Pédagogie – Atelier zététique et esprit critique en AP en seconde

Julien Peccoud, professeur de Sciences de la Vie et de la Terre en Isère, réalise un fort sympathique matériel pédagogique. Non seulement il partage son expérience, ses réussites mais également ses erreurs et ses doutes, dans un atelier zététique et esprit critique réalisé en séance d’Accompagnement Personnalisé (AP) de seconde. De quoi faire évoluer certaines pratiques mais aussi le cadre éducatif assez restreint dans lequel elles s’inscrivent… suscitant une forte envie de pousser les murs.

Contexte

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L’accompagnement personnalisé (AP) est entré en vigueur avec la réforme des lycées à la rentrée 2010. Le but de l’AP est assez large, allant du soutien à l’approfondissement en passant par l’orientation. L’organisation de l’AP est laissée à l’appréciation de l’équipe éducative du lycée (autonomie des établissements). Beaucoup de choix sont possibles et on peut remarquer une grande variabilité entre les établissements.

L’AP est maintenant arrivé en terminale avec la réforme montante mais les objectifs ne sont pas les mêmes dans les trois niveaux de lycée. En seconde, ces heures peuvent être utilisées pour encourager l’ouverture interdisciplinaire, pour développer des « projets » ou pour revenir sur les méthodes de travail liées aux exigences spécifiques du lycée. En première et terminale, on y transmet plutôt du contenu disciplinaire dans l’objectif du bac.

Voilà pour la vision officielle de l’AP…

… Cependant, la réalité est tout autre car l’AP n’a rien de « personnalisé » et pose des difficultés dans la motivation des élèves. En effet, ce n’est pas un enseignement sanctionné par une évaluation (continue ou finale). De ce fait, et c’est bien dommage, les élèves ne s’investissent que très peu et prennent ces séances comme de la garderie. Force est de constater que la motivation est souvent liée à la perspective d’une notation, il parait ainsi difficile de faire sortir les élèves de ce comportement stéréotypé. De plus, étant donné le peu de moyens horaires venant des rectorats, cet « enseignement » se fait généralement en groupe trop chargé pour prétendre à un caractère « personnalisé ». Dans mon lycée on tourne autour de 15 à 20 élèves.

Il faut en fait entendre le terme de « personnalisé » comme un choix laissé à l’élève (de la belle novlangue démagogique soit dit en passant). Des « cycles » d’AP sont mis dans un « menu » dans lequel les élèves de plusieurs classes vont choisir. Étant donné qu’il faut proposer tout un panel de disciplines et/ou d’activités, ce sont des élèves de plusieurs classes qui se regroupent dans un cycle d’AP proposé par un enseignant. Dans mon lycée, ce sont des « barrettes » de trois ou quatre classes (c’est-à-dire en parallèle) qui sont mises en place avec cinq ou six enseignant·e·s à charge, ce qui fait bien 15 à 20 élèves par groupe d’AP.

Cela pose au moins trois problèmes :

  • la place dans chaque cycle – Le nombre de places étant limité dans chaque AP, certains élèves se retrouvent dans un cycle qu’ils·elles n’ont pas choisi. Cela diminue encore la motivation et l’intérêt pour ce type de séances.
  • la relation avec l’enseignant·e – Il est très fréquent que les personnes intervenant en AP ne soient pas des enseignant·e·s des disciplines de la classe étant donné que les élèves proviennent de plusieurs classes. Cet éloignement rend d’autant plus difficiles l’accroche et l’emprise sur les élèves.
  • l’hétérogénéité du groupe – Toutes les six semaines les élèves se retrouvent dans un groupe de travail nouveau et on sait qu’une ambiance de groupe met du temps à se mettre en place. Ajouté à cela que les sorties scolaires et autres évènements liés à une classe ne vont impliquer qu’une partie des élèves, on arrive aussi à une hétérogénéité temporelle lors d’un cycle d’AP. Cela a une influence sur le rythme général.

Déroulement des cycles d’AP zététique

Dans mon établissement, nous faisons des cycle d’AP d’environ 6 semaines soit 6 fois une heure.

J’ai réalisé deux cycles successifs. Ils ont été répartis de cette manière :

Séance 1 : présentation de la zététique et annonce des consignes de travail.

Séance 2 : choix des sujets par les élèves et début du travail de recherche.

Séance 3 : travail en binôme sur les sujets (analyse du sujet, recherche documentaire).

Séance 4 : présentation et mise au point sur la démarche scientifique : comment mettre en place une bonne expérimentation. Suite du travail des élèves.

Séance 5 : suite du travail.

Séance 6 : présentation orale des différents groupes (5 minutes par groupe).

Séance 1

  • J’ai réalisé un petit topo pour expliquer ce qu’est la zététique et ce sur quoi nous allons travailler en insistant sur la démarche d’investigation. Les élèves devaient par eux·elles-mêmes analyser un fait paranormal, pseudoscientifique ou autre. J’ai essayé de cerner trois champs de travail : le paranormal, les pseudosciences / médecines dites alternatives et les sciences dans les médias.
  • Par la suite je leur ai donné quelques outils simples (erreurs de logiques, attaques, travestissements).
  • Je leur ai enfin donné des propositions de thèmes et de sujets en laissant la liberté d’en traiter d’autres.

Les consignes étaient les suivantes :

Renseignez-vous sur le sujet choisi de manière à pouvoir le décrire et le faire comprendre lors de votre exposé oral (par exemple : « d’où provient cette croyance/pseudoscience ? Quelles sont les bases scientifiques invoquées … »).

Mettre en place un protocole expérimental afin de tester si le sujet d’étude est scientifiquement valide ou non.

Selon moi, cette séance se passe assez bien car les élèves sont assez interloqué·e·s par le sujet qui sort un peu de l’ordinaire par rapport à leurs enseignements habituels. Les questions fusent, les remarques aussi. La présentation des erreurs de logiques les intéressent. Elle est propice à une introspection (« ah mais c’est vrai, je le dis tout le temps ça! »).

Séance 2 et 3

Les élèves ont mis beaucoup de temps à choisir leur sujet et certains groupes n’ont même pas réussi à se mettre au travail sur un thème. Ils·elles naviguent entre les propositions que je leur ai données et regardent les documents (vidéos) liés à tous les sujets. Cela a fait perdre beaucoup de temps et surtout beaucoup d’investissement de la part des élèves.

Séance 4

Je fais un petit rappel sur la démarche scientifique et la mise en place de protocoles expérimentaux.

Poser un problème (réduire le sujet traité à un seul paramètre d’étude) > Hypothèse > Expérimentation > Traitement les résultats > Conclusion.

Pour l’expérimentation, j’ai rappelé la notion de témoin et de facteur variant (un seul facteur doit varier entre le témoin et le test). Explication rapide du double aveugle et de l’effet placebo. N’ayant que peu de temps, je n’ai pas abordé le sujet de la randomisation. J’insiste bien sur le fait qu’ils·elles ont peu de temps et que le but n’est pas de mettre en place une expérience mais de seulement proposer un protocole expérimental. Pour les groupes ayant choisi un sujet plus sociologique (médias et sciences par exemple) j’insiste sur la consigne : décortiquer le sujet en utilisant les outils mis à leur disposition en début de cycle.

Les élèves se remettent sur leur sujet.

Séance 5

Des groupes n’arrivent pas à élaborer un protocole ou même à cerner un paramètre à étudier. D’autres ne travaillent pas vraiment, naviguant sur Internet et s’éloignant largement du sujet.

Un groupe commence à regarder des vidéos de catalepsie. En discutant avec elles, je me rends compte d’une résistance assez forte face à la croyance : elles ne sont pas en mesure de trouver comment tester cela. Leur argument : « mais il nous faudrait un hypnotiseur et on n’en a pas ! ». J’ai fait des pieds et des mains pour les amener à se dire qu’elles pourraient le tester elles-mêmes, mais sans réussite. Au final, j’ai dû leur dire qu’elles devaient essayer mais là encore, elles restaient persuadées que c’était vraiment le fait d’un hypnotiseur. On a essayé entre deux tabourets dans la salle avec en prime une autre élève montant sur la non-hypnotisée pour rajouter du poids : c’était parfait ! A partir de ce déclencheur, elles ont pu analyser une vidéo d’un hypnotiseur, traiter de la mise en scène, de la position et des forces mises en jeu.

Séance 6

Étant donné la vitesse de travail des élèves, peu ont pu présenter leur travail à l’oral (3 ou 4 tout au plus).

Problèmes rencontrés et remédiation

CorteX_levitation_enflammee

Dans l’ensemble, je dirai que ces deux cycles d’AP se sont moyennement bien passé. Une bonne moitié des élèves étaient peu impliqués avec cependant quelques binômes ayant fourni un bon travail méthodologique.

Le temps imparti

Le temps imparti (six heures) est trop court pour un tel travail de déconstruction sur un sujet de zététique. La présentation, les concepts et l’outillage laissent peu de temps pour le travail des élèves. De plus, si on veut faire une séance de présentation finale il ne reste que 3h30 de travail effectif.

Je ne vois que peu de solutions à ce niveau car la durée du cycle dépend de l’organisation interne de l’établissement. On pourrait tout de même imaginer de raccourcir l’introduction, tout en préservant le côté stimulant, pour pouvoir passer directement au choix des sujets. En ce qui concerne la présentation de l’outillage, il serait peut-être judicieux de cibler avec chacun des groupes les outils dont il a besoin pour mener à bien son enquête.

Le type et le nombre de sujets

J’ai voulu laisser un large choix de sujets aux élèves mais ils·elles se sont perdus dans les méandres des thèmes. Il faudrait mieux cerner quelques sujets et donner le moins de choix possible aux élèves.

Les consignes

Beaucoup d’élèves ne semblaient pas comprendre le but du cycle. Les consignes devaient être trop larges mais j’avais en tête de développer l’autonomie. Il faudrait proposer des thèmes plus simples et avec une consigne plus précise. On perdrait en autonomie mais on gagnerait en temps. Il faut garder en tête que ce n’est qu’une introduction à la zététique et il ne serait pas vraiment gênant de donner plus d’aide et d’orienter leur travail.

La motivation pour le cycle d’AP

Ce problème est inhérent à la structure de l’AP et je ne sais pas comment y remédier. Beaucoup d’élèves ont atterri dans ce cycle sans l’avoir choisi. Peut-être aurait-il fallu faire des groupes de travail plus grands (trois ou quatre élèves), bien que cela augmente le risque de distraction et de bavardage et que certains élèves en profitent pour se reposer sur d’autres. Cependant, dans ce cas, il est possible qu’un groupe de travail de quatre soit bénéfique pour la motivation dans le cadre de l’AP.

En conclusion

Faire de la zététique en AP semble assez difficile au premier abord mais peut-être faut-il penser cela de manière plus simple. Cela pourrait être l’occasion de se centrer sur la démarche scientifique et de mettre de côté certains thèmes comme les médias ou le paranormal dans un premier temps. Ou bien on pourrait imaginer plusieurs cycles d’AP recouvrant de la zététique et de l’esprit critique afin de moins s’éparpiller :

  • Cycle zététique et critique de la science dans les médias

Outillage présenté : techniques de manipulations et de marketing, appel aux émotions.

Consignes : déconstruire des articles dits scientifiques, analyser la présentation de certains produits du commerce mettant en avant leur caractère scientifique.

  • Cycle zététique et pseudosciences/medecines dites alternatives

Outillage présenté : méthodologie scientifique, principes de base en statistique.

Consignes : proposer un protocole expérimental dans le but de tester la véracité d’une pseudoscience ou d’une médecine dite alternative.

  • Cycle zététique et paranormal :

Outillage présenté : erreurs de logique, psychologie et biais cognitifs, psychologie sociale, rasoir d’Ockham et compagnie.

Consignes : faire des recherches sur un événement relevant du paranormal. Grâce à l’outillage mis à votre disposition, recherchez les origines historiques et sociales de cette croyance. Tentez de donner une explication rationnelle de cet évènement.

Pour élargir un peu, d’autres espaces sont utilisables au lycée pour faire de la zététique et de l’esprit critique :

  • Les enseignements d’exploration en seconde visent l’interdisciplinarité. Par exemple en sciences, c’est MPS (Méthodes et Pratiques Scientifiques) en collaboration avec les SVT (Sciences de la Vie et de la Terre), les SPC (Sciences Physiques et Chimiques) et les mathématiques. A coups de 1h30 par semaine sur la totalité de l’année il est possible de développer quelque chose de plus abouti. Cependant, les thèmes nationaux sont imposés et il faudrait passer outre.
  • Enfin, le meilleur endroit, selon moi, pour faire de la zététique semble être les TPE (Travaux Personnels Encadrés) se déroulant en classe de première, sur la moitié de l’année, deux heures par semaine, et sanctionnés d’une évaluation finale comptant pour le bac. Dans ce cadre, les élèves sont plus motivé·e·s (pour différentes raisons allant de la notation au fait qu’ils·elles sont dans leur filière « de choix »). Ici aussi deux ou trois enseignant·e·s interviennent ce qui permet, pour ce qui est des sciences, de faire appel à la physique, chimie, biologie, géologie et aux mathématiques. En TPE de sciences les élèves sont largement encouragés à faire des expériences et doivent aboutir à une production finale et présenter une soutenance ce qui entraîne forcément plus d’implication personnelle : c’est souvent l’occasion de voir un bel engouement collectif.
Julien Peccoud, novembre 2012

Annexe 1 – recueil d’erreurs de raisonnement et sophismes argumentatifs

À télécharger ici.

Annexe 2 – sujets proposés

Sujet Description et consigne proposée Documents de départ

Si c’était à refaire, ce que je changerai

1 L’acupuncture

Critiquez l’article, pour cela vous devez vous documenter sur l’acupuncture et utiliser la démarche expérimentale.

Un mystère de l’acupuncture expliqué par la science, Le Figaro, 31 mai 2010.

Consigne – Faire une analyse critique de l’article. Pour cela vous devez vous documenter sur l’acupuncture et utiliser la démarche expérimentale.

Le sujet est peut-être complexe pour des secondes. A supprimer ?

2 Le triangle de la burle

Le triangle de la Burle est décrit comme étant le « triangle des bermudes français ».

Le triangle de la Burle, Les 30 histoires les plus mystérieuses (2010)

Le triangle de la Burle, André Douzet

 
3 Les effets de la lune sur la pousse des cheveux et sur les naissances

La lune aurait un effet sur la vitesse de pousse des cheveux et des poils ainsi que sur les naissances (il y aurait plus de naissances les jours de pleine lune)

 

Consigne – Des croyances répandues prétendent qu’il y aurait un effet de la lune sur le monde biologique (vitesse de pousse des cheveux, plus de naissances ou de crimes les jours de pleine lune…)

Il faudrait donner des chiffres et des statistiques que les élèves pourraient traiter.

4 Les effets de la lune sur la production végétale La lune aurait des effets sur la croissance des végétaux dans un potager.

Jardiner avec la Lune, Le potager facile

Consigne – Des croyances répandues prétendent qu’il y aurait des effets sur la croissance des végétaux dans un potager. Comment pourrait-on tester cela ?

5 Les effets de la lune sur le sommeil.

On dit que l’orientation de notre lit a une influence sur le sommeil. Comment vérifier cela expérimentalement.

 

Consigne – On dit que l’orientation de notre lit a une influence sur le sommeil. Proposez un protocole pour tester cette affirmation.

6 Le hoquet et les techniques pour l’arrêter

Il y a un grand nombre de techniques supposées arrêter le hoquet. Quand est-il ? Sur quoi se basent-elles ?

 

Consigne – Il y a un grand nombre de techniques supposées arrêter le hoquet. Ont-elles fait la preuve de leur efficacité ?

7 La combustion humaine « spontanée »

Des observations montreraient que certaines personnes auraient brûlé spontanément, sans causes externes. Peut-on douter de cela ?

La combustion humaine spontanée, Secret Base

Consigne – Existe-t-il des explications rationnelles à ce phénomène ?

8 La graphologie

Utilisée pour analyser des CV et des lettres de motivation, cette technique permettrait de tracer le profil psychologique par l’étude de l’écriture. Proposez une expérimentation afin de tester cette pseudoscience

 

Consigne – Proposez une expérimentation afin de tester l’efficacité le cette méthode.

Il faudrait mettre à disposition des élèves du matériel sur cela (méthode de graphologie ou autre…)

9 La radiesthésie : les sourciers

Grâce à un bâton, des personnes possédant un « pouvoir » pourraient trouver de l’eau à l’aveugle. Comment pourrait-on vérifier cela expérimentalement ?

 

Consigne – Proposez un protocole expérimental afin de tester l’existence de ce sois-disant pouvoir.

10 L’astrologie L’astrologie est-elle scientifique ?

 

Proposer et mettre en place un protocole permettant de tester la véracité des profils astrologiques.

Signes astrologiques, Astrologie pour tous.

