une injection d’une préparation de pneumocoques de type R vivants mais non virulents et de pneumocoques de type S morts mais virulents, Frederick Griffith a découvert des pneumocoques de type S vivants et virulents. Plus tard, des collaborateurs d’Avery ont découvert que les mêmes transformations bactériennes pouvaient être produites in vitro. Pour découvrir ce qui était responsable de celles-ci, Avery a d’abord élaboré un processus sophistiqué pour extraire le « principe de transformation », quel qu’il fût, soit moins d’une once sur vingt gallons de culture. Il a ensuite soumis cet extrait à des tests standards pour les protéines, avec des résultats négatifs, puis à des tests standards pour l’ADN, avec des résultats fortement positifs. Grâce à l’analyse chimique, il a découvert que l’extrait contenait le ratio azote-phosphore de 1,67/1 que l’on attend de l’ADN, mais pas des protéines. Puis, il a découvert que les enzymes reconnues pour dégrader les protéines ou l’ARN laissaient l’extrait intact, mais que celles reconnues pour dégrader l’ADN le détruisaient. Ensuite, en ayant recours à des tests immunologiques, il a découvert que ni la protéine pneumococcale ni la capsule de polysaccharide n’étaient présents. Il a fait tournoyer un extrait de l’échantillon dans une centrifugeuse à très haute vitesse puis a découvert une structure de sédimentation correspondant à l’ADN du thymus du veau. Enfin, il a découvert que sous électrophorèse, les molécules de l’extrait demeuraient ensemble et se déplaçaient assez rapidement, à l’instar des acides nucléiques, et que le profil d’absorption des ultraviolets de l’extrait était le même que celui de l’ADN. Dans une lettre à son frère, Avery écrivait : « La substance est hautement réactive et se conforme très étroitement aux valeurs théoriques de l’acide désoxyribonucléique pur […] Qui aurait pu le deviner18 ? » (En raison de l’influence de l’hypothèse des tetranucléotides, toutefois, il a pris soin d’indiquer en conclusion de l’article qu’il a publié qu’il n’excluait pas que le principe de transformation soit non pas l’ADN lui-même, mais une infime quantité de quelque chose d’autre absorbé par l’ADN.)

Songeons maintenant à la multiplicité des moyens pris afin de s’assurer que les expériences et les observations ne sont pas contaminées, physiquement ou autrement, des plus banals tels l’interdiction d’apporter de la nourriture dans le laboratoire où se déroulent des expériences biochimiques, les listes de vérifications pour s’assurer systématiquement du bon fonctionnement d’un équipement complexe et les formulaires standardisés sur lesquels les observations sont notées de façon à ce qu’aucun détail pertinent ne soit oublié, aux plus sophistiqués, comme le double aveugle, en passant par les plus difficiles, par exemple le choix des procédures d’échantillonnage les plus appropriés eu égard à la question en jeu, procédures qui pourraient biaiser les résultats. Qu’il soit approprié de prendre telles précautions plutôt que telles autres — interdire la nourriture ou les animaux dans le labo, disons, mais pas les souliers et les stylos à bille — dépend de certains présupposés concernant le genre de choses susceptibles d’interférer. Il est concevable que ces présupposés soient erronés, et il est parfois très difficile de les découvrir. Ainsi, parmi les aspects de la manière dont l’expérimentateur conduit tel test psychologique ou les faits concernant l’expérimentateur lui-même, lesquels sont susceptibles d’affecter la réponse ? Lorsque je critique la conception d’une étude psychologique où les sujets ont été prévenus que le but des entrevues auxquelles ils participeraient était d’identifier leur « mode féminin de connaître », je tiens pour acquis que cette suggestion rend probable un éventuel biais des résultats19. On peut concevoir (à la rigueur) que je sois dans l’erreur. Mais que les précautions prises ne soient pas infaillibles ne signifie pas qu’elles ne sont pas, de manière générale, de véritables aides. Lorsque nous critiquons des recherches piètrement menées, nous pouvons déplorer que l’on n’ait pas fait d’efforts suffisants pour mettre la main sur des éléments de preuve pertinents ; ainsi, d’un détective paresseux, on dira : « Il ne s’est même pas donné la peine de retracer la bonne pour lui demander ce qu’elle avait vu. » Ou nous pouvons déplorer que l’on n’ait pas pris suffisamment soin d’établir la valeur de certains éléments ; d’un historien brouillon — et cette fois, le brouhaha soulevé par une lettre montrant prétendument que Marilyn Monroe a fait chanter le président Kennedy est un exemple réel20 —, on dira : « Il a sauté à la conclusion que la lettre était authentique, ignorant le fait que l’adresse comporte un code postal et que du ruban correcteur a été utilisé alors que ni l’un ni l’autre n’existaient au moment où la lettre est censée avoir été écrite. » Et ainsi de suite.
 
Des reproches du même genre valent également pour la recherche scientifique ; mais dans ce cas, nous déplorons, et à juste titre, que certaines précautions appropriées et spécifiques à un certain domaine n’aient pas été prises. Comme le remarque Bridgman, « [lorsque] le scientifique se risque à critiquer le travail de ses collègues scientifiques, comme il n’est pas rare de le faire, il ne base pas ces critiques sur de brillantes généralités concernant le non-respect de la “méthode scientifique”, mais sa critique est spécifique, basée sur certains aspects de la situation particulière21 ». Les critiques d’une étude établissant prétendument l’efficacité médicale de la prière, par exemple, ont objecté que celle-ci n’était pas complètement en double-aveugle22 ; Maddox et compagnie ont fait la même objection concernant le travail du labo de Benveniste établissant prétendument l’efficacité des remèdes homéopathiques à haute dilution : « aucun effort substantiel n’a été fait pour exclure l’erreur systématique, y compris le biais de l’observateur », et « le phénomène décrit n’est pas reproductible au sens ordinaire du terme ». Il est toutefois assez intéressant de remarquer qu’une pensée très humienne [NdRM : inspirée de David Hume, philosophe empiriste du milieu du XVIIIe siècle] sous-tend ces deux critiques : l’idée que des prières faites en faveur d’un patient mais à son insu puisse contribuer à sa guérison est étrangère à la science médicale ; celle qu’une « solution » à ce point diluée qu’elle ne contient plus une seule molécule du supposé « soluté » agisse parce qu’elle laisse des traces dans la « mémoire » de l’eau est profondément en désaccord avec toute la théorie chimique admise, au point qu’il y a beaucoup plus de chances que les découvertes alléguées soient le résultat d’erreurs expérimentales ou de méprises de la part de l’expérimentateur que d’authentiques découvertes23.
 
Investiguer notre prédisposition à l’erreur sous tel ou tel rapport nous rend plus aptes à comprendre quels résultats risquent d’être attribuables à des erreurs expérimentales ou à des erreurs d’autres types. Par exemple, la détection d’une fraude dans la recherche scientifique est souvent déclenchée par quelqu’un qui remarque que certains résultats sont « trop beaux pour être vrais », confirmant une hypothèse avec une netteté supérieure à celle que suggère ce que nous savons de la faillibilité humaine, ou de celle des instruments. En évoquant la conception des expériences et les précautions contre l’erreur expérimentale, j’ai déjà commencé à me hasarder dans le domaine des aides à intellect, mais jusqu’ici, j’ai à peine effleuré les nombreux raffinements et amplifications du raisonnement sur lesquels les sciences s’appuient.
Un des aspects les plus saisissants d’une grande partie de la recherche en sciences naturelles tient à son caractère mathématique. En effet, la naissance de la science moderne peut être attribuée à l’union des mathématiques et de la physique (anticipée par Archimède, sérieusement entreprise par Galilée, que Gillespie devait qualifier de meilleur élève d’Archimède, et perfectionnée avec Newton24). Il suffit de se rappeler qu’il n’y a pas si longtemps, le mot anglais computer référait non pas aux machines auxquelles Alan Turing ne pouvait que rêver, mais aux femmes employées pour calculer la trajectoire des pièces d’artillerie25, pour apprécier le rôle des mathématiques dans l’évolution des aides scientifiques : depuis le comptage au moyen d’entailles sur des bouts de bois ou de nœuds sur un bout de corde en passant par les chiffres romains puis arabes, jusqu’au calcul différentiel et intégral et maintenant l’ordinateur. Déjà au moment de la découverte de la structure de l’ADN par Watson et Crick [NdRM : et de Rosalind Franklin, si souvent oubliée], le travail en biologie devenait presque aussi mathématique qu’en physique ou en chimie. De nos jours, les calculs compliqués sont faits beaucoup plus rapidement et beaucoup plus précisément par les ordinateurs que par les humains ; la presse nous informe du marathon de calcul étalé sur un mois au cours duquel les physiciens du Brookhaven National Laboratory ont calculé le moment angulaire anormal du muon et de la vaste opération de super-calcul grâce à laquelle Celera Genomics a produit sa carte du génome humain. À leur répertoire familier d’expériences in vivo (sur des créatures vivantes) et in vitro (dans des éprouvettes ou des vases de Petri), les biologistes ont maintenant ajouté les expériences in silica, c’est-à-dire simulées par ordinateur26.
 
Mais l’ordinateur est seulement l’exemple le plus évident d’une large catégorie d’« aides au raisonnement ». Les diverses techniques encore controversées de méta-analyse, qui combinent tout un ensemble d’études épidémiologiques ou autres pour en extraire plus d’information qu’aucune d’elles ne pourrait en produire seule, en sont un autre. Dans un article récent fascinant, par exemple, deux chercheurs danois ont analysé de nouveau les données concernant l’« effet placebo », dont l’existence a été tenue pour acquise depuis 1955, alors que Henry Beecher rapportait que 35 pour cent des patients étaient aidés par des placebos. Certains médecins ont maintenant recours aux placebos comme traitement, et certains chercheurs en médecine consacrent leur temps à comprendre comment l’effet placebo pourrait opérer. Mais si les docteurs Hrobjartsson et Gotzsche ont raison, cet effet supposé est largement mythique. À partir de 727 essais potentiellement admissibles, Hrobjartsson et Gotzsche ont réanalysé 114 études (impliquant en tout 7 500 patients atteints de 40 affections différentes) qu’ils ont jugées « bien conçues » ; les patients étaient divisés entre :
1) ceux qui recevaient des traitements médicaux réels ;
2) ceux qui recevaient un placebo ;
3) ceux qui ne recevaient rien du tout.
À l’exception d’un effet léger au niveau de la réduction de la douleur, ils ont conclu qu’il y a peu de preuves que les placebos aient des effets cliniques significatifs27.
Ont-ils raison ? Il est trop tôt pour en être sûr. Mais le travail de ces scientifiques et les réactions d’autres scientifiques illustrent de façon frappante la finesse requise par de tels raffinements méta-analytiques du raisonnement et leur dépendance à l’endroit de la connaissance des faits. Hrobjartsson et Gotzsche critiquent les méthodes de recherche de Beecher en faisant valoir qu’elles ne pouvaient pas adéquatement distinguer les effets des placebos du cours naturel des maladies, la régression à la moyenne et autres facteurs (par exemple l’automédication par les patients, la possibilité que certains « placebos » ne soient pas entièrement inactifs après tout). Mais ils ont aussi reconnu que leurs propres méthodes pouvaient avoir besoin de plus de raffinement, observant que divers types de biais pouvaient avoir affecté leurs propres découvertes, en ce qui concerne les résultats subjectivement rapportés, en particulier.
 
Le caractère social de la recherche scientifique, qui est parfois vu comme une menace à ses prétentions épistémiques, serait mieux conçu comme un autre type d’aide faillible. Un grand nombre de tâches sont mieux effectuées si plusieurs personnes sont impliquées, mais le travail scientifique ne ressemble guère ni au catapultage de cent livres de petits pois — plus il y a de gens, plus cela se fait vite —, ni au transport d’un billot très lourd, qui peut être soulevé par plusieurs personnes mais non par une seule. Ce travail est complexe, intriqué et comporte de multiples facettes comme — eh oui ! — le travail sur une vaste grille de mots croisés.
 
La justification est affaire de degré ; les degrés de justification de théories rivales, qui plus est, ne seront pas nécessairement ordonnés de façon linéaire. Dans cette vaste zone grise où une attitude plus ou moins optimiste vis-à-vis d’une affirmation quelque-peu-mais-pas-totalement justifiée est raisonnable, il n’y a pas d’étape simple qui permette de passer des degrés de justification à des « règles d’acceptation et de rejet ». Une conjecture pour le moment plus ou moins développée pourrait valoir la peine d’être explorée bien qu’elle soit, jusqu’ici, non justifiée ; « la » meilleure façon de travailler consiste souvent à laisser différents membres de la communauté travailler de manières différentes.
 
Comme l’a observé Duhem, face à un problème non résolu, les sciences se trouvent souvent dans un état d’indécision entre des approches plus audacieuses et d’autres plus prudentes28. Certains d’entre nous sont prompts à gommer une entrée dans une grille de mots croisés lorsque les contraintes qu’elle impose sur les autres entrées commencent à nous gêner, d’autres sont plus lents à changer quelque chose. Si nous travaillions ensemble, je vous empêcherais peut-être de vous cramponner trop longtemps à une idée fixe, et vous m’empêcheriez peut-être de renoncer trop facilement à une idée prometteuse. Cela suggère que la recherche scientifique tend à mieux se porter lorsque la communauté comprend, comme c’est généralement le cas, certains individus prompts à se lancer dans des conjectures sur de nouvelles théories possibles lorsque les éléments de preuve commencent à desservir l’opinion reçue, et d’autres qui sont plus enclins à tenter de modifier avec patience ce dont ils disposent déjà.
 
Michael Polyani a déjà souligné ce point important : bien que la meilleure façon d’organiser une armée d’écosseurs de pois pourrait être de confier à une seule personne la direction des opérations, pour la recherche scientifique, ce serait inapproprié, en raison même de sa complexité, de même que ce le serait pour une équipe travaillant sur un puzzle géant29 — ou, pour reprendre mon propre exemple, non le sien, sur une vaste grille de mots croisés. Comme Polyani l’a bien vu, il vaut mieux que différentes personnes, chacune avec son tempérament plus ou moins conservateur, ses forces et ses faiblesses, fassent ce qu’elles font le mieux. Parmi les nombreux et divers talents qui sont utiles en science, c’est l’extraordinaire créativité intellectuelle qui a permis aux héros de l’histoire des sciences de faire leurs étonnantes percées théoriques qui vient en premier lieu à l’esprit. Mais la liste est longue et diverse, comprenant entre autres ce don spécial pour discerner les motifs récurrents dans ce qu’ils voient qui échoit à certains scientifiques, comme, semble-t-il, le talent musical échoit à d’autres ; l’ingéniosité dans la conception d’expériences ou dans l’invention d’instruments, de tests ou de modèles mathématiques ; la simple patience dans le laborieux processus de la vérification et de la revérification.
 
