Effet paillasson – « Populisme », itinéraire d'un mot voyageur, par Gérard Mauger

Voici un mot paillasson tout à fait exceptionnel : le mot populisme. Un excellent texte publié en juillet 2014 par le Monde diplomatique en fait l’analyse.Nous remercions non seulement l’auteur, le sociologue Gérard Mauger, mais également l’équipe du journal de nous autoriser à le reproduire comme outil pédagogique.
La version mise en page est disponible ici. Soutenons le Monde diplomatique, car c’est l’une des dernières presses d’investigation française.
RM

 

visage de G. Mauger« POPULISME », ITINÉRAIRE D’UN MOT VOYAGEUR

Les élections européennes de mai dernier ont vu la montée en puissance de partis hostiles aux politiques menées au sein de l’Union. Au-delà de cette opposition, rien ne rapproche ces formations : les unes actualisent l’idéologie nationaliste et conservatrice de l’extrême droite, tandis que les autres se revendiquent de la gauche radicale. Une distinction que les commentateurs négligent. Comment une telle confusion a-t-elle pu s’imposer ?

par Gérard Mauger, juillet 2014

A l’avant-veille du scrutin européen du 25 mai dernier, lors de son dernier meeting de campagne, à Villeurbanne, le premier ministre Manuel Valls lançait solennellement un appel à l’« insurrection démocratique contre les populismes ». « Populisme » : qui n’a pas entendu cent fois dans la bouche des sondeurs, des journalistes ou des sociologues ce mot où l’on enferme pêle-mêle les opposants — de droite ou de gauche, votants ou abstentionnistes — aux politiques mises en œuvre par les institutions européennes ?

L’inconsistance du substantif tient pour partie à la diversité de ses usages. Dans le monde politique, l’histoire du label révèle l’étendue du spectre qu’il recouvre : de la vision enchantée des paysans que charrie le populisme russe (narodniki) à la révolte des fermiers du People’s Party aux Etats-Unis à la fin du XIXe siècle, des populismes latino-américains (Getúlio Vargas au Brésil, Juan Perón en Argentine) au maccarthysme, du poujadisme au lepénisme au XXe siècle, de M. Vladimir Poutine à Hugo Chávez à l’ère de la mondialisation, du United Kingdom Independence Party (UKIP) à Aube dorée dans l’Europe du XXIe siècle, ou de Mme Marine Le Pen à M. Jean-Luc Mélenchon dans l’Hexagone d’aujourd’hui. Cette dernière confusion, banalisée, a été illustrée (au sens propre) par le dessinateur Plantu dans l’hebdomadaire L’Express (19 janvier 2011), lorsqu’il représenta la dirigeante du Front national (FN) et le candidat du Front de gauche à l’élection présidentielle de 2012, le bras levé, arborant l’une et l’autre un brassard rouge et lisant le même discours : « Tous pourris ! ».

 

Dans le champ littéraire, le mot « populisme » fait son apparition en français en 1929 : « parti pris d’écriture » insurgé contre le roman bourgeois mais apolitique, opposé aux écrivains communistes et à leurs images d’Epinal prolétariennes, ce mouvement littéraire se propose de « décrire simplement la vie des “petites gens” (1) ».

 

Dans l’univers des sciences sociales, porté par une intention politique de réhabilitation du populaire, il applique le relativisme culturel à l’étude des cultures dominées (Volkskunde ou Proletkult). Ignorant ou minorant les rapports objectifs de domination, il crédite les cultures populaires d’une forme d’autonomie et célèbre leur résistance, jusqu’à inverser la hiérarchie des valeurs et à proclamer l’« excellence du vulgaire ». Mais il prend aussi le contre-pied d’une forme courante de mépris qui renvoie les classes dominées à l’inculture, à la nature, sinon à la barbarie. Caractéristique de la bourgeoisie et de la petite bourgeoisie cultivée, ce racisme social se fonde sur la « certitude propre à une classe de monopoliser la définition culturelle de l’être humain, et donc des hommes qui méritent pleinement d’être reconnus comme tels (2) ».

 

Deux visions du peuple

 

En circulant ainsi d’un champ à l’autre, d’un siècle à l’autre, d’un continent à l’autre, le label semble avoir perdu toute consistance. De sorte que ceux qui s’emploient à en expliquer le sens commettent, selon le mot du philosophe Ludwig Wittgenstein, une erreur classique : « essayer, derrière le substantif, de trouver la substance (3) ». Car prétendre définir le populisme, comme le propose le politiste Pierre-André Taguieff (4), par l’appel direct au peuple n’exclut évidemment personne au sein des sociétés occidentales : une telle démarche est inhérente à la démocratie, « gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple ». Et, même si l’on réserve le label populiste à un style d’appel privilégiant la proximité et cultivant le charisme du chef à grand renfort de propagande télévisée, on voit mal quel dirigeant actuel pourrait y échapper (5). De même, définir le populisme comme un encouragement à la révolte contre les « élites » (économiques, politiques, médiatiques) conduirait à inclure au nombre des suspects M.François Hollande, lorsque, à la tribune du Bourget, le 22 janvier 2012, il dénonçait son « véritable adversaire : le monde de la finance, qui n’a pas de nom, pas de visage », ou M.Nicolas Sarkozy annonçant à Toulon « la fin d’un capitalisme financier qui avait imposé sa logique à toute l’économie et avait contribué à la pervertir » (25 septembre 2008).

 

La politologue Nonna Mayer estime que la caractéristique la mieux partagée des mouvements européens qualifiés de populistes dans les analystes postélectorales serait la xénophobie (6) : dans la « mosaïque europhobe » composée par Le Monde (28 mai 2014), quatorze des seize partis mentionnés sont anti-immigrés. Mais des éditorialistes, assimilant la contestation des institutions européennes à une forme d’hostilité aux étrangers, accolent également l’étiquette populiste à la gauche radicale grecque, espagnole ou française (Syriza, Podemos, Front de gauche), pourtant peu suspecte de racisme. Il faut alors s’interroger sur leurs représentations du peuple et questionner la substitution d’un label par l’autre.

 

Schématiquement, on peut distinguer trois figures du « peuple » (7). « Populisme » dérive du latin populus, et « démocratie » se forme sur la racine grecque dêmos, les deux mots signifiant « peuple ». Le peuple auquel fait référence la démocratie est le corps civique dans son ensemble, le peuple-nation. D’où une dérive toujours possible vers le nationalisme — dont une forme contemporaine, moins fustigée que l’autre, exalte la « compétitivité de la France dans un monde globalisé ». Quant au peuple auquel s’adressent les populistes, il correspond à deux définitions distinctes.

 

Dans la version de droite, il est ethnos plutôt que dêmos : peuple envahi ou menacé d’envahissement, il s’oppose à l’étranger et à l’immigré. Plus ou moins ouvertement xénophobe et, dans la France contemporaine, antiarabe ou islamophobe, il défend l’identité du peuple-ethnos, supposé culturellement intact et homogène, contre des populations issues de l’immigration et supposées inassimilables. Il se présente comme national. A cet égard, bien qu’opposées sur l’Europe et la mondialisation, les stratégies électorales de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) et du FN sont identiques. Pour nouer une alliance a priori improbable, mais électoralement nécessaire, avec les classes populaires, il s’agit, dans cette version de droite, de substituer à leur vision du monde, « eux (ceux d’en haut) »/« nous (ceux d’en bas) », une approche opposant un « nous » (ceux d’en bas) à « ceux qui ne travaillent pas et ne veulent pas travailler » (chômeurs, immigrés, bénéficiaires de l’aide sociale) ; bref de mobiliser contre un « eux » au-dessous du « nous » (8). On réactive ainsi le conflit latent entre établis et marginaux (9) en jouant sur la peur du déclassement.

