Stage doctoral "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme"

Nouveau stage doctoral « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » – De l’éthique à l’université.  Deux stages prévus, co-dirigés par Guillaume Guidon et Richard Monvoisin. 

Inscriptions au DFI  (service Doctoral pour la Formation, l’Initiation et l’insertion professionnelles de l’Université de Grenoble)

Stage 1 : lun 17, mar 18 et lun  24 novembre 2014
Stage 2 : lun 23, mar 24 février et lun 2 mars 2015

Objectifs visés :

  • Analyser les postures idéologiques sous-jacentes en science et questionner sans complaisance le statut, les enjeux et le rôle de la science.

  • Créer un outil pédagogique critique exploitable durant le stage.

Résumé :

« Sapience n’entre point en âme malivole, et science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

Rabelais, « Pantagruel » (1532)

Sur quelle base porter un jugement moral sur une action ? Faut-il juger une invention, ou une grande découverte scientifique, au regard de ses conséquences pratiques ou prévisibles ?

Faut-il condamner l’inventeur du couteau, ou Einstein pour ses théories en physique ayant permis la bombe atomique ? D’un autre côté, innover, inventer n’est-il pas un droit, voire un « devoir moral », récompensé par l’institution ? Faut-il freiner les études scientifiques au nom de leurs conséquences ultérieures ?

Nous verrons à travers ce stage comment il est possible de mobiliser la raison dans les réflexions éthiques, et de bien cerner les parts subjectives de nos analyses. Nous essaierons de montrer, à quatre voix, dans un tiraillement entre conséquentialisme et déontologisme, que le questionnement est récurrent : si je fais ceci plutôt que cela dans telle situation, au nom de quoi pourrais-je dire que ma décision est la bonne ? Cette question est rendue d’autant plus piquante que nous, enseignants et chercheurs, faisons profession d’intellectuels : avons-nous une responsabilité plus grande dans nos choix moraux ?

Au moyen d’outils simples, et de bases épistémologiques claires, nous développerons une grille d’analyse de grands sujets et des grandes notions éthiques, et voyagerons au travers de trois thématiques aux objets différents, mais aux impacts sociopolitiques majeurs :

  • la santé,

  • l’histoire et sa mémoire,

  • et la science politique.

Le troisième jour permettra aux doctorant.e.s de s’emparer d’un sujet posant un problème éthique, de le décortiquer en groupe et d’en faire un outil pédagogique sur le site de ressources critiques www.cortecs.org.

Résumé technique :
Stage en 2j +1
Max : 12

Responsables : Guillaume Guidon, Richard Monvoisin
Intervenant-es : Clara Egger, Nicolas Pinsault

Jour N°1

  • Introduction – R. Monvoisin

Grands courants de la philosophie morale – Illustrations et limites de chacune

Déontologisme et conséquentialisme. Que fournit la science aux débats moraux ? Réalisme et matérialisme méthodologique.

  • Science et santé – N. Pinsault

Réflexions critiques sur la notion de maladie et de bien-être.

Interactions art du soin / données scientifiques. Légitimité du placebo. Alternatives. Libre choix. Nouvelles technologies. Marché. Liens d’intérêts. Dépendance santé / industrie. Secret médical.

Jour N°2

  • Éthique et sciences politiques – C. Egger

Sciences politiques et positionnements éthiques.

Discours creux. Analyses grossières. Vernis de scientificité et concepts flous. Leurs dangers dans l’explication du monde politique et social. Propagandes et idéologies. Rôle de l’intellectuel.

  • L’Histoire et sa mémoire – G. Guidon

Enjeux éthiques, politiques et sociaux de l’Histoire.
Instrumentalisation, révisionnismes et négationnismes.
Invention de mythes et roman national. Problématique des lois mémorielles.

dents d'Albin

Initiation à la démarche critique des étudiants en kinésithérapie pendant les stages de formation clinique : retour d'expérience

Depuis une dizaine d’années, différents organismes nationaux et internationaux soulignent le développement croissant du recours aux pratiques de soins non conventionnels par la population. Le recours à ces pratiques n’est parfois pas sans risque pour la santé physique et mentale des patients, en particulier lorsqu’elles sont « porteuses de dérives sectaires »1.

L’ensemble des professionnels de santé est concerné par cette problématique notamment les kinésithérapeutes. En effet, nous pensons que les modalités de prise en charge (proximité physique, durée des soins, etc…) exposent particulièrement ces professionnels confrontés à une offre de formation continue pléthorique1 et à un retard, en France, en terme de recherche clinique2. Il semble donc crucial que les professionnels aient un regard critique vis-à-vis de la littérature scientifique et des pratiques de soins non conventionnels afin d’assurer des soins de qualité3.

En réponse à cela, certains enseignants de l’Institut de formation de l’école de kinésithérapie de Grenoble et de l’Université Joseph Fourier ont choisi de dispenser des enseignements d’esprit critique aux étudiants kinésithérapeutes afin de leur donner des outils pour les aider à faire le tri parmi toutes ces pratiques4. L’esprit critique, comme la méthodologie scientifique, n’est à ce jour pas inscrit au programme officiel de la formation5.

Nous fûmes parmi les premiers étudiants kinésithérapeutes à recevoir ces enseignements. Les considérant comme essentiels pour toute personne travaillant en tant que professionnel de santé, nous avons tenté de nous faire le relai de ces enseignements en proposant une initiation à la démarche critique auprès d’étudiants kinésithérapeutes lors de leurs stages de formation clinique. Nous allons dans cet article vous présenter la manière dont nous avons procédé ainsi que notre retour sur cette expérience. Nous espérons fournir ainsi des idées à tous les kinésithérapeutes et autres professionnels de santé qui souhaiteraient se lancer dans le même type de démarche. Cela permettra également aux étudiants stagiaires que nous avons rencontrés d’avoir le contenu de l’intervention à disposition.

Procédure d’intervention

a. Caractéristiques générales

Public : étudiants kinésithérapeutes en 1ère, 2ème et 3ème année.

Lieu : centres de rééducation.

Taille des groupes : de 2 à 8 étudiants.

Durée de l’intervention : 30 minutes.

b. Support pédagogique

Nous avons créé un texte qui portait sur une thérapie de notre invention : la phanérothérapie. Nous avions pensé au départ à la capillothérapie. Seulement après une rapide recherche sur internet nous nous sommes rendus compte que cette thérapie existait déjà. Nous avons alors pensé à la phanérothérapie (les phanères étant les productions de l’épiderme : cheveux, ongles etc.) pour laquelle nous ne trouvions à l’époque aucune occurrence (printemps 2013). À ce jour, deux occurrences sortent sur la première page du moteur de recherche Google lorsque nous entrons « phanérothérapie » mais ne renvoient pas à une thérapie existante.

Dans ce texte, nous avons glissé les différents arguments qui nous paraissent récurrents lorsque quelqu’un tente de faire la promotion d’une thérapie.

Voici le texte en question (voir plus bas pour une analyse de ce document) :

La phanérothérapie.

Une technique efficace en kinésithérapie

Les fondements théoriques de la phanérothérapie s’appuient sur l’importance des phanères dans le corps. Des stimulations réflexes des phanères, en particulier des ongles, permettent d’actionner des circuits réflexes de second ordre. Il existe différentes techniques en terme de rythme, d’intensité, de grattage ou de pianotage.

Cette technique permet de soulager les douleurs chroniques de tout type, mais aussi certaines douleurs aiguës. Elle a été introduite par le médecin chef d’un centre dans lequel nous avons travaillé. Il a pratiqué la phanérothérapie pendant plus de 20 ans en libéral. Cette méthode a aussi été utilisée depuis plusieurs centaines d’années par les Indigènes du Pacifique : Nouvelle-Zélande, Nouvelle-Calédonie, Australie, etc.

Ce médecin nous a présenté beaucoup de témoignages positifs que les patients lui avaient envoyés après quelques séances. Beaucoup de gens affectés de douleurs depuis des années sont allés mieux dans les semaines qui ont suivi leur séance de phanérothérapie. Il n’y a jamais eu aucun effet secondaire.

Plusieurs études scientifiques de qualité ont été réalisées sur cette thérapie.

Séance de phanérothérapie
Séance de phanérothérapie

c. Déroulement de l’intervention

Étape préliminaire : invitation des étudiants et définition d’un lieu sans annoncer le sujet de la présentation.

Étape 1, confrontation: distribution du texte + consignes « Lisez et essayez de relever dans ce texte, par rapport à la thérapie qui vous est présentée, les éléments qui vous interpellent ou vous intéressent et pourquoi. »

Étape 2, recueil : tour de table. Nous interrogeons un à un les étudiants et notons les éléments « saillants » de leur discours sur un tableau si disponible.

Étape 3, analyse : nous expliquons aux étudiants que le texte est de notre invention. Nous reprenons leurs propos notés lors de l’étape 1 puis pointons et explicitons les différents arguments glissés dans le texte. Nous échangeons.

Voici une analyse du texte distribué. Celle-ci était réalisée à chaque intervention lors de cette étape, mais de manière non formalisée. Nous avons aussi inséré les principales remarques des étudiants lors de l’étape 2 que nous avons encore en mémoire ; nous n’en n’avons pas tenu un compte précis.

Point 1. L’absence de mention de la source du document.

Ceci permet d’aborder l’importance de l’origine de l’information6.

Remarques des étudiants : aucun n’a posé de questions concernant la source du document distribué, ce qui est pourtant fondamental à toute démarche critique.

Point 2. Des stimulations réflexes des phanères, en particulier des ongles, permettent d’actionner des circuits réflexes de second ordre.

Ici, notre idée fut de créer un sentiment de cohérence ainsi que de conférer une aura de scientificité à la technique en introduisant un terme scientifiquement bien défini, réflexe7dans un contexte, lui, dénué de signification précise8. Nous pensons retrouver ici une des caractéristiques de l’imposture intellectuelle telle que définie par Sokal et Bricmont9.

Remarques des étudiants : c’est la partie du texte qui a soulevé le plus de questions et de remarques. Les étudiants ont systématiquement demandé plus de détails théoriques et pratiques sur la technique, comme « que sont les circuits réflexes de second ordre ? ». Ils semblaient accorder beaucoup d’importance à la cohérence théorique de la technique, sans pour autant la remettre en question. Certains ont même fait un rapprochement avec les réflexothérapies, ce qui semblait donner pour les étudiants un certain crédit à la technique « Ah oui c’est un peu comme en réflexologie plantaire en fait ! »

=> Nous avons essayé d’évoquer le fait que ce n’est pas parce qu’une technique est cohérente et conforme aux connaissances anatomiques et physiologiques actuelles qu’elle est efficace. Nous avons aussi donné des exemples de techniques ou médicaments dont l’efficacité est étayée alors qu’il n’existe que des hypothèses concernant ses modalités d’action (ex : le paracétamol10).

Point 3. Cette technique permet de soulager les douleurs chroniques de tout type, mais aussi certaines douleurs aiguës.

Nous proposons à ce stade des prétentions importantes et imprécises (quelles pathologies ? Quel type de patient ? Quelle taille de l’effet11 ? etc.). Elles doivent alerter le lecteur. Ce sont en effet des affirmations de type scientifique.12 qui porte sur un effet thérapeutique. À ce titre, nous nous attendons à trouver les études scientifiques qui étayent ces propos. Tout autres type d’arguments doivent inviter à la vigilance.

Remarques des étudiants : quelques-uns nous ont demandé plus de précisions sur les indications de la phanérothérapie, les trouvant un peu vagues. Mais aucun n’a été choqué par la démesure des prétentions thérapeutiques.

