Sophisme – Appel à l'ignorance

L’appel à l’ignorance (ad ignorantiam) ou inversion de la charge de la preuve

CorteX_charge_de_la_preuveMéthode : prétendre que quelque chose est vrai seulement parce qu’il n’a pas été démontré que c’était faux, ou que c’est faux parce qu’il n’a pas été démontré que c’était vrai. Exemples :

  • Il est impossible de prouver que je n’ai pas été enlevé par des extraterrestres. Donc j’ai été enlevé par des extraterrestres (argument de Raël).
  • Il n’est pas démontré que les ondes wi-fi ne sont pas nocives. Donc elles le sont.

Cette forme de faux dilemme consiste à poser que puisque l’inexistence d’une chose n’est pas prouvée, on peut déclarer qu’elle est vraie. Ceci est non seulement en contradiction avec un scepticisme raisonnable, mais est par ailleurs un cas flagrant de renversement du poids de la preuve : alors que c’est à celui qui affirme de démontrer son propos, l’interlocuteur, en affirmant qu’elle est vraie, sous-entend « et prouvez-moi que c’est faux ». On retrouve ce sophisme dans les phrases type : « Prouvez-moi que l’homéopathie ne marche pas ».

En cours, nous utilisons plusieurs stratagèmes faciles pour montrer l’inanité d’une telle posture. En voici un, que nous appelons le coup des claquements de doigts :

« Si je vous déclare qu’entre ces deux claquements de doigts (clac, clac) je me suis mis nu et ai fait trois fois le tour de l’amphithéâtre à cloche-pied, puis me suis rhabillé mais vous n’avez rien vu puisque j’étais dans l’hyperespace ; si j’ajoute « prouvez-moi le contraire », vous comprenez bien que vous êtes (faussement) coincés dans votre argumentaire. Car c’est à moi de faire la preuve de ce que j’avance. ».

Anaïs Goffre a découpé cet extrait d’une interview de Simone de Beauvoir faite par un québécois, Wilfrid Lemoine, en 1959 à Paris. Emission censurée puis diffusée en entier seulement 40 ans après, en 2009. Plus d’informations ici. Merci à Anaïs pour cette trouvaille.

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=yZ-9g9xCkt8]

N’hésitez pas à nous proposer des compléments ou du matériel illustrant ce sophisme.

Denis Caroti

Tiré de la thèse de Richard Monvoisin

Alain Le Métayer nous fait part de cette séquence pédagogique avec laquelle il illustre la charge de la preuve… à l’aide du Père Noël !

Comment faire en sorte que des collégiens comprennent bien que la charge de la preuve revient à celui qui affirme quelque chose ?

1. Une situation très motivante :

Lors du dernier cours avant les vacances de Noël, je parle du Père Noël aux élèves de sixième. Bien sûr, ils me disent avec force qu’il n’existe pas. « Comment ça il n’existe pas ! Prouvez-moi que c’est faux ! Dix mille euros à celui ou à celle qui me prouvera par écrit que le Père Noël n’existe pas. » Cette proposition remporte un succès massif et de nombreux élèves rédigent à la hâte, sur un bout de papier, leur « preuve » qu’ils me tendent frénétiquement …

Remarque : si je me permets d’affirmer que cette situation est « très motivante » c’est que les élèves en parlent entre eux, aux autres professeurs du collège et à leur parents. Ces derniers participent parfois à la rédaction des preuves et attendent avec impatience les résultats du « concours » !

2. Un constat embarrassant :

Après les vacances, je ramasse les « preuves » qui sont ensuite examinées (débats parfois animés avec la classe) puis… écartées une à une. Les élèves se retrouvent donc dans la situation suivante : ils sont incapables de prouver quelque chose qui leur apparaît faux de façon claire et évidente. Certains en sont furieux. Je constate devant la classe que cette situation est embarrassante : il ne serait donc pas possible non plus de prouver que les licornes roses invisibles n’existent pas, que les Bobelets (sorte de lutins que mes élèves connaissent bien) n’existent pas, que le pégase furtif marron non plus, que je n’ai pas de super pouvoir, bref, qu’il est impossible de prouver que quelque chose n’existe pas.

3. Une solution toute bête et toute simple :

Certes on ne peut pas prouver qu’une affirmation est fausse mais, après tout, tant pis, rien ne nous oblige à y croire. La solution est (presque) toujours proposée par un élève : « Donnez-nous des preuves et on y croira ! ». Je reformule : c’est à celui qui affirme quelque chose d’en apporter la preuve.

4. Bilan :

Le seul élément qui me permet d’affirmer que cette séquence sur le Père Noël est au moins « un peu efficace », c’est que les élèves l’évoquent par la suite, jusqu’en classe de troisième. Confrontés à des situations équivalentes (affirmations non étayées, argument « prouvez-moi moi que c’est faux »), certains élèves disent « Ah oui, c’est comme pour le Père Noël ! ».

Le document de travail fourni par Alain à ses élèves : à télécharger ici.

Histoire – Peut-on critiquer le Métronome de Lorant Deutsch ?

Très instructives sont les oeuvres de fiction dans leur manière de traiter ou de maltraiter la connaissance scientifique. Nous sommes plutôt coutumiers de films ou de séries qui traitent de physique ou de chimie, mais l’OVNI historique qu’a représenté le Métronome de Lorant Deutsch mérite un regard critique appuyé. Dans sa propension à proposer une interprétation dévoyée de l’histoire, l’analyse du Métronome rejoint les critiques du Comité de Vigilance sur les Usages de l’Histoire, que nous faisons nôtre. Nous n’avons pas les compétences pour décortiquer scientifiquement le Métronome, mais en attendant une déconstruction analytique, nous souhaitons placer en contre-point de l’immense couverture médiatique du livre puis des documentaires cette critique lancé par l’élu Alexis Corbière, sur un plan historico-politique.

Peut-on critiquer le Métronome de Lorant Deutsch ? 

(…) Il est temps que sur ce blog je m’exprime clairement à propos du volumineux et inattendu « buzz » qui est né en fin de semaine, depuis que la nouvelle s’est répandue que j’allais proposer un vœu au Conseil de Paris de demain et après-demain à propos du livre de Lorant Deutsch, le « Métronome ». Par naïveté, je pensais que l’écho médiatique de nos batailles sociales pour les parisiens, et notamment notre opposition à la volonté de la majorité socialiste que désormais les personnes âgées payent la carte Emeraude (qui leur donnait droit à la gratuité des transports), serait plus important que ma volonté d’ouvrir un débat sur le contenu de cet ouvrage. J’ai eu tort. Mais du coup, j’étais parti en province quelques jours et dans l’incapacité d’écrire sur ce blog pour apporter quelques précisions. De nombreux journalistes m’ont appelé et c’est au téléphone que j’ai pu m’exprimer pour préciser mon propos. C’est avec amusement que j’ai découvert par la suite les titres de ces différents articles. Ils sont révélateurs. En voici quelques uns, en vrac : « Lorant Deutsch attaqué par les élus communistes » (ça, c’est le Figaro qui ne connaît pas le Front de Gauche et le PG manifestement). Pour un autre : « Les élus PCF-PG réclament la tête de Lorant Deutsch » (Bigre, ça sent la guillotine et le sang… ! ). Pour un autre encore nommé Médiatterranée : « L’auteur du Métronome dans le collimateur des élus communistes » (Ils ne connaissent toujours pas le Front de Gauche ? Et pourquoi ce mot de collimateur qui sous-entend que je souhaite abattre un homme ?). Etc.. Et puis, il y a aussi l’extrême droite qui se déchaîne. Sur des sites de Fédérations FN, on affirme à mon sujet « La Gôche n’aime pas l’histoire » et l’on défend Lorant Deutsch. Selon des sites d’extrême droite, déjà connus pour m’insulter et me calomnier sur ma vie privée, je ferai preuve d’un « Totalitarisme de gauche » en osant m’en prendre à M. Deutsch. Enfin, « Jeune Nation », le site du groupuscule de l’ultra droite antisémite, affirme : « Lorant Deustch et son Métronome donnent de l’urticaire à la gauche maçonnique parisienne » et se moque de notre initiative en termes abjects. J’arrête, la liste est encore longue.CorteX_vignette_Metronome

Je m’amuse et m’indigne à la fois de cette façon de prendre le débat. Il faut donc remettre à l’endroit ce qui semble à l’envers dans l’esprit de certains. Je ne demande pas l’interdiction du Métronome de Lorant Deustch. Ce serait ridicule, je serais de plus un bien mauvais censeur, ce livre est vendu depuis deux ans avec le succès que l’on sait. Non, non, et non, je ne réclame aucune censure. C’est même l’inverse. Je refuse par contre que l’espace public et médiatique soit saturé d’une certaine façon de raconter l’histoire qui donne la part belle aux monarques et affaiblit la laïcité. Je veux défendre la liberté de conscience et la démocratie en demandant que ce ne soit pas seulement les ouvrages mâtinés d’obscurantisme qui dominent le haut du pavé. Je veux que l’école publique laïque et républicaine ne soit pas le lieu dans lequel se transmettent les légendes portées depuis des siècles par l’Eglise catholique. Est-ce trop ? Est-ce possible de faire entendre ma voix ? M. Deutsch et son éditeur disposent d’une puissance de feu médiatique 10 000 fois supérieure à la mienne et l’on me montre du doigt en me dépeignant comme une brute épaisse car j’oserais critiquer le contenu de ce livre ? Prenons garde. Si des gens comme moi ne peuvent se faire entendre, ou sont systématiquement ridiculisés, c’est là que résidera la nouvelle censure. Place aux marchands de produits à connotation historique, de préférence portés par un comédien ou un présentateur TV,  et silence du côté de ceux qui veulent défendre une histoire basée sur des faits historiques réels et prenant en compte l’existence du peuple, et ses aspirations, et non seulement de quelques « héros » et monarques glorifiés à longueur de pages. Car le paradoxe de la situation est le suivant : nous vivons désormais dans une société marchande et médiatique où il n’est plus besoin d’interdire un livre pour qu’il soit censuré, c’est de façon plus sournoise que les choses se déroulent. Il suffit d’ultra médiatiser certains ouvrages et de taire l’existence d’autres pour que l’affaire soit réglée.  C’est là le cœur du problème. C’est là le sens de mon vœu déposé au Conseil de Paris et qui va être débattu sans doute mardi après midi.

En voici l’essentiel du contenu. Rappel des faits. En 2009, le comédien Lorant Deutsch a publié un livre « Métronome » proposant une histoire de Paris construite au gré de promenades suivant des stations du métro parisien. Cet ouvrage a rencontré un vif succès a été vendu à près de 2 millions d’exemplaires. Pour moi, cela traduit une volonté, tout à fait positive, de la part de beaucoup de personnes, et évidemment de parisiens, de mieux connaître l’histoire de notre ville.

En plus de son succès commercial, cet ouvrage a immédiatement bénéficié d’une forte promotion médiatique, d’un soutien de la part du service public qui a financé la production de quatre épisodes diffusés à la télévision (France 5) qui reprennent son contenu historique, animé et présenté par son auteur M. Lorant Deutsch. Ce dernier a même été invité dans des écoles parisiennes, où en présence des représentants du Rectorat et d’élus de la Ville de Paris, il a proposé des conférences basées sur ses travaux, à de jeunes élèves d’écoles élémentaires. Le 4 juin 2010, le Maire de Paris a remis la médaille Vermeil de la Ville de Paris à M. Deutsch pour lui assurer « la gratitude, l’admiration et les encouragements » de la Ville. A cette occasion, le Maire de Paris a qualifié son livre de « remarquable récit » et a assuré à M. Deutsch que « cette ville vous doit beaucoup ».

On ne peut rester indifférent à cette situation. La façon dont se transmet l’histoire de notre ville n’est pas une question secondaire. Elle a nécessairement des conséquences sur la perception qu’en ont et auront nos concitoyens . Il y a ici un problème majeur. Le Conseil de Paris doit savoir que l’ouvrage de M. Deutsch contient de très nombreuses erreurs, affabulations et inventions historiques flagrantes qui ont choqué beaucoup d’historiens spécialistes de l’histoire de notre Ville. Il propose en réalité une vision orientée, répondant à une lecture idéologique assumée, pétrie notamment des convictions religieuses de l’auteur, bien particulière de notre histoire commune. L’auteur, au cours d’un entretien a d’ailleurs affirmé : « L’idéologie ne doit pas être détruite au nom du fait scientifique ». Ainsi, il ne se cache pas d’être hostile à la République, particulièrement à la Révolution française et se dit nostalgique de la monarchie (cf. l’émission On n’est pas couché). Les révolutionnaires de l’an II sont systématiquement montrés comme destructeurs et méprisables. Il invente par exemple une scène où Maximilien Robespierre couperait des poils de la barbe du cadavre d’Henri IV. Cette scène imaginaire vise à moquer une des principales figures du jacobinisme. Il assure dans son épisode 1 diffusé sur France 5, sans recul, que si Biscornet, le serrurier et ferronnier du portail de Notre Dame de Paris a pu réaliser dans les délais demandés son œuvre : « sans aide surnaturelle, c’est impossible.. alors Biscornet signe un pacte avec la diable qui permet de l’aider en temps voulu, contre son âme.. ». Est-ce bien raisonnable de présenter les choses ainsi, dans des conditions où les parents pensent que leurs enfants peuvent se cultiver en regardant ces épisodes (et les choses sont écrites de façon quasi identique dans le bouquin ) ?  Et le livre est rempli d’exemples comparables. Il consacre généralement plusieurs pages à des légendes pures et simples (notamment celle de saint Denis, saint Marcel ou saint Martin relatées comme des faits quasi réels) mais oublie ou minimise des moments importants de l’histoire de Paris (la Commune de 1871, l’occupation, etc…).

Selon moi, le Conseil de Paris ne saurait cautionner sans commentaire ni mise en garde, une telle vision de notre histoire commune. Bien sûr, l’histoire appartient à tous et chacun peut écrire et publier ce qu’il veut. Mais, il convient notamment de préciser aux lecteurs et aux amoureux de Paris que l’ouvrage de M. Deutsch et son adaptation télévisée,  ne sont pas des outils pédagogiques qui peuvent être utilisés, sans recul ni critique, dans nos écoles. Actuellement, le site de la Ville de Paris fait encore la promotion de cet ouvrage apportant là une « caution » particulièrement valorisante.