C’est ici que les questions de communication, d’expertise et d’autorité deviennent notre point de mire. Si on ne veut pas dilapider ses forces en refaisant ce qui a déjà été fait, le travail de chacun doit être librement et convenablement mis à la disposition des autres. Et les scientifiques ont besoin, non seulement d’être en mesure de regarder par-dessus l’épaule des autres alors qu’ils travaillent, mais aussi de pouvoir se jucher sur les épaules de ceux qui sont passés avant eux, car il faudrait à chaque fois tout reprendre de zéro si on ne pouvait tenir les résultats précédents pour acquis. Les problèmes liés à la communication, à la transmission des résultats recoupent ceux relatifs à l’expertise et l’autorité. Des journaux encombrés d’articles écrits par des loufoques et des illuminés rendraient la recherche plus difficile, non pas plus facile. D’où le besoin d’avoir des moyens de distinguer le cinglé et l’incompétent du chercheur compétent — recommandations, évaluations par les pairs — de façon à s’assurer que ce que les journaux diffusent n’est pas de la camelote mais des travaux valables.
Comme les précautions prises contre la contamination dans les laboratoires et ainsi de suite, ces mécanismes sont faillibles. Des évaluateurs pas tout à fait honnêtes peuvent être tentés d’empêcher la publication des travaux de leurs rivaux ; des évaluateurs pas tout à fait qualifiés peuvent manquer des connaissances préalables requises pour faire une évaluation juste ; des évaluateurs sans imagination peuvent être incapables d’apprécier des idées vraiment innovatrices. Il y a, de plus, un spectre très large entre la conjecture scientifique hétérodoxe mais créatrice, et la pathologiquement cinglée ; une idée tordue ne se présente pas nécessairement avec la mention « désespérée », une idée créatrice et hétérodoxe avec la mention « prometteuse ». Ce qui fait qu’un travail est jugé valable ou pas doit dépendre de ce qui est tenu pour des faits connus. Ainsi, Martin Gardner écrit, estimant qu’Immanuel Velikovsky dépasse vraiment les bornes, que ses idées, « si elles étaient correctes, demanderaient qu’on récrive la physique, l’astronomie, la géologie et l’histoire de l’Antiquité30 ». Ce qui est tenu pour des faits connus est parfois faux — l’œuvre de Darwin, après tout, a exigé que l’on récrive une grande partie de ce qu’on croyait savoir des fossiles —, ces jugements peuvent donc être erronés. Mais comme pour les précautions contre la contamination expérimentale dont il a été question plus tôt, que ces précautions soient faillibles ne signifie pas qu’elles ne sont pas, en général, de véritables aides.
Nous devons dépasser l’idée que « plusieurs mains allègent la tâche » pour en venir à comprendre que la recherche implique une division du travail d’un (ou plusieurs) genres des plus subtils ; dépasser l’idée que la science est affaire de « confiance » pour en venir à mettre au jour le délicat équilibre entre, d’une part, la critique mutuelle et la vérification institutionnalisées et, d’autre part, l’autorité institutionnalisée des résultats bien justifiés auxquels est parvenue la meilleure recherche qui soit en sciences naturelles. Les scientifiques comptent sur la compétence et l’expertise de chacun ; mais, comme notre choix de mots l’indique, la confiance et l’autorité impliquées ne sont pas l’apanage de certaines personnes ou même de certaines positions, mais des distinctions qui se méritent.
À cette image des scientifiques qui regardent par-dessus les épaules les uns des autres, ou qui se juchent sur les épaules de ceux qui les ont précédés, je dois ajouter, puisque la recherche dans les sciences peut être affaire de compétition autant que de coopération, que l’on voit parfois des scientifiques se frayer un chemin à coups de coudes. (Je fais de mon mieux, mais brosser le tableau complet exige vraiment les talents d’un Brueghel !) Bien que ce ne soit pas invariablement ou nécessairement le cas, la compétition entre personnes ou équipes rivales peut être productive : l’espoir de battre les autres types pour obtenir le prix Nobel peut donner lieu à des miracles d’efforts intellectuels ; les tenants d’une approche ou d’une théorie sont motivés à traquer les éléments de preuve susceptibles d’être défavorables à leurs rivaux, éléments que ceux-ci sont tentés de négliger ou de minimiser. La compétition peut être conçue comme un autre exemple d’aide ; non pas, comme le microscope, une aide aux sens limités des êtres humains, ni, comme une analogie bien choisie, une aide à nos imaginations limitées, mais une aide à notre énergie limitée et à notre fragile intégrité intellectuelle.
Comme les autres, les aides sociales sont faillibles. Ainsi que le suggère le côté ouï-dire de la littérature scientifique sur l’effet placebo, avec ses couches sur couches de références croisées dans une multitude d’articles scientifiques qui remontent tous à l’unique étude insatisfaisante de Beecher, la confiance des scientifiques est parfois mal placée. La compétition peut mener à un gaspillage de ressources, même à la suppression d’un travail valable ; la coopération peut prolonger une recherche inutile. Mais « faire l’impossible avec son propre esprit », c’est aussi tenter de comprendre dans quelles circonstances les instruments ou la pratique de citations sont susceptibles de nous égarer, dans quelles circonstances la compétition est susceptible de tourner au vinaigre et d’être contre-productive, dans quelles circonstances la coopération est susceptible de dégénérer en expansionnisme bureaucratique, en travail inutile ou en promotion mutuelle. Et si on peut comprendre cela, on peut concevoir des garde-fous — imparfaits et faillibles, comme toujours, mais néanmoins utiles — contre le manque de précautions.
Les aides scientifiques sont souvent locales. (Un physicien n’a pas à se soucier, contrairement à un biochimiste, des animaux dans son laboratoire — en tout cas pas pour les mêmes raisons !) Néanmoins, la recherche scientifique et les autres genres de recherches sont désormais entrelacés de toutes sortes de manières, et les aides scientifiques sont aussi utilisées par d’autres. Les détectives comptent sur les techniques de la science médico-légale comme le typage du sang, les empreintes génétiques et le reste. Les historiens de l’Antiquité ont récemment commencé à se servir de techniques conçues pour la détection du cancer du sein pour déchiffrer les « cartes postales » de plomb que les soldats romains envoyaient chez eBleuux31. D’autres historiens ont eu recours à l’analyse au neutron pour montrer que des morceaux de jaspe retrouvés sur un site dans le nord de Terre-Neuve contenaient des traces d’éléments présents seulement dans le jaspe du Groenland et d’Islande, confirmant ainsi la conjecture voulant que les Vikings auraient atteint l’Amérique du Nord un demi-millénaire avant Christophe Colomb32. General Motors se sert de techniques statistiques développées par les centres d’épidémiologie pour détecter des « épidémies » potentielles de défectuosités dans leurs voitures et camions33. Et ainsi de suite. À l’occasion, bien que ce soit moins fréquent, les scientifiques empruntent aux autres chercheurs, lorsque, par exemple, un arbre généalogique compilé par le père d’une personne souffrante apporte un indice vital pour l’identification d’un défaut génétique responsable de la pancréatite héréditaire34.

3. Réévaluation de l’ancien déférencialisme et du néo-cynisme

En retournant aux vieux déférencialistes et aux nouveaux cyniques, un merveilleux poème pour enfants me revient à l’esprit, Les aveugles et l’éléphant. Un Hindou aveugle, avançant à tâtons à côté d’un éléphant, décrète qu’un éléphant « ressemble fort à un mur », un autre, s’emparant de sa queue, qu’un éléphant « ressemble fort à une corde », etc. :

Et ainsi des hommes de l’Hindoustan

Ont discuté, fort et longtemps Chacun défendant sa propre opinion Se surpassant en entêtement et en conviction Bien que chacun eût en partie raison Et que tous fussent dans l’erreur35

 
Les vieux déférencialistes ont, avec raison, tenu pour acquis que les sciences naturelles ont connu des succès éclatants. Mais ils se sont trompés dans la mesure où ils ont supposé que l’explication de ces succès reposait sur une méthode de recherche de nature étroitement logique ou quasi logique, propre à la science, qui garantissait sinon le succès, du moins le progrès. Les nouveaux cyniques sont à juste titre sceptiques vis-à-vis de l’existence de la « méthode scientifique », du moins au sens espéré ; et ils voient bien qu’en se concentrant de façon trop exclusive sur les aspects étroitement logiques de la science, on passe outre le fait que, quoi qu’elle puisse être par ailleurs, la science est une institution sociale. Mais ils ont tort lorsqu’ils concluent qu’il est illusoire de penser que la recherche scientifique est de quelque façon épistémologiquement éminente. Plutôt que d’insister davantage sur cette idée générale, permettez-moi de l’appliquer, à la lumière de la conception qui vient d’être décrite ici, à certains vieux débats concernant le problème de la démarcation et la distinction entre découverte et justification.
 
Pour les vieux déférencialistes — pour les poppériens en particulier, mais aussi pour les positivistes, quoique de façon différente —, la distinction entre science et non-science était une préoccupation importante, confortant l’usage honorifique du mot « science » et le mythe d’une méthode scientifique caractéristiquement rationnelle et confortée par eux36. Mais si les vieux déférencialistes se préoccupaient trop de la question de la démarcation, les nouveaux cyniques (qu’ils pensent que la science n’est qu’une grande et puissante institution sociale parmi d’autres, ou qu’une création de l’imagination parmi d’autres, pas essentiellement différente de la fiction) écartent trop facilement du revers de la main les prétentions épistémologiques des sciences. Considérant l’usage honorifique de la mention « scientifique » comme une nuisance, et sceptique à l’endroit de la « méthode scientifique » au sens déférencialiste du terme, je ne suis pas portée à accorder au « problème de la démarcation » la même importance que certains vieux déférencialistes. Mais, considérant que le terme « science » désigne une fédération de genres de recherche épistémologiquement éminents, j’accorde aux enjeux épistémologiques une place bien plus centrale que les nouveaux cyniques.
La première chose à dire est que la « non-science » est une catégorie vaste et diverse, comprenant les nombreuses autres activités qui ne sont pas de l’ordre de la recherche, les diverses formes de pseudo-recherches, la recherche de caractère non empirique et la recherche empirique d’autres genres que la recherche scientifique ; pour rendre les choses encore plus compliquées, il y a encore un tas de cas limites et hybrides. L’usage du terme « scientifique » et des termes apparentés pour vanter des recherches empiriques de tous ordres incite les scientifiques comme les profanes (et les juges — mais je ne vais pas me lancer dans des problèmes d’ordre légal ici37) à accuser la science piètrement conduite de ne pas être de la science du tout. Mais en fait de critique épistémique d’ordre général, « non scientifique » est aussi peu éclairant que qualifier de « scientifique » tout ce qu’on veut louanger.
L’expression « pseudo-science », qui est censée référer aux activités se présentant comme des sciences mais qui n’en sont pas, mérite une attention particulière. Son caractère péjoratif dérive en partie de ce qu’on lui impute de fausses prétentions, mais aussi en partie des connotations honorifiques de « scientifique ». Écoutons Bridgman de nouveau : « [Le] scientifique à l’œuvre se soucie toujours beaucoup trop des détails importants pour vouloir perdre son temps à des généralités38. » À mes yeux aussi, au lieu de reprocher à un travail d’être « pseudo-scientifique », il vaut toujours mieux spécifier ce qui, exactement, ne va pas : que ce n’est pas une recherche honnête ou sérieuse ; qu’elle repose sur des présupposés mal étayés ou bien trop vagues pour pouvoir être corroborés ; qu’elle utilise un symbolisme mathématique, ou peut-être un appareillage en apparence très élaboré, purement décoratif ; etc.
Lakatos s’inquiète de ce que « si Kuhn a raison, il n’y a pas de démarcation explicite entre science et pseudo-science, pas de distinction entre progrès scientifique et déclin intellectuel, il n’y a pas de standard objectif d’honnêteté intellectuelle […] Quels critères peut-il alors offrir pour établir la démarcation entre progrès scientifique et dégénérescence intellectuelle39 ? ». En quelques phrases seulement, Lakatos invoque simultanément la science, le progrès scientifique, l’honnêteté intellectuelle et la santé intellectuelle d’une culture — qui sont tous des concepts bien distincts, quoique interreliés de façon subtile et complexe. En particulier, être prêt à reconnaître des éléments de preuve négatifs n’est pas un critère de la science authentique ; c’est une condition de l’honnêteté intellectuelle — pour les scientifiques comme pour les chercheurs de tous genres. Darwin écrit qu’il a toujours suivi « une règle d’or, à savoir que chaque fois qu’un fait publié, une nouvelle observation ou une pensée me tombait dessus, qui s’opposait à mes résultats généraux, d’en prendre note invariablement et tout de suite ; car l’expérience m’a appris que ces faits et pensées étaient beaucoup plus susceptibles d’échapper à la mémoire que ceux qui sont favorables40 », expérience qui est familière à quiconque — scientifique, historien, journaliste, ou même philosophe — s’est déjà engagé dans une recherche sérieuse.
Bien sûr, à certaines fins, il est parfois nécessaire de tracer une ligne rudimentaire entre la science et les autres choses. Une façon de faire pourrait consister à penser que les sciences diffèrent d’activités telles que la danse folklorique ou l’art de plaider en ce que ce sont des genres de recherche ; qu’elles diffèrent d’autres genres de recherche empirique comme l’histoire ou l’érudition légale ou littéraire en vertu de leur sujet ; et peut-être, qu’elles diffèrent de la théologie naturelle en vertu du genre d’explications qu’elles admettent. Aussi sommaire que cela puisse être, ce n’est pas un mauvais point de départ pour une explication de la manière dont, disons, la science diffère de la littérature ou de l’industrie du divertissement. Mais si nous voulons comprendre les aspects historiques de la science sociale, de la biologie évolutionniste ou de la cosmologie, tout en évitant d’assimiler la science à l’histoire, nous aurons besoin de quelque chose de plus subtil. Et si nous voulons comprendre comment le créationnisme diffère épistémologiquement de la cosmologie ou de la biologie évolutionniste, nous ferions mieux de nous concentrer directement sur des questions concernant les éléments de preuve et la justification, au lieu de faire tout un plat sur la question de savoir si le créationnisme est de la mauvaise science, ou pas de la science du tout.
 
Revenons à la distinction découverte/justification. Les déférencialistes anciens et modernes ont espéré confiner les aspects sociaux et psychologiques de la science au contexte de la découverte et se concentrer sur le joli, logique et bien ordonné contexte de la justification41. Mais les nouveaux cyniques, naturellement, contestent la légitimité de la distinction. Toute cette affaire a encouragé à la fois la tendance déférencialiste à simplifier indûment le processus de la recherche et l’empressement des cyniques à ignorer le rôle des éléments de preuve.
 
Le problème est moins qu’il n’y a pas de distinction à tirer du contraste entre la découverte et la justification, mais qu’il y en a beaucoup trop. Il y a certainement une différence entre la question de savoir comment on est venu à une théorie et celle de savoir ce que valent les éléments de preuve pertinents. Il y a certainement différentes étapes de la recherche : une théorie est conçue, développée, testée, raffinée, modifiée, présentée dans les revues, etc. Et il y a certainement une différence entre les questions d’ordre psychologique et social concernant la recherche scientifique et celles d’ordre épistémologique. Mais identifier le contexte de justification à l’étape de présentation de la recherche, comme Reichenbach, c’est risquer de confondre la question de la qualité des éléments de preuve et celle de savoir ce que fait un scientifique pour persuader ses collègues de la véracité de sa théorie. Et identifier le contexte de la découverte à la sphère du psychologique et du sociologique et le contexte de la justification à la sphère de la logique, comme Popper, c’est risquer de travestir le fait que parvenir à une hypothèse ne se fait généralement pas à l’aveuglette, mais implique des inférences, et que recueillir, partager et soupeser les éléments de preuve pertinents à l’évaluation d’une hypothèse est généralement une entreprise collective.
Comme pour le problème de la démarcation, je voudrais proposer de mettre l’accent ailleurs, cette fois sur le rôle de l’inférence dans le processus par lequel les scientifiques arrivent à des théories, et sur celui des interactions entre les scientifiques lorsqu’ils évaluent les éléments de preuve. Aucune règle d’inférence ne garantit une bonne conjecture, mais une bonne conjecture doit être compatible avec ce qui est déjà connu (et si possible l’impliquer). Songez à quel point les contraintes étaient fortes pour les solutions possibles au problème de la structure de l’ADN, étant donné le vaste réseau de croyances de fond sur lequel Crick et Watson s’appuyaient, et les photographies de Franklin de la forme B. Watson est tombé sur la nature exacte des paires de base « par un heureux hasard », rappelle Crick, mais on aurait pu y arriver par élimination, en testant systématiquement les paires suggérées par les règles de Chargaff42. Et, de même que quelque chose d’inférentiel est impliqué lorsque l’on aboutit à une conjecture plausible, de même quelque chose de social — l’interaction de membres plus ou moins conservateurs de la communauté scientifique pendant que les éléments de preuve nécessaires pour trancher entre une conjecture et ses rivales sont cherchés et triés — intervient dans le processus par lequel le résultat en vient éventuellement à être mentionné dans les ouvrages de référence ou bien rejeté.

4. Et en conclusion

Commentant l’article récent du New England Journal, le docteur Clement McDonald, qui dix-huit ans plus tôt publiait un article remettant en question l’authenticité de l’effet placebo, observe que « ce qu’il y a de bien avec la science, c’est que tôt ou tard, la vérité sort au grand jour43 ». Sans doute que ceci semble un peu naïf ; néanmoins, de façon grossière, cette affirmation rend compte de quelque chose d’important. Le progrès a été réduit en lambeaux ; toutefois, grâce aux sciences naturelles, nous en savons bien plus aujourd’hui sur le monde qu’il y a, disons, quatre cents ans.

Si l’histoire de l’ADN illustre ce qui fait la gloire de la science, la saga du météorite martien en illustre la décrépitude. 1996 : les scientifiques suggèrent que les carbonates que le météorite dégage sont l’indice d’une vie bactérienne primitive sur Mars ; 1997 : d’autres scientifiques suggèrent des explications rivales à la présence de carbonates ; 1998 : d’autres proposent que ces traces bactériennes sont dues à une contamination terrestre ; 1999 : des photographies prises par satellite indiquent qu’il pourrait y avoir de l’eau sous le permafrost martien, et le vaisseau spatial Polar Lander est envoyé à la recherche de preuves supplémentaires ; janvier 2000 : on pense que le Lander a été perdu quand il s’est écrasé dans un canyon sur Mars ; février 2000 : on suppose que certains signaux mystérieux pourraient être émis par le Lander après tout ; avril 2000 : les chercheurs de la NASA pensent que le Lander s’est écrasé sur la surface gelée de Mars et s’est fracassé44. Malgré tout, je ne doute pas que la vérité sortira un jour.
 
Laissez-moi suggérer une réinterprétation amicale de l’observation de Lakatos selon laquelle « il n’y a pas de rationalité instantanée », et de la conception de l’histoire de la science comme étant « écrite par le côté gagnant » de Kuhn. Le progrès peut être modeste et avancer à petits pas, ou grand et révolutionnaire, ou n’importe où entre les deux. Il peut résulter d’un accident heureux voire d’une erreur féconde, comme il arrive lorsqu’un scientifique, par ignorance ou par confusion, formule une hypothèse incompatible avec ce qui est tenu pour un fait connu, mais n’en est pas un. À certaines époques et à certains endroits, la recherche scientifique stagne ou même régresse, et ce n’est qu’avec le recul qu’il devient clair que tel ou tel changement était progressif. Néanmoins, si j’ai raison, il n’y a rien de mystérieux à ce que, dans l’ensemble, et dans une perspective à long terme, la recherche en sciences naturelles ait progressé. Car elle repose sur des aides qui, bien que faillibles et imparfaites, tendent généralement à aider l’imagination, à étendre l’accès aux données empiriques, et à consolider le respect pour les données. Tous les pas n’iront pas dans la bonne direction, loin de là, mais dans la mesure où les aides réussissent, la tendance générale ira dans la direction d’un ancrage plus solide dans l’expérience et d’une intégration explicative plus grande.

 
Tous droits réservés © Société de philosophie du Québec, 2003

Defending Science—Within Reason

Stage doctoral "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme"

Nouveau stage doctoral « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » – De l’éthique à l’université.  Deux stages prévus, co-dirigés par Guillaume Guidon et Richard Monvoisin. 

Inscriptions au DFI  (service Doctoral pour la Formation, l’Initiation et l’insertion professionnelles de l’Université de Grenoble)

Stage 1 : lun 17, mar 18 et lun  24 novembre 2014
Stage 2 : lun 23, mar 24 février et lun 2 mars 2015

Objectifs visés :

  • Analyser les postures idéologiques sous-jacentes en science et questionner sans complaisance le statut, les enjeux et le rôle de la science.

  • Créer un outil pédagogique critique exploitable durant le stage.

Résumé :

« Sapience n’entre point en âme malivole, et science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

Rabelais, « Pantagruel » (1532)

Sur quelle base porter un jugement moral sur une action ? Faut-il juger une invention, ou une grande découverte scientifique, au regard de ses conséquences pratiques ou prévisibles ?