=> Nous avons approuvé leurs remarques sur le caractère vague et prétentieux de ces indications, en insistant sur le fait qu’ils risquaient d’y être fréquemment confrontés au cours de leur pratique future13.

Point 4. Elle a été introduite par le médecin chef d’un centre dans lequel nous avons travaillé. Il a pratiqué la phanérothérapie pendant plus de 20 ans en libéral.

Nous utilisons ici un argument d’autorité14 à deux niveaux. Le premier niveau se décline en deux facettes : la hiérarchie sanitaire (le médecin est prescripteur de l’intervention du kinésithérapeute) et la hiérarchie institutionnelle (médecin chef). Le deuxième niveau concerne ce que nous qualifions d’argument de l’expérience qui intervient comme un dérivé de l’argument d’autorité (thérapie pratiquée 20 ans en libéral).

Point 5. Elle a aussi été utilisée depuis plusieurs centaines d’années par les indigènes du pacifique Nouvelle-Zélande, Nouvelle-Calédonie, Australie, etc.

Nous avons ici un argument d’historicité ainsi qu’un appel à l’exotisme.

Remarques des étudiants : certains ont fait remarquer qu’il était bizarre qu’il n’aient jamais entendu parler de la phanérothérapie si elle était pratiquée depuis si longtemps. Mais selon eux, une des explications pourrait en être que c’est parce qu’elle a été pratiqué sur d’autres continents, et que cela n’est pas parvenu jusqu’à chez nous. Le parallèle a été fait une fois avec la médecine traditionnelle chinoise (MTC) dont « on entend parler depuis pas longtemps alors qu’elle est pratiquée et efficace depuis des millénaires là-bas ».

=> Nous avons préféré ne pas rebondir sur la MTC au risque de nous éloigner du propos et des arguments purement rationnels. Nous avons alors pensé qu’il est plus efficace de rester centré sur la phanérothérapie et de ne pas ouvrir les échanges sur des sujets connexes, au risque de provoquer un effet boomerang15.

Point 6. Ce médecin nous a présenté beaucoup de témoignages positifs que les patients lui ont envoyé après quelques séances.

Ceci est un appel aux témoignages.16

Remarques des étudiants : certains nous ont demandé s’il y avait aussi des témoignages négatifs. Mais aucun n’a remis en cause la validité de ce type d’argument. Certains ont même ajouté : « De toutes façon il n’y a qu’à essayer pour se faire son opinion ». Dans une certaine mesure, cette allégation confère au témoignage personnel une valeur supérieure à celle du témoignage d’autrui. Or, c’est oublier que vu de l’extérieur, ce témoignage personnel ne fera que s’ajouter aux autres, ne lui conférant aucun caractère particulier.

Point 7. Il n’y a jamais eu aucun effet secondaire.

C’est aussi une prétention très importante. Nombreux sont les médicaments ou actions thérapeutiques susceptibles d’entraîner des effets secondaires (tous ?). Pour le vérifier, il suffit de jeter un œil sur les petites notices à l’intérieur des boites de médicament. Une allégation de cette nature doit donc éveiller la suspicion. Même si nous ne prétendons pas impossible qu’il existe des traitements sans risque iatrogène, une affirmation telle que celle-ci ne peut se contenter d’être simplement déclarée gratuitement. Elle nécessite une évaluation scientifique.

Remarques des étudiants : aucune à ce sujet. Pourtant cette prétention est au moins aussi importante que l’effet bénéfique d’un traitement.

Point 8. Plusieurs études scientifiques de qualité ont été réalisées sur cette thérapie.

C’est d’après nous le seul argument qui doit retenir notre attention. Seulement, nous avons besoin des références bibliographiques qui ne sont pas mentionnées17. Cet élément permet de faire le pont avec les étudiants vers la nécessité d’être capable d’analyser un article scientifique dans le domaine de la santé18.

Remarques des étudiants : ce n’est pas la partie du texte qui a déclenché le plus de réactions. Certains étudiants nous ont tout de même dit qu’il faudrait regarder un peu plus en détail ces études.

=> Nous en avons profité pour leur demander comment ils s’y prendraient pour trouver ces études, sur quelles bases de données ils chercheraient… Peu d’étudiants connaissaient la Medline, Pedro, Google Scholar ou Science Direct, même pour les étudiants de dernière année ayant bien avancé la rédaction de leur mémoire de fin d’étude.

Point 9. de manière plus générale, nous avons entendu ce type de remarque : « Il suffit d’essayer sur un ou deux patients, et s’ils trouvent que ça marche et bien c’est bon ».

Sans rejeter le fait qu’expérimenter soi-même une technique puisse concourir en partie à sa validation personnelle, l’expression « Il suffit » nous paraît démontrer une absence de mesure dans le poids à attribuer à l’expérience personnelle, une méconnaissance des différents éléments pouvant conduire le couple praticien/patient à conclure à tort à une efficacité propre de l’acte thérapeutique délivré et à une occultation de l’importance de s’appuyer, s’il elles existent, sur des données scientifiques probantes.

Étape 4 : nous présentons les enjeux de la démarche critique, les faits qui nous ont conduit à proposer cette intervention et récoltons les courriels des étudiants afin de leur proposer les liens suivants, pour approfondir :

  • Vidéos sur les médecines non conventionnelles
  • Fiche illustrée présentant des sophismes
  • Article sur l’effet placebo
  • Memoire de l’un de nous sur une thérapie manuelle

100_9800Retour d’expérience

Il nous a paru difficile d’initier une démarche critique en si peu de temps. Nous pensons toutefois cette durée suffisante pour satisfaire au modeste objectif d’une simple mise en contact avec la démarche critique.

Nous tenons à souligner qu’à la vue des réactions des étudiants à notre texte et des arguments utilisés lors des échanges, nous restons convaincus du bien-fondé de ce type de démarche.

En ce qui concerne l’étape 1 de l’intervention, nous avons eu du mal à déterminer quelles consignes donner sans induire un doute quelconque chez les étudiants par rapport à l’aspect canular de la thérapie. Les étudiants semblaient être particulièrement surpris quand nous leur annoncions que le document et la thérapie étaient de notre invention. À titre anecdotique, nous avons eu une réaction du type « je ne vais plus jamais regarder mes ongles de la même façon ».

Un commentaire critique d’un étudiant concernant notre texte nous est apparu pertinent. Celui-ci nous indiqua que le fait que nous nous incluions dans la présentation de la thérapie rendait difficile pour lui d’être trop critique lors du premier temps d’échange. Voici les lieux du problème : « Elle a été introduite par le médecin chef d’un centre dans lequel nous avons travaillé » et « Ce médecin nous a présenté beaucoup de témoignages positifs que les patients lui avaient envoyé après quelques séances. » Nous proposons donc les modifications suivantes : « Elle a été introduite par le médecin chef du centre de rééducation des Zarénides en Suisse19. » et « Ce médecin présente beaucoup de témoignages positifs que les patients lui ont envoyé après quelques séances. »

Concernant la taille du groupe, plus elle fut importante (8) moins nous eûmes l’impression de faire passer un message efficace. Nous souhaitions en effet échanger et non faire un cours magistral. En disposant de 30 minutes seulement, il était difficile de donner la parole de manière à peu près égale à 8 personnes différentes, et nous avions tendance à plus nous écarter du sujet. Si nous refaisions une intervention de ce type, nous privilégierions un groupe de 3 à 4 personnes.

Nous présentons en annexe un court questionnaire que nous avons envoyé aux étudiants quelques mois après notre intervention afin d’apprécier – au doigt mouillé – son influence.

Conclusion

Même si nous aimerions tester un autre type d’intervention à l’avenir, nous n’excluons pas de refaire celle-ci. En effet, satisfaire en si peu de temps au simple objectif de créer un premier contact avec la démarche critique nous apparaît aujourd’hui suffisamment important au regard des enjeux sous-jacents plutôt que de ne rien proposer du tout. Par contre, réaliser quelque chose de plus long ou en plusieurs sessions est délicat car les stages des étudiants kinésithérapeutes sont relativement courts, interviennent dans un cadre de scolarité court également (3 ans) et dense qui fait que les étudiants sont très sollicités. L’idéal serait évidemment d’avoir directement des cours d’esprit critique en école de kinésithérapie dans un contexte de formation rénové et augmenté20.

Annexes

Le questionnaire

Nous avons réalisé un questionnaire anonyme21 que nous avons envoyé à tous les étudiants quelques mois après l’intervention.

Après coup, nous avons regretté d’avoir réalisé ce questionnaire qui souffre de nombreux biais et dont on ne peut rien retirer. Il ferait cependant un bon support pour qui souhaiterait s’entraîner à trouver les limites méthodologiques d’un questionnaire.

Les questions posées furent les suivantes.

Questions fermées :

1) Suite et à cause de cette intervention, vos idées sur la kinésithérapie ont-elles été modifiées?

2) Suite et à cause de cette intervention, vos comportements professionnels ont-ils été modifiés?

3) Suite et à cause de cette intervention, vos choix de formation et d’exercice (secteur d’activité, patientèle, etc.) ont-ils été modifiés?

Réponses proposées :

Pas du tout modifiés ; Peu modifiés ; Modifiés en partie ; Modifiés de manière conséquente ; Complètement modifiés.

Question ouverte :

D’une manière générale, comment avez-vous jugé cette intervention ?

Résultats du questionnaire

Réponses aux questions fermées

Sur les 21 étudiants interrogés, 9 ont répondu dans les temps après les deux relances. Voici leurs réponses :

 

Pas du tout modifiés

Peu modifiés

Modifiés en partie

Modifiés de manière conséquente

Complètement modifiés

Total

1) Idées sur la kinésithérapie

1

1

6

1

0

9

2) Comportements professionnels

1

6

2

0

0

9

3) Choix de formation et d’exercice

2

2

4

1

0

9

Total

4

9

12

2

0

27

Réponses à la question ouverte

Nous avons mis entre parenthèses les réponses aux questions fermées de chaque étudiant dans l’ordre indiqué dans le tableau.

Étudiant (conséquente, partie, partie) : « intéressante, nous montre qu’il faut se renseigner et consulter les dernières revues bibliographiques pour s’améliorer et juger de l’efficacité de chaque méthode »

Étudiant (partie, partie, peu) : pas de réponse

Étudiant (partie, peu, partie) : « intéressante et formatrice car elle remet en cause pas mal de techniques et cela n’a absolument pas été abordé en cours. »

Étudiant (partie, peu, partie) : « Intéressante. L’esprit critique, je l’utilise tous les jours mais sans vraiment m’en rendre compte ni savoir explicité mes doutes face à certaines affirmations. Grâce à cette intervention, j’ai des arguments pour étayer mes « intuitions », je sais quelles questions poser. »

Étudiant (partie, peu, peu) : « Modifie la vision de la profession, mais peu la pratique (enfin sauf si on fait de l’écoute tissulaire). J’admets cependant être plus sceptique aujourd’hui quant à certaines techniques que l’on nous propose, que ce soit à l’école ou en stage. Je m’intéressais déjà à approfondir certaines connaissances dans le sens de la critique avant votre intervention, je ne peux pas dire que vous ayez provoqué chez moi l’envie de m’y intéresser ; en revanche je peux dire que vous m’y avez encouragé et avez sûrement accéléré l’acquisition d’un certain scepticisme scientifique. »

Étudiant (pas, pas, pas) : « Bonne, mais rien de nouveau, l’esprit critique existe en tout »

Étudiant (partie, peu, conséquente) : « intervention bien amenée, réfléchie, construite, et intéressante. Seul bémol, attention à ne pas faire passer cette intervention comme « une parole à répandre », presque un dialogue « sectaire » (j’exagère, mais c’est pour être compris) on peut avoir tendance à basculer de l’autre côté, à savoir douter de tous les acquis en MK, ne plus croire en rien dans cette belle profession. »

Étudiant (peu, peu, partie) : « Je ne m’attendais pas à ce qu’on aborde ce sujet alors que c’est un sujet très intéressant et malheureusement pas abordé pendant notre scolarité. »

Étudiant (partie, peu, pas) : « J’ai trouvé l’intervention intéressante. Ce que j’ai retenu: développer un esprit critique quant aux articles et publications qu’on lit, ne pas croire tout ce qu’on lit, vérifier les sources des articles. »

Nous souhaiterions répondre à ceci : on peut avoir tendance à basculer de l’autre côté, à savoir douter de tous les acquis en MK, ne plus croire en rien dans cette belle profession

Douter d’une technique n’implique pas nécessairement de ne pas la pratiquer et nous pensons que c’est ici que se niche le malentendu. Le doute en tant que fin, qui débouche sur une suspension du jugement systématique n’est bien sûr pas satisfaisant car cela implique qu’aucune action concrète n’est jamais réalisée. C’est le doute en tant que démarche que nous prônons en sachant pertinemment que dans nombre de cas, malgré les doutes, il faudra passer à l’action. Ceci dit, il est essentiel de ne rien considérer comme acquis et de perpétuellement se questionner, douter, critiquer, remettre en cause l’état de l’art. Cela n’implique donc pas de « ne plus croire en rien » mais de se dire que, peut-être, notre profession d’aujourd’hui ne ressemblera plus du tout à celle de demain et de ne pas s’accrocher à des pratiques pour de mauvaises raisons.