C’est pourquoi, je demande :
–          que cesse la promotion acritique de la part de la Ville de Paris (sur son site, dans les écoles parisiennes, etc…) de l’ouvrage de M. Lorant Deutsch

–          que les associations d’historiens faisant la promotion d’une éducation populaire de l’histoire de la Ville de Paris soient sollicitées pour promouvoir une histoire de Paris conforme à la réalité historique

–          qu’un débat public soit proposé et organisé entre M. Lorant Deutsch et des historiens sur l’histoire de Paris

–          que des outils pédagogiques « grand public » (DVD, brochure…) proposant une découverte de notre capitale soient encouragés et réalisés avec l’aide de la Ville de Paris.

Voilà donc, ce que je demande au Conseil de Paris. J’ignore encore les conditions dans lesquelles tout ceci sera débattu dans les jours qui viennent. J’en ferai état sur ce blog. Je précise une dernière chose. Je suis un homme de gauche, engagé dans le débat public. Mais, cette « polémique » n’est pas d’ordre privée entre M. Lorant Deutsch et moi sous prétexte qu’il ne partage pas mes opinions politiques. Il existe , selon moi, des historiens de droite et monarchistes tout à fait rigoureux et dignes de foi. Je sais tout cela. De grâce, que l’on ne caricature pas ce que je veux faire entendre avec d’autres. Je suis surtout la voix dans cette affaire d’historiens et d’associations d’historiens qui essayent de se faire entendre depuis des mois, en vain. Je pense ici aux associations d’Education populaire Goliards animé par M. William Blanc et aussi Histoire pour tous. Que l’on soit d’accord ou pas avec les critiques que nous portons, ils veulent, et moi avec eux, d’abord une chose : que le débat soit possible et qu’il soit à armes égales La façon dont se transmet l’histoire d’une Nation est un enjeu majeur. Ne laissons pas cela entre les mains des marchands et des nostalgiques de l’Ancien régime. Débat d’apparence mineur aujourd’hui, c’est pourtant de l’avenir de la République qu’il s’agit. Que chacun y réfléchisse.

Alexis Corbière

Vous êtes compétent-e pour faire une critique du Métronome ? Nos pages vous sont ouvertes. Contactez-nous.

Le coût de la connaissance – Boycott d'Elsevier

Dans les années 1580, un certain Lodewiejk Elzevir (1542–1617), typographe de Louvain, monta à Leyde une entreprise de publication et de vente de livres, en particulier des classiques latins mais aussi des livres plus engagés, dont ceux d’Erasme ou Galilée. La boîte ferma en 1712, mais c’est en hommage à cette vieille maison qu’en 1880, à Amsterdam, naquit Elsevier sous sa forme moderne… et tentaculaire. L’entreprise a tellement grandi en un siècle que la marque couvre désormais une importante part de la publication scientifique dans le monde. Propriétaire de la revue Cell, du Lancet, de collections de livres comme Gray’s anatomy, elle publie 250 000 articles par an, dans 2000 journaux. En 1993, Reed International PLC et Elsevier PLC fusionnent et forment ce qui est actuellement le deuxième diplodocus de l’édition au monde. Les profits, eux aussi, sont colossaux (plus précisément, l’EBITDA [0] est de l’ordre de 36% sur un chiffre d’affaire de 4,3 milliards de dollars en 2010, ce qui représente plus de 1,5 milliards de dollars), avec une pratique de prix d’accès à leur catalogue agressive et, pour tout dire, assez choquante. Pour avoir un ordre d’idée, certaines bibliothèques payent pour l’abonnement aux revues d’Elsevier près de 40 000 dollars [1].
La situation se résume grosso modo ainsi :
Une personne produisant un savoir, généralement avec de l’argent public, doit publier coûte que coûte pour survivre dans son métier. Or publier signifie apporter son travail à une revue. Vend-elle son travail ? Non, elle l’offre. Et pour être précis elle paye même pour soumettre son article (sans assurance d’être acceptée). Qu’a-t-elle en échange ? Du capital symbolique sur le marché du travail, car la publication est intégrée dans le Curriculum Vitae du chercheur. Qui va accepter ou non l’article ? Des collègues plus ou moins lointains de la personne, spécialistes du sujet, que la maison recrute mais ne paye pas (car là encore, être relecteur se vend bien sur un CV). Que fait ensuite la revue ? Elle revend les articles aux universités, à un prix exorbitant [2].
Comme on ne manquera pas de le remarquer, il s’agit, dans cette marchandisation du savoir, d’un quintuple effet kiss cool, ou d’une quintuple tonte gratis :
– le contribuable paye par ses impôts une recherche (bruit de machine à sous)
– que le chercheur publiera en payant [3] (bruit de machine à sous), 
– que d’autres chercheurs devront relire gratuitement (bruit de machine à sous,
– car c’est sur du temps de travail du chercheur payé par le contribuable) 
– que les universités doivent racheter à prix d’or un couteau sous la gorge, (bruit de machine à sous) perdant à peu près la moitié du budget fonctionnement des bibliothèques universitaires, et excluant d’office les universités les moins riches

Tout ceci a des répercussions sur les frais de scolarité des étudiants, voués probablement à devenir chercheurs, qui devront publier, etc.
Arrive soudain que souffle le vent de la contestation.

CorteX_Logo_Elsevier CorteX_Logo_boycott_Elsevier_Daniel Mietchen
Logo d’ElsevierUn vieux sage, près d’un orme servant de tuteur à une vigne, allégorie du rôle symbiotique « éditeur/chercheur ». Non solus signifie « pas seul » Logo Boycott Elsevier (parmi d’autres créé par Michael Leisen)Le vieux sage se tourne cette fois vers la planète de PLoS, Public Library of Science, pour un accès libre, et laisse l’arbre mort seul.
 
 

De fait, des chercheurs se sont fâchés. Des mathématiciens, d’abord, souvent il faut bien le dire, à l’avant-garde contestataire en science.

CorteX_The-Cost-of-Knowledge-petLeur vase déborda lorsqu’en décembre 2011 fut présenté au Congrès états-unien un projet de loi sur les travaux de recherche interdisant aux agences fédérales d’exiger le libre accès à des résultats scientifiques, et ce même lorsque ces recherches sont financées par l’Etat fédéral états-unien. C’en était trop. Le 21 janvier 2012, le matheux Timothy Gowers, médaille Fields en 1998, annonça publiquement son boycott d’Elsevier. Un article du Guardian [4] puis du New York Times [5] relatèrent la chose, et trente-quatre autres mathématiciens suivirent. Une pétition naquit, intitulée The Cost of knowledge (« le coût de la connaissance ») enjoignant à ne pas soumettre d’articles à des revues de l’entreprise, ne pas se réferer à des articles d’Elsevier et ne participer d’aucune manière à ses éditions.

The Cost of knowledge a été signée par désormais plus de 10 000 chercheurs académiques. L’Université française P. & M.CorteX_The_Cost_of_Knowledge Curie a relayé le boycott, elle qui dépense 1,02 millions d’euros pour ces abonnements. Puis l’Université de Harvard a suivi car bien qu’elle soit la deuxième institution à but non lucratif la plus riche dans le monde, ses comptes sont gravement amputés par les abonnements aux revues académiques : il semble que le prix des abonnements lui coûte chaque année en moyenne 3,75 millions de dollars. Le directeur de la bibliothèque, Robert Darnton, a déclaré dans le Guardian :

 « J’espère que d’autres universités vont faire des actions similaires. On est tous confrontés au même paradoxe. Nous faisons les recherches, écrivons les articles, œuvrons au référencement des articles par d’autres chercheurs, le tout gratuitement… Et ensuite nous rachetons le résultat de notre travail à des prix scandaleux. »

S’il était des étudiants Québecois en lutte qui se demandaient encore à quoi pouvaient servir des frais d’inscription croissants à l’université, ils ont là un élément de réponse.

A Grenoble ? Le laboratoire de mathématiques de l’Institut Fourier a, selon Le Monde, renégocié son contrat en février 2012 pour une durée de trois ans avec l’éditeur Springler. Chaque année, il dépense en moyenne 135 000 euros pour l’achat de ses revues, pour un budget total de fonctionnement d’environ 400 000 euros.

Au cours des négociations, l’Institut a lancé un appel pour tenter d’être en position de force face à l’éditeur. « Ce n’était pas un boycott », explique Benoît Kloeckner, de l’Institut Fourier de Grenoble (…)  :

 

« Les contrats sont pluriannuels donc il est impossible de se désabonner d’une revue et l’éditeur prévoit des augmentations des prix supérieurs au coût de la vie, de l’ordre de 3 à 4% à chaque négociation. » Son Institut a réussi à limiter la hausse à 2% mais « sur l’essentiel, le désabonnement, on n’a pas eu gain de cause ». (…) « les éditeurs sont en position de force car paraître dans ces revues participent à la réputation d’un chercheur. » [6]

Publicisation des coûts, privatisation des profits, mise en concurrence, cela nous rappelle d’autres modèles économiques.
Alors ? Les solutions sont « pirates ». La publication libre et gratuite s’impose lentement, sous forme de revues électroniques gratuites, de plates-formes d’archives ouvertes, arXiv ou Hal. Reste encore le problème de relecture par les pairs, qui n’est pas encore réglé. Une note publiée sur le site de Harvard et envoyée aux 2 100 professeurs et chercheurs les encourage à mettre à disposition, librement, en ligne leurs recherches.
Le corteX, dont les ressources pédagogiques sont libres, s’inscrit complètement dans cette démarche, depuis le début, et ne peut qu’encourager ses membres, son réseau et tous les chercheurs à publier librement, à construire le nouveau système de relecture de la publication libre, et à boycotter les poulpes comme Elsevier. CorteX_The_Cost_of_Knowledge_commitment
La charte se trouve ici.
Le choix de cette déclaration ne va pas sans douleur pour nous. Deux exemples : Nicolas Pinsault et moi-même avons un ouvrage sur le feu (un manuel critique pour kinésithérapeutes) que nous pensions éditer chez Masson. Or Masson, c’est Elsevier. Nous n’irons donc pas proposer notre manuscrit chez Masson. Quant aux revues d’Elsevier qui nous publiaient, nous allons devoir nous en éloigner un peu, souvent à regret. Certains de nos articles sont dans les tuyaux de Kiné la revue, hélas propriété d’Elsevier aussi. Il va être coûteux de ne plus écrire là-bas. Ceci étant, les revues auront tout loisir de citer nos publications une fois mises en ligne gracieusement par nos soins.

Richard Monvoisin

[0] L’EBITDA (Earnings before Interest, Taxes, Depreciation, and Amortization) est un indicateur classiquement utilisé pour mesurer la rentabilité d’une activité économique. Il est différent du résultat net de l’entreprise puisqu’il ne prend en compte ni les amortissements, ni les charges financières (comme le coût de la dette, par exemple), ni l’impôt sur les sociétés. Il permet notamment d’évaluer la marge générée par l’activité de l’entreprise indépendamment de sa structure de financement. Merci à Léonore et Baptiste pour ces renseignements généreux.
[1] A titre indicatif, les 127 établissements français dont les achats d’abonnements électroniques sont gérés par la structure centrale ABES (Agence Bibliographique de l’Enseignement Supérieur), le montant 2010 des abonnements Elsevier s’est élevé à 13,6 millions d’Euros (soit 69% du total des abonnements électroniques gérés). On lira les rapports d’activité annuels ici.
[2] Pour donner un ordre d’idée : si vous ou moi voulons obtenir par exemple, au hasard, l’article The DRESS syndrom : litterature review, de Cacoub & al,  dans The American Journal of Medicine Volume 124, Issue 7, juillet 2011, pages 588–597, il nous en coutera la bagatelle de 31,50 dollars US.
[3] Pour avoir un ordre d’idée, Nicolas Pinsault m’indique que par exemple pour Nanomedicine: Nanotechnology, Biology and Medicine, revue prise parmi les titres Elsevier, le coût de soumission (submission fee), non remboursable est de 100 US$ (voir ici). Mais les sommes peuvent grimper un peu, comme dans le domaine de la science économique. 175 US$ pour soumettre au Journal of Monetary Economics (Elsevier), 5 US$ de plus pour le Journal of Banking and Finance (Elsevier), et jusqu’à 400US$ pour le Journal of Financial Economics. Toujours Elsevier. (Source Laurent Linnemer).
[4] Alison Flood, Scientists sign petition to boycott academic publisher Elsevier, The Guardian, 2 février 2012.
[4] Thomas Lin, Mathematicians Organize Boycott of a Publisher, New York Times, 13 février 2012.
[5] Anne Benjamin, Harvard rejoint les universitaires pour un boycott des éditeurs, Le Monde, 25 avril 2012.


Le blog Rédaction Médicale et Scientifique réagit à notre article ici.

Nous avons pris note des remarques et souhaitons user d’un droit de réponse.

L’article nous fait un procès d’intention en affirmant que nous sommes des « donneurs de leçon ». A moins d’en apporter la preuve, nous n’avons jamais prétendu donner des leçons, plutôt apporter des informations critiques sur un sujet complexe.
Ecrire que « Se battre pour l’Open Access va dans le sens de l’histoire, mais se battre pour la qualité est tout aussi important » est un argument fallacieux (un homme de paille pour être précis) puisque l’auteur travestit notre propos (qui n’a jamais été de baisser la qualité des publications scientifiques, bien au contraire).
– L’auteur instille que « Cortex semble se rapprocher d’un groupuscule militant en médecine, le Formindep » : cette scénarisation rappelle plus une nébuleuse terroriste qu’un réseau intellectuel. Formindep et CorteX collaborent effectivement et en toute transparence. Il nous semble étrange que cela inquiète.
– Enfin, l’article fait état que « La pseudo sagesse des donneurs de leçons ne tient pas toujours avec l’expérience et le temps« . Sauf incompréhension de notre part, cette phrase n’a aucune portée autre que de prêter des intentions, saper les rares énergies vivaces, et entretenir le calme plat et la bonace sur des processus délétères.