 
11 Les coupeurs de feu (ou barreurs de feu)    

Supprimer ce sujet car trop compliqué pour mettre en place un protocole.

12 L’effet de l’accélération de Coriolis dans un évier

L’eau s’écoulerait de l’évier dans un sens en hémisphère sud et dans le sens inverse en hémisphère nord.

Doc 1  Doc 2  Doc 3    Doc 4

Consigne – L’eau d’un évier s’écoule-t-elle vraiment dans un sens en hémisphère sud et dans l’autre sens en hémisphère nord ?

13 L’hydrocution

Se documenter sur ce phénomène et trouver un protocole pouvant prouver sa véracité

 

Supprimer ce sujet car un protocole est difficilement possible

14 L’homéopathie

Sur quoi se base l’homéopathie ? Imaginez un protocole pour tester cette méthode pharmaceutique.

 

C’est un sujet vaste et complexe. Peut-être est-ce plus simple de se limiter à de la recherche documentaire sur le sujet et laisser tomber la mise en place d’un protocole ?

15 L’acupuncture

Proposer un protocole permettant de tester l’efficacité de l’acupuncture. Pour cela vous devrez vous renseigner sur le procédé et isoler un facteur à tester.

 

Sujet à fusionner avec le premier.

16 Les magnétiseurs

Certaines personnes en font leur profession. Ils prétendent soigner en manipulant et en influant sur nos « énergies » corporelles. Comment tester ce phénomène c’est à dire la capacité à ressentir et manipuler ces énergies que l’on n’ a jamais mesurées ?

   
Autres matériels d’étude ne permettant pas d’expérimenter mais permettant de s’entraîner à la critique
17 Critiques de l’odyssée de l’espèce

Les images et la scénarisation peuvent être trompeuses. Critiquez ces extraits de ce fameux documentaire.

Extrait L’odyssée de l’espèce, Jacques Malaterre (2002)

 
18 Les stéréotypes

Les femmes peuvent faire plusieurs choses en même temps et pas les hommes ; les dyslexiques sont plus intelligents et bien d’autres affirmations de la sorte …. Les stéréotypes sont courants dans la société mais ils ont de multiples origines. Comment les distinguer et les déjouer ?

 

Supprimer les stéréotypes faisant intervenir des notions complexes à définir et donc à mesurer (par exemple l’inteligence). Trouver d’autres stéréotypes simples.

Consigne – Ces affirmations sont-elles étayées scientifiquement ?

19 L’homme et le singe ont-ils un ancêtre commun ?

Nécessite une connaissance dans l’évolution et ses mécanismes … Documentez-vous.

 

Changer pour : l’Homme descend-il du singe ?

Consigne – Cette affirmation souvent entendue est-elle valide scientifiquement ?

20 Les crèmes cosmétiques

Faire une analyse critique de produits cosmétiques à partir de leurs compositions et des arguments publicitaires.

Doc 1 Doc 2 Doc 3  
21 Utilise-t-on 10% de notre cerveau ?    

Sujet à supprimer. C’est trop flou.

Mathématiques – Comment tromper avec des graphiques

Un graphique a généralement pour but d’illustrer un propos souvent trop complexe pour le lecteur ou le téléspectateur, et qui gagnerait en clarté en étant présenté de manière synthétique. Cette version « visuelle » est donc régulièrement choisie pour exposer des données de façon immédiate et avec le moins d’ambiguïté, que ce soit pour faire comprendre rapidement l’évolution du chômage, les résultats extraordinaires d’un dentifrice sur l’acidité de notre bouche ou la diminution de la dette du Lesotho.
Mais cette présentation ne va pas toujours de soi : les choix des axes, des origines, de la présentation, des données illustrées peuvent tout aussi bien tromper qu’éclairer et faire passer une augmentation significative pour stagnation évidente, une homogénéité de fait pour disparité flagrante, etc.
Si de très bons ouvrages existent et présentent quelques-uns de ces pièges (voir ci-dessous), voici quelques exemples à consulter directement.
N’hésitez pas à nous faire connaître les vôtres –> contact(at)cortecs.org
Denis Caroti

 
 

Graphiques, attention aux axes

Nicolas Gauvrit nous offre ici du matériel pédagogique « prêt-à-l’emploi » permettant de déconstruire quelques artifices graphiques, notamment sur le choix des axes.

[dailymotion id=xgylu8]

Pour voir les autres ressources pédagogiques de Nicolas Gauvrit, cliquez ici. 

Chiffres de la délinquance

Note de Guillemette Reviron : lorsque j’ai présenté le travail de Nicolas Gauvrit (ci-dessus) à un public de travailleurs sociaux, un membre de l’assemblée (merci à lui) m’a signalé cette séquence du Journal Télévisé de 20h (le 20 janvier 2011 sur TF1) : Brice Hortefeux, ministre de l’Intérieur à l’époque, venait présenter l’évolution des chiffres de la délinquance et avait préparé pour cela un beau graphique.

 

Après avoir vu la vidéo de Nicolas Gauvrit, cela saute aux yeux : il manque l’axe vertical, celui qui contient toute l’information, sans parler du titre, particulièrement vague. Le graphique du ministre ne veut tout simplement rien dire.

Cet extrait peut être utilisé de la manière suivante :
a. On peut commencer par projeter l’extrait du Journal Télévisé…
b. puis on montre la vidéo du cours de Nicolas Gauvrit…
c. Et enfin, nouvelle projection de l’extrait et analyse. 

Chiffres du chômage

Voici une autre illustration de l’impact que peut avoir le choix d’une échelle sur un graphique, tiré du Petit Journal du 29 novembre 2011 (Canal +). Merci à Frantz Diguelman de me l’avoir signalé.

Les graphiques :

CorteX_Chiffres_chomage_comparaison_graphique_Le_Petit_journal_29_11_2011_Image1 CorteX_Chiffre_chomage_comparaison_graphique_Le_Petit_journal_29_11_2011_image2 CorteX_Chiffre_chomage_comparaison_graphique_Le_Petit_journal_29_11_2011_image3
Journal Télévisé – 20h – TF1 Journal Télévisé – 20h – France 2 Journal Télévisé – 20h – France 2

Guillemette Reviron

Résultats scolaires : graphiques, méfions-nous(1) !

Comme chacun le sait, les diagrammes en « toile d’araignée » permettent, bien mieux qu’un histogramme ou un simple tableau, de repérer rapidement le « profil » des notes d’un élève lors d’un conseil de classe…

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Alain Le Métayer

(1) Ce titre est bien sûr un clin d’œil à Nicolas Gauvrit, l’auteur de Statistiques. Méfiez-vous ! Ellipses, 2007.

Bibliographie

Trois ouvrages au moins nous ont convaincu de leur utilité pour tenter de déjouer les artifices qui peuvent être créés (volontairement ou non) à l’aide de ces « outils graphiques » :

  • Statistiques. Méfiez-vous ! Nicolas Gauvrit, Ellipses, 2007.
  • Petit cours d’autodéfense intellectuelle, Normand Baillargeon, Lux, 2006.
  • Déchiffrer le monde : contre-manuel des statistiques pour citoyens militants, Nico Hirtt, Aden Editions, 2007.

Solution – Le jeu des trois boîtes, ou problème de Monty Hall

Voici la solution au jeu des trois boîtes, ou problème de Monty Hall, donnée par Louis Dubé, et complétée par le CorteX.
Pour revenir à l’énoncé, voir ici.

Voici différentes approches de la version initiale

Explication de Louis Dubé

La bonne réponse est la 2 : je change mon premier choix

La meilleure stratégie est de TOUJOURS changer son premier choix. En conservant votre premier choix, vousCorteX_Choix_Monty_Hall ne changez pas de probabilité de succès, qui demeure un tiers. En changeant toujours de choix, vos chances de succès sont deux fois plus grandes. Car, en dévoilant l’une des boîtes qui n’a pas d’argent sous elle, le maître de cérémonie vous offre effectivement l’ensemble des deux choix qui restent, dont la probabilité égale deux tiers. La figure ci-contre illustre ce concept.

L’illusion est de penser que s’il reste deux choix et qu’on ignore lequel, notre premier choix est aussi bon que le deuxième offert (soit 50 %).

Tentez vous-mêmes l’expérience : un joueur cache l’argent sous l’une des trois boîtes à l’insu d’un deuxième joueur; le deuxième joueur tente de deviner où le premier joueur a caché l’argent en utilisant systématiquement – pendant disons 30 coups – l’une ou l’autre des stratégies proposées. Vous obtiendrez environ 20 succès sur 30, en suivant la stratégie de toujours changer de choix ; deux fois mieux que si vous gardiez toujours votre premier choix.

Une autre façon de saisir l’importance de changer son premier choix est de considérer un problème similaire : au lieu de trois boîtes, supposons que le choix original vous propose un millier de boîtes, dont une seule contient l’argent convoité. Vous choisissez au hasard la boîte N°527. Pour vous aider, le maître de cérémonie dévoile 998 boîtes qui ne contiennent pas d’argent, seule la boîte N°721 demeure, ainsi que votre choix original : la boîte N°527. Garderiez-vous votre choix original qui n’avait qu’une chance sur mille de contenir l’argent ? Croyez-vous vraiment que votre premier choix aurait maintenant une probabilité de 50 % ? Il apparaît évident que vous changeriez de choix en croyant (justement) qu’il y a beaucoup plus de chances (999 chances sur 1000) que l’argent se trouve sous la seule boîte (autre que votre choix original) qui n’a pas été dévoilée.

 Louis Dubé

Approche expérimentale

Louis Dubé suggère à tout élève de collège de rendre fous ses professeurs en leur faisant une simple démonstration sur 30 essais. Personnellement, je vais essayer de le faire aux étudiants de zététique avec des gobelets, un euro et deux chewing gum mâchés (je viendrai raconter l’expérience).

Explication de Guillemette Reviron

CorteX_Guillemette

À l’issue du premier tirage, la probabilité que je sois tombée sur la bonne boîte est de 1/3 et la probabilité que je me sois trompée, c’est-à-dire que la bonne boîte soit une des deux autres, est de 2/3. L’animateur ouvre ensuite une boîte vide. Cette petite manipulation ne change pas ces probabilités puisque le choix de la boîte a été fait avant :

– la probabilité d’être tombée sur la bonne boîte vaut toujours 1/3
– la probabilité que ce ne soit pas la bonne vaut toujours 2/3.

Ce qui a changé, c’est qu’à la première étape, si je me suis trompée, l’argent est sous l’une des deux autres boîtes alors qu’à présent, si je me suis trompée, l’argent est sous la seule autre boîte. J’avais 2 chances sur 3 qu’elle soit sous une des autres boîte, j’ai deux chances sur trois qu’elle soit sous l’autre boite.

Le tour est joué !

Regardez, j’ai parié, et j’ai gagné deux bouteilles de vin.

Explication grâce à l’arbre des possibles

Voici les versions (en anglais) de la version des tasses et (en français) de celle voiture/chèvres.

CorteX_tasses_Monty_HallCorteX_Arbre_des_possibilites_Monty_Hall

Démonstration à l’aide du théorème de Bayes

Pour des étudiants d’un certain niveau en mathématiques, on pourra résoudre le « paradoxe » avec le théorème du révérend Bayes, qui nous dit :CorteX_Thomas_Bayes

Soit un événement quelconque, et soit (Bi)i=1..n un ensemble d’événements à la fois exhaustifs et mutuellement exclusifs. Alors pour tout i, on a :

P(B_i|A) = frac{P(A | B_i) P(B_i)}{sum_{j = 1}^n P(A|B_j)P(B_j)}, ,

Supposons que je choisisse la boite n°3 – le raisonnement serait identique dans les deux autres cas – et notons :

– F1 (respectivement F2 et F3) : la voiture se trouve dans la boite n°1 (resp. 2 et 3)

– O1 (respectivement O2 et O3): l’animateur ouvre la boite vide n°1 (resp. 2 et 3)

Supposons alors que l’animateur ouvre la boite 1 – le raisonnement est le même s’il ouvre la boite 2.

La probabilité de gagner en changeant mon choix est alors la probabilité que la voiture soit dans la boite 2 sachant que l’animateur a ouvert la boite n°1, c’est-à-dire P(F2/01). Or, d’après la formule de Bayes.
 

 P(F2|O1) = frac{P(O1|F2) P(F2)}{sum_{i=1}^{3} P(O1|Fi) P(Fi)}  = frac{1 times frac{1}{3}}{0 times frac{1}{3} + 1 times frac{1}{3} + frac{1}{2} times frac{1}{3}}  = frac{2}{3}


En effet, si la voiture est dans la boite 2 et que j’ai choisi la boite 3 au premier tirage, la seule boite que peut ouvrir l’animateur est la boite n°1 donc P(01/F2) = 1.
De la même manière, si la voiture est dans la boite 1, l’animateur ne peut pas l’ouvrir donc P(O1/F1)=0 et si la voiture est dans la boite 3, l’animateur a deux choix équiprobables (la boite 1 ou la boite 2) donc P(O1/F3) = 1/2.

Pour aller plus loin

  • On retrouvera également une simulation avec chèvres et voiture sur le site du Laboratoire de Mathématiques Raphaël Salem de l’Université de Rouen (ici).
  • Pour les fans de l’utilisation des sciences dans les fictions, voici un extrait de Las Vegas 21, de Robert Luketic (2008) lors duquel l’enseignant (Kevin Spacey) pose la question à ses étudiants – dont le jeune héros (Jim Sturgess) qui répond bien (extrait en anglais – je cherche une version originale sous-titrée, en attendant contentons-nous du doublage français)

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=huLoJcTppXk]

  • Pour l’histoire, il semble que la paternité de ce dilemme revienne à Joseph Bertrand (ci-contre) en 1889, sous le nom de « Paradoxe de la boîte de Bertrand ». CorteX_Joseph_BertrandPuis c’est le regretté Martin Gardner, incontournable pionnier de la pensée critique décédé en 2010, qui l’exhuma en 1959 dans sa rubrique Mathematical Games du Scientific American sous le nom de « problème des trois prisonniers » (« Mathematical Games » column, Scientific American, October 1959, pp. 180–182). Enfin, c’est Steve Selvin qui rouvrit la question dans « A problem in probability (letter to the editor)« , American Statistician 29 (1): 67 (February 1975) et « On the Monty Hall problem (letter to the editor) », American Statistician 29 (3): 134 (August 1975).
  • Un site est entièrement consacré au problème, ainsi qu’un livre : Jason Rosenhouse, The Monty Hall problem – The Remarkable Story of Math’s Most Contentious Brain Teaser (Oxford University Press 2009).

 

  • CorteX_Louis_DubeLouis Dubé nous offre en prime un court programme commenté en langage Basic qui simule ce problème avec « N » boîtes (donc aussi avec 3 boîtes).

Voici :

  1. le code du programme avec commentaires.
  2. Le code source en fichier texte (qui peut facilement être copié)
  3. Les résultats pour 9 essais (chaque étape en détail pour bien saisir le processus) et les résultats cumulatifs pour 9 essais et pour 1000 essais.
Richard Monvoisin
Merci à Louis Dubé & Guillemette Reviron
 

L'argumentation et le débat sur les sciences en CM2, par Marine Ridoux

Marine Ridoux, membre de l’Association des Petits Débrouillards, a co-conçu et a co-animé, avec Michel Goldberg, maître de conférence à l’Université de La Rochelle et Stéphanie Vicenzotto, professeure des écoles, un atelier sur l’argumentation et le débat sur les sciences en classe de CM2. Qu’est-ce qu’un argument ? Tous les arguments ont-ils le même poids ? Quelles sont les règles d’un débat équitable ? Ce travail sur l’argumentation a ensuite été mis en pratique sur un sujet complexe : la controverse liée aux énergies. Pour aborder toutes ces questions avec ce jeune public, les animateurs ont eu recours aux jeux de rôle, au théâtre ou encore au débat mouvant. Marine Ridoux nous raconte comment ils s’y sont pris…

L’article suivant a été écrit comme un récit d’expérience. Pour celles et ceux qui seraient tentés de monter un atelier similaire, un descriptif bien plus détaillé est disponible ici.

Nous savions que l’esprit critique peut être enseigné à l’école primaire (on pourra trouver des pistes ici. Vous en connaissez d’autres ? Ecrivez-nous !). Aussi avons-nous tenté de construire des outils de pensée critique dans le but d’aborder des controverses scientifiques avec notre jeune public. C’est ainsi que l’association Les Petits Débrouillards et une professeure des écoles ont proposé à une classe de CM2 (école primaire de Puilboreau en Charente maritime) une animation pour découvrir dans un premier temps ce qu’est un argument et pour débattre ensuite autour du thème des énergies.

Notre association a l’habitude de mettre en place en classe de primaire des ateliers scientifiques basés sur la démarche expérimentale. Cette fois-ci, le but était de donner des outils aux élèves qui leur permettent d’appréhender une argumentation sur une thématique scientifique.