 

Nelly Darbois et Albin Guillaud

 

Atelier Cinéma & stéréotypes : les Arabes, souffre-douleur du cinéma

Dans le cadre d’un atelier doctoral sur l’interaction entre sciences politiques et fictions réalisé à l’Université de Grenoble, Djamel Hadbi, doctorant en génie électrique nous propose une séquence éducative recoupant trois idées-force : la manufacture du consentement, la fabrication de la discrimination, et le rôle des médias, tout cela sous  la forme d’un débat entrecoupé d’un documentaire fractionné, Hollywood et les Arabes (Reel Bad Arabs: How Hollywood Vilifies a People) réalisé par Sut Jhally.

1. Pourquoi ce thème

L’objet de notre travail de recherche était le suivant : comment le cinéma est parfois utilisé à des fins politiques parfois moralement justifiables.

À ce titre, nous avons lu un certain nombre d’articles et visionné des documentaires et des séries, ainsi que bon nombre de blogs où des journalistes indépendants et des sociologues  expliquent les étapes d’une propagande pour justifier une guerre, et confèrent au cinéma un certain rôle. Pour ne citer qu’un article, voici celui de Nicolas Mettelet, Le cinéma : un outil de propagande pour faire accepter la guerre, dans Les cahiers de psychologie politique, numéro 12, Janvier 2008, ici). 

Sans revenir sur toutes ces étapes, mais je vais me concentrer sur ce qui nous intéresse : le mariage douteux du cinéma et de la politique et l’un des fruits de ce mariage : la diabolisation de l’ennemi. Le travail de diabolisation d’une population est une tâche de longue durée, qui possède différents niveaux ; au départ, ce ne sont que des stéréotypes, de type essentialiste (voir ici, ou ) qu’on relaye au cinéma de façon secondaire, puis ces stéréotypes prennent le pas sur la réalité, et figent une représentation de ce groupe social illusoire, généralement raciste. Enfin, lorsqu’on s’apprête à faire la guerre contre ladite population, on passe à la vitesse supérieure, et s’y entremêlent le mensonge, la calomnie pour affubler cette population d’une sorte de crime originel.

2. Support choisi et public

CorteX_Reel-bad-Arabs_mixChaque période et chaque région a semble-t-il sa population « souffre-douleur ». Il semble que dans les sociétés capitalisto-judéo-chrétiennes, la population Arabe soit l’un des souffre-douleur favoris des sociétés capitalisto-judéo-chrétiennes. En effet, sont mélangées dans les représentations populaires, les Arabes, les Musulmans, les Maghrébins, et les « Islamistes », dans un écheveau bien enchevêtré. Sans entrer dans le détail, rappelons d’emblée quelques faits :  

– tous les Arabes ne sont pas Musulmans

– une majorité de Musulmans ne sont pas Arabes ni Maghrébins (mais Indonésiens)

– tous les habitants du Maghreb et du Proche-Orient ne sont pas Arabes, ni locuteurs de l’arabe (Perses d’Iran, Kabyles, Touaregs, etc.)

– « Islamiste » est une notion fort imprécise. Si l’on entend par fondamentalistes du livre, ils ne sont qu’une portion ultraminoritaire, dans quelque groupe que ce soit.

Arabe est donc un mot à effet paillasson, sur lequel même les spécialistes ont du mal à s’entendre. En effet, sur le plan généalogique, serait Arabe celui ou celle qui situe certains de ses ancêtres dans l’une des tribus d’Arabie (définition médiévale, que l’on doit entre autres à Ibn Khaldûn1). Sur le plan national, serait Arabe l’habitant d’un des vingt-deux pays membres de la Ligue arabe – ce qui exclut une partie de la diaspora et phagocyte des minorités linguistiques (Coptes, Kabyles, Syriaques, Berbères, etc.). Sur le plan linguistique enfin, serait Arabe une personne dont la langue maternelle est l’arabe. Cela inclut les locuteurs des parlers locaux, appelés arabes dialectaux, qui ne se comprennent pas toujours entre eux.

Il est donc prévisible que, dans un tel flou scientifique, les stéréotypes aillent bon train, et alimentent un mélange d’Islamo-arabophobie.

Lorsque j’ai commencé à chercher des exemples de cette propagande, je me suis dirigé vers les grosses productions de films d’action d’Hollywood. En cherchant de façon plus approfondie, je me suis rendu compte que la propagande la plus insidieuse qui soit est celle qui passe pas des histoires où ce sont les sentiments et les passions qui sont manipulées. 

CorteX_Reel-bad-Arabs_Shaheen_DVDLe corps du matériel pédagogique est le documentaire Hollywood et les Arabes (Reel Bad Arabs: How Hollywood Vilifies a People) réalisé par Sut Jhally et produit par Media Education Foundation en 2006. De toutes les séquences que j’ai visionnées, c’est le support le plus synthétique et le plus éloquent que j’ai trouvé. Il reprend pratiquement tous les stéréotypes, et son auteur a fait un travail profond. Il ne s’arrête pas aux séquences mais fait un travail d’investigation sur les personnes qui sont derrières ces films et le contexte historico-critique associé, ce qui permet de bien voir les évolutions de l’image de l’Arabe selon la période.

La première partie du documentaire montre l’image stéréotypale de l’Arabe avant la Deuxième Guerre Mondiale, décrypté par le spécialiste de la question, Jack G. Shaheen, professeur émérite de communication de masse à la Southern Illinois University Edwardsville (EU).

[Dailymotion http://www.dailymotion.com/video/x8rkn2_hollywood-et-les-arabes-1-3_news]

La deuxième et troisième partie abordent l »image des Arabes après la Deuxième Guerre Mondiale.

[Dailymotion http://www.dailymotion.com/video/x84lcr_hollywood-et-les-arabes-2-3_news]

Ce documentaire fut notre source principale, et mérite pratiquement une diffusion in extenso.

3. Enchainement de la séquence

Nous encourageons à une démarche socioconstructive basée sur le débat et la construction du savoir grâce aux apports des camarades et sous forme de débat argumenté.

Nous recommandons de commencer par la diffusion d’un extrait de film hollywoodien dénigrant les Arabes de façon complètement insensée : ainsi en est-il de Retour vers le futur  (Back to the Future) de Robert Zemeckis (1985) (sous les traits de fanatiques Lybiens, et ce gratuitement, puisque cela ne concourt en rien à l’intrigue !).

Télécharger ici.

On peut faire le choix de diffuser d’abord l’extrait sans le son, puis avec, et stimuler la réflexion générale : qu’est ce qui attire votre attention, vous choque ? En amenant progressivement à la question suivante : que font des « terroristes » Libyens (Arabes sur le plan national et linguistique) dans un film de science-fiction aux Etats-Unis ?

Ensuite, élargissons la gamme stéréotypale avec Gladiator, de Ridley Scott (1999). Télécharger ici.

Par une maïeutique socratique, amenons le questionnement légitime : que fait une caravane de vendeurs d’esclaves arabes en plein territoire romain ?

Exemple qui semble plus innocent : l’image de l’Arabe barbare est fortement appuyée dans Aladdin, des studios Walt Disney (1992) – dans lequel le héros, lui, est typé eurocaucasien. Télécharger ici.

Enfin, nous vous suggérons également des extraits du film L’enfer du devoir (Rules of engagement) de William Friedkin, sorti en 2000, qui pousse la caricature loin, en faisant des Marines des victimes en situation de défense au Yémen, et tendant à justifier ainsi le  meurtre et l’agression d’enfants. Télécharger là

 

4. Public et déroulement recommandé

La séquence s’adapte bien à des élèves de lycée ou dans le supérieur,  avec une diversité socio-culturelle de préférence. L’introduction à la complexité de la définition d’Arabe sera à placer avant, pendant ou après les séquences vidéos, selon que votre public est non-arabe, mixé ou majoritairement arabe. Ainsi, si le public est complètement naïf de la question « arabe », une introduction sur ce thème éclaircira les idées. Si par contre cette séquence se déroule en France avec des Français se revendiquant Arabes, ou des Arabes en pays « arabe », il sera tout indiqué d’attendre la fin pour complexifier une question que votre public pensait être acquise (de la même façon qu’on peut questionner l’identité nationale de tout pays, depuis le Français aux racines gauloises, inventée à la fin du XIXe siècle, au Magyar descendant des Huns, thèse ouraniste construite par le parti nationaliste Hongrois Jobbik, en passant par le Juif, notion au moins aussi floue qu’Arabe et élégament décryptée par Sholomo Sand dans Comment le peuple juif fut inventé (Fayard, 2008).

  • Parler des guerres en général, comment on les justifie et comment on pCorteX_Reel-bad-Arabs_bugs_bunnyrépare l’opinion ça (voir à ce propos la séquence de C. Egger & R. Monvoisin sur la propagande de guerre).

  • Lancer les extraits pour mCorteX_Arabe_Aladinontrer des exemples et susciter le débat, éventuellement permettre à l’audience d’interrompre la projection pour commenter, vu que le degré de propagande n’est pas le même ante et post-Deuxième Guerre Mondiale. Il y aura forcément une réaction différente, selon l’ancienneté des films.

  • Projeter le dernier extrait flagrant qui montre la manipulation des esprits  en passant le message: les armées d’occupation en Irak, en Afganistan et ailleurs dans le monde sont des gentils et sont en auto défense. A ce propos, nous ne pouvons que recommander les ouvrages de décryptage majeurs que sont la manufacture du consentement, de Noam Chomsky et Edward Herman (Contre-feux, 2008), et Impérialisme humanitaire. Droit de l’Homme, droit d’ingérence, droit du plus fort ? de Jean Bricmont (Agone, 2009). 

Pour creuser encore le sujet, nous recommandons le livre Reel BadCorteX_Reel-bad-Arabs_Shaheen CorteX_jack-shaheen Arabs de Jack Shaheen (Olive Branch Press, 2010) et indiquons la page du site Sens Critique, qui recense certains des films propagandistes listés par J. Shahenn.

Et pour faire le lien avec d’autres discriminations en public jeune, nous recommandons, voir  ici.