L’équipe du CorteX 

Le CorteX dans le Monde Diplo – Recherche publique, revues privées

CorteX_Diplo_2012-12-pRecherche publique, revues privées

par Richard Monvoisin, Cortecs, décembre 2012


Aux lourds rayonnages des bibliothèques universitaires s’ajoutent désormais une pléthore de revues spécialisées en ligne, qui offrent sans délai et souvent sans barrière de paiement les derniers résultats des laboratoires de recherche. Cette transformation pousse les scientifiques à s’interroger sur leurs modèles de publication, afin de les remettre au service de la connaissance et du public.

« Publier ou périr » (citation du zoologiste Harold J. Coolidge) résume aujourd’hui la vie de n’importe quel chercheur. Peu importe la qualité de son enseignement ou du suivi de ses étudiants : pour son prestige universitaire, l’évaluation ne repose que sur la quantité et la qualité des articles publiés dans des revues scientifiques avec comité de relecture — par des experts du domaine, c’est ce qu’on appelle le peer review. La revue doit être choisie avec soin, en conjuguant prétention personnelle et facteur d’impact, cette dernière valeur étant fondée sur le nombre moyen de citations des articles de ladite revue dans d’autres articles scientifiques. Et il faut viser juste : trop bas (une revue peu connue), et l’article ne sera pas apprécié à sa juste valeur ; trop haut (les meilleures publications), et il peut être bloqué des mois durant par les relecteurs, pour finalement se voir refusé.

C’est dans les aspects pécuniaires que le bât blesse. Non seulement l’auteur de l’article n’est pas rémunéré, mais son laboratoire doit très souvent participer aux frais de secrétariat et d’impression, quand bien même nombre de revues s’orientent vers la publication électronique exclusive. Il reçoit en échange un capital non pas financier, mais symbolique : reconnaissance, prestige, ou plus précisément le droit d’indiquer le titre de son article sur son CV… Les lecteurs-évaluateurs de l’article sont quant à eux des chercheurs sollicités par les revues, eux aussi rémunérés en capital symbolique. La concurrence entre chercheurs du monde entier peut induire certains effets pervers, à la croisée de la collusion et du conflit d’intérêts, même si l’honnêteté et la bonne foi demeurent prédominantes. De plus, ce système est loin de garantir la véridicité et l’exactitude de toutes les publications : des résultats frauduleux, maquillés ou parfois complètement bidonnés passent régulièrement entre les mailles du filet.
Autre souci : l’évaluation des chercheurs, qui entraîne via la quête de citations une forme de trafic d’influences, amenant par exemple à citer des amis. Il n’est pas rare de voir des articles signés d’une dizaine de noms, ceux de jeunes chercheurs ayant réalisé l’essentiel du travail et ceux de directeurs de laboratoire, nettement moins impliqués. Il s’agit là du dévoiement d’un procédé qui peut s’avérer légitime dans de nombreux cas.

Ce système s’avère en outre très coûteux pour la communauté scientifique. Le contribuable finance une recherche que le scientifique publiera, parfois à ses frais, dans une revue adossée à une entreprise privée, que d’autres chercheurs devront relire gratuitement et que les universités devront ensuite racheter à prix d’or. La moitié du budget de fonctionnement des bibliothèques universitaires passe en effet dans les abonnements, ce qui désavantage d’emblée les établissements les moins riches et a des répercussions inévitables sur les frais de scolarité des étudiants. Cette année, l’éditeur Elsevier a été au cœur d’une polémique dans le milieu universitaire, quand un projet de loi visant à interdire le libre accès des travaux financés par le public a été présenté aux États-Unis. De nombreux scientifiques se sont révoltés, parmi lesquels Timothy Gowers, médaille Fields 1998, qui annonça qu’il boycottait désormais les revues liées à Elsevier. Pour certaines bibliothèques, l’abonnement aux journaux de cet éditeur représente jusqu’à près de 40 000 dollars, générant des profits qui avoisinent le milliard d’euros en 2011. De prestigieuses universités comme celle de Harvard, qui se déleste chaque année de 3,75 millions de dollars pour acheter des revues, ne peuvent qu’approuver et se joindre à cette fronde universitaire.

Il existe d’ores et déjà des solutions alternatives à ce mécanisme très commercial, en particulier du côté de la publication libre et ouverte (avec les sites PLoS, HAL, arXiv, etc.). À long terme, la communauté des chercheurs n’aura sans doute guère d’autre choix que de les développer afin de gripper le système actuel.

 

Décembre 2012.

PDF avec les notes de bas de page : télécharger ici

Soutenons la presse d’enquète et d’analyse.

Cours Paranormal, pseudo-sciences & esprit critique à Lyon 1

Ce cours s’adresse aux étudiants de L2 et L3 de toutes les spécialités de l’université Lyon I. Il s’intègre dans les enseignements intitulés « Transversales : Sciences Humaines et Sociales ». Les contraintes administratives nous obligent à organiser ce cours sous la forme d’un stage intensif de 15h réparties sur une semaine.
Depuis 2010, Denis Machon, Maître de conférences au département de Physique, anime ce cours en présence d’une cinquantaine d’étudiants en moyenne. Depuis cette année Maïlys Faraut, doctorante en neurobiologie, intervient également, et nous donne son analyse plus bas.

Analyse de Denis

Genèse

Ce cours est né de l’envie de faire partager la démarche zététique, d’informer et surtout de montrer qu’il est possible de mettre soi-même des démarches d’investigation personnelles sur tout sujet.
Ce cours s’est construit, dans une première étape, à l’aide des documents disponibles : livre d’Henri Broch et de la collection book-e-book et les références citées, sites web (Laboratoire Zététique, Observatoire zététique et, plus récemment, le CorteX), thèse (de Richard Monvoisin), etc. Par la suite, le cours s’est développé à l’aide de lectures complémentaires, de recherches personnelles (principalement en ce qui concerne les bavures scientifiques) et d’exemples piochés dans l’actualité.

Objectifs

Les objectifs de ce cours sont :

1 – De sensibiliser les étudiants à l’autodéfense intellectuelle : problématique des pseudo-sciences, importance de la démarche d’investigation, méthodes de manipulation, medias, etc.

2 – D’informer les étudiants de la possibilité d’accéder à une information contradictoire (bibliographie et sites web) en présentant les acteurs de la zététique.

3 – De traiter des cas précis afin de fournir un argumentaire et de clarifier des situations floues.

4 – L’objectif primordial est la présentation d’une méthode, de pièges à éviter et d’outils pour pouvoir se faire une opinion « éclairée ».

 

Déroulement

Le stage se répartit en 5 séances de 3h.

Séance 1 : une introduction qui pose une problématique. Il s’agit de montrer le fait que d’avoir accès aux études supérieures n’est en rien la garantie d’être à l’abri de confusion entre sciences et pseudo-sciences (même pour des étudiants scientifiques qui constituent le public de ce cours), que cette confusion est très répandue et ouvre la possibilité à de nombreuses dérives, que les pseudo-sciences occupent une part non-négligeable de notre vie.

Points forts : les étudiants sont sensibles à ces informations qui les concernent et leur font sentir qu’ils ne sont pas à l’abri de dérapages pseudo-scientifiques.

Points faibles : les études et les données présentées datent un peu. Des sources plus récentes à nous communiquer ?

Points à modifier/améliorer : il pourrait être intéressant de sonder les étudiants sur leurs « croyances » : qui se soigne par « médecines douces » ? La relativité est-elle une élucubration théorique ? Cela afin que les étudiants se rendent compte qu’ils entrent eux-mêmes dans les statistiques citées en cours. Toutefois, il existe un biais important : connaissant le thème de l’enseignement, ils risquent de fournir des réponses plus « raisonnables ».

 

Séance 2 : pour bien identifier ce que l’on peut appeler science, nous revenons sur la démarche scientifique. Cette qualification de « scientifique » est néanmoins problématique. En effet, pour un public scientifique, elle est acceptée mais pour d’autres publics elle peut-être rejetée car elle semble exclusive (confusion entre « démarche scientifique » et « démarche des scientifiques »). Le terme de « démarche d’investigation » est alors privilégié. Ensuite, nous insistons sur la notion de « affirmation testable » qui définit la barrière entre science et pseudo-sciences. Dès lors que l’on peu tester une affirmation (c’est-à-dire mettre en place une démarche d’investigation expérimentale), il faut surtout ne pas se gêner puisque cela permet de sortir de la discussion de comptoir et juger sur du factuel. Néanmoins, une expérience discriminante (entre deux hypothèses) reste délicate à établir à cause de possibles écueils. Avec la participation des étudiants, on construit alors une « bonne » expérience à partir de l’affirmation « je sais détecter la présence d’une balle sous un gobelet à l’aide de mon pendule ». On définit alors les points essentiels d’un protocole expérimental le plus complet possible.

Points forts : participation des étudiants ; présentation de la démarche scientifique (démarche d’investigation) que certains découvrent malgré leur cursus scientifique.

Points faibles : il y en a sûrement …

Points à modifier/améliorer : il serait formateur de faire la « démonstration » d’un pouvoir qui les surprenne vraiment par un bon tour de prestidigitation afin qu’ils mettent en place une expérimentation rigoureuse.

 

Séance 3 : en utilisant les notions vues en séance 2, on montre les pièges à éviter lors de l’étude d’un phénomène et également on donne des outils pour conduire son esprit critique. Il s’agit principalement de présenter et d’illustrer, par divers exemples classiques (sang de Saint Janvier, Cosmonaute Maya, etc.), les facettes et effets de la zététique illustrés, entre autres, par Henri Broch, et le CorteX.

Points forts : on donne une boîte à outils critiques à l’usage des citoyens.

Points faibles : le caractère « catalogue » de cette partie du cours tend à endormir les étudiants (et les enseignants également).

Points à modifier/améliorer : une des pistes d’amélioration est de passer de notre approche d’apprentissage par explication (de la théorie vers l’expérience où l’on propose d’abord des outils que l’on utilisera ensuite aux séances 4 et 5) à l’approche d’apprentissage par induction privilégiant la séquence expérience puis théorie.

 

Séance 4 : il s’agit ici de mettre en œuvre les pièges et outils vus à la séance précédente à l’aide d’études de cas. Sont abordés : les médias, l’astrologie, le sarcophage d’Arles-sur-Tech, la manipulation et l’homéopathie. Nous présentons ainsi la démarche d’investigation face à ces phénomènes étonnants : d’abord, de quoi parle-t-on ? La première étape est donc une étape de documentation la plus étayée, indépendante et recoupée possible. Ensuite, quels sont les pièges identifiés qui peuvent nous induire en erreur. Quels outils permettent de disséquer le phénomène et son contexte ? Eventuellement, est-il possible de tester soit même, par des expériences, certaines assertions ?

Points forts : beaucoup plus parlant que la séance précédente. Beaucoup d’étonnement de la part des étudiants en face d’informations qu’ils n’ont jamais eues (mais qu’ils n’ont jamais pensées aller chercher).

Points faibles : parfois, des considérations un peu techniques font perdre le fil.

 

Séance 5 : Bien qu’étonnés des informations obtenues lors de l’étude des cas, beaucoup d’étudiants se pensent à l’abri de dérapage « d’esprit critique », protégés par leur carapace « scientifique ». Dans cette dernière séance, il convient donc de montrer que cela n’est pas le cas. L’esprit critique est un travail de tous les jours et les scientifiques sont avant tout des hommes et des femmes avec leurs convictions, leurs croyances et leurs failles. Après avoir insistés sur le bienfait de l’erreur en science, son côté indispensable et sain, nous présentons les bavures scientifiques, c’est-à-dire non les erreurs scientifiques mais les erreurs de scientifiques : les expériences d’Yves Rocard sur le biomagnétisme, celles d’Eddington pour prouver la relativité, les rayons N et la mémoire de l’eau pour clore l’ensemble.

Points forts : cette partie originale touche les étudiants scientifiques en leur montrant qu’une bavure est vite arrivée.

Points faibles : tout comme la partie précédente, des aspects un peu techniques coupent parfois l’attention.

 

Denis Machon



Analyse de Maïlys

Dans le cadre du stage de zététique donné à Lyon 1 par Denis Machon, je suis intervenue avec deux cours d’environ une heure chacun. J’ai également présenté ces deux cours lors de « Student club » dans mon laboratoire (Institut Cellule Souche et Cerveau à Bron), qui sont des réunions où les étudiants présentent leur travail aux autres et parlent de sujets scientifiques qui les intéressent.

Le premier cours concernait le traitement de l’information (scientifique mais aussi non scientifique) par les médias (médias de vulgarisation scientifique ou généralistes).

Pour construire ce cours, je me suis appuyée sur la thèse de Richard Monvoisin ainsi que sur les exercices pédagogiques et exemples proposés sur cortecs.org. Ce cours avait pour but d’illustrer de façon concrète les effets zététiques présentés par Denis Machon lors des enseignements précédents.

Le cours était divisé en 4 points :

1 ) « Les mots » : où j’ai insisté sur l’importance du choix des mots et des images par les médias (effet Paillasson, effet Impact, effet Puits)

2) « Les arguments » : où j’ai présenté comment on pouvait donner plus de valeur à une information qu’elle ne le mérite réellement selon la façon dont elle était défendue (arguments d’autorité, effet Cigogne, effet Bipède)

3) « Les registres » : où j’ai montré des exemples de scénarisation de l’information (tous les carpaccios)

4) « Autres effets » pour rester vigilant : la technique de la « peau de chagrin » (rebaptisée « ballon de baudruche » pour ce cours  pour l’image du scoop qui se dégonfle au fur et à mesure de la lecture de l’article. Je l’ai rebaptisée car je ne trouve pas le concept de « peau de chagrin » très parlant) ; la « vente de la peau de l’ours » pour l’importance de la vérification des sources de l’information et enfin, un dernier point sur les chiffres.