 

L’affiliation revendiquée des milieux populaires aux classes moyennes, l’ostentation de l’honnêteté et la stigmatisation morale des délinquants et des « tire-au-flanc » permettent de se démarquer de la représentation dominante qui assimile classes laborieuses et classes dangereuses. C’est pourquoi la droite propose des mesures comme la limitation de l’immigration dite « de travail », ou affiche sa volonté de plafonner les revenus des bénéficiaires de minima sociaux et de les astreindre à des travaux d’intérêt général. Elle préserve ainsi la spécificité de celui qui « travaille dur » et favorise l’alliance entre une fraction déclinante des classes dominantes (le petit patronat) et la fraction établie des classes populaires.

 

Dans la version de gauche, au contraire, le peuple désigne le peuple ouvrier, le petit peuple célébré par Jules Michelet, le peuple-plèbe, « ceux d’en bas » ; et, sur un plan politique, le peuple mobilisé, opposé à « ceux d’en haut », à la bourgeoisie, aux classes dominantes, à l’establishment, aux privilégiés, aux détenteurs des pouvoirs économique, politique, médiatique, etc.Quant aux contours de ce « peuple populaire », si la classe ouvrière en a longtemps été le centre, l’avant-garde (le populisme devenant alors ouvriérisme), ils incluent également les employés — des femmes, dans leur écrasante majorité — et, au-delà, une fraction plus ou moins étendue de la paysannerie et de la petite bourgeoisie (enseignants, personnels de santé, techniciens, ingénieurs, etc.). Soit, dans le cas français, plus des trois quarts des actifs, dont les seuls ouvriers et employés représentent la moitié. « Nous sommes le parti du peuple », disait le dirigeant communiste Maurice Thorez le 15 mai 1936 (avant que ce parti ne devienne, plusieurs décennies plus tard, celui des « gens », selon M. Robert Hue). D’inspiration plus ou moins marxiste, ce genre de « populisme », défenseur des classes populaires en tant qu’exploitées, opprimées, en lutte contre les classes dominantes, se présente souvent comme socialiste.Les représentations qui sous-tendent les appels au peuple-ethnos (populisme national) et celles qui invoquent au contraire le peuple-plèbe (populisme socialiste) s’opposent comme la droite s’oppose à la gauche. Mais les avocats d’un populisme populaire cultivent volontiers — tant par conviction que par nécessité — une vision enchantée, parfois esthétisante, d’un peuple idéalisé. Ils prêtent à l’« homme ordinaire », travailleur exploité et dominé, une revendication spontanée d’égalité. Ils postulent un ensemble de vertus indissociables de l’ethos populaire traditionnel : solidarité, authenticité, naturel, simplicité, honnêteté, bon sens, lucidité, sinon sagesse. Ces qualités sont cristallisées dans la notion de « décence commune » (common decency) chère à l’écrivain britannique George Orwell : « Les travailleurs manuels, dans une civilisation industrielle, possèdent un certain nombre de traits qui leur sont imposés par leurs conditions d’existence : la loyauté, l’absence de calcul, la générosité, la haine des privilèges. C’est à partir de ces dispositions qu’ils développent leur vision de la société future, ce qui explique que l’idée d’égalité soit au cœur du socialisme des prolétaires (10). »
On ne saurait pourtant prétendre que les discours sécuritaires et xénophobes du FN sont sans écho auprès des classes populaires. Lors des dernières élections européennes, si 65 % des ouvriers se sont abstenus (comme 68 % des employés et 69 % des chômeurs), plus de 40 % de ceux qui ont voté auraient choisi ce parti, soit environ 15 % de ce groupe dans son entier (selon l’institut Ipsos). C’est à la fois peu et beaucoup : s’il est vrai que le premier parti des couches populaires reste celui de l’abstention (11), une partie d’entre elles votent à l’extrême droite, convaincues « que l’on ne fait rien pour elles et que les “eux” d’en haut et les “eux” d’en bas prospèrent à leurs dépens (12) ». Dans ce cas, le succès de l’offre du FN illustre la capacité de ce parti à entretenir la confusion entre peuple-ethnos et peuple-dêmos. Et à former entre des fractions de classes moyennes et de classes populaires une alliance dirigée à la fois contre les très pauvres et les très riches — une stratégie également déployée en Russie par M.Poutine.
Une plèbe mal votante livrée à ses pulsions
Ce genre de projet politique profite du « racisme de classe » que manifestent sans même s’en apercevoir ceux qui font profession de le commenter. Sous leurs plumes, ce peuple mal votant, implicitement réduit à l’état de populace, pâtirait d’une propension innée à la fermeture, au repli sur soi, d’un ressentiment acquis de mauvais élève vis-à-vis des élites (qu’attesterait son bas niveau de diplôme) et d’une inculture politique : ses pulsions, sa crédulité, son irrationalité supposées le porteraient vers les propositions simplistes et en feraient une proie facile pour les démagogues. A contrario, ce discours réserve auxdites élites les vertus d’ouverture, d’intelligence, de subtilité et de supériorité morale. La dénonciation du peuple populaire incarné par la figure du « beauf » (13), machiste, homophobe, raciste, islamophobe, etc., renoue ainsi avec la philosophie conservatrice de la fin du XIXe siècle et sa méfiance envers les foules et la démocratie — celle d’Hippolyte Taine et de Gustave Le Bon. Elle déduit ces turpitudes par simple inversion des vertus dont elle crédite les « élites », lesquelles, par construction, sont supposées rigoureusement imperméables à ce type de dévoiements.
De sorte que, aujourd’hui comme hier, deux représentations diamétralement opposées du populaire s’affrontent : le racisme de classe des uns sert à dénoncer le populisme des autres.
Gérard Mauger, Sociologue.

J'apprends en m'amusant – Corrigé de dissection d'un discours politique de Klaar Monvegger

Voici l’analyse des biais du texte de Klaar Monvegger présenté ici. Nous (CE et RM) en avons repéré 62. N’hésitez pas à nous faire part de biais en plus.

Quel est le véritable sens caché de la polycrise ?

« Il n’aura échappé à personne que notre civilisation moderne va mal. Le monde occidental est, en effet, frappé de tous les symptômes de ce que de nombreux politistes renommés ont qualifié de polycrise organique. Car la crise qui touche notre monde est plurale. Crise identitaire tout d’abord, puisque, partout, la démocratie libérale est contestée par un obscurantisme moyenâgeux puisant sa source dans un intégrisme rigoriste et agressif – rappelons-nous de Bâmiyân 2001. Ces attaques de l’étranger se couplent à une véritable démission sur le plan de la Morale. Les jeunes déboussolés sombrent dans la délinquance ou s’orientent vers un avenir fait de télé-réalité ou de culture fast-food. Mais la crise est aussi économique et sociale : la fraude sociale est érigée en modèle alors que, on le sait bien, la réforme est rendue impossible par l’action conjuguée de corporations intouchables et d’un archaïsme latent. Alors ? Les loups bêleront-ils avec les brebis ? »

Klar Monvegger, L’abîme de la civilisation occidentale, coll. la vieille martre, Presses Universitaires de Champagne-Mouton, pp. 212-213.

Quel est le véritable sens caché de la polycrise ?