Déroulement de l’activité

Information générale – L’enseignante, Stéphanie Vicenzotto, était chargée de transmettre des notions fondamentales sur le thème des énergies. Après une première séance en classe entière centrée sur la définition de l’énergie et de ces différentes formes, la classe a été divisée en neuf groupes de travail de trois élèves, chacun prenant en charge une thématique précise : nucléaire, pétrole, charbon, gaz naturel, éolien, solaire, hydraulique, géothermique, biomasse.

Recherche d’informations – Dans un premier temps les élèves ont dû réunir des informations sur cette énergie. Les recherches ont été menées à la bibliothèque de la ville, sur Internet, et grâce à certains documents réunis par la professeure des écoles. Pour faciliter les recherches la classe s’était mise d’accord sur un plan commun à chaque énergie : quelle est la source de cette énergie ? Comment est-elle transformée pour être utilisable par l’Humain ? Quels sont les avantages et inconvénients de ce type d’énergie ?

Pour ces recherches, chaque groupe était en autonomie, l’enseignante restant à la disposition des élèves pour toute demande d’information et de conseils.

 Partage des connaissances – Les élèves ont ensuite créé une affiche qui récapitule et met en forme leurs connaissances acquises sur la question.

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Finalement chaque groupe a présenté oralement ses recherches au reste de la classe. Les animateurs ont également assisté aux exposés.

Travail sur l’argumentation – Les animateurs Petits Débrouillards, Michel Goldberg et Marine Ridoux, sont intervenus pendant deux séances d’une heure et demie afin de discuter avec les élèves sur des questions d’argumentation. Les enfants avaient été répartis en deux demi-classes de 14 élèves. L’animation portait sur les questions suivantes : dans quelle situation argumente-t-on ? Qu’est ce qu’un argument ? Est-ce que les raisons appuyant un argument ont toutes la même valeur ? Comment peut-on répondre à des arguments qui sont présentés sans raison, ou dont les raisons sont insuffisantes, fausses, ou encore hors du sujet ?

Les animations dont découlent ces questionnements étaient essentiellement basées sur des jeux de rôles et de théâtre. Pour plus de détails sur l’argumentation et les animations, le déroulé pédagogique complet est disponible,ici.

 Une séance finale a permis de mettre en application les notions abordées durant les deux phases précédentes, celle sur l’argumentation et celle sur la recherche bibliographique : s’écouter, respecter le temps de parole des autres, construire un argument, évaluer si un argument est « vrai », pertinent et suffisant pour justifier la conclusion, mobiliser ses connaissances, construire une opinion personnelle etc.. Pendant une heure, toujours en demi-groupe, il a été proposé aux élèves de débattre selon la technique du débat mouvant.

 

Le débat mouvant se crée sur une affirmation ou une question fermée (par laquelle on ne peut répondre que par oui ou par non). On demande aux participants de choisir leur camp (oui ou non) en fonction de leur opinion initiale, camps qui sont matérialisés dans l’espace et se font face. Chacun des camps reçoit la parole de façon alternée et tente de convaincre les autres grâce à un argument ou un exemple. Chaque fois qu’un argument de l’autre camp est jugé valable par un participant, il change de zone.
Voici les sujets proposés aux élèves :
  • Avec tout ce que nous savons maintenant, il devient important de punir les enfants qui gaspillent de l’énergie
  • Il faut tout de suite arrêter d’utiliser de l’énergie nucléaire et fossile pour n’utiliser que des énergies renouvelables.
  • Tous les enfants du monde doivent pouvoir vivre comme nous aujourd’hui.
  • Seuls les scientifiques sont capables de résoudre les problèmes actuels de l’énergie dans le monde.

Les précautions à prendre pour animer ce type de débats et les consignes données aux élèves sont détaillées ici.

Le public

D’après l’enseignante, les enfants qui ont participé à l’expérience étaient déjà très à l’aise à l’oral et avaient déjà une bonne culture générale. Il nous a également semblé que l’enseignement de la professeure tout au long de l’année a également participé au bon déroulement de l’expérience. En effet, elle a habitué ces élèves à prendre souvent la parole, à faire de nombreux petits exposés, à mener des expérimentations scientifiques et établir des hypothèses par groupe.
Des élèves à l’aise avec la parole et une classe habituée à travailler en groupes nous paraissent être deux conditions nécessaires pour monter un atelier sous cette forme.

Bilan des animateurs

Il nous est apparu que les enfants, dans leur ensemble, ont compris les notions que nous avions apportées. L’ambiance dans la classe était à la fois studieuse et animée. De nombreux enfants ont exprimé une grande satisfaction et une volonté de poursuivre ce type d’animation. Plusieurs enfants ont voulu souligner qu’ils avaient particulièrement aimé cette séance.

 A titre d’exemples, les enfants ont été capables d’identifier et de définir par eux-mêmes plusieurs critères définissant un bon argument (« il faut s’expliquer pour être compris », « il faut laisser le choix »), ou une bonne stratégie argumentative (« il faut parler gentiment »). Il a cependant été difficile de différencier un « bon » argument sur le fond et sur la forme. Par exemple, un argument qui leur semble « gentil » sera forcément un bon argument même si celui-ci n’est pas justifié par des raisons.

 Le temps consacré à l’ensemble des débats a été d’environ 25 minutes. Durant ce laps de temps tous les élèves ont au moins participé une fois même si certains d’entre eux participaient plus que d’autres. Nous avons été surpris de la réponse des enfants face aux questions. D’autant plus, que les questions choisies étaient délibérément piégeuses.

 Par exemple, en leur demandant si Tous les enfants du monde doivent pouvoir vivre comme nous aujourd’hui, nous pensions que la plupart des élèves diraient : oui, tous les enfants doivent pouvoir avoir accès au confort, à l’éducation, etc. Mais au contraire, ils ont dans un premier temps souligné que tout le monde ne voulait pas forcément vivre comme nous, puis qu‘il n’y aurait pas assez de ressources pour que tout le monde vivent comme nous. Un élève a émis l’idée que nous devrions diminuer notre consommation, pour que les autres puissent gagner en confort.

 D’après notre expérience, le format de plusieurs petites questions convient bien à l’âge et au format du débat qui s’essouffle si on ne choisit qu’une seule question. La plus grande difficulté est de choisir les affirmations qui seront débattues. Il est recommandé de les écrire au tableau pour que tout le monde soit d’accord sur les termes.

 Les enfants étaient vraiment très dynamiques, et souhaitaient participer activement. Malheureusement, nous n’avions pas prévu assez de temps pour chaque activité. Parfois, il a fallu les raccourcir. Il aurait fallu un peu mieux cadrer les interventions des enfants et pour certains exercices, il avait été prévu de travailler sur 10 exemples, finalement 5 uniquement ont été traités.

 Une autre critique possible de cette animation est qu’elle est essentiellement basée sur le théâtre et la prise de parole, il serait intéressant de développer de nouvelles activités qui permettent à des enfants peu à l’aise à l’oral de participer.

Bilan de l’enseignante

 La professeure souligne la difficulté d’un tel projet à cause de la grande diversité d’apprentissage que cela implique pour les élèves. Ces nouveaux concepts ont été assimilés par les enfants en trois semaines uniquement. Selon la classe, il pourrait être préférable d’aborder ces différentes notions les unes après les autres, sur le long terme. Ces activités sont très majoritairement basées sur l’oral, or, l’écrit peut aider certains élèves à s’approprier les notions. Il aurait pu être intéressant de demander un exemple écrit individuel aux enfants. Il serait intéressant, de refaire un débat sur un autre thème (écosystème, biodiversité, reproduction,…) afin d’ancrer les acquis.

Perspectives

 De nouvelles expériences pourront être menées en primaire avec des enfants plus jeunes. D’autres types d’activités pourront être testées, favorisant l’expression d’enfants qui ont plus de difficulté pour donner leur avis, notamment dans des classes moins habituées à prendre la parole :

  • jeux de cartes type Seigneur des ténèbres. Dans le jeu classique, un élève joue le rôle du seigneur des ténèbres qui a sous ses ordres un ensemble de serviteurs qui n’arrêtent pas d’échouer dans leurs missions. A l’aide des cartes, les serviteurs construisent leurs argumentaires pour éviter la colère du maître des ténèbres. Celui-ci décide alors (et justifie à l’aide de la séance passée) si l’argumentaire lui semble valable. Certes, il faudra réfléchir à la manière de modifier les rôles et les règles pour rendre ce jeu coopératif ainsi que le thème de départ en fonction du domaine scientifique que l’on souhaite aborder, mais le principe des cartes qui donnent une contrainte ou une piste pour argumenter, ou de celles qui permettent de se faire aider, ainsi que le rôle de la personne qui doit dire si l’argument l’a convaincue ou non, nous paraîssent intéressants.
  • recueil d’opinion dans le cercle familial ou amical sur l’argumentation

Nous aimerions également tester cette animation au niveau du secondaire. Cela pourrait donner lieu à des projets transdisciplinaires (français, sciences, mathématiques, histoire, géographie, théâtre).

D’autres animations pourraient également voir le jour en dehors du cadre scolaire, par exemple dans le cadre duconseil municipal des enfants à Angoulême.

Marine Ridoux
Atelier co-conçu et co-animé avec Michel Goldberg et Stéphanie Vicenzotto

Pour tout renseignement sur cet atelier, vous pouvez contacter Marine Ridoux : marine.ridoux (at) lespetitsdebrouillardspc.org

Journalisme – TP Conflit d'intérêt et indépendance de l'information

Voici un excellent Travail Pratique (TP) sur les conflits d’intérêt et l’indépendance de l’information de médias dits « gratuits » comme Direct matin. Il a été réalisé par une documentaliste (qui reste anonyme) avec une classe de seconde, dans le cadre d’un module d’observation critique des médias en accompagnement personnalisé au Centre de Documentation et d’Information.
Voici la fiche pédagogique publiée par l’association Acrimed dans leur magazine trimestriel Médiacritique(s) n° 4 de juillet-septembre 2012. Leur site regorge d’ailleurs de ressources critiques sur les médias et peut être consulté sans modération. Pour réitérer ce TP sans peine, j’ajoute quelques liens pour comprendre les enjeux et surtout le matériel nécessaire, c’est-à-dire quelques numéros en format pdf des fameux Direct matin dans lesquels apparaissent des articles dithyrambiques sur le système Autolib‘.
Enfin, pour prolonger et élargir la réflexion sur l’indépendance de l’information,  on trouvera trois vidéos exploitables comme supports de débat   ainsi que des liens vers des articles du Cortex.

Si vous refaites ce TP, n’hésitez surtout pas à partager votre expérience.

Voici la fiche pédagogique parue dans Médiacritique(s) n°4

Bolloré, Direct Matin et Autolib’ : un cas d’école

Médiacritique(s) n° 4 de juillet-septembre 2012, page 31.

Depuis le lancement de ces voitures électriques en libre-service le 5 décembre 2011, le journal Direct Matin de Bolloré ne cesse de chanter les louanges d’Autolib’ du même Bolloré [1]. Sans le vouloir, le quotidien a fourni tous les ingrédients nécessaires à un exercice scolaire réussi. Retour sur une expérience pédagogique menée auprès d’élèves de seconde, dans le cadre d’un module d’observation critique des médias en accompagnement personnalisé au CDI. À réitérer : d’autres formules sont possibles…
I. Intitulé de l’exercice
– Identifiez le(s) propriétaire(s) d’un média.
– Repérez un sujet dans lequel le média peut avoir un intérêt (conflit d’intérêts, poids du propriétaire).
– Demandez-vous si le média sert les intérêts de son propriétaire dans le traitement du sujet (exemples d’éléments négatifs et/ou positifs, sources, place accordée au sujet…)

2. Documents
La fréquence des articles sur Autolib’ dans Direct Matin a permis à chaque groupe d’élèves de travailler sur un numéro [2]. Comme le journal est gratuit, il était possible d’en prendre plusieurs exemplaires en réserve au cas où l’un d’entre eux serait abîmé. La collecte a été réalisée sans effort lors de trajets matinaux en RER.

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3. Déroulement de l’exercice
Ce cas de conflit d’intérêts avait l’avantage d’être évident. Les élèves ont d’abord identifié le propriétaire principal de Direct Matin avec la carte du PPA [3], puis noté un aperçu de ses activités dans lequel était glissé Autolib’. Ils ont pu facilement repérer le sujet en feuilletant le journal sans se perdre dans des hypothèses invérifiables.
L’absence de réserve dans l’auto-promotion a rendu la correction « spectaculaire ». Chaque groupe s’est aperçu qu’il avait repéré le même sujet que les autres à des dates rapprochées et que personne n’avait trouvé d’éléments négatifs dans la manière de le traiter. Au contraire, le tour de table est vite devenu un étalage d’exemples d’éloges de la Bluecar d’Autolib’ ou de détails sur son fonctionnement. Certains groupes ont également noté que seul Bolloré (ou un partenaire) avait la parole ou que la place accordée au sujet (en « une » ou article long) n’était pas justifiée par son importance.

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L’exercice s’est terminé par le survol d’un article tiré d’un journal différent avec un autre point de vue sur Autolib’. Cette lecture rapide a montré l’intérêt de varier ses sources d’information à défaut de pouvoir déceler l’influence du propriétaire sur son média…
4. Bilan
Direct Matin a fourni bien malgré lui des facilités matérielles pour la mise en place de l’exercice, un exemple accessible d’influence du propriétaire sur son journal et permis d’aborder des questionnements critiques de base face aux médias.
Réalisé dans une séance autour de l’interrogation « à qui appartiennent les médias ? », cet exercice s’enchaîne très bien avec un cours suivant sur le poids de la publicité sur l’information, et s’intègre parfaitement à une séquence consacrée aux techniques de propagande en démocratie…
Merci Bolloré.
Une documentaliste
– Dessin : Fred

 

Notes

[1] Voir « Quand Direct Matin, propriété du groupe Bolloré, se transforme en agence de pub pour… Bolloré », Médiacritique(s), janvier 2012, n°2, p.10.
[2] Les 10, 23, 27 janvier, 03, 08 février, 12, 23, 29, 30 mars, 02, 06 avril de cette année (recensement non exhaustif).
[3] D’abord publiée en avril 2007 dans le journal Le Plan B, la carte du Parti de la presse et de l’argent a été mise à jour à l’occasion de la sortie du film Les Nouveaux chiens de garde.

Note du CorteX : L’auteur a sûrement de bonnes raisons de rester anonyme, finalement peu importe son identité, c’est le contenu de son TP qui nous intéresse ici. 

Ressources complémentaires du Cortex

– Téléchargez la fiche pédagogique « Bolloré, Direct Matin et Autolib’ : un cas d’école »  en pdf, disponible sur le site d’Acrimed.

– La carte du Parti de la Presse et de l’Argent nécessaire pour identifier le propriétaire principal de Direct Matin se trouve dans le journal du film Les Nouveaux chiens de garde (Télécharger).

– Pour amorcer le matériel pédagogique nécessaire au TP, voici 4 numéros de Direct matin en version pdf où apparaissent des articles sur les Autolib‘.

(Quelques secondes sont nécessaires pour l’affichage)

Pour compléter ce matériel, n’hésitez pas à nous signaler rapidement les  numéros de Direct matin traitant des Autolib. contact@cortecs.org. La page internet Kiosque de Direct matin permet de récupérer les exemplaires qui ont moins d’un mois.

– On peut également utiliser des articles publiés sur internet parallèlement au journal papier. Cinq articles sur Autolibsont également disponibles en format pdf. 

  • Article 1AUTOLIB : UNE CAMPAGNE DE PUB ET DE NOUVELLES OFFRES
  • Article 2AUTOLIB’ POURRAIT ÊTRE À L’ÉQUILIBRE PLUS VITE QUE PRÉVU
  • Article 3L’ÉLECTRIQUE MONTE EN VOITURE
  • Article 4DEMAIN, AUTOLIB OFFRE DES ESSAIS GRATUITS
  • Article 5A LA MATERNITÉ… EN AUTOLIB’

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– Un article sur ce sujet est également paru dans le n°2 de Médiacritique(s) « Quand Direct matin se transforme en agence de pub pour…Bolloré ». 

– Enfin, Arrêt sur images a également consacré deux courts articles sur ce sujet qui peuvent compléter les ressources : Direct matin (Bolloré) fait la pub d’Autolib (Bolloré) et Autopromo autolib : Bolloré récidive.

Pour prolonger le TP

Dans le cadre du Rassemblement des Associations de Journalistes (RAJ), le collectif des Incorrigibles alimente le débat sur la qualité et l’indépendance de l’information à travers trois vidéos (ci-dessous), autant d’excellents supports pour prolonger le débat sur la question de l’indépendance de l’information.