Les personnes qui sont venues me parler du cours l’ont trouvé intéressant notamment parce que je montre que les médias de vulgarisation scientifique les plus connus utilisent souvent les mêmes procédés que les autres médias pour vendre leur information alors qu’ils bénéficient en général d’une « aura de rigueur » de par leur lien avec la science.

Par contre, ce cours dresse un tableau assez pessimiste sur les médias, ce qui a un peu déprimé les étudiants. Un étudiant a par exemple demandé : « Mais alors, si on ne peut rien croire, comment peut-on faire pour avoir de l’information valable ? » ; peut-être parce que je n’ai pas assez proposé de solutions (comme la multiplication des sources d’information par exemple) ?

Lorsque j’ai présenté ce cours en Student club (avant de donner le cours aux étudiants), on m’a reproché d’avoir trop d’exemples tirés de Science & Vie, ce qui faisait un peu comme si j’avais une dent particulièrement contre ce magazine. Au début, j’avais aussi beaucoup d’exemples de médias de vulgarisation scientifique, et peu de médias généralistes ce qui empêchait un peu de réaliser que les deux types de médias fonctionnent de la même façon. Du coup, j’ai essayé de mettre des exemples d’autres magazines que Science & Vie ainsi que de magazines plus généralistes pour permettre de faire le lien.

On m’a également fait remarquer que je parlais des « médias » en général mais que concrètement, je tirais essentiellement mes exemples des médias écrits, et pas tellement de la télévision, ou de la radio ou d’Internet. Il faudra que j’essaie d’élargir mes exemples pour le prochain cours ou que je cantonne mes conclusions aux médias écrits.

Pour ce cours, je n’ai pas du tout traité du monde du journalisme et de son fonctionnement, ce qui pourrait être très intéressant. Je pense notamment aux réflexions de P. Bourdieu (en particulier celles résumées dans son livre «  Sur la télévision »). Il faudra que j’essaie d’introduire un peu ces idées pour l’an prochain.

A la fin du cours, j’ai mentionné le film «  Les nouveaux chiens de garde » qui venait de sortir en salle. Des extraits de ce film pourraient être montrés pour illustrer les liens douteux entre politiques et médias (à disctuer).

Mon deuxième cours était une petite présentation d’expériences de psychologie sociale sur la manipulation. Pour réaliser ce cours, je me suis appuyée sur le livre « Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens » de Joule et Beauvois. Le but de ce cours était de montrer comment la façon dont on prend les décisions, qui est plutôt bien adaptée à la vie de tous les jours, peut, dans certaines situations, nous être défavorable. Les expériences de psychologie sociale que j’ai présentées montrent comment on peut changer de manière significative le comportement ou les opinions des gens en jouant sur les concepts d’engagement et d’effet de gel.

Ce cours est bien passé dans le sens où les expériences présentées sont assez amusantes. Cependant, je ne suis pas sûre d’être arrivée à faire passer clairement ce qu’elles montraient réellement, la théorie derrière étant finalement assez complexe.

Je n’ai pas eu trop d’interventions de la part des étudiants lors du cours mais j’en ai eu beaucoup lors du Student club. De manière assez récurrente, les personnes à qui je présente ces expériences se bloquent sur les diverses interprétations possibles de l’expérience, ce qui est intéressant en soi mais qui nuit un peu à la compréhension du fond. Pour chaque expérience présentée, il existe plusieurs interprétations possibles et une expérience, seule, ne permet pas de trancher (ce qui est le principe de construction de la science). Sauf que j’ai eu du mal à faire passer l’idée que l’interprétation proposée n’était pas le résultat de ces expériences seules mais de tout un tas d’expériences, qui, en faisant varier les conditions, sont parvenues à ces conclusions, les meilleures du moment. C’est un point sur lequel il est peut-être nécessaire de bien insister au début du cours, lors de l’introduction par exemple.

 

 

Maïlys Faraut, Université Lyon 1



Télécharger les cours de Maïlys Faraut :

Cours sur la manipulation
Cours sur le traitement de l’information par les médias

Biologie – Livre Les jeux de l’amour, du hasard et de la mort, de Paul Galand

A paru en 2011, aux éditions Racine, Les jeux de l’amour, du hasard et de la mort. Comprement animal et évolution sous la plume alerte de Paul Galand de l’Université Libre de Bruxelles, docteur en sciences zoologiques et agrégé d’université.

 

Je viens de le lire, que dis-je, de le dévorer. Farci d’exemples aussi truculents que roucoulants, avec des anecdotes qui font exploser de rire toutes les dix pages, Paul Galand introduit avec finesse les processus évolutifs, circonscrits les erreurs classiques, illustre les mécanismes de tamis des comportements du vivant avec les exemples les plus invraisemblables qui soient, certains sordides à souhait.

Partant des gamètes, de la semence, des ovulations, P. Galand explore les différentes « manières » que les espèces ont « développées » pour « assurer » leur descendance – ou que leur génome respectif, pourrait-on dire, a « emprunté » pour « assurer » sa propre reproduction.

Version sans guillemets (et sans téléologisme)  : P. Galand explore les différents résultats des processus évolutifs qui ont donné lieu à des espèces relativement stables et encore en vie.

Avec prudence, il balise les termes de « leurre », « ruse », « stratégie » ou « intention », évitant ainsi la chausse-trappe d’un dessein « intelligent » dans des mécanismes qui n’en ont pas du tout besoin. Hormis le rôle du sourire du bébé, il n’y a par contre pas d’introduction vers les mécanismes purement humains, ou vers de la mémétique (1) introductive, et ça m’a un peu manqué.

C’est un livre qui n’est pas un bouquin de spécialiste, mais qui nécessite une lecture relativement attentive. Je l’ai dévoré. Il y a un cahier photos en couleurs dedans.

17  x 24 cm
320 pages  € 22,50
Éditions Racine : écrire à sandrine.thys@racine.be ou au 02/646 44 44.

Richard Monvoisin

(1) La mémétique est une discipline qui se propose d’utiliser le concept d’objet culturel, le mème, pour faire une lecture évolutive darwinienne de la culture

La médecine et ses "alternatives", quelques outils d'autodéfense pour militant.es…

En ce début octobre 2013 paraissait la revue La Traverse N°3, éditée par les Renseignements Généreux. S’il en est qui n’ont pas consulté les numéros précédents et leur contenu, talentueusement mis en page par la graphiste Clara Chambon, qu’ils/elles se précipitent .
Richard Monvoisin y a écrit La médecine et ses « alternatives », Quelques outils d’autodéfense intellectuelle pour militant-es, reproduit ci-dessous, ainsi que sur Médiapart. En rouge, des corrections ultérieures.

Magnifique version pdf ici (sans la correction)

La médecine et ses « alternatives » – Quelques outils d’autodéfense intellectuelle pour militant.es

 
Je vais partir de la question suivante : quelles sont les raisons qui font que nous-mêmes, et nos proches, dont la santé est essentielle, nous détournons du système de soin classique pour recourir à des thérapies dites alternatives, quitte parfois à ce que l’efficacité du soin ne soit pas au rendez-vous ?

La médecine scientifique : hégémonie et gémonies

La médecine est un ensemble de techniques utilisées pour guérir un mal-être ou une pathologie particulière, ou pour prévenir leur apparition. L’objectif premier du médecin est de mettre au point des méthodes efficaces, c’est-à-dire des techniques qui, appliquées, permettent d’obtenir plus de guérisons qu’on n’en obtiendrait sans rien faire. Pour cela, il lui est nécessaire d’étudier longuement la physiologie et la psychologie de l’humain, et cela pose à mes yeux au moins cinq problèmes politiques majeurs à regarder de près.
Le premier problème vient directement de ces longues études : ayant suivi un long cursus, le toubib jouit d’un statut d’élite, supérieur aux pharmaciens, maïeuticiens (les « sage-femmes »), infirmiers, aide-soignants, et s’en sert souvent. Les médecins ont souvent cette morgue agaçante de ceux qui, comme les avocats ou les garagistes, nous placent dans une situation de dépendance technique – à la différence qu’il n’y a pas d’exercice illégal de la loi ou de la mécanique. Comme il y a par contre un exercice illégal de la médecine, que c’est la loi qui tranche entre ce qui est de la « bonne » médecine et de la « mauvaise », et que de fait il n’y a pas de processus démocratique consultatif sur les lois qui fixent le curseur, cela donne l’impression vague d’un corps « officiel » s’étant octroyé une hégémonie sur la santé, sur notre santé. Il n’est donc pas étonnant que des militants politiques méfiants envers des experts proclamés par l’état et semblant s’approprier une question qui nous appartient – le rapport à notre corps – dénoncent le statut mandarinal du médecin, et contestent son autorité, qui va parfois jusqu’à prendre des décisions à l’insu du patient, ou l’incorporer dans une étude sans le lui dire. Partant du principe que chacun.e est libre de disposer de son propre corps, il n’est pas illogique de contester les médecins qui doutent de la santé mentale et font la morale à un.e trans1, ou à une femme souhaitant avorter, qui font la leçon aux toxicomanes ou n’octroient pas aux personnes en souffrance le droit de mourir quand bon leur semble.
 
En revanche se posera alors la question, par exemple, de notre positionnement par rapport au Témoin de Jéhovah (TJ) qui refusera une transfusion sanguine car perçue comme contraire à ses principes religieux. J’ai envie de dire que si les risques encourus sont clairement exposés au malade, la décision ultime lui appartient, mais le problème se déplace si ce sont les parents TJ qui réclament que leur enfant TJ ne soit pas transfusé. Je laisse cette question en suspens pour nos longues soirées d’hiver.
 
Le deuxième problème est la question de l’efficacité. Devant un tel statut d’autorité, le patient a une attente de toute puissance, et s’attend à 100% de guérison. Or il n’existe pas de méthode efficace à 100%. Tout au plus peut-on nous dire que dans l’état où nous sommes, à l’instant t, la probabilité que telle intervention nous sorte de la maladie est de tant, sur la base de toute la littérature scientifique sur le sujet. Contester le médecin parce qu’il est autoritaire est un point, le contester parce que 100% des gens ne guérissent pas ce qui prouverait le naufrage de la médecine scientifique est une erreur.
 
Le troisième problème est plus subtil, car il entraîne dans des chemins métaphysiques. Généralement, le patient gravement atteint cherche plus qu’une cause physique à sa maladie : il cherche une « raison », un pourquoi. Pourquoi moi, qu’est-ce que j’ai fait au bon dieu pour mériter ça, etc.  Aussi compréhensible soit-elle, cette question est du même genre que celle sur le sens de la vie, ou sur « pourquoi moi, je suis dans le corps-là, maintenant, et où vais-je aller après ma mort ? ». La poser à un médecin est un peu la même chose que demander le sens de notre existence à notre employeur, ou au chauffeur du bus. Là où le malade demande pourquoi, le médecin ne peut répondre que comment ; quand la personne cherche un « sens », le médecin ne peut que donner des « raisons ». C’est assez insatisfaisant, bien sûr. Dire à quelqu’un ayant développé une maladie que c’est normal, qu’il est la personne sur 100 prévue par la théorie, est aussi dur que d’expliquer à un autre qui a gagné au loto que cela n’a rien à voir avec la chance. Il était prévisible que le gros lot / le cancer tombe sur quelqu’un ; maintenant, que ce soit vous, moi ou un autre est un hasard de tirage au sort parmi des populations-cible (celles qui jouent pour le Loto, celles qui cumulent susceptibilités génétiques et comportement ou contexte à risque pour les cancers)1.
 
J’ai tendance à penser que cette recherche d’un sens caché est un mélange entre une morale religieuse qui nous a martelé que tous les épisodes qui nous arrivent sont le fait de la volonté d’un Dieu, et une occultation permanente de la mort en France (hormis pour les chrysanthèmes de la Toussaint) : on fait un peu comme si on ne mourait jamais, on nous épargne la vue de nos proches défunts pendant toute notre jeunesse, et on aborde rarement sans prendre un ton solennel la manière dont on aimerait mourir. Même aujourd’hui parler de ses propres obsèques est un tabou fort. Alors quand le médecin annonce une mort possible ou probable, le cerveau ne peut absorber la nouvelle : d’abord il rechigne, puis tente de s’accrocher à des questions supérieures, des questions de sens auxquelles le médecin ou le scientifique ne peuvent hélas absolument rien répondre. Autant d’interrogations qui font par contre la fortune des prêtres au chevet des moribonds terrorisés, la fortune de Mère Teresa qui baptisait contre leur gré de futurs défunts2, et des techniques alternatives type Biologie totaleMédecine nouvelle de Hamer, Dianétique ou Psychogénéalogie qui vont fournir un choix de « raisons » séduisantes à la maladie  (selon nos goûts, un conflit interne,  un Dirk Hamer Syndrome par filiation, un engramme mal réglé ou un fantôme hérité d’autres générations, et transmis à notre insu3).
 
Je crains qu’il n’y ait finalement que deux possibilités pour trouver le « sens » de la vie – et celui de la mort à plus forte raison : soit au rayon surgelé des prêtres, des imams, ou des philosophes à la mode, qui construisent des réponses toutes faites et peu autonomisantes ; soit dans l’activisme personnel, pour construire un sens de vie politique, ici-bas, sans attendre un quelconque au-delà chantant. J’y reviendrai dans la conclusion
 
Le quatrième problème est la manne financière que représente le médecin : prescripteur, il fait qu’il le veuille ou non les beaux et les mauvais jours des médicaments et des équipements coûteux. Pas étonnant donc que les industriels développent des politiques marketing très agressives, développant des gammes de séduction auxquelles il est franchement difficile de résister, allant de cadeaux séditieux à des financements de colloques scientifiques de grand intérêt, – colloques qui n’auraient d’ailleurs généralement pas pu être financés autrement. Les militants politiques, là encore, y voient à raison un avatar du capitalisme industriel et se demandent parfois dans quelle mesure le médecin n’est pas pris dans un conflit d’intérêt avec une industrie lorsqu’il prescrit, lorsqu’il cherche, lorsqu’il se fait envahir par des visiteurs médicaux, quand il siège dans des commissions d’autorisation de mise sur le marché.
 