Faut-il condamner l’inventeur du couteau, ou Einstein pour ses théories en physique ayant permis la bombe atomique ? D’un autre côté, innover, inventer n’est-il pas un droit, voire un « devoir moral », récompensé par l’institution ? Faut-il freiner les études scientifiques au nom de leurs conséquences ultérieures ?

Nous verrons à travers ce stage comment il est possible de mobiliser la raison dans les réflexions éthiques, et de bien cerner les parts subjectives de nos analyses. Nous essaierons de montrer, à quatre voix, dans un tiraillement entre conséquentialisme et déontologisme, que le questionnement est récurrent : si je fais ceci plutôt que cela dans telle situation, au nom de quoi pourrais-je dire que ma décision est la bonne ? Cette question est rendue d’autant plus piquante que nous, enseignants et chercheurs, faisons profession d’intellectuels : avons-nous une responsabilité plus grande dans nos choix moraux ?

Au moyen d’outils simples, et de bases épistémologiques claires, nous développerons une grille d’analyse de grands sujets et des grandes notions éthiques, et voyagerons au travers de trois thématiques aux objets différents, mais aux impacts sociopolitiques majeurs :

  • la santé,

  • l’histoire et sa mémoire,

  • et la science politique.

Le troisième jour permettra aux doctorant.e.s de s’emparer d’un sujet posant un problème éthique, de le décortiquer en groupe et d’en faire un outil pédagogique sur le site de ressources critiques www.cortecs.org.

Résumé technique :
Stage en 2j +1
Max : 12

Responsables : Guillaume Guidon, Richard Monvoisin
Intervenant-es : Clara Egger, Nicolas Pinsault

Jour N°1

  • Introduction – R. Monvoisin

Grands courants de la philosophie morale – Illustrations et limites de chacune

Déontologisme et conséquentialisme. Que fournit la science aux débats moraux ? Réalisme et matérialisme méthodologique.

  • Science et santé – N. Pinsault

Réflexions critiques sur la notion de maladie et de bien-être.

Interactions art du soin / données scientifiques. Légitimité du placebo. Alternatives. Libre choix. Nouvelles technologies. Marché. Liens d’intérêts. Dépendance santé / industrie. Secret médical.

Jour N°2

  • Éthique et sciences politiques – C. Egger

Sciences politiques et positionnements éthiques.

Discours creux. Analyses grossières. Vernis de scientificité et concepts flous. Leurs dangers dans l’explication du monde politique et social. Propagandes et idéologies. Rôle de l’intellectuel.

  • L’Histoire et sa mémoire – G. Guidon

Enjeux éthiques, politiques et sociaux de l’Histoire.
Instrumentalisation, révisionnismes et négationnismes.
Invention de mythes et roman national. Problématique des lois mémorielles.

Bandes dessinées et esprit critique

Il n’y a pas de mauvais support à la transmission de l’esprit critique : radios par exemple, films, fictions… et la bande dessinée (BD). Longtemps considérée comme un art mineur, la BD est pourtant une manière facile et ludique d’amener à la lecture quelqu’un qui lit peu ou pas. Dans cet article, nous allons recenser lentement les BD qui à notre connaissance peuvent être utilisées comme ressources pour l’esprit critique.

Vous en connaissez ? Écrivez-nous !

RM : Richard Monvoisin NG : Nicolas Gaillard EC : Elsa Caboche A V-R : Agnès Vandevelde-Rougale GD : Gwladys Demazure AG : Albin Guillaud ND : Nelly Darbois AB : Alice Bousquet.


Physique

  • Les mystères du monde quantique, de Thibault CorteX_mystere-du-monde-quantique_2016Damour et Burniat

Explorer les « mystères » quantiques avec Bob, son chien, Rick, Thibault Damour qui gère la crèmerie en terme de physique théorique, et le dessin sympathique de Burniat. On croisera dans cette épopée Planck, Einstein, de Broglie, Heisenberg, Schrödinger, Bohr, Born, Everett, et tout le bestiaire du domaine.

RM

  • Universal war 1, de Denis Bajram

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Hexalogie (c’est-à-dire série de 6 volumes) tout à fait remarquable : l’histoire de la troisième flotte fédérale veillant sur la périphérie du système solaire au milieu du XXIe siècle nous fait traverser le problème des « trous de ver » en physique, des multivers et de quelques illustrations de « paradoxes temporels », ainsi qu’un petit festival de questionnements éthiques et politiques stimulants. Cette série de Denis Bajram, éditée entre 1998 et 2006 chez Soleil Productions avant d’être reprise dans la collection Quadrant Solaire, compte six tomes de 48 pages, ornés de commentaires OFF à la fin, avec des « bulles ratées », et quelques techniques de réalisation captivantes. Regret personnel, des ravins intellectuels proposés par le scénario jouxtent quelques ficelles un peu grossières, et il y a un ou deux personnages vraiment malmenés. Mais c’est une goutte critique dans un océan que j’ai englouti d’une traite. 

RM

Biologie

  • Genetiks

La trilogie Genetiks (2007, 2008, 2010), de Richard Marazano et Jean-Michel Ponzio, nous entraîne dans le monde de Thomas Hale, chargé de recherche pour le Laboratoire Genetiks. Au fil des pages et de ses cauchemars se dévoile le projet de la privatisation du génome humain et un monde où le corps prend la valeur de pièces détachées, ce qui n’est pas sans rappeler celui de Vanilla Sky (film de Cameron Crowe, 2001) ou de Matrix (film de Larry et Andy Wachowsky, 1999). A une époque où la brevetabilité du vivant devient possible, la lecture de Genetiks est un signal d’alarme.

A-VR.

Psychologie

  • Ann Sullivan et Helen Keller, de Joseph Lambert (2013)

    CorteX_BD_Sullivan_Helen_keller

J’ai déjà évoqué l’histoire d’Helen Keller et de sa professeur Ann Sullivan dans « Les vies radicales d’Helen Keller, sourde, aveugle et rebelle ». (ici).

Là, cette BD, dont le titre d’origine est Annie Sullivan and the trials of Helen Keller m’a tordu d’émotion dès la première page (que je reproduis plus bas). Le dessin de Joseph Lambert est touchant, et cette histoire est aussi peu connue que ne sont connus les sourds, aveugles et autres « handicapés », qui frayent dans des sphères ignorées des « normaux ». Une très bonne amie m’avait expliqué que pour que son père sourd ne voie pas sur ses lèvres les causeries avec sa sœur, elle avait pour méthode de signer (faire les signes de la langue des signes) dans la main de celle-ci. J’en étais resté pantois. Là, c’est tout l’itinéraire d’une fille aveugle et sourde, qui va devenir écrivain et militante féministe, par l’opiniâtreté de sa professeur à l’histoire tout aussi mal embarquée. Une leçon humaine, militante, et une mise en lumière sur l’une des luttes des « non-normaux » dont on parle si peu… alors qu’à tout bien peser, entre être handicapé ou non, il n’y a parfois qu’une rue, un tram, un vélo renversé. Nous devrions adapter le monde au dénominateur le plus vulnérable, et non l’inverse. Editions ça et là. Téléchargez un extrait  (1.4 Mo)

RM

Première page BD Sullivan et Keller

  • Mon ami Dahmer, de Derf Backderf (2013)  CorteX_Mon_ami_Dahmer

Voilà une BD peu joyeuse, et peu complaisante, sur l’enfance et la genèse de celui que l’histoire appellera désormais le cannibale de Milwaukee.

Derf Backderf a passé son enfance à Richfield, petite ville de l’Ohio située non loin de Cleveland. En 1972, il entre au collège, où il fait la connaissance de Jeffrey Dahmer, un enfant étrange et solitaire. Les deux ados se lient d’amitié et font leur scolarité ensemble jusqu’à la fin du lycée. Jeffrey Dahmer deviendra par la suite l’un des pires tueurs en série de l’histoire des États-Unis. Son premier crime a lieu à l’été 1978, tout juste deux mois après la fin de leur année de terminale. Il sera suivi d’une série de seize meurtres commis entre 1987 et 1991. Arrêté en 1991, puis condamné à 957 ans de prison, Dahmer finira assassiné dans sa cellule en 1994. Mon Ami Dahmer estCorteX_Mon_ami_Dahmer_page

l’histoire de la jeunesse de ce tueur, à travers les yeux de l’un de ses camarades de classe. Précis et très documenté, le récit de Derf Backderf, journaliste, décrit la personnalité décalée de Dahmer qui amuse les autres ados de cette banlieue déshumanisée typique de l’Amérique des années 1970. Dahmer enfant vit dans un monde à part, ses parent le délaissent, il est submergé par des pulsions morbides, fasciné par les animaux morts et mortifié par son attirance pour les hommes. J’aurais bien aimé que l’auteur aille plus loin que cette première partie, car l’histoire de Dahmer n’est pas très connue hors-USA. Mais Backderf pointe un aspect très lourd à méditer : comment se fait-il que jamais, quoi qu’il put faire durant sa scolarité, les services scolaires ou sociaux ne se sont alertés une seule fois sur son cas ?

Éditions ça et là. Téléchargez un extrait  (4.2 Mo)

Merci à Sandra Giupponi et Yannick Siegel pour cette découverte.

RM

  • La rebouteuse,de Benoît Springer et Séverine CorteX_la_rebouteuseLambour

« Médecines et destins parallèles dans un village sous tension… Saint-Simon, un petit bourg écrasé de soleil, et de secrets. Alors qu’Olivier y revient après cinq ans d’absence enterrer son père, la Mamé – une toute-puissante rebouteuse – est absente du village depuis plusieurs jours, laissant ses ouailles dans une détresse malsaine. Les villageois s’inquiètent et les conversations au bar s’enveniment entre les sceptiques et les habitués de ses plantes médicinales. C’est quand tous les villageois se retrouvent lors de la fête enivrante du 14 juillet que les esprits s’enflamment et que se règlent les comptes. Et si la Mamé était morte, que deviendrait le village sans elle ? Manque-t-elle vraiment tous les villageois ? Et le père d’Olivier, de quoi est-il mort ?… » (résumé de bedetheque.com)

Dérives sectaires

Les mécaniques d’emprise sectaire sont assez peu intuitifs, et lorsque nous abordons ces sujets, qui viennent vite dans nos enseignements, il nous faut d’abord balayer quelques idées reçues ; il faut ensuite détailler les techniques classiques utilisées consciemment ou non par les mouvements pour capter un individu, et progressivement le soumettre à un système aliénant. Nous utilisons pour cela de très bons travaux pour sourcer et illustrer, comme ceux de Prevensectes, parfois ceux du GEMPPI, ainsi que les travaux ministériels de la MIVILUDES (même s’ils sont parfois un tantinet moralistes et bien-pensants). Nous utilisons aussi des témoignages directs, comme celui de Roger Gonnet, ancien membre de l’Église de la Scientologie, qui nous a accordé des entrevues pour le CorteX (et dont le site s’appelle Antisectes).  Deux bandes dessinées permettent de facilement introduire la discussion sur ces questions.

  • Dans la secte

CorteX_Dans_La_secte_boite_a_bullesL’histoire…

« Dans la nuit, une jeune fille court pour attraper son train. Elle désire partir au plus vite. Mettre des kilomètres entre elle et cette secte où elle vient de passer plusieurs mois, éprouvants, éreintants. Dans la tranquillité du train qui file vers Paris, Marion se souvient de l’itinéraire qui l’a amenée jusqu’ici : publicitaire aux soirées aussi remplies que les jours, en rupture amoureuse et familiale, elle suit les conseils d’un ami qui lui propose de venir se ressourcer, s’épanouir grâce à des techniques scientifiques parfaitement éprouvées. Marion met, avec espoir, le doigt dans un engrenage dont il lui faudra des années pour s’extirper entièrement. L’itinéraire de Marion n’a rien d’extra-ordinaire. Il est malheureusement banal et ne pourrait faire la Une des journaux. C’est ce qui le rend exemplaire : Marion ressemble à n’importe quel adepte de sectes, son endoctrinement a été progressif, sans violence. Mais il l’a laissée durablement meurtrie. Et elle a dû prendre sur elle pour confier dans le détail son histoire à Louis Alloing, son ami dessinateur de BD, et à Pierre Henri, le scénariste de cet album. Un témoignage poignant réalisé en coopération avec l’union des Associations de Défense de la Famille et de l’Individu, une des plus importantes associations de lutte contre les sectes. »

Ce n’est pas une « immense » BD à mes yeux, mais elle est très pédagogique sans être simpliste.

Pour voir quelques planches, c’est ici, chez La boîte à bulles. Dessin : L. Alloing Scénario : P. Guillon (alias Pierre Henri) Coloriste : P. Guillon (alias Pierre Henri) Préface : C. Picard  – 88 pages brochée Prix : 13.9 € Collection : Contre-coeur

RM

 

www.antisectes.net/
  • L’Ascension du Haut Mal, de David B.

C’est une histoire passionnante qui témoigne de l’engagement d’une famille dans une communauté macrobiotique.

Cortex_AscensionduhautmalL’histoire…

« L’Ascension du Haut Mal est l’histoire d’une famille au milieu des années soixante, la famille Beauchard, frappée en 1964 par l’épilepsie qui atteint Jean-Christophe, l’aîné des frères, à l’âge de sept ans. Cet ouvrage retrace son quotidien, des prémisses de la maladie à la vie de David B., l’auteur, aujourd’hui.

A l’époque, l’épilepsie est encore méconnue et les remèdes le sont encore plus. Les parents, désarçonnés et réticents face à la proposition de l’intervention chirurgicale sur leur fils, feront de multiples tentatives pour soigner celui-ci et faire reculer sa maladie… Macrobiotique, vie communautaire, médiums etc. Toutes les solutions, même les plus douteuses seront envisagées. Ils iront de déception en déception en oscillant entre périodes de doutes et d’espoir.« 

L’Ascension du haut mal, David B., Edition L’Association, 384 pages noir et blanc, Hors Collection, 35 euros pour la version intégrale des 6 tomes

NG

Mathématiques, logique

 

  • Logicomix

Quel choc ! Mon camarade Simon, de l’association Antigone, me donne rendez-vous sur le campus et me prête une bande-dessinée pesant un bon kilogramme. « Tu vas voir », me dit-il…

 …Et j’ai effectivement vu, lu, jusqu’à me casser les yeux sur les 300 pages de cet ouvrage. En suivant le philosophe, logicien et activiste Bertrand Russell dans son histoire, on croise Frege, Whithead, Poincaré et tous les enjeux logiques du début du XXe siècle, tout ceci sans connaissance mathématique préalable. Une véritable prouesse réalisée par Apostolos Doxiadis et Christos Papadimitriou, dessinée par Alecos Papadatos et colorée par Annie Di Donna.

Il s’agissait d’une version en anglais, mais bonne nouvelle pour les non anglophones, cette version existe en français !

CorteX_logicomix Cortex_Logicomix_fr
En anglais Logicomix: An Epic Search for Truth
by Apostolos Doxiadis, Christos Papadimitriou
Publisher : Bloomsbury, USA 2009 – 352 Pages –
ISBN : 1596914521 Dimensions : 23.50 x 17.50 x 2.50
En français Logicomix
par Apostolos Doxiadis, Christos Papadimitriou
Editeur : Vuibert, 2010 – 348 Pages –
Dimensions : 23.50 x 17.50 x 2.50

L’histoire :

Angleterre, 1884 – Dans la solitude d’un vieux manoir anglais, le petit Bertie Russell découvre, fasciné, la puissance de la Logique. Cette découverte va guider son existence…

Sur un campus américain, 1939 – Alors que les troupes nazies envahissent le Vieux Continent, le Professeur Russell raconte à un parterre d’étudiants une histoire fascinante, celle des plus grands esprits de son temps : Poincaré, Hilbert, Wittgenstein, etc., celle de leur quête acharnée – mais, semble-t-il, perdue d’avance – des fondements de la vérité scientifique. Et comment ces penseurs obstinés, ces esthètes assoiffés d’absolu et de vérité, toujours guettés par la folie et en butte à la violence de leur époque, tentèrent de refonder les mathématiques et la science contemporaine.

Athènes, aujourd’hui – Trois hommes, deux femmes et un chien s’interrogent sur la destinée de ces hommes d’exception, leurs extraordinaires découvertes et la persistance de leur héritage dans notre vie quotidienne…

Concept, récit et scénario : après des études de mathématiques, Apostolos Doxiadis s’est repenti pour devenir écrivain. Son roman Oncle Petros et la conjecture de Goldbach (Christian Bourgois, 2000) est généralement considéré comme le livre phare de la  » fiction mathématique « .

Concept et récit : le jour, Christos Papadimitriou est professeur et chercheur en informatique théorique à l’University of California, Berkeley. Le soir, il devient auteur de romans comme Turing, publié en 2003 (MIT Press), ou joueur de clavier dans un orchestre de rock,  » Positive Eigenvalues « .

Dessins : après avoir travaillé dans l’animation pendant vingt ans, Alecos Papadatos est passé des images mobiles aux images fixes de son amour d’enfance : la bande dessinée. Après une longue journée de travail, il aime se délasser en jouant du bouzouki.

Couleur : Annie Di Donna a étudié la peinture en France. Elle a travaillé dans l’animation pendant vingt ans avant de passer à la bande dessinée. Quand elle ne dessine pas, assure-t-elle, elle aime  » danser jusqu’à l’aube « .

Mini-critique
Il me semble qu’un parallèle un peu simpliste sert de refrain dans toute la BD : l’intrication entre la logique et la folie. De même que les fondements des mathématiques étaient flous selon Russell, les fondements de la folie – si tant est que ce terme soit assez précis – sont trop diffus pour servir la métaphore (même si un certain nombre de logiciens ont pété les plombs, comme Cantor ou Gödel).