1 & 2 – Double Plurium interrogatum1 –  : la façon dont cette question est posée conduit à avaler deux « couleuvres », une prémisse, sans l’avoir négociée. En y répondant, on adhère à deux prémisses : 1) nous vivons une « polycrise » ; 2) dotée d’un sens caché.

3 – Carpaccio (scénario artificiel) du sens caché, de la révélation.

4 – Effet puits sur « polycrise » : terme aussi profond que creux (pas de définition claire, non-présence dans le dictionnaire ATLIF, seules quelques références chez E. Morin, M. Rocard, et quelques autres, semble-t-il depuis le début des années 2010). « Polycrise » n’aurait de sens qu’au travers d’une définition de crise, ce qui n’est pas le cas (cf. point 24).

Il n’aura échappé à personne

5 – Technique d’engluement : rhétorique ratissant large par appel au bon sens / à l’évidence. C’est une technique qui englue le public, qui ne peut de fait plus remettre en cause le propos tenu.

que notre civilisation moderne

6 – Technique d’engluement : « notre » inclusif artificiellement.

7 – Ciblage forcé de public : avec « notre », l’auteur présume que son lectorat appartient à la même civilisation que lui.

8 – Plurium affirmatum n°1 : « notre » civilisation (sous-entendue « occidentale ») est « une ». C’est un argument typiquement essentialiste (voir à ce sujet Guillemette Reviron, Biologie, essentialisme – Nature, écologisme, sexisme, racisme, spécisme).

9 – Effet paillasson : « moderne » a deux sens différents. Le premier est un sens historique et qualifie la période qui va de la Renaissance à la Révolution française (les XIXe et XXe siècles étant qualifiés de contemporains). Le second signifie : qui est soit de notre temps, soit d’un temps plus ou moins rapproché du nôtre, par opposition à antique, à ancien, et n’a donc par conséquent de sens que relatif.

10 & 11 – Plurium affirmatum n°2 : déclarer « notre » civilisation moderne. En outre c’est un propos qui relève de l’erreur historique classique dite d' »anachronisme psychologique« 2.

va mal.

12 & 13 – Effet paillasson sur « mal ». Soit il s’agit d’un jugement moral de type mal / bien – et nous sortons derechef de l’analyse scientifique -, soit il s’agit, ce qui est plus probable, d’un jugement sanitaire, ce qui nécessite une métaphore organique qui ne va pas de soi : la (notre !) civilisation ici comparée à un organisme vivant, habituellement en bonne santé mais souffrant désormais d’une pathologie.

Le monde occidental

14 – Pente savonneuse : « notre civilisation moderne » devient « le monde occidental », ce qui a au moins le mérite de préciser enfin de quelle civilisation on parle.

15 – Effet puits : le mot « occidental » est la notion-valise par excellence puisqu’elle inclut, en réalité, l’ensemble des pays judéo-chrétiens dotés d’une économie capitaliste de marché. 3

 est, en effet,

16 – Usurpation de connecteur logique. « En effet » est un connecteur (ou opérateur) logique causal, qui n’a pas d’autre utilité ici que de faire croire en la démonstration d’une thèse de toutes les façons fumeuse (notre civilisation va mal) par ce qui suit.

frappé

17 – Deus ex machina : le mot « frappé » instille l’idée d’une action divine, d’une fatalité.

de tous les symptômes

18 – Métaphore organique – voir point 13.

de ce que de nombreux politistes renommés

19 – Argumentum ad verecundiam : les « politistes » cités ici sont présentés comme des figures d’autorité, oublieux du fait qu’il est de bons et de médiocres politistes. Qu’ils soient en outre « renommés », célèbres, n’augure en rien de leur compétence.

20 – Argumentum ad populum : le fait que ces « politistes renommés » soient nombreux n’est en rien un argument.

ont qualifié de polycrise organique

21 – Effet puits sur « polycrise » – voir point 4.

22 – Métaphore organique.

Car

23 – Usurpation de connecteur logique. « Car » est un connecteur (ou opérateur) logique causal mal employé ici.

la crise

24 – Effet paillasson : le terme « crise », employé sans définition préalable, souffre de multiples acceptions et rend redondante la métaphore organique avec le mot « crise » en médecine (manifestation aiguë d’une maladie à l’échelon d’un individu ou d’une population). Pour information, voici une liste non exhaustive de sens du mot « crise » :

Crise :

  • politique
  • économique
  • monétaire
  • financière
  • systémique
  • monétaire
  • financière
  • dans les organisations
  • bancaire
  • du disque
  • pétrolière
  • de la presse quotidienne française
  • alimentaire
  • de natalité
  • d’extinction
  • de l’énergie
  • écologique
  • climatique
  • sanitaire
  • du logement

qui touche

25 – Deus ex machina.

notre monde est plurale.

26 – Technique d’engluement.

27 – Pente savonneuse, avec un « monde » considéré comme unique et homogène – cf. 14.

Crise identitaire tout d’abord, puisque, 

28 – Usurpation de connecteur logique. « Puisque » est un connecteur logique causal mal employé ici, car la contestation en question n’est pas une cause de crise identitaire (si tant est que ce syntagme ait un sens : voir plus loin).

29 – Effet puits, « crise identitaire » n’ayant pas de définition en sciences politiques, tant cela recouvre de réalités possibles : primo parce que le mot « crise » n’a pas de sens précis – cf. X -, secundo parce l' »identité » ou l' »identitaire » se réfère une culture. Dans ce cas, l’auteur postule donc une identité culturelle commune au monde « occidental », ce qui, au vu de l’étendue dudit monde, est pour le moins surprenant.

partout, la démocratie libérale

30 – Exagération abusive.

partout, la démocratie libérale

31 & 32 – Double effet paillasson :

  • sur le mot « démocratie », qui reçoit de multiples acceptions et une définition floue pour un concept qui est plutôt vectoriel (on « tend » vers un état de démocratie, par le peuple et pour le peuple : ainsi la démocratie athénienne est moins démocrate que la démocratie représentative, qui elle-même… etc.)
  • sur le mot « libéral » qui fait étymologiquement référence à des choses très diverses. Le libéralisme politique, qui promeut la fixation des limites des actions de l’État ; le libéralisme économique, qui défend l’idée que les libertés économiques sont nécessaires à un fonctionnement pérenne de l’économie et que l’intervention de l’État doit y être aussi limitée que possible. Ici, il est probable que l’auteur veuille signifier le social-libéralisme, c’est-à-dire le développement et l’épanouissement des êtres humains pris dans leur interaction sociale. Par conséquent il désigne un système dans lequel la démocratie représentative défend les droits des individus, et la liberté personnelle (aussi bien celle de pratiquer sa sexualité que celle d’accumuler sans limites des richesses). .

est contestée par un obscurantisme

33 – Effet puits – « obscurantisme » désigne dans le vocabulaire des héritiers des Lumières une attitude d’opposition à la diffusion du savoir, dans quelque domaine que ce soit.

Note : ce terme dérive d’une satire datée de 1515-1519 intitulée Epistolæ Obscurorum Virorum (Lettres d’hommes obscurs), centrée sur une dispute intellectuelle entre l’humaniste allemand Johann Reuchlin et des moines Dominicains dont Johannes Pfefferkorn portant sur l’obligation ou non de brûler ou non des livres Juifs, car non-Chrétiens.

moyenâgeux

34 – Argument d’historicité, ou argumentum ad antiquitatem.