Enfin, le cinquième problème est celui du soin. La santé était l’objet d’un service public qui est démantelé lentement, en mille morceaux, pour diverses raisons prenant toutes leur source dans l’ultralibéralisme économique dont l’Accord Général sur le Commerce des Services, annexe des accords constitutifs de l’Organisation Mondiale du Commerce est le principal burin. On retrouve là un conflit classique dans les discussions anti-domination : passer par un service public géré par l’État est une forme de soumission, mais finalement bien moindre que de passer par des solutions de libre concurrence, les cliniques privées par exemple, qui créent des accès au soin à plusieurs vitesses se résumant ainsi : aux plus fortunés les meilleurs soins, et que les autres fassent la queue. Quant à ceux qui sont gravement malades, non solvables, ou dont les soins ne rapportent rien, eh bien… qu’ils aillent se faire voir chez les Grecs. Chomsky a popularisé un slogan du Movimento dos Trabalhadores Sem Terra, les Fermiers Brésiliens Sans-terre : « étendre la surface de la cage avant de la casser. ». L’État est une cage, certes, mais en dehors de la cage il y a des fauves qui sont les grandes compagnies privées et, d’une certaine façon, la cage nous protège des fauves. Il faut donc étendre les barreaux de la cage, mais ne pas la retirer tout de suite au risque de se faire croquer.
 
C’est ainsi que de fil (à recoudre) en aiguille (de seringue) les hôpitaux publics accueillent une majorité de gens, la moins fortunée, avec des moyens et du personnel se réduisant au jour le jour. Et qui dit moins de moyens et d’accueil dit dépersonnalisation du soin, stress, conditions de travail pénibles, rythmes infernaux et donc prise en charge médiocre, sinon indécente comme dans les services d’Urgence.
 
Donc, pour un public grandissant, la médecine scientifique est qualifiée d’« officielle », cumule autoritarisme, non-réponse aux questions métaphysiques, collusion avec les industriel.les, prise en charge froide, pressée et défaillante, tout ceci pour des résultats qui ne sont « même pas » de 100% et des prises de risques parfois cachées (comme dans les affaires récentes du Mediator, ou du Vioxx). Et je ne parle même pas du fonctionnement hospitalier très hiérarchisé, ou du refus du choix des actes les moins rentables. Il est temps de créer des alternatives, c’est évident.

Réappropriation, à quel prix ?

… c’est évident. Les mots d’ordre intuitifs sont donc : réapproprions-nous notre corps, soignons-nous nous-même, exproprions le corps médical de ses droits comme on exproprie les riches propriétaires de leurs latifundio, et ne dépendons plus des médecines qui, comme chantait Renaud, « est une putain, son maquereau c’est le pharmacien ». À ces slogans, même les manchots signeraient. Pourtant…
 
Si se réapproprier notre corps signifie l’écouter plus, et sentir les débuts de lombalgie, prévenir les contextes allergiques ou veiller à son sommeil, pas de problème. Si cela signifie par contre prétendre tout sentir et tout savoir sur notre corps par simple « écoute de soi », c’est un leurre. Il est difficile de sentir une appendicite secréter son pus à l’avance, il est malaisé de distinguer une migraine d’une tumeur au cerveau, l’apparition d’un diabète ne se détecte pas par introspection et on ne connait pas d’intuition mystique qui permette de sentir si une tâche ou un kyste sont bénins ou malins. Soignons-nous nous-même ? Sauf à se tromper de plante comme Christopher McCandless dans le film Into the Wild4 cela marchera entre huit et neuf fois sur dix, puisque huit à neuf pathologies humaines sur dix disparaissent spontanément. Pour les autres cas, il faudra recommencer 2000 ans de botanique poussive, de pharmacologie et de galénique laborieuse pour obtenir un remède efficace. Enfin, ne dépendons plus des médecins, d’accord, mais entre nous, êtes-vous près à confier une opération de la cornée ou des dents de sagesse à n’importe quel quidam venu ? Pas moi.
 
Se passer des médecins est possible. Soit on sait ce qui relève de la guérison spontanée et de la pathologie bénigne, et on court chez le toubib pour les autres cas. Soit il faut étudier la médecine. C’est possible, mais il faut entre 7 et 10 ans, passer le concours d’entrée et lire l’anglais. Je connais des militants qui ont décidé de se former solidement en économie pour contrer le dogme dominant, d’autres qui ont décidé de se former pour cultiver la terre afin de ne plus dépendre des grands céréaliers et des serres maraîchères esclavagistes de Murcia, au sud de l’Espagne. Je connais des militant.es de l’action directe qui sont devenus avocat.es pour la cause. En médecine, je ne connais pas grand monde qui a fait le choix de faire Médecine pour spécifiquement se réapproprier sa santé. Pour expliquer ça, je fais une hypothèse : il y a une telle multiplicité de thérapies, médecines alternatives, douces ou complémentaires, qui se développent et qui proposent de presque tout guérir en 3 mois de stage, 3 semaines de formation, et un livre du fondateur que personne n’a envie de consacrer au moins un dixième de sa vie entouré de carabins braillards5.

L’arbre des possibles

Imaginons que je veuille acheter un slip qui ne soit pas fabriqué par un prisonnier chinois. Je vais fouiller, refouiller, jusqu’à ce que je trouve un slip fabriqué dans des conditions décentes par un travailleur épanoui. Mais à la fin, je veux quand même un slip, c’est-à-dire un truc qui tient au cul tout seul, qui laisse passer les deux jambes, que je peux enlever facilement et qui ne gratte pas. Si le seul slip-non-fait-par-un-détenu-chinois est une vague boule de tissu écru sans élastique, je n’ai plus que trois solutions : la première, retourner vers le slip-fait-par-un-détenu-chinois (de dépit). La deuxième, tisser moi-même mon slip (autonomie accrue, mais il faut que j’apprenne). La troisième, renoncer purement et simplement au slip.
 
Revenons à nos boutons. Si je veux un soin qui se passe d’un médecin autoritaire et de la pharmacologie agressive, je vais fouiller, refouiller jusqu’à ce que je trouve un médecin non autoritaire qui garantit son indépendance vis-à-vis des industriels. À la fin, je veux quand même un soin efficace, c’est-à-dire le soin qui me garantit le maximum de chances de guérir – et s’il en est deux qui proposent la même garantie, je choisirai celui qui me convient le mieux. Si le seul soin-sans-médecin-autoritaire-ni-pharmacologie-agressive est une obscure technique de prière indonésienne faisant appel au dieu Chacal par ingestion de l’hallucinogène ayahuasca dans une yourte de sudation, je n’ai plus que trois solutions : la première, retourner vers le soin-avec-médecin-autoritaire-et-pharmacologie-agressive (de dépit). La deuxième, apprendre moi-même à faire un soin à efficacité maximum (autonomie accrue, mais pour le cas sur 10 non bénin, il faut que je fasse Médecine). La troisième, renoncer purement et simplement au soin, avec les risques que cela comporte.
 
Encart
Effet placebo, efficacité réelle, pathologie spontanément résolutive et médecines alternatives : quelques notions de base pour l’honnête militant-e alternatif
 
On peut semble-t-il faire remonter à quelques dizaines de siècles le constat suivant : un patient qui a confiance en son thérapeute aura de meilleurs résultats que… s’il n’a pas confiance. Il faut bien comprendre qu’il ne s’agit généralement pas de meilleures « guérisons » : on ne guérit hélas pas vraiment plus. Par contre, on le vit mieux. Le patient aura ainsi une meilleure appréciation de son état, vivra mieux son mal-être, ses douleurs et les évaluera comme moins pire après la visite, indépendamment de l’acte qui lui est prodigué, que ce soit une injection, un massage, une discussion introspective ou un comprimé.
 
C’est ainsi qu’est né l’effet placebo, du latin je plairai – qui vient de Placebo domino, « je plairai au Seigneur » 6 – qui est l’écart positif, entre le résultat thérapeutique d’un soin et son efficacité réelle ; en gros, le « bonus en plus » de l’efficacité réelle du soin. Ce bonus est un mélange d’auto-suggestion et de sécrétion de substances par notre cerveau, les endorphines, stimulées par la confiance et qui baissent la douleur ressentie. La grosse surprise est que tout acte thérapeutique efficace ou non entraîne un effet placebo, effet d’autant plus important que la pathologie est psychosomatique, ou dépendante de l’état psychologique du patient. En clair, il y a effet placebo que le soin soit efficace ou non.
 
Un certain nombre de médecins malgré eux ont compris cela : lorsqu’ils ne savaient pas vraiment que faire pour un patient, ils lui donnaient des substances « vides », des placebos. On dit que c’est dans son Dictionnaire Médical de 1811 que le médecin Robert Hooper nomma pour la première fois placebo la « dication destinée plus à plaire au patient qu’à être efficace ». À la même époque le médecin Jean-Nicolas Corvisart utilisait avec succès des boules de mie de pain pour l’entourage de Napoléon.
 
Ainsi a-t-on cerné progressivement les diverses facettes du placebo, que la psychologie appelle les effets contextuels : le prix élevé d’une consultation, un diplôme ronflant, un thérapeute à la mode et une longue queue devant le cabinet jouent aussi sur l’évaluation de notre mieux-être consécutif au soin. Idem pour les médicaments, dont la forme, la couleur et le prix entraînent un effet placebo. Deux comprimés placebo valent mieux qu’un seul et les gros comprimés font plus de bien que les petits. Même le nom « scientifique » agit : la mie de pain de Corvisart séduisit seulement sous le nom de Mica panis. Maintenant ce sont Viagra (que les publicitaires tirèrent de viril et Niagara) ou Seresta (sérénité et stabilité), mais aussi Medorrhinum (pus urétral de blennorragie), Pertussinum (crachat de coquelucheux) ou Oscillococcinum (autolysat de foie et de cœur de canard de barbarie) qui jouent sur le latin pour amplifier leur effet.
 
Le médecin Richard Asher pointa aussi ce paradoxe qui a gardé son nom : plus un thérapeute est autoritaire et persuadé d’avoir raison, plus le patient évalue comme valide le soin reçu 7. Au contraire, un thérapeute qui doute, ou une thérapie détestée par le patient entraînera un effet placebo négatif qu’on appelle alors nocebo (je nuirai).
 
Placebo = cerise, efficacité spécifique = gâteau
 
Pour savoir si un acte médical, soin, manipulation ou médicament a un effet réel sans les effets contextuels (les médecins disent une efficacité « spécifique ») il a fallu faire des tests en simple aveugle.
 
Imaginons que nous voulions tester une pilule : il nous faut un groupe – les médecins disent une cohorte – de patients consentants tous avec le même problème que la pilule prétend arranger ou guérir. On tire au sort la moitié qui prend la vraie pilule, et la moitié qui prendra un placebo de la pilule (même forme, même goût mais qui ne contient rien). Ainsi les patients ne savent pas s’ils reçoivent le médicament ou son placebo. La différence d’amélioration entre les deux groupes donnera l’efficacité spécifique de la pilule, et l’amélioration du groupe placebo renseignera sur l’ampleur de l’effet placebo déclenché.
 
Bien entendu, ce n’est pas toujours possible de faire un test en simple aveugle. Avec l’acupuncture par exemple, c’est faisable, car on peut faire un placebo d’acupuncture en utilisant des aiguilles retractables qui donnent l’illusion d’être plantées mais qui ne le sont pas. Par contre, il est très difficile d’évaluer ainsi l’intérêt spécifique d’une thalassothérapie par exemple, car comment faire un placebo de thalassothérapie ?
 
Toutefois, le simple aveugle n’est pas suffisant. C’est une mésaventure qu’on prête à Stewart Wolf, vers 1940, qui fit avancer encore d’un cran l’évaluation. On raconte que Wolf reçut un médicament nouveau qu’il testa sur ses patients, lesquels lui en dirent immédiatement le plus grand bien.  Conscient de la possibilité d’un effet placebo, il demanda au laboratoire un placebo de ce médicament, et le donna en cachette à ses patients qui illico remarquèrent la perte d’efficacité. Wolf s’apprêtait à conclure que le produit était excellent, avec une efficacité spécifique énorme… lorsque le labo l’informa que les médicaments envoyés étaient tous des placebos depuis le début.
 
Des indices non verbaux, des mimiques, des comportements à peine perceptibles avaient probablement renseigné les malades sur l’efficacité que Wolf attendait. Wolf créait ainsi sans le vouloir une sorte de prédiction auto-réalisatrice. On comprit donc qu’évaluer un produit nécessitait que le patient ne sache pas ce qu’il reçoit, et qu’en outre le thérapeute ne sache pas ce qu’il donne.
 
Ce fut la naissance du double aveugle, appelé parfois double insu, condition sine qua none pour prouver l’efficacité d’une technique. Simple à mettre en place, on peut utiliser le double aveugle aussi bien pour tester des thérapies que pour tester par exemple notre capacité à reconnaître un vin rosé d’un rouge, une bière blonde d’une brune, différentes sortes de fromages, etc.
 
En résumé, on parle d’étude en « ouvert » (open design) quand le médecin et le patient connaissent la nature du traitement ; de simple aveugle ou simple insu (simple blind) lorsque le médecin connaît la nature du traitement, non le patient. Notons que les nécessités réglementaires et éthiques de l’information de patients font que le simple insu est en pratique impossible. Et enfin, on dira étude en double aveugle (double blind) lorsque ni le patient, ni le médecin investigateur ne connaissent la nature réelle du traitement. Le terme « triple aveugle » est parfois utilisé : il désigne un essai dans lequel même la personne qui dépouille la statistique des résultats ne connaît la nature du traitement.
 
Placebo démesuré ?
 
On entend souvent que l’effet placebo est énorme, et par exemple que les cancers et autres pathologies graves peuvent se résorber par la simple volonté du malade. Ce n’est malheureusement pas le cas (et c’est en plus culpabilisant pour le malade qui ne guérit pas). L’effet placebo est largement surestimé. Voici trois des nombreuses raisons.