RM

Épistémologie, pseudo-sciences, mythes scientifiques

  • Fables scientifiques, de Darryl Cunningham

altTitre original : scientific tales

« Fables Scientifiques est une bande dessinée documentaire dans laquelle Darry Cunningham déconstruit minutieusement certains des mythes qui entourent la science, souvent propagés par des conspirationnistes ou bien des média peu scrupuleux responsables de la vitalité de ces théories fumeuses. Darryl Cunningham décode les fables qui ont façonné certains des thèmes les plus âprement débattus de ces cinquante dernières années. Il questionne dans le détail ces théories et se penche sur les controverses entourant la changement climatique, l’atterrissage sur la lune, le vaccin ROR (Rougeole, oreillons et rubéole), l’homéopathie, la théorie de l’évolution, la chiropractie et plus largement toute forme de négationnisme de la science, le dénialisme scientifique... » Lire la suite de la présentation, avec un chapitre en lecture ici.

Fables scientifiques, de Darryl Cunningham, Editions ça et là, 160 pages, 18 euros.

A lire. C’est une excellente BD, moins sur l’aspect graphique que sur le contenu qui est très habilement traité, avec une démarche de recherche rigoureuse.

Idem avec son 2d ouvrage: fables psychiatriques.

BD fables psychiatriques

NG

  • Les céréales du dimanche matin

« Les céréales du dimanche matin » est la traduction en français, par Philip, des « Saturday morning breakfast cereals » de Zach Weiner. C’est « un comic strip en couleurs qui porte un discours décalé sur les sciences, la physique, la science fiction, toutes les sciences académiques, mais aussi la vie, la mort, la famille, la religion, le sexe et un tas d’autres choses. Uncomic strip incisif, pertinent, … ». Il y en a plus de 2300 ! (merci à Alain Le Métayer)

En voici quelques-uns :

A propos du statut épistémologique de la théorie de l’évolution Créationnistes et scientifiques mal aimés

1theorie-evolution

13creationnisme-et-correlation
Juste une théorie ? 
  
Pour enfin comprendre la théologie naturelle de William Paley Où l’on comprend la perfection de la création
3william-paley-dieu 2religion-tremblement-terre
   
Vive la vulgarisation scientifique… Un grand moment de l’histoire
11retour-chat-schroedinger 12microscope-a-effet-tunnel
   

Les céréales du dimanche matin : http://cereales.lapin.org/index.php

Saturday morning breakfast cereals : http://www.smbc-comics.com/

NG

Histoire

  • Ni dieu ni maître : Auguste Blanqui, l’enfermé, de Loïc Locatelli Kournwsky et Maximilien Le Roy

    Ni dieu ni maître : Auguste Blanqui, l'enfermé par Locatelli Kournwsky

CorteX_Blanqui_p

Remarquable plongée dans la vie dramatique d’Auguste Blanqui, figure du socialisme radical français au XIXe siècle, qui paya au prix fort ses idées.

  • La Pasionara, de Michèle Gazer et Barnard CiccolniCorteX_La_pasionaria

C’est la version BD de la vie stupéfiante de Dolorès Ibarruri, plus connue sous le sobriquet de « la pasionaria », qui fut  dirigeante du Parti communiste espagnol durant la guerre civile et que l’Histoire garde en mémoire comme autrice du célèbre slogan « No Pasaran » (Ils [les franquistes] ne passeront pas), devenu mot d’ordre du camp républicain. Cette BD est une belle introduction, même si en tant que tel, ce n’est à mon goût pas une BD très réussie.

RM

  • Cher pays de notre enfance, d’Étienne CorteX_cher_pays_de_notre_enfanceDavodeau et Benoît Collombat (2015).

C’est la mort du juge Renaud, à Lyon, le 3 juillet 1975, premier haut magistrat assassiné depuis la Libération. Ce sont des braquages de banques, notamment par le fameux gang des Lyonnais, pour financer les campagnes électorales du parti gaulliste au pouvoir. Ce sont les nombreuses exactions impunies du SAC (le Service d’Action Civique), la milice du parti gaulliste, dont la plus sanglante fut la tuerie du chef du SAC marseillais et de toute sa famille à Auriol en 1981 (ce massacre aura bouleversé la France entière, et aura entraîné la dissolution du SAC par le parlement en août 1982). C’est l’assassinat présumé de Robert Boulin, ministre du Travail du gouvernement de Raymond Barre, semble-t’il maquillé en suicide grossier dès la découverte du corps dans cinquante centimètres d’eau, le 30 octobre 1979, dans un étang de la forêt de Rambouillet. Ce sont 47 assassinats politiques en France sous les présidences de Georges Pompidou et Valéry Giscard d’Estaing ! Avec, en arrière plan, le rôle actif joué par le SAC, la milice gaulliste engagée alors dans une dérive sanglante. C’est une page noire de notre histoire soigneusement occultée, aujourd’hui encore. En nous faisant visiter les archives sur le SAC, enfin ouvertes, en partant à la rencontre des témoins directs des événements de cette époque – députés, journalistes, syndicalistes, magistrats, policiers, ou encore malfrats repentis –, en menant une enquête approfondie et palpitante, Étienne Davodeau et Benoît Collombat  font pénétrer de plain-pied dans les coulisses sanglantes de ces années troubles dont les surgeons sont encore sensibles.

RM

Économie, politique

  • SOS Bonheur, de Griffo et Van Hamme

Cette bande-dessinée (trilogie) explore différents aspects « utopiques » de notre société : le CorteX_sos_bonheurtravail (où travailler est ce qui compte, pas le sens du travail), l’argent (avec une carte bancaire universelle), la protection sociale et le principe de précaution (où on risque une amende si on ne se couvre pas suffisamment par temps humide), les vacances (où la destination est notamment « choisie » par les besoins ou non d’iode ou autre et où il est impératif de « s’amuser »)… Et tout finit par une révolution qui dévoile le cynisme des corporations au pouvoir (elles sont 7, dont l’argent).

A V-R.

  • SOS Bonheur, saison 2, de Griffo et Desberg

« Méfiez-vous ce tout ce qui est compliqué. Vivez heureux. Laissez-nous nous en charger » clame un téléviseur… Le lendemain de la révolution faite au nom de la liberté à l’issue de SOS Bonheur n’est pas un lendemain qui chante. Trente ans après, les dérives dystopiques de notre société anticipées dans la trilogie initiale (SOS Bonheur de Griffo et Van Hamme) se poursuivent, autour de la marchandisation de l’humain et du déni de l’histoire, au nom d’un « bonheur » marchand où la « prévention » fait figure de nouveau tyran et justifie l’exclusion sociale. Un petit regret par rapport à la première saison : l’absence de titre des différents chapitres et d’extraits de la communication institutionnelle, qui permettaient de souligner davantage l’influence d’un discours dominant sur le cadrage des expériences individuelles et collectives.

A-VR.

  • Thoreau, la vie sublime, de A. Dan et Leroy

Mars 1845. Henri David Thoreau est revenu à Concord, Massachusetts, son villageCorteX_vie-sublime-Thoreau natal. Endeuillé par la mort de son frère, lassé des grandes villes et d’une société trop rigoriste pour le laisser pratiquer un enseignement libre et non violent, le philosophe anarchiste a choisi de revenir à une vie simple, proche de la nature, dans une cabane, et de mener une résistance active, notamment dans le paiement de l’impôt. C’est là qu’il écrira le fameux Walden, ainsi que le non moins célèbre La désobéissance civile, qui inspira des générations de résistants ; deux ouvrages qui m’ont d’ailleurs marqué fortement quand j’étais adolescent (et que j’avais découvert dans Le cercle des poètes disparus, de Peter Weir (1989) car les jeunes y récitent des passages de Walden). La fin de cette BD est un peu molle, mais le tout est accompagné de textes de recontextualisation qui sont captivants. Aux éditions Lombard. Paru en 2012.

RM

  • Plogoff, de Delphine Le Lay et Alexis Horellou

PLOGOFF - C1C4.indd CorteX_Plogoff_ExtraitAprès le choc pétrolier de 1973, le discours nucléariste est écrasant en France. Plogoff, commune du Finistère, à l’extrémité du Cap Sizun (canton de Pont-Croix) est retenue pour l’établissement d’une centrale. De la non consultation des habitants naît la contestation puis une résistance sévère qui est entrée dans la légende. Cette oeuvre est très agréable à lire, et touchante. Paru en 2013 aux éditions Delcourt. Note : elle fait le pont avec une émission à ce sujet dans l’article Luttes désobéissantes – Projet Histoire des luttes sociales.

RM

  • L’affaire des affaires, tomes 1,2,3, de Denis Robert, Yan Lindingre et Laurent Astier

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CorteX_Affaire_des_affaires2CorteX_Affaire_des_affaires3CorteX_Affaire_affaires_extrait Remarquable série portant sur l’affaire Clearstream, et l’opiniâtreté d’un journaliste de talent, Denis Robert, à faire connaître les mécanismes délétères du clearing financier. Une œuvre qui donne envie de lutter.

 

  • Le Capital de Marx & Engels

CorteX_Capital_Marx_Manga1Jolie découverte que cette adaptation du Capital de Marx & Engels en… manga ! Deux tomes, sortis début 2011.

On doit ce beau travail de vulgarisation à l’éditeur japonais East Press, qui a adapté l’œuvre maîtresse de Marx à la fin 2008 pour la vulgariser, en l’illustrant avec l’histoire de Robin, vendeur de fromages sur un marché, qui rencontre un investisseur et entre avec lui dans l’engrenage de l’industrie capitalistique. Plus-value, capital, monnaie et crise sont expliqués de manière simple et claire.
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Le Capital, Karl Marx, Soleil Manga, 6,95 euros le tome.

A commander bien sûr chez votre petit libraire préféré, plutôt qu’aux grandes centrales d’achat.

Et pour une autre introduction « douce » à la critique de la théorie économique capitaliste, voir « La parabole du réservoir d’eau« , d’Edward Bellamy.

RM

  • Le Prince de MachiavelMachiavel-Le-Prince-manga-209x300

La col­lec­tion « Clas­sique » de Soleil Manga propose également Le Prince de Machiavel dans la ligne droite du Capital. Ce n’est pas une adaptation BD de l’œuvre originale mais plutôt une biographie de Machiavel éclairée par la géopolitique de l’Italie du XVème siècle. L’effort pour rendre le propos abordable est réussi, passionnant et jamais condescendant. Ça donne envie de lire l’original. Voilà une véritable démarche pédagogique d’esprit critique.

Freud mangaNéanmoins, l’esprit critique est atomisé dans le manga sur Freud ! C’est simplement une nouvelle hagiographie, voire une mythologie, mais surtout… fausse et qui continue de véhiculer les mêmes images d’Épinal freudiennes d’un soi-disant génie seul contre tous. On en parle ici entre autre.

Pas (encore) lu dans la même collection : Entretiens de Confucius, Le Manifeste du parti communiste, La Bible, Les Mots de Bouddha , Les Misérables, Le Rouge et le noir , etc.

NG

  • Pendant que la planète flambe, 50 gestes simples pour continuer à nier l’évidence

de D. Jensen, S. McMillancouv_planete_grande

Sous des aspects simplets, tant dans le graphisme que l’histoire, cette BD est en réalité une superbe trouvaille, avec de vrais morceaux d’esprit critique : des sophismes politiques dévoilés, des idées reçues explosées, des manipulations décryptées. C’est grinçant, parfois raide mais particulièrement efficace pour prendre du recul sur le discours écolo-individualiste en vogue et surtout tellement drôle. Cela participe à mon sens à rendre abordable une véritable critique du libéralisme économique avec rigueur.

La présentation de l’éditeur :

Le président américain est contacté par des martiens qui veulent manger leur planète. Celui-ci accepte contre remise d’or. Mais ceci finit par inquiéter les grandes entreprises : n’est-ce pas leur privilège exclusif de faire des profits en mettant à mal la planète ?
Deux jeunes filles dissertent sur la manière d’endiguer la destruction de la planète. L’une pense qu’il faut appliquer les préceptes des livres et émissions de télé tandis que l’autre pense que toutes ces conseils sont juste faits pour endormir les gens et leur donner bonne conscience. Pendant ce temps, un lapin borgne décide de passer à l’attaque et fait sauter un barrage, détruit un centre d’expérimentation sur les animaux…
Une fable burlesque, irrespectueuse et totalement déjantée qui force à réfléchir sur le devenir de notre planète et sur les solutions mises en avant.

NG

 Médias

  • La machine à influencer, Brooke Gladstone et Josh Neufeld

cortex_machine_a_influencerPourquoi le chiffre de 50 000 victimes revient-il aussi souvent dans les médias aux USA ? Les journalistes devraient-ils annoncer leurs intentions de vote ? Internet radicalise t-il nos opinions ? Ce sont quelques-unes des questions soulevées par Brooke Gladstone, journaliste spécialiste des médias pour la radio publique américaine NPR. Avec l’aide du dessinateur de bande dessinée documentaire Josh Neufeld, elle retrace dans La Machine à influencer l’évolution des médias d’information et des pratiques journalistiques à travers les différentes périodes. Des premières dérives de l’information sous l’empire romain jusqu’aux mensonges de la guerre de Sécession et errements des médias « embedded »  au moment de l’entrée en guerre contre l’Irak, Brooke Gladstone s’interroge en revisitant des grands noms du journalisme, de Pulitzer à Murrow en passant par Cronkite. Le livre recense les stratégies des politiques pour s’accommoder du quatrième pouvoir, décortique les différents biais qui affectent les journalistes, décrit le circuit des sondages et statistiques qui parviennent jusqu’à nous et explique comment nous en venons à croire ou rejeter certaines informations. Quelques phrases mal tournées gênent de temps en temps la lecture, mais je pense qu’il s’agit de la traduction qui a alourdi un peu.

Titre original : The Influencing Machine (États-Unis), traduit de l’anglais par Fanny Soubiran. Préface de Daniel Schneidermann. Éditions ça et là. 22 euros. Lien ici. Extrait à télécharger.

www.antisectes.net/
  • La Revue dessinée

En prenant le temps de l’analyse et du dessin, la revue dessinée nous invite chaque trimestre depuis 2013 à une lecture réflexive et critique de certains thèmes d’actualité, CorteX_la_revue_dessineeen appui sur des enquêtes et reportages journalistiques. Le projet éditorial est généraliste, passant au fil des numéros de la science politique et de l’éducation au sport, en passant par la médecine et l’économie ou encore la justice (les rubriques variant d’un numéro à l’autre). L’usage de la bande-dessinée se prête particulièrement bien au documentaire, avec par exemple, dans le numéro 16 (été 2017), la présentation d’une approche alternative de la relation enseignants-élèves dans une école ciblant des élèves dits « décrocheurs ». Il est aussi bien adapté au partage synthétique d’analyses, comme le montre dans le même numéro l’article consacré à l’imaginaire de la guerre, dont la mise en perspective historique et en images permet de questionner ce que recouvre aujourd’hui la référence à la guerre, convoquée aussi bien dans le champ politique que dans le champ économique ou encore social.

A-VR.

Genre et sexualités

  • Le vrai sexe de la vraie vie, Cy

Le vrai sexe de la vraie vie (1)

En matière de comportements sexuels, il n’existe aucune preuve en faveur de l’existence de normes transcendantes que l’on devrait respecter. Et quand bien même ces normes existeraient, la bonne nouvelle est que rien ne nous oblige à nous y conformer 1.

C’est en d’autres mots ce qui est écrit dans la préface de la BD Le vrai sexe de la vrai vie de Cy, chroniqueuse sur le site Mademoizelle.com2 : « Les sexualités c’est pas quatre ou cinq variétés, c’est mille, dix mille, cent mille, des milliards de possibilités. Va falloir laisser tomber tout ce que t’as pu étiqueter : c’est dépassé, périmé, jamais été. J’espère que tu auras jeté les « ça, ça se fait, ça ça se fait pas ». Bannis, les « il faut ». »

Cet extrait résume bien le contenu de cette BD qui se dévore avec plaisir. Cy (qui prend parfois le surnom de Cy.prine) aborde sans tabous, mais avec légèreté, différents aspects des sexualités tels que le libertinage, les loupés, les relations homosexuelles, le handicap, les femmes enceintes ou les sex toys.

Une BD idéale pour passer le paravent des idées reçues en matière de sexualité, et peut-être même fantasmer des expériences nouvelles !

On pourra retrouver d’autres dessins de Cy sur le web, toujours dans ce même esprit libéré et féministe : La masturbation féminine, ce tabou foutrement tenace, Libérons les tétons!, Jouir… à tout prix?.

Le vrai sexe de la vrai vie (2)

Aux éditions lapin, paru en 2016, 18€.

GD & AG

  • Un autre regard, Emma

CorteX-emma-regardAlice Bousquet nous a fait (re)découvrir cette bande-dessinée : « Drôle, engagé, féministe, politique, grinçant, dérangeant, osé, humaniste… Autant de qualificatifs pour décrire ce que nous propose Emma au travers des deux tomes d’Un autre regard. Emma, au travers de son regard précis, parfois caustique sur notre société individualiste et encore bien trop patriarcale, nous livre, en images et en beauté, son avis sur quelques scènes de vie qui parleront à bon nombre d’entre nous. »

Nous avions déjà remarqué Emma pour sa BD Un peu de sucre où elle revenait sur l’histoire de l’homéopathie, ses fondements physico-chimiques, l’absence de preuve de son efficacité spécifique, les effets dits « placebo », en faisant l’hypothèse que l’adhésion des gens à ces petites billes était liée notamment aux problèmes relationnels entre médecins et patient·es. Elle a publié depuis deux albums qui abordent des sujets aussi divers que l’utilisation du terme « violence » dans les médias pour décrire des actions menées par des personnes qui ont réclamé ou réclament des droits et son euphémisation quand il s’agit de violences policières, les inégalités dans la répartition des tâches dans les foyers encore importantes de nos jours et non consenties, les représentations idéalisées et erronées de la vie de jeunes parents etc. Elle n’hésite pas à recourir aux données factuelles et à remettre en question le traitement médiatique réservé à divers sujets d’actualité.

Emma, Un autre regard, tome 1 et 2, éditions Massot. La plupart de ses planches sont accessibles sur son site internet ici.