35 – Misreprésentation historique : le Moyen-Âge, catégorie temporelle immense (1016 ans), n’a été obscur, ou obscurci, que pour mieux faire ressortir les fastes de la Renaissance. à en croire Miglio (2006) et Albrow (1997), le terme lui-même apparut pour la première fois en latin en 1469 comme media tempestas (« saison intermédiaire ») puis medium aevum (« moyen âge ») en 1604.

puisant sa source dans un intégrisme rigoriste et agressif

36 – Effet impact : l’intégrisme est un mot qui possède une forte connotation négative.

37 – Effet paillasson : le terme « intégrisme » désigne des courants traditionalistes prétendant représenter l’orthodoxie catholique, comme lors du schisme de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X de M. Lefebvre, en 1988. Par une analogie discutable et discutée, le terme désigne plus généralement toute attitude doctrinale de conservatisme intransigeant, en particulier le fondamentalisme musulman (qui est « fondamental » au sens où il revendique la religion de la période des quatre premiers califes.

38 – Pléonasme : « rigoriste » souligne un respect strict des règles de la religion ou de la morale. Or l’intégrisme (ainsi que le fondamentalisme, d’ailleurs) est rigoriste.

39 – Effet impact : « agressif » est un mot jouissant d’un sens péjoratif.

rappelons-nous de Bâmiyân 2001

40 – Argumentum ad verecundia, ou argument de respect– imposé par une référence probablement peu connue du lecteur, en tout cas sous cette forme. De fait, c’est une technique d’engluement par élitisme.

41 – Désyncrétisation historique : en ne rappelant qu’une date et un lieu, on gomme les racines profondes d’un phénomène social.

Pour rappel : en 2001, à Bâmiyân (Afghanistan), d’immenses statues bouddhistes furent décrétées idolâtres par Mohammed Omar puis dynamitées. Cet événement fut mobilisé dans les médias pour illustrer la « sauvagerie » et la « barbarie » du régime taliban.

Ces attaques de l’étranger

42 & 43 – Rhétorique de repoussoir et effet impact. L’auteur re-situe encore son propos : « étranger » est à mettre ici en opposition « au monde occidental », et les « attaques » sont bien sûr celle des « intégristes rigoristes et agressifs » qui sont responsables de « l’obscurantisme moyenâgeux ».

Pour rappel : c’est une version un peu caricaturée de la thèse (qu’on pourrait désigner comme pseudo-scientifique) du choc des civilisations de Samuel Huntington, défendue en 1993 (dans l’article The Clash of Civilizations, dans la revue Foreign Affairs) puis en 1996 (dans le livre The Clash of Civilizations and the Remaking of World Order).

se couplent à une véritable démission sur le plan de la Morale.

44 – Effet paillasson : « Morale » est utilisée sans précision, avec un M majuscule.

45 – Glissement diabolisant : l' »intégrisme » est perçu comme démissionnaire sur le plan de la morale – ce qu’est absurde, puisque justement, toute la démarche est d’ancrer un code moral, justement, religieux. C’est une rhétorique efficace : l’ennemi n’a pas de morale, puisque ce n’est pas la nôtre.

Les jeunes déboussolés

46 – Métaphore oiseuse : la « M »orale ferait office de boussole, comme un sur-moi qui tournerait l’individu vers un Nord sans ambiguïté. Sans elle, les jeunes seraient perdus.

sombrent dans la délinquance

47 – Effet cigogne : est instillée une causalité entre intégrisme – perte de repères – délinquance.

48 – Effet paillasson : le mot « délinquance » a une définition juridique très problématique (voir ici).

49 – Métaphore sclérosante : on « sombrerait » dans la délinquance comme un corps dans l’océan. Par cette formule, on instille l’idée que potentiellement, une personne peut se débattre, s’en « sortir », alors que les processus de délinquance sont plus insidieux et englobants.

ou s’orientent vers un avenir fait de télé-réalité ou de culture fast-food.

 

50 – Effet puits : un avenir fait de télé-réalité ou de culture fast-food est faussement clair, faussement précis.

51 – Généralisation hâtive : tous les jeunes, « déboussolés », s’orientent vers un tel avenir.

Mais la crise est aussi économique et sociale :

52 – Effet paillasson sur le mot « crise ». Cf. biais 24.

53 – Amalgame entre « économique » et « social ». Notons que d’un point de vue philosophique, le premier devrait être assujetti au second.

la fraude sociale est érigée en modèle 

54 & 55- Technique du bouc émissaire et rhétorique « populiste » dilatoire : la fraude aux prestations sociales est couramment amplifiée, détournant du coup d’autres « trous » budgétaires plus importants, comme l’évasion fiscale, et incriminant facilement les « petites bourses » qui sont les principales bénéficiaires des prestations sociales.

alors que, on le sait bien,

56 – Technique d’engluement.

la réforme

57 – Effet puits : le terme « réforme » n’est pas défini précieusement (structurelles, économiques, … ?)

est rendue impossible par l’action conjuguée de corporations intouchables

58 – Effet cigogne : « par » introduit un lien causal non démontré.

59 – Rhétorique conspirationniste, rappelant les dénonciations de complots judéo-maçonniques.

et d’un archaïsme latent

60 – Effet puits : cela ne veut rien dire de précis – et c’est pourtant une cause de « l’action conjuguée »…

Alors ? Les loups bêleront-ils avec les brebis ?

 61 – Effet puits : cette question ne veut rien dire de précis, mais feint de le faire.

62 – Argumentum ad verecundiam : cette question n’est que de la poudre aux yeux, afin de se donner une certaine morgue faussement spirituelle.

Nous avons un peu coupé les cheveux en quatre ? L’auteur ne nous en voudra pas. CaCorteX_Klaar_Monveggerr est-il nécessaire de préciser l’imposture ? Klaar Monvegger est une hasardeuse chimère entre Clara Egger et Richard Monvoisin. L’abîme de la civilisation occidentale est un livre aussi captivant qu’inexistant, la collection la vieille martre une référence facile à une défunte maison d’édition, La vieille taupe, connue pour ses diffusions de textes négationnistes. Quant aux Presses Universitaires de Champagne-Mouton, elles sont en devenir probable, malgré le moins d’un millier d’habitants de ce village de Charente.

 Richard Monvoisin, Clara Egger

 

J'apprends en m'amusant – Dissection d'un discours politique de Klaar Monvegger

Voici un exercice utilisé lors du cours Tromperies sur les mots, dans le cadre de l’enseignement Sciences et pseudosciences politiques de Clara Egger et Richard Monvoisin, à l’Institut d’études politiques de Grenoble (2014). Vous voulez jouer ?
Pour illustrer les arnaques des tromperies et des arguments fallacieux, nous avons proposé à des étudiant.e.s de sciences politiques de décortiquer le discours politique suivant, et de tenter d’y déceler le plus de biais possibles.

Quel est le véritable sens caché de la polycrise ?

« Il n’aura échappé à personne que notre civilisation moderne va mal. Le monde occidental est, en effet, frappé de tous les symptômes de ce que de nombreux politistes renommés ont qualifié de polycrise organique. Car la crise qui touche notre monde est plurale. Crise identitaire tout d’abord, puisque, partout, la démocratie libérale est contestée par un obscurantisme moyenâgeux puisant sa source dans un intégrisme rigoriste et agressif – rappelons-nous de Bâmiyân 2001. Ces attaques de l’étranger se couplent à une véritable démission sur le plan de la Morale. Les jeunes déboussolés sombrent dans la délinquance ou s’orientent vers un avenir fait de télé-réalité ou de culture fast-food. Mais la crise est aussi économique et sociale : la fraude sociale est érigée en modèle alors que, on le sait bien, la réforme est rendue impossible par l’action conjuguée de corporations intouchables et d’un archaïsme latent. Alors ? Les loups bêleront-ils avec les brebis ? »

Klaar Monvegger, L’abîme de la civilisation occidentale, coll. la vieille martre, Presses Universitaires de Champagne-Mouton, pp. 212-213.