  • D’abord, comme je l’ai écrit plus haut, une majorité des affections disparaissent spontanément, quoi qu’on y fasse. Soigne ton rhume, dit le proverbe, il durera sept jours. Ne le soigne pas, il durera une semaine. On fait une erreur de causalité, et on prête ainsi à l’effet placebo ce qui est l’œuvre du temps.
  • La deuxième raison porte un nom barbare : la régression à la moyenne8. Un patient vient souvent voir le médecin quand il est dans le pic de la souffrance. Si on vient prendre une pilule au moment d’un pic, il est très probable que le mieux soit dû non à la pilule mais à la redescente naturelle vers la position moyenne.
  • Une troisième raison est appelée effet Hawthorne et mérite un détour historiqueEntre 1924 et 1932, le psychologue Elton Mayo conduisit une suite d’essais dans les usines de Hawthorne de la Western Electric Company, aux États-Unis qui devaient montrer si des modifications simples des conditions de travail comme l’éclairage pouvaient avoir des effets sur la productivité des ouvriers. À sa grande surprise, la productivité a augmenté qu’on augmente, ou qu’on diminue la lumière, et même lorsque les ampoules étaient remplacées par de nouvelles de même puissance. Ce n’étaient cependant pas les conditions extérieures qui étaient décisives pour les résultats, mais la participation à l’étude en soi, et l’attention accrue des sujets sur l’impression que quelque chose s’était passé. L’effet Hawthorne prévoit donc que des sujets qui se savent inclus dans une étude ont tendance à être plus motivés et répondre un peu ce qu’ils présument qu’on attend d’eux9.

Il y a encore d’autres raisons, plus techniques, que je n’aborde pas ici.

 

Les médecines alternatives sont-elles des médecines, et sont-elles alternatives ?

Voici donc la question qui fâche, et il y a tant de théories différentes que c’est difficile de répondre en vrac. Je ne vais prendre que quatre des exemples principaux en France : l’homéopathie, l’acupuncture, les élixirs floraux de Bach et la naturopathie. Je précise d’emblée que ce que je vais écrire n’est pas une opinion, mais le fruit d’une étude approfondie, et que j’ai moi-même longtemps été persuadé de l’exact contraire. Et comme nous sommes contre le prêt-à-penser, j’encourage les lecteurs à vérifier tout ce que je raconte s’ils ont le moindre doute.

L’homéopathie

Les fondements de l’homéopathie, posés par Samuel Hahnemann en 1796, sont au nombre de quatre (la pathogénésie, les hautes dilutions, la succussion et l’individualisation, cf. encart). On sait désormais que les trois premiers sont soit démontrés faux, soit affirmés sans preuve. Seul le quatrième a un réel intérêt, celui d’individualiser, de donner la sensation au patient d’être pris dans toute sa personne dans un laps de temps plus long qu’une majorité de médecins non-homéopathes – et l’on fera le lien avec les notions d’effets contextuels abordés plus haut. Chose paradoxale, le médicament homéopathique le plus vendu est un médicament non individualisé, l’Oscillococcinum. Toutes les études en double aveugle montrent toutes le même résultat : l’homéopathie est un bon générateur d’effet placebo. Son efficacité spécifique, elle, est nulle. On pourrait alors se demander comment est donnée l’Autorisation de Mise sur le Marché (AMM) de l’homéopathie, puisque dans l’AMM, il faut prouver l’efficacité spécifique de la substance. La réponse est vraiment étrange : les médicaments homéopathiques sont les seuls médicaments dispensés de faire la preuve de leur efficacité. Ils jouissent de conditions d’AMM allégées, sorte de passe-droit que guigneraient volontiers tous les autres éléments de la pharmacopée. Il y a beaucoup d’articles disponibles pour entrer dans le détail de ces fondements de l’homéopathie. Voici un bref résumé.
  • Pathogénésie. Hahnemann est parti du principe qu’on doit soigner le mal par le mal, et a posé la règle suivante : si un poison crée des dégâts chez un sujet sain, on doit pouvoir l’utiliser pour guérir ces mêmes dégâts. Mais afin de ne plus avoir le « poison », mais seulement son message, il faut le diluer suffisamment, puis le dynamiser (cf. plus loin). Prenons un exemple : si le café maintient éveillé un sujet sain, alors selon Hahnemann du café hautement dilué et dynamisé (médicament homéopathique Coffea cruda) entrainera le sommeil chez une personne insomniaque. Hahnemann a ainsi posé des centaines de poisons, qui vont deMephitis putorius (sécrétion de la glande anale du putois) à Tonsillinum (extraits d’abcès d’amygdales) – et qui bat en brèche l’idée répandue que l’homéopathie est une médecine à base de plantes. Cette règle de pathogénésie sur la base des poisons est désormais abandonnée en médecine, car elle ne fonctionne pas et il n’y a aucun indice suspectant que ça puisse fonctionner. Chose étrange, l’homéopathie d’aujourd’hui n’est plus indexée sur les pathogénésies du fondateur.

Attention, le mécanisme vaccinal n’est pas le même : alors que Hahnemann veut soigner le mal par la substance hautement diluée et dynamisée qui à l’origine pouvait créer le mal chez un sujet sain, le vaccin « prévient » une maladie en préparant le corps à la substance qui le rendra malade, et cela avec des doses importantes. Là, quel que soit son point de vue moral dessus, la technique fonctionne, et le mécanisme physiologique est largement décrit depuis plus d’un siècle.

  • Très hautes dilutions. La substance de départ est diluée dans 99 fois son volume de solvant (l’eau en général, parfois l’alcool) pour obtenir 1 CH, ou Centésimale Hahnemanienne. CH2 revient à prendre une goutte de CH1, et rediluer dans 99 gouttes de solvant (donc un volume de substance, pour 10000 volumes de solvants, etc.) A partir de CH12, il n’y a pratiquement plus aucune chance de trouver la molécule de départ, et chaque CH en plus divise cette chance par 100. À 5 CH, l’équivalence de dilution est un fond de bière (1 cl) dans 40 piscines olympiques. À 12 CH, c’est la même goutte de bière dans tous les océans du monde. Les plus curieux auront remarqué qu’un autre type de dilution est utilisé entre autres pour l’Oscillococcinum dilué à la 200e K. La technique K du nom de son inventeur l’homéopathe Semen Korsakov revient à rincer 200 fois un récipient avec de l’eau et en secouant très fortement à chaque rinçage, ce qui est une technique de dilution au bas mot hasardeuse.Devant de telles techniques, la seule solution fut d’invoquer l’idée que même en l’absence de substance, un message se répand dans le solvant qui en garde une « mémoire ». C’est ainsi que naquit l’histoire de la « mémoire de l’eau », née d’une publication dans Nature en 1989 de résultats que l’on a démontrés depuis comme frauduleux. Ceci dit, rien pour l’instant ne vient à l’appui d’une telle « mémoire », mais qui sait ? Peut-être un jour la science montrera-t-elle son existence. En attendant, cette hypothèse n’est pas nécessaire car l’efficacité relative de l’homéopathie ne dépasse pas les effets contextuels placebo.
  • La succussion. Voyant qu’en diluant ses poisons, il diluait également les principes actifs, Hahnemann eut l’intuition de secouer le mélange pour le « dynamiser » et retrouver ainsi le « message » de départ. Pour l’instant, il n’existe aucun élément à l’appui de l’idée que secouer une solution dans laquelle trop peu de substances actives sont présentes réveillerait et stimulerait une activité. Pour imager un peu, c’est comme si, secouant un extrait de pastis dilué à un point où il n’y a plus les molécules du pastis, on retrouvait du pastis.

L’efficacité thérapeutique repose sur la confiance que les patients lui vouent couplée aux pathologies spontanément résolutives et aux régressions à la moyenne expliquent son succès. Les mêmes effets contextuels sont observés chez les nourrissons. Quant aux animaux, idem (c’est montré depuis 1999 par McMillian) avec un paramètre en plus : non seulement les animaux sont sensibles aux effets contextuels – attention accrue, visites plus nombreuses, caresses – mais en outre le mieux-être est évalué par le propriétaire, non par l’animal lui-même. Et il est rare que le propriétaire ne sache pas quels sont les résultats attendus, ce qui est une belle brèche dans le double aveugle.

Les fleurs de Bach

Les élixirs floraux ont une théorie fortement mystique, non basée sur des évaluations réelles mais sur l’intuition et la « révélation » du fondateur, le très pieux Edward Bach. Les rares études développées, que j’ai toutes lues avec attention 10, ont montré que ces élixirs ont sensiblement la même efficacité propre que l’homéopathie, avec ceci que les symptômes que les fleurs se proposent de soigner sont très subjectifs (red chestnut pour lutter contre la tendance mère-poule par exemple, sweet chestnut pour le « sentiment d’être au bord du gouffre » ou le célèbre rescue, ou remède de secours pour toute situation de stress).

L’acupuncture

L’acupuncture est un peu différente. Même si la théorie est un vrai bricolage, que les cartes de points sont un tel bazar qu’il a fallu ré-harmoniser toutes les cartes disponibles, et que les supports énergétiques prétendus n’ont jamais été isolés ou mis en évidence, on s’est rendu compte chez l’humain comme chez les grands mammifères que le fait de piquer la peau a un intérêt. En double aveugle, les résultats sont sensiblement les mêmes chez les acupuncté.es que chez cell.eux qui sont piqués hors point méridien ; idem pour ceux chez qui on a simplement donné l’impression de planter une aiguille (rétractable), ce qui laisse penser que c’est moins l’acupuncture et sa théorie que l’aiguille seule qui exerce un effet intéressant. On a également remarqué que l’acupuncture marche d’autant mieux que les thérapeutes sont aimables et gentil.les. On dit aussi – mais je n’ai pas trouvé de source – que la technique marche encore mieux quand il.les sont typé asiatique, si possible chinois. On entend parfois dire que « tout de même, si les Chinois s’en servent depuis des millénaires, c’est qu’il y a une raison ». Non seulement on peut se servir des millénaires de choses inefficaces (comme les lavements ou les ventouses en France), mais on se sert aussi de l’effet placebo depuis des millénaires. À titre d’anecdote, il est stimulant d’apprendre que l’acupuncture avait été fortement délaissée en Chine fin XIXe, considérée comme la thérapie du pauvre, et il a fallu attendre un coup de bluff scientifico-politique de Mao envers les États-Unis en 1971 pour relancer la mode hors-Chine 11.
 
La naturopathie2
 
C’est un domaine très touffu, puisqu’il mélange des techniques à fort mysticisme, des procédés pseudoscientifiques, à une partie phytothérapie, à velléité scientifique, certaines plantes pouvant avoir une certaine efficacité relative (même l’efficacité de nous expédier en aller simple pour l’au-delà, comme la belladone ou la digitale). La naturopathie repose toutefois sur une prémisse fausse : que tous les remèdes humains sont dans la nature, ce qui laisserait penser que la Nature a été créée pour l’Humain et son utilisation, avatar de la bonté de Dame Nature et de la force curative vitale vantée au Moyen-âge. Ceci dit, il est des plantes possédant des principes actifs, mais noyées dans un amas d’affirmations non démontrées dans presque tous les bouquins de botanique populaire. On lit par exemple que la tisane de tilleul fait dormir, alors que la même tisane sans le tilleul assoupit dans les mêmes proportions… ce qui permet de se passer de tilleul, et de ne garder que l’essentiel : l’eau chaude. En outre il faut d’une part jauger le bénéfice contre les effets secondaires – car tout principe actif a des effets secondaires possibles ; mais aussi évaluer la dose nécessaire, car s’il s’agit de manger plusieurs kilos de cerfeuil pour avoir sa dose de vitamine C, il devient vite nécessaire de compacter la part intéressante dans un petit granulé et c’est… la naissance du médicament, avec les dérives commerciales que l’on connaît.

Alors ?

Moi qui conteste le système de santé, l’autoritarisme médical, les industries pharmaceutiques et leur mainmise, je fais un constat assez perturbant.
 
Les thérapies alternatives n’offrent pas une alternative économique.
 
Si j’excepte quelques recettes mises en open-source (dont l’efficacité n’est pas toujours au rendez-vous) je ne vois qu’une série d’initiatives marchandes privées. Le marché des médecines alternatives est exemplaire de capitalisme, depuis la suprématie monopolistique de l’entreprise Boiron qui a tout racheté, aux entreprises florissantes d’élixirs floraux comme Nelson’s ou Center Bach qui se font une guerre commerciale à coup de procès ; des salons du bien-être à celui de la détox aux gadgets dépassant plusieurs centaines d’euros présentés dans des foires hautement commerciales.
 
Les thérapies alternatives n’offrent pas une alternative politique.
 
J’y vois au contraire une pulvérisation et une dépolitisation du mal-être. Alors que beaucoup de souffrance provient des aliénations classiques, patronat et subordination, sexisme, discrimination et souffrance au travail, les thérapies alternatives proposent à leurs clients en souffrance des solutions…. individuelles. Vous souffrez de ne pas pouvoir dire fuck à votre patron ? Ne lisez surtout pas Thoreau, Bakounine, ou Soumission à l’autorité de Milgram, mais prenez une gélule d’oligoéléments. Oh, vous ne pourrez toujours pas dire fuck au boss, mais au moins vous vous sentirez mieux. Vous avez un fort instinct maternel ? Ne lisez surtout pas Simone de Beauvoir ou Christine Delphy, prenez l’élixir Red Chestnut. Vous, jeune étudiant, vous stressez à l’école ? N’allez pas discuter avec Catherine Baker et parler d’insoumission à l’école obligatoire, prenez des extraits de pépins de pamplemousse et des massages énergétiques.
 
Les thérapies alternatives n’offrent pas une alternative à la soumission à l’autorité.
 
Je n’aborde pas le sujet des pères fondateurs de la plupart des médecines douces, qui lorsqu’on les lit dans le texte, nous transportent plus du côté au mieux de l’écologisme de droite et de l’illumination à la Swedenborg, au pire vers les thèses de soumission aux esprit des Grands Maîtres de l’Anthroposophie, et aux thèses astrologo-racistes d’un Rudolf Steiner 12. Plus prosaïquement, il n’y a pas grande différence en terme de soumission à l’autorité entre quelqu’un qui dépend d’un anxiolytique et quelqu’autre qui dépend d’une caisse pleine d’homéopathie. J’ai des amis tout contents de ne plus aller chez le médecin, mais qui voient leur ostéopathe chaque semaine, l’étiopathe et le diététicien tous les mois, et qui téléphonent régulièrement à leur micro-kiné et leur barreur de feu. La réappropriation de notre propre santé se refait confisquer. Quitte à utiliser un placebo, je ne vois pas en quoi il est libérateur d’aller l’acheter à une multinationale dont les patrons et l’actionnaire principal sont dans les 200 plus grandes fortunes françaises.
 