La vraie vie des journalistes / 1. La chef de rubrique

[dailymotion id=x7mftt]

La vraie vie des journalistes / 2. Le photographe

[dailymotion id=x7oplt]

La vraie vie des journalistes / 3. la rédactrice pigiste

[dailymotion id=x7opof]

Pour aller plus loin

Le CorteX propose également des ressources et des articles sur la fabrication de l’information, entre autres :

Nicolas Gaillard

Evolution & créationnisme – Le plus grand spectacle du monde par R.Dawkins

La théorie de l’évolution est une théorie scientifique nous dit-on. Soit. Mais sur quelles preuves se base-t-elle ? Qu’est-ce qui permet de dire qu’elle est plus vraie que fausse ? Comment répondre aux différentes attaques créationnistes (des plus radicales aux plus insidieuses) ? Sur quels exemples s’appuyer lorsque l’on est amené à présenter des faits solides et explicites ? Voilà l’ambition du biologiste Richard Dawkins en publiant Le plus grand spectacle du monde.

Pourquoi ce livre ?

J’avais besoin, je pense, de trouver des réponses simples et rapides à certaines questions, questions tirées de certains arguments (valides parfois, fallacieux le plus souvent) utilisés par les diverses formes de créationnismes et qui me posaient problème. Le résultat est un ouvrage assez complet mais parfois éloigné de l’objectif de départ [1]. Dawkins commence par un détour d’importance concernant le vocabulaire (qu’est-ce qu’une théorie scientifique et pourquoi l’évolution en est une comme les autres), et sur les idées reçues contre lesquelles Darwin et ses successeurs ont dû lutter pour faire entendre leur point de vue. Puis il revient longuement sur les différents aspects de la théorie, notamment avec de nombreux exemples clairs et utilisables. Un passage vraiment captivant traite, par comparaison, de la sélection artificielle et de la sélection naturelle. Un autre concerne l’évolution dans les temps géologiques : Dawkins y accumule les arguments tous plus convaincants les uns que les autres, de la dendrochronologie [2] en passant par toutes les datations basées sur la décroissance radioactive de certains éléments (pour l’âge des fossiles, celui des différentes couches sédimentaires ou bien de la Terre elle-même par exemple). Il présente enfin une série d’expériences permettant de tester les prévisions de la théorie évolutive. C’est un passage vraiment fantastique, notamment quand Dawkins expose en détail l’impressionnante expérience de Richard Lenski et de ses bactéries.

La suite du livre est tout aussi captivante : l’auteur bat en brèche plusieurs arguments créationnistes comme le fameux problème du « chaînon manquant » (qui n’en est pas un), ou de la complexité irréductible (qui n’est pas irréductible).

Mais…

Malgré une attention particulière à ne pas user d’un jargon finaliste ou même « lamarckiste » (Dawkins l’indique à plusieurs reprises), j’ai pu noter plusieurs formulations maladroites : « Comme les doigts individuels n’ont pas à porter de gros poids, ils ne sont pas particulièrement développés » ou « […] les pattes qui se sont modifiées pour porter les ‘ailes’ » (p.305). Attention, je sais qu’il est plus que difficile de construire des phrases sans avoir recours à ces expressions, mais je suis tenté de penser que c’est bien ainsi, en faisant cet effort permanent – et ce d’autant plus dans des livres de vulgarisation ou des documentaires animaliers – que petit à petit, on évitera dès le plus jeune âge de se dire : « Mais alors, le poisson, pour sortir de l’eau, il a transformé ses branchies en poumons ??! »

Denis Caroti

Richard Dawkins, Le plus grand spectacle du monde (The greatest show on Earth)
Editions Robert Laffon (Poche), 514 pages, 2010
10,50 €

[1] Beaucoup de descriptions des mécanismes de l’évolution elle-même sont données par l’auteur.

[2] La dendrochronologie est une méthode de datation basée sur les anneaux de croissance dans le bois des arbres.

Épistémologie – Les concepts de la sociologie sont-ils d'une nature spéciale ? par Dominique Raynaud

Nous avons à Grenoble la chance d’avoir un sociologue, épistémologue des sciences sociales qui fait un travail remarquable de rigueur. Il s’appelle Dominique Raynaud, et il travaille à l’Université Pierre-Mendès-France. 
Comme nous, il souscrit à un monisme méthodologique, c’est-à-dire qu’il ne pense pas, contrairement à une opinion répandue, que les choses de la matière sensible et celles de la « matière » sociale méritent deux types de méthodes différentes. Pour faire simple, point de méthode différente, plus de sciences dites dures et d’autres dites molles, mais une seule manière de décrire au mieux la réalité à laquelle nous avons accès. Certains objets sont infiniment plus complexes à appréhender, plus « mous » et d’autres plus simples, mais la manière de dire des choses vérifiables dessus n’est qu’une.
Dominique Raynaud nous offre ici une contribution qui vaut son pesant d’or. Le texte ci-dessous est une version écourtée du chapitre 4 de son livre La sociologie et sa vocation scientifique, Paris, éditions Hermann (2006) et montre que la sociologie n’a pas de normes spéciales de scientificité.
Ce n’est pas un sujet facile, mais l’effort qu’il demande ne sera pas vain.

Résumé

Pour les épistémologies dualistes ou régionalistes, la sociologie relève de normes spéciales de scientificité. La sociologie serait délimitée par le fait que ses concepts ne sont pas des « concepts analytiques » ou « taxinomiques », au sens des sciences naturelles, mais des « concepts idéaltypiques » ou des « désignateurs semi-rigides ».

L’analyse comparée montre deux choses.

(1) Les concepts analytiques et taxinomiques sont d’un usage régulier en sociologie.

(2) Les concepts idéaltypiques et les désignateurs semi-rigides ne sont pas l’apanage de la sociologie : on en trouve l’équivalent en physique et en astronomie.

Du coup, le statut particulier des concepts sociologiques n’est pas un critère adéquat pour doter la sociologie de normes épistémologiques propres.

Introduction

De manière à ce que les termes de la discussion soient clairs, je commencerai par poser quelques définitions utiles.

1° Un « concept taxinomique » est celui qui naît de la relation entre une espèce et un genre. Les critères dichotomique d’absence/présence d’un caractère sont en usage dans toutes les classifications, en particulier en zoologie et en botanique. Par différence, on peut identifier des « concepts typologiques » qui n’emploient pas des critères exclusifs mais inclusifs. C’est notamment le cas de l’idéaltype, un concept introduit par le fondateur de la sociologie moderne, Max Weber (1). Les exemples historiques de domination légitime ne se rattachent jamais à un seul des trois types de domination distingués par Max Weber (2).

2° Le terme de « concept analytique » se fonde sur la distinction proposée par Kant entre les jugements analytiques et les jugements synthétiques. Les jugements analytiques sont ceux qui sont universellement vrais, parce que leur valeur de vérité ne dépend pas de l’expérience. La « vitesse » est un concept analytique parce que la signification de ce concept est toute entière contenue dans sa définition : la vitesse est le rapport de l’espace parcouru par un mobile au temps mis pour le parcourir. Tout au contraire, les « concepts synthétiques », ou « phénoménaux », ont la particularité d’engager des qualités extérieures au concept.

3° Les « concepts quantitatifs »,  tels que distingués par Rudolf Carnap, constituent une espèce des précédents. Par exemple, la « vitesse » v CorteX_mobius_escher=  dx/dt, l’« accélération » γ = d²x/dt², la « force » F = mγ sont des concepts analytiques quantitatifs parce qu’ils résultent de la combinaison de grandeurs élémentaires mesurables (dans le cas de la vitesse : une certaine quantité d’espace dx et une certaine quantité de temps dt). Au contraire, les « concepts qualitatifs » ne supposent aucune mesure. C’est le cas des concepts de la topologie, comme ceux de « boule » ou d’« anneau de Möbius » (voir ci-contre, l’anneau de Möbius par le graveur Escher).

4° Le nom de « désignateur semi-rigide », introduit par Jean-Claude Passeron, fait directement référence aux « désignateurs rigides » du logicien Saül Kripke (3). On peut définir ces deux termes relativement l’un

à l’autre. Les désignateurs rigides se distinguent par la régionpropriété d’avoir le même référent dans tous les mondes possibles. Par exemple, l’« eau » est identique à elle-même dans tous les mondes où il y a de l’eau ; le nombre « π » est toujours identique à lui-même, etc. Par différence, Passeron nomme « désignateurs semi-rigides » ou « semi-noms propres » les « concepts indexés sur une série de cas singuliers ». Ainsi, le « féodalisme » ne se présente que dans certaines sociétés comme le Japon de l’ère Kamakura, la Chine des Royaumes combattants ou l’Europe médiévale.

En dépit de leur parenté, il faut bien voir qu’idéaltype et désignateur semi-rigide caractérisent deux réactions possibles au problème de l’inadéquation des concepts au réel. D’un côté, l’idéaltype accentue l’écart au réel. Max Weber précise : « par son contenu, cette construction a le caractère d’une utopie » ; « l’idéaltype est un tableau de pensée, il n’est pas la réalité historique ni surtout la réalité « authentique » ». Ainsi parle-t-on de « capitalisme » ou de « libre concurrence », quel que soit le contexte économique qui en constitue une approximation, en sachant qu’il s’agit d’une fiction visant moins l’adéquation au réel que la pureté logique. En ce sens, l’idéaltype « sort » de l’histoire. C’est ce qui justifie notamment le commentaire de Julien Freund : « la description que Weber fait de la bureaucratie est idéaltypique, ce qui signifie […] que les traits qu’il énumère [activité à plein temps, gestion rationnelle, subordination à une autorité, hiérarchie, spécialisation et technicité des fonctions] valent pour toute bureaucratie moderne, indépendamment des variations particulières et contingentes dans les divers pays ». Cependant, Weber particularise parfois l’idéaltype : c’est le cas lorsqu’il spécifie « christianisme » en « christianisme médiéval » ou « charisme » en « charisme anti-autoritaire bonapartiste ». L’idéaltype rentre alors dans l’histoire, ce qui fonde la lecture de Passeron. Car le désignateur semi-rigide, qui n’est pas une utopie, incite à accoler au concept ses traits contextuels les plus saillants. Pourquoi sommes-nous tentés de préciser « capitalisme spéculatif » ou « christianisme médiéval » au lieu de « capitalisme » et « christianisme » sinon pour ne pas désindexer ces concepts ? Face au problème de l’inadéquation du concept au réel, l’idéaltype s’oriente par excès (il accentue la différence) ; le désignateur semi-rigide par défaut (il réduit la différence).

Se pose ensuite la question des critères en fonction desquels distinguer les différentes espèces de concepts qui viennent d’être d’énumérées. Je propose les suivants :

1. Les concepts taxinomiques donnent naissance à des classifications ; les concepts idéaltypiques à des typologies. Les premières recourent à des critères dichotomiques ou exclusifs, les secondes à des critères inclusifs.

Par conséquent, elles peuvent être départagées sur la base du critère 1 :

dans une classification, un élément appartient à une classe et à une seule versus  dans une typologie, un élément peut appartenir à plusieurs types simultanément.

La graminée Avena stricta dépend du genre Avena à l’exclusion de tout autre genre ; le régime nazi dépend de la domination charismatique sous certains aspects mais de la domination légale-rationnelle à d’autres points de vue.

2. Concepts analytiques et phénoménaux se distinguent tout d’abord par leur propriété fondamentale (prédicat interne donné par définition versus prédicat externe). Les seconds ont une propriété distinctive qui tient à leur rapport à l’inadéquation des concepts au réel. Les idéaltypes consistent en tableaux abstraits épurés ; les désignateurs semi-rigides ont un caractère ad hoc prononcé, d’où suit le critère 2 :

les concepts analytiques sont toujours vrais versus les concepts phénoménaux ne sont que des approximations de la réalité — soit par orientation abstraite (idéaltype), soit par orientation adhociste (désignateurs semi-rigides).

La vitesse dx/dt permet de mesurer indifféremment la vitesse du son cS = 330 m.s–1 ou la vitesse de propagation d’une vibration dans l’acier cA ~ 5000 m.s–1. L’influence exercée par le mahâtma Gandhi lors de la « Marche du Sel » reste une approximation de la domination charismatique.

3. La définition des concepts quantitatifs suffit à les distinguer des concepts qualitatifs, ce qui conduit au critère 3:

les concepts quantitatifs supposent la réalisation d’une mesure (qui exige à son tour la définition de certains règles comme la transitivité, ou le choix d’une échelle de mesure) versus les concepts qualitatifs ne l’autorisent pas.

Citons, dans le domaine démographique, l’âge qui est un concept quantitatif (un enfant de 3 ans et demi), alors que le statut matrimonial (célibataire, marié, divorcé, veuf) est qualitatif : même si l’on peut envisager un « codage » des caractères, cela ne constitue en rien une « mesure » au sens scientifique du terme.

4. Désignateurs rigides ou semi-rigides se distinguent aisément par la propriété énoncée par Kripke, fondement du critère 4 :

les désignateurs rigides ont toujours le même référent versus les désignateurs semi-rigides ont un référent variable, indexé sur les différents contextes sociohistoriques.

Le nombre π = 3,14159265… est une constante dans tous les mondes possibles ; le capitalisme change de forme selon que l’on vise le « capitalisme productif » des années 1950 ou le « capitalisme spéculatif » des années 2000.

Deux versions de l’épistémologie sociologique

Nous avons défini les concepts utiles et les moyens de les distinguer. La question est de savoir si les sciences naturelles et les sciences sociales — qui s’occupent de classes de faits différents — doivent pour cela recourir à des principes épistémologiques différents. Les critères imaginés par les tenants de positions dualistes ourégionalistes (4) étant innombrables, je m’occuperai ici du statut des concepts en tant qu’il sert d’argument au débat à l’exclusion de toute autre considération. La thèse d’une épistémologie propre de la sociologie repose sur le statut particulier que l’on accorde aux concepts sociologiques. Limitons-nous à un exemple classique, dont l’auteur est connu et apprécié pour le sérieux de ses recherches. Dans Le Raisonnement sociologique, Jean-Claude Passeron soutient — c’est une conséquence de la thèse 2 et de son corrélat 2.3 — que tous les concepts sociologiques ont un statut logique de désignateurs semi-rigides :

« Il n’existe pas et il ne peut exister de langage protocolaire unifié de la description empirique du monde historique », « Le lexique scientifique de la sociologie est un lexique infaisable », « Le statut sémantique des concepts sociologiques se présente […] comme un statut mixte, intermédiaire entre le nom commun et le nom propre », « Les concepts sociologiques sont des noms communs […] qui ne peuvent être complètement coupés de leur référence déictique à des noms propres d’individualités historiques » (5) (mises en gras par D. Raynaud).

L’auteur soutient que les concepts insérés dans une démonstration sociologique diffèrent de ceux qui sont utilisés dans les sciences de la nature. Il assujettit l’épistémologie à l’ontologie sociologique : cette discipline traitant d’objets spécifiques, ses concepts sont spécifiques.

Mais il importe de voir qu’il existe deux manières de soutenir cette thèse :
Thèse forte – la sociologie se distingue des sciences naturelles parce que ses concepts sont d’une nature différente : les sciences naturelles recourent à des concepts analytiques et taxinomiques ; la sociologie recourt à des concepts idéaltypiques ou semi-rigides.
Thèse faible – la sociologie se distingue des sciences naturelles parce que, quoiqu’elle fasse un usage régulier de concepts analytiques et taxinomiques à l’instar des sciences naturelles, elle est la seule à employer des concepts idéaltypiques et semi-rigides.

Examen de la thèse forte

Un des caractères saillants des sciences naturelles, en particulier de la physique, est le fait qu’elles utilisent des concepts analytiques mathématiques.

Or, l’examen le plus vague laisse apparaître que beaucoup de concepts sociologiques ne sont assujettis à aucune singularité socio-historique (rationalité téléologique ou axiologique, décision, déclassement, agrégation, effet pervers, mobilité sociale, etc.). On trouve donc en sociologie des concepts qui ne sont rien moins que des concepts taxinomiques ou analytiques, au sens des définitions 1 et 2 données au début de ce texte. Laissons de côté les concepts taxinomiques  et voyons plutôt le cas des concepts analytiques.
Il existe tout d’abord un argument de fait. L’existence d’une sociologie mathématique est le premier argument sérieux de l’existence de ces concepts analytiques en sociologie : statistique descriptive et inférentielle, analyse factorielle sont des chapitres connus des sociologues. Mais d’autres sont également pourvus d’applications sociologiques : analyse combinatoire, théorie des jeux, théorie de la décision, théorie des choix collectifs, processus stochastiques (par exemple, les chaînes de Markov appliquées à la modélisation de la mobilité sociale), théorie des graphes (formalisation des réseaux sociaux), treillis de Galois (extraction des caractéristiques communes des individus d’un réseau), etc. Tous constituent des domaines par excellence où le raisonnement porte exclusivement sur des concepts analytiques.