Combien de biais dénombrez-vous dans cet extrait ?

Un corrigé-type est disponible ici, qui en recense… 62.

Vous voulez essayer d’autres exercices ? Vous pouvez aller ici ou .

J'apprends en m'amusant : réponses au quiz de datation d'acquis sociaux

Voici les réponses au quiz de datation des acquis sociaux (voir le descriptif ici). Les questions portent toutes sur la France, sauf les questions 16 et 18.

  1. L’obtention d’un droit de vote pour la première fois pour les femmes
  2. L’octroi du droit de vote des femmes au suffrage universel
  3. La première nomination d’une femme à un poste ministériel
  4. L ‘inscription dans la loi du droit de grève
  5. L’inscription dans la loi du droit syndical
  6. L’abolition de l’esclavage
  7. La création obligatoire d’écoles de filles dans les communes de 800 habitants
  8. La suppression de l’incapacité juridique de la femme mariée
  9. L’autorisation, pour les femmes mariées, d’exercer une profession sans l’autorisation de leur mari
  10. La légalisation de la contraception
  11. L’institution du congé de maternité
  12. L’institution du congé de paternité
  13. L’autorisation de l’Interruption volontaire de grossesse (IVG)
  14. La reconnaissance du viol comme un crime
  15. L’instauration de la procédure d’éviction du conjoint violent
  16. L’exclusion de l’homosexualité des maladies mentales par l’Organisation mondiale de la santé
  17. Le dernier condamné à mort (qui fut d’ailleurs le dernier guillotiné dans le monde)
  18. L’octroi du droite de vote au femmes en Arabie Saoudite

1) Des femmes eurent pour la première fois le droit de vote en France lors des États généraux convoqués par Philippe le Bel en 1302. Elles furent convoquées jusqu’aux États généraux de 1789, date à laquelle furent contraintes de se faire représenter par un homme (noble ou clergé).

2) Les femmes obtinrent le droit de vote au suffrage universel direct en France le 21 avril 1944,  par le Comité français de la Libération nationale. Ce droit est confirmé par l’ordonnance du 5 octobre sous le Gouvernement provisoire de la République française, mais il n’est utilisé que le 29 avril 1945 pour les élections municipales, puis en octobre pour les élections à l’Assemblée constituante.

3) Le gouvernement du Front Populaire de 1936 nomma trois femmes (alors que ces dernières n’avaient pas le droit de vote, ce qui ne manque pas de faire sourire). Il s’agissait de Cécile Brunschvicg (Éducation nationale, tutelle de Jean Zay), Suzanne Lacore (chargée de la Protection de l’enfance, tutelle de Henri Sellier) et Irène Joliot-Curie (Recherche scientifique : elle démissionnera trois mois plus tard en désaccord avec la non-intervention en Espagne). Anecdote : si elles siégèrent, jamais elles ne prirent jamais la parole dans l’hémicycle du Palais Bourbon.

4) L’inscription dans la loi du droit de grève en France  date de la loi du 25 mai 1864 portée par le député Émile Ollivier (qui abroge la loi Le Chapelier de délit de coalition du 14 juin 1791).

5) Le droit syndical fit son entrée dans la loi avec la loi Waldeck-Rousseau du 21 mars 1884.

6) L’abolition de l’esclavage a été proclamée une première fois en France pendant la Révolution, à l’initiative de l’abbé Henri Grégoire le 4 février 1794 (16 pluviose an II). Mais Napoléon Bonaparte rétablit l’esclavage par la loi du 20 mai 1802. Il faudra attendre ensuite le décret d’abolition de l’esclavage du 27 avril 1848 (et encore ! En Algérie par exemple, cette abolition ne fut pas effective, de même que dans les colonies postérieures à 1848.

7) La création obligatoire d’écoles de filles dans les communes de 800 habitants est rendue obligatoire par la loi Falloux du 15 mars 1850.

8) La suppression de l’incapacité juridique de la femme mariée prévue dans le code Napoléon (code qui considérait celle-ci comme mineure, entièrement sous la tutelle de ses parents, puis de son époux) date de 1938. L’époux conserve toutefois le droit d’imposer la résidence et l’autorité parentale sur les enfants.

9) L’autorisation pour les femmes mariées d’exercer une profession sans l’autorisation de leur mari date de 1965.

10) L’autorisation légale de la contraception date de la loi Lucien Neuwirth du 19 décembre 1967.

11) L’institution du congé de maternité de huit semaines, sans rupture de contrat de travail mais sans traitement date de la loi Fernand Engerand du 27 novembre 1909 (les institutrices conservent leur traitement en 1910).

12) l’institution du congé de paternité date de la loi du 4 décembre 2001. Le droit est effectif le 1er janvier 2002.

13) La loi Simone Veil du 17 janvier 1975 légalise l’Interruption volontaire de grossesse (au prix de violents débats, voir Reductio ad hitlerum – Simone Veil et l’IVG).

14) Depuis 1810, la loi définit le viol, mais c’est seulement en 1980 qu’il a acquis sa définition actuelle, désignant toute forme de pénétration non-consentie quelle qu’elle soit. Il fallut pour cela le procès très dur d’Aix-en-Provence en 1980, appelé « le procès du viol » (voir le documentaire du même nom ici).

15) La création d’une procédure d’éviction du conjoint violent date (seulement) du 26 mai 2004.

16) L’Organisation mondiale de la santé exclut l’homosexualité des maladies mentales en 1980.

17) Le dernier condamné à mort en France est Hamida Djandoubi, guillotiné le 10 septembre 1977.

18) En Arabie Saoudite, ni les femmes, ni les hommes ne disposent du droit de vote aux élections nationales (c’est une monarchie). Seuls les hommes peuvent voter aux municipales.

Ce quiz permet de montrer :

-qu’une mémoire des luttes qui permirent de les obtenir est à entretenir.

– que présenter seulement une date désyncrétise et gomme les processus, parfois longs, violents, qui présidèrent à ces acquis. Les droits des femmes sont par exemple un combat qui a au minimum deux siècles.

Clara Egger, Richard Monvoisin

J'apprends en m'amusant : quiz de datation d'acquis sociaux

Voici un quiz de datation utilisé en introduction du cours Histoire & pseudo-histoire, dans le cadre de l’enseignement Sciences et pseudosciences politiques de Clara Egger et Richard Monvoisin, à l’Institut d’études politiques de Grenoble (2014). Vous voulez jouer ?

Avec une marge d’erreur de cinq ans, pouvez-vous dater de quand datent les événements suivants en France (sauf questions 16 et 18) ?

  1. L’obtention d’un droit de vote pour la première fois pour les femmes
  2. L’octroi du droit de vote des femmes au suffrage universel
  3. La première nomination d’une femme à un poste ministériel
  4. L ‘inscription dans la loi du droit de grève
  5. L’inscription dans la loi du droit syndical
  6. L’abolition de l’esclavage
  7. La création obligatoire d’écoles de filles dans les communes de 800 habitants
  8. La suppression de l’incapacité juridique de la femme mariée
  9. L’autorisation, pour les femmes mariées, d’exercer une profession sans l’autorisation de leur mari
  10. La légalisation de la contraception
  11. L’institution du congé de maternité
  12. L’institution du congé de paternité
  13. L’autorisation de l’Interruption volontaire de grossesse (IVG)
  14. La reconnaissance du viol comme un crime
  15. L’instauration de la procédure d’éviction du conjoint violent
  16. L’exclusion de l’homosexualité des maladies mentales par l’Organisation mondiale de la santé
  17. Le dernier condamné à mort (qui fut d’ailleurs le dernier guillotiné dans le monde)
  18. L’octroi du droite de vote au femmes en Arabie Saoudite

Vous avez trouvé ? Les réponses ici.