 Djamel Hadbi

Réalisé dans le cadre des ateliers du DFI, service Doctoral pour la Formation, l’Initiation et l’insertion professionnelle de l’Université de Grenoble. Encadrement R. Monvoisin, C. Egger

Examen de zététique 2014

Remis le 22 avril 2014 aux étudiants de l’UET Zététique & Autodéfense intellectuelle (Grenoble), ce devoir à rendre le 6 mai 2014 réinvestit les connaissances acquises en cours. Vous voulez essayer ? Un corrigé sera disponible fin mai. 
Les consignes reçues par les étudiant-tes sont données à la fin.

I. Enquête

La colothérapie, la nouvelle thérapie qui STOPPE plus de 114 maladies en détoxifiant votre COLON (publicité réelle, composée de 10 pages scannées – Disponibles ici)

En vous appuyant sur votre outillage zététique, il vous est demandé de :

  • faire l’analyse des concepts centraux de la thérapie

  • évaluer la pertinence ou non de cette thérapie

  • rechercher s’il existe de vraies études scientifiques publiées dans des revues à referees

  • (la médecine n’étant pas votre spécialité) demander à un spécialiste de votre choix son avis.

  • pointer tous les biais argumentatifs, sophismes et effets possibles dans la plaquette ci-jointe

La démarche scientifique impose que vous donniez des références précises quand vous vous appuyez sur d’autres travaux.

 (5 points)

II. Décorticage d’un extrait du journal télévisé

Igor et Grishka Bogdanov au CERN, 11 juin 2010, France 2

(vidéo : http://www.youtube.com/watch?v=A-w-Z_PR33o)

Faites l’analyse la plus approfondie possible SVP :

  • de la mise en scène

  • de la rhétorique

  • des biais de raisonnement.

(3 points)

III. Montage d’un protocole expérimental

Élaborez et réalisez une expérience rigoureuse sur le plan scientifique qui permet de comparer la sensibilité de l’un-e ou de plusieurs de vos amis à la différence entre deux produits – en précisant la puissance statistique de vos résultats.

Exemples de produits : Coca et Pepsi / Vache qui rit et Kiri / Deux vins de différente couleur / Bière blonde et bière brune / etc.

 (4 points)

IV. Recoupement de presse

Choisissez un sujet relevant des sciences politiques (conflit, affaire, géopolitique, discrimination…) dans un quotidien*, et comparez les variations de traitement dans au moins cinq autres journaux du même type (Ex : Libération, Le Monde, le Figaro, Herald Tribune, New York Times, Washington Post, El Pais, Frankfurter Zeitung, Corriere della Sera, Al Sahafa الصحافة, Komsomolskaïa Pravda Комсомо́льская пра́вда, dans la limite des langues que vous maîtrisez.

Il vous sera nécessaire de reproduire les articles, en les photocopiant / capturant et en les scannant, dans votre dossier final)

 * Version papier ou version numérique mais tous les journaux doivent tous relever du même support.

** à la même date, bien entendu.

(3 points)

V. Exposition sélective

Masaru Emoto est un japonais qui affirme que l’eau stocke les pensées positives ou négatives, par des processus quantiques. Ses affirmations font l’objet d’une grande promotion, bien que jamais n’ait été montré le début d’une preuve.

Dans le moteur de recherche Google, tapez Masaru Emoto et analysez les 8 premières pages, en classant ces pages selon la teneur : partisan de la « théorie » d’Emoto / critique de la « théorie » d’Emoto.

À quelle page parvient-on aux premières critiques en français ? Dans une autre langue ?

Obtient-on les mêmes résultats sur des ordinateurs différents ?

Choisissez un autre sujet pseudo-scientifique de votre choix (astrologie, crop circles, homéopathie…) et faites SVP le même travail.

(2 points)

VI. Analyse de texte

Faites une analyse zététique du texte suivant :

 « Le panda est une création tout à fait étrange, et inadaptée à son milieu : il ne sait manger que des feuilles de bambou, alors que son estomac est fait pour manger de la viande ; cela ne lui donne que très peu d’énergie pour se déplacer ou même copuler. Certains disent que ce fossile vivant est le chaînon manquant des ours, mais aucun fossile n’a jamais été découvert. Les évolutionnistes disent que sa seule stratégie fut de développer sa couleur pour mieux plaire à son partenaire sexuel, mais cette lecture est glaciale, comme l’est l’évolutionnisme qui est une sorte de religion ayant pour prophète Charles Darwin. En regardant les caractéristiques du panda, il est impossible que cette créature soit le fruit du hasard, car s’il avait fallu évaluer la probabilité de son apparition par hasard, celle-ci aurait été immensément faible. De même qu’une montre trouvée dans le désert ne s’explique pas par hasard et implique un horloger qui l’a fabriquée, de même il est certain que, Dieu ou pas, une volonté immanente a crée cet être improbable. Cela démontre qu’il y a une essence, une nature de chaque espèce, de même qu’il y a des natures délinquantes et d’autres non chez les Humains, ainsi qu’une nature féminine et une nature masculine, comme le montre l’instinct guerrier chez les Hommes et l’instinct maternel chez les Femmes ». .R Meinnachbach, Für eine erfolgreiche intellektuellen Betrug in der Frage der panda, Oxbridge Ed. 1974, pp. 274-275

(3 points)

Consignes

Ce travail peut être réalisé seul-e, à deux, trois ou quatre, moyennant que les noms (+ cursus + université) soient indiqués sur la copie.

Les critères d’évaluation sont les mêmes que vous soyez 1 ou 4, ceci afin de vous encourager à collaborer.

Il est attendu de vous :

– que vous soyez précis et rigoureux dans vos références, dans vos arguments, dans vos sources

– que vous réinvestissiez les outils méthodologiques du cours

– que vous justifiiez chacun des arguments que vous employez

– que vous fassiez appel à des spécialistes si vos compétences sont dépassées

– que vous rendiez le 6 mai une version papier reliée ou agrafée + une version informatique par mail.

Normalement, la copie type pour avoir tous les points fait environ 10 pages police Times New Roman 12.

Bon courage.

Richard Monvoisin

Atelier sur les questions d'éducation genrée dans le travail social

Voici le déroulé d’un atelier intitulé « Éducation sexuée : les questions de genre dans le travail social », élaboré dans le cadre d’un projet d’étudiants1 de Carrières Sociales, option Éducateur-rice Spécialisé-e, de l’IUT2 de Grenoble. Un groupe d’étudiant-e-s a mené un atelier/débat sur les questions d’homoparentalité avec leurs collègues de promotion de seconde année, futurs éducatrices et éducateurs spécialisés. Leur démarche est un exemple de mise en place de débat, sur des modalités atypiques, afin de susciter et faciliter l’analyse de sujets fortement passionnés et dépasser la simple expression de points de vue, tout cela avec une forte contrainte de temps (1h30).

Atelier réalisé et animé et décrit par Mathilde Barthélémy, Julie Olivier et Morgane Rabaté, en avril 2013.


Introduction

L’homoparentalité a fait débat ces derniers mois sur la scène politique française. En lien avec les questions de genre, la problématique que le sujet a pu soulever, entre-autre, est la suivante : deux personnes du même sexe ont-elles toutes les qualités requises pour élever un enfant ? La complémentarité éducative des genres est-elle toujours d’actualité ?

Tous les médias ont relayé les arguments pour et contre permettant à chacun de s’en saisir pour alimenter sa propre réflexion. Les participants avaient donc déjà réfléchi, a priori, à la question avant cette journée. Partir des raisonnements personnels de chacun était pour nous la manière la plus pertinente de sensibiliser les étudiants à ces questions et de leur donner envie de les approfondir.

Nous avons sollicité l’appui de Nicolas Gaillard du Collectif Cortecs dans l’élaboration de cet atelier.

Nous voulions amener notre atelier de façon ludique de manière à mettre à l’aise, à intéresser chacun et donc, à faciliter l’échange. Sous forme de jeu, nous avons scindé le groupe en deux, de manière arbitraire. Nous ne voulions pas d’un débat où chacun exprimerait sa propre opinion mais où le raisonnement et l’élaboration seraient mis en avant.

Déroulement de l’atelier

1. Constitution des groupes

Pour encourager la démarche d’argumentation plutôt que la défense de sa propre position sur l’homoparentalité, nous avons constitué deux groupes au hasard. Pour cela nous avons commencé par un jeu en début d’atelier : en imaginant une ligne qui sépare en deux la salle, les participants avaient comme consigne de se placer chacun.e d’un côté (« oui ») ou de l’autre (« non ») pour répondre à une liste de questions tordues (aimez-vous le fromage ? Suivez-vous l’actualité sportive ? Etc.). Quand une des questions à partagé les participants en deux groupes égaux, nous avons décrété que les « Pour » étaient d’un côté et les « Contre » de l’autre pour passer à la suite.

2. Phase d’élaboration des arguments

Les « Pour » et les « Contre » devaient donc chercher des arguments en groupe et à l’écrit en vue de la seconde partie de l’atelier, indépendamment de leur propre opinion et position sur la question. Nous avons participé à leur réflexion en l’alimentant par nos recherches préalables et en étayant les arguments dans chacun des groupes.

3. Confrontation des arguments et débat

Les deux groupes se sont répondus successivement sur les mêmes arguments. Nous régulions la parole pour que chacun-e puisse aller au bout de son idée. (voir le contenu des échanges plus bas en annexe ).

4. Bilan avec les participants

Voici des réponses des étudiants :

« Il est intéressant de réfléchir autrement si on est dans le groupe qui ne défend pas nos positions. Puis, si on est dans le groupe qui défend nos positions, on cherche des arguments fondés et on ne s’appuie pas sur des préjugés pour débattre. »

« Les médias véhiculent des bêtises que les gens répètent bêtement. Cela nous permet une certaine remise en question de ce qu’on entend. »

« Notre formation nous permet d’avoir une certaine ouverture d’esprit, et des arguments plus objectifs, en s’appuyant également sur des médias plus appropriés, plus objectifs que d’autres. »

« Pour débattre, nous nous sommes appuyés sur nos connaissances, en essayant d’être logique dans les propos qu’on avançait. Il était plus difficile pour nous d’être dans le groupe « contre » pour trouver des arguments « contre » nous avons pensé aux arguments « pour » et nous avons essayé de les inverser. »

Bilan de l’atelier

Nous avons été impressionnées à la fois par l’engagement des étudiants dans le jeu de rôle et par la pertinence des arguments avancés (cf Annexe). En ce sens, notre objectif de sensibilisation a été atteint grâce à l’aspect ludique de l’atelier et aux modalités de réflexion.

Outre le questionnement autour des normes de genre, ce débat avait pour but de déconstruire les idées reçues et de privilégier l’objectivité des arguments. A la fin de l’atelier, nous avons donc questionné cet aspect.

Pour conclure, nous pouvons donc faire le lien entre l’adoption homosexuelle et les questions de genre en nous appuyant sur les propos des étudiants lors de l’atelier.

Ce sont des préjugés qui poussent à dire que telle ou telle pratique est sexuée, en réalité, la tâche à accomplir avec l’enfant, la posture à avoir, les valeurs à transmettre dépendent avant tout d’une personne avant de dépendre d’une personne sexuée. C’est pourquoi, pendant le débat le groupe « pour » a insisté sur le fait que ce qui compte c’est la sécurité physique, affective de l’enfant, et que ces besoins primaires, secondaires soient assurés. Pourquoi un couple homosexuel ne serait-il pas capable de garantir cela à son enfant ? La figure d’attachement peut être un couple homosexuel pour l’enfant, tant que les parents sont aimants et attentifs au bien-être de l’enfant, qu’est-ce qui empêche deux femmes ou deux hommes de transmettre des valeurs à leurs enfants et d’être un repère pour ces derniers ?