AB et ND

  • Rosa la rouge, Kate Evans

CorteX_rosaKate Evans retrace dans cette bande dessinée la biographie de Rosa Luxembourg, essayiste, journaliste, membre de divers collectifs et partis politique, assassinée en 1919 par des militaires allemands en Allemagne. L’accent est mis au travers de cet ouvrage sur le parcours de vie, notamment intellectuel, de Rosa Luxembourg, qui l’a mené à s’investir dans divers luttes, quitte à y risquer sa vie. Plus que les longs passages extraits des ouvrages de Karl Max exposés de manière descriptive et avec peu de recul critique, je retiens surtout de cet ouvrage l’itinéraire de cette personne. Née de sexe féminin, dans une famille de confession juive, souffrant d’un handicap moteur, elle a évolué et s’est imposée par ses idées et son engagement dans des milieux où les réticences devaient être nombreuses. Elle s’est volontairement affranchie du « poids » d’une famille en n’ayant pas voulu d’enfants et en n’hésitant pas à prendre des distances avec ses parents et sa fratrie, parce qu’elle attribuait plus d’importance à ses engagements politique. Elle critiqua les actions entreprises par les États et les personnalités de son temps, ce qui l’a emmené en prison à plusieurs reprises.

L’immersion en format BD dans la vie de Rosa Luxembourg et plus généralement dans l’histoire de ces années là vu à travers son prisme est assez captivante et peut susciter moult questionnements sur nos propres engagements.

Rosa la rouge, une biographie graphique de Rosa Luxembourg, Kate Evans, éditions Amsterdam, 2017. Merci à la formidable librairie Jean-Jacques Rousseau de Chambéry pour la recommandation de lecture.

ND

 Divers

  • Tu mourras moins bête, Marion Montaigne

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Quel est le minimum nécessaire pour exciter un dindon ? Peut-on s’inoculer la fièvre jaune en se versant du vomi de malade dans les yeux ? Qu’est-ce qui se passe si on greffe ma tête sur le corps de Scarlett Johansson ? Est-ce que quelqu’un va un jour expliquer à Dr House qu’on n’entre pas sans protections sanitaires dans un bloc opératoire ? Quels animaux peuvent prendre des cuites avec des fruits pourris ? Pourquoi les voitures ne volent-elles toujours pas ?

CorteX_MMontaigne_mourras_2Ce sont quelques-unes des questions fondamentales auxquelles répond le Professeur Moustache sous la plume de Marion Montaigne, dessinatrice passionnée de science. De la physiognomonie appliquée à la criminologie aux voyages dans le temps, en passant par la pygomancie (la divination par la lecture des lignes des fesses), le Professeur Moustache s’intéresse à tous les sujets. Le blog de Marion Montaigne, intitulé « Tu mourras moins bête (mais tu mourras quand même) », est une référence de la vulgarisation trash. Avec son trait grouillant à la Reiser et ses gags épicés, Marion Montaigne donne une forme drôle et décalée à une érudition soigneusement encadrée par sa collaboration avec des scientifiques qui l’accueillent volontiers dans leurs laboratoires. Le blog a déjà fait l’objet de deux adaptations papier chez Ankama, Tu mourras moins bête… 1. La science, c’est pas du cinéma (2011) et 2. Quoi de neuf, docteur Moustache ? (2012), dont la dernière a reçu le prix du public Cultura au festival d’Angoulême 2013.  Le troisième tome sort le 17 septembre 2014.

Marion Montaigne a également publié Panique organique (Sarbacane, 2007), La vie des très bêtes (Bayard, 2008) et Riche, pourquoi pas toi ? avec Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot (Dargaud, 2013) (NdRM : sur lequel nous reviendrons bientôt car il vaut le détour).

EC

  • Glacial Period, de Nicolas de CrécyCorteX_Glacial_period_de_crecy CorteX_de_crecy

Je ne dis pas un mot de cette fresque étrange et futuriste, qui regarde d’un oeil mi-désabusé mi-goguenard nos arts à l’œil des générations futures. Spécial dédicace à Denis Caroti, pour qui l’Olympique de Marseille est le seul sujet qui ne se soumet pas aux mêmes standards de scientificité que le reste de l’Univers.

  • Les funérailles de Luce, de Benoît SpringerCorteX_funerailles-luce_couv

CorteX_funerailles-luce_bulleLuce a six ans. L’histoire est celle d’une petite fille débrouillarde qui passe de paisibles vacances à la campagne chez son Papi, garagiste à la retraite, et qui est confrontée au problème philosophique fondamental des humains : la mort d’un être cher. Cette BD m’a fendu l’âme (donc de fait mon âme ne pèse plus que 11,5 grammes).

RM

Audio

Cycle Histoire de la BD, dans La fabrique de l’histoire, sur France Culture.

La fabrique de l’histoire d’Emmanuel Laurentin a abordé en octobre 2016 un cycle sur l’histoire de la bande dessinée.

La première émission traite de l’histoire complexe, retorse et difficilement datable de cet art.

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Le scénariste Kris

On y entend l’excellent scénariste Kris, pour lequel nous avons une affection particulière – et qui d’ailleurs a travaillé avec notre copain drômois le génial illustrateur Martin alias Maël.

CorteX_738_piloteLa deuxième émission est un documentaire de Victor Macé de Lépinay et Séverine Cassar traitant du journal Pilote

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La troisième est une visite d’exposition sur Hergé (dont nous utilisons quelques planches dans nos cours critiques, notamment sur les stéréotypes sociaux, sur les Juifs, sur les Africains, sur les Américains (voir ici). Ici Benoît Mouchart, historien de la bande dessinée, directeur éditorial de Casterman revient (avec un tout petit peu trop de complaisance à notre avis) sur les opinions très conservatrices et rexistes 3 de Hergé. On y apprend par ailleurs que Tchang (personnage historique) aurait été un agent communiste infiltré, et aurait laissé des slogans maoïstes et anti-Japon.

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Sur le panneau est écrit « Boycottez les marchandises japonaises ».

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Profitons-en pour indiquer l’article de Thet Motou, Cours de chinois illustré, et surtout Tintin, la Chine du Lotus bleu décryptée en six points. par Patrick Mérand.

La quatrième émission est quant à elle un débat historiographique : apprend-on l’histoire dans les BD historiques ? A quoi servent-elles ? Ne devrait-on pas reconsidérer les rapports entre ces deux modes de récit du passé ? Comment les dessinatrices, dessinateurs et historien·nes pourraient collaborer différemment ?

Cours-conférences de Jean Bricmont : comprendre la science

Comprendre la science, par Jean Bricmont.
Les trois émissions de radio qui suivent sont des moments magistraux d’épistémologie. Elles ont été enregistrées et mises en ligne par l’Académie royale de Belgique. La diffusion de tels contenus n’étant pas l’apanage d’un droit régalien, nous nous permettons de vous les proposer ici.

 

 

CorteX_Jean_Bricmont« La science a toujours été au centre de débats et elle l’est encore aujourd’hui. Elle a bouleversé notre façon de comprendre l’univers et de nous comprendre nous-mêmes. Néanmoins, dans une bonne partie de la culture intellectuelle, la science est incomprise ou est vue avec suspicion. Elle suscite l’hostilité à la fois de courants religieux « fondamentalistes » et d’une intelligentsia relativiste ou postmoderne.

Le but de ce cours-conférence en trois leçons est de présenter et de défendre ce qu’on pourrait appeler une approche scientifique du monde. Au cours du XXe siècle, toute une série de philosophes, historiens et sociologues ont tenté de caractériser ce qui faisait la particularité de la démarche scientifique, par opposition à celle des religions ou des pseudosciences. Dans la première moitié du siècle, divers penseurs ont cherché à établir une ligne de démarcation entre science et non-science, en s’appuyant principalement, soit sur la notion de confirmation (les positivistes logiques), soit sur celle de falsifiabilité (Popper). À partir des années 1950-60, suite aux travaux de Quine, Kuhn, et Feyerabend, les critères de démarcation mis en avant précédemment ont été progressivement mis en question, pour déboucher parfois sur une vision purement sociologique et relativiste de la distinction entre science et non-science.

Un des objectifs poursuivis sera de distinguer ce qui est valide de ce qui ne l’est pas dans ces critiques « post-positivistes » de l’épistémologie de la première moitié du XXe siècle. Un autre objectif sera proposer une alternative à cette épistémologie ».

  • Cours N°1. Les notions de vérité et d’objectivité, le réalisme et l’idéalisme.

Écouter :

. Télécharger ici (44Mo)

  • Cours N°2. Comment déterminer dans les discours des sciences, des pseudo-sciences et des religions, ce qui est vrai ?

Écouter :

Télécharger ici. (66Mo)

  • Cours N°3. Que penser du déterminisme, du réductionnisme, ou du matérialisme ?

Écouter :

Télécharger là (54Mo)
Les références données par Jean sont :

Richard Monvoisin

 

Effet boule de neige – le frustule extraterrestre de Wickramasinghe

La fabrique du scoop est un vice multiforme, et la reprise du scoop tout cru par d’autres médias un art stupéfiant. L’effet boule de neige décrit très bien ce mécanisme lors duquel quelqu’un reprend une information sans chercher à la mettre en doute. L’histoire du journalisme en est truffée. L’une des plus intéressantes du moment est probablement celle du frustule de Chandra Wrickramasinghe, d’une part par ses implications (une vie extraterrestre), d’autre part par la leçon qu’elle donne aux journalistes et aux vulgarisateurs : si l’on ne connait pas les processus de publication, les biais classiques et les traquenards du milieu, il est très difficile de ne pas prendre une vessie pour un frustule.
 
La plume de Pierre Barthélémy remplit ici son office. Merci à l’auteur d’avoir accepté de voir son texte reproduit.
Les notes adjointes sont celles de Richard Monvoisin.

Des chercheurs croient avoir trouvé une trace de vie extraterrestre

C’était, jeudi dernier, à la « une » du site Internet du quotidien The Independent : des chercheurs britanniques affirment détenir la preuve de la vie extraterrestre. Normalement, toutes les chaînes d’information du monde auraient dû interrompre leurs programmes pour donner la nouvelle et les rotatives de tous les journaux se seraient arrêtées, le temps pour les rédacteurs en chef de faire changer les plaques. Impossible pour un média digne de ce nom de rater ce scoop répondant à une des plus anciennes questions de l’humanité : sommes-nous seuls dans l’Univers ou pas ? Toutefois, au lieu de cette furia planétaire, il y a eu quelques reprises à droite ou à gauche et l’histoire a fait pschitt…

S’agit-il d’un nouveau complot de l’establishment politico-médiatique destiné à étouffer un scoop prouvant une bonne fois pour toutes que les soucoupes volantes existent ? Non. Mais avant d’expliquer pourquoi ce n’est pas le cas, voici les informations de base. Une équipe britannique emmenée par Milton Wainwright, du département de biotechnologie et de biologie moléculaire de l’université de Sheffield, a publié dans le Journal of Cosmology une étude relatant une curieuse découverte effectuée dans la stratosphère. Le 31 juillet dernier (la date est importante), ces chercheurs ont lâché un ballon-sonde au-dessus de Chester, dans le nord-ouest de l’Angleterre. Il était équipé d’un dispositif simple, un tiroir télécommandé dont l’ouverture a été déclenchée lorsque le ballon a atteint 22 kilomètres d’altitude. La boîte est restée ouverte pendant plus d’un quart d’heure, alors que l’ascension se poursuivait. Elle a été refermée à 27 km d’altitude. Puis le dispositif expérimental a été décroché du ballon et est tranquillement redescendu accroché à un parachute.

L’étude en question précise que le tiroir avait été scrupuleusement nettoyé avant le vol de façon à s’assurer que rien ne viendrait « polluer » la récolte dans la haute atmosphère. Pour les mêmes raisons, les chercheurs avaient installé une protection censée empêcher que des particules situées sur le ballon ne tombent dans la boîte. Une fois celle-ci récupérée, son contenu a été passé non pas à la loupe mais au microscope électronique à balayage. Et là, les scientifiques ont eu la surprise de découvrir la minuscule structure qui figure en photo au début de ce billet.

Pour les auteurs de l’article, cela ressemble fort à un « squelette » de diatomée, ces algues unicellulaires qui s’entourent d’une petite boîte de silice, le frustule. Simplement, comment cette chose a-t-elle bien pu se retrouver à 25 kilomètres d’altitude, se demandent ces chercheurs, puisqu’ils excluent toute contamination de leur dispositif expérimental ? Deux solutions s’offrent à eux, expliquent-ils. Ou bien ce morceau de frustule de seulement quelques micromètres de long appartient à une micro-algue terrestre et il vient d’en bas, ou bien il provient de l’espace et il s’agit d’une preuve de vie extraterrestre. L’étude se résume ensuite à une argumentation qui consiste à démontrer qu’aucun mécanisme terrestre connu ne peut expliquer la présence d’un frustule de diatomée à cet endroit de la stratosphère. Aucun avion, aucune tempête, n’a pu l’apporter si haut. Seule une puissante éruption volcanique aurait eu le pouvoir de la propulser à cette altitude mais d’éruption aussi importante il n’y a pas eu depuis un moment. Or, ajoutent les chercheurs, selon un modèle atmosphérique datant de 1968, une particule de la taille et de la densité de ce morceau de frustule retombe au sol à la vitesse minimale d’un mètre par seconde et ne peut rester en suspension dans la stratosphère.

On en arrive donc au raisonnement suivant, que Sherlock Holmes aurait adoré : une fois toutes ces hypothèses terrestres écartées, la seule explication qui demeure, l’origine extraterrestre, est forcément la bonne. Dans The Independent, Milton Wainwright ne s’embarrasse pas de prudence en disant qu’il est « convaincu à 95 % » que cette structure vient du cosmos. Le communiqué de presse de l’université de Sheffield, qui a accompagné la parution de l’étude, est encore plus affirmatif : « Notre conclusion est que la vie arrive continuellement sur Terre depuis l’espace, que la vie n’est pas restreinte à cette planète et qu’elle n’en est certainement pas originaire », dit un Milton Wainwright visiblement conquis par la théorie de la panspermie. Il ajoute que si la Terre est perpétuellement arrosée par cette vie cosmique, sans doute transportée par les pluies cométaires qui donnent les étoiles filantes, « il nous faudra complètement modifier la façon dont nous voyons la biologie et l’évolution. De nouveaux manuels devront être écrits ! »

Alors, révolution darwino-copernicienne ou pas ? Il faut reprendre les choses point par point. Et commencer par le dispositif expérimental : on nous dit par exemple que le fameux tiroir a été nettoyé par… flux d’air et tamponnage à l’alcool. Soit. Mais rien n’est précisé sur son étanchéité ni sur les précautions prises à son ouverture. Ensuite, le frustule : l’équipe n’a visiblement pas pris la peine de demander son avis à un spécialiste des diatomées pour savoir à quelle espèce terrestre il pouvait appartenir. De plus, avant de se lancer dans leur série d’hypothèses, les chercheurs auraient pu commencer par l’analyse isotopique de cette micro-structure afin de déterminer si elle était oui ou non d’origine terrestre (le communiqué de presse évoque d’ailleurs cette expérience). Il y a aussi la chronologie de l’étude : le vol du ballon-sonde a eu lieu le 31 juillet et l’étude a été acceptée par la revue le 9 août. On est sans doute très près du record du monde de l’expérience la plus rapidement analysée, retranscrite, envoyée et acceptée. Ce qui pose bien sûr la question de ladite revue.

Qui est un tant soit peu familier du sujet sait que le Journal of Cosmology n’est pas vraiment une revue scientifique sérieuse. Il s’agit d’un repaire de chercheurs partis en croisade pour la théorie de la panspermie1. Le principal meneur de ce mouvement s’appelle Chandra Wickramasinghe2 (université de Buckingham) dont il se trouve qu’il est à la fois rédacteur en chef du Journal of Cosmology et… co-auteur de l’étude sur la diatomée stratosphérique ! On comprend mieux la vitesse à laquelle le journal, qui pratique soit-disant le peer-review, a accepté cet article. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que Chandra Wickramasinghe sévit dans ce domaine car il a déjà, à plusieurs reprises, affirmé avoir trouvé des diatomées dans des météorites, ce qui a été à chaque fois réfuté. Il a également assuré que des virus comme celui de la grippe ou du SRAS provenaient de l’espace… Si l’on met tout cela bout à bout et si l’on ajoute qu’une découverte aussi importante que la preuve de la vie extraterrestre paraîtrait obligatoirement dans une revue prestigieuse, on saisit pourquoi la planète médiatique n’est, dans son ensemble, pas tombée dans cet énorme panneau jeudi 19 septembre. Et on a d’autant plus de mal à comprendre comment un journal plutôt sérieux comme The Independent s’est fait enfumer… sans compter une flopée de suiveurs non-vérifieurs comme La Tribune de Genèvela BBC ou le Times of India3.

Pierre Barthélémy

  1. La panspérmie est une théorie controversée selon laquelle les premiers organismes ne seraient pas nés de la matière minérale de la soupe primitive, mais bien d’une « vie » extraterrestre, d’un ancêtre cosmique, pour reprendre un terme consacré. Ce scénario se calque à la théorie d’un univers stationnaire de Fred Hoyle… qui fut le mentor de Wickramasinghe (point suivant).
  2. Nalin Chandra Wickramasinghe (1939-) est un personnage tout à fait fascinant. Pierre Barthélémy n’a pas la place de dire qu’outre être soutien à la dérive sectaire Sokka Gakkaï, ayant co-signé un livre avec son fondateur, Wickramasinghe est connu pour des positions qu’on pourrait qualifier de mystiques.Il fut avec Hoyle l’un des contestataires de l’Archaeopteryx, qu’ils qualifièrent de canular dans Archaeopteryx, the Primordial Bird: A Case of Fossil Forgery (1986). Dans l’affaire McLean v. Arkansas, en 1981 devant statuer sur la constitutionnalité d’un enseignement équilibré évolutionnisme / créationnisme, Wickramasinghe fut le défenseur du créationnisme.
  3. Voici les manchettes, comme autant de travaux pratiques.

BBC

Life on Earth ‘came from space’ say scientists

20 September 2013 Last updated at 11:39 BSTScientists at the University of Sheffield believe they have found evidence that life on Earth originated in space. The research suggests that Earth is constantly bombarded by microbes from outer space, which arrive on comets and meteors.Therefore life on Earth began when the planet became habitable enough for the microbes to survive and evolve.