Se présente ensuite un argument historique que rappelle Marc Barbut (6). Cet argument — opposé au jugement d’André Weil — est que les sciences sociales ont très directement contribué au développement des mathématiques. Barbut signale les contributions de Pascal, Huygens, Leibniz au calcul des probabilités (issu d’un problème de décision) ; celles de Jacques et Nicolas Bernoulli à la statistique inférentielle ; celles de Condorcet, Zermelo, Borel et von Neumann à la théorie des jeux. Mais si les mêmes savants ont contribué au progrès des sciences physiques et à celui des sciences sociales, pourquoi auraient-ils fait de bonnes mathématiques en physique et de mauvaises mathématiques en sociologie ?

Examinons maintenant un concept de cette sociologie mathématique dont il vient d’être question, et prenons le cas de la sociologie des réseaux.

1° Cette spécialité utilise des concepts analytiques quantitatifs (au sens de Carnap), qui tirent leur caractère de la théorie mathématique sous-jacente à la sociologie des réseaux : la théorie des graphes. Distinguons tout d’abord les relations orientées (don, conseil, etc.) des relations non orientées (mariage, interconnaissance, etc.) Les relations du premier type permettent la construction d’un graphe orienté dont la « densité » vaut D= L/(g(g – 1)) où L représente le nombre d’arcs et le g le nombre de sommets du graphe. Le concept de densité est organiquement lié à une mesure : il s’agit, au sens de Carnap, d’un concept quantitatif intensif (non additif) qui satisfait aux règles classiques permettant de définir la mesure :

1° existence d’une relation d’équivalence ;
2° existence d’une relation d’ordre ;
3° choix du zéro (D = 0 pour une collection de sommets déconnectés) ;
4° choix d’une unité (D = 1 dans un graphe complet) ;
5° choix d’une échelle (0 ≤ D ≤ 1).

Je ne vois pas que la sociologie utilise ici des concepts d’un statut logique différent de celui qui caractérise les concepts des sciences physiques. Carnap explique d’ailleurs fort bien ce qui fonde cette absence de différence entre physique et sociologie :

« Les concepts quantitatifs ne nous sont pas donnés par la nature ; ils découlent de la pratique qui consiste à appliquer des nombres aux phénomènes naturels. Quel avantage y a-t-il à cela ? Si les grandeurs quantitatives étaient fournies par la nature, nous ne songerions pas à poser la question, pas plus que nous ne demandons : à quoi servent les couleurs ? La nature pourrait fort bien exister sans couleurs, mais on a plaisir à percevoir leur présence dans le monde. Elles font partie de la nature, tout simplement ; nous n’y pouvons rien. Il n’en va pas de même pour les concepts quantitatifs. Il font partie du langage et non pas de la nature » (R. Carnap, Les Fondements philosophiques de la physique, p. 107).

Il s’ensuit que la présence ou l’absence de concepts analytiques (quantitatifs) dans une discipline ne tient pas à la nature des faits empirique étudiés par cette discipline, mais à une décision de l’observateur de se donner (ou non) des définitions strictes et un système de mesure des observables : c’est ce qu’a su faire la sociologie des réseaux, en appliquant le langage de la théorie des graphes aux relations sociales.

2° Certaines démonstrations sociologiques recourent presque exclusivement à des concepts analytiques de ce type. C’est le cas de la juridicisation croissante des sociétés modernes expliquée par Piaget à partir de la distinction faite par Franck et Timasheff entre relations interpersonnelles et relations transpersonnelles. Supposons un groupe composé des individus A, B, C… Par rapport à A, les liens (A, B), (A, C), (A, D)… sont des relations interpersonnelles (notées rip), les liens (B, D), (C, B), (C, D) sont des relations transpersonnelles (notéesrtp). Les relations interpersonnelles sont des relations directes ; elles sont impliquées dans une action réciproque classique (A cause un préjudice à B ; B demande réparation à A). Les relations transpersonnelles mobilisent quant à elles des formes de jugement indirect (A cause un préjudice à B ; B en informe C ; C juge l’action de A collectivement préjudiciable). Si l’on fait une combinatoire de ces relations dans un graphe complet de n individus, on constate que :

Card (rip) = n (n – 1)           et          Card (rtp) = n (n – 1)(n – 2) / 2

La croissance des rip et des rtp obéit au fait que les relations interpersonnelles varient comme n2 alors que les relations transpersonnelles varient comme n3. L’écart entre rip et rtp croît en fonction de n. Il est donc faible dans les sociétés peu volumineuses (hordes, tribus), fort dans les sociétés volumineuses (états-nations modernes). À mesure que croit le volume de la société, le règlement des différends fondé sur les rip (action en retour) cèdera la place à un règlement fondé sur les rtp (évaluation juridique par des tiers). C’est pourquoi on peut observer une juridicisation croissante des sociétés modernes. La réduction d’une société à un graphe complet est une idéalisation, mais les concepts qui interviennent dans cette démonstration sont tous des concepts analytiques ; aucun ne peut porter le nom de désignateur semi-rigide.
La thèse de l’absence en sociologie des concepts analytiques est donc inexacte. Elle n’est vraie que de la seule partie de la sociologie qui en condamne l’usage.

Examen de la thèse faible

Pour que la thèse faible soit réfutée, il faut établir la présence de concepts idéaltypiques ou de désignateurs semi-rigides dans les sciences naturelles. Admettons par hypothèse que les concepts de la sociologie sont des idéaltypes ou des désignateurs semi-rigides. Ces espèces sont-elles inconnues dans les sciences physiques ?

Concepts idéaltypiques

La spécialité de la sociologie tient-elle à son usage des idéaltypes ? Si le mot n’est pas utilisé en physique, sa définition est applicable à certains concepts. Renvoyons aux textes :

« Lorsque les rayons issus d’un point objet Ao émergent de l’instrument en convergeant vers un point Ai, on dit que l’instrument est stigmatique pour le couple de points AoAi […] Un tel stigmatisme est rigoureux si l’on admet que le caractère ponctuel de Ai est de même nature que celui de Ao, c’est-à-dire si l’on admet que l’instrument n’introduit aucune altération. En réalité, l’instrument altère toujours le caractère ponctuel de l’image […] Le stigmatisme rigoureux est donc une idéalisation ».
« Dans un repère galiléen, toute particule isolée décrit un mouvement rectiligne et uniforme […] Pratiquement, l’univers dans lequel nous vivons est constitué de nombreuses particules et la particule isolée est une vue de l’esprit. Cependant les interactions entre particules diminuent lorsque la distance entre ces particules augmente » (J. Bok et P. Morel, Mécanique/Ondes, Paris, Hermann, 1971, p. 25, 40).

« Lumière monochromatique », « milieu homogène et isotrope », « stigmatisme rigoureux », « particule isolée », « choc élastique », « gaz parfait », « corps noir » sont des concepts analytiques qui n’ont de corrélats empiriques qu’approximatifs. Le physicien manipule des concepts purifiés. Dans le monde réel, il sait que les concepts sont des idéalisations qui décrivent approximativement les phénomènes réels qui apparaissent spontanément. En quoi cela fait-il une différence avec la sociologie ?

Désignateurs semi-rigides

Le référent d’un désignateur rigide est identique à lui-même dans tous les mondes possibles ; celui d’un désignateur semi-rigide doit varier en fonction du contexte. Esclavage romain/colonial, judaïsme ashkénaze/séfarade, etc. Dans tous ces cas on retrouvera l’idée d’une « indexation sur une série mobile de cas singuliers ». Mais la sociologie est-elle seule à utiliser des désignateurs semi-rigides ? La réponse est négative. Les astronomes distinguent les concepts analytiques explicatifs (rayon, masse, magnitude absolue, température de surface, pression, etc.) et les concepts phénoménaux (étoiles, amas, galaxies). Prenons le cas des étoiles. Si l’on réunit les « désignateurs » couramment utilisés par les astronomes, les étoiles sont identifiées comme :étoiles de Wolf-Rayet, nébuleuses planétaires, super-géantes, géantes rouges, sous-géantes, naines, naines blanches, naines brunes, étoiles carbonées, novae, supernovae, étoiles à neutrons, trous noirs, étoiles variables périodiques ou non, pulsantes ou non pulsantes, Céphéides, étoiles RR Lyrae, Mira, δ Scuti, βCMa, ZZ Ceti, P Cygni, étoile de Barnard, étoiles binaires, pulsarsetc. On trouve là une telle diversité que certains, comme Audouze, n’hésitent pas à parler de « zoologie stellaire » (J. Audouze et J. Lequeux, Cours d’astrophysique 1976-1977, Palaiseau, École Polytechnique, 1977, p. 35).

On trouve dans cette liste l’équivalent exact des « désignateurs semi-rigides » ou « semi-noms propres ». Les Céphéides (massives) et les étoiles RR Lyrae (peu massives) sont des étoiles variables dénommées par le nom propre d’un cas paradigmatique (δ Cephei pour les Céphéides). C’est également en ce sens qu’on parle des étoiles de type ZZ Ceti, etc. La dénomination des étoiles variables a largement utilisé ce procédé : un « nom propre » (au sens de Kripke) est pris comme « profil » de reconnaissance d’autres objets célestes. Par suite, il devient un « semi-nom propre » indexé sur une série de cas singuliers.

On ne voit guère ce qui distingue ce procédé intellectuel de celui préconisé par Passeron, ou même par Weber, lorsqu’il définit les formes de charisme en relation avec l’économie : charisme bonapartiste, charisme de Périclès ou charisme américain. Là encore, il s’agit d’identifier un type, non tant par ses caractéristiques abstraites, que par les propriétés singulières exhibées par le cas paradigmatique.

Classification ou typologie stellaire ?

Admettons enfin que la sociologie recoure à des typologies versus classifications. Est-elle la seule dans ce cas ? Prenons un exemple qui révèle assez bien la limite de cette distinction.

Les étoiles sont assujetties à la classification de Harvard, fondée sur la température de surface et la magnitude absolue. On distingue les classes O, B, A, F, G, K, M (des hautes aux basses températures) elles-mêmes subdivisées en sous-classes par un suffixe décimal 0…9. Chacune correspond à un ensemble de propriétés physiques. Les astronomes se réfèrent à cette « classification » en employant indistinctement les mots « classe » ou « type spectral ». Que signifie cette hésitation? L’analyse montre qu’il ne s’agit pas d’une inadvertance : le choix de « type » est légitime. Il existe même des raisons tout à fait fondées de préférer le syntagme « type spectral » à celui de « classe spectrale », en dépit du flottement terminologique qui caractérise leur usage.

Rappelons les principales, qui sont au nombre de six.

1. Les types spectraux ne permettent d’identifier correctement que les étoiles (naines) de la « séquence principale » du diagramme de Hertzsprung-Russell : il existe toujours des étoiles plus froides ou plus chaudes de même type spectral.

2. Ces anomalies ont été à l’origine d’une nouvelle classification dite de Yerkes ou MKK (Morgan, Keenan, Kellman, 1943) en « classes de luminosité » ; on ajoute le suffixe 0, Ia, Ib, II, III, IV, V, sd (VI), wd (VII) pour caractériser l’étoile : le Soleil est par exemple une étoile G2 V. La classification a par ailleurs été complétée par l’introduction de nouveaux types : W (puis Q et P) en amont de O et des types C (subdivisé en R et N), S et L, T en aval de G.

3. Ces classifications n’absorbent pas la diversité du phénomène « étoile ». Le concept d’« étoile G » est un profil de reconnaissance qui laisse des différences résiduelles entre deux étoiles G du même type ou du même sous-type (Soleil, α Centauri, β Comae Berenicesetc.). C’est le diagnostic qui ressort de ce texte de Schatzman :

« La classification spectrale à deux dimensions est à la fois un acquis fondamental de l’astrophysique stellaire et la grille de référence par rapport à laquelle s’établissent toutes les singularités. En effet de nombreuses étoiles ne se plient pas aisément aux règles de la classification MKK : elles sont particulières. C’est le cas des étoiles à raies d’émission de type B, dites Be, dont un prototype est αCas ; des étoiles de type A et B ayant des raies intenses d’éléments très peu répandus comme le gadolinium, le mercure ou les terres rares, ou aussi des raies anormalement intenses de certains élements connus (Mn, Si, Fe) : on les nomme Ap et Bp ; des étoiles de type K et M à éruptions ou à raies d’émission : on les note Ke ou Me (exemples : α Cen C et UV Cet), des étoiles à baryum, etc. », E. Schatzman et F. Praderie, Astrophysique. Les étoiles, Paris, CNRS, 1990, p. 39 (mes italiques).

Ce texte montre on ne peut mieux l’écart perçu entre la classification spectrale et les objets célestes singuliers que rencontre l’astrophysicien dans ses observations. Reconnaître pleinement ces singularités n’impose ni d’abandonner la classification — au motif qu’elle serait dénuée de pouvoir descriptif —, ni de négliger les caractères particuliers des objets observés — au motif qu’ils devraient se plier entièrement à la description qu’en donne la classification.

4. La double classification par types spectraux et par classes de luminosité n’épuisant pas les propriétés des objets connus, les astronomes tombent régulièrement sur des objets célestes atypiques. On a donc proposé de compléter la nomenclature par des indications extérieures. Les astrophysiciens utilisent aujourd’hui un système de quinze suffixes indiquant les propriétés remarquables absentes de la classification. Voici la liste de ces suffixes :

e émission (hydrogène dans les étoiles de type O)
em émission de raies métalliques
ep émission particulière
eq émission à profil P Cygni (absorption des faibles longueurs d’ondes)
er émission inversée
f émission de l’hélium et du néon dans les étoiles de type O
k raies interstellaires
m fortes raies métalliques
n raies diffuses
nn raies très diffuses
p spectre particulier
s raies étroites
v variation dans le spectre
wk raies faibles

L’examen de cette liste montre que les suffixes désignent : tantôt un phénomène atypique (cas des spectres eq, er) ; tantôt — ce qui est plus intéressant pour notre comparaison — un phénomène proprement inclassable (cas des spectres ep, p, v).

5. Ensuite, il faut observer que, contrairement à ce que suggèrent les mots « classes » et « classification », les étoiles peuvent appartenir à plusieurs classes, y compris même à des classes que tout oppose a priori. Reprenons la classification à partir des données récentes recueillies par Hipparcos, chargé d’établir un catalogue de 115 000 étoiles jusqu’à la 12e magnitude. Leur positionnement sur le diagramme de Hertzsprung-Russell forme un nuage en Y (séquence principale + sous-géantes). Le dépouillement des données Hipparcos a révélé le défaut de correspondance exacte entre type spectral et magnitude absolue qui est au fondement de la classification. La définition des « standards » (c’est-à-dire des étoiles paradigmatiques servant de référence à chaque sous-type) est confrontée à ces anomalies. L’analyse des données Hipparcos a récemment conduit Ginestet, Carquillat et Jaschek à la découverte d’étoiles ayant un statut paradoxal, hybride entre « naines » et « géantes » :

« HD 204613 est une étoile de type G1 IIIa : CH1,5 dont les données photométriques et spectroscopiques sont en nette opposition […] la photométrie correspondrait à celle d’une naine et le spectre indiquerait une classe III [géante]. Deux autres étoiles géantes sortent aussi nettement du groupe mais, cette fois, en direction de la classe II : ce sont HD 81817 et HD 176670 », N. Ginestet, J.-M. Carquillat, C. Jaschek, Astronomy and Astrophysics, Supplement Series 142 (2000): 13-24.

Ces cas permettent de douter que l’intérêt des singularités soit un caractère propre de la sociologie. La « zoologie stellaire » n’est pas moins foisonnante de cas singuliers. Mais il existe encore une façon de sauver l’irréductibilité épistémologique de la sociologie : prétendre que l’astrophysicien — au contraire du sociologue — tente, à travers cette zoologie, de confirmer la typicalité des objets célestes. Est-ce le cas ? Deux indices paraissent montrer le contraire :

1° le nombre de publications consacrées aux objets « exotiques » (en dehors de la séquence principale) qui sont pourtant d’une abondance tout à fait négligeable dans l’univers ;

2° le nombre de publications consacrées à des phénomènes singuliers comme l’éruption solaire du 25 juillet 1946 ; la couronne blanche de l’éclipse totale de Soleil du 30 juin 1973 ; l’environnement de β Pictoris ou la supernova 1987A parfois considérée comme supernova « hors la loi » à cause de sa courbe de luminosité.

Les astrophysiciens n’ont pas l’obsession de la typicalité. Ils s’intéressent également aux singularités. Cela fait-il une différence avec la sociologie ?

Conclusion

Certains concepts sociologiques sont des concepts idéaltypiques et des désignateurs semi-rigides ; d’autres sont des concepts analytiques. Certains concepts des sciences physiques sont des concepts analytiques quantitatifs, d’autres des concepts typologiques et des désignateurs semi-rigides. L’ontologie sociologique ne secrète donc pas de concepts ayant une nature spéciale. De ce fait, la thèse forte et la thèse faible sont réfutées. Le statut des concepts n’est pas un argument du dualisme ou du régionalisme, au sens où l’on devrait — à cause de celà — juger la sociologie selon des normes spéciales de scientificité.