Annexe

Les arguments du débat : Pour ou Contre l’adoption par des couples homosexuels ?

Attention : afin de décortiquer ces arguments formulés « à froid » pour cet atelier, on lira avec profit sur le site du cortecs : « pour en savoir plus sur la notion de genre « .

Contre : Chaque enfant a besoin d’une figure d’attachement paternelle et d’une figure d’attachement maternelle. Il faut conserver l’image de la famille nucléaire.

Pour : La figure d’attachement n’est pas forcément le père ou la mère. C’est quelqu’un qui prend soin de l’enfant au quotidien. Les personnes homosexuelles ont la capacité de transmettre les mêmes valeurs que les personnes hétérosexuelles.

Contre : L’autorité est incarnée par le père donc dans un foyer il faut forcément un homme.

Pour : Ceci est un cliché, pourquoi le père incarnerait forcément l’autorité ?

Contre : C’est une question d’identification. Comment des parents de sexe masculin par exemple pourront expliquer à leur fille la puberté ?

Pour : L’entourage peut apprendre ces choses-là. Par exemple, une tante ou une cousine pourra parler de puberté avec la jeune fille. De plus, ce n’est pas parce qu’on a un papa et une maman que notre mère sera forcément à même de nous parler de puberté. L’attitude, le rôle d’un parent est différent suivant sa personnalité et non pas suivant son sexe. On pourrait se poser la même question chez les parents célibataires d’ailleurs. Mais la réponse serait la même. Aussi, chez un couple hétérosexuel, parfois, les deux parents n’ont pas d’autorité, cela ne dépend pas du sexe de ces derniers mais de leur rôle respectif et de leur personnalité.

Contre : A l’école l’enfant de parents de même sexe subira des moqueries, il sera peut être exclu alors que l’école est une instance de socialisation. Aussi, il y aura plus d’homosexuels à l’avenir car les enfants répéteront le modèle de leurs parents par identification.

Pour : Certes, les enfants sont durs entre eux, mais pas seulement avec les enfants ayant des parents homosexuels. Le jeune qui est obèse dans une classe peut être rejeté également par ses camarades.

Contre : Oui, mais il n’y a pas de personne contre l’obésité par exemple, alors qu’il y a des personnes contre l’adoption homosexuelle. Avoir un enfant lorsqu’on est homosexuel ce n’est pas dans les mœurs, ce n’est pas naturel, ce n’est pas normal.

Pour : Quand la loi passera cela entrera dans les mœurs car le phénomène va se multiplier. Autrefois, une femme qui élevait seule son enfant était insultée de « salope » alors qu’aujourd’hui le fait qu’une femme élève seule son enfant fait partie des mœurs. Ce sont les hommes qui font la société. Aujourd’hui la société change, il faut donc s’adapter et que les lois suivent la volonté de la majorité du peuple.

Contre : La douleur endurée par les femmes lorsqu’elles se faisaient traiter de « salope », sera également présente pour les enfants dont les parents sont homosexuels.

Pour : On n’interdit pas à une femme d’élever son enfant seule, pourquoi interdire à un couple homosexuel d’avoir un enfant ?

Contre : La religion est contre l’adoption homosexuelle.

Pour : La France est un État laïque depuis 1905 alors pourquoi interdire à des gens qui s’aiment d’avoir un enfant ?

Contre : Les enfants souffriront d’avoir des parents homosexuels.

Pour : L’enfant n’aura jamais eu un père et une mère donc il ne pourra pas souffrir de ne pas en avoir puisqu’il n’aura jamais connu ses parents hétérosexuels. L’enfant peut se poser des questions bien sûr, mais tous les enfants s’en posent. Pourquoi ma mère a quitté mon père ?etc. Tous les enfants se comparent. Est-ce que se poser des questions veut dire aller mal ? Ceci est un cliché, sur le couple et sur l’intérêt de l’enfant.

Contre : Une mère sera la mère biologique et l’autre non, il n’y aura pas de lien de sang donc pas de lien reconnu, cela pourra engendrer un manque d’autorité sur l’enfant.

Pour : Ce n’est pas le sang qui lie. Les enfants adoptés par des parents hétérosexuels vivent avec leurs parents adoptifs et peuvent être très heureux comme ça. Le fruit de l’amour entre deux personnes est le fait d’avoir des enfants. Pourquoi empêcher les couples homosexuels qui s’aiment d’avoir des enfants ? Ce qui compte c’est la sécurité physique, affective de l’enfant, que ses besoins primaires, secondaires soient assurés. Pourquoi un couple homosexuel ne serait-il pas capable de garantir cela à son enfant ?

Contre : Tous les enfants adoptés finissent en maison d’enfants à caractère social.

Pour : Vous parlez des maisons d’enfants dans lesquelles vous êtes allés et où il y avait des enfants adoptés. Cela représente un échantillon d’expériences et ce n’est pas représentatif de la réalité. De plus, en maison d’enfants on transmet des valeurs comme peuvent le faire les parents adoptifs ou une tierce personne donc on n’a pas besoin d’être les parents biologiques, d’avoir des liens de sang pour transmettre quelque chose aux enfants.

Contre : Oui mais en maison d’enfants il y a des éducateurs hommes et des éducateurs femmes.

Pour : Qu’est ce qui prouve que cela est nécessaire ? Tel ou tel rôle peut être remplit par tel ou tel « sexe ».


Tout ce que vous n'avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles

Nicolas Pinsault et Richard Monvoisin du CorteX viennent de publier aux Presses Universitaires de Grenoble un ouvrage intitulé « Tout ce que vous n’avez jamais voulu savoir sur les thérapies manuelles », préfacé par Normand Baillargeon.


Ce livre est un manuel subversif, proposant aussi bien des outils critiques que des analyses approfondies de différentes thérapies manuelles très en vogue. On y trouve en outre des questionnements éthiques et sociopolitiques sur l’art de soigner et ses dérives actuelles, ainsi que des concepts épistémologiques puissants. À mettre dans les mains de tous les décideurs en matière de santé, d’éthique et de vie en collectif, et dans toutes les têtes des penseurs critiques.

Ce que nous souhaitons, c’est que ce livre soit lu, critiqué, discuté.

Alors n’hésitez pas à diffuser l’information, à le lire, le critiquer et en discuter… Remarque ? Coquille ? Écrivez-nous.

  • En prêt : il est disponible dans les bureaux du CorteX à Grenoble, (bibliothèque des sciences, IFMK), Montpellier et Marseille ;
  • En commande dans les petites librairies locales près de chez vous (dont nous soutenons l’existence face au grands groupes et sites Internet…) ;
  • En commande sur le site des éditions PUG.

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Est-ce la fin de la kiné ?
Fréquentation accrue de thérapeutes alternatifs, refus récurrents des parcours classiques de soin… Très peu de gens, même parmi les professionnels, connaissent ce qui différencie kiné, ostéo, chiro, kinésio, rebouteux ou encore magnétiseur. Et vous ? À qui allez-vous confier votre corps ?
D’un côté, le monde du bien-être, où se mêlent massage et coaching thérapeutique. De l’autre, des techniques manuelles douteuses, certaines pouvant être dangereuses. Au milieu, le kinésithérapeute : secoué par les modes, bousculé par la logique marchande, submergé par le marketing agressif, il tente comme il le peut de faire de son domaine une vraie discipline, aux outils fiables, à l’éthique solide.
Dans un contexte de scandales sanitaires, de contestation de la médecine classique et du système hospitalier, face aux dérives thérapeutiques parfois sectaires, à la « mercantilisation » du soin, au non-respect éthique et à la désinformation du patient, Nicolas Pinsault et Richard Monvoisin tentent de définir ce que doit être une bonne pratique soignante.
Ce livre unique en son genre s’adresse non seulement à tous les professionnels de santé, mais aussi à tous les patients avertis qui veulent faire la différence entre science et pseudo-science. Les étudiants kinésithérapeutes trouveront également dans cet ouvrage tous les outils méthodologiques nécessaires pour forger une réelle épistémologie de leur profession, loin du prêt-à-penser.

Cherchez bien, il y a même un massage à gagner dedans, par l’auteur de son choix.
 
Parmi un certain nombre de recensions, celle de Charlie Hebdo est ici.
 
 

Le modèle finlandais, par Philippe Descamps

Philippe Descamps, dans le Monde Diplomatique janvier 2013, traite du pays qui propose, selon l’enquête PISA, les meilleurs résultats, et qui plus est, pour un coût moindre. On peut lire ci-dessous le début de son article, et l’écouter commenter celui-ci dans l’émission du 14 janvier 2013 de D. Mermet Là-bas si j’y suis, sur France Inter. 

Des établissements sans classements ni redoublements En Finlande, la quête d’une école égalitaire

Au mois de novembre, des parents d’élèves et des enseignants de Seine-Saint-Denis ont organisé la quatrième Nuit des écoles dans le département. Leur objectif : dénoncer les inégalités territoriales en matière d’enseignement. Dans ce domaine, la Finlande s’érige depuis quelques années en modèle, en raison des excellents résultats qu’elle affiche dans les enquêtes internationales mesurant les acquis des élèves.

Par Philippe Descamps, janvier 2013.

Pour entrer dans l’école élémentaire de Rauma, sur la côte du golfe de Botnie, en Finlande, on ne franchit ni portail ni clôture. On passe simplement devant un grand garage à vélos et des jeux. Du gymnase à la salle de musique, tout semble avoir été pensé pour accueillir des enfants. En quarante-cinq minutes de cours, la professeure d’anglais enchaîne cinq activités différentes. Elle capte l’attention de tous dès les premières secondes, grâce à une balle qui circule en même temps que la parole. Un dispositif qui n’est pas inconnu des salles de classe d’autres pays mais qui, avec un nombre moyen de 12,4 jeunes par enseignant finlandais — soit l’un des meilleurs taux d’encadrement pour le primaire en Europe —, semble tout particulièrement efficace ici.

À la mi-août, les moissons n’étaient pas encore terminées lorsque Mmes Fanny Soleilhavoup et Fabienne Moisy ont accompagné leurs enfants pour une seconde rentrée dans ce pays. Enseignantes françaises en disponibilité pour suivre leurs conjoints, elles n’imaginaient pas que leur choix de l’école locale, plutôt que de l’établissement français à leur disposition, bouleverserait leur approche de l’éducation. « Mes trois fils sont en train de devenir des gens bien, ajoute Mme Claire Herpin, décidée à rester loin de la France. On respecte leur différence. Ils respectent les autres. Les professeurs savent les encourager et révéler ce qu’il y a de meilleur en eux. » Dyslexie, simple décrochage ou précocité, ces familles étaient confrontées à des situations pourtant communes, mais que le système français prend difficilement en compte.

Certains auront du mal à croire possible ce qu’elles décrivent : une école sans tension nerveuse, sans compétition entre élèves, sans concurrence entre établissements, sans inspecteurs, sans redoublements, voire sans notes les premières années, et qui aurait les meilleurs résultats du monde.

Les enquêtes du Programme international pour le suivi des acquis des élèves (PISA) de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) suscitent une grande inquiétude en Allemagne ou au Royaume-Uni, alors qu’elles sont encore peu commentées en France ou aux États-Unis, pourtant pas mieux classés. Malgré leurs investissements dans l’éducation, ces grands pays apparaissent seulement dans la moyenne de l’OCDE pour les capacités des jeunes de 15 ans en compréhension de l’écrit, en mathématiques et en sciences (1). Outre leur rigueur méthodologique visant à écarter tout biais culturel, ces évaluations présentent l’intérêt de ne pas porter sur l’acquisition d’un programme, mais d’un ensemble de compétences utiles pour comprendre le monde et résoudre des problèmes dans des contextes proches de la vie quotidienne.