Dr. Milton Wainwright, who is leading the study, told BBC Radio 5 live’s Up All Night: « We believe that life did not form from chemistry here on earth, it came from space… which has major implications for Darwin’s theory. »

Times of India

Alien life found on balloons after meteor shower

Kounteya Sinha, TNN Sep 20, 2013
LONDON: British scientists announced on Thursday that they have found alien life on Earth.
A team of scientists from the University of Sheffield led by Milton Wainwright from the department of molecular biology and biotechnology found small organisms that could came from space after sending a specially designed balloon 27km into the stratosphere during the recent Perseid meteor shower.
 

The balloon was launched near Chester and carried microscope studs which were only exposed to the atmosphere when the balloon reached heights of between 22 and 27km. The balloon landed safely near Wakefield.

The scientists then discovered that they had captured a diatom fragment and some unusual biological entities from the stratosphere, all of which are too large to have come from Earth.

Wainwright said the results could be revolutionary. « If life does continue to arrive from space then we have to completely change our view of biology and evolution, » he said. The scientists said stringent precautions had been taken against the possibility of contamination during sampling and processing, and said the group was confident that the biological organisms could only have come from the stratosphere.

Wainwright said, « Most people will assume that these biological particles must have just drifted up to the stratosphere from Earth, but it is generally accepted that a particle of the size found cannot be lifted from Earth to heights of, for example, 27km. The only known exception is by a violent volcanic eruption, none of which occurred within three years of the sampling trip. »

« In the absence of a mechanism by which large particles like these can be transported to the stratosphere we can only conclude that the biological entities originated from space. Our conclusion then is that life is continually arriving to Earth from space, life is not restricted to this planet and it almost certainly did not originate here, » he said. The group’s findings have been published in the Journal of Cosmology.

The team is hoping to extend and confirm their results by carrying out the test again in October to coincide with the upcoming Haley’s Comet-associated meteorite shower when there will be large amounts of cosmic dust. It is hoped that more new or unusual organisms will be found.

 

Tribune de Genève

Les extraterrestres ont-ils débarqué en Angleterre?

Par Anne-Elisabeth Celton.  20.09.2013

Des scientifiques affirment avoir découvert à Wakefield en Angleterre des organismes provenant de l’espace. Il s’agirait de la première preuve de vie extraterrestre sur terre.

Cette découverte va-t-elle changer le cours de l’histoire? Des scientifiques de l’Université de Sheffield affirment avoir trouvé à Wakefield (West Yorkshire) des preuves de vie extraterrestre, informe The Telegraph. Au mois d’août, ils ont lancé un ballon spécialement conçu à 27 km au-dessus de la surface de la terre lors d’une pluie d’étoiles filantes dite des Perséides. Objectif: prélever des échantillons via des capteurs déclenchés uniquement entre 22 et 27 km. A son retour, le ballon a atterri à Wakefield. Surprise: l’équipe découvre dessus des organismes microscopiques mais d’une taille bien trop grande selon eux pour faire partie de notre système.

Théorie de l’évolution à revoir

Pour le professeur Milton Wainwright, il s’agit d’une découverte révolutionnaire. «Des particules de cette taille ne peuvent être transportées dans la stratosphère en dehors d’un mécanisme exceptionnel comme par exemple une violente éruption, qui n’a pas eu lieu», explique-t-il. «Ces entités biologiques ne peuvent donc provenir que de l’espace. Notre conclusion est que la vie n’est pas limitée à cette planète. Si des organismes arrivent sur terre depuis là-haut, cela change notre vision de la biologie et de l’évolution.»

L’équipe fera un nouveau test le mois prochain lors d’une pluie de météorites.

CorteX_normalite

Matériel pédagogique sur la normalité

Qu’est-ce qui est « normal » ? Normal par rapport à quelle norme ? Vis-à-vis de quelle pathologie ? De quelle folie ? Normal par rapport à quel « para-normal » ?
Le mot norme est assez complexe à appréhender. Il m’arrive d’interroger les étudiants sur ce qui est « normal », afin de bousculer les normes enfouies ou non avouées, les leurs ou les miennes. Hétérosexualité, vie de couple, travail, labeur, logement, papiers, emploi, santé mentale, etc. du côté de la norme. Homosexualité, transsexualisme, refus du travail, sans logement, sans papier, chômeur, et folie, etc. du côté hors-norme.
Je regrouperai ici avec mes collègues quelques documents pouvant aider l’enseignant à questionner ces normes.

Normalité & folie

Emission passionnante que Histoire de l’Hygiène volet 3, de la Fabrique de l’histoire du 5 octobre 2011. Débat historiographique sur les débuts de la psychiatrie au 19ème siècle, avec Laure Murat (professeure au département d’études françaises et francophones de l’Université de Californie-Los Angeles) et Aude Fauvel (docteure en histoire, Institut Max Planck d’Histoire des Sciences de Berlin).

Ce document est intéressant à plus d’un titre. Il écorne un brin Michel Foucault sur sa méthodologie, ses « manipulations d’archives », sur le caractère français de son histoire de la folie, différente par exemple de la belge ou de l’anglaise. et  ce qui est rare (voir une critique de M. Foucault ici). On y aborde la question des techniques employées envers les « fous », la ruse, la violence, les bains froids, les sangsues, ainsi que l’organicisme naissant, c’est-à-dire la recherche d’un organe ou d’une zone propre au génie et à son pendant soi-disant négatif, la folie.

Je (RM) sais à quel point les modes, notamment technologiques, jouent un rôle dans la composition des « délires » courants d’une époque (pensons aux actuelles abductions, ou enlèvements par des soucoupes volantes). Je ne savais pourtant pas du tout que se prendre pour Napoléon avait pu être aussi répandu dès le retour des cendres en France (1840), et j’ai appris que le magnétisme animal, curatif, avait eu un rôle géopolitique, les Anglais ayant semble-t-il cru que les Français leur nuisaient à distance. L’émission est émaillée d’archives écrites de la clinique du Docteur Blanche.

Chose remarquable, Laure Murat, contrairement à d’autres tout aussi cléments qu’elle avec la psychanalyse, n’en fait pas des tonnes. Certes,CorteX_Laure_Murat_Napoleon un ou deux termes typiques (comme délire) lui échappent parfois. Alors gageons que son livre appartiendra, comme ses interventions, plus volontiers à l’histoire qu’à la verbiate psychanalytique.

Laure Murat, L’homme qui se prenait pour Napoléon : pour une histoire politique de la folie, Gallimard, 2011. Nous le lirons bientôt.

Normalité & habitat

Le Diogène des Baronnies – documentaire de Mehdi Ahoudig et Vincent Abouchar – Sur les Docks, France Culture, 26 avril 2011.

Écoutez ici :

Téléchargez là.

Description :

« Le village de Buis-les-Baronnies est situé en Drôme provençale. Christian Guienne y vivait depuis plus de cinquante ans. Il n’était pas rare de croiser cet homme, à la nuit tombée, tirant un chariot dans lequel il ramassait toutes sortes d’objets et d’ordures qu’il récupérait dans les poubelles. Atteint du Syndrome de Diogène, qui se traduit par la manie d’entasser jusqu’à réduire son espace de vie à presque rien, il possédait une maison dans le village et des terres sur lesquelles il entreposait ses trouvailles.
Dans le village, il était accepté par le reste de la population et  était même considéré comme une figure de Buis-les-Baronnies, jusqu’à ce que cette manie rende ses conditions de vie critiques, et que sa tutelle et la municipalité le placent d’office à l’hôpital psychiatrique de Montélimar, fin octobre 2009.
Le 30 décembre de cette même année, il décède là-bas d’un arrêt cardiaque. Le village est choqué par cette nouvelle. Certains dénoncent le refus de la mairie d’accepter la différence, d’autres considèrent que Christian Guienne vivait dans l’insalubrité. Les habitants sont divisés, la polémique grandit.
Quelles relations cet homme entretenait-il avec le reste de la population ? A quel moment sa marginalité est-elle devenue intolérable, pathologique ? Comment les villageois, les proches, les institutions, la médecine abordent-ils la question des frontières entre la norme, la marge, la pathologie ? »

 
Rasoir

Rasoir d'Occam et principe de parcimonie

Outil indispensable en science (en tant que démarche), le principe de parcimonie des hypothèses (appelé encore rasoir d’Occam) est parfois source de malentendus ou de mauvaises interprétations. En quoi consiste-t-il ? Comment le présenter à un groupe d’étudiants ou à tout autre auditoire ? Voici quelques pistes que nous utilisons au CorteX lors de nos formations et autres cours.


Un rasoir tranchant

 
Si on vous dit « Je vais te trancher la gorge avec le Rasoir d’Occam », n’ayez crainte, ce rasoir ne coupe que les fils de raisonnement biaisés. C’est en fait un principe de raisonnement dit « de parcimonie », ou « d’économie », antérieur au Franciscain Guillaume d’Occam mais énoncé par lui au 14ème siècle.

Ça dit en substance : Pluralitas non est ponenda sine necessitate En moins nébuleux : Entia non sunt multiplicanda praeter necessitatem En moderne : Les entités ne doivent pas être multipliées par delà ce qui est nécessaire Et en compréhensible : Pourquoi faire compliqué quand on peut faire simple ?***

En gros, ce que dit ce rasoir, c’est que lorsqu’il y a plusieurs hypothèses en compétition, il vaut mieux prendre les moins « coûteuses » cognitivement.

Je vous donne le meilleur exemple que je connaisse, et que l’on doit à Stanislas Antczak (…) :

Je mets un chat et une souris dans une boîte, je ferme, je secoue, et j’ouvre : il ne reste plus que le chat. Hypothèse 1 : des extraterrestres de la planète Mû ont voulu désintégrer la souris, mais elle s’est transformée en chat. Le chat, de frayeur, est passé dans une autre dimension par effet Tunnel. Hypothèse 2 : le chat a mangé la souris (sans dire bon appétit, ce qui est mal).

Vous m’accorderez que l’hypothèse 2 est beaucoup moins coûteuse intellectuellement que la N°1. Elle ne postule rien d’autre que la prédation de la souris par le chat, qui est au moins aussi connue que Johnny Hallyday, tandis que la première postule une planète Mû, des extraterrestres qui viennent, qui savent désintégrer un chat ce qui n’est pas donné à tout le monde, une souris qui se transforme en chat, une autre dimension, un chat qui sait y aller et un effet tunnel pour objet macroscopique. Ca fait beaucoup. Dans le doute, on choisira la 2.

Deux autres exemples ? Guillemette Reviron a repéré cette pub pour la chaîne Canal + :

[dailymotion id=xkljxb]

Ismaël Benslimane a déniché cet épisode (3 min) de la série Kaamelott (Saison 4 Episode 6 – Les pisteurs) :

Nous avons dû supprimer la vidéo après avoir reçu le courriel suivant : 

Bonjour,
Nous agissons pour le compte de notre client, Regular Production, concernant le retrait de vidéos incluant tout où parties (intégrales, épisodes, extraits…) de la série TV « Kaamelott » d’Alexandre Astier (Regular Production).
Merci de retirer les vidéos suivantes…

Notre camarade Franck Villard nous a fait parvenir cet extrait percutant issu du film Jeanne d’Arc de Luc Besson (1999) :

Un principe utile en science

Un exemple prenant sa place dans la pratique scientifique : lorsqu’un biologiste systématicien recense les espèces, il ne va pas créer une nouvelle case à chaque oiseau rencontré. Il ne va en créer une qu’après avoir bien vérifié que le cui-cui en question ne s’incorpore dans aucune des catégories connues, merle, pinson, mésange, ou Boeing 707.

Ce principe d’économie des hypothèses est bien plus vieux que ça et date d’au moins Aristote, mais il est couramment attribué à un moine franciscain anglais du XIVe excommunié par le pape de l’époque. Ce prénommé William, que nous autres francophiles chauvins nous sommes empressés de renommer Guillaume parce que enfin voyons quand même, venait d’Ockham, dans le Surrey, en Angleterre, et aurait déclaré un lendemain de cuite le entita non sunt multiplicanda praeter necessitatem. Comme ce principe, appelé aussi principe de parcimonie, taillait de près les entités comme autant de poils rétifs d’une barbe ou d’un mollet, on l’a appelé le Rasoir d’Ockham.

Ce principe ne nous dit rien sur la validité des hypothèses : il dit qu’entre deux hypothèses aussi explicatives l’une que l’autre, on ne sait pas laquelle est juste, mais il vaut mieux choisir la moins coûteuse. Il est extrêmement utile en médecine : face à un patient se présentant fatigué, avec le cou rigide, un mal de tête et un peu de fièvre, il sera plus logique de miser sur une méningite que simultanément sur une mononucléose, des vertèbres endommagées, une tumeur au cerveau et une malaria.

Rasoir

Un outil de discernement en esprit critique

Ce coupe-chou peut s’avérer aussi utile pour l’analyse des théories dites du complot. Il n’est pas impossible que le 11 septembre soit le fruit d’une orchestration planifiée par les services secrets, moyennant une grande discrétion des complices, tout un tas de précautions et l’effacement de toutes les preuves, ceci afin de déclarer le combat contre l’Axe du Mal et déclencher la deuxième guerre du golfe. C’est un scénario séduisant, surtout quand on est anti-Bush. Mais un peu de culture historique rend assez coûteuse cette hypothèse.

Pour ne prendre qu’un exemple, il a suffit pour la première guerre du Golfe en 1990 de payer dix millions de dollars l’une des plus grosses firmes de relations publiques, Hill & Knowlton, pour qu’elle orchestre le changement d’opinion souhaité par G. Bush père, en inventant l’histoire des bébés koweitiens retirés des couveuses par les soldats irakiens et en mettant en scène la fausse témoin Nahira, quinze ans, en larmes devant une commission sénatoriale. La jeune femme, qui s’avéra ensuite être la fille de l’ambassadeur du Koweït, n’avait comble du cynisme jamais mis les pieds au Koweït. Dix millions de dollars d’un côté, quatre mille morts dix ans plus tard. Il est permis de penser que l’hypothèse d’un réel attentat est plus économique intellectuellement, et qu’une campagne de presse type Nahira plus économique en vies états-uniennes et en argent.

J’aime beaucoup la métaphore des mots croisés de l’épistémologue Susan Haack. Elle suggère que la science fonctionne à la manière d’un mot croisé, avec la connaissance disponible pour arrière-plan et les observations expérimentales pour indices. Surtout elle précise que « la validité d’une entrée dépend non seulement de la force des indices, mais aussi de toutes les autres entrées déjà écrites qui font intersection avec elle » . En clair, si tu débarques un matin avec une hypothèse qui bouscule toute la grille de mots croisés que les savants se cassent le coccyx à remplir depuis des siècles, elle a intérêt à être solidement étayée par des preuves (et on retombe sur la facette « Une prétention extra-ordinaire nécessite une preuve plus qu’ordinaire »). Si tel n’est pas le cas, le rasoir d’Occam, qui ne s’émousse jamais et qui a une triple lame, t’encourage à te retenir d’écrire ton mot dans la grille, bref, à être sceptique. Alors, comme le temps son vol, petit scarabée, l’espace d’un instant suspends ton jugement.

Un peu de pédagogie

Imaginez-vous dans deux heures : vous venez de lire cet article, avant ça, vous n’aviez jamais entendu parler d’Occam, de rasoir ou de parcimonie. Bref, vous devez en parler à un collègue du boulot, à votre mari, à votre fille, à un ami, etc. Comment faire ? On a souvent tendance à vouloir aller à l’essentiel. L’exemple du chat et de la souris est parfait pour cela. Cependant, selon le vocabulaire utilisé, on peut vite tomber dans une erreur courante et confondre hypothèse la moins coûteuse cognitivement (la plus parcimonieuse) et « hypothèse la plus simple ». Pourtant, parcimonieux n’est pas forcément synonyme de simple, et croire cela peut nous entraîner dans des erreurs de raisonnements que nos interlocuteurs ne se priveront pas de repérer. Je vais tenter de l’illustrer avec deux exemples. Tout d’abord, avec le chat et la souris, cette différence ne saute pas aux yeux tant il est vrai qu’affirmer « le chat a mangé la souris » est bien plus simple comme explication que d’imaginer l’intervention d’extraterrestres. Le piège est pourtant grand de considérer cette hypothèse soi-disant simple comme parcimonieuse. En effet, rien n’est simple dans la prédation du chat (détection d’un stimulus visuel, déclenchement de la réponse musculaire par transmission nerveuse, etc.) ou dans sa digestion (action des enzymes, réactions chimiques complexes). Alors que, tout le monde en conviendra, pour des extraterrestres, téléporter un chat c’est très très simple… Pourquoi choisir alors « Le chat a mangé la souris » et pas l’histoire d’aliens ? Car, comme expliquer ci-dessus, la première nécessite beaucoup moins d’explications additionnelles, ad hoc comme on dit aussi, d’entités surnuméraires (en surnombre). Mais rien n’est simple dans la prédation du chat, ne l’oublions pas. Voici un deuxième exemple, tiré de l’excellent ouvrage dirigé par Guillaume Lecointre, Guide critique de l’évolution, dans lequel il précise que le rasoir d’Occam ne postule en rien la parcimonie en soi des théories mais oblige à une parcimonie méthodologique pour choisir la meilleure théorie à retenir : « Le commissaire de police est sur les écrans, le plus médiatisé des utilisateurs du principe de parcimonie. S’il reconstitue le meurtre avec économie d’hypothèses, ce n’est pas pour autant que le meurtrier a ouvert le moins de portes possibles, tiré le moins de balles possibles et économisé son essence pour se rendre sur les lieux du crime » (p.25) Retenons que le principe de parcimonie nous donne une façon de procéder, une méthode, méthode permettant de trier parmi des hypothèses. Cette analyse nous conduit à privilégier les théories les plus économes en explications ad hoc ou, autrement dit, les théories les plus parcimonieuses en hypothèses, celles s’intégrant donc le mieux dans la fameuse grille de mots croisés de Susan Haack. En plus clair, le rasoir d’Occam n’est pas une ode à la simplicité, tout au plus un éloge au non-gaspillage.