Perception subjective amplifiée de l'immigration et de la pratique musulmane

CorteX_Arabe_AladinLa perception subjective amplifiée de l’immigration et de la pratique musulmane est communément utilisée par les médias conservateurs de nos contrées. Ainsi, par exemple, le site Français de souche diffuse des graphiques comme celui ci-dessous.

CorteX_on_ne_se_sent_plus_chez-soiCe type de graphique – qui mériterait un sévère approfondissement – est à rapporter au fait que les Français semblent surestimer largement le nombre d’immigrés en France, comme le rapportent Alberto Nardelli et George Arnett dans Today’s key fact: you are probably wrong about almost everything, The Guardian, 29 octobre 2014. En effet, selon une étude publiée par The Guardian, tirée des chiffres du Ipsos Mori social research Institute, les Français, entre autres, surestimeraient largement le nombre d’immigrés dans leur pays, ainsi que le nombre de Musulmans. Les diagrammes ci-dessous indiquent :

  • parmi 100 personnes, combien selon vous sont immigrés dans ce pays ?
  • parmi 100 personnes, combien selon vous sont Musulmans ?

En bleu clair, le pourcentage d’immigrés « réels », la barre entière donne la perception moyenne globale, et donc le bleu marine la surévaluation subjective par pays.

CorteX_Guardian_perception_immigration
CorteX_Guardian_perception_muslimSi vous vous servez de ce matériel dans une séquence pédagogique, racontez-nous ! Il peut faire suite à l’excellent travail de J. Peccoud TP : analyse d’une publicité partisane sur l’immigration.

Richard Monvoisin

Philosophie morale – Acrimed moins éducatif que Civitas ?

Nous en parlions au début de l’été, record du monde de l’appel à la pitié pour Acrimed ! Cette association, qui nous fournit maint matériel pédagogique en publiant articles et trimestriel, était en grave danger financier. S’ensuivit un appel à don, a priori défiscalisé. Et là encore, Acrimed, bien malgré elle, nous sert, mais sur le versant politico-moral cette fois. Elle questionne les statuts « éducatif », « culturel » et d’«intérêt public» que l’administration fiscale lui refuse et qui, comme l’«ordre public»  ou l’opinion du même nom, n’est semble-t-il pas vraiment négociable. Comble de la réflexion, parmi les joyeux récipiendaires du statut d’intérêt public,  on trouvera l’Institut Civitas – mouvement «dont le but est la restauration de la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ». De quoi alimenter les réflexions morales. Décryptage de Henri Maler.  

Réplique détaillée à l’acharnement de l’administration fiscale contre Acrimed

par Henri Maler, le 2 octobre 2014

Le 4 juillet 2014, le ministère des finances et des comptes publics a fait appel du jugement rendu le 2 mai 2014 par le tribunal administratif de Montreuil au profit de l’Association Action-Critique-Médias (Acrimed). Ledit jugement annulait les décisions prises les 12 juillet 2012 et 5 mars 2013, par lesquelles l’administration refusait de considérer que l’Association Action-Critique-Médias est un organisme d’intérêt général à caractère culturel. Le même jugement condamnait l’État au paiement de 100 euros, en application de l’article L. 761-1 du code de justice administrative. Ces décisions privaient Acrimed du droit de délivrer des reçus permettant à celles et ceux qui nous soutiennent d’obtenir une réduction de leurs impôts sur les dons effectués en faveur de notre association.

La requête du ministère des finances est introduite par un « Mémoire » signé par Patrice Laussuq qui dépendait, du moins en 2013, de la Sous-direction JF 2. Contentieux des impôts des professionnels où il exerce (ou exerçait) les fonctions de sous-directeur qui mérite un patient (et fastidieux, il faut bien l’avouer) décryptage (que résume brièvement le communiqué de presse que nous avons publié).

Et l’on découvre un réquisitoire politique revêtu de haillons juridiques et administratifs… (la suite se trouve ici).

En savoir plus pour aider cette association unique, ici.

TP : analyse d'une publicité partisane sur l'immigration

Nous connaissons les méfaits du mauvais usage des statistiques ou de la manipulation des graphiques pour appuyer certaines idéologies. Nous avons trouvé du matériel adéquat pour allier les deux et, une fois n’est pas coutume, l’exemple traité ici n’est pas français, mais suisse. Voici donc l’étude détaillée d’une publicité partisane (au sens « qui soutient un parti ») parue dans la Tribune de Genève (25/01/2014).

musulmans en suisse
Figure 1 – Publicité partisane publiée dans la Tribune de Genève.

Cet encart publicitaire est estampillé par les partis politiques Mouvement Citoyen Genevois (MCG) et la Ligue des Tessinois. C’est le comité d’Egerkingen qui produit cette publicité et qui a fait parler d’elle peu de temps après. Ce comité est, entre autres, à l’origine de l’initiative populaire « contre les minarets ».

Bien que l’argument central mérite analyse, notre attention sera particulièrement posée sur les éléments fallacieux qui l’enrobent. Voici certains points numérotés qui seront développés par la suite.

musulmans-suisse-points-etudies
Figure 2 – Ordre des points relevés pour notre critique.

Sur la forme

Tout d’abord, cet encart publicitaire est très voyant sur la page du quotidien suisse, cela pour plusieurs raisons :

Le titre (1), accrocheur, en grands caractères et de couleur rouge, attire fortement l’attention.

Vu globalement, l’élément qui prédomine est le graphique. Celui-ci occupe la majorité du visuel. Il comporte un remplissage rouge sous la courbe (2), soulignant la notion d’accumulation. Le rouge est une couleur fortement porteuse de sens, mais sans trop interpréter, on peut dire que c’est une couleur impactante, généralement utilisée pour suggérer le danger, la guerre, le sang. On pourrait presque parler d’un effet impact basé sur la couleur. Le même visuel avec une petite touche à la Andy Warhol sera probablement perçu différemment  :

Évolution musulmans en Suisse, autre couleur
Figure 3 – Publicité dans la Tribune de Genève, couleurs modifiées.

 

Toujours sur le graphique, la courbe continue après 2013 (3) sans qu’on ne sache si elle rapporte des valeurs prévisionnelles sourcées. On peut largement supposer qu’il n’y a aucune valeur à l’origine de cette extrapolation dans le futur. L’aspect exponentiel de la courbe n’est donc qu’un effet visuel. De plus, le plafonnement de la courbe à la limite supérieure de l’image crée un effet de seuil, de débordement : les Musulmans vont bientôt remplir la Suisse !

Un des premiers réflexes à avoir face à un graphique est de regarder les échelles. Ici, l’échelle du bas, en abscisses, (4) n’est pas respectée (certes pas de beaucoup…) 1. On peut regretter que l’échelle des ordonnées soit si ample et que, par conséquent, le graphique prenne l’ensemble du visuel, limitant tout argumentaire par le texte. C’est en s’amusant à jouer sur les axes qu’on se rend le mieux compte des usages « subjectifs » d’un graphique :

Musulmans en Suisse avec échelle des ordonnées réduite
Figure 4 – Publicité dans la Tribune de Genève, échelle des ordonnées modifiée.