Or ces enquêtes ont révélé la Finlande comme un modèle inattendu. Dans la livraison de 2009, qui portait sur soixante-cinq pays, tout comme dans les trois précédentes (2000, 2003 et 2006), elle apparaît dans le groupe de tête pour les performances globales, avec la Corée du Sud et plusieurs villes asiatiques partenaires de l’OCDE (Shanghaï, Hongkong et Singapour). C’est aussi le pays (avec la Corée du Sud) dont les résultats sont les plus homogènes et où les corrélations entre le milieu socio- économique et les performances scolaires s’avèrent les plus faibles. 93 % des jeunes obtiennent par ailleurs un diplôme du niveau bac, contre seulement 80 % en moyenne dans les nations occidentales (2). Le pays se distingue, il est vrai, par des inégalités sociales parmi les plus faibles des membres de l’OCDE.

Les résultats du PISA ont attiré une nouvelle sorte de touristes. A la suite d’une visite au mois d’août 2011, le ministre de l’éducation nationale de l’époque, M. Luc Chatel, expliquait : « Il y a un nombre de recettes, que j’ai vues fonctionner ici, qui sont transposables », notamment « la grande autonomie donnée aux établissements » (3). Un an plus tard,la revue britannique Socialist Review saluait un système « dépourvu d’évaluations » et où « chaque enfant reçoit un déjeuner sain le midi » (4). Qu’il provienne de la droite libérale française ou du trotskisme anglais,chaque observateur étranger vient faire son marché, à la recherche de telle ou telle innovation qui, isolée du reste, validera son propre projet.

Le plus souvent, la presse internationale ignore les conditions spécifiques de la genèse du « modèle » (lire Une lutte politique menée par les parents), auquel plusieurs ouvrages captivants ont été consacrés (5).

Pourtant, ici, décentralisation ne rime pas avec mise en concurrence des territoires, parler de l’implication des professeurs ne se résume pas à vouloir accroître leurs heures de présence dans les établissements, et promouvoir la modération des dépenses ne maquille pas le souhait de promouvoir des prestataires privés. « Oubliez le PISA !, lance M. Jukka Sarjala, l’un des artisans de la réforme scolaire dans les années 1970. Bien sûr, nous sommes fiers de cette consécration de notre travail. Mais il faut regarder notre système comme un ensemble et non pas picorer tel ou tel aspect. »

Le succès finlandais prend racine dans la tradition politique des pays nordiques, attachée aux réalisations concrètes de l’Etat-providence davantage qu’à une doctrine. Sommé de dévoiler la bonne recette pédagogique sur un plateau de la chaîne de télévision américaine PBS, le 10 décembre 2010, le Pr Pasi Sahlberg répond avec un large sourire : « Vous savez, chez nous, l’école est gratuite pour tous, du cours préparatoire à l’université ! »

Difficile, sur la base de tels présupposés, de poursuivre les comparaisons avec le modèle américain…

Méfiance à l’égard des évaluations

En Finlande, la gratuité ne vaut pas seulement pour l’enseignement. Jusqu’à 16 ans, toutes les fournitures sont prises en charge par la collectivité, ainsi que le soutien scolaire, la cantine, les dépenses de santé et les transports jusqu’à l’établissement de secteur.

Le financement provient en majorité des trois cent trente-six municipalités, mais l’Etat harmonise les moyens. S’il ne participe qu’à 1 % du budget scolaire dans la municipalité la plus riche, Espoo (près d’Helsinki), il fournit en moyenne 33 % des ressources (6) et jusqu’à 60 % dans les communes pauvres. Le gouvernement dissuade également l’ouverture d’établissements privés. Ils ont quasiment disparu dans les années 1970 (moins de 2 % des effectifs, contre 17 % en France), à l’exception d’écoles associatives à pédagogie alternative, type Steiner ou Freinet. Ce service public unifié n’apparaît pas particulièrement onéreux, bien au contraire. En parité de pouvoir d’achat, la Finlande dépense moins d’argent par élève du primaire et du secondaire que la moyenne des pays occidentaux, et beaucoup moins que les États-Unis ou le Royaume-Uni (7).

L’accent a été mis sur la qualité de l’encadrement, le nombre et la formation des professeurs. Le métier d’enseignant est devenu hautement considéré et très convoité, même s’il requiert une formation longue (au minimum cinq ans d’université, généralement davantage) et si les salaires suivent grosso modo la moyenne occidentale (8) : nettement plus élevés que les salaires français en début de carrière (36 % de plus dans le primaire, 27 % dans le secondaire), ils s’en rapprochent en fin de carrière. Seul un candidat à l’enseignement sur dix parvient à son but. On attend par ailleurs des professeurs une implication si forte qu’il n’est pas rare que certains confient leur numéro de téléphone ou leur adresse électronique aux parents. Une bonne partie de la formation (au minimum un an) n’est pas consacrée au contenu à transmettre, mais à la pédagogie : la façon de le transmettre.

La directrice adjointe de l’école élémentaire de Rauma, Mme Ulla Rohiola, définit ainsi sa mission : « Nous avons le devoir d’intégrer tous les enfants. Chacun d’eux est important ! » Tout handicap, différence, difficulté sociale, affective ou scolaire doit trouver une réponse. « Si vous êtes à l’aise dans le groupe et que vous apprenez à votre niveau, vous n’avez pas de frustration, précise-t-elle. Un jeune rapide peut vivre toute sa scolarité avec un camarade plus lent, lorsque l’on prend en compte au quotidien les besoins de chacun. ».  Alors que le modèle international promeut les indicateurs de performance, les audits et les classements, les pédagogues finlandais défendent un autre usage des évaluations. Elles doivent demeurer un outil de réajustement des moyens ou des méthodes au service de l’épanouissement des enseignants et des enfants, jamais un outil de contrôle ou de concurrence. C’est pourquoi les évaluations sont réalisées par échantillons et pas au niveau national. Chacun connaît ses résultats, mais pas ceux des autres écoles. Plusieurs municipalités ont d’ailleurs attaqué en justice les journaux qui voulaient publier des classements. Et même quand les tribunaux ont donné tort à l’administration, une bonne partie de la presse a préféré garder le silence.

« Dans les années 1990, on a encouragé la concurrence entre les écoles, un élu conservateur d’Helsinki les a même invitées à faire de la publicité. Aujourd’hui, on a compris que c’était une erreur », explique M. Susse Huhta, professeur de finnois à Helsinki. Avec l’abolition de la carte scolaire, la quête des écoles les plus réputées, marginale ailleurs, devient un phénomène important dans la capitale, où 30 % des enfants de classe 7 (13 ans) ne vont pas dans l’établissement de leur quartier. Elle ne fait que suivre la croissance rapide des inégalités et l’évolution sociale de la Finlande, selon M. Tuomas Kurttila, directeur de la Ligue des parents : « Notre politique éducative risque de devenir une simple vitrine, alors que nos politiques sociales se dégradent. Les succès d’aujourd’hui ont été construits dans les années 1970 et 1980. Le succès de demain se bâtit aujourd’hui. Encore trop d’enfants ne dépassent pas la scolarité obligatoire. Je suis optimiste, mais nous devons rester vigilants devant la montée des disparités. » « On demande à l’école de répondre à tous les problèmes de la société. Ce qu’elle peut difficilement faire », complète M. Petri Pohjonen, directeur adjoint du Bureau national de l’éducation.

Après avoir longtemps dirigé une école puis le service éducation de la ville de Vantaa, voisine d’Helsinki, M. Eero Väätäinen résume un sentiment largement partagé chez les enseignants finlandais : « Nous devons garder en tête que les enfants ne sont pas à l’école pour passer des tests. Ils viennent apprendre la vie, trouver leur propre chemin. Est-ce que l’on peut mesurer la vie ? » Dans le pays européen le mieux classé dans les palmarès internationaux, on se méfie beaucoup des classements.

Notes

(1) OCDE, Résultats du PISA 2009,
en six volumes, Editions OCDE, Paris, 2011.

(2) Statistique de l’OCDE, 2010.

(3) « En visite en Finlande, Chatelprépare la rentrée et 2012 », LesEchos, Paris, 19 août 2011.
(4) Terry Wrigley, « Growing up inGoveland : How Politicians AreWrecking Schools », Socialist Review,Londres, juillet-août 2012.
(5) Paul Robert, La Finlande : unmodèle éducatif pour la France ? Lessecrets de la réussite, ESF éditeur,2008 ; Pasi Sahlberg, FinnishLessons : What Can the World Learn from Educational Change inFinland ?, Teachers College Press,New York, 2011 ; Hannele Niemi, Auli Toom et Arto Kallioniemi,
Miracle of Education : The Principles and Practices of Teaching andLearning in Finnish Schools, Sense Publishers, Rotterdam, 2012.
(6) Données du Bureau national de l’éducation,agence indépendantechargée du suivi des programmes et de l’évaluation de l’enseignement primaire et secondaire.
(7) OCDE, Regards sur l’éducation2010.
(8) Idem.

© 2013 SA Le Monde diplomatique

Difficile, sur la base de tels présupposés,de poursuivre les comparaisons avec le modèle américain…

Méfiance à l’égard des évaluations

En Finlande, la gratuité ne vaut passeulementpourl’enseignement.
Jusqu’à 16 ans, toutes les fournituressont prises en charge par la collectivité, ainsi que le soutienscolaire, la cantine, les dépenses desanté et les transports jusqu’àl’établissementdesecteur.


Le financement provient en majorité des trois cent trente-six municipalités, mais l’Etat harmonise les moyens. S’il ne participe qu’à 1 % du budget scolaire dans la municipalité la plus riche, Espoo (près d’Helsinki), il fournit en moyenne 33 % des ressources (6) et jusqu’à 60 % dans les communes pauvres.
Le gouvernement dissuade également l’ouverture d’établissements privés. Ils ont quasiment disparu dans les années 1970 (moins de 2 % des effectifs, contre 17 % en France), à l’exception d’écoles associatives à pédagogie alternative, type Steiner ou Freinet.

Ce service public unifié n’apparaît pas particulièrement onéreux, bien au contraire. En parité de pouvoir d’achat, la Finlande dépense moins d’argent par élève du primaire et du secondaire que la moyenne des pays occidentaux, et beaucoup moins que les États-Unis ou le Royaume-Uni (7).

L’accent a été mis sur la qualité del’encadrement, le nombre et laformation des professeurs. Le métierd’enseignant est devenu hautementconsidéré et très convoité, même s’ilrequiert une formation longue (auminimum cinq ans d’université,généralement davantage) et si lessalaires suivent grosso modo lamoyenne occidentale (8) : nettementplus élevés que les salaires françaisen début de carrière (36 % de plusdans le primaire, 27 % dans lesecondaire), ils s’en rapprochent enfin de carrière. Seul un candidat àl’enseignement sur dix parvient à sonbut. On attend par ailleurs desprofesseurs une implication si fortequ’il n’est pas rare que certainsconfient leur numéro de téléphone ouleur adresse électronique aux parents.Une bonne partie de la formation (auminimum un an) n’est pas consacréeau contenu à transmettre, mais à lapédagogie : la façon de le transmettre.

La directrice adjointe de l’écoleélémentaire de Rauma, Mme UllaRohiola, définit ainsi sa mission : «Nous avons le devoir d’intégrer tousles enfants. Chacun d’eux estimportant ! » Tout handicap,différence, difficulté sociale, affectiveou scolaire doit trouver une réponse.« Si vous êtes à l’aise dans le groupeet que vous apprenez à votre niveau,vous n’avez pas de frustration,précise-t-elle. Un jeune rapide peutvivre toute sa scolarité avec uncamarade plus lent, lorsque l’onprend en compte au quotidien lesbesoins de chacun. ».