Pour aller plus loin :

  • Thèse de R. Monvoisin (2007)
CorteX_foret

Biologie, essentialisme – Nature, écologisme, sexisme, racisme, spécisme

Qu’est-ce que la nature ? Y a-t-il seulement lieu de se poser une telle question ? Si le terme nature désigne uniquement la mer déchaînée, les montagnes enneigées, les gazelles fuyant devant les lions, les petits ruisseaux serpentant sur les collines, les abeilles qui butinent etc., on ne perçoit pas forcément l’intérêt d’y réfléchir ; mais la question prend toute son d’importance lorsqu’il s’agit d’expliquer les références incessantes à la nature dans les médias, les débats politiques ou encore la publicité. On préfère manger naturel, on s’oriente parfois vers des médecines dites naturelles, on justifie ses comportements en invoquant sa propre nature, on condamne des pratiques sexuelles sous le prétexte qu’elles seraient contre-nature… Au sein du Cortecs, nous avons rencontré ce concept si souvent qu’il ne nous semble plus du tout anodin ; le besoin se faisait nettement sentir d’analyser les sens qu’on lui prête et les représentations qu’il véhicule. L’objet de cet article est de présenter notre manière d’aborder, avec un large public, cette notion bien plus complexe qu’elle n’y paraît et les questions qu’elle soulève.

Précautions : comme ce sujet est particulièrement propice aux réactions affectives, tout comme mes collègues du Cortecs, je commence toujours mes interventions en prenant deux précautions : présenter la différence entre acte de foi et remport d’adhésion et discuter des différents sens du mot science, ceci afin de bien délimiter mon cadre de travail et de prévenir de nombreux malentendus. Les différentes étapes de l’exposé 1. Je tente de faire sentir au public la difficulté de définir simplement les mots nature ou naturel 2. Je donne une définition scientifique de naturel, chimique, synthétique et artificiel 3. J’analyse trois représentations de la nature véhiculée par les médias en les confrontant aux connaissances scientifiques actuelles 4. Je fais un bilan du rôle que joue la nature dans certaines trames argumentatives

Une définition scientifique du mot nature

Cette partie reprend en grande partie le travail « Naturel, chimique » de Denis Caroti : si vous souhaitez approfondir le sujet, c’est ici. 

Une définition difficile à saisir

L’idée est de faire sentir au public que nos représentations de la nature sont souvent incohérentes. Pour cela, je passe en revue très rapidement différents sens qu’on prête volontiers à naturel, en donnant dans la foulée un contre-exemple qui démontre que la définition proposée ne tient pas : c’est la méthode de la réfutation par le contre-exemple. Cela donne :

CorteX_Vache

– naturel = qui n’est pas produit par l’Humain → mais alors le saucisson n’est pas naturel – naturel = qui n’est pas produit de manière industrielle → mais alors, le jus de fruits « bio » ne serait pas systématiquement naturel – naturel = qui n’est pas chimique → mais alors la photosynthèse ne serait pas naturelle – naturel = qui ne pollue pas → mais la digestion d’une vache produit du méthane – naturel = qui ne modifie pas son milieu → mais les éruptions volcaniques modifient leur environnement – naturel = ce qui existait avant l’Humain → mais alors, un jardin potager ne serait pas naturel – etc.    

CorteX_savon

L’image qui me vient à l’esprit quand j’essaie d’attraper la définition de nature, c’est une savonnette (100 % naturelle, cela va de soi) : à chaque fois qu’on a l’impression de la tenir, elle nous glisse entre les doigts.    

Proposition de définition scientifique

Les programmes de physique-chimie de 3ème (BO spécial n°6 du 28 août 2008, enseignements de physique-chimie, classe de 3ème, partie A2 – Synthèse d’espèces chimiques) précisent que les enseignants doivent présenter à leurs élèves des substances synthétiques, artificielles et naturelles, ainsi que les techniques permettant leur élaboration. Mais nous venons de voir qu’il n’est pas si simple de distinguer ce qui est naturel de ce qui ne l’est pas. Alors Denis Caroti s’est penché sur la question ici et propose d’introduire ces notions de la manière suivante :

CorteX_tableau_mendeleiev
  • chimique : une substance est chimique si elle est composée d’éléments recensés dans le tableau de Mendeleïev ou de molécules constituées de ces mêmes éléments. Avec cette définition, toute substance est chimique, sans aucune connotation négative. Le plomb, l’uranium mais aussi l’eau et la vitamine C dans un jus d’oranges pressées sont chimiques.
  • naturel : certaines substances chimiques existent sans intervention humaine, on dira qu’elles sont naturelles. Ces substances seront alors chimiques ET naturelles. C’est le cas de l’eau mais aussi de l’uranium.
  • artificiel : d’autres substances chimiques ont été inventées (on pourra dire aussi créées) par l’Humain, on dira qu’elles sont artificielles, comme le nylon ou le paracétamol.
  • synthétique : si, par définition, toute substance artificielle a été créée par l’Humain, elle a donc subi un ensemble de transformations, de réactions chimiques (hé oui, là le terme est correct !) pour être fabriquée, synthétisée. C’est aussi le cas de certaines substances dites naturelles. Par exemple, la vitamine C est présente dans une orange sauvage mais peut aussi avoir été fabriquée, synthétisée – et donc copiée dans ce cas – en laboratoire. Nous dirons qu’une molécule est synthétique si cette molécule a été produite par l’Humain, qu’elle soit naturelle ou artificielle. Précisons immédiatement qu’une molécule naturelle et sa copie synthétique sont strictement identiques et qu’à de rares exceptions près il n’est pas possible de les distinguer. Une molécule de vitamine C sortant d’une orange est identique à celle produite en laboratoire.

Pour clore cette partie, il me semble vraiment nécessaire d’insister sur deux points.

– La nature ne semble se définir que par rapport à l’Humain, mais c’est un choix totalement arbitraire et anthropocentré.

– Ces définitions sont totalement vidées des connotations positives ou négatives qui accompagnent ces mots dans le langage commun.

Le concept de nature au quotidien

Quels sens donne-t-on usuellement au mot nature ? Dans quels contextes ? Pour quelles trames argumentatives ?

J’ai recensé trois représentations principales du concept de nature et je les présente de la plus simple à la plus complexe.

Sens commun n°1 – La nature, c’est ce qui est bon

Serait naturel ce qui est bon pour la santé, serait chimique ce qui est toxique ou polluant. Comme nous l’avons déjà entrevu précédemment, cette définition n’est pas très robuste. En effet, tout ce qui est qualifié de naturel n’est pas nécessairement bon : le laurier rose est « naturel », il est également extrêmement toxique. Par ailleurs, la vitamine C est « chimique » mais indispensable pour être en bonne santé (même si Richard Monvoisin rappelle ici même qu’il y a parfois exagération de ses bienfaits ou des doses à consommer).

Cette représentation pseudo-scientifique est fréquemment utilisée par la publicité, qui exploite ainsi la volonté de tout un chacun de choisir le « meilleur » pour soi ou pour son entourage : gels douche, soupes, jus de fruits, produits laitiers, sodas, etc, la publicité a recours au naturel pour valoriser ses produits.

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C’est également le cas des médecines dites « naturelles », qui se drapent par là-même d’une connotation a priori positive. Pourtant, sans discuter de l’efficacité de telle ou telle pratique thérapeutique en particulier – c’est un sujet vraiment trop vaste pour en parler si succinctement –, assurer qu’une médecine est naturelle n’informe en tant que tel ni sur les qualités de ses effets thérapeutiques, ni sur ses effets secondaires.

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Une autre représentation fortement basée sur le concept d’une nature bonne et bienveillante est l’idée répandue que la nature est bien faite.
À ce moment de l’exposé, je propose en guise d’introduction humoristique à la question, cet extrait du sketch La nature est bien faite de Florence Foresti :

Cette représentation soulève deux questions :

1 — Avant même de se demander si la nature est bien ou mal faite, il faudrait commencer par se demander si elle est faite et par qui. Toute réponse ne peut qu’appartenir au domaine des finalismes, qui sont hors-science, et relèvent donc de la sphère privée.

2 — Se pose ensuite la question du sens de l’expression « bien faite ». Vous aurez peut-être reconnu ici un effet Pangloss, effet qui désigne un raisonnement à rebours. Pour préciser un peu les choses, imaginons que je tire une flèche en fermant les yeux dans une forêt. Une fois la flèche plantée, j’ouvre les yeux, je retrouve la flèche, je trace une cible autour et je m’exclame « c’est incroyable, elle est arrivée au centre ! » : ce n’est pas parce qu’aujourd’hui le monde fonctionne comme il fonctionne que c’était pré-écrit, téléologique. Pour prendre un exemple parmi d’autres, la cicatrisation n’est pas un but d’une Création Divine ou d’un dessein intelligent : les individus qui cicatrisaient ont eu un avantage sur les autres, avantage leur permettant de survivre et de se reproduire préférentiellement. Dire que la nature est bien faite, c’est reprendre et propager, souvent malgré soi et dans une phrase apparemment sans grande profondeur, une trame rhétorique finaliste de l’Intelligent Design qui explique le monde en mobilisant une intelligence créatrice extérieure à ce même monde.

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Cette idéologie repose sur une métaphore, appelée métaphore de l’horloger énoncée par William Paley en 1802 : quand on observe une montre, le fait que chaque pièce soit parfaitement ajustée pour jouer son rôle et que ses rouages soient si parfaitement agencés est dû à l’intention de l’horloger qui a conçu chaque pièce en fonction du rôle qu’elle allait jouer. Par analogie, les adeptes de l’Intelligent Design en concluent que la nature est si bien faite qu’elle est nécessairement mue par un but sous-jacent. Ce courant milite pour que ses idées soient enseignées dans les écoles au même titre ou parfois même à la place de la théorie de l’évolution. Si aujourd’hui celui-ci n’est autorisé dans les écoles publiques ni aux Etats-Unis, ni en Europe, les enseignants restent tout de même confrontés à des élèves qui refusent la théorie de l’évolution en avançant des arguments finalistes.

Si vous souhaitez approfondir ce sujet, vous pouvez par exemple consulter les travaux de Joël Peerboom – Comment enseigner la théorie de l’évolution à des élèves croyant qu’elle n’existe pas – et/ou l’interview de Guillaume Lecointre (vidéo n°4).

Sens commun n°2 – Tout est nature mis à part les Humains

La nature serait un monde sans Humains, en parfaite harmonie et sans violence, où cohabiteraient brebis et loups dans un fragile et précieux équilibre ; la nature serait alors un paradis perdu ou une sorte de Terre mère – Gaïa ou Pachamama (on pourra approfondir ce sujet avec l’article de ?. Lambert dans le Monde Diplomatique de Février 2011 : Le spectre du pachamamisme)

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Dans cette représentation, la Nature revêt son N majuscule, elle est sacralisée.

À l’image de la Nature dans le film Avatar, elle doit affronter l’Humain qui la parasite et brise cette harmonie en outrepassant ses droits ; la Nature en colère se défend à coup d’ouragans et de tsunamis tout comme Zeus brandissait jadis son foudre.

On retrouve cette représentation, à des degrés de sacralisation plus ou moins importants, dans certains milieux politiques écologistes qui, pour amener leur public à s’interroger sur les conséquences de l’activité humaine sur l’environnement, s’appuient sur l’idée d’une Nature pure et fragile opposée à l’Humain destructeur. C’est le cas par exemple dans les films Le syndrome du Titanic de Nicolas Hulot ou Home de Yan Arthus-Bertrand, où les séquences montrant une Nature harmonieuse et sublime sont systématiquement opposées à des séquences d’images d’activité humaine polluante, en témoigne la bande-annonce du film Home :

Sens commun n°3 – Tout est nature mis à part la culture

Le sens commun n°2, en excluant totalement l’espèce humaine de la nature, devient rapidement peu satisfaisant, car l’Humain reste un mammifère qui, en tant que tel, a des comportements animaux ou innés que l’on peut légitimement intégrer dans le naturel. Le sens n°3 propose donc de lui rendre une place dans la nature tout en excluant ses comportements dits culturels, qui constitueraient le « propre » de l’Humanité. Pourtant, la frontière entre nature et culture n’est pas aussi nette que le laisse entendre cette proposition de définition. La question de la part de l’inné et de l’acquis dans le comportement humain est complexe et l’on rencontre plusieurs idées reçues sur ce sujet, y compris dans la sphère politique. Citons par exemple le débat initié en avril 2007 par certains propos de Nicolas Sarkozy, alors candidat aux élections présidentielles :

« J’inclinerais, pour ma part, à penser qu’on naît pédophile, et c’est d’ailleurs un problème que nous ne sachions soigner cette pathologie. Il y a 1 200 ou 1 300 jeunes qui se suicident en France chaque année, ce n’est pas parce que leurs parents s’en sont mal occupés ! Mais parce que, génétiquement, ils avaient une fragilité, une douleur préalable. Prenez les fumeurs : certains développent un cancer, d’autres non. Les premiers ont une faiblesse physiologique héréditaire. Les circonstances ne font pas tout, la part de l’inné est immense. »

Nicolas Sarkozy dans Confidences entre ennemis, Psychologie Magazine, n°8, Avril 2007

Certains neurologues, comme Axel Kahn, avaient alors réagi publiquement en faisant le point sur les connaissances scientifiques actuelles dans ce domaine. Vous pouvez l’écouter dans cet extrait du Magazine de la santé au quotidien du 10 avril 2007 (France 5) :

Certes le patrimoine génétique d’un individu le prédispose à certains comportements, mais le cerveau ne cesse « d’apprendre » et de réagir à son environnement ; Axel Kahn dira sur La Télé Libre.fr : « à la question : sommes-nous inné ou acquis ? il faut répondre : nous sommes 100% inné et 100% acquis ». On pourrait aussi répondre « Mu ».

Pour ceux qui souhaiteraient pousser les questionnements un peu plus loin sur l’existence d’une frontière nature-culture, il y a une piste intéressante, à creuser, dans les travaux de Richard Dawkins sur la mémétique : sa tentative d’intégrer certains processus culturels dans une lecture évolutionniste atténue encore la distinction puisque, selon sa théorie, certains « éléments de culture » subiraient variations et sélection « naturelle » dans un processus similaire à celui de l’évolution.

On pourra lire Richard Dawkins, Le gène égoïste, 1976 ou regarder les vidéos de Cyrille Barrette.

 Bref, il n’est pas si simple de distinguer, dans nos comportements, la part de l’acquis de celle de l’inné. Et ce n’est pas la seule raison de remettre en question la pertinence du sens 3. En effet, en excluant la culture humaine de la nature, il me semble difficile de se soustraire à la question de la culture animale. Je m’explique : si une certaine culture animale existe, pourquoi la considérer comme naturelle tandis que la culture humaine ne l’est pas ? Cela renforcerait le caractère arbitraire et anthropocentré d’une telle dénomination. Or les progrès récents en éthologie, en révélant que de nombreuses espèces ont développé des comportements semblables à des comportements humains dits culturels, vont dans ce sens. Citons quelques exemples , tous tirés de l’émission Sur les épaules de Darwin du 11 Septembre 2010 (France Culture) que vous pouvez écouter ici :

  • Jane Goodall découvre en octobre 1960 que des chimpanzés de la région du lac de Tanganyika, en Tanzanie, fabriquent des outils pour attraper des termites. Ceci remet en question les définitions de l’Humain et de la culture adoptées jusque-là.
  • Alban Lemasson et Martine Hausberger découvrent en 2004 que certains singes ont élaboré une syntaxe : en combinant six sons de manières différentes, ils sont capables de donner des précisions sur l’origine d’un danger.  
  • Sur l’île de Koshima, l’éthologue Syunzo Kawamura observe pour la première fois en 1953 une femelle d’un an et demi laver une patate douce dans l’eau : elle la tient dans une main et la frotte avec l’autre. En 1965, Masao Kawai publie son analyse de la transmission de ce nouveau savoir-faire aux autres membres du groupe : les adultes et surtout les mâles, qui sont moins en contact avec les femelles, s’approprient peu cette pratique tandis que la plupart des jeunes de moins de 4 ans l’apprennent au contact de leur mère. Ce comportement est ensuite complètement adopté par les nouvelles générations, tandis qu’il est inexistant dans des groupes de singes identiques vivant sur des îles voisines : la transmission et l’apprentissage d’un savoir-faire non inné fait partie du monde animal.
  • Si la culture désigne un changement de comportement suite à une expérience personnelle, que dire du comportement de ce geai décrit par Nathan J. Emery, Joana M. Dally et Nicola S. Clayton en 2004 qui cache sa nourriture et revient la chercher quand il en a besoin. Il arrive qu’un de ses congénères le remarque en train de dissimuler ses réserves et pille la cachette dès qu’il a le dos tourné. Un geai dont la cachette a déjà été pillée ne modifie pas son comportement, mais un geai qui a déjà eu l’occasion d’aller voler la nourriture d’un autre, lorsqu’il se sait observé, finit de dissimuler ses denrées mais revient plus tard pour les cacher ailleurs, un peu comme s’il projetait que son congénère pouvait avoir le même comportement que lui.