Enfin, l’image d’une femme drapée du niqab est placée dans l’espace rouge sous la courbe (5), sorte de « légende » permettant d’indiquer de manière figurative et menaçante à quoi fait référence cette zone rouge grossissant sans cesse. Nous verrons que cette représentation pose un problème de fond.

Sur le fond

Cette illustration placée sous la courbe est typiquement l’image fallacieuse de la musulmane. Cette image n’est pas du tout représentative des Musulman·e·s et nous sommes en face d’une généralisation abusive très insidieuse car supposée par une simple image. En effet, suivant les estimations, 2000 femmes porteraient le voile intégral en France sur une population musulmane d’environ 5 millions selon Samir Amghar 2. Le rapport est vite fait si on l’extrapole à la Suisse avec ses 320000 Musulmans : cela ferait 128 personnes (en prenant en compte que les pays de provenance sont équivalents en terme de culture du port du voile). On peut même trouver le chiffre d’environ 10 burqa portées en Suisse en 2010 3.

Ensuite, on doit s’interroger sur la provenance des chiffres liés à la construction de ce graphique. En effet, on peut remarquer que les sources (6) de ce seul graphique ne sont pas homogènes.

Figure 5 – Grossissement des sources à l’origine du graphique.

Les valeurs de 1970 et 2000 proviennent de l’Office fédéral de la statistique et que la valeur pour 2013 provient de la FOIS (Fédération d’organisations islamiques de Suisse), fédération difficile à trouver sur le Web avec une recherche en français et pour cause leur site est en suisse allemand. Merci à Richard Monvoisin pour la recherche en langue germanique qui nous a permis de mettre la souris sur cette fédération. Cependant, aucune trace de cette valeur pour 2013. Intéressons-nous tout de même à ce chiffre de 500000 Musulman·e·s pour l’année 2013 (7). Si on cherche un peu, on trouve rapidement des valeurs pour les années après 2000. Par exemple, l’office fédéral de la statistique donne le chiffre de 328011 pour l’année 2012 4. Il est difficile d’imaginer une augmentation de 172000 Musulmans en 1 an… On peut aussi trouver la valeur de 310800 en 2005 5 et la valeur de 433000 pour l’année 2010 avec une projection à 663000 pour l’année 2030 ! 6. Dans tous les cas, la valeur de 500000 pour l’année 2013 est largement sur-évaluée. Le graphique avec les données scientifiques n’a donc pas du tout le même impact :

graphique-population-musulmane-suisse
Figure 6 – Évolution de la population musulmane en Suisse depuis 1970.

Directement lié à ces chiffres, l’analyse du titre est donc importante. Il commence par le terme « bientôt » (8) qui, ici, fonctionne comme un effet paillasson. Que veut-dire « bientôt » ? Est-ce le « bientôt » biologique (dans 1 an ?), le « bientôt » populationnel (dans 10 ans ?) ou le « bientôt » géologique (dans 100000 ans ?). Quoi qu’il en soit, l’effet paillasson fonctionne et tout le monde s’entend sur une arrivée imminente… de l’ordre de quelques années tout au plus… Enfin, ce chiffre de 1million (9), comme on l’a dit juste au-dessus, est  imaginaire. En se basant sur la référence citée plus haut (et qui semblait déjà être dans la tranche haute des projections), on arriverait à 663000 en 2030. En gardant le même rythme (soit une croissance d’environ 12000/an), on arriverait à 1 million en 2058 (!!), date à laquelle j’aurais peut-être déjà cassé ma pipe… Le « bientôt » est donc tout relatif.

Ensuite, « l’argumentaire » se base sur le fait que le nombre de Musulman·e·s en Suisse ne fait qu’augmenter, et ceci de manière vertigineuse. Si on compare à d’autres religions, on remarque effectivement que le pourcentage de Protestant·e·s et Catholiques baisse depuis 1970 (il baisse aussi légèrement en valeur absolue 7). Par contre, le pourcentage de « sans confession » passe de 1.2% en 1970 à 21,4% en 2012. Peut-on crier pour autant à l’augmentation drastique des personnes sans religion ? Et pour répondre à cela, faut-il pour autant fermer les frontières pour empêcher les personnes sans confession d’entrer dans le pays ? Le problème pour ces deux partis politiques n’est donc pas la croissance d’un certain groupe social mais bien la croissance de ce groupe social en particulier : c’est un exemple d’effet bi-standard motivé par une volonté de stigmatisation.

Dès lors, étudions de plus près le lien argumentatif qui est fait entre taux de Musulman·e·s et immigration (10).

A première vue, le lien de cause à effet semble « intuitif », entre l’accroissement de la population musulmane et l’immigration. C’est sous-estimer 1) les conversions de natifs suisses, 2) l’accroissement « naturel » de la population musulmane installée en Suisse, en présumant que les enfants tendent à suivre le culte de leurs parents, quelle que soit ce culte.

Cependant, si on compare la croissance de la population musulmane à ce qu’on attend avec une simple croissance « naturelle », il est clair que la différence est importante et que l’immigration doit expliquer en grande partie ceci. Mais penchons-nous sur l’immigration en Suisse, qui est connue pour être importante (11).

D’après les données de l’Office fédéral de la statistique 8, les Suisses ont tendance à quitter le pays alors que l’immigration est relativement importante. N’oublions pas qu’il est parfois plus intéressant de regarder le solde migratoire 9. Le solde migratoire prend en compte l’émigration et il est difficile de critiquer l’immigration forte d’un certain groupe social si l’émigration de ce même groupe social est équivalente : cela signifierait que le nombre de personnes appartenant à ce groupe n’augmente pas au cours du temps.

En Suisse, le solde migratoire des Étrangers est de 89500 alors qu’en comparaison, le solde migratoire total de la France métropolitaine depuis vingt ans oscille entre 35000 et 115000, pays huit fois plus peuplé que la Suisse : l’immigration est donc forte, l’émigration faible, pour les étrangers en Suisse. Regardons de plus près ce solde migratoire des étrangers en Suisse : pour un total de 89500, 65100 sont des Étrangers provenant de l’intérieur de l’Union européenne, 6600 des autres pays d’Europe dont la Turquie, 6400 de pays d’Afrique, 8200 de pays d’Asie. 10. Ces chiffres renvoient à des nationalités et on ne peut qu’extrapoler le nombre de Musulman·e·s (je n’ai pas trouvé le chiffre mais si vous l’avez, prévenez-nous !). On peut supposer que le pourcentage de Musulman·e·s pour les Étrangers·ères provenant de l’Union européenne reste faible (prenons 10%, marge haute, soit 6500 personnes). Difficile de se positionner pour l’Afrique et l’Asie en terme de confessions mais si on garde les proportions respectives de 33% de Musulmans pour ces deux zones 11, cela donne respectivement 2130 et 2730 personnes. Pour les autres pays d’Europe, on peut raisonnablement garder le même pourcentage car certains pays comme la Turquie sont à 98% mais d’autres comme la Slovaquie sont à 0,1%. Avec ce calcul à la louche, on peut estimer que le solde migratoire des Musulmans doit être d’environ 12020 personnes, sur un total de 89500 soit 13,4%. Si on reste sur le lien de cause à effet avec l’immigration (10), nous sommes dans un cas de tri des données.