Alors que le modèle international promeut les indicateurs de performance, les audits et les classements,les pédagogues finlandais défendent un autre usage des évaluations.
Elles doivent demeurer un outil de réajustement des moyens ou des méthodes au service de l’épanouissement des enseignants et des enfants, jamais un outil de contrôle ou de concurrence. C’est pourquoi les évaluations sont réalisées par échantillons et pas au niveau national. Chacun connaît ses résultats, mais pas ceux des autres écoles. Plusieurs municipalités ont d’ailleurs attaqué en justice les journaux qui voulaient publier des classements. Et même quand les tribunaux ont donné tort à l’administration, une bonne partie de la presse a préféré garder le silence.
« Dans les années 1990, on a encouragé la concurrence entre les écoles, un élu conservateur d’Helsinki les a même invitées à faire de la publicité.

Aujourd’hui, on a comprisque c’était une erreur », explique M.Susse Huhta, professeur de finnois àHelsinki. Avec l’abolition de la cartescolaire, la quête des écoles les plusréputées, marginale ailleurs, devientun phénomène important dans lacapitale, où 30 % des enfants declasse 7 (13 ans) ne vont pas dansl’établissement de leur quartier. Ellene fait que suivre la croissance rapidedes inégalités et l’évolution sociale dela Finlande, selon M. TuomasKurttila, directeur de la Ligue desparents : « Notre politique éducativerisque de devenir une simple vitrine,alors que nos politiques sociales sedégradent. Les succès d’aujourd’huiont été construits dans les années1970 et 1980. Le succès de demain sebâtitaujourd’hui.

Encoretropd’enfants ne dépassent pas lascolaritéobligatoire.Jesuisoptimiste, mais nous devons restervigilants devant la montée desdisparités. » « On demande à l’écolede répondre à tous les problèmes delasociété.Cequ’ellepeutdifficilement faire », complète M.Petri Pohjonen, directeur adjoint duBureau national de l’éducation.

Après avoir longtemps dirigé une école puis le service éducation de la ville de Vantaa, voisine d’Helsinki,M. Eero Väätäinen résume un sentiment largement partagé chez les enseignants finlandais : « Nous devons garder en tête que les enfants ne sont pas à l’école pour passer des tests. Ils viennent apprendre la vie,trouver leur propre chemin. Est-ce que l’on peut mesurer la vie ? » Dans le pays européen le mieux classé dans les palmarès internationaux, on se méfie beaucoup des classements.

CorteX_Dr_Monvois

Thèse de Richard Monvoisin – Pour une didactique de l’esprit critique

Libre service ! On trouvera ici Pour une didactique de l’esprit critique – Zététique & utilisation des interstices pseudoscientifques dans les médias, la thèse de didactique des sciences de Richard Monvoisin, soutenue à L’Université Joseph Fourier de Grenoble le 25 octobre 2007.

La thèse à télécharger :
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Sujet – Le développement et l’enseignement d’outils zététiques à partir des défauts de la vulgarisation et de la médiatisation des sciences.
Pour les étudiants / journalistes / enseignants, elle contient un certain nombre d’effets et de biais de raisonnement, de mises en scènes médiatiques de la science, et présente quelques fiches pédagogiques.

Cette thèse a été soutenue devant un jury composé de :
CorteX_H.BrochHenri Broch, professeur de physique et directeur du laboratoire de zététique à l’Université de Nice-Sophia Antipolis (co-directeur de thèse).
Patrick Lévy, professeur de médecine, directeur de recherche à l´Institut du Sommeil etCorteX_Patrick_Levy de la Vigilance et directeur du laboratoire Hypoxie-Physiopathologie (HP2) de l’Université Joseph Fourier, Grenoble 1 (co-directeur de thèse).
CorteX_Claudine_KahaneClaudine Kahane, professeur d’astrophysique moléculaire à l’Observatoire de Grenoble de l’Université Joseph Fourier, Grenoble 1.
Jean Bricmont, professeur de physique théorique de l’Unité de physique théorique et deCorteX_Bricmont physique mathématique à l’Université Catholique de Louvain (rapporteur).
CorteX_guillaume_lecointreGuillaume Lecointre, professeur du département « Systématique et Evolution » au Muséum national d’Histoire Naturelle, Paris (rapporteur).

Pour toute question, suggestion, correction, correspondance avec l’auteur : Richard.Monvoisin@univ-grenoble-alpes.fr

CorrteX_Annonce_these_Monvoisin
Crédits photos
– Dr Monvois : Eric Bevillard
– Annonce de thèse : François B

Pensée critique ? Esprit critique ? Un peu de théorie

Dans ce texte, je tenterai de présenter quelques aspects théoriques sur une notion dont nous parlons assez souvent sur ce site, à savoir l’esprit critique. J’ajoute quelques réflexions sur l’importance de développer cet esprit critique dans les cours de sciences. Certes, c’est assez froid comme texte mais il me semblait utile de rappeler que plusieurs chercheurs se sont penchés sur ces questions. Le bilan de tout cela ? Peu d’outils concrets à nous mettre sous la dent mais une assise théorique qui peut donner des idées ou, en tout cas, permettre de savoir de quoi on parle…

Tout d’abord commençons par quelques éclaircissements sur des mots que nous rencontrerons par la suite :

  • par attitude, j’entends un ensemble de dispositions, de postures morales ou encore de savoir-être qui représentent, pour un individu la tendance à agir face à un stimulus extérieur ;
  • par capacité (ou encore habileté, savoir-faire), j’entends toute aptitude acquise ou à acquérir pour penser ou agir ;
  • par compétence, un ensemble de connaissances, de capacités et d’attitudes appropriées à un contexte donné.

Qu’entend-on par esprit critique ?

L’expression « esprit critique » est constituée des mots esprit et critique. Le terme « esprit » recouvre un vaste ensemble de définitions, mais dans son acception la plus courante, il signifie l’ensemble des facultés intellectuelles d’un être pensant, l’âme ou encore la conscience. Quant à « critique » (du grec kritikos « capable de discernement ») et par prolongement « critiquer », on peut trouver cette définition :

CRITIQUER, verbe trans.
A. La critique est un examen raisonné, objectif, qui s’attache à relever les qualités et les défauts et donne lieu à un jugement de valeur.
1. Emploi abs. Exercer son intelligence à démêler le vrai du faux, le bon du mauvais, le juste de l’injuste en vue d’estimer la valeur de l’être ou de la chose qu’on soumet à cet examen.

L’esprit critique serait ainsi, pris mot pour mot, l’ensemble des facultés intellectuelles ayant pour point commun la capacité à passer au crible de la raison une assertion soumise à l’examen.

Soit. Mais il nous faut aller plus loin. En effet, que met-on derrière ces « facultés intellectuelles » ? Pour cela, aidons-nous de Jacques Boisvert, psychologue et dont le thème traité ici est une des spécialités.

Pensée critique ou esprit critique ?

Le terme de « pensée critique » est également utilisé, souvent comme synonyme d’esprit critique. Pourtant, Boisvert signale une première distinction entre ces deux expressions :

L’esprit critique, ou attitude critique, représente le deuxième élément de la pensée critique. Pour que l’élève soit un penseur critique, [il] n’est pas suffisant (même si c’est nécessaire) que celui-ci maîtrise l’évaluation des raisons. La personne doit en effet manifester un certain nombre d’attitudes, de dispositions, d’habitudes de pensée et de traits de caractère que l’on peut regrouper sous l’étiquette « attitude critique » ou « esprit critique ». De façon générale, cela signifie que le penseur critique doit non seulement être capable d’évaluer des raisons adéquatement, mais qu’il doit aussi avoir tendance à le faire, y être disposé. (Boisvert, 1999, p.27)

Ce passage me semble assez clair mais développons encore un peu. D’après Boisvert, il semblerait que la pensée critique soit composée de deux éléments dont l’un d’eux serait l’esprit critique, défini comme une attitude, ou plus précisément un ensemble d’attitudes qui poussent l’individu à avoir tendance à être critique.

L’esprit critique serait donc en quelque sorte la posture intellectuelle, l’état d’esprit que le penseur critique doit toujours adopter lorsqu’il est confronté à une nouvelle source d’information, à un problème qui, finalement, ne se pose pas forcément [1]. Par exemple, si l’on entend à la radio que « la molécule de la foi » a été identifiée [2], l’attitude attendue serait de se poser un minimum de questions sur cette affirmation – pour le moins surprenante – en cherchant les raisons d’y adhérer. Là réside la différence entre faire preuve ou non d’esprit critique : avoir tendance à utiliser son « outillage critique ».
Le penseur critique doit avoir une inclinaison à la critique. Mais il doit aussi être capable de le faire correctement : il peut agir, évaluer des affirmations et poser des jugements sur la base de raisons. C’est donc le deuxième élément que Boisvert signale comme « un ensemble de capacités à évaluer les raisons ».
Boisvert cite également les travaux précurseurs d’un psychologue anglo-saxon, Robert H. Ennis. C’est de son approche que le concept de pensée critique s’est étendu au double aspect attitude-capacité. Ennis définit la pensée critique comme « une pensée raisonnable et réflexive orientée vers une décision quant à ce qu’il faut croire ou faire » . Bien que les habiletés permettent un jugement éclairé et raisonné, constituant ainsi la part technique de la pensée critique, Ennis ne se limite pas à celles-ci et inclut également les différentes attitudes propres au penseur critique, c’est-à-dire la tendance à être critique.
Nous pouvons alors définir la pensée critique comme la synthèse d’une disposition, d’une tendance, bref d’attitudes dont il faut user en permanence (= esprit critique) et d’une somme de savoir-faire formant un outillage qu’il faut être capable d’utiliser :

Pensée critique = esprit critique (attitudes) + ensemble de capacités

On retrouve une liste (non exhaustive) des différentes attitudes et capacités qu’ont identifié Ennis et d’autres ci-dessous :

 
Capacités caractéristiques de la pensée critique Attitudes caractéristiques de la pensée critique
C1. La concentration sur une question. A1. Le souci d’énoncer clairement le problème ou la position.
C2. L’analyse des arguments. A2. La tendance à rechercher les raisons des phénomènes.
C3. La formulation et la résolution de questions de clarification ou de contestation. A3. La propension à fournir un effort constant pour être bien informé.
C4. L’évaluation de la crédibilité d’une source. A4. L’utilisation de sources crédibles et la mention de celles-ci.
C5. L’observation et l’appréciation de rapports d’observation. A5. La prise en compte de la situation globale.
C6. L’élaboration et l’appréciation de déductions. A6. Le maintien de l’attention sur le sujet principal.
C7. L’élaboration et l’appréciation d’inductions. A7. Le souci de garder à l’esprit la préoccupation initiale.
C8. La formulation et l’appréciation de jugements de valeur. A8. L’examen des différentes perspectives offertes.
C9. La définition de termes et l’évaluation de définitions. A9. L’expression d’une ouverture d’esprit.
C10. La reconnaissance de présupposés. A10. La tendance à adopter une position (et à la modifier) quand les faits le justifient ou qu’on a des raisons suffisantes de le faire.
C11. Le respect des étapes du processus de décision d’une action. A11. La recherche de précisions dans la mesure où le sujet le permet.
C12. L’interaction avec les autres personnes (par exemple, la présentation d’une position à l’aide d’une argumentation orale ou écrite). A12. L’adoption d’une démarche ordonnée lorsqu’on traite des parties d’un ensemble complexe.
  A13. La tendance à mettre en application des capacités de la pensée critique.
  A14. La prise en considération des sentiments des autres, de leur niveau de connaissance et de leur degré de maturité intellectuelle.