Pour aller plus loin, voici les références des articles :
LEMASSON, Alban et Martine HAUSBERGER, « Patterns of Vocal Sharing and Social Dynamics in a Captive Group of Campbell’s Monkeys (Cercopithecus campbelli campbelli) », Journal of Comparative Psychology, n°3, vol. 118, Septembre 2004, pp. 347-359
KAWAI Masao, « New-acquired Pre-cultural Behavior of the Natural Troop of Japanese Monkeys on Koshima Islet », Primates, n°1, vol. 6, Août 1965, pp. 1-30
EMERY Nathan J., Joanna M. DALLY et Nicola S. CLAYTON, « Western scrub-jays (Aphelocoma californica) use cognitive strategies to protect their caches from thieving conspecifics », Animal Cognition, n°1, vol. 7, Janvier 2004

Ces découvertes récentes rendent encore plus difficile la distinction nature-culture, distinction qui tend d’ailleurs à disparaître dans le milieu scientifique. Elle reste pourtant courante au quotidien, par exemple dans des expressions du type « il n’est pas dans ma nature de grimper aux arbres » ou « je n’aime pas jouer avec les enfants, ce n’est pas dans ma nature ». Pourtant, invoquer la nature dans ce contexte s’avère particulièrement aliénant : si tel ou tel comportement fait partie de ma nature, de mon essence, rien ni personne n’y pourra rien changer, je ne grimperai jamais aux arbres et n’aimerai jamais jouer avec des enfants ; et si je ne suis pas « entrepreneur-né », je n’entreprendrai jamais rien. C’est renoncer a priori à toute forme d’éducation et à toute volonté de changement.

Pour prendre un exemple dans la vie politique, l’extrait qui suit du film Juppé forcément de Pierre Carles, Alain Juppé invoque ses racines, pour justifier sa candidature aux élections municipales de 1995. Ce qui m’a frappée dans ce discours, c’est le rôle « dépolitisateur » qu’y joue la nature.

On pourra s’amuser à repérer dans cet extrait le champ lexical de la nature. Juppé forcément, Pierres Carles, 1995

Mais là où le recours à la nature sert particulièrement à légitimer un ordre éabli, c’est bien dans les préjugés racistes ou sexistes ; on appelle cela l’essentialisme. Plus précisément, ces préjugés s’appuient souvent sur une différence physiologique « naturelle » (sexes différents, couleur de peau, …) pour décréter que cette différence physiologique ou physique induit une « nature » différente, c’est-à-dire un ensemble de caractéristiques intellectuelles, affectives ou comportementales qui sont immuables et universelles. Comme nous allons le voir, l’essentialisme se fait une place, à des degrés divers, dans les blagues et la publicité mais aussi dans les catalogues de jouets ou la littérature enfantine et même dans le discours d’hommes politiques ou de journalistes.

Les discours essentialistes sur les Noirs – qui seraient fainéants et un peu à côté de la plaque, courraient vite, aimeraient le sexe, sentiraient fort, etc. – n’ont pas disparu. Il suffit, pour s’en convaincre, d’aller jeter un oeil à la page Racisme ordinaire qui fourmille d’exemples. J’en donnerai deux ici :

1 — la médiatisation des performances du sprinter Christophe Lemaître, présenté depuis deux ans comme  » le premier blanc à être passé sous les 10″ au 100m « , avec notamment le titre très essentialiste du 20minutes.fr du 13 août 2009 : Mondiaux de Berlin: les blancs savent-ils courir ?

2 — l’extrait d’un discours de Nicolas Sarkozy, tout juste élu Président de la République, à l’Université de Cheik-Anta-Diop de Dakar (Sénégal), le 26 juillet 2007 (le son et l’image sont un peu décalés).

Ceci dit, sans aucunement minimiser l’étendue du racisme ordinaire actuel, on peut tout de même noter que certains propos essentialistes envers les Noirs et les Arabes soulèvent l’indignation d’une partie de la population et des médias et qu’ils sont parfois condamnés par les tribunaux – je pense par exemple à certains propos d’Eric Zemmour ou de Jean-Paul Guerlain :

« J’ai travaillé comme un nègre, je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, m’enfin…», 15/10/10, JT de 13h (France 2)

« La plupart de trafiquants sont Noirs et Arabes », 06/03/2010, Salut les terriens (Canal+) (voir une analyse détaillée ici)

Cela ne signe pas la fin des inégalités sociales entre les Blancs et les Noirs, mais cela permet tout de même de réaliser qu’un pas a été fait…

Pourquoi cette remarque ? Parce qu’il existe une catégorie de personnes dont l’essentialisation ne provoque pas encore le même émoi : il s’agit des Femmes. Pour s’en convaincre, il suffit de se demander si quelqu’un a déjà provoqué une polémique pour avoir dit publiquement :  » les Femmes aiment s’occuper des enfants « ,  » les Femmes sont tête en l’air « , ou  » les Femmes ne s’intéressent pas à l’informatique « .

Pour une analyse détaillée de l’idée reçue :  » les Femmes ne s’intéressent pas à l’informatique « , on pourra écouter la conférence Opératrices de saisie ou hackeuses d’Isabelle Collet, contributrice du CorteX.​

Pour mesurer toute la portée de ces phrases faussement anodines, je suggère à mon public de les reprendre en y remplaçant Femme par Noir : en changeant le contexte, on se rend parfois mieux compte de l’aberration de certaines affirmations, qui ne font rien de moins que de cantonner les Femmes au foyer ou de les écarter a priori de certaines professions, sans invoquer d’autre raison que leur nature de Femme.

Pourtant, s’il est vrai que les Femmes s’occupent plus des enfants et qu’elles continuent à prendre largement en charge les travaux domestiques, il n’existe nulle preuve de l’existence de cette fameuse nature des Femmes qui les rendrait plus aptes à passer la serpillère.

CorteX_martine_menage_genetique
Parodie des albums pour enfants de la collection Martine

Si certaines recherches sont menées dans le but de mettre en évidence des différences entre les cerveaux des Femmes et des Hommes pour expliquer les différences de comportement et d’aptitude, Catherine Vidal et Dorothée Benoît-Browaeys précisent bien dans leur ouvrage Cerveau Sexe et Pouvoir qu’aucune étude ne révèle de différence signifiactive. Entendons-nous bien : quand bien même les différences physiologiques seraient telles qu’une partie de la population (Noirs, Arabes, Femmes…) serait en moyenne plus faible/moins résistante/moins intelligente/moins efficace/etc. qu’une autre (Blancs, Hommes…) – si tant est que plus « faible », « efficace », intelligente » ait un sens précis -, on pourrait toujours se demander en quoi cela devrait légitimer une différence de droits. Mais ce qui est intéressant ici, c’est que cette infériorité a priori n’est pas prouvée et reste purement spéculative, alors que d’autres pistes présentent des pouvoirs explicatifs bien plus importants. Plutôt que d’invoquer une morphologie typique du Blanc ou du Noir, le peu de performances des Blancs sur le 100m s’explique par le fait que c’est un sport peu rémunérateur et peu attractif qui reste pratiqué par les classes sociales les plus pauvres où les Noirs sont surreprésentés. C’est également le cas pour la boxe anglaise, mais le phénomène s’inverse pour le ski, où l’on ne rencontre que très peu de Noirs.En ce qui concerne les différences de comportement entre les Hommes et les Femmes, il suffit de s’arrêter dans un magasin de jouets ou de feuilleter un de leurs catalogues et de comparer ce qui y est proposé pour les petites filles puis pour les petits garçons. En attendant, voici quelques exemples sur lesquels on pourra observer le code couleur, les activités des filles et celles des garçons, mais aussi leurs attitudes.

CorteX_Fille_Barbapapa

CorteX_Garcon_astronaute

CorteX_Fille_maison

CorteX_Garcon_bricolage

CorteX_Fille_ours_calin

CorteX_Garcon_agressif

CorteX_Garcon_fille_marchand

CorteX_Garcon_fille_voiture

 

Cette catégorisation Fille-Garçon et des rôles qui leur incombent est également très prégnante dans les livres pour enfants. L’association européenne Du côté des filles qui a analysé 537 albums pour enfants fait le constat suivant : les filles sont le plus souvent représentées à l’intérieur de la maison plutôt qu’à l’extérieur, dans un lieu privé plutôt que public et dans des attitudes plutôt passives qu’actives.

Caractéristiques de la
représentation des Hommes
Caractéristiques de la représentation des Femmes
extérieur intérieur
espace public espace privé
actif passive
travail rémunérateur travail gratuit et dans le cadre familial
multitude de rois, ministres, médecins,scientifiques, historiens,écrivains, policiers une femme cadre, une avocate, une reine

On retrouve également la répartition « homme = actif » et « femme = passif » dans les livres de biologie : lorsqu’il s’agit du système lymphatique, on représente majoritairement une femme ; pour le système musculaire, un homme ; de même, l’idée est assez répandue que l’ovule attend passivement l’arrivée du spermatozoïde, fougueux, combattif et… gagnant. Et la métaphore couramment utilisée pour expliquer la reproduction aux enfants, à savoir que « le papa met une petite graine dans le ventre de la maman », propage aussi cette image de l’homme actif et de la femme passive. La publicité n’est pas en reste et véhicule elle aussi des stéréotypes essentialisants ; en voici un exemple :

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C’est ce qu’on appelle la construction du sexe social ou le genre. Être femme ou homme, cela s’apprend et ce n’est d’ailleurs pas la même chose suivant les époques ou les régions géographiques. C’est ce que résume en quelques mots la formule de Simone de Beauvoir : « on ne naît pas Femme, on le devient ». De la même manière, on ne naît ni Homme, ni entrepreneur, ni même Noir.

Qu’en est-il de la nature humaine ?

S’il n’existe pas de nature du Noir ou de la Femme, qu’en est-il de la nature Humaine ? Qu’est-ce qui fait de l’Humain une espèce à part ou, dit autrement, qu’est-ce qui constitue le « propre » de l’Humain ? S’il s’agit de savoir si l’Humain est différent du crocodile ou du moineau, la réponse ne peut être qu’affirmative, mais s’il s’agit de savoir en quoi l’Humain est supérieur au crocodile ou au moineau, la réponse est bien moins évidente. D’ailleurs, le crocodile est tout aussi différent du moineau que l’humain et nous n’en ressentons pas nécessairement le besoin d’en déduire une relation d’ordre entre ces deux espèces, ni d’octroyer plus de droits à l’un qu’à l’autre. Alors je terminerai en posant cette question dont je n’ai pas la réponse : qu’y a-t-il de si différent dans la nature humaine qui autorise les Humains à se décréter au-dessus des autres espèces et à s’octroyer des droits qu’ils n’accordent pas aux autre.

Qu’en conclure ?

Une fois le constat fait que la nature ne décrit pas de réalité scientifique précise, il me semble important de s’interroger sur le rôle que joue ce pseudo-concept dans un argumentaire.

En premier lieu, la nature est formidable pour se soustraire à toute obligation d’argumentation. Lorsque Nadine Morano, ministre de l’apprentissage, veut soutenir la candidature de Nicolas Sarkozy à l’élection présidentielle contre celle éventuelle de Jean-Louis Borloo, elle déclare : « Nous avons un leader [Nicolas Sarkozy], nous avons un candidat naturel donc la question des primaires ne se pose même pas ». La voici sur le plateau de l’émission En route vers la présidentielle du 21 avril 2011 :

 

On trouve la même trame argumentative dans des débats sur la légitimité du mariage entre personnes de même sexe, jugé parfois contre-nature. Argument souvent suivi d’un effet Pangloss du type : « s’il y a des hommes et des femmes, c’est bien fait pour se reproduire ». Je fais une petite parenthèse : cet argument est assez étonnant aujourd’hui, en France, où la contraception est très répandue – quid de tous les rapports sexuels sous contraceptifs ? Quid des relations sexuelles sans pénétration ? Et quid de toutes les assistances médicales à la procréation, peu « naturelles » mais bien légales ? Sans oublier le fait que la recherche du plaisir sexuel sans reproduction peut difficilement être taxée de « contre-nature », tant les exemples de pratiques sexuelles indépendantes de l’acte de reproduction sont nombreux dans le monde animal.

On essaie de nous faire intégrer la chose suivante : ce qui est naturel est dans l’ordre des choses ; c’est ce qui doit être.

Par ailleurs, le concept de nature est aussi très utile pour justifier et asseoir des discours conservateurs et des inégalités sociales. Comme le rappelle Yves Bonnardel dans le texte De l’appropriation à l’idée de Nature (cahiers antispécistes, vol.11, 1994) et contrairement à une idée répandue, les rhétoriques essentialistes sur les Noirs ne sont apparues qu’après le début de l’esclavagisme ; ce n’est pas une conception du Noir en tant que race inférieure qui a rendu possible l’esclavagisme, mais bien le fait d’avoir réduit les Noirs en esclavage qui a conduit les Blancs à invoquer la nature inférieure du Noir pour légitimer cette exploitation. Quant à l’essentialisme concernant les femmes, s’il a beaucoup évolué ces dernières décennies, il a lui aussi justifié en France l’appropriation légale des Femmes par les Hommes jusque dans les années 1990. Le mot peut paraître fort, mais n’oublions pas que, jusqu’en 1965, les Femmes devaient avoir l’autorisation de leur mari pour être salariées, que le devoir conjugal n’a été aboli qu’en 1990 et que le viol conjugal n’a été reconnu par jurisprudence qu’en 1992.

La nature humaine, elle, continue de légitimer la différence de droits entre les espèces sur le plan juridique, différence de droits immense puisque l’Humain, malgré certaines mesures de protection – parcs nationaux ou régionaux, règlementation de la chasse ou de la pêche, etc. – dispose tout de même du droit de tuer les autres espèces (élevage, permis de chasse ou de pêche etc.), parfois même en invoquant une tradition ininterrompue (corrida, combats de coq).

Article 521-1 du code pénal « Le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves, ou de nature sexuelle, ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité, est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. » (alinéa 1) À titre de peine complémentaire, le tribunal peut prononcer « l’interdiction, à titre définitif ou non, de détenir un animal. » (alinéa 3) « Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée. Elles ne sont pas non plus applicables aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie. » (alinéa 7)

Le mot nature est un mot valise : il est tellement creux qu’on le pense très profond, ce qui permet à chacun d’y mettre ce qu’il veut. Evidemment, cela ne porte pas à conséquence si l’on reste dans le domaine de la poésie, mais la rhétorique naturaliste reste un adversaire de taille dans la lutte contre toute sorte de discriminations. Alors, à chaque fois que je l’entends, je dresse l’oreille, j’active mon système d’auto-défense intellectuelle et je me méfie car, à chaque fois que je l’ai relevé, la nature était utilisée pour asseoir ou défendre un ordre établi et bottait en touche toute remise en question potentielle. C’est ce que résume particulièrement bien Yves Bonnardel dans ce court extrait :

« En pratique, l’attitude est plus ambiguë : tantôt les humains dénoncent avec indignation ce qu’ils jugent contre-nature, tantôt ils célèbrent les conquêtes qui ont permis à l’humanité d’échapper aux rigueurs de sa condition primitive. Personne ne souhaite vraiment que nous imitions la nature en tout point, mais personne ne renonce pour autant volontiers à l’idée que la Nature doit nous servir d’exemple ou de modèle. Les considérations sur ce qui est contre-nature et ce qui est naturel (censé être équivalent à : normal, sain, bon…) viennent trop souvent court-circuiter la réflexion sur ce qu’il est bon ou mauvais de faire, sur ce qui est souhaitable et pourquoi, en fonction de quels critères. L’idée de nature « pollue » les débats moraux et politiques… « (En finir avec l’idée de Nature, Renouer avec l’éthique et le politique, Les Temps modernes, Mars-Juin 2005)

 

Alors concrètement, je dresse l’oreille, donc, mais j’essaie aussi de rayer le terme nature de mon vocabulaire, par exemple en le supprimant, en le remplaçant par des termes plus précis ou en formulant les choses autrement. Par exemple, plutôt que de dire « il est de nature coquette » ou « elle est dynamique par nature » je dirai quelque chose comme « il aime prendre le temps de se faire beau » ou « elle est dynamique ». Plutôt que de dire « j’aime la nature » je dirais « j’aime les ballades en montagne » (ou « à la campagne » ou « sur la plage », etc.), même si, évidemment, dans ce contexte l’équivoque ne prête pas trop à conséquences.    

Cette démarche, parfois plus difficile qu’elle n’y paraît, est plus qu’un simple exercice de style : elle me contraint à raisonner en dehors des rhétoriques naturalistes, tellement courantes qu’on les reprend parfois à son compte sans même s’en rendre compte. D’ailleurs, cela arrive même à Lévi-Strauss (premier extrait de l’article Quelques perles de Lévi-Strauss)… 

Guillemette Reviron

CorteX_Jacques_Bouveresse

Jacques Bouveresse : que peut-on faire des religions ?

Premier morceau de vidéo, présentation par Jacques Bouveresse du contexte socio-politique dans lequel il a souhaité proposer une réflexion sur ce que les rationalistes peuvent répondre à ce type de question : que peut-on faire des religions ? en partant de la confrontation entre les points de vue opposés de Bertrand Russell et Ludwig Wittgenstein.

 

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Présentation, suite. Jacques Bouveresse passe en revue quelques auteurs, puis revient à Russell et Wittgenstein. Russell disant que la religion est une théorie non seulement fausse mais irrationnelle, Wittgenstein disant que ce n’est même pas de l’ordre de la théorie. S’ensuivent les questions du public. Wittgenstein est décrit comme l’incroyant qui voudrait croire mais qui n’y arrive pas, et Bouveresse pose le problème du double sens du mot croyance (point que nous avons abordé sur le plan pédagogique ici).

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Dans le débat, on pénètre ici la question de l’actualité et du « retour du religieux ». Bouveresse insiste sur ceci : on peut contester qu’il y ait « retour du religieux », il serait plus judicieux de parler d’un « retour de l’exploitation politique du religieux ». Jacques Bouveresse aborde aussi un autre point crucial qu’il prend à Clifford : on ne doit croire en une proposition quelconque que s’il y a des chances raisonnables qu’elle soit vraie – ce qui rappelle la fameuse maxime de Hume que nous enseignons en cours, résumable ainsi : « il faut que la croyance soit proportionnée aux preuves« .

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La suite ne nécessite pas de commentaire particulier

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Dans le dernier extrait, Jacques Bouveresse aborde une clé de débat « classique », à laquelle nous sommes souvent confronté-es : la vacuité du terme « positivisme », qui « sert à tout ».

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La pluie, certainement diligentée par un dieu fâché, mit fin à cette conférence. Quant aux nombreux ouvrages et auteurs cités, fonçons vite ici, car Alain Le Metayer, outre nous avoir conseillé ces documents, nous a concocté une fiche salutaire  !

Richard Monvoisn