Cet article (9/12) s’inscrit dans une série de douze articles sur la naturopathie rédigée avec la volonté de porter un regard détaillé et critique sur la discipline, et dont vous pourrez trouver le sommaire ici. Il ne s’agit pas de partir en quête d’une vérité absolue, mais d’alimenter des réflexions destinées à éviter de causer ou laisser perdurer des souffrances inutiles, de permettre à chacun.e de faire les meilleurs choix en termes de santé. Dans ce neuvième article, il s’agira de présenter des éléments relatifs à l’exercice illégal de la médecine et de la diététique.
Une partie des naturopathes milite activement pour qu’une réglementation vienne encadrer leur pratique, comme ce fût le cas en son temps pour l’ostéopathie (modèle de médecine alternative et complémentaire – MAC – qui inspire bon nombre de naturopathes en quête de reconnaissance) : il s’agirait ainsi de légitimer la discipline, d’en faciliter l’insertion dans les parcours de soin médicaux, et d’en restreindre l’accès aux personnes ayant suivi un cursus de formation strictement défini.
A l’inverse, de nombreux.ses professionnel.les de santé ne souhaitent pas une telle réglementation, mais désirent que les lois actuelles destinées à protéger l’exercice de la médecine et de la diététique soient appliquées de manière plus systématique, afin de préserver la santé des patient.es.
Commençons par évoquer le délit d’ exercice illégal de la médecine, qui est encadré par les articles L4161-1 à L4161-6 du Code de la santé publique :
« Exerce illégalement la médecine :
1° Toute personne qui prend part habituellement ou par direction suivie, même en présence d’un médecin, à l’établissement d’un diagnostic ou au traitement de maladies, congénitales ou acquises, réelles ou supposées, par actes personnels, consultations verbales ou écrites ou par tous autres procédés quels qu’ils soient, ou pratique l’un des actes professionnels prévus dans une nomenclature fixée par arrêté du ministre chargé de la santé pris après avis de l’Académie nationale de médecine, sans être titulaire d’un diplôme, certificat ou autre titre mentionné à l’article L. 4131-1 et exigé pour l’exercice de la profession de médecin […] »
La plupart des naturopathes le savent : leur pratique relève bel et bien de l’exercice illégal de la médecine. Cependant, iels misent sur la difficulté à prouver le caractère répété des actes interdits pour que les juges ne les condamnent pas en cas de poursuite.
Je voudrais prendre un temps pour insister sur la notion de diagnostic, dont je rappelle la définition : le diagnostic médical est la démarche par laquelle une personne détermine l’affection dont souffre un.e patient.e. Établir un diagnostic lorsque l’on est pas médecin relève de l’exercice illégal de la médecine, comme mentionné ci-dessus. Le discours officiel de la naturopathie consiste à affirmer que les naturopathes ne sont pas concerné.es, car iels n’établiraient pas de diagnostic, mais établiraient un « bilan de santé » ou un « bilan de vitalité » : on parle alors de terrain, de forces, de faiblesses, de prédispositions, d’indices, d’hypothèses, d’énergie vitale, de tempérament, de constitution ou de diathèse…
Pourtant, en pratique, les naturopathes ne cessent de prétendre déterminer les causes réelles et profondes des maladies (cf. le causalisme et l’humorisme, piliers de la naturopathie mentionnés précédemment). En parallèle de cela, le recours à des questionnaires diagnostics est très courant en naturopathie, que ce soit pour diagnostiquer une candidose, une acidose, des « carences » en neurotransmetteurs ou bien encore une hyper-perméabilité intestinale. Les naturopathes renvoient aussi régulièrement vers divers bilans biologiques supposément pertinents pour la prise en charge qu’iels proposent : dosage de l’iode dans les urines, analyse du microbiote intestinal, dépistage de pseudo-intolérances alimentaires à IgG1, recherche d’anticorps spécifiques à la candidose etc. Mentionnons également le recours commun à l’iridologie2, cette pratique qui consiste à observer l’iris (la partie colorée des yeux) pour déterminer des prédispositions ou des troubles de santé. Il s’agirait de déterminer la présence de carences, de toxines, de marqueurs d’oxydation ou de surcharges métaboliques. Ce qui relève donc bien d’une démarche diagnostique…
Prenons également un temps pour questionner la dimension thérapeutique de la naturopathie. Les naturopathes, pensant échapper ainsi à l’exercice illégal de la médecine, prétendent souvent avoir une activité purement préventive et ne pas proposer de traitements. Pourtant, une large partie des personnes qui consultent le font dans l’idée d’améliorer leur état de santé, voire de traiter une maladie, et non pas uniquement dans une démarche préventive ou de bien-être. D’ailleurs, on retrouve cet aspect curatif dans la définition même de la naturopathie (voir le premier article de cette série), qui évoque l’objectif d’ « optimiser la santé globale de l’individu » et de « permettre à l’organisme de s’auto-régénérer ». Et il n’y a pas besoin de creuser bien loin pour trouver d’innombrables articles, ouvrages et vidéos qui mettent en avant les prétentions thérapeutiques de la naturopathie.