Alors ? Si on ajoute que les thérapies alternatives n’offrent pas une alternative à l’efficacité, c’est-à-dire que l’efficacité réelle des thérapies est largement moindre que les thérapies scientifiques, je ne perçois plus du tout l’intérêt de départ. Et moi qui souhaite voir mes compagnon-nes politiques en pleine forme, je suis inquiet.

Que faire ?

Voici ce que pour ma part j’ai décidé de faire, et qui est accessible à pratiquement tout le monde.
 
D’un côté : j’ai décidé de quitter les médecins qui me prennent 5 minutes entre deux portes, et qui accueillent des visiteurs médicaux des industries pharmaceutiques. J’essaie de savoir s’ils lisent la seule presse médicale indépendante, la revue Prescrire, plutôt que les brochures des grands groupes industriels. J’exige qu’ils soient membres du Formindep, association qui milite « pour une formation médicale indépendante au service des seuls professionnels de santé et des patients » 13, et je les titille sur leurs conflits d’intérêts.
 
D’un autre, j’ai appris à aller chercher par moi-même les études faites en double-aveugle sur les produits qu’on me donne (chercher le nom de la molécule de départ et le mot-clé « double blind » sur un moteur de recherche médical comme www.pubmed.com, avec quelqu’un qui lit l’anglais). J’ai également appris à plonger dans les textes d’origine des fondateurs (Hahnemann, Bach, Steiner, Nozier, Von Peczely, Freud etc.) dont les textes sont aussi disponibles que très rarement lus.
 
D’un autre côté encore, je milite pour de réels biens publics de santé, avec accès inconditionnel, personnel suffisant, gratuité des soins pour le maximum de gens, et indépendance de l’information médicale face aux lobbying industriel. Il s’agit d’un combat important car ces biens publics sont disloqués, morcelés par le gouvernement français et les directives européennes fortement libérales. Le fait que les hôpitaux ferment des lits, fonctionnent à flux tendu de personnel, ou acceptent des queues aux urgences n’est pas le fruit du hasard, mais d’une marchandisation du soin contre laquelle il faut se battre et dont les premières victimes sont les pauvres qui ne peuvent se payer des soins privés. Certaines opérations sont devenues plus rentables que d’autres, les mutuelles se transforment en assurances sous nos yeux, et une certaine morale s’y instille, vis-à-vis des toxicomanes, des autistes et de leurs parents, des femmes qui avortent, ou des transidentités3 qui sont méjugées.
 
Enfin, et c’est peut être le plus subversif, j’ai appris les mécanismes du placebo et à jouer avec. Je fabrique mes placebos, je fais des tisanes de sorcières avec plein de trucs dedans, et pour 8 à 9 pathologies sur dix, j’utilise la méthode la plus « naturelle » qui soit : j’attends et je glande. Et si par hasard nous contractons une pathologie lourde, il nous faut demander, exiger même, toutes les solutions possibles, leur taux d’efficacité, leurs effets collatéraux, quitte à se faire accompagner si les termes techniques nous complexent. Car c’est seulement ainsi que nous pourrons faire le meilleur choix, et l’imposer : le nôtre, quel qu’il soit. Car il sera fait en toute connaissance de cause. Le médecin ne sera plus que l’exécutant de notre choix éclairé, et les opinions, croyances et ressentis de chacun auront leur place et seront un élément de ce choix. Je hasarde donc un vœu : qu’on prenne l’efficacité de la médecine scientifique, et la douceur de la prise en charge des techniques douces, et qu’on créé une troisième voie, efficace et douce, mais aussi vraiment alternative : celle du combat pour des services publics de santé efficaces, égalitaires, mutualistes, patients, et délivrant une information fiable, contrôlable et indépendante des industries.
 
Richard Monvoisin, du collectif CorteX, Collectif de Recherche Transdiciplinaire Esprit Critique & Sciences (www.cortecs.org)

Notes

  • 1. Voir Effet pangloss, les dangers des raisonnements à reboursLa Traverse 2.
  • 2. Je n’utilise pas par hasard Mère Teresa, qui en plus d’être baptiseuse de moribonds, était intégriste conservatrice et anti-avortement comme l’a montré Christopher Hitchens dans Le mythe de mère Teresa ou comment devenir une sainte de son vivant grâce à un excellent plan média, Dagorno (1996) et dans Mère Teresa, une sainteté médiatiqueLe Monde Diplomatique (novembre 1996).
  • 3. Un exemple tout à fait épouvantable sur la Biologie totale est donné dans On a tué ma mère – Face aux charlatans de la santé, par Nathalie de Reuck et Philippe Dutilleul, Buchet Chastel (2010).
  • 4. Il semble que la version du film de Sean Penn soit un peu arrangée et que McCandless soit plus probablement mort d’une combinaison de sous-nutrition et du Mal du Caribou – hyperconsommation quasi-exclusive de protéines animales, appelée aussi Rabbit starvation.
  • 5. Le carabin, surnom de l’étudiant en médecine, est un terme qui désignait ceux qui enfouissaient les morts pendant les grandes pestes de la fin du Moyen-Âge.
  • 6. C’est le premier verset de la Vulgate, la Bible version latine, utilisé au V° siècle dans la liturgie lors de l’Office des morts
  • 7. Richard Asher en parlait dans son recueil d’articles non traduit Talking Sense, Pitman Medical (1972). À titre d’anecdote, Asher dénonçait la littérature scientifique incrustée de « foul-2-mots-6-byl-1,1-compréhensibles-2-tout-1-chakin » (allotov-words-2-obscure-4-any-1,2-succidin-understanding-them) et parlait des 7 péchés capitaux du médecin : l’obscurité, la cruauté, les mauvaises manières, la sur-spécialisation, l’amour du rare, la stupidité commune et la paresse (dans The Lancet, 27 août 1949, pages 358-60).
  • 8. Autre anecdote : on doit ce biais, cette « regression to the mean », à Francis Galton, grand savant mais également tragique fondateur de l’eugénisme, et inventeur de la systématique des empruntes digitales.
  • 9. Elton Mayo, Hawthorne and the Western Electric CompanyThe Social Problems of an Industrial Civilisation, Routledge (1949). Cela rejoint ce que les enseignants appellent parfois l’effet Pygmalion, sorte de prophétie autoréalisatrice qui consiste à influencer l’évolution d’un élève en émettant une hypothèse sur son devenir scolaire. Mais si l’effet Hawthorne est considéré comme certain, l’effet pygmalion a semble-t-il été surestimé.
  • 10. J’ai recensé tout cela dans Les fleurs de Bach, Enquête au pays des élixirs, Book-i-book.com (2008).
  • 11. L’opération de l’appendicite « sous acupuncture » du journaliste James Reston à Pékin lors du voyage du président Nixon, et racontée par ses soins dans le New York Times du 26 juillet 1971 fit grand bruit. Mais l’histoire est embellie, puisqu’il semble que Reston eut une anesthésie et des soins post-opératoires classiques auxquels fut adjointe de l’acupuncture.
  • 12. À propos de Steiner, je ne parle pas directement des écoles Waldorf, de l’agriculture biodynamique, des produits Weleda ou du mouvement Camphill, mais du père fondateur lui-même, Rudolf Steiner, dont il faut lire les textes pour se rendre compte qu’on n’est pas du tout dans l’alternative progressiste, mais plus volontiers dans le naturalisme chrétien d’extrême-droite. Cela vaut le détour de lire par exemple R. Steiner, Cours aux agriculteurs, Novalis (2003).
  • 13. Association Formindep www.formindep.org

Biologie, épistémologie – Guillaume Lecointre, des sciences très sollicitées

Des sciences très sollicitées

L’évolution biologique est rarement bien enseignée dans les écoles publiques de par le monde, quand elle l’est. Il est vrai qu’il est difficile de parler d’un phénomène qui échappe à nos sens, et dont les changements qu’il produit sur les êtres vivants sont dépourvus de toute notion de destin : rien n’est écrit à l’avance. Rien de plus difficile pour notre psychologie et notre grammaire, habituées à se penser dans une finalité. Mais surtout, l’évolution biologique contient ce que les sciences ont à dire sur l’origine des êtres vivants, de l’homme et de ses sociétés. Or, ce terrain-là est déjà largement investi, hors des laboratoires et des écoles publiques, par d’autres modalités d’affirmations sur le monde, dont certaines n’entendent pas laisser aux sciences leur autonomie dans la validation des savoirs.

CorteX_science_vs_creationismOn ne s’attardera pas sur les créationnismes « négationniste » et « mimétique ». Ils se fondent sur le récit de la création de l’univers dans les grands textes monothéistes, pris de façon littérale. Les contradictions qui en résultent provoquent une négation des résultats des sciences dans le premier cas, ou bien une « science créationniste » qui établit les prétendues preuves de la vérité littérale du texte dans le second cas. Le premier est notamment représenté par Harun Yahya, pseudonyme de M. Adnan Oktar, homme d’affaires et d’influence turc, qui distribua en janvier 2007 dans toute l’Europe son Atlas de la Création, (auto-édité, Global Publishing) y compris dans les établissements scolaires et laboratoires français. En janvier 2012, via Harun Yahya France, il organisait à Paris, à Rouen et à Évry, une série de conférences : « L’impasse moléculaire de la théorie de l’évolution » « l’effondrement de la théorie de l’évolution »…

Mais il existe une autre stratégie, plus fine, celle d’un créationnisme « normatif » qui entend redéfinir les sciences de l’extérieur, et faire accepter comme scientifique le recours à la Providence. Ce sera le propos de l’ « Intelligent Design », le dessein intelligent. Il n’y a plus de référence aux textes sacrés, mais un « constat »: « L’existence et le développement sur terre requièrent tellement de variables qu’il est impossible qu’ils se soient ajustés par des évènements aléatoires et non-coordonnés »[2]. En d’autres termes, certaines caractéristiques du vivant seraient mieux expliquées par une cause intelligente, que par des processus de variation-sélection. Ce dessein intelligent, développé aux États-Unis par le Discovery Institute, un think tank conservateur chrétien, n’est autre que la théologie naturelle déguisée en science.

Enfin, il existe un spiritualisme englobant, qui n’est pas un créationnisme au sens étroit, mais qui tente de mobiliser la communauté professionnelle des chercheurs dans une « quête de sens », en créant une confusion entre ce que ces derniers peuvent dire individuellement, et ce qu’ils sont habilités à dire en tant que membres de la communauté scientifique. En France, c’est l’Université interdisciplinaire de Paris (UIP) qui agit en ce sens, financée notamment par l’organisation américaine John Templeton Foundation du nom de son fondateur, milliardaire philanthrope et presbytérien (1912-2008). Ce dernier considérait que « Dieu se révèle de plus en plus (…) à travers la recherche étonnamment productive des scientifiques modernes », et que « les révélations scientifiques peuvent être une mine d’or pour revivifier la religion au XXIe siècle ». Sa Fondation se donne pour objectif d’encourager « le dialogue civil, informé, entre scientifiques, philosophes et théologiens » [3]; elle se fait de plus en plus incolore afin de souscrire aux critères de la recevabilité académique. La formule fonctionne : pour son colloque des 5 et 6 décembre 2012, l’UIP affiche sa collaboration avec l’Université Paris V.

L’offensive se joue aussi sur le plan politique. Depuis 2003, c’est l’intelligent design que les enfants turcs reçoivent en guise de cours de biologie [4]. En 2004, la ministre italienne de l’éducation nationale et son homologue serbe s’opposent à l’enseignement de l’évolution biologique dans les écoles. En 2006, la ministre néerlandaise propose un référendum sur la question de l’enseignement à l’école publique du « dessein intelligent ». En 2012, l’État américain du Tennessee est le deuxième, après la Louisiane, à autoriser les enseignants à proposer des substituts ou des contre-arguments à l’évolution darwinienne, afin de permettre à l’élève de juger « de manière efficace des forces et des faiblesses des théories scientifiques existantes ». Quatre autres États (Indiana, Missouri, New Hampshire, Oklahoma) examinent des projets de lois comparables.

Si les sciences de l’évolution suscitent tant d’hostilité, alors même que, sans elles, il n’est pas de sélection en agronomie, de lutte contre les agents pathogènes en médecine, de sauvegarde pérenne de la biodiversité, c’est qu’elles semblent interférer avec le domaine des croyances. Il appartient alors aux scientifiques d’expliquer leur « contrat » méthodologique, afin d’inviter leurs concitoyens à ne pas se tromper sur son périmètre de légitimité, de faire comprendre la distinction entre croire et savoir. Surtout, il leur appartient d’expliquer en quoi ces méthodes ne sont pas collectivement mues par une volonté de conforter ou de contredire une croyance particulière. L’articulation entre croyance et savoir est l’affaire de chacun, et les scientifiques ne sont pas des prescripteurs, collectivement, de cette articulation.

CorteX-Flat_Earth_GeographyOr, les créationnismes et spiritualismes cités ont tous un point commun, leur ignorance, réelle ou feinte, de la nature et du périmètre de légitimité de la démarche et du discours scientifiques : ce que les sciences disent, comment elles le disent, ce qu’elles ne disent pas. Quand l’UIP somme les chercheurs de réfléchir aux « conséquences métaphysiques » de leurs découvertes (Le Monde, 23 février 2006) et affirme qu’« un créateur ne peut être exclu du champ de la science », (Le Monde, 2 septembre 2006), elle « oublie » que le propre des sciences n’est jamais de dire ce qu’il faut « croire », mais de démontrer ce qu’il n’est logiquement plus possible de croire. Mais surtout, elle omet de dire si les scientifiques sont appelés à se prononcer sur ces questions à titre individuel, ou à titre collectif. La confusion entraîne le métier de scientifique d’aujourd’hui au delà de sa légitimité. Il s’agit bien là d’une forme de scientisme déguisé. En organisant la confusion entre la quête spirituelle individuelle et le contrat collectif d’une profession, ces offensives peuvent avoir pour effet, à terme, de faire perdre l’autonomie des scientifiques dans la validation des savoirs. En effet, si la profession se voyait collectivement animée d’un agenda métaphysique, il lui faudrait s’attendre à se voir imposé ce qu’il serait conforme de trouver. L’universalisme des connaissances raisonnées, qui tient aujourd’hui précisément à une abstention métaphysique, ne serait plus possible et l’on assisterait à une communautarisation des savoirs.