Il existe évidemment bien d’autres critères à partir desquels on peut essayer de donner à la sociologie un statut épistémologique particulier, mais ce n’est pas le lieu de les examiner ici (7).

Dominique Raynaud. Contact : dominique.raynaud (at) upmf-grenoble.fr.


Notes

(1) « L’idéaltype […] n’a d’autre signification que d’un concept limite purement idéal, auquel on mesure la réalité pour clarifier le contenu empirique de certains de ses éléments importants », M. Weber, Essais sur la théorie de la science, Paris, Plon, 1992, p. 172.

(2) Weber distingue trois types de domination légitime : la domination légale-rationnelle (le chef tire sa légitimité d’un ordre rationnel défini par les « membres » de la société), la domination traditionnelle (aux yeux des « sujets » le chef est investi d’une légitimité issue de la tradition) et la domination charismatique (le chef tire sa légitimité des capacités extraordinaires que veulent bien lui prêter ses « disciples »). Il est rare de rencontrer ces types à l’état pur. Les cas historiques de domination sont le plus souvent des mixtes (la légitimité de De Gaulle était essentiellement du type légal-rationnel, mais des éléments de charisme l’ont probablement renforcée).

(3) Kripke donne la définition suivante : « un désignateur désigne un certain objet rigidement s’il désigne cet objet partout où celui-ci existe ; si, de surcroît, l’objet existe nécessairement, le désignateur peut être appelé « rigide au sens fort » », S. Kripke, La Logique des noms propres, Paris, Éditions de Minuit, 1982, pp. 36-37. Outre les noms propres (« Neptune »), les désignateurs rigides absorbent les constantes (« π », rapport de la circonférence du cercle à son diamètre) et les concepts d’usage partitif (« eau », « oxygène », etc.).

(4) Plusieurs expressions ont été utilisées pour dire que la sociologie n’était pas une science comme les autres. On a parlé du dualisme des sciences naturelles et sociales – au sens où il existerait deux blocs de sciences disjoints. Cette expression, qui implique une séparation radicale des mondes naturel et humain, fait référence au Methodenstreit allemand, dominé par la figure de Dilthey. On parle aussi de régionalisme, dans un sens très librement dérivé de Bachelard et de Bunge, au sens où chaque discipline possèderait des caractères propres. Le régionalisme n’a pas les mêmes implications que le dualisme. D’abord, parce qu’il peut se dispenser de penser une opposition frontale entre sciences naturelles et sciences sociales. Ensuite, parce qu’il n’est pas tenu de postuler une unité au sein de ces ensembles de disciplines – ce que fait le dualisme. Cette unité étant discutable, le régionalisme nécessite moins d’hypothèses. Toutefois, il existe des passerelles entre dualisme et régionalisme. Si on s’intéresse à une seule discipline, ces expressions deviennent à peu près équivalentes, puisqu’elles cherchent à identifier les caractères distinctifs d’une discipline par rapport aux autres.

(5) J.-C. Passeron, Le Raisonnement sociologiqueop. cit., pp. 363, 371.

(6) M. Barbut, Les mathématiques et les sciences humaines. Esquisse d’un bilan, L’Acteur et ses Raisons. Mélanges en l’honneur de Raymond Boudon, Paris, PUF, 2000, pp. 205-224.

(7) Pour une analyse critique de plusieurs autres critères, voir D. Raynaud, La Sociologie et sa vocation scientifique, Paris, Editions Hermann, 2006.

De la difficulté d’être darwinien – l’énigme pédagogique des éléphants sans défenses

Voici un extrait de la publication de notre collègue Gérald Bronner « La résistance au darwinisme : croyances et raisonnements » dans la Revue française de sociologie* qui offre un outil magistral aux enseignants.
J’ai (RM) tenté de reproduire l’énigme moi-même dans mes enseignements (voir deuxième partie).

(…)  Si l’on réalisait une enquête pour savoir si les Français adhèrent aux thèses de Darwin, on obtiendrait sans doute des CorteX_Gerald_Bronnerrésultats assez différents de ceux du sondage américain.Il est possible d’imaginer que nos compatriotes se déclareraient plus volontiers darwiniens que leurs voisins d’outre-Atlantique, pourtant il serait sage de rester sceptique face à ces résultats. En effet, pour prendre ce genre de déclarations au sérieux, il faudrait être assuré que le sens commun conçoit clairement ce qu’être darwinien signifie, ce dont il est permis de douter.

Pour tester cette idée, nous avons réalisé une expérimentation (18) qui consistait à soumettre 60 individus à une situation énigmatique qui, précisément, concernait les métamorphoses du vivant. Cette situation réelle avait été relayée, faiblement, par la presse (19) et était de nature à mesurer les représentations ordinaires de l’évolution biologique.

L’énoncé de l’énigme était lu lentement aux sujets volontaires. En plus de cette lecture, cet énoncé était proposé sous forme écrite et l’entretien ne commençait que lorsque le sujet déclarait avoir compris parfaitement ce qui lui était demandé. Il lui était laissé ensuite tout le temps qui lui paraissait nécessaire pour proposer une ou plusieurs réponses à cette énigme. La grille d’entretien avait été conçue pour inciter l’interviewé à donner toutes les réponses qui lui viendraient à l’esprit, attendu que ce sujet n’impliquait pas(en particulier en France), a priori, une charge idéologique ou émotionnelle forte, de nature à susciter des problèmes d’objectivation ou de régionalisation (20).

Trois critères présidèrent à l’analyse de contenu de ces 60 entretiens.

1) Le critère de spontanéité : il consistait à mesurer l’ordre d’apparition des scénarios dans le discours. En d’autres termes, on cherchait à voir quelles seraient les solutions qui viendraient le plus facilement à l’esprit des individus face à l’énigme.

Le critère de récurrence : il consistait à mesurer le nombre d’évocations du même type de scénario dans un entretien.

3) Le critère de crédibilité : à la fin de l’entretien, on demandait à l’interviewé celui, d’entre les scénarios qu’il avait évoqués, qui lui paraissait le plus crédible. On demandait par exemple : « Si vous aviez à parier sur l’une des solutions de l’énigme que vous avez proposées, laquelle ferait l’objet de votre mise ? »

Ces critères furent mobilisés pour mesurer les rapports de force entre les différents discours possibles, les solutions imaginées, pour résoudre l’énigme.

J’ai retenu, en outre, le critère d’évocation simple qui mesurait le nombre de fois où un scénario avait été évoqué globalement, sans tenir compte de l’ordinalité ou des récurrences dans les différents discours et un critère d’évocation pondérée qui croisait le critère de spontanéité et celui de récurrence (21).

La population des sujets de l’expérimentation fut échantillonnée selon deux éléments.

  1. Le diplôme : tous les interviewés devaient être titulaires du baccalauréat. On s’assurait ainsi qu’ils avaient tous été familiarisés avec la théorie de Darwin, à un moment ou à un autre de leur scolarité.
  2. L’âge : la règle préliminaire de cette enquête était de mettre en œuvre l’idée d’une dispersion. Pour contrôler cette dispersion autour des valeurs centrales (l’âge moyen était de 37 ans), j’ai rapporté l’intervalle interquartile à l’étendue. Le premier représentant plus de 50 %(59 %) de la seconde, on s’assurait ainsi d’éviter des phénomènes de concentration des âges. Cette expérimentation fut menée de novembre 2005 à janvier 2006, principalement auprès de personnes vivant en Île-de-France (N = 49), et tous en Métropole(Lorraine N = 4, Haute-Normandie N = 4, Midi-Pyrénées N = 3). Cette population était composée de 33 femmes et 27 hommes, de cadres, professions intellectuelles et supérieures (N = 14), de professions intermédiaires (N = 17), d’employés (N = 7), d’étudiants (N =11), de chômeurs(N = 5), de retraités (N = 4), d’un agriculteur exploitant et d’une femme au foyer.

Cette situation énigmatique, tirée d’un fait réel (22), fut donc soumise à ces 60 personnes sous la forme suivante :

« À l’état sauvage, certains éléphanteaux sont porteurs d’un gène qui prévient la formation des défenses. Les scientifiques ont constaté récemment que de plus en plus d’éléphanteaux naissaient porteurs de ce gène (ils n’auront donc pas de défenses devenus adultes). Comment expliquez cette situation ? »

Vous pouvez tenter de répondre à cette question. Puis cliquez .

* Bronner G., La résistance au darwinisme : croyances et raisonnements, Ophrys, Revue française de sociologie 2007/3 – Volume 48. Télécharger. Avec l’aimable autorisation de Gérald Bronner.

(18) Je remercie ici la promotion de maîtrise de sociologie de l’université Paris-Sorbonne 2005 sans l’aide matérielle de laquelle cette recherche eût été beaucoup affaiblie.

(19) Un encart de quelques lignes dans Libération (19/07/2005).

(20) Blanchet et Gotman (1992).

(21) Cette mesure n’est pas sans évoquer ce que les psychologues sociaux nomment l’analyse prototypique et catégorielle qui consiste à croiser le rang d’apparition de l’élément et sa fréquence dans le discours et à effectuer ensuite une typologie autour d’éléments sémantiquement proches. Un classement d’éléments cognitifs peut alors être obtenu soulignant le caractère central de certains d’entre eux. Sur ce point voir Vergès (1992, 1994).

(22) Sa réalité était sans doute un avantage, un autre était que le fait était passé presque inaperçu. On ne pouvait donc pas s’attendre à ce que les interviewés connaissent la solution de cette énigme comme cela aurait pu être le cas si j’avais choisi de les faire réfléchir sur la célèbre « affaire » des papillons Biston betularia, plus connus sous le nom de « géomètres du bouleau » ou « phalène du bouleau », dont le phénotype dominant changea au XIXe siècle dans la région de Manchester. Cette constatation inspira une expérience fameuse, menée entre 1953 et 1955 par le biologiste Bernard Kettlewell, et relatée dans tous les manuels de biologie évolutive. Cette recherche fournit, pour la première fois, la preuve expérimentale de l’existence de la sélection naturelle.

Biologie, neurosciences – Petite histoire naturelle des différences sexuelles, par C. Brandner

Faire appel à des différences d’ordre « naturel » entre deux groupes de population (juifs et aryens, noirs et blancs, hommes et femmes) est un procédé récurrent pour asseoir et légitimer une domination et des différences de droits. Mais c’est moins la véracité de ces différences dites naturelles que le mécanisme argumentatif qui les sous-tend qui nous intéresse d’habitude. Lorsque nous abordons le sexisme en cours ou en atelier, nous rentrons donc rarement dans ce type de débat. Pour prendre un exemple parmi tant d’autres, plutôt que de discuter sur le sens et la validité scientifique de l’affirmation « les femmes sont moins fortes que les hommes », nous préférons discuter de la question « en quoi le fait que les femmes soient moins fortes en moyenne que les hommes légitime-t-il (ou non) que la moyenne des revenus des hommes soient 50% plus élevée que celle des femmes, qu’il n’y ait que 25% de femmes à l’assemblée nationale, qu’il n’y ait qu’une minorité de sages-femmes masculins et de femmes saxophonistes dans le jazz ?, etc « 
Pourtant, nous avons décidé de faire une exception et de revenir ici sur ces différences entre les hommes et les femmes. D’abord parce qu’il y a beaucoup d’idées reçues sur le sujet, ensuite parce que la publication de l’article Sélection commentée de ressources sur le genrea suscité des questionnements* sur l’influence du combat féministe dans les interprétations des dernières connaissances en neurosciences. Les chercheurs militants ont-ils tendance à interpréter exagérément les dernières connaissances en neuroscience (notamment sur la plasticité cérébrale) dans le sens d’une minimisation des différences naturelles entre les hommes et les femmes ? Si nous rêvons de voir un jour disparaître les différences de droits entre les sexes, nous souhaitons avant tout le faire sur des bases solides. Pour tenter de minimiser toute intrusion idéologique sur ce sujet, nous nous sommes tournés vers Catherine Brandner, chercheure au Laboratoire de Recherche Expérimentale sur le Comportement (LERB) de l’Université de Lausanne, qui a accepté de faire un bilan des connaissances scientifiques actuelles sur le sujet. 

Guillemette Reviron

* Merci à Franck Ramus, chercheur en sciences cognitives à l‘Ecole Normale Supérieure, pour cette démarche ainsi que ses commentaires sur cet article.


Sommaire


Préambule

Introduction

I. Sexe et genèse

Sexe et chromosomes : quelques mécanismes à l’origine de dimorphismes sexuels dans les organes

Hormones sexuelles et cerveau

Dimorphisme sexuel cérébral

II. Différences sexuelles, cerveau et aptitudes cognitives

Différences sexuelles, cognition et comportement

Conclusion


Préambule

Bien que les connaissances ne cessent de progresser, la question des différences sexuelles reste un sujet de débat. La polémique est le plus souvent alimentée par des opinions divergentes concernant la présence ou au contraire l’absence de différence entre les sexes, et ceci souvent sur un fond idéologique créateur de confusion.
Afin de clarifier cette situation, il est nécessaire de rappeler qu’une question scientifique se traite dans un cadre théorique qui fournit une structure potentielle d’explication. Ce cadre permet de clarifier et de définir les concepts ou les objets d’une recherche afin de pouvoir les analyser. De ce point de vue, l’étude des différences sexuelles se divise en différents champs de recherche caractérisés par leurs objets et leurs méthodes spécifiques. Par exemple:

  • la biologie moléculaire cherche à expliquer l’origine des chromosomes sexuels et les mécanismes liés à leurs gènes
  • la neuroendocrinologie cherche à expliquer comment les hormones sexuelles sont en mesure de façonner le cerveau
  • les neurosciences cherchent à expliquer comment le sexe modèle le cerveau tant du point de vue de sa structure (architecture) que de ses propriétés fonctionnelles
  • la psychologie expérimentale cherche à isoler certaines variables ou fonctions cognitives afin d’étudier le comportement des hommes et des femmes
  • les études genre cherchent à expliquer comment le sexe influence les rapports sociaux, le pouvoir et la discrimination qui en découle

Ces quelques exemples n’ont pas la prétention d’être exhaustifs. Ils visent à montrer que discuter des différences sexuelles demande de préciser l’objet, en tant que partie de la réalité que l’on cherche à expliquer, afin de se détacher du passionnel ou du normatif.


Introduction

Depuis quelques années, les neurosciences alliées à la biologie moléculaire manifestent un regain d’intérêt pour l’investigation des différences entre les sexes chez l’humain. Cet effet repose pour l’essentiel sur le développement de nouvelles technologies (séquençage, biopuces, imagerie cérébrale, tractographie) permettant de mieux décrire les mécanismes liés aux chromosomes et aux hormones sexuelles mais aussi de mieux retracer leur histoire évolutive. Ces développements nous obligent à constater que les différences sexuelles sont beaucoup plus largement répandues que nous pouvions le penser jusqu’ici. Par exemple, des découvertes récentes indiquent que la prévalence, le déroulement et la sévérité de maladies communes comme les maladies cardio-vasculaires, les maladies auto-immunes ou les pathologies cérébrales ne sont pas semblables chez les femmes et les hommes, et que ces différences pourraient être dues à une régulation des gènes (ensemble des mécanismes biochimiques aboutissant à la production de molécules nécessaires à la fabrication des protéines) qui diffère entre les sexes (35).
Comprendre d’où viennent ces différences sexuelles et comment elles agissent demande de se pencher sur des mécanismes compliqués que la science commence à pouvoir expliquer. L’objectif de ce texte est de fournir des explications simplifiées de quelques mécanismes compliqués à l’origine des différences sexuelles, et de montrer comment ces derniers façonnent le cerveau au cours du développement et donnent lieu à des variations tant structurelles, fonctionnelles, qu’adaptatives. Une fois ces différences décrites, et considérant que la fonction prioritaire du cerveau est de traiter de l’information, la question se pose de savoir si ces variations sont à l’origine de différences d’aptitudes ou de raisonnement entre les sexes. Afin d’y répondre, la seconde partie du texte cherchera à évaluer comment certains dimorphismes cérébraux pourraient offrir la possibilité de résoudre un même problème à l’aide de différentes stratégies cognitives.


I. Sexe et genèse

Sexe et chromosomes : quelques mécanismes à l’origine de dimorphismes sexuels dans les organes

Le caryotype (arrangement standard de l’ensemble des chromosomes) du génome (ensemble du matériel génétique codé dans l’ADN d’un individu) est constitué de paires de chromosomes homologues appelés autosomes et, pour les espèces à reproduction sexuée, d’une paire de chromosomes sexuels appelés hétérochromosomes ou gonosomes. Chez les mammifères, l’étude de l’origine de ces chromosomes sexuels semble indiquer qu’ils dérivent d’une paire d’autosomes présent chez un ancêtre vertébré qui, au cours de l’évolution, a accumulé des différences et des spécialisations (41,46)

Chez les mammifères y compris l’humain, cette histoire évolutive se traduit par la présence de deux caryotypes distincts où la 23e paire de chromosomes est homogamétique XX pour un individu femelle et hétérogamétique XY pour un individu mâle. Comparativement, les chromosomes X et Y se distinguent par leur taille (le chromosome X étant beaucoup plus grand que le chromosome Y) mais aussi par leur contenu en gènes (environ 6% des gènes du génome pour le chromosome X et environ 2% pour le chromosome Y). Ces différences indiquent que le chromosome X a été fortement conservé au cours des différentes étapes évolutives alors que le chromosome Y a perdu beaucoup d’ADN par la suppression de recombinaisons. D’un point de vue fonctionnel, cette divergence a restreint, pour l’essentiel, le rôle du chromosome Y à porter un gène (SRY) dont la transcription et la traduction avec d’autres gènes aboutissent à la différenciation des gonades de l’embryon en testicules (différentiation sexuelle) alors que la majorité des gènes du chromosome X n’est pas impliquée dans les caractéristiques sexuelles.