Le rôle des connaissances : la compétence critique

Une dimension importante n’est pas précisée par ces listes : celle des connaissances disciplinaires nécessaires pour exercer la pensée critique. En  effet, on pourrait penser que, quelque soit le domaine, il existe des dimensions propres à la pensée critique et que l’on peut acquérir et appliquer celles-ci sous forme d’habiletés et d’attitudes, quel que soit le sujet étudié. Boisvert précise que cette idée d’un ensemble d’habiletés générales et transférables fait débat. Ainsi, on pourrait imaginer que la pensée critique varie au contraire, d’un domaine à l’autre, et qu’elle ne constitue pas un ensemble unique d’habiletés générales et transférables. En tenant compte de cette  dernière remarque, on peut alors avoir une approche sans doute plus complète de la pensée critique, incluant le rôle des connaissances dans un thème particulier. En effet, l’analyse d’argument, la définition des termes et l’évaluation de définitions sont des exemples parmi d’autres de capacités listées par Ennis et qui nécessitent un savoir adéquat dans le domaine où s’applique la pensée critique. L’importance de ces dernières dans le domaine examiné  fait bien partie de ce que l’on entend par pensée critique. En prenant un exemple concret, si nous lisons dans une revue que la physique quantique permet d’expliquer la télépathie, nous aurons beau maîtriser l’analyse des arguments et des définitions ou l’évaluation de la crédibilité des sources, notre absence de connaissances en physique quantique sera un frein important à cette entreprise de décorticage de l’information.

On peut objecter deux choses à cela. La première, c’est qu’il suffit d’avoir recours à un spécialiste de la question et ainsi se rapprocher de la vérité (au sens de vérité matérielle et non morale). Ceci est tout à fait exact, c’est même à mon avis une capacité importante que de savoir chercher un avis extérieur de confiance. La seconde serait de reprendre certaines études sociologiques [3] conduites depuis plusieurs années : le niveau de croyance au « paranormal » n’est pas inversement corrélé au niveau d’étude ce qui, avec une bonne approximation, exprime un certain niveau de connaissances. Mais si ce critère n’est pas à lui seul responsable du manque de sens critique de la population sondée, il en est certainement une des causes, notamment en terme de connaissances scientifiques. De plus, si penser de façon autonome est bien une caractéristique du penseur critique, rechercher en permanence un avis extérieur peut, à l’inverse, nous freiner dans notre entreprise. Que peut-on dire alors de la pensée critique ? Je proposerai comme « définition » la triple entrée « attitudes-capacités-connaissances »  ce qui l’identifie à une compétence (comme définie ci-dessus) : la compétence critique. Celle-ci regroupe un ensemble de capacités et d’attitudes critiques générales, et nécessitant un niveau de connaissances minimum en lien avec le problème ou l’information examinée. Par commodité, nous avons pris pour habitude de ne parler que d’esprit critique mais n’oublions pas que cette expression n’est pas si triviale et engage un certain nombre d’autres conceptions.

Pourquoi développer la pensée critique ?

Pourquoi vouloir à tout prix développer la pensée critique ? J’aime à penser que l’on ne peut bâtir nos connaissances sur des informations peu ou pas vérifiées. Comme F. Bacon le précisait en son temps, nos sens et notre raisonnement s’égarent en permanence, trompés et poussés à commettre des erreurs. Autant d’idoles – telles qu’il les nommait – à éviter pour accéder à la connaissance. Nous sommes confrontés à tant de médias, tant de données, que notre cerveau a pris pour habitude, par gain de temps, de faire confiance à la majorité d’entre eux, pour peu qu’ils proviennent d’une source que nous jugeons « fiable ». Mais qu’est-ce qu’une source fiable ? Le « 13 heures » de France 2 ? Le Nouvel Observateur ? Charlie Hebdo ? Le Monde ? RTL ? Le blog de mon voisin  (ahah) ? Wikipédia ? Cette difficile voire impossible identification nous renvoie à la première tâche du penseur critique : vérifier la source de l’information. Mais quand le nombre de nouvelles, de scoops, d’études, atteint un seuil critique, le temps passé à vouloir tout examiner dépasse de loin l’âge de l’Univers. L’analyse se fait alors moins souvent et moins bien, l’impression prend la place du jugement éclairé et entraîne l’individu soit dans un choix factice (a-t-il vraiment le choix s’il ne peut juger ?) entre des éventualités dont la véracité est indiscernable, soit dans une sorte d’indétermination chronique. Dans un cas comme dans l’autre, être dans l’incertitude ou dans la crainte des événements à venir conduit à une situation inconfortable. Pour se rassurer, diverses stratégies sont mises au point, inconsciemment ou pas, afin de nous ramener à une réalité bienveillante. Ces moments où l’on ne maîtrise pas notre futur sont la source principale des superstitions. Spinoza l’écrivait déjà :

Si les hommes pouvaient régler toutes leurs affaires suivant un dessein arrêté ou encore si la fortune leur était toujours favorable, ils ne seraient jamais prisonniers de la superstition. Mais souvent réduits à une extrémité telle qu’ils ne savent plus que résoudre, et condamnés, par leur désir sans mesure des biens incertains de fortune, à flotter presque sans répit entre l’espérance et la crainte, ils ont très naturellement l’âme encline à la plus extrême crédulité ; est-elle dans le doute, la plus légère impulsion la fait pencher dans un sens ou dans l’autres, et sa mobilité s’accroît encore quand elle est suspendue entre la crainte et l’espoir, tandis qu’à ses moments d’assurance elle se remplit de jactance et d’orgueil. (Spinoza,Traité théologico-politique)

Cette observation des comportements a, en quelque sorte, été confirmée par les travaux menés en psychologie sociale : lorsqu’un individu est mis en situation de non contrôle cognitif [4], il a plutôt tendance à interpréter les faits en ayant recours à des explications relevant de croyances « magiques » qu’à des explications plus « rationnelles » (Deconchy & Hurteau, 1998). Dans cet état, « il rejetterait toute activité cognitivement coûteuse et préfèrerait utiliser des procédures heuristiques peu coûteuses en ressource cognitive»

Dans ces conditions, être aguerri aux techniques nous permettant de démêler le vrai du faux, de juger de la pertinence d’une information à partir de critères solides, représente plus que le simple développement d’une compétence quelconque. Cette aptitude indispensable que le penseur critique est en mesure d’exercer (habiletés) et à tendance à exercer (attitudes) constitue un enjeu que l’éducation ne doit pas prendre à la légère.

Dans les programmes de Physique-Chimie ou de Sciences de la Vie et de la Terre au collège, on sent très nettement une volonté de familiariser les élèves aux méthodes de la science. La démarche d’investigation qui y est mise en place se retrouve également dans les enseignements de Mathématiques ou bien de Technologie. Mais je doute du réel objectif de celle-ci. En effet, depuis quelques années, une désaffection est enregistrée pour les études scientifiques post-bac, notamment en physique, chimie et mathématiques. Relancer ces vocations semble donc être le but réel de cette réorientation des instructions officielles : il nous faut des scientifiques. Si cet objectif n’est pas contestable en soi, la manière d’opérer me paraît cependant masquer les enjeux réels de la formation scientifique. Tous les élèves de troisième qui auront apprécié les cours de science seront-ils engagés par le CNRS dans la recherche sur la théorie des cordes ou sur le calcul stochastique ? Évidemment, non. Certains seront ingénieurs, d’autres enseignants, mais la plupart auront bifurqué vers d’autres routes, sans aucun rapport avec le monde scientifique. Pour ces futurs hommes et femmes, l’ambition première d’un enseignement scientifique devrait être d’apporter les bases d’une pensée critique en science. Démarche, mais aussi attitudes et aptitudes développées en cours de sciences peuvent, si elles sont traitées dans ce but et de façon explicite, permettre le développement d’un esprit scientifique dont chacun a le droit de bénéficier. Que tous les élèves ne souhaitent pas aller plus loin est bien entendu évident. Mais leur donner la possibilité de choisir en connaissance de cause est une responsabilité qui incombe à tout formateur, de quelque discipline qu’il soit. Je ne néglige pas la part fondamentale que constitue l’acquisition de connaissances et cela même pour développer un comportement critique. Elle fait partie de ce que l’enseignement doit apporter. Mais que deviendra l’élève sorti du milieu scolaire une fois ces connaissances acquises ? Saura-t-il s’en servir ? Saura-t-il faire ses propres choix en connaissance de cause ? Comment pourra-t-il appréhender et trier toutes les informations nouvelles qu’il recevra au cours de sa vie hors des bancs de l’école ? C’est pour permettre de développer l’autodéfense intellectuelle et l’utilisation d’outils critique qu’une pédagogie de la pensée critique est nécessaire dans notre système scolaire. Mais de quelle manière procéder ? Détacher l’enseignement des capacités et attitudes critiques des connaissances et pratiques disciplinaires est une possibilité, par exemple en exerçant les élèves spécifiquement sur la maîtrise des outils de la pensée critique. On peut également intégrer le développement de la pensée critique directement dans les cours de sciences : la pratique expérimentale dans son sens le plus global est une éventualité plus qu’envisageable. Si je suis un ordre en quelque sorte logique, c’est vers la formation des enseignants que nous devrions aussi nous orienter. Il ne semble pas possible de demander aux professeurs de développer l’esprit critique sans leur donner un guide, des repères, des ressources documentaires ou des références en la matière. Que ce soit par l’intermédiaire de la formation continue, de l’Université ou de toute structure adaptée comme le CorteX, l’apprentissage de la pensée critique pourrait constituer un nouvel axe de formation des futurs enseignants. Parce que l’enjeu n’est pas seulement didactique, pédagogique ou encore personnel, mais bien politique : pour que les futurs élèves et étudiants puissent avoir les clés d’un esprit critique clair et raisonnable.

Denis Caroti


Bibliographie associée :

  • BOISVERT Jacques (1999). La formation de la pensée critique. Théorie et pratique. Editions De Boeck Université. Voir dans la Bibliotex.
  • DECONCHY, J.-P., & HURTEAU, C. (1998). Non-contrôle cognitif (learned helplessness), épuisement cognitif et recours à des explications « irrationnelles ». In J.-L. BEAUVOIS, R.-V. JOULE, & J. MONTEIL (Eds.), Perspectives cognitives et conduites sociales (VI) (pp. 103-126). Paris-Lausanne, Delâchaux et Niestlé.
  • GUILBERT Louise, Jacques Boisvert, & N. Ferguson (1999), Enseigner et comprendre. Les Presses de l’Université Laval.
À télécharger pour approfondir : un article de Boisvert intitulé « Développer la pensée critique au collégial » : « Parmi tous les objectifs de formation fondamentale qu’on peut poursuivre au collégial, le développement de la pensée critique est sans aucun doute un des plus importants… et c’est un domaine où il y a beaucoup à faire. »

[1] Ainsi, il ne serait plus question d’avoir une attitude critique si les assertions à examiner étaient clairement étiquetées : « Attention : on doit me remettre en question ». Une des dispositions les plus importantes dont doit faire preuve le penseur critique est d’être en mesure d’appliquer son doute aux problèmes qui ne sont pas forcément identifiés et reconnus comme tels.
[2] Pourquoi Dieu ne disparaitra jamais, Science&vie n°1055, août 2005.
[3] BOY Daniel (2002). Les français et les parasciences : vingt ans de mesure. Revue Française de Sociologie , 43 (1), pp. 35-45.
[4] Le non contrôle cognitif ou encore « épuisement cognitif » d’un individu est crée par une situation ne lui permettant pas de résoudre un problème soumis à son examen.