La plupart des naturopathes ne sont pas dupes : iels savent que leur activité tombe sous le coup de la législation relative à l’exercice illégal de la médecine. Iels vont par contre faire en sorte que cela ne puisse pas être prouvé devant un.e juge, notamment en prenant des précautions de langage et en laissant un minimum de traces écrites, ce qui rend difficile de prouver le caractère répété des actes interdits.
Parmi les précautions de langage couramment recommandées, on pourrait citer le fait de ne pas mentionner de pathologies sur son site internet ou ses réseaux sociaux, de ne pas afficher publiquement de prétentions thérapeutiques, ou bien encore de substituer certains termes médicaux par des termes moins connotés : « bilan de santé » et non pas « diagnostic », « accompagnement holistique » et non pas « consultation », « phytologie » et non pas « phytothérapie », « consultant.e » et non pas « patient.e » etc. Or, changer l’étiquette du bocal n’en modifie pas le contenu : qu’une recommandation d’huile essentielle en raison de ses prétendues propriétés curatives soit présentée comme relevant de l’aromatologie plutôt que de l’aromathérapie n’ôte en rien sa dimension thérapeutique.
Ces recommandations consistant à jouer sur les mots sont le plus souvent faites dès la période de formation en naturopathie, et quasi-systématiquement dans un contexte privé. Pourtant, en cherchant un peu, on peut trouver des recommandations de ce genre formulées publiquement, comme par exemple dans cette vidéo récente3 où un naturopathe de renom conseille de jeunes diplômé.es en naturopathie :
« Et il est évident que tout qui se termine par « thérapie », vous l’oubliez en France – réservé aux médecins – de même que « diététique » qui est lié à un diplôme d’État […] Acupuncture : pas question de piquer – ou discrètement ! […] Les mots qui tuent, c’est des rappels pour les professionnels qui sont là […] pour éviter d’aller tout de suite en prison. […] La liste est longue, j’ai deux pages de mots. Je vais vous les donner rapidement. […] A comme « aromathérapie », oubliez hein, on croit souvent que l’aroma fait partie de nos techniques : non ! Il faut jouer sur les mots ou réfléchir et parler d’aromatologie et non pas d’aromathérapie. Tous les mots se terminant par « thérapie » en France amènent en prison. […] « Diététique » ou « diététicien », ben non. Il y a un diplôme d’État donc on peut parler de « réglages alimentaires », on peut parler d’« hygiène alimentaire », d’accord ? Si vous voulez un mot compliqué, vous utilisez le mot « bromatologie » […] « Ordonnance » bien sûr, aucune ordonnance, on ordonne rien, de quel droit ? On conseille, on accompagne… »
Ces « bons » conseils m’amènent à évoquer l’exercice illégal de la diététique. La profession de diététicien.e est définie par l’article L. 4371-1 du code de la santé publique dans les termes suivants :
« Est considérée comme exerçant la profession de diététicien toute personne qui, habituellement, dispense des conseils nutritionnels et, sur prescription médicale, participe à l’éducation et à la rééducation nutritionnelle des patients atteints de troubles du métabolisme ou de l’alimentation, par l’établissement d’un bilan diététique personnalisé et une éducation diététique adaptée. […] »
En outre, l’article L. 4371-2 du code de la santé publique énonce que :
« Seules peuvent exercer la profession de diététicien les personnes titulaires du diplôme d’Etat mentionné à l’article L. 4371-3 ou titulaires de l’autorisation prévue à l’article L. 4371-4 ou mentionnées à l’article L. 4371-7. »
Il résulte de la combinaison de ces dispositions que toute personne qui, sans être titulaire d’un diplôme de diététicien.e (ou d’un titre ou d’une autorisation spécifique), délivre des conseils nutritionnels pratique illégalement la profession de diététicien.e. Ce qui caractérise l’activité principale des naturopathes, pour lesquel.les les recommandations nutritionnelles constituent le socle de leur pratique. C’est donc en connaissance de cause qu’iels choisissent de parler de « réglages alimentaires », d’« hygiène alimentaire » ou de « bromatologie », espérant ainsi échapper à une condamnation pour exercice illégal de la diététique…
Mais les précautions qu’iels prennent à ce sujet sont moindres que celles déployées pour ne pas être jugé.es coupables d’exercice illégal de la médecine. Sûrement car leurs craintes sont moindres aussi, en l’absence d’institution ordinale protectrice de la profession de diététicien.ne.
Pour lire les articles précédents et suivants de cette série sur la naturopathie : cliquer ici.
- Sur les pseudo-intolérances alimentaires à IgG : https://sohan-tricoire.fr/intolerances-alimentaires-a-igg/
- Sur l’iridologie : https://sohan-tricoire.fr/iridologie-les-yeux-sont-ils-le-miroir-de-lame/
- Vidéo de 2021 étrangement supprimée depuis que j’ai attiré l’attention dessus. Drôle de coïncidence…