L’ADN, présent dans tous les noyaux des cellules vivantes, renferme l’ensemble des informations nécessaires au développement et au fonctionnement d’un organisme. Chez les organismes sexués, chaque gène comporte deux versions, appelées allèles, dont l’une est issue du père et l’autre de la mère. L’expression des gènes repose sur un ensemble de mécanismes de régulation permettant de transposer l’information génétique contenue dans une séquence d’ADN en protéine. Les caryotypes XX et XY divergeant par leur contenu potentiel en gènes, ce déséquilibre est compensé par des mécanismes spécifiques comme la compensation du dosage de gènes et l’empreinte parentale : le mécanisme de compensation du dosage des gènes liés au chromosome X se produit durant les stades précoces du développement embryonnaire. Il correspond à l’inactivation aléatoire et permanente de l’un des deux chromosomes X (Xm maternel ou Xp paternel) dans chaque cellule somatique des embryons femelles. Ce mécanisme temporaire est ensuite relayé par un mécanisme épigénétique (modification transmissible réversible sans modification de la séquence ADN) appelé «empreinte génomique parentale» conduisant à une expression différentielle des allèles d’un gène en fonction de sa provenance maternelle ou paternelle (5). Comme le mécanisme d’inactivation n’est pas parfait, certains gènes (estimés à environ 15% chez l’humain) portés par le chromosomes X silencieux échappent à l’inactivation. Ce phénomène permet l’expression de gènes provenant à la fois du gène X maternel et paternel. Ainsi, les femmes présentent des populations de cellules mosaïques (ayant une composition allélique différente) ce qui n’est pas le cas chez les hommes. Cette différence est pensée comme l’origine des dimorphismes sexuels observés dans divers organes mais aussi dans le cerveau (216334050).

Un exemple classique pour illustrer ce phénomène de cellules mosaïques est celui de la chatte à taches tricolores dont le pelage est le résultat de l’expression des allèles gouvernant la couleur rouge et la couleur noire alors que celui du mâle ne présente que l’expression de l’allèle gouvernant soit la couleur rouge soit la couleur noire (pour plus de détail voir l’illustration 2 in Arnold, 2004, pp. 3).

Hormones sexuelles et cerveau

Durant l’embryogenèse, l’expression différentielle des gènes portés par les chromosomes sexuels alliée à l’action des hormones sexuelles est à l’origine de la différentiation sexuelle morphologique. Dans les deux sexes, la crête génitale constitue l’ébauche gonadique primitive qui, une fois enrichie par les cellules germinales primordiales (destinées à former les spermatozoïdes et les ovocytes), va permettre le développement de gonades sexuellement différenciées. Chez l’embryon de sexe masculin (XY), c’est au cours de la  septième semaine de gestation, sous l’influence d’une cascade d’événements génétiques impliquant le gène SRY situé sur le chromosome Y, que la gonade indifférenciée se développe en testicules ; le développement des ovaires, lui, commence autour de la huitième semaine pour être reconnaissable autour de la dixième semaine. Chez l’embryon de sexe masculin, l’augmentation importante de la production et de la sécrétion de testostérone par les testicules, entre la  neuvième et la dixième semaine, produit la masculinisation de l’embryon et donc le développement d’un phénotype masculin. En l’absence de chromosome Y, et donc du gène SRY, on observe le développement d’un phénotype féminin. Ces phénomènes conditionnent les facteurs génétiques et hormonaux de la détermination du sexe (23).

Après la naissance, et chez le garçon, la testostérone continue à circuler à des concentrations élevées pour devenir indétectable vers l’âge de 6 mois et reprendre de l’activité à la puberté. Chez la fille, la testostérone est présente juste après la naissance puis chute ensuite très rapidement (elle provient du placenta d’une part et de la production surrénalienne de la mère en réponse au stress physiologique de l’accouchement). À la puberté, la testostérone est à nouveau sécrétée faiblement dans la circulation sanguine par l’ovaire et les glandes corticosurrénales (10). Durant la phase précoce du développement post-natal, la testostérone opère des fonctions liées au développement cérébral (3,8).

Cette action spécifique est le produit de la conversion de la testostérone en œstradiol par une enzyme, l’aromatase, produite par les neurones et les astrocytes (cellule de support et de protection des neurones). Cette conversion permet d’activer des récepteurs aux œstrogènes, lesquels, durant cette période, sont largement distribués dans le système nerveux (4).

Cette cascade d’événements cellulaires opère un modelage du cerveau impliquant (7) :

  • les chromosomes sexuels et les mécanismes liés à leurs gènes
  • la différenciation de cellules souches en neurones fonctionnels (i.e. neurogenèse)
  • la croissance dendritique (i.e. le prolongement divisé du corps cellulaire des neurones ressemblant à un arbre et ayant pour fonction de recevoir et de transmettre les potentiels d’action)
  • la croissance des axones (i.e. prolongement des neurones) et de leurs projections qui permettent de transmettre l’information (potentiels d’action)
  • l’apoptose qui régule la destruction ciblée de cellules cérébrales non fonctionnelles
  • l’élagage synaptique correspondant à la suppression des synapses afin d’optimiser le traitement des informations neuronales
Question – Y a-t-il des différences selon les sexes dans cette étape ?Réponse de C. Brandner –   Il ne faut pas oublier que la différence existe dès la conception avec l’union des chromosomes sexuels (XX et XY). D’un point de vue cérébral, le remodelage sexué du substrat neuronal au cours du développement dépend de la présence ou de l’absence du gène SRY et des gènes associés (chromosome Y). Ainsi, le développement cérébral féminin typique dépend prioritairement de l’absence des gènes liés au chromosome Y et de l’absence d’hormone testiculaire (testostérone).

Quant au remodelage, et comme nous le verrons plus loin, tant la chronologie que les régions où se déroulent ces actions varient entre les sexes. Ces variations sont à l’origine des différences de taille de certaines régions cérébrales, du nombre de neurones, des patrons de connexions synaptiques et de la distribution des récepteurs aux neurotransmetteurs.

L’adolescence est une autre période de développement durant laquelle les hormones sexuelles opèrent un remodelage structurel du cerveau par les mêmes mécanismes. Ainsi, la puberté et l’élévation de la sécrétion d’hormones sexuelles qui l’accompagne, sont considérées comme une période clé pour l’établissement de connexions cérébrales et des réseaux neuronaux fonctionnels. Par exemple, il a été montré que les hormones ovariennes (œstradiol et progestérone) sont en mesure d’améliorer à la fois la connectivité fonctionnelle cortico-corticales (connexions entre différentes parties du cortex cérébral) et sous-cortico-corticale (régions situées en dessous de la couche de cortex cérébral) alors que les androgènes (testostérone) sont en mesure de diminuer la connectivité sous-cortico-corticale mais aussi d’augmenter la connectivité fonctionnelle entre les aires cérébrales sous-corticales (39).

Il important de rappeler que la puberté correspond à un signal de maturité pour la reproduction correspondant à la capacité à produire des gamètes matures. Ce signal dépend à la fois de facteurs internes mais aussi de facteurs externes tant sensoriels, sociaux, qu’environnementaux (relation aux autres, disponibilité de partenaires potentiels, stress, nutrition, pollutions) lesquels sont intégrés et évalués par le système nerveux central avant de déclencher les mécanismes responsables de la puberté.

Cette précision indique que l’initiation de la puberté doit plutôt être considérée comme un mécanisme cérébral plutôt que comme un mécanisme gonadique. Elle permet aussi d’expliquer pourquoi certains signes liés à la puberté varient en fonction de l’environnement mais aussi pourquoi ils sont exprimés malgré l’absence de fonction normale des gonades (45)

 
Question – Cela veut dire qu’on peut avoir l’air pubère sans testicules ?Réponse de Catherine Brandner – Je ne sais pas s’il existe des humains sans gonades par contre il existe une variabilité dans la composition des chromosomes sexuels dont les plus fréquentes sont des individus XXY, XO, XYY, XXYY, les hommes XX, et les femmes XXX et d’autres variations dues à des modifications métaboliques comme le déficit de la synthèse du cortisol dans les glandes corticosurrénales (hyperplasie congénitale surrénalienne), le syndrome d’insensibilité aux androgènes, le déficit en 5-alpha réductase (enzyme). Ces variations impliquent le plus souvent des modifications anatomiques parfois accompagnées de modifications des fonctions cognitives et de l’adaptation sociale. Pour une idée plus précise de l’influence de ces variations génétiques, on pourra lire la revue de littérature de Blackless et al. (2000) (52).
Question – En quoi et comment l’environnement social influe-t-il la puberté ?Réponse de Catherine Brandner – Une fois encore, cette question demanderait un développement à part. Il est premièrement important de mentionner que les facteurs sociaux de ces études peuvent être contrôlés. A titre d’exemples, des études ont montré que la maturation sexuelle varie en fonction des soins parentaux , de la présence de partenaires sexuels potentiels, ou encore des traditions en matière de mariage.Un phénomène intéressant à mentionner en regard à la théorie de l’évolution et des facteurs sociaux est l’effet du sex-ratio (taux d’hommes et de femmes au sein d’une population). Lorsqu’il est asymétrique (moins d’hommes que de femmes), il semble accélérer la maturation sexuelle féminine. Les études de populations ont montré que le sex-ratio exerce une influence sur l’espérance de vie des hommes. Lorsqu’il y a plus de femmes que d’hommes, leur longévité semble s’accroître alors que lorsque l’asymétrie s’inverse leur longévité diminue. Pour une idée plus précise de l’influence de ce facteur, on pourra lire Jin et al (2010) (54).

Finalement, le stress dû à des facteurs sociaux ou environnementaux (par exemple la malnutrition) est susceptible d’interagir avec les mécanismes de la reproduction (par exemple un retard pubertaire). Ces phénomènes semblent résulter de l’interaction multiple de deux axes de régulation hormonale: l’axe HPA (hypothalamus-hypophyse-glandes surrénales) correspondant au système de la réponse hormonale au stress et l’axe HPG (hypothalamus – hypophyse – gonades) correspondant au système hormonal de la reproduction. Par exemple, le retard pubertaire observé en cas de malnutrition semble lié à l’action du stress sur le système hormonal de reproduction. Pour une idée plus précise de l’influence des facteurs sociaux, on pourra lire Ellis (2004) (53).

Question – Certaines expériences  prétendent montrer que la testostérone serait liée/corrélée à l’agressivité chez les hommes. Que penses-tu de ces expériences ?Réponse de Catherine Brandner – Il m’est difficile de répondre à cette question sans références spécifiques et donc en l’absence de données. D’anciens papiers voulaient lier le taux de testostérone à l’agressivité à partir de l’observation de certains comportements compétitifs en vue de l’accouplement chez d’autres espèces (par exemple les oiseaux). Ces études ne considéraient pas les relations existantes entre les différents systèmes de régulation comme les axes HPA et HPG que nous avons mentionnésprécédemment. Elles ne permettent donc pas d’évaluer la possible relation entre certains traits de personnalité et la réponse au stress.Des études plus récentes plaident en défaveur de l’hypothèse liant la testostérone à l’agressivité. Ces résultats ont conduit les chercheurs à réviser l’hypothèse d’origine, laquelle était sans doute bâtie sur une interprétation erronée du comportement animal, en proposant que le taux de testostérone correspond à un marqueur de succès social plutôt qu’à un déficit d’ajustement comportemental. Par exemple, des études menées chez le sujet adolescent indiquent que de jeunes garçons perçus comme socialement dominantset populaires présentent des taux plus élevés de testostérone. A l’inverse, des garçons socialement mal perçus et ayant été brutalisés par leurs pairs durant leur enfance présentent des taux peu élevés de testostérone comparativement à un groupe de contrôle. D’autre part, l’administration de testostérone chez le sujet adulte présentant un déficit de synthèse de cette hormone modifie son comportement sexuel mais aussi son humeur en diminuant son score  sur une échelle de dépression. Pour une revue de la question, on peut lire Archer (2006) (51).

 

Dimorphisme sexuel cérébral

Avant d’aborder les différences sexuelles cérébrales, il convient de rappeler que les tissus du système nerveux central (cerveau et moelle épinière) sont dissociés en matière blanche et matière grise. Il convient peut-être aussi de préciser que ces adjectifs colorés n’ont aucune fonction symbolique mais proviennent des premières observations anatomiques où, après fixation, certaines parties du cerveau sont de couleur blanche alors que les autres ont un aspect grisâtre. Ces couleurs sont dues à la composition des cellules de ces tissus. Brièvement, la matière blanche (myéline) est une graisse qui sert à protéger et isoler les fibres nerveuses (axones) et à accélérer la vitesse de conduction du signal neuronal (potentiels d’action) ; la matière grise quant à elle se compose essentiellement des corps cellulaires et des dendrites responsables de la réponse aux stimulations par leur conversion en potentiels d’action et la propagation de ce signal.
Développement cérébral
Le développement cérébral est le produit d’une cascade d’événements cellulaires ayant pour origine les gènes.

  • Matière grise
    Du point de vue neuroanatomique, la matière grise commence par croître pour ensuite décroître, faisant ressembler sa courbe développementale à un U inversé. Les pics de volume de la matière grise varient avec l’âge et les régions cérébrales. Par exemple, les lobes pariétaux et occipitaux atteignent leur maturation plus rapidement que les lobes frontaux et temporaux lesquels se développent jusqu’à l’âge adulte. Ces différences de développement impliquent aussi une différences de maturation des fonctions cognitives. Ainsi, les fonctions sensorielles primaires (comme la vision ou l’audition) atteignent leur maturité plus rapidement que les fonctions exécutives (comme la planification ou le raisonnement) ou les capacités d’associations sensorielles (traitement multimodal de l’information). Hormis l’âge, le sexe influence les pics de développement cérébraux. Ainsi, les pics de volume de matière grise sont atteints plus précocement chez les filles que chez les garçons comme pour le début de la puberté(20,37,38).
  • Matière blanche
    La matière blanche croît de manière linéaire jusqu’à l’âge adulte. Les connaissances actuelles laissent supposer que cette évolution de la matière blanche est liée au développement de réseaux neuronaux fonctionnels, lesquels se caractérisent par l’activation conjointe de régions cérébrales anatomiquement séparées (19).
    Comme pour la matière grise, les pics de développement de la matière blanche varient en fonction de l’âge, des régions et en fonction du sexe. Durant l’adolescence, la croissance de la matière blanche est plus rapide et se poursuit plus longtemps chez les garçons que chez les filles (21, pour une visualisation de ces développements: http://www.nimh.nih.gov/videos/press/prbrainmaturing.mpeg).


Age adulte

Ce modelage différentiel du cerveau durant le développement est maintenu à l’âge adulte. A ces différences morphologiques globales s’ajoutent d’autres dimensions fonctionnelles comme la neurotransmission ou la réponse métabolique à l’expérience (15). Du point de vue de l’anatomique macroscopique, le cerveau des hommes est plus gros et plus lourd que celui des femmes. Les études morphométriques, pondérées par la taille et le poids, confirment que la proportion matière grise/matière blanche de diverses régions cérébrales diffère de manière significative entre les sexes. En moyenne, le cerveau des femmes contient un pourcentage plus élevé de matière grise alors que celui des hommes contient un pourcentage plus élevé de matière blanche et de liquide céphalo-rachidien (12).


II. Différences sexuelles, cerveau et aptitudes cognitives

L’étude de ces différences neuroanatomiques entre les sexes est particulièrement intéressante eu égard aux croyances largement répandues concernant les capacités cognitives (28). Ces capacités sont le plus souvent mesurées par des tests de quotient intellectuel (QI) qui correspondent à des corrélations positives entre différents tests d’aptitudes cognitives (verbales, spatiales, numériques pour l’essentiel) donnant lieu à une nouvelle variable (non corrélée) appelée facteur g (27,18, pour plus de détails voir la figure 1 et la boîte 2 de la référence 17 et pour une discussion sur les limites de l’utilisation des tests de QI, Gauvrit (2010).)