Au final, il ne semble pas que ce soit l’immigration qui soit en cause dans cette augmentation présumée « drastique » du nombre de Musulman·e·s en Suisse car la proportion de musulman·e·s prenant part à l’immigration n’est pas très élevée et on oublie l’accroissement naturel de la population musulmane. Certes, d’aucuns pourraient juger que l’immigration globale est importante en Suisse, cela pouvant entraîner divers problèmes démographiques, mais dans ce cas, la relation avec l’appartenance religieuse ne doit pas être prise en compte.

Nous sommes en outre face à un cas de Non sequitur : bien qu’une proposition puisse être vraie dans un sens (l’immigration en Suisse entraîne une augmentation du nombre de Musulman·e·s – ce que ne démontre pas cette publicité), elle ne l’est pas forcément dans l’autre (l’augmentation du nombre de Musulman·e·s en Suisse est la conséquence d’une immigration forte).

Conclusion

Nous avons ici un exemple d’argumentaire « à la hache », qui simplifie énormément le contexte, qui met de côté un grand nombre d’informations, qui propose une corrélation très discutable et qui utilise fortement la forme, le graphisme pour appuyer le propos. Faire la relation entre l’immigration et l’appartenance religieuse (présumée) ou culturelle est un exemple de création artificielle de causalité qui ne sert qu’un lieu commun arabo-islamophobe. Voilà donc un énième agglomérat d’impressions subjectives qui manufacturent l’opinion en cristallisant un stéréotype xénophobe classique 12.

 

Les anes ont soif

À voir : « OPÉRATION CORREA : Les ânes ont soif »

Affiche OPERATION CORREA« There Is No Alternative » (TINA, en français « Il n’y a pas d’autre choix »), tel est le morose slogan repris par Margaret Thatcher1 qui illustre encore bien le discours des politiques néo-libérales, discours souvent relayé sans filtre critique par les grands groupes de presses2.
Ce nouveau documentaire de Pierre Carles, Nina Faure et Aurore Van Opstal répond par l’exemple et avec humour à ceux qui prétendent qu’il n’y a pas d’alternative possible (prétentions que l’on pourrait qualifier de non scientifiques, voir l’article Matériel critique pour élaborer le post-capitalisme pour plus de détails).

Dans ce premier épisode intitulé « Les ânes ont soifs », l’équipe analyse le non-traitement médiatique de la venue du président équatorien Raphael Correa en France en novembre 2013 et essaie d’en comprendre les raisons, ou du moins, d’ouvrir le débat, ce qui fait de ce documentaire un très bon support pédagogique sur les mécanismes qui sous-tendent la fabrique de l’information et la fabrique du consentement. Nous avons déjà prévu d’utiliser ce premier épisode* dans certains de nos enseignements et nous vous ferons part de nos retours pédagogiques.

Ce travail est également l’occasion de (re)découvrir quelques choix politiques effectués par l’Équateur ainsi que d’autres pays d’Amérique latine qui apportent des propositions originales contredisant, de fait, le concept de « TINA ». L’objectif n’est pas de démontrer que ces alternatives sont plus efficaces qu’une politique néo-libérale mais de réouvrir un débat confisqué par TINA.

L’objectif est de poursuivre l’aventure en Équateur pour terminer le tournage du prochain épisode. Mais l’information a un coût, l’équipe a besoin d’au moins 25 000 euros. Pour réunir cette somme, l’équipe a choisi le financement participatif, l’idée étant de rendre le film librement accessible par la suite.

Pour voir le premier épisode, obtenir les dates des projections publiques, en savoir plus et soutenir le second volet, c’est par ici.

Film Opération Correa

* Nous avons déjà beaucoup pillé le travail de Pierre Carles à des fins pédagogiques, notamment Pas vu, pas pris et Enfin pris pour des ateliers d’analyse des médias, ou Attention danger travail pour interroger la valeur travail (voir l’atelier sur la notion de Travail en 1ère ES, par Yasmine Hégot).

Stage doctoral "Science sans conscience n'est que ruine de l'âme"

Nouveau stage doctoral « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » – De l’éthique à l’université.  Deux stages prévus, co-dirigés par Guillaume Guidon et Richard Monvoisin. 

Inscriptions au DFI  (service Doctoral pour la Formation, l’Initiation et l’insertion professionnelles de l’Université de Grenoble)

Stage 1 : lun 17, mar 18 et lun  24 novembre 2014
Stage 2 : lun 23, mar 24 février et lun 2 mars 2015

Objectifs visés :

  • Analyser les postures idéologiques sous-jacentes en science et questionner sans complaisance le statut, les enjeux et le rôle de la science.

  • Créer un outil pédagogique critique exploitable durant le stage.

Résumé :

« Sapience n’entre point en âme malivole, et science sans conscience n’est que ruine de l’âme ».

Rabelais, « Pantagruel » (1532)

Sur quelle base porter un jugement moral sur une action ? Faut-il juger une invention, ou une grande découverte scientifique, au regard de ses conséquences pratiques ou prévisibles ?

Faut-il condamner l’inventeur du couteau, ou Einstein pour ses théories en physique ayant permis la bombe atomique ? D’un autre côté, innover, inventer n’est-il pas un droit, voire un « devoir moral », récompensé par l’institution ? Faut-il freiner les études scientifiques au nom de leurs conséquences ultérieures ?

Nous verrons à travers ce stage comment il est possible de mobiliser la raison dans les réflexions éthiques, et de bien cerner les parts subjectives de nos analyses. Nous essaierons de montrer, à quatre voix, dans un tiraillement entre conséquentialisme et déontologisme, que le questionnement est récurrent : si je fais ceci plutôt que cela dans telle situation, au nom de quoi pourrais-je dire que ma décision est la bonne ? Cette question est rendue d’autant plus piquante que nous, enseignants et chercheurs, faisons profession d’intellectuels : avons-nous une responsabilité plus grande dans nos choix moraux ?

Au moyen d’outils simples, et de bases épistémologiques claires, nous développerons une grille d’analyse de grands sujets et des grandes notions éthiques, et voyagerons au travers de trois thématiques aux objets différents, mais aux impacts sociopolitiques majeurs :

  • la santé,

  • l’histoire et sa mémoire,

  • et la science politique.

Le troisième jour permettra aux doctorant.e.s de s’emparer d’un sujet posant un problème éthique, de le décortiquer en groupe et d’en faire un outil pédagogique sur le site de ressources critiques www.cortecs.org.

Résumé technique :
Stage en 2j +1
Max : 12

Responsables : Guillaume Guidon, Richard Monvoisin
Intervenant-es : Clara Egger, Nicolas Pinsault

Jour N°1

  • Introduction – R. Monvoisin

Grands courants de la philosophie morale – Illustrations et limites de chacune

Déontologisme et conséquentialisme. Que fournit la science aux débats moraux ? Réalisme et matérialisme méthodologique.

  • Science et santé – N. Pinsault

Réflexions critiques sur la notion de maladie et de bien-être.

Interactions art du soin / données scientifiques. Légitimité du placebo. Alternatives. Libre choix. Nouvelles technologies. Marché. Liens d’intérêts. Dépendance santé / industrie. Secret médical.

Jour N°2

  • Éthique et sciences politiques – C. Egger

Sciences politiques et positionnements éthiques.

Discours creux. Analyses grossières. Vernis de scientificité et concepts flous. Leurs dangers dans l’explication du monde politique et social. Propagandes et idéologies. Rôle de l’intellectuel.

  • L’Histoire et sa mémoire – G. Guidon

Enjeux éthiques, politiques et sociaux de l’Histoire.
Instrumentalisation, révisionnismes et négationnismes.
Invention de mythes et roman national. Problématique des lois mémorielles.