Il est donc nécessaire d’expliciter le but des sciences et les attendus méthodologiques tacites d’une démarche scientifique, ce qu’on attend de nos doctorants sans le leur dire – le contrat méthodologique, en quelque sorte. Le rôle des sciences, en tant qu’entreprise intellectuelle collective, est de fournir des explications rationnellement justifiées du monde réel à partir d’expériences testables, reproductibles, validées par des observateurs indépendants. L’« expérience » doit être prise au sens large, incluant le produit des enquêtes et les démonstrations mathématiques. Ces attendus sont le scepticisme initial sur les faits – toute question relative à des faits peut être légitimement posée et la réponse n’est pas requise à l’avance ; la rationalité – le scientifique doit être logique et suivre un principe d’économie d’hypothèse; le réalisme de principe – il vise à une connaissance objective, c’est-à-dire qu’il souhaite que d’autres puissent corroborer ses affirmations en les vérifiant dans le monde réel ; ce qui signifie que le monde réel existe indépendamment de soi et de ce qu’on en dit, et qu’il se manifestera à un collègue inconnu comme il s’est manifesté à un autre chercheur ; le matérialisme méthodologique – la vérification expérimentale n’est possible que sur ce qui est matériel ou d’origine matérielle. Dit autrement, les sciences ne savent travailler qu’avec ce qui est matière ou propriétés émergentes de celle-ci. Ce matérialisme-là n’est pas un point de vue philosophique : il affirme seulement mais pleinement que la science ne travaille pas avec des entités à la fois déclarées immatérielles et agissant sur le monde réel.

S’agit-il là d’une vision angélique ? D’un mythe ? Non, d’un contrat minimal sans lequel un doctorant n’aurait pas sa thèse, socle commun auquel peuvent s’ajouter des spécificités disciplinaires. Certes, le scientifique peut avoir ses options personnelles, et même des sources d’inspiration mystiques, mais la validation des savoirs relève du collectif : sur le long terme, une connaissance ne se stabilise que si la reproduction d’expériences a dépassé et, en quelque sorte, dissout les dérapages individuels du savant qui aurait oublié de laisser ses opinions au vestiaire en entrant dans le laboratoire. L’espace collectif d’élaboration des savoirs est donc laïque de fait, et travaille sur le long terme. C’est en enseignant explicitement ce contrat de scientificité qu’on se donnera les chances de garantir un socle factuel commun à tous les futurs citoyens, sans lequel on ne construit pas une république qui met la Raison au cœur du vivre ensemble. L’enjeu n’est pas seulement celui de l’autonomie des sciences, il est aussi et surtout à l’école publique.

Faut-il dialoguer avec les créationnistes ? Bien entendu. Mais les scientifiques ne doivent pas offrir le bénéfice de communication que les créationnistes attendent d’un « plateau commun » avec un scientifique du milieu académique devant le grand public. Les créationnistes tireront toujours avantage d’un tel dialogue, parce le scientifique laissera malgré lui entendre au public que son interlocuteur est susceptible de jouer le même jeu que lui. Or, on peut démontrer que toutes les formes du créationnisme moderne commettent des entorses multiples aux termes du contrat tacite énoncé plus haut. C’est au philosophe, au théologien, et à l’élu politique de dialoguer avec les créationnistes. Mais alors, que doivent faire les scientifiques ?

Aux scientifiques du milieu académique, dont le salaire est financé avec de l’argent public pour produire précisément de la connaissance objective et la restituer vers leurs concitoyens, l’État demande d’être garants de la fiabilité des résultats collectivement acquis-tant qu’il y aura un État redistributeur de richesses, richesses culturelles comprises (et comme dirait Chomsky, mieux vaut les grilles de l’état que les fauves qui tournent autour). A eux de signaler les contrefaçons, et de populariser les règles du jeu qui fondent le contrat entre connaissance et science.

Guillaume Lecointre

Cet article sera publié dans le n° 621 des Cahiers rationalistes, à paraître en janvier-février 2013.

[1] Les Sciences face aux créationnismes. Ré-expliciter le contrat méthodologique des chercheurs Coll. Sciences en questions, Quae, Versailles, 2012. Guide critique de l’évolution, Belin, Paris, 2009.

[2] Qu’est-ce que la Théorie du Dessein Intelligent ? (Got questions, réponses théologiques).http://www.gotquestions.org/Francais/dessein-intelligent.html

[3] Voir le site www.templeton.org et aussi Cyrille Beaudouin,Olivier Brosseau, Cette étrange FondationTempleton, La Recherche Hors Série n°4 « Dieu et la Science »,avril 2012.

[4] Somel Mehmet, Somel Rahsan Nazli Ozturkler, Kence Aykut (2007), Turks fighting back against anti-evolution forces, Nature 445 (7124)

Science politique – Réflexion critique autour de la notion d’identité européenne

Notre collègue Clara Egger (Sciences Politiques) nous livre ici de ses contenus de cours, élaboré pour ses étudiants quand elle enseignait à l’Institut D’Études Politiques de Grenoble. Ce cours visait à ébranler, critiquer et requestionner une notion aussi floue que rabâchée : la notion d’identité européenne.
Bonne lecture.
RM

Cette session de cours a été proposée en novembre 2012 à des étudiants de troisième année en sciences politiques à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble dans le cadre d’une conférence de méthode sur la construction européenne et ses effets.

Le thème de la séance portait sur l’ »Europe des Peuples » et cherchait à interroger les mécanismes de rejet et d’adhésion à la construction européenne. Plus largement, la séance visait à questionner la construction d’une identité européenne par les institutions européennes et analyser les processus d’identification sur lesquels reposent les différents systèmes politiques.

Les étudiants étaient au nombre de 22 et étaient « captifs » pour trois heures. Je les connaissais depuis mi-septembre.

Voici le déroulement de la séquence.

Préparation

En amont du cours, il a été demandé aux étudiants de trouver un support (vidéo, chant, texte, images) illustrant une vision de l’identité européenne. Les étudiants sont invités à expliquer leur choix (support qui les choque, qui les interroge, qui représente leur vision de l’Europe).

 

Introduction du support choisi par l’enseignante

CorteX_clip_europeDans un premier temps, j’ai introduit un support, une vidéo d’un clip de la Commission Européenne de mars 2012 visant à promouvoir l’élargissement auprès des jeunes. La vidéo est restée quelques heures en lignes et a fait scandale car on y voit une jeune femme blanche (habillée comme Uma Thurman dans le film Kill Bill, de Q. Tarantino) se faisant agresser par des guerriers chinois, brésiliens et indiens maniant chacun un art martial national. Pour se défendre la jeune femme se dédouble jusqu’à former un cercle autour des guerriers les invitant à la négociation. Le slogan est : « the more we are, the stronger we are » : plus nous sommes nombreux, plus nous sommes forts. Voir la vidéo ici, ou ci-dessous [1].

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=9E2B_yI8jrI]

 

Débat autour de la notion d’identité européenne autour des supports de chacun

Avant le débat, j’ai introduit quelques règles.

  • On évite les débats « ping-pong », c’est-à-dire les réactions à chaud peu construites et peu argumentées entre deux étudiants aux positions différentes.

  • On essaie de construire des réponses et des arguments construits et originaux.

  • Pas d’attaques personnelles, on réfléchit sur les supports mais on ne juge pas les choix des collègues.

  • Je prendrai toujours le parti de l’argument minoritaire.

Le débat s’est engagé spontanément après le visionnage de la vidéo qui, après avoir fait sourire (la référence à Kill Bill), puis franchement rire (avec le ridicule des arts martiaux sur-joués), a fini par choquer. Les étudiants ont d’abord tout comme moi cru à une parodie des supports de communication de l’Union Européenne. Puis le débat s’est engagé. 

Au début les étudiants ont « réagi » plutôt que de construit des arguments : certains se disaient choqués, d’autres trouvaient la gaffe utile pour montrer « le vrai visage de l’Europe ». Je les ai ensuite invité à mobiliser et présenter leur support pour nourrir le débat. 

  • Une étudiante a évoqué un projet d’exposition européenne, Art et Europe (ici) organisé par des étudiants et visant à faire de l’art un vecteur d’identité européenne.
  • CorteX_Europe_a_coeur_Sculpture_Ludmila_TcherinaUn autre étudiant a parlé des sculptures placés devant les institutions européennes, notamment celle représentant la figure maternelle portant dans ses bras des enfants (ci-contre, « L’Europe à coeur« , sculpture de Ludmila Tcherina).
  • Des étudiants ont aussi utilisé des supports utilisant la religion comme vecteur identitaire pour l’Europe, notamment une citation de Chantal Delsol, philosophe politique, catholique et éditorialiste au Figaro publiée dans sa contribution à l’ouvrage d’ E. Montfort, Dieu a-t-il sa place en Europe? : 

« Si nous regardons la Charte des droits de l’homme musulman, nous y trouvons deux espèces humaines distinctes : celle des hommes et celle des femmes. Or, ce n’est pas ainsi que les Européens voient les choses, puisqu’ils héritent de Saint-Paul le postulat de l’unité de l’espèce humaine. Peut-on imaginer une liberté personnelle qui ne vaudrait que pour une partie d’entre nous ? Les Européens feraient bien de s’interroger là-dessus quand il s’agit de l’entrée de la Turquie en Europe » [2].

 

Comme tout le monde ne présentait pas ses supports, je me suis permise d’inviter ceux qui ne s’étaient pas exprimés. Certains, certes avaient trouvé la vidéo, parmi d’autres n’avaient sans doute pas eu le temps de chercher. J’ai alors demandé s’ils/elles avaient trouvé des supports de pédagogie destinés à des classes primaires ou secondaires, et beaucoup ont réagi en pointant le fait que dans les manuels, la construction européenne est présentée de façon très positive comme un phénomène « naturel » (cf. travaux de G. Reviron, ici), et non issus de choix politiques et d’une construction identitaire. D’autres ont évoqué l’absurdité d’invoquer le mythe d’Europe comme base de l’identité européenne (mythe peu connu, lointain et assez violent : il s’agit tout de même d’un enlèvement et d’un viol déguisé).

CorteX_europe_Da_Verona

Référence à la figure mythologique d’Europe, souvent mis en avant comme figure  tutélaire du continent. Selon le mythe, Europe princesse phénicienne fille d’Agénor a été enlevée par Zeus métamorphosé en taureau blanc pour séduire la jeune femme et éviter la colère de son épouse Héra. Zeus emmène la jeune femme en Crète pour s’accoupler avec elle une fois redevenu humain. De leur union, naissent Minos, Radhamante (tous deux devenus juges des Enfers) et Sarpédon qui s’exile en Anatolie. Europe est ensuite donnée par Zeus comme épouse au roi de Crète.

Arguments échangés

Le débat a beaucoup tourné autour de l’instrumentalisation des symboles pour construire une identité commune, notamment l’absurdité d’une référence au mythe d’Europe : c’est une histoire misogyne et fondamentalement violente. Les étudiants ont aussi mis en lumière une certaine schizophrénie européenne alternant messages de paix et d’amour (notamment via la figure de la mère nourricière) et une vision xénophobe de l’étranger. Des parallèles ont été proposés avec la construction d’une mémoire et d’une mythologie commune au sein des états nationaux. La construction d’une identité européenne a été perçue comme largement artificielle car basée sur une volonté d’imposer un attachement au marché unique alors que l’Europe n’est pas en mesure de construire un projet fédérateur avec et pour ses citoyens. Dès lors, l’identité européenne semble se baser uniquement sur un rejet de l’étranger. En guise de conclusion l’auteur a proposé la lecture de l’article de Denis Duez, « L’Europe et les clandestins : la peur de l’autre comme facteur d’intégration ? » [3].

Retours pédagogiques sur l’expérience

Utiliser des supports a permis de dépassionner le débat. Il faut sans doute rappeler que le groupe d’étudiants est parmi l’un des plus politisés que j’ai connus et que le débat tourne parfois aux attaques personnelles tant la prise de recul est difficile sur des sujets polémiques ou mettant en jeu des opinions personnelles. En outre, j’ai beaucoup apprécié de voir des étudiants qui peinaient à prendre la parole prendre activement part au débat. Les étudiants ont proposé une lecture critique des processus d’identification à l’Europe en analysant avec justesse ses dérives : rejet de l’autre, xénophobie et repli nationaliste et ethnocentrique. Plus largement, ce cours a aussi permis d’étendre la réflexion à la construction des identités nationales.

Je garderai cette idée de mobiliser des supports pour organiser un débat mais je pense préparer les choses plus en amont en y consacrant un temps de préparation et d’analyse plus long afin que chacun puisse s’exprimer et mûrir le débat. J’ai trouvé les supports globalement pertinents mais j’ai regretté que les étudiants ne puisent pas dans « l’histoire officielle » de la construction européenne (en mobilisant des contenus de cours, des articles…).

Clara Egger

 

[1] François Asselineau, Le choc des civilisations prôné dans un clip de la commission européenne, Agoravox, 6 mars 2012. 

[2] Chantal Delsol, « Liberté et christianisme », in E. Montfort, Dieu a-t-il sa place en Europe ?, p.115.

[3] Denis Duez, L’Europe et les clandestins : la peur de l’autre comme facteur d’intégration ?, Politique européenne, 2008/3 n° 26, p. 97-119.

–Vous reprenez ce matériel pour un de vos enseignements ? Vous l’améliorez ? Racontez-nous.—