Les neurosciences ont contribué à la compréhension des bases biologiques responsables des   capacités cognitives chez l’humain et permis d’identifier les principaux circuits cérébraux impliqués dans cette fonction. De plus, les études de neuroimagerie ont permis d’évaluer comment le dimorphisme cérébral module l’intelligence générale mesurée par le facteur g. Les principaux résultats peuvent être résumé de la manière suivante. L’article de revue de Deary et collaborateurs (17) permet de résumer les principaux résultats issus de ces recherches.

  • Matière grise
    Chez les hommes, le facteur g est plus fortement corrélé au volume de matière grise des lobes fronto-pariétaux alors que chez les femmes, ce paramètre est plus fortement corrélé avec la matière blanche d’une part et la matière grise de l’aire de Broca (l’une des principales aires cérébrales responsable du langage). Les mesures d’épaisseur corticale (corps cellulaires des neurones et des cellules gliales formant la matière grise) indiquent que le facteur g corrèle plus fortement avec les régions frontales chez les femmes alors que ce paramètre corrèle plus fortement avec l’épaisseur corticale du lobe temporal occipital chez les hommes.
  • Matière blanche
    Concernant les liens entre la matière blanche et le facteur g, son intégrité semble plus importante chez les femmes que chez les hommes. Certaines études ont même montré une corrélation négative entre ce facteur et la matière blanche fronto-pariétale chez les hommes après la puberté. Pour expliquer cette dernière différence, l’hypothèse a été posée que, chez les hommes, les fonctions cognitives dépendent d’un nombre de fibres plus restreint, ce qui suppose que les axones des hommes sont plus épais et plus étroitement liés que chez les femmes.  
  • Efficacité neuronale
    Hormis ces différences de corrélations entre le substrat cérébral et le facteur g, certaines études se sont penchées sur l’efficacité neuronale, mesurée par l’activation cérébrale électroencéphalographique (EEG) lors de résolution de tâches cognitives. Ces patrons d’activations ont montré que, lors de la résolution de tâches spatiales de difficulté moyenne, le cerveau des hommes est moins actif que celui des femmes. Inversement, lors de la résolution de tâches verbales de difficulté moyenne, le cerveau des femmes est moins actif que celui des hommes. Ces résultats indiquent que l’indice d’efficacité neuronale (activité cérébrale réduite pour résoudre une même tâche) varie entre les sexes en fonction du type de tâches. Ces résultats concordent avec les différences sexuelles comportementales, où, en moyenne, les hommes montrent un avantage pour les tâches spatiales alors que les femmes montrent un avantage pour les tâches verbales (15).
 
Question – Ces études montrent-elles des différences indépendamment de l’environnement social ?   Réponse de C. Brandner –  Pour répondre à cette question le terme environnement social devrait être précisé afin qu’il puisse être opérationnalisé. Des variables comme la malnutrition et l’absence de soins parentaux suffisants engendrent des réponses de stress susceptibles de modifier le développement cérébral. Il faut cependant relever que les études IRM ou EEG publiées dans des journaux scientifiques concernent des populations contrôlées pour un certain nombre de variables. Ainsi, les personnes présentant un QI inférieur à la moyenne, des maladies cardiaques, cérébrales et psychiatriques sont exclues des échantillons. Les études les plus récentes contrôlent même une partie de l’histoire embryonnaire en excluant des personnes issus de mères présentant des problèmes de dépendance à des substances comme l’alcool.

Différences sexuelles, cognition et comportement

L’étude comportementale des différences sexuelles vise à dégager des différences entre les sexes pour le traitement de certaines informations. Afin d’y parvenir, certaines variables cognitives (capacité verbale, capacité spatiale, capacité numérique par exemple) sont isolées et manipulées dans le but de dégager en quoi les hommes et les femmes diffèrent. Chacune de ces recherches peut fournir des arguments en faveur et contre l’hypothèse que le sexe influence les comportements. Cette divergence a souvent été prise comme argument pour nier la fiabilité de ce type de recherche. Cependant, et pour que cette critique soit valide, elle devrait être basée sur la comparaison d’études exactement comparables (i.e. participants, matériel et procédure expérimentale, analyses de données) ce qui demanderait des réplications d’expérience plutôt que le développement de nouveaux protocoles. Les méta-analyses sont un moyen pour pallier à cette difficulté en compilant un grand nombre d’études afin de tenter de dégager une vision plus claire de ces différences (11).

En regard des différences sexuelles, le comportement spatial a donné lieu à un très grand nombre de débats dont une partie concerne les modèles évolutionnistes que nous n’aborderons pas ici car ils méritent un développement propre (voir à ce sujet les suggestions de lecture proposées en fin de texte) . Ce comportement est un bon exemple pour illustrer les variations cognitives pouvant exister entre les hommes et les femmes. La mesure des capacités spatiales à l’aide de tests spécifiques indique qu’en comparaison des femmes, les hommes présentent en général un avantage pour résoudre des tâches de rotation mentale. A l’origine, cette capacité a été mesurée à l’aide d’un test qui demande de manipuler et transformer des figures géométriques (47,1 pour le test et son évalutation). Cependant, la poursuite de l’investigation de cette capacité par la modification du matériel de base (stimuli bidimensionnels simplifiant la tâche, utilisation d’images d’animaux en lieu et place de stimuli géométriques, ou utilisation d’un environnement virtuel impliquant une activité motrice) indique que du point de vue comportemental, cette différence peut être supprimée.

Les résultats des différentes études de la rotation mentales ont été interprétés comme une différence de stratégie utilisée pour résoudre une tâche de rotation mentale. Selon cette hypothèse, les hommes privilégient une stratégie globale où l’objet est traité en tant que configuration à comparer avec un objet témoin, alors que les femmes adoptent une stratégie locale consistant à comparer les détails de l’objet mémorisé avec les détails de l’objet témoin. Les études neuroanatomiques soutiennent cette hypothèse, qui implique que ces deux stratégies diffèrent en terme de charge mnésique, puisqu’elles ont montré qu’à performance égale, l’activité cérébrale (mesurée par électroencéphalographie ou par imagerie cérébrale) des femmes est plus élevée que celle des hommes lors de la réalisation de ce type de tâche (14,29,30,36).

La mesure des habiletés spatiales à l’aide de tests impliquant la capacité de se souvenir de la position qu’occupait un objet particulier dans un ensemble d’objets indique qu’en comparaison des hommes, les femmes présentent en général un avantage pour ce type de tâche (44). Cependant, si l’ensemble des stimuli correspond à des catégories objets de type masculin (par exemple after-shave), objets de type féminin (par exemple rouge à lèves), et objets neutres (par exemple crayon), les femmes et les hommes se souviennent plus des objets congruents avec leur propre sexe, et l’avantage des femmes pour ce type de tâche disparaît (13).

Question – Si on laisse les sujets s’entraîner pendant quelques semaines, les différences de capacités disparaissent-elles aussi ?

Réponse de C. Brandner – Absolument. Cependant, si l’on compare le nombre d’essais nécessaires pour atteindre une performance asymptote, on retrouvera la différence entre les sexes.


Dans un contexte plus large, et plus proche de la vie quotidienne, la mémoire spatiale est évaluée à l’aide de tests d’orientation et de navigation spatiale. Ces recherches indiquent que si les hommes comme les femmes savent s’orienter, les moyens mis en œuvre pour y parvenir sont différents. De manière générale, les recherches indiquent que les femmes utilisent plus volontiers la position des points de repère alors que les hommes utilisent plus volontiers les informations géométriques fournis par l’environnement (24,34,43). Ces différences entre les sexes suggèrent que les femmes et les hommes développent différentes stratégies cognitives pour résoudre les problèmes qu’ils rencontrent, et que ces différences de stratégies pourraient avoir pour origine le dimorphisme sexuel cérébral. Cette hypothèse est soutenue par des études d’imagerie cérébrale fonctionnelle indiquant que les différences entre les femmes et les hommes dans l’utilisation de points de repère et d’informations géométriques sont liées à l’activation de différents circuits cérébraux (22).

Prises dans leur ensemble, ces recherches sont intéressantes à plus d’un titre. Du point de vue des neurosciences, elles permettent d’affiner le concept de plasticité cérébrale. Il est tout aussi fondamental de rappeler que durant de nombreuses années, le cerveau adulte a été vu comme un organe qui n’était pas susceptible de changer. Cette hypothèse a été abandonnée au profit de la notion de plasticité neuronale correspondant à des modulations fines du substrat cérébral lequel varie entre les individus. La plasticité cérébrale correspond à la réorganisation  des connexions et des circuits cérébraux suite à un apprentissage. Depuis quelques années, ce concept a été généralisé au point de considérer le cerveau comme un organe en perpétuelle reconstruction. Cet argument a parfois été utilisé pour remettre en question la robustesse de l’hypothèse du dimorphisme sexuel cérébral. Cependant, si cette plasticité dépendante de l’expérience s’exerce tout au long de notre vie, elle le fait sur un substrat cérébral dont l’organisation générale est déterminée par le génome de l’individu. Comme nous l’avons vu, ce génome comporte une paire de chromosomes sexuels à l’origine d’une cascade d’événements qui engendrent des différences sexuelles tant corporelles que cérébrales. Sans entrer dans les détails, il est peut-être important de rappeler que la plasticité neuronale s’exerce par l’activation de récepteurs cérébraux, et que, parmi ces derniers, les récepteurs aux œstrogènes jouent un rôle majeur. Par exemple, les personnes atteintes du syndrome de Turner (maladie chromosomique caractérisée par l’absence d’unchromosome X), qui induit une déficience en œstrogène, présente des modifications de la répartition du volume de matière grise dans différentes régions cérébrales et une réduction de la cognition visuospatiale (9). De même, les thérapies de supplémentation en œstradiol chez la femme ménopausée atténuent les pertes de matière grise due à l’âge (32). La testostérone exerce aussi ces effets neurotrophiques par l’activation de la voie des androgènes et le mécanisme de l’aromatisation. Finalement, les études morphométriques chez le sujet âgé indiquent que le dimorphisme sexuel cérébral est maintenu par le biais de l’expression différentiel des gènes dans le cerveau (6,42).

Question – Les cerveaux des hommes et des femmes sont différents à la naissance et le restent tout au long de la vie et, comme tu viens de nous l’expliquer, les chromosomes, les gènes et les hormones sont à l’origine des ces différences. Par ailleurs, les études de sociologie nous montrent que nos comportements diffèrent si nous sommes en présence d’un homme ou d’une femme, mais aussi d’un nourrisson garçon ou d’un nourrisson fille. On interprète différemment leurs pleurs (colère pour les garçons, tristesse pour les filles), on pousse un petit garçon à grimper aux arbres tandis qu’on encourage une petite fille à jouer à la poupée. Ces différences de comportements de l’entourage sont-elles aussi en partie responsables des différences structurelles du cerveau ? (zones plus développées que d’autres par exemple).

Catherine Brandner – Il est difficile de répondre à une question qui ne donne pas de références précises permettant d’examiner les données. Les étudiants m’adressent souvent des questions concernant l’influence de la culture ou du social. Ma réponse invariablement mentionne qu’en psychologie expérimentale, seuls les résultats provenant de l’opérationnalisation des variables sont susceptibles d’être publiés. Ce qui signifie que lorsque l’on parle de l’effet de l’environnement social, on devrait être en mesure de le faire varier et d’en mesurer les effets comparativement à un groupe de contrôle. Comme il est éthiquement (mais pas seulement) impossible de faire varier l’ «environnement social», il me semble bien difficile de poser la moindre hypothèse concernant la question adressée.
Je serai cependant tentée par une réponse provocante : s’il s’avère que nos comportements sont modifiés en fonction du sexe de notre interlocuteur, qu’est-ce qui nous pousse à les ajuster ? Si l’on me répond qu’il s’agit de facteurs culturels ou sociaux, je me  permettrais de demander comment une telle règle a pu se mettre en place et se maintenir, et ceci quelles que soient les régions du globe que l’on considère ? Je pense qu’émergeraient alors la piste phylogénétique et les hypothèses liées aux mécanismes de la reproduction sexuée d’une part et à la sélection sexuelle d’autre part. Nous entrons ici dans une autre perspective tout aussi fascinante et je ne peux une fois encore que recommander de consulter les suggestions de lecture pour replacer les différences sexuelles comportementales dans un contexte évolutionniste.
Réponse de GR – Il ne me semble pas déraisonnable d’envisager les choses sous cette perspective évolutionniste, en soulignant toutefois que ces attentes différenciées selon les sexes ont évolué au cours du temps et que la sélection s’est effectuée suivant des critères différents selon les époques (critères de beauté, comportements et rôle dans la sphère publique et au foyer, rapport à la sexualité, etc.) et qu’ils ne sont pas (ou en tout cas n’ont pas été) immuables.

Conclusion

En conclusion, il est important de relever que les résultats des études comportementales indiquent que les femmes et les hommes sont égaux quant à leur capacité à résoudre des problèmes. Cependant, leur manière d’y parvenir repose sur des stratégies cognitives différentes, et ces différences semblent reposer sur le dimorphisme du substrat cérébral. Dans ce contexte, l’apparition de la reproduction sexuée (eucaryote) et les différences sexuelles qui en découlent est une source formidable de variation de l’expression des gènes, laquelle du point de vue de la théorie de l’évolution est fondamentale pour expliquer l’adaptation des organismes (par le biais des mécanismes de la sélection naturelle et sexuelle) aux changements de l’environnement au fil des générations.

Catherine Brandner,

Questions de DC et GR.


Suite à la publication de cet article, Franck Ramus, chercheur en sciences cognitives à l’Ecole Normale Supérieure, nous fait part de ses réflexions :

« Il existe toute une littérature en psychologie sociale montrant les effets d’attente et de stéréotype. La limite de ces études est que, si elles montrent bien que les stéréotypes que l’on peut avoir sur les femmes les poussent à s’y conformer, elles ne sont pas en mesure de montrer que c’est la seule cause de différences hommes/femmes. Peut-être qu’elles se superposent et accentuent des différences pré-existantes. La meilleure réponse à la question de l’origine des différences, ce sont les études précoces qui montrent des différences de capacités et de préférences cognitives chez le bébé, à des âges où il est peu plausible qu’elles soient dues à un conditionnement social. Mais ces études sont difficiles méthodologiquement et peu nombreuses. D’autres réponses complémentaires peuvent venir de travaux montrant les effets précoces des hormones, comme la testostérone fœtale, ou encore les cas de CAH (Congenital Adrenal Hyperplasia). Bref, il y a quand même quelques données qui montrent de manière relativement convaincante que certaines différences cognitives entre les sexes ne sont pas entièrement dues à des facteurs sociaux.« 

On trouvera quelques références ici.


Références

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Suggestions de lecture pour replacer les différences sexuelles comportementales dans un contexte évolutionniste

Laland, K.N., & Brown, G.R. (2011). Sense & non sense, evolutionary perspective on human behavior. Oxford University Press.

Geary, D.C. (2003). Hommes, femmes. L’évolution des différences sexuelles humaines. Traduction par Gouillou, P. Ed. de Boeck, collection Neurosciences & Cognition

Darwin, C. (2000). La filiation de l’homme et la sélection liée au sexe. Oeuvres de Charles Darwin. Traduction coordonnée par Prum, M. Editions Syllepse. Institut Charles Darwin International.


Références proposées par Franck Ramus.

Auyeung B., Baron-Cohen S., Ashwin E., Knickmeyer R., Taylor K. and Gerald Hackett G. (2009). Fetal testosterone and autistic traits.
………..British Journal of Psychology, 100, 1–22

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Connellana J., Baron-Cohena S., Wheelwrighta S., Batkia A., Ahluwaliab J. (2000). Sex differences in human neonatal social
………..perception, Infant Behavior & Development, 23, 113–118

Biologie, évolution – L'échelle des êtres par Alain Le Metayer

L’échelle des êtres se cache-t-elle dans l’arbre phylogénétique ? Est-il possible qu’une idée fausse (par exemple : « Il existe une échelle des êtres« ) puisse persister dans les discours ou les représentations graphiques de personnes qui, pourtant, déclarent explicitement que cette idée est fausse ?
Alain Le Métayer partage avec nous un document instructif et éclairant sur ce problème.

 

Dans un article sur la résistance au darwinisme, Gérald Bronner propose ceci : il est difficile de devenir darwinien… quand on pense qu’on l’est déjà et qu’on mobilise les idées de Lamarck plutôt que celles de Darwin. Ainsi, en embarquant Lamarck comme passager clandestin tout en se croyant darwinien, on a peu de chance de le devenir vraiment !


On pourra également se servir de l’excellent documentaire Espèces d’espèces, de Denis van Waerebeke. Concernant cette partie (sur l’échelle des êtres), voici deux extraits que nous utilisons dans nos cours :

[youtube=http://www.youtube.com/watch?v=kKnHlnD02dc]  
[vimeo 20738400]  

https://cortecs.org/videotex/biologie-de-levolution-metaphore-de-la-boule-buissonnante

https://cortecs.org/videotex/biologie-documentaire-especes-despeces

Denis